Rendre son hybridité à une maison en cours de patrimonialisation

Résumé

En octobre 2000, le Musée de Plein Air des Maisons Comtoises de Nancray (France/Doubs) se rend acquéreur d’une ancienne ferme haute-jurassienne pour compléter sa collection. En mars 2001, soit plus d’un an avant le déplacement de cette habitation sur son site, l’institution muséale confie aux auteurs de l’article la mission de récolter sur le terrain le matériel ethnographique nécessaire à la muséographie de cette récente acquisition. L’objectif est clair : ériger en type régional une habitation pourtant singulière. Or, en confrontant les discours haut-jurassiens à ceux des personnels du musée, l’enquête ethnologique révèle la grande variation de la catégorie ‘type architectural’ et ouvre par là même à une réflexivité sur cette pratique muséale.

Sommaire

Table des matières

Introduction

En avant-propos, nous souhaitons restituer brièvement le sens de notre démarche, laquelle dépend de notre parcours et du contexte où se manifestent nos choix, ceux de jeunes chercheurs mus notamment par la conscience du besoin aigu d’aller de l’avant dans un processus professionnalisant. Avec un enthousiasme naïf et pondéré par notre ignorance du champ à traiter, nous acceptons en février 2001 d’effectuer sous la Direction scientifique de Noël Barbe (Conseiller pour l’ethnologie à la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Franche-Comté) [1], l’étude ethnologique précédant le démontage d’une récente acquisition (cf. illustration 1) du Syndicat Mixte du Musée de plein air des maisons comtoises de Nancray (Doubs) [2].

Doctorants, soutenir nos thèses dans des délais raisonnables est notre priorité. Or, nos sujets de thèses s’avèrent pour le moins éloignés des problématiques de l’habitat. Pourquoi alors se disperser dans une telle recherche ? Pour une triple raison : d’abord, nous familiariser avec les contrats. Nous savons en effet qu’ils sont un des outils professionnalisants auquel recourent couramment les chercheurs de nos disciplines, il nous faut en apprendre les rouages. Ensuite et le motif est de poids, assouvir un impératif économique ponctuel que nulle bourse ne comble. Nous voyons enfin dans le fait de réaliser une action culturelle, une occasion d’étendre nos compétences.

Une demande impossible

Employés sur un statut d’Assistant de conservation [3], nous disposons de trois mois à mi-temps pour effectuer l’étude ethnologique pré-démontage d’une maison située à l’Enversy, lieu-dit rattaché à la commune des Bouchoux (cf. illustration 2). Afin de circonscrire les attentes du musée, opaques à nos yeux, nous élaborons un pré-programme qui nous conduit à nous intéresser en premier lieu à son projet intellectuel, à la lecture critique de rapports consacrés à de semblables objets et à une visite analytique du musée.

Fondateur du Musée des maisons comtoises de Nancray, l’abbé Jean Garneret orienta dès les années quarante sa démarche dans le sens d’une collection « pour la connaissance et la conservation de la tradition comtoise » (Garneret, 1985, p. 15). Une fois fondé, le musée de Nancray a progressivement acquis et mis en scène des maisons rurales démontées de leurs sites indigènes, puis remontées pierre par pierre dans le parc du musée, patrimonialisées. Parce que ce projet tend vers une « connaissance » des différents modes de vie ruraux comtois, les maisons sont sélectionnées. Il ne s’agit pas d’engranger des bâtiments identiques, mais de capitaliser un exemplaire de chacun des nombreux types d’habitations présentes sur le sol d’une région aux fortes variations géomorphiques. La visée est exhaustive de sorte qu’à terme, et par le prisme de l’habitat, ce musée offrira à ses visiteurs l’occasion de connaître la « tradition » rurale comtoise. Nous voyons dès lors la puissance de ce projet qui, par l’inertie de l’objectif poursuivi depuis le départ, dicte dans la durée les comportements des équipes de conservation du musée. Ces dernières se transmettent et restituent au public une conception de la tradition façonnée par Jean Garneret et ses collaborateurs. Elle se donne à voir dans La maison du montagnon (Garneret, Bourgin & Guillaume, 1981).

A l’échelle de Nancray, cet ouvrage est paradigmatique dans la mesure où d’un côté, de très nombreux plans et dessins constituent les moyens de saisir les types francs-comtois d’architectures rurales ; tandis que la méthode choisie pour restituer ‘la dimension humaine’ de ces maisons paysannes est la voix textuelle. Dualiste (images/textes ; culture matérielle/culture humaine), le procédé de cette école qui fait de l’objet architectural, le médium pour une compréhension du passé des hommes, de leurs activités et de leurs traditions, est mis en acte dans le musée. Figurent ainsi à Nancray des maisons nécessairement singulières, mais hissées jusqu’au rang de types de leurs micro-régions d’origine. Ambassadicisées, ces habitations y sont présentées dans une fonction improbable selon laquelle le bâti formaterait les pratiques humaines, où les contraintes architecturales des habitations et leurs formes variées modèleraient les comportements de leurs occupants. En visitant le musée, ce qui nous frappe en effet d’emblée, c’est ce parti pris pour une muséographie de la vie rurale qui passe par la présentation de maisons, supposées en permettre l’appréhension globale.

Notre positionnement intellectuel de jeunes chercheurs nous invite à penser les choses de façon symétrique. Face à ce qui s’apparente à une géographie humaine, il nous semble davantage ethnologique, non pas de partir des habitations pour en déduire des façons d’habiter (méthode déductive), mais bien d’interroger les façons d’habiter pour comprendre des architectures (méthode inductive). La lecture de rapports antérieurs commandités par le musée confirmera ces doutes/critiques méthodologiques. La mission de nos prédécesseurs consistait à s’intéresser aux habitants successifs d’une maison préalablement désignée comme typique par l’équipe du musée en dehors et en amont de tout travail de terrain, de toute enquête. C’est-à-dire que, contrairement à ce que requiert l’induction, le typique n’est pas, à Nancray, une qualification issue des catégories indigènes elles-mêmes, mais un a priori posé par l’institution. La distorsion opérée par ces recherches sur leur matériel ethnographique réside donc notamment dans un travail de généralisation/simplification des comportements singuliers observés, lesquels sont finalement récoltés dans le seul but de créditer la notion généralisatrice de ‘type’ architectural. Seuls les dénominateurs communs des discours sont conservés pour affirmer la ‘typicité’ des bâtisses considérées, pour légitimer leur ambassadicisation. Quant aux variations et aux désunions discursives, elles sont refoulées, niées. Pourquoi ? Parce que si le ‘typique’ varie, le ‘typique’ n’existe pas, il est un artefact. Or, et parce que la période historique qui l’intéresse est manifestement le XVIIIème siècle, ce musée pourrait de façon légitime financer des recherches historiques fouillées, des études sur le mobilier, des inventaires sur l’architecture intérieure rurale, etc. Il pourrait donc, avec une justesse ainsi gagnée, présenter ce qui le caractérise : des intérieurs ancrés dans une époque comme une table dressée pour un repas, l’utilisation d’un tué [4] dans une ferme du haut-Doubs, etc. Actuellement, en innovant paradoxalement beaucoup, l’équipe de conservation se borne à montrer ‘la vie d’antan’ non pas telle qu’elle était, nulle enquête ethnologique ne saurait l’établir, mais comme elle imagine qu’elle fut.

Nous ne saurions trop insister sur la difficulté qui fut la nôtre à saisir les enjeux théoriques que nous venons d’exposer. A présent, il nous reste à introduire le cheminement qui fut le nôtre ou comment une pratique ethnographique nous a permis dans un premier temps de fournir la recherche commandée pour ensuite, faire travailler ce socle documentaire nécessairement préalable à notre tentative de déconstruction systématique de la notion caduque de ‘typicité’.

Sortir de la double contrainte par l’induction

Outre une recherche du séculaire dans le vernaculaire comme cela se pratique habituellement au musée de Nancray, nous décidons, lors de notre premier rendez-vous à Nancray avec notre Directeur scientifique et l’équipe de conservation, de prendre en compte dans le champ de l’observation la question du démontage de cette maison et donc de sa mise en patrimoine. Développer ces deux pôles est le projet qui nous anime alors que nous nous rendons pour la première fois sur notre terrain haut-jurassien. En visitant la maison en compagnie des propriétaires, d’une assistante de conservation du musée et de Noël Barbe (cf. illustration 3), nous saisissons son inoccupation et par là même, réalisons que l’objet de notre étude reste à construire. En effet, notre mission est de collecter les usages sociaux ‘traditionnels’ de cette maison en tant qu’ils sont précisément ce qui intéresse classiquement le musée de Nancray.

Ce matériel doit permettre à terme d’étayer l’argumentaire muséographique. Mais comment mener cette tâche alors même que nul agriculteur n’habite cette bâtisse depuis des lustres ? Quels usages de ce lieu pouvons-nous récolter si les habitants font défaut, si nul vache n’a été traite dans son étable depuis le début du XXème siècle, si aucun fromage n’y a été façonné ni aucune pierre précieuse taillée (cf. illustration 4) ?
A ce premier impossible ethnographique s’ajoute un effet pervers induit par la démarche du musée exposée plus haut : pour nos informateurs, que nous les en informions ou qu’ils soient préalablement au fait, peu importe, ‘le Fric’, (nom donné à cette habitation en référence à Frédérique, ancien propriétaire) devient marqué du sceau de sa mise en patrimoine. C’est pourquoi, qu’ils soient en accord ou au contraire perplexes sur la pertinence du choix de cette maison comme ambassadrice de leur région au musée de Nancray, nul ne saurait faire autrement que de prendre acte dans ses énoncés, de la valeur patrimoniale de cette maison dans la mesure où une institution muséale en répond. Quelles sont les conséquences pour cette étude ?
De cette première plongée en terrain boucherand [5], nous gagnons un objet davantage construit. Il ne s’agit plus pour nous de saisir les usages ‘traditionnels’ de cette maison, mais de saisir des discours sur ses usages passés. Agissant de la sorte, nous répondons aux attentes documentaires du musée et dans le même temps, nous prenons conscience que ce qui habite la maison du ‘Fric’, ce sont des discours contemporains sur le dispositif de sa mise en patrimoine qui ont tous pour effet de l’ambassadiciser. Tous ? Oui et parce que nous voulons fournir l’explication inaugurant l’élection patrimoniale de cette maison singulière, nous décidons de faire entrer dans le cortège de notre population, en plus des indigènes hauts-jurassiens et de la famille donatrice en particulier, les employés du musée. Pourquoi ? Parce que non seulement ils sont les premiers à faire de cette maison singulière une maison ‘typique’ mais en outre, les raisons qui les motivent sont différentes de celles des informateurs indigènes. Dès lors, il nous incombe d’élucider les conditions de cette imprévisible rencontre : comment ces « objectifs hétérogènes » ont-ils été converti en « équivalents » (Callon, 1988, p.179) ? Comment ces façons divergentes de se représenter la typicité du ‘Fric’ parviennent-elles à inventer leur convergence ? Le fait que le ‘Fric’ ne soit pas qu’un objet architectural inanimé mais un « actant » (Latour, 1989, p. 131) hautement actif dans le processus de sa patrimonialisation explicite l’avènement d’une telle conjoncture. Cette bâtisse a effectivement su « traduire » les différences. Les signatures apposées sur l’acte de donation en témoignent : le ‘Fric’ a réussi la prouesse d’effacer les distorsions entre les protagonistes noués autour de sa mise en patrimoine. Le prix de cette opération de traduction ? Ne plus offrir au regard de tous, que l’illusion de sa ‘typicité’.

La typicité remise en question

L’architecture ‘traditionnelle’ module ses formes selon les régions et micro-régions géographiques, matérialisant ainsi « une véritable frontière de géographie humaine » (Guillou, 1999, p. 195). Christian Bromberger (2000, p. 317) rappelle combien ces variations géographiques résultent d’une pluralité de facteurs pédologiques, climatiques, historiques, économiques, sociaux et symboliques. Tout comme le haut-Doubs a son tué ou le Sundgau (Territoire de Belfort) ses murs en torchis [6], le haut-Jura a lui aussi ses incontournables : ils se nomment avancée du toit sur la façade principale (cf. illustrations 5, 6 et 7), porte de grange voûtée (cf. illustrations 8 et 9), façade sud en tavaillons (cf. illustrations 10 et 11), four attenant (cf. illustration 12), cheminée centrale (cf. illustrations 13 et 14) irradiant la cuisine et le poêle, etc. Ces invariants architecturaux sont largement présents dans l’architecture des fermes hautes-jurassiennes construites jusqu’au début du XXème siècle. Mais si le ‘Fric’ possède bien ces caractéristiques, est-il typique du haut-Jura pour autant ?

La question rassemble des réponses contrastées. Parmi les personnes interrogées, des décalages s’observent et viennent d’emblée relativiser la notion de ‘type’ en nuançant la pertinence du choix singulier de la maison du ‘Fric’ :

« moi j’ai une ferme à l’Enversy, la nôtre, c’est vraiment la typique ! Et bien ... c’était pas pareil que là (au ‘Fric’) ..., on rentre par la porte d’entrée, d’un côté il y a les appartements, de l’autre côté y a l’écurie tout ça. Et y a deux caves voûtées » (Denise, 70 ans, femme au foyer),
« l’habitat du haut-Jura quand même [...] ce que vous recherchez, ça ne représente pas un grand secteur sur la région. Sitôt qu’on s’en va au Sud, c’est déjà plus du tout la même [...]. Disons depuis quand même la Joux, Lamoura jusque sur le plateau là, le secteur là, [le ‘Fric’] c’est à peu près le type... » (Jean, 67 ans, retraité de la Direction Départementale de l’Equipement).

Repérer sur un espace bâti les invariants architecturaux caractéristiques de la région est une chose. Mais caractéristique rime-t-il avec typique ? D’aucuns pourraient penser qu’on ne fait ici que jouer sur les mots. Et pourtant, si tous nos informateurs s’accordent à penser que l’avancée du toit sur la façade principale ou la façade sud en tavaillons constituent des éléments architecturaux ‘typiques’ du haut-Jura, en déduire la typicité du ‘Fric’ ne semble pas aller de soi. Les agencements architecturaux des habitats rencontrés sur le terrain présentent tous des divergences perceptibles. Et si les invariants cités plus haut y sont généralement présents, la typicité de l’habitat, c’est-à-dire en somme la typicité de l’agencements des invariants, ne semble correspondre à aucune réalité architecturale. Interroger les informateurs sur la notion de typicité, c’est les prendre au dépourvu, leur demander de se positionner et de choisir dans un ensemble d’habitats qu’ils n’ont pas appris à catégoriser. Pour différentes raisons, certaines habitations des Bouchoux encore sur pied seront parfois désignées par les boucherands comme plus (ou au moins tout autant) typiques de la région que le ‘Fric’ :

« mais les deux qui sont au-dessus, à nous, elles sont vraiment restées, elles sont très typiques ! [...] On la sent d’origine [...] c’est une qu’est restée dans le style ancien [...] 1800 environ » (Marceline, 65 ans, agricultrice à la retraite),
« le type de ferme qui est certainement le plus caractéristique [...], c’est ce qu’on appelle la ferme à creupes [7] » (Richard, Chanoine à Saint-Claude (Jura), 82 ans).

Les informateurs vont devoir décliner la notion même de typicité pour parvenir à donner une place à cette maison singulière choisie par l’institution muséale pour incarner le haut-Jura :

« c’est pas la grosse ferme. C’est une ferme de là mais y en a des plus grosses quand même. Faut monter par en haut, faut monter par la Pesse, la Combe des bois, y en a ! » (Denise),
« c’est un des types de fermes du Haut-Jura mais c’est pas le plus intéressant » (Richard),
« c’est assez grand pour une maison ancienne [...] faut dire que c’est déjà pas la maison d’altitude » (Jean),
« elle est plutôt moyenne-petite [...] moi je pense que c’est une maison qu’est assez représentative du coin... de où on est... c’est à dire autour de 1000 mètres... il est certain que si vous allez sur les monts Jura sur 1500- 1600 mètres, ce sera pas la même habitation, ce sera plus écrasé... » (Fabien, mari de la donatrice, 61 ans, agent de maîtrise à la retraite),
« elle est typique de la maison très pauvre » (Jacqueline, 60 ans, secrétaire de la mairie des Bouchoux).

En caractérisant ainsi le ‘Fric’, les boucherands posent au centre de notre corpus ethnographiques des estimations divergentes sur cette habitation. Ainsi, la notion même de typicité, étymologiquement singulière, apparaît dans sa pluralité subjective. Guidée par l’induction, nos réflexions quittent alors la recherche du degré de typicité du ‘Fric’ pour un questionnement portant dès lors sur les modalités de construction de la notion d’habitat typique chez les acteurs d’un territoire donné. L’absence totale de consensus modifie la focale et vient redimensionner nos regards sur l’objet de nos investigations ethnographiques.

Comment vivait-on dans une ferme du haut-Jura au début du XXème siècle ? Que trouvait-on dans une cuisine ? Quelles activités y étaient pratiquées ? Comment étaient décorées les chambres ? Qu’en était-il des relations sociales ? Posez ces questions à des boucherands et les discours envahiront vos bandes sonores. Mais dans leur nécessaire diversité, ces témoignages nous livrent leurs propres modalités de construction :

- les acteurs sont les dépositaires de représentations homogènes du « bon vieux temps »,
- ce dernier s’inscrit dans une temporalité figée sur plusieurs siècles,
- l’enfance est systématiquement insérée aux confins de ce passé mythique et en constitue un moment représentatif, mobilisé dans les discours portant sur la typicité.

Le bon vieux temps ou le plaisir d’une existence rude

Les représentations du passé mobilisées par les acteurs de notre étude apparaissent ici comme la clef de l’énigme des typicités plurielles. Vivant aux Bouchoux, un village haut-jurassien éloigné des régions urbaines, nos informateurs défendent tous une vision idéalisée du passé. Se faisant, durant le temps de l’entretien, les avocats d’une vision idéalisée du passé, en rejetant une certaine modernité synonyme de perte des valeurs humaines, les boucherands construisent sous nos dictaphones un univers fait de rudesse, de simplicité et de plaisir de vivre.

Une vie rude parce que les inévitables travaux agricoles et les hivers généralement vigoureux ne laissaient que peu de répits aux familles paysannes :

« l’hiver ils sortaient pas pendant six mois quoi, y a plein de fermes disséminées, ils vivaient bien quand même, ils vivaient avec très peu... » (Gérald, 35 ans, boucher, propriétaire d’un musée d’objets).

Une vie simple et saine parce que la pauvreté commune des familles et les contingences agricoles leur apprenaient à exiger peu du quotidien :

« je trouve qu’après on a perdu ce qu’on appelle le rythme de la vie comme on pouvait l’avoir chez les agriculteurs à ce moment là, le rythme des saisons, on se lève avec le jour on se couche avec la nuit, on fait les travaux des champs, parce que y a tel outil on peut pas aller plus vite... » (Julie, fille de la donatrice, 35 ans, professeur d’histoire-géographie).

Une vie chaleureuse et conviviale parce que les travaux collectifs au grand air, les produits du potager et la promiscuité des familles offraient à l’individu un climat de tranquillité et de partage :

« parce que c’était quand même convivial. N’importe qui rentrait, le facteur rentrait, dès qu’y avait quelqu’un dans la maison y avait toujours à manger, y avait toujours à boire. C’était convivial : les gens s’installaient [...] y a toujours quelque chose dessus [la table]. La nourriture, c’était leur seule richesse. Y avait toujours un verre à boire, y avait toujours un bout de lard à manger, y avait toujours quelque chose... » (Géraldine, femme de Gérald, 35 ans, bouchère).

La pauvreté est bien présente dans ces témoignages. Mais elle n’est nommée comme telle que par référence au présent. Dans les récits de nos informateurs, elle prend toujours un caractère ‘naturel’ et peu dissimulé tant elle apparaît ‘normale’, quotidienne et même bienfaisante. Les récits de Marceline (cf. extraits d’entretiens) témoignent de l’importance fondamentale donnée aux faibles potentialités de la vie d’autrefois. A travers son témoignage, l’univers du passé apparaît centré autour d’une dépendance complète aux lois de la nature. L’organisation agricole est parfaitement réglée. L’existence reste difficile et périlleuse, mais elle véhicule un sens des réalités efficace pour une hygiène de vie de premier ordre. Dans ce registre de discours, les différents imaginaires mobilisés apparaissent particulièrement homogènes. L’idée que se font nos informateurs du bon vieux temps ne dessinent qu’un seul univers, alors même que les générations divergent (près de 40 années séparent la fille de la donatrice et Gérald de Marceline ou Denise). Mais si ces représentations du passé peuvent néanmoins servir de référent pour parler de la typicité des modes de vie hauts-jurassiens, c’est d’une part parce que ce « bon vieux temps » couvre une période vaste durant laquelle le temps apparaît comme suspendu, et d’autre part parce que l’enfance de chaque informateur y est intégrée pour en délimiter le crépuscule.

Enfances et temporalité

Il semble que tous les souvenirs douloureux du passé soient systématiquement occultés, refoulés au profit d’une vision idyllique du « bon vieux temps ».

Comme l’expliquent Michael Pollak et Nathalie Heinich, l’ordre mental « est le fruit d’un travail permanent de gestion de l’identité qui consiste à interpréter, à ordonner ou à refouler (temporairement ou définitivement) toute expérience vécue de manière à la rendre cohérente avec [...] les conceptions de soi et du monde qu’elles ont façonnées » (Pollak & Heinich, 1986, p. 29). « La narration d’une histoire [d’un souvenir] repose sur une recherche — un souci — de cohérence et de cohésion » (Guillaume, 1996, p. 59). Ce désir de cohérence pousse inconsciemment chacun d’entre nous à créer du sens en modifiant, simplifiant, complexifiant ou réorganisant certaines séquences de sa biographie, se faisant ainsi « l’idéologue de sa propre vie » (Bourdieu, 1986, p. 69). Et chez nos informateurs, la conservation d’une image idéalisée du passé revêt une importance toute particulière puisqu’il s’agit en somme de prouver, de s’auto-persuader, que les temps passés n’avaient heureusement rien de commun avec les réalités contemporaines, que le « bon vieux temps » fut l’apogée d’une époque de ‘bon sens’, avant que le monde ne bascule dans l’ère matérialiste et compétitive d’une modernité oubliant ‘les vraies valeurs de la vie’.

Comprendre les logiques de structuration des récits de nos informateurs, c’est comprendre que l’entretien est avant tout une occasion de militer pour une reconnaissance des bienfaits de leurs vies d’autrefois. C’est leur identité que nos informateurs jouent à chaque récit. Les témoignages doivent donc être considérés « comme de véritables instruments de reconstruction de l’identité, et pas seulement comme des récits factuels, limités à une fonction informative » (Pollak & Heinich, 1986, p. 4). Aussi, l’idée de faire de ces récits des sources d’informations historiques objectives utilisables pour reconstituer dans une démarche muséale les réalités quotidiennes des existences rurales des siècles passés apparaît-elle totalement illusoire. Les souvenirs de Marceline ne mettent d’ailleurs que trop bien en lumière cette nécessité pour nos informateurs de ne conserver du passé qu’un souvenir agréable malgré les réalités vécues :

« et quand c’était percé derrière, ils raccommodaient. Alors le père chez nous, il raccommodait le soulier à l’arrière, alors je vous assure, les coutures faisaient des plaies dans le talon, alors là on souffrait, alors ça c’est typique. Mais en 40 on mettait encore ça pour aller à l’école, mais je vous assure que les gamins étaient très bien là-dedans, ils avaient le pied au chaud mais, on s’habitue... ».

Mais le passé évoqué par nos informateurs n’est pas seulement celui de leur enfance. Les boucherands mélangent indistinctement les récits de leurs grands-parents avec leur propre souvenir d’enfance. Difficile alors de dater les éléments contenus dans leurs récits. XVIIIème, XIXème et début du XXème siècle constituent un ensemble indifférencié, le cadre d’une époque, celle du « bon vieux temps ». La vie rurale haute-jurassienne s’étale sur plus de deux siècles. Deux siècles au cours desquels les modes de vie, les manières de travailler et de construire n’ont, pour nos informateurs, jamais fondamentalement changé. Dans cette logique d’entretiens militants, ils s’attachent à immobiliser les évolutions de ces deux derniers siècles de vie rurale pour mieux les opposer à une modernité en perpétuelle évolution. La mise en scène du ‘Fric’ au musée de Nancray devra donc, selon eux, ne couvrir que cette période, sans la dépasser :

« ben cette maison si elle a deux cent ans c’est qu’elle a vécu deux cent ans [...] mais je limiterais quand même à une période, peut-être pas du trop moderne quand même [...]. Oui, à partir du moment où elle était plus occupée [...] donc ne pas dépasser les années, jusqu’à l’après-guerre parce qu’après c’est, c’est personnel mais c’est des périodes qui me plaisent plus d’un point de vue historique (rire), qui m’enchantent beaucoup moins. Je trouve qu’après on a perdu ce qu’on appelle le rythme de la vie [...] à partir d’un certain moment ça va trop vite » (Julie).

Durant plus de deux siècles, le temps est donc suspendu pour nos informateurs. Les hommes naissent, vivent et meurent tout en modifiant, génération après génération, leurs savoir-faire. Mais les manières d’être, elles, ne changent en rien. Les hiérarchies sociales, les aspirations et les conceptions du monde ne subissent aucune évolution durant ces deux siècles de vie paysanne. Un temps au ralenti en somme, où les modifications ayant trait à la forme n’affectent en rien le fond. Et puis viennent les années 1950-1960, qui marquent pour la plupart de nos informateurs la rupture vers une ère nouvelle ; « la modernité » ; où « on a perdu ce qu’on appelle le rythme de la vie » (Julie). Le temps semble alors s’accélérer et modifier les priorités. Toute une philosophie de la vie proprement paysanne se trouve alors ‘pilonnée’ par l’esprit de concurrence, la recherche du profit à tout prix et la désorganisation générale des structures sociales (familles éclatées, banlieues sensibles, corruptions politiques, pollutions télévisuelles, etc.) :

« les gens, fiers d’eux d’avoir donné par exemple une vieille armoire qui avait été faite dans le coin contre un meuble en formica. Le progrès c’était le formica ! [...] Tout doit foutre le camp à peu près en 55-60 » (Marthe, 65 ans, professeur d’arts plastiques à la retraite),
« oui alors si vous y mettez 1771 [date figurant sur le linteau], qui n’a certainement eu que des améliorations limitées, si vous y mettez [dans la maison reconstituée] quelque chose de 1900 ça va jurer. Mais ça n’empêche pas mais faut y mettre quand même 1800-1900. Pas dépasser après 1900 oui » (Jacqueline),

Gérald : « oui après 1950 c’est plus tout à fait les mêmes objets, y a quand même une évolution après 1950 »,
Laurent Amiotte-Suchet : « mais entre [les objets] les plus anciens et les plus récents [avant 1950] il y a aussi une évolution ? »,
Gérald : « une évolution ? Oui peut-être »,
Pierre Floux : « mais comment on décide de s’arrêter à une certaine date ? »,
Gérald : « ben disons qu’après on rentre dans le domaine des objets plus électrifiés, automatiques. Bon, ça restait quand même bien manuel avant »,
Géraldine : « pis le haut-Jura, c’est pas très, très moderne... ».

Ce qu’il importe ici de souligner, c’est que ces conceptions des évolutions techniques figées sur plus de deux siècles se résument dans l’enfance de chacun de nos informateurs. Gérald (40 ans) et Marguerite (84 ans) voient donc tous les deux dans la période de leur enfance les dernières heures du « bon vieux temps ». L’origine de cet « autrefois » se perd au début du XVIIIème siècle. Mais la date de clôture de cette ère bienheureuse va, elle, être réajustée par chacune des personnes interrogées afin d’y inclure les années de leur enfance.

Les boucherands n’auront donc aucune hésitation à proposer des modèles de reconstitution du passé destinés à incarner dans le ‘Fric’ reconstruit à Nancray la vie d’autrefois. Leur enfance se situant aux confins d’une époque aux évolutions stables, elle peut à leurs yeux, sans difficulté, servir de référence pour une présentation muséale authentique.

Enfances et typicités

Au gré des entretiens, on peut comprendre pourquoi la typicité fluctue. Chaque informateur propose aux ethnologues une représentation de l’habitat personnalisée, basée sur des souvenirs idéalisés jugés représentatifs de plus de deux siècles de vie paysanne.

 

Richard nous présente la maison ‘typique’ du haut-Jura comme une maison à structure architecturale complexe (cf. illustrations 15 et 16) et pourvue de deux chambres à l’étage, ce qui était le cas de la maison dans laquelle il a grandi. Jacqueline parle de maisons beaucoup plus grandes que le ‘Fric’. Gérald, qui a 40 ans, parle d’une pompe à eau dans la cuisine s’évacuant par une dalle creuse en bord de fenêtre alors que Marceline, plus âgée, parle elle d’évacuation manuelle des eaux à l’aide d’une bassine que l’on déverse devant la porte d’entrée. Tous pourtant parlent de typicité haute-jurassienne !

Si tout le monde sait que les toits furent un jour en tavaillons, personne n’estime que cette particularité architecturale devrait incarner à Nancray l’une des dimensions de la typicité des habitations du haut-Jura. Et pour cause, personne n’a connu ces toits de tavaillons. Remplacés par les tuiles, semble-t-il au début du XXème siècle, les tavaillons sur le toit ont disparu du paysage haut-jurassien. Leur reconstitution n’est donc pas une garantie de typicité pour les habitants des Bouchoux. Les tuiles, évocatrices des souvenirs de l’enfance, joueront bien mieux ce rôle ‘typiciseur’. Mais Gérald et Géraldine, plus jeunes, verraient plutôt le toit recouvert de tôles rouillées. C’est dans de telles fermes qu’ils ont grandi. Ces tôles rouillées sont donc pour eux plus évocatrices de l’enfance que les toits de tuiles, et donc plus aptes à traduire la typicité de l’habitation :

« moi, j’ai 40 ans, toujours vu comme ça : des toits rouillés » (Gérald),
_ « je crois que c’était toujours de la tuile, oui. Toujours ce toit rouge » (Odette, 72 ans, femme au foyer).

Le cas de la cuisine est encore plus éloquent. Alors que tous nos informateurs savent que la crémaillère et le feu à même le sol (cf. illustration 17) furent les premières méthodes de cuisson apparues dans les cuisines paysannes locales, aucun ne proposera une telle reconstitution pour la mise en patrimoine du ‘Fric’. C’est le fourneau à quatre marmites (cf. illustration 17), que la majorité ont connus dans leur enfance, qui serait choisi par nos informateurs pour ‘typiciser’ la cuisine du ‘Fric’ au musée de Nancray :

« si vous remeublez faudra faire le fourneau à quatre marmites [...] vous allez être obligés de la remeubler dans ce style là » (Marceline).

Mais la plus jeune de nos informatrices, Julie, la fille de la donatrice, considérera, elle, que pour paraître typique du haut-Jura, la cuisine du ‘Fric’ devra contenir « une cuisinière basse avec la réserve d’eau ». Choqué par cette proposition selon lui inauthentique, son père, Fabien, tentera de lui faire comprendre que cette cuisinière est apparue trop tard dans les cuisines paysannes pour pouvoir prétendre incarner les modes de vie des paysans du passé :

Fabien : « non mais c’est après la dernière guerre [la cuisinière]. J’ai toujours vu ça chez moi, t’avais la bouillotte, t’avais le robinet. Ils l’ont peut-être acheté avant mais c’est pas vieux »,
Julie : « c’est l’idée que j’en ai parce que j’ai vu des choses comme ça ».

Penser pouvoir extraire de l’ensemble des ces souvenirs individuels une image historiquement correcte du passé des familles paysannes relève de l’illusion. Nous ne sommes pas face à groupe d’individu retransmettant fidèlement leurs souvenirs personnels, mais face à un groupe d’acteurs luttant, en situation d’entretien, pour obtenir le monopole du discours sur la typicité du haut-Jura. Dans ces revendications, l’image idéalisée du passé et les conceptions figées du temps ne mettent entre les mains des ethnologues que des discours sur le ‘Fric’ et les modes de vie des siècles passés. Les témoignages des boucherands, comme tous témoignages d’ailleurs, sont des créations originales, des inventions pourvues d’un objectif de communication :

« c’est le sens de nos expériences et non la structure ontologique des objets qui constitue la réalité : la science, la religion, le rêve, le jeu, la folie ou le fantasme définissent un certain rapport à la réalité et se caractérisent, en tant qu’ordres limités de significations par un style cognitif spécifique, style en vertu duquel les expériences prennent un sens les unes par rapport aux autres et prennent l’allure du ‘vrai’ » (Guillaume, 1996, p. 60/61).

Des entretiens relatifs au ‘Fric’, maison singulière prise dans un processus de patrimonialisation en marche depuis 1998, notre analyse ne déduit pas un ‘Fric’ typique dont la présupposée homogénéité des discours ayants traits à l’architecture indigène validerait son statut d’ambassadeur des habitations hautes-jurassiennes ; mais des ‘Fric’ hétérogènes dont les variations énoncées ne sont imputables qu’aux positionnements différentiels de leurs auteurs. En la conjuguant au pluriel, nos informateurs nous permettent d’objectiver la catégorie ‘typique’ et partant, de la rendre caduque. Outre cette fluctuation synchronique du caractère ‘typique’ du ‘Fric’, nous relevons que, par le passé, ses usagers lui ont fait subir des mutations architecturales et des changements de statuts. Ainsi, à l’inverse de ce que propose la démarche muséographique de Nancray, l’induction restitue aux habitants le pouvoir de modeler les espaces qu’ils évoquent en fonction de leurs modes de vie, de leurs représentations, de leurs imaginaires.

La patrimonialisation du ’Fric’ à Nancray, une opportunité partagée

Dans notre perspective et pour le ‘Fric’, son déménagement futur des Bouchoux (Jura) à Nancray (Doubs) ne représente rien de plus qu’un nouveau statut. Face à une ambassadicisation que notre analyse définit comme illusoire, ce démontage/remontage est, pour cet actant singulier, la promesse de l’allongement de sa durée de vie, voire de son immortalité si l’on considère le caractère « sacré » (Assistante de conservation) des objets inventoriés dans les collections muséales. Pour quelles raisons cette maison et ses propriétaires ont-ils besoin de voir son avenir garanti par un musée ? Bien que présentement inachevée (cf. démontage/remontage du ‘Fric’ des Bouchoux à Nancray prévu pour l’été 2002), la chronologie du processus de sa mise en patrimoine va nous éclairer sur les modalités de son élection, sur les raisons du choix du ‘Fric’.

Du patrimoine parental, Fabienne, la donatrice, hérite d’un terrain à l’Enversy (commune des Bouchoux) sur le sol duquel se dressent deux bâtisses : la ‘Baraque’ et le ‘Fric’ (cf. illustration 18). Cette employée de banque à la retraite de 66 ans est mariée à Fabien, un agent de maîtrise de 61 ans également à la retraite. Le couple habite un appartement dans la ville de Saint-Claude (environ à 10 km des Bouchoux) et souhaite remettre en état ces maisons où est jusqu’alors entreposé du matériel agricole au profit d’un parent agriculteur. Leur objectif premier est de se doter d’une résidence secondaire. Ainsi depuis quelques années, seule la ‘Baraque’ est en cours de rénovation. Quant au ‘Fric’, il est laissé à l’abandon. Pourtant :

« on peut plus facilement tourner autour du ‘Fric’ que tourner autour de la maison du haut [la ‘Baraque’]. Je la trouve aussi bien située, même bien mieux située que celle du haut mais faire un chemin pour traverser cette..., enfin à prendre oui, moi j’aurais bien aimé celle du bas [le ‘Fric’] pour sa situation, le plat autour, pour les vieux jours, ça doit être la plus grande parcelle de plat qu’il y a sur les Bouchoux » (Fabien).

Attractif par l’horizontalité du terrain qui l’entoure dans cette région de moyenne montagne au relief fortement accidenté, le handicap majeur du ‘Fric’ est de ne jouir d’aucune voie d’accès. Trop onéreux pour le budget de ces retraités, fabriquer une route qui le desserve n’est pas envisageable. Dans ce contexte où l’argent est compté, les propriétaires sont contraints de focaliser leurs efforts financiers sur une seule de leurs deux maisons :

« vous savez, une maison, il faut l’entretenir alors ça coûte cher. Quand on a déjà une maison pis une résidence secondaire c’est déjà pas mal » (Jacqueline).

A mesure que les travaux progressent dans la ‘Baraque’, la rigueur du climat entame toujours plus la structure du ‘Fric’ qui menace bientôt de tomber en ruine. Pour cette famille, l’idée de voir cette maison, habitée de tant de souvenirs, « les poutres entrecroisées » (c’est-à-dire en partie effondrée) est un supplice. Pourquoi ne pas la vendre ? Nombreuses sont les fermes refaites à neuf dans cette région, notamment par des acquéreurs suisses. D’ailleurs, cette famille a déjà rejeté plusieurs propositions d’achat. De l’ambivalence ? Certainement. D’un côté, ils souhaitent que le ‘Fric’ reste debout ; de l’autre, il est hors de question pour eux de le vendre :

« alors pourquoi ne pas vendre ? [...] j’ai dit : ‘de mon vivant je ne peux pas voir cette maison vendue’. Pourquoi ? Parce que ça appartient à mes beaux-parents et j’ai une grande estime pour mes beaux-parents, ils y tenaient à leur maison, je voulais pas la voir habiter par quelqu’un d’autre [...]. Nous, on sait pas ce qu’il nous reste à vivre, peut-être quinze ans, on veut être quinze ans tranquille ici, pas voir des pèlerins passer à tout va là devant chez nous [...] alors pourquoi on l’a pas vendu, voilà pourquoi ! » (Fabien),
« c’est la vieille âme paysanne ça, fallait pas fractionner le patrimoine, pis la voir occupée là par quelque d’autre : non. Transformée : non, non, il fallait la conserver en l’état » (Julie).

L’acte de donation est signé. Le ‘Fric’ va donc échapper à son triste sort et ce, grâce à une « copine de Fac » de la fille des propriétaires qui la première lui a parlé du musée de Nancray. En le visitant à l’époque, elle se dit : « tiens, pourquoi pas, si un jour ... » :

« quand est venu le moment où elle allait s’écrouler moi j’ai dit : ‘il faut [donner le ‘Fric’ à Nancray], c’est tout’ ... » (Julie),
« l’idée venait vraiment d’elle [sa fille]... nous on connaissait pas Nancray... on en a parlé ensemble et pis ça s’est fait comme ça... mais c’est vrai que c’est elle qui nous a apporté cette idée de Nancray » (Fabienne).

Est-ce la conviction que le ‘Fric’, par une architecture particulièrement ‘typique’, est le plus digne représentant du haut-Jura dont puisse rêver le musée de Nancray, qui pousse cette famille à lui soumettre une offre de don ? Non. D’ailleurs, jusqu’à la signature de l’acte de donation, ses membres doutent de l’intérêt que leur proposition représente pour le musée :

« on était pas sûr de notre coup... franchement... est-ce que ça allait être... leur convenir ou pas ? » (Fabienne),
« les toutes premières démarches qu’on a faites, on en a parlé à personne... parce qu’on a pas voulu passer pour des pigeons si jamais... » (Fabien).

Avant tout, que ce soit physiquement ou dans des mains étrangères, la démarche de cette famille donatrice est guidée par la crainte de voir tomber le ‘Fric’. C’est cette inquiétude qui l’amène à être prête à le céder gracieusement. Donner au musée le ‘Fric’ peut le « sauver », mais la volonté suffit-elle à convaincre cette institution que, rendue humble par sa dégradation apparente, cette veille bâtisse vaut la peine d’être patrimonialisée ? Informés a posteriori que le musée l’a acceptée, interrogeons-nous maintenant sur ses motivations ? Qu’est-ce qui a séduit le musée ? A Nancray, le hall d’accueil offre aux visiteurs une maquette de ce que sera finalement son parc, une fois la collection achevée. Véritable plan de travail, cette maquette-matrice pré-voit un site dédié à une maison issue de la pointe haute-jurassienne de la Franche-Comté. Afin de découvrir la ferme ambassadrice idéale, l’institution a déjà prospectée cette micro-région, en vain :

« on va tomber par exemple dans un hameau ou dans un village sur une maison vraiment typique qui n’a pas été touchée, magnifique. Mais les gens ne seront pas donneurs. Il y a tout ça qui rentre en compte. C’est l’opportunité qui... » (Séverine, 35 ans, assistante de conservation).

Si les propriétaires manquent d’argent pour rénover le ‘Fric’, la même carence contraint le musée à abandonner toute idée d’achat pour ne choisir ses acquisitions que parmi les offres de dons qui lui sont adressées :

« pour donner une maison entière, il n’y a pas une concurrence folle » (Patrice, 40 ans, ancien directeur administratif du musée, démissionnaire en octobre 2001),
« c’est pas tous les jours qu’on nous dit : ‘une maison à donner’ » (Caroline, 25 ans, assistante de conservation).

Sans en avoir pleinement conscience, en proposant d’offrir le ‘Fric’ et non de le vendre, ses propriétaires se donnent les meilleures chances de succès :

« aujourd’hui, en 2001, un don spontané d’une maison, on ne peut pas non plus faire les difficiles surtout pour un département qui n’est pas représenté » (Séverine, 27 ans, assistante de conservation).

Il s’avère que cela fait longtemps que cette institution est en quête d’une « maison du haut-Jura ». Des prospections répétées depuis des années n’ont pas abouties. Tantôt la maison convoitée est trop vétuste, tantôt ses propriétaires n’envisagent nullement de la donner. Nous comprenons donc l’engouement que suscite le ‘Fric’ pour les gens du musée. Découragés par des tentatives infructueuses, se présentent soudain à eux des propriétaires haut-jurassiens qui, animés par des motivations singulières, offrent leur maison sans trop y croire. Quelle aubaine pour le musée ! Ainsi, peu à peu, nous entrevoyons que la patrimonialisation du ‘Fric’ au musée de plein air des maisons comtoises de Nancray est le résultat d’une opportunité partagée. Les divergences de positionnement vis-à-vis de cette habitation, écart révélé à lui seul par les différentes dénominations qui lui sont attribuées (‘Fric’ pour la famille donatrice ; « maison du haut-Jura » pour les gens du musée), trahissent l’hétérogénéité de cet actant. Dans le même temps, cet être hybride nous dévoile sa capacité d’adaptation, son aptitude à traduire le différent. Pour être immortalisée, cette maison opère un véritable tour de force : elle parvient à faire en sorte que seuls les bénéfices différentiels qu’ils vont retirer retiennent l’attention des autres actants concernés par sa patrimonialisation. L’élection du ‘Fric’, la duperie que représente sa ‘typicité’, est le signe de sa réussite. Celle-ci consiste en une négation - plus ou moins inconsciente - des éléments qui fondent la singularité de cette habitation. In fine, sa présence au Musée des maisons comtoises de Nancray ne sera justifiée que par des considérations telles que sa datation estimée au XVIIIème siècle, le lieu de son implantation initiale :

« [au fait] qu’elle n’ait pas été habitée les dernières décennies, elle n’a pas été modifiée au niveau électricité, il n’y a pas de sanitaire, y a pas eu de grosse modernisation, donc c’est important aussi dans le choix de la maison » (Séverine),
« et puis après, on a déjà refusé des maisons. Par exemple, une maison bourgeoise qui n’a rien à faire dans notre musée rural » (Patrice),
« des maisons on en a, on va les voir, mais il y a toujours un problème, soit elle est mitoyenne, soit la charpente n’est plus bonne, il faut se dépêcher, c’est dans les quinze jours, il faut que l’équipe technique aille la démonter. On a tous les cas » (Séverine).

Selon les attentes que les autres actants projettent sur lui, le ‘Fric’ endosse volontiers dans le même temps les statuts de patrimoine familial ou de patrimoine patrimonialisable. Réussie, cette opération de traduction fait de lui l’emblème des habitations du haut-Jura. Cependant, pour achever de créer l’illusion de la légitimité du ‘Fric’ comme ambassadeur de sa région d’origine dans ce musée, quelques volontés individuelles ne sauraient suffir. Un arsenal de procédures doit être mobilisé. Et c’est bien là que réside le véritable exploit de la patrimonialisation. En voici le modus operandi : une fois le ‘Fric’ visité, l’assistante de conservation, le directeur technique et l’ancienne attachée de conservation sont d’accord à l’unanimité. « C’était : ‘il nous en faut une. On y va quoi !’ » (Séverine). Mais à leur niveau, rien ne peut se décider. De là, le ‘Fric’ va devoir gravir l’ensemble de la structure feuilletée au terme de laquelle, seulement, l’institution muséale le promulguera objet patrimonial. Dans un second temps, il appartient à l’attachée de conservation de l’époque de rédiger un compte rendu de visite qu’elle remettra aux membres du Conseil culturel et scientifique dont l’approbation est incontournable. Une fois séduit, ce Conseil doit, à son tour, rédiger un compte-rendu destiné cette fois au Conseil d’Administration du Syndicat Mixte du Musée de plein air des maisons comtoises de Nancray, dont les membres sont les seuls décideurs. Franchie avec succès, cette voie hiérarchique a élu le ‘Fric’ non pas à cause de sa nature intrinsèque, mais en raison du caractère opportun que représentait sa donation. A chaque étape, cette bâtisse, singulière au départ, se hisse davantage en généralisation pour, à terme, et par l’acte de donation qui achève de la réifier, perdre sa ‘personnalité’ :

« cela se fait devant notaire hein, vraiment d’une façon tout à fait officielle » (Fabienne),
« l’histoire de la donation est faite dans les règles de l’art ; c’est-à-dire passer devant notaire avec acte notarié et tout » (Fabien).

Lourd est ce dispositif qui mène à l’acte de donation. Nous comprenons maintenant que le 31 octobre 2000, suite à l’accord du Comité syndical concernant le don du ‘Fric’ au profit de Nancray, accord daté du 26 octobre 2000, un contrat de donation a été signé. Ainsi entériné par les personnes qualifiées, cette donation efface toute trace de ce que notre mise à l’épreuve de la notion de ‘typicité’ de l’habitat du haut-Jura à travers le cas de la patrimonialisation du ‘Fric’ à Nancray renvoie au rang d’opportunité partagée.

Conclusion

Sur le terrain, heurtés par l’inoccupation du ‘Fric’, nous collectons alors des discours sur ses anciens occupants, sur les modes de vie ruraux associés à son architecture. Ce travail empirique nous a amené à envisager dans un premier temps que, par delà une communauté d’éléments, les divergences pointées dans les discours font éclater notre objet que nous croyions homogène. Le niveau architectural est renvoyé dans les discours à un tel polymorphisme que tout espoir de faire du ‘Fric’ un ‘type local’ est annihilé. Débordant le cas singulier de cette bâtisse pour s’étendre à l’ensemble des habitations du haut-Jura, cette variation fait tomber la notion même de ‘type’ architectural. Dès cet instant où le singulier présupposé auquel elle renvoie devient pluriel avéré, toute tentative visant à qualifier de source historique les récits de nos informateurs ne peut être qu’illusoire. Il n’est pas dans le haut-Jura la moindre maison capable de fédérer le prétendu ‘type haut-jurassien d’habitat rural’ que les ethnologues sont pourtant supposés trouver. Désormais, la catégorie ‘typique’ est une mythologie dont il convient de faire le deuil.

Le deuxième moment de notre étude découle du dévoilement de cette duperie conceptuelle et de l’instant où nous prenons conscience du fait que notre travail démarre alors que le processus de patrimonialisation du ‘Fric’ est déjà amorcé. S’ensuit une réorientation de notre recherche vers une objectivation des pratiques muséales du musée de Nancray. A travers le projet intellectuel de ce musée et la muséographie qu’il induit, Nancray fédère des pratiques hétérogènes et leur confère un sens univoque. La ‘typicité’ ainsi créée devient alors l’objet de croyances qui ne font plus « l’objet de controverses et sont considérées comme acquises » (Latour et Woolgar, 1996, p. 47). Résultat de la signature de l’acte de donation, ce crédit dont bénéficie la ‘typicité’ est d’abord issue d’une opportunité partagée. L’actant ‘Fric’ a su évoluer dans plusieurs réseaux (celui des boucherands, de la famille propriétaire comme celui du personnel du musée), concilier leurs diverses propositions pour créer l’illusion de son homogénéité. Cependant, la déconstruction de ce processus de patrimonialisation montre que « la mise en forme de ces alliances n’est rien d’autre qu’une série réussie d’opérations de traduction » (Callon et Law, 1988, p. 81).

En ignorant les évolutions technico-sociales des deux siècles derniers, en confondant témoignages indigènes et sources historiques, en mélangeant dans l’habitation reconstruite au musée des objets des plus divers, la politique du musée témoigne ici d’une volonté de faire de ces habitations le point de convergence de niveaux hétéroclites de la vie sociale d’une micro-région, un contenant pour des contenus divers déguisés en semblable. Vingt-cinq habitations ainsi ‘masquées’ couvrent sur ce modèle sa surface d’accueil. Fidèle à la maquette, une 26ème place est délimitée et attend son bénéficiaire.

Durant l’été 2002, le lieu dit ‘l’Enversy’ sera le théâtre de la déconstruction méthodique de ‘la maison des Bouchoux’. Modifiant à jamais le paysage, cette entreprise constituera un des derniers actes du processus de patrimonialisation. Transportée et reconstruite à Nancray, cette habitation se laissera alors travestir par l’équipe de conservation qui comblera l’espace avec du mobilier issu de ses collections d’objets. A l’aune de ce processus patrimonialisant, cette bâtisse, convertie en entrepôt depuis près de cinquante ans par la famille donatrice, pourra enfin ouvrir ses portes aux visiteurs. Ses singularités camouflées par l’institution muséale, le ‘Fric’ devenu ‘maison des Bouchoux’ prétendra alors représenter ‘La maison du haut-Jura’.

Une enquête portant sur l’impact d’un tel procédé muséographique aboutirait sans doute à mettre en évidence la violence symbolique que le musée exerce à l’encontre de ses visiteurs et la participation active de ces derniers à la crédibilisation dudit discours institutionnel. Le ‘label’ musée assure à l’institution « la reproduction du rapport de reconnaissance qui fonde son autorité » (Bourdieu, 1982, p. 69) et permet à son discours d’agir en énoncé performatif, imposant ses représentations et assurant sa propre crédibilité. En inaugurant une nouvelle acquisition architecturale, le musée de Nancray invente la typicité et l’impose.

Au terme de cette enquête, notre intérêt va croissant pour des recherches-actions dont les résultats, par la réflexivité qu’ils autorisent, interrogent leurs commanditaires et redéfinissent parfois leurs actes. Dans le cas du ‘Fric’, si le musée de Nancray ne cherche pas à muséographier à la fois sa propre démarche et la réalité plurielle de ses acquisitions, il ne pourra restituer ce qui ressort de l’analyse ethnographique : un éclairage issu du croisement de discours indigènes et non-indigènes. En collectant l’hétérogénéité de ces discours, les ethnologues (s’)offrent en effet la possibilité de naviguer sur les conceptions en présence, y compris celle de leur commanditaire. A l’instar de l’ensemble des actants enrôlés dans ce processus, cette recherche donnent aux ethnologues l’occasion de participer à la patrimonialisation du ‘Fric’. En proposant à l’institution muséale de livrer à ses visiteurs une objectivation de sa propre pratique, ils invitent par là même l’équipe de conservation du musée de plein air des maisons comtoises de Nancray à quitter un discours muséographique typicisant pour rendre son hybridité au(x) ‘Fric(s)’, maison singulière habitée de discours hétérogènes.

add_to_photos Notes

[3Pour un éclairage historique, nous renvoyons le lecteur à la préface de Noël Barbe introductive au rapport de recherche concernant notre étude.

[4Tué : Large conduit de cheminée utilisée pour la fumaison dans les fermes du haut-Doubs.

[5Relatif à la commune des Bouchoux.

[6Torchis : Matériau fait d’un mélange d’argile et de paille hachée.

[7Les pignons sont coupés aux deux tiers et se rabattent sur le toit en formant deux petits versants de celui-ci venants réduire la pression du vent sur les façades.

library_books Bibliographie

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Pour citer cet article :

Laurent Amiotte-Suchet, Pierre Floux, 2002. « Rendre son hybridité à une maison en cours de patrimonialisation  ». ethnographiques.org, Numéro 1 - avril 2002 [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2002/Floux-Amiotte-Suchet - consulté le 29.03.2024)
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