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Le patrimoine a-t-il fait son temps ?

Dans un article intitulé « Que de “hau” ! », l’anthropologue Mondher Kilani (1990) attire notre attention sur un curieux mimétisme à l’œuvre dans la vie sociale du concept de don : de Eisdon Best à Marcel Mauss à Claude Lévi-Strauss, sans oublier, bien sûr, le M.A.U.S.S., “le don” circule entre époques et écoles de pensée, emportant avec lui à chaque étape un petit bout de son théoricien du moment. Tout comme un Stradivarius augmente en valeur en fonction de la renommée de ses propriétaires successifs, le concept de don augmente en pédigrée et en épaisseur conceptuelle en fonction des auteurs l’ayant, en quelque sorte, possédé le temps d’une réflexion, au point qu’il suffit aujourd’hui de prononcer le mot “don” dans une assemblée d’anthropologues pour produire l’effet de semi-sacralité que la chose donnée est censée produire dans la société où elle circule. Autrement dit, et dans des termes bestiens, le concept de don possède son propre hau.

Or, en préparant ce dossier sur les pratiques patrimoniales, il nous a semblé que le concept de patrimoine est en prise avec un mimétisme analogue, mais aux conséquences diamétralement opposées. Plutôt que la fascination, c’est la suspicion que son usage génère : accusé de retirer des objets, des paysages et des pratiques de leurs circuits sociaux “naturels” — l’oxymore est intentionnel — il est en passe de se voir, à son tour, retiré de la circulation scientifique.

Certes, au premier abord, le concept de patrimoine semble bien vivant, si par “vivant” nous entendons “productif”. En effet, jamais le monde académique n’a assisté à une telle frénésie de publications, de colloques, d’événements et d’expositions à son sujet. [1] De même, à une époque où les postes et les mandats dans l’industrie culturelle se font rares, anthropologues, archéologues, ethnologues, géographes culturels et historiens se voient offrir des carrières professionnelles en “gestion patrimoniale” de tout genre.

Cependant, ce foisonnement d’activités autour du “patrimoine” est accompagné d’une réticence notable quant à son existence et ses effets sous forme de concept. De la dénonciation de « la machinerie patrimoniale » (Jeudy, 2001) au brandissement de la posture critique [2], de sa transsubstantiation (“patrimonialisation” remplaçant systématiquement “patrimoine”) à l’évitement affiché, les chercheurs liés de près ou de loin à ce mot se montrent pour le moins ambivalents quant à son usage. Cette réticence est palpable dans les discours d’urbanistes, de muséographes et d’historiens, submergés par le versant matériel de sa conservation. Elle l’est tout autant en ce qui concerne son versant “immatériel”. Dans les mots d’une auteure parmi ses plus astucieux commentateurs : « qu’il soit l’objet de la critique ou qu’il soit le bienvenu, on ne parle que du [patrimoine culturel immatériel] depuis dix ans. Et en dénonçant cette obsession, j’en parle encore » (Noyes, 2011a : 126).

Dans cette introduction, nous explorerons quelques-unes des réticences observables autour de cette notion et analyserons brièvement les difficultés qu’elle soulève. Nous arguons que, tout comme le concept d’identité [3], avec lequel il partage, par ailleurs, un certain nombre de traits, le concept de patrimoine doit être laissé aux usagers ordinaires et exclu du langage scientifique. Autrement dit, nous arguons que pour bien étudier la « rupture patrimoniale » (Rautenberg, 2003), nous sommes obligés de faire rupture avec « le patrimoine ». Mais la mission est plus compliquée qu’il ne paraît au premier regard. Pourquoi ?

Le mot et la chose

Une première difficulté relève de ce que nous pourrions appeler “le casse-tête des guillemets” ; pour faire court, nous ne savons plus où les mettre. De récentes expériences dans des colloques internationaux, par exemple, nous ont appris que certains de nos collègues — muséologues, archéologues, anthropologues – parlent (encore ?) du “patrimoine” sans guillemets. Or, ne pas recourir à cette astuce suppose parler d’un objet qui préexiste en tant que patrimoine à sa nomination, un phénomène dont la valeur patrimoniale va de soi, résidant dans l’objet même et non pas dans le regard qui est porté sur lui. Pour le courant constructiviste, c’est un anathème. Pour ce courant – qui nous semble majoritaire en anthropologie pour l’Europe occidentale et pour le monde anglo-saxon mais qui ne l’est certainement pas dans un cercle plus large – le patrimoine n’existe que parce qu’il est nommé comme tel – par une autorité étatique ou internationale, ou par une association de citoyennes et de citoyens ou “de simple gens”. [4]

Le patrimoine est ainsi le résultat d’un acte de mise en patrimoine, d’un cadrage institutionnel. Autrement dit, il est le produit du pouvoir performatif des institutions de la culture (officielles ou non) et non pas une matière première qui serait localisée quelque part en amont de ces mêmes institutions. Certes, mais voilà qu’en posant notre constat constructiviste, nous parlons de “patrimoine” sans guillemets : « le patrimoine est le résultat d’un acte de mise en patrimoine ». En effet, le fait qu’un objet existe à travers un acte d’institution ne fait pas de lui un objet banni à tout jamais dans les limbes des guillemets éternels. A l’analyser de près, le maniement des guillemets est bien plus compliqué qu’il n’en a l’air, et interagit avec des champs sémantiques spécifiques, différenciés.

A ce titre, une comparaison avec le concept de “citoyen” est instructive. La citoyenneté est une institution étatique de premier ordre ; difficile d’en trouver une de plus centrale. Une personne “n’est” pas citoyenne au sens premier du terme ; elle est classée citoyenne par une instance politique, et elle peut perdre le statut de citoyenneté sans perdre le statut de personne. C’est ainsi que la phrase « hier, je n’étais pas citoyenne, aujourd’hui je le suis », ou son contraire, fait sens. Mais revenons au patrimoine pour imaginer la phrase analogue : « hier, ce monument n’était pas patrimoine, aujourd’hui il l’est » ou plus bizarre encore « hier, la ville de Dresde était du patrimoine, aujourd’hui elle ne l’est plus ». Les constructivistes que nous sommes sont à l’aise théoriquement, mais nous sommes obligées d’admettre que dans le langage courant, il y a problème ; il faudrait ajouter systématiquement la petite phrase « classé comme » pour que nous comprenions de quoi nous parlons. D’un point de vue sémantique, donc, il semblerait que pour devenir patrimoine, il faut l’avoir toujours déjà été, ce qui explique aussi l’impossibilité de cesser de “l’être”. Comme un alien équipé d’une technologie lui permettant de reprogrammer les mémoires de tous les terriens qui ont eu le malheur de voir sa soucoupe volante atterrir, le patrimoine sans guillemets semble équipé d’un truchement sémantique pour effacer les traces de sa vie précédente.

Pour nous, cela implique que si nous voulons éviter le glissement naturalisant de ce terme, nous devons exercer une vigilance sans commune mesure avec celle requise par d’autres actes de langage institutionnels. D’où la nécessité malheureuse de parsemer des textes de guillemets, ou de remplacer systématiquement le substantif chosifiant “patrimoine” par le substantif dynamisant “patrimonialisation”, voire par le pléonasme “processus de patrimonialisation”, fréquemment rencontré dans la littérature (et même commis par les présentes auteures !).

A nos yeux, en effet, engager la bataille contre les forces obscures de la naturalisation patrimoniale est une entreprise noble, et nous tenons à lui faire une place importante dans ce numéro. Que ce soit dans le champ muséal (Grognet, Rojas) ou dans celui du développement territorial (Depeyre, Munz), qu’il touche aux définition de la nation (Hocquet, Tornatore) ou à la mémoire locale (Castagnetti, Isnart, Juan, Tauschek), le “patrimoine” sans guillemets masque, simplifie, ment, et en cela, il mérite que nous le reléguions dans l’histoire de nos sciences, comme un concept qui a fait son temps.

Mettre en lumière les facettes du processus

A première vue, donc, le mot “patrimonialisation” semble nous sortir d’affaire, et de fait, il commence à remplacer le mot “patrimoine”, avec ou sans guillemets, dans bon nombre d’écrits scientifiques. Il nous oblige à nous arrêter sur des processus dans toute leur contingence historique, à voir qui en sont les acteurs (gagnants et perdants), à quelle échelle ils opèrent, quelle est l’incidence des structures étatiques sur leur action, comment ils effectuent leurs choix, quels critères ils avancent pour définir la singularité ou la représentativité d’un objet ou d’une pratique, et quels sont les enjeux d’une telle qualification – à voir, en somme, que si le patrimoine a bel et bien une histoire, elle n’est pas celle qu’il met en avant mais celle de sa mise en avant. Tous les articles réunis dans ce numéro décortiquent ces processus d’une manière ou d’une autre, révélant leurs facettes administratives (Graezer Bideau, Munz) ou “ordinaires” (Isnart), leur potentiel d’instrumentalisation et d’exclusion (Grognet, Hocquet, Juan) ou de résistance (Mensch), et les simplifications inévitables auxquels ils aboutissent (Tauschek).

La contribution de Hervé Munz, par exemple, porte sur un usage politique du concept de patrimoine né précisément au point de croisement des instructions patrimoniales relevant de l’échelon international et des interprétations qu’en font à des fins stratégiques les acteurs de la vie locale. Il analyse la création d’une nouvelle catégorie — le « patrimoine horloger des montagnes neuchâteloises » — par deux députés au Grand Conseil neuchâtelois, soucieux du développement économique et touristique de leur région. Il en résulte aussitôt la décision de prendre des mesures visant à identifier ce « patrimoine horloger », doublée de la candidature des villes du Locle et de la Chaux-de-Fonds à l’inscription sur la « Liste du patrimoine mondiale » de l’UNESCO pour la qualité de leur « urbanisme horloger ». L’auteur met donc en lumière les effets en retour dans la sphère de l’action publique de la création de cette catégorie inédite, ce qui l’amène à faire du concept de patrimoine un acteur à part entière, doté d’un pouvoir d’action effectif.

Cette production de valeurs qu’entraîne pour la région concernée l’inscription d’une activité ou d’une pratique locale sur les listes de l’UNESCO, Markus Tauschek l’aborde à travers l’analyse des stratégies déployées lors de l’élaboration d’un dossier de candidature pour la « Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité ». Il s’agit, afin d’emporter la conviction d’un jury international, de présenter de la pratique candidate une image conforme aux attentes onusiennes. Aussi le medium film joue-t-il à cet égard un rôle décisif. A partir de l’analyse des procédés utilisés pour ajuster la représentation filmique du Carnaval de Binche et de la Doina roumaine à ces attentes, l’auteur fait apparaître les simplifications et les effets d’homogénéisation auxquelles ces contraintes aboutissent ainsi que les manières divergentes dont la “culture populaire” est définie dans le champ des interprétations locales et dans celui d’une instance internationale comme l’UNESCO.

L’inscription du « repas gastronomique des Français » sur cette même Liste en 2010 est le résultat d’ajustements similaires et c’est à leur analyse que Jean-Louis Tornatore consacre sa contribution. Les négociations serrées menées entre les promoteurs du projet de candidature et les services de l’État – le projet étant affiché comme l’expression d’une volonté présidentielle – ont porté sur la solution à apporter à la question soulevée par l’un des critères onusiens : la démonstration du lien de la pratique candidate avec une “communauté”. Or dans quelle mesure la population d’un État-nation peut-elle être identifiée à une communauté ? L’auteur montre que c’est à la construction de cette équivalence, voire même d’une relation consubstantielle entre la gastronomie et la France, que s’est employée l’élaboration du dossier de candidature.

Les points aveugles de la patrimonialisation

Cependant le terme “patrimonialisation” soulève à son tour une série d’interrogations qu’il importe de préciser. Car si la “patrimonialisation” est clairement un concept approprié pour approcher un objet de recherche, l’on peut se demander si elle nous aide toujours à poser les bonnes questions à ce bon objet. En focalisant notre regard sur les processus à l’œuvre dans la fabrication du patrimoine, elle tend à nous pousser vers une sorte de compulsion de répétition [5], où nous nous retrouvons à refaire éternellement, dans un contexte chaque fois différent, la même démonstration de ce que nous savons déjà : que le patrimoine est, justement, fabriqué ! Au déni de l’arbitraire à la base de chaque processus de patrimonialisation nous opposons, tels des traumatisés, le geste critique du dévoilement. Certes, ce geste de dévoilement s’appelle également l’histoire : nous nous instaurons en garants de l’histoire vraie contre les formulations mythifiantes des patrimonialisateurs. Mais pour que le geste de la mise à distance demeure instructif, il faudrait que nous ne nous y complaisions pas ; au contraire, il nous engage à soulever d’autres questionnements. Lesquels ? En voici trois.

1. Le rite d’institution ou le hors champ patrimonial

A notre sens, une première piste s’ouvre quand nous rapprochons la “patrimonialisation” du concept de « rite d’institution » tel qu’il a été élaboré par Bourdieu dans sa lecture critique du rite de passage (1982). Si la patrimonialisation représente un rite de passage par lequel un objet, un paysage, une pratique passe le grade, reçoit son diplôme en patrimoine et quitte la vie sociale “ordinaire”, alors en étudiant ce rite, nous nous plongeons dans sa liturgie, sa magie, ses chants et ses danses. Mais comme l’a souligné Bourdieu, ce regard fasciné ne doit pas nous faire oublier que les rites d’institution n’existent pas tant pour distinguer un état d’avant de celui d’un après le rite lui-même, que pour distinguer ceux qui peuvent entrer dans le champ du rite de ceux qui en seront à jamais exclus. Autrement dit, étudier le phénomène de patrimonialisation exige que nous gardions toujours un œil ouvert non seulement sur ce qui est érigé en patrimoine et/ou appelé à l’être, mais sur ce qui ne l’est pas ou pas vraiment parce que dépourvu ou insuffisamment pourvu des qualités requises pour accéder à cette distinction. [6]

Certaines études se sont fixé comme tâche d’explorer ces zones d’ombre dans le cadre du patrimoine culturel immatériel (PCI), cadre qui se prête particulièrement bien à l’exercice puisqu’il définit le PCI en faisant fi des opinions d’experts, et renvoie à la “communauté” la charge de déterminer ce qui est PCI pour elle et si elle veut ou non le sauvegarder. Ainsi, la voie est ouverte à l’exploration de toutes sortes de nouvelles communautés culturelles, telle que les joueurs de rôle grandeur nature analysés par Bonvoisin et Bartholeyns (2011). Les pratiques du jeu de rôle grandeur nature sont particulièrement intéressantes pour notre propos, dans la mesure où elles établissent un lien direct avec le passé : les jeux se passent dans le cadre de mises en scène historico-fantastiques, inspirées généralement de “l’époque” du Seigneur des anneaux. Cependant, les joueurs sondés par Bonvoisin et Bartholeyns, bien qu’investissant une énergie considérable dans la création de costumes, de décors et d’objets évoquant un passé moyenâgeux, affichent une indifférence marquée pour l’histoire en tant que telle. Jouant avec l’histoire, ils la “sauvegardent” sous la forme d’une fiction ludique, fait qui ne peut que déranger ceux qui s’investissent pour préserver cette fiction sérieuse qu’est le patrimoine. [7]

L’indifférence au patrimoine mérite ainsi notre plus grande attention. Tout aussi instructifs sont des objets, des lieux et des pratiques culturelles qui sont activement exclus des procédures de patrimonialisation - notamment au niveau international - parce qu’entrant en conflit avec les valeurs et la mission que le patrimoine est censé transmettre. Dans le cadre du PCI, cette exclusion s’opère à travers l’Article 2 de la convention pour sa sauvegarde, où la conformité aux autres conventions de l’ONU, telles que la Déclaration universelle des droits de l’homme ou la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, sert de condition d’entrée dans le monde purifié du PCI. Ainsi sont bannis de la « machinerie patrimoniale » de l’UNESCO l’excision, les rites d’initiation avec brimades et, dans une moindre mesure, la tauromachie, autant de pratiques incontestablement centrales pour le maintien de l’intégrité culturelle des communautés qui les pratiquent, mais clairement interdites par des normes internationales [8]. Dans le cadre du patrimoine bâti et du paysage culturel, le même raisonnement s’applique à travers un autre mécanisme – le filtre de la « valeur universelle exceptionnelle » qui exclut nécessairement du champ du patrimonialisable des témoignages matériels de la cruauté, de la tyrannie et de la bêtise humaines. Ainsi, les champs de bataille, les lieux de torture, les paysages dévastés par l’erreur humaine trouvent un cadre autre, celui du monument historique, des lieux de mémoire ou des lieux de commémoration, mais ne remplissent pas les critères aristotéliciens du beau, du bien et du juste nécessaires pour devenir “patrimoine”. Or, cette cruauté, cette tyrannie et cette bêtise font clairement partie de ce que nos ancêtres nous ont légué et force est de constater que ce sont des “traditions” encore bien “vivantes”.

Cinq des contributions à ce numéro portent sur des patrimonialisations ratées, inachevées, incohérentes, bref, en prise avec des “contradictions patrimoniales” de ce type. Elles révèlent des facettes du processus qui n’entrent pas dans le champ, sont occultées, voire exclues, mais comme l’ombre intensifie la lumière, elles dessinent les contours d’un hors champ [9] qui met en relief la mission normative de l’entreprise patrimoniale.

Philippe Castagnetti écrit l’histoire des regards, des discours et des usages dont le Mont-Valérien près de Paris, jadis Mont du Calvaire, a été l’objet au fil des siècles, investi tour à tour par les anachorètes, les pèlerins et les militaires. Il montre comment, à la sacralisation du calvaire chrétien succède, avec la Révolution française, une désacralisation concrétisée à partir de 1840 par la construction d’un fort et par la transformation ultérieure du Mont-Valérien en martyrium des années 1940-1944. L’auteur analyse cette « substitution d’une mémoire militaire laïque à une mémoire chrétienne apologétique » en la replaçant dans le contexte des relations conflictuelles entre l’Église et l’État au cœur des politiques patrimoniales mises en œuvre autour de ce lieu chargé d’histoire. Ainsi fait-il apparaître la dimension paradoxale de cette substitution : si la valeur patrimoniale des vestiges chrétiens, jamais vraiment niée, ne s’en trouve pas moins occultée aujourd’hui par sa laïcisation militaire, le souvenir des fusillés des années 1940-1944, entretenu rituellement, « tend à développer une mémoire sacrificielle qui fait écho, comme malgré elle, à l’idée de calvaire à l’origine de la transformation du Mont en lieu de commémoration ». Cette ambiguïté conduit l’auteur à forger pour désigner l’objet de cette entreprise mémoriale le terme de « cryptopatrimoine ».

Le Palais de la République à Berlin est l’objet d’un conflit de mémoire analogue que Marie Hocquet analyse dans sa contribution à ce dossier. Erigé à Berlin-Est en 1976, à l’emplacement du château impérial des Hohenzollern qui fut transformé progressivement en Musée des arts décoratifs puis sérieusement endommagé par les bombardements alliés sur Berlin, ce monument de la société communiste est détruit en 2006 à la suite d’un vote du Bundestag. Sa reconstruction alimente des projets patrimoniaux conflictuels pris dans les tensions politiques entre la droite et la gauche allemandes. Aux partisans de la reconstruction à l’identique de l’ancien château s’opposent les Verts et le parti Die Linke favorables à une réhabilitation du Palais. Les ruines du bâtiment deviendraient ainsi un lieu de débat où la démocratie serait « mise en scène comme performance ». Au cœur de ces polémiques figure la question de la mémoire nationale : quelle place accorder à ces vestiges d’un passé communiste révolu dans l’Allemagne réunifiée, autrement dit, et pour reprendre une expression de Gérard Lenclud, quels pères fondateurs les fils d’aujourd’hui veulent-ils s’inventer ? (Lenclud, 1994).

Une question analogue sert de fil rouge à l’étude que Michel Depeyre consacre aux « crassiers » de Saint-Etienne, ces collines de déchets miniers apparues vers 1930 et devenues, avec l’arrêt de l’exploitation minière dans la région en 1981, les traces d’une prospérité disparue et d’une « mémoire douloureuse », faite du souvenir des grèves et des accidents mortels qui ont jalonné l’histoire de la ville. A partir des années 1980, leur caractère singulier les désigne à l’attention patrimoniale des municipalités et des entreprises locales encouragées par des missions européennes de sauvegarde. L’auteur analyse les métamorphoses du statut attribué à ces vestiges ambigus. « Montagne-signal » dans la topographie urbaine, les crassiers servent de décors à la vie de la cité : lieu d’affichages divers, objet d’une végétalisation propice à une nouvelle vie animalière, paysage coloré aménagé pour la Coupe du monde de football en 1998, autant de signes d’une patrimonialisation amorcée qui demeure toutefois problématique : comment intégrer ce « patrimoine négatif », selon l’expression de l’auteur, dans ce champ consacré dont on sait à quel point il est irrigué de subsides étatiques ?

Cette ambiguïté du statut conféré aux vestiges sombres de l’histoire de l’industrialisation, Luc Rojas la retrouve dans la politique patrimoniale menée par le Musée des arts et métiers à Paris. Sa contribution en propose une analyse. Créé à la fin du XVIIIe siècle à partir de la collection de l’ingénieur mécanicien Jacques Vaucanson, ce musée présente au public une histoire des techniques sous la forme d’une « généalogie de l’objet industriel », allant du simple au complexe et entretenant ainsi l’idée d’une évolution linéaire, « organique et naturelle » de la technique. L’institution met au service de cette célébration du progrès une scénographie centrée sur la figure héroïque de l’inventeur, qui rejette dans l’ombre la figure du briseur de machines entravant cette évolution, ce qui a pour effet, comme le montre l’auteur, d’occulter la question des répercussions sociales de l’innovation technique.

Enfin, dans l’article que Anna Juan consacre à la reconstruction du village de Gibellina en Sicile, détruit par un séisme en 1968, cette occultation a pour objet l’expérience quotidienne que les habitants ont des lieux. Pour donner à ceux-ci une nouvelle vie, le maire du village a décidé de placer cette reconstruction sous l’égide de l’art et de la culture, il a donc fait appel aux artistes et aux architectes de la scène internationale, nourris des idées postmodernes présentées à la Biennale d’architecture de Venise en 1980. Ainsi est née sur les décombres Gibellina Nuova, une ville érigée en musée d’art contemporain en plein air dans l’espoir d’assurer à la région une prospérité fondée sur le tourisme culturel. A travers les témoignages recueillis sur place, l’auteure montre l’indifférence que les Gibellinois manifestent à l’égard d’un projet de revalorisation « venu d’en haut » et qui a effacé de leur espace familier les traces de la vie “d’avant”, ainsi que celles des longues années passées “après” dans des baraquements de fortune.

Que nous apprennent-elles, ces "expériences de pensée", sur les exclus de la patrimonialisation ? Elles nous renvoient à la mission normative du cadre patrimonial, présente en creux dans ces exemples : celle de garantir non pas notre relation à l’histoire mais nos bonnes relations à la bonne histoire (voir également Bendix, 2011 ; Hafstein, 2011). Et elles nous rappellent que l’intérêt de l’étude du patrimoine ne se limite pas au dévoilement des stratégies, des intérêts et des représentations des acteurs directement concernés, mais comprend également une analyse d’une transformation sociale plus globale. Cette transformation, ce « heritage time » (Skounti, 2009 : 90) que nous vivons actuellement – à quoi, à qui sert-elle ?

2. La reconnaissance patrimoniale — une justice sociale au rabais ?

Voici qu’avec cette question, nous entrevoyons un “dehors” de l’espace feutré du patrimoine, un monde plus vaste, fait, entre autre, de violence, d’ignorance et de pauvreté. Que se passe-t-il quand l’UNESCO se met à filtrer notre rapport à l’histoire, à soutenir non pas la mémoire et la connaissance (comme elle l’a fait et le fait encore dans certains de ces programmes), mais la commémoration et la reconnaissance ? Comment comprendre la part grandissante dévolue dans les activités de l’UNESCO au programme d’identification, de promotion et de protection du patrimoine sous toutes ses formes ? Plusieurs observateurs – philosophes (Honneth, 1995, Fraser et Honneth, 2003), politologues (Bayart 1996), féministes (Fraser, 2008) et spécialistes du folklore (Noyes, 2006, 2011b) – nous mettent en garde contre le risque que ces politiques patrimoniales aient pour effet de détourner le regard des questions de discriminations et d’injustice sociale pour leur substituer des “politiques d’identité”. « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent du patrimoine ! » (2008 : 91) ; c’est en ces termes que, paraphrasant Marie-Antoinette, Dorothy Noyes, conclut un article portant justement sur la nature et la portée de ces politiques de reconnaissance fondées sur une conception essentialiste de l’identité et de la culture.

Aujourd’hui, les exemples les plus frappants de l’usage et de l’effet de cet opium patrimonial ne se trouvent sans doute pas en Europe, mais dans les pays où le colonialisme est très loin d’être relégué dans le passé. En Amérique latine, en Afrique, en Inde et en Chine, les pressions modernisatrices sur des populations dites “sous-développées” sont d’une actualité criante. Accaparation des ressources naturelles, déplacements forcés, induction de la dépendance au commerce international, privation des services de base de l’État moderne – voici des violences qui sont d’autant plus invisibles que l’État, “la société civile” et “la communauté internationale”, se précipitent par ailleurs dans la reconnaissance totémique de quelques traits “ancestraux”, “indigènes”, “durables” de ces mêmes populations.

Mais les leurres de la reconnaissance sont également décelables dans des contextes plus proches, ceux qui “valorisent” la contribution des immigrés et produisent de “l’interculturel”, en Europe et en Amérique du Nord (voir à ce propos Lavanchy, Gajardo et Dervin, 2012). La contribution à ce dossier de Fabrice Grognet, consacrée à la création de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration dans le palais de la Porte Dorée à Paris, illustre de manière particulièrement poignante les risques mais également l’attrait des politiques de l’identité. Inauguré en 2007, ce nouveau musée national vise à rendre visible l’apport de l’immigration à la construction de la nation française en procédant à la “reconnaissance des mémoires”. Engagé comme ethnologue pour constituer une collection d’objets assurant la visibilité recherchée, l’auteur de l’article se trouve confronté d’emblée à l’ambiguïté du terme “ethnographique” auquel recourent les commanditaires pour désigner cette collection : dans un cadre muséal qui contribue en fait à institutionnaliser “le grand partage” en voulant « faire dialoguer les cultures », un tel qualificatif renforce la “différence” sous couvert de la célébrer. Or, à un moment où les banlieues parisiennes sont, par moments et par endroits, des lieux de violence et d’affrontements où sont souvent impliqués des descendants d’immigrés, poussés à bout par le chômage, la discrimination et leur abandon par les institutions de l’État, ériger un musée à la gloire de leurs parents est un geste d’apaisement qui peut sembler particulièrement bon marché.

3. Et “les gens ordinaires” dans tout ceci ?

Il existe, enfin, une troisième piste qui, à première vue, part dans un sens tout à fait opposé. Elle consiste dans l’exploration des formes de patrimonalisation que Cyril Isnart nomme “ordinaires”, entendant par là ces pratiques « modestes et bricolées » qui fleurissent en Europe depuis la seconde moitié du XXe siècle et qui ne sont pas le fait d’experts officiels ou d’institutions nationales, mais naissent de l’initiative d’érudits, de collectionneurs amateurs ou d’associations de défense de la mémoire et de l’identité locales. Comment ces non spécialistes font-ils du patrimoine ? Comment étudier celui-ci non seulement sous l’angle des enjeux qui seraient cachés “derrière” des engagements patrimoniaux, mais également comme pratique sociale en soi, créatrice d’objets de savoirs, de lieux de sociabilité et de sentiments d’appartenance partagés ? Ces questions ouvrent une piste en même temps évidente et problématique.

Evidente puisque les sciences sociales en générale, et l’anthropologie/l’ethnologie en particulier, ont pour tradition d’étudier “les gens ordinaires”, au point d’ailleurs qu’il a fallu l’intervention quelque peu musclée d’une Laura Nader (1969) pour nous encourager à accompagner l’étude du “bas” d’une analyse symétrique du “haut”, et surtout, des rapports dynamiques entre “haut” et “bas”. Les auteures de cette introduction ne manquent pas d’y céder d’ailleurs, actrices conscientes mais non moins déterminées d’un jeu de la “contre-patrimonialisation” dans lequel les ethnologues se font fort d’opposer à la tradition traditionnalisée des traditions “ordinaires”, “minoritaires”, “inaperçues” (Chappaz-Wirthner 2011 ; Hertz et Grignoli, 2012). En témoigne l’inclusion dans ce dossier d’un petit exercice d’“ethnologie d’urgence”, sous la forme d’un portfolio présentant les graffiti (pintadas) que Nicolas Mensch a recueillis sur les murs du quartier de l’Albaicin à Grenade. En effet, lors de l’extension en 1994 de l’inscription de Grenade sur la Liste du patrimoine mondial pour inclure l’Albaicin, les murs de ce quartier sont devenus le lieu d’une lutte entre deux visions antagonistes de ce qui devait “faire patrimoine” sur le site : les rues aux murs blanchis, prêtes à accueillir les projections passéistes des touristes, ou ces mêmes murs utilisés comme une page sur laquelle écrire - et rappeler - la présence du présent. Notre propre prédilection pour des formes d’expression culturelle moins instrumentalisées, moins institutionnalisées et, somme toute, plus “expressives” que le “patrimoine patrimoine” de l’UNESCO, est ici évidente.

Or, il est tout de même intéressant d’observer que, en règle générale, les “patrimonialisations ordinaires” sont le parent pauvre des études sur le patrimoine, même en anthropologie, alors même que la discipline demeure marquée par son tropisme originel. Est-ce le reflet d’une méfiance disciplinaire récente envers le fantasme du “bas”, du “peuple”, du “folk” et de la “communauté” que le nouveau paradigme du patrimoine “participatif” nourrit depuis l’entrée en force du concept de “patrimoine immatériel” dans le champ de la recherche ? [10] Comme Cyril Isnart le relève avec finesse dans sa contribution à ce numéro, procéder à de telles distinctions nous fait courir le risque de reconduire l’opposition entre une culture du “haut”, purement et simplement institutionnalisée, et une culture “organique” du “bas”, autrement pure et simple. Pour écarter ce risque, il propose de prendre appui sur les études critiques que les historiens et les anthropologues ont consacrées au concept de “religion populaire” et qui mettent en évidence les phénomènes de résistances, d’emprunts, de réinterprétations cristallisés dans toute pratique sociale.

C’est dans cette perspective qu’il présente un dossier audio-visuel issu d’enquêtes ethnographiques réalisées sur l’île de Rhodes et dans le village frontalier de Tende dans les Alpes. L’analyse des pratiques matérielles d’affichage relevées dans le cimetière juif et dans le cimetière catholique de Rhodes l’amène à mettre au jour le sens et la portée que les usagers confèrent à la préservation de ces lieux de commémoration et de mémoire. De la même façon, mais dans un contexte différent, il étudie les manières diverses dont les familles de Tende issues de la migration ont pris en charge la collecte et la transmission entre les générations des pratiques chorales et chorégraphiques en vigueur sur les versants méditerranéen et piémontais du col, contribuant ainsi à l’émergence d’un sentiment de communauté fondé sur le fait de “se reconnaître” dans les prestations musicales et dansantes régulièrement représentées.

Dans ces subtils allers-retours entre “haut” et “bas”, les anthropologues jouent tantôt le rôle d’observateurs, tantôt celui de participants. C’est précisément l’intérêt mais également le danger d’une telle position que Florence Graezer Bideau met au jour dans son analyse des incidences du système fédéral suisse sur la création de l’inventaire national des « traditions vivantes”, entamé sous l’égide de l’Office fédéral de la culture à la suite de la ratification en 2008 de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. L’étude de ce grand chantier patrimonial a amené l’auteure à ethnographier ses pairs, mandatés pour participer à la sélection des pratiques à distinguer en tenant compte à la fois des instructions fédérales “d’en haut” et des attentes des acteurs situés “en bas”, aux échelons locaux et cantonaux. Un jeu ambigu, fait d’implications et de réserves, dans lequel les ethnologues ont tenté parfois d’introduire, en proposant le choix de pratiques inattendues, “surprenantes”, une dissonance censée se porter garante du maintien de la distance analytique nécessaire à leur pratique. Quelle tonalité leur voix revêt-elle dans la polyphonie ambiante ? Telle est la question que nous voudrions soulever pour conclure notre introduction à ce dossier.

En effet, c’est peut-être avec la notion de “patrimonialisations ordinaires” que l’ambivalence des anthropologues envers le concept de “patrimoine” atteint son comble. Conscientes des pièges contenus dans une notion qui relève de la plus authentique fétichisation de l’authentique, nous n’arrivons tout de même pas à la rejeter une fois pour toutes, car nous voyons à quel point elle peut être productrice de sens et de sociabilité. L’accent est ainsi mis sur le patrimoine comme forme vécue dans un présent collectif, mieux, sur la production du collectif à travers sa présentation, son présentement. La performance est au centre de cette manière de comprendre le patrimoine, et la théâtralisation de la vie quotidienne devient un lieu de construction du lien social. Mais si Shakespeare est un grand auteur, le monde tout entier n’est pas, à le regarder de près, un théâtre, ou en tout cas, pas à tout instant. Aussi, l’analyse du patrimoine, ordinaire ou institutionnel, doit-elle rester rigoureusement symétrique : nourrissons-nous de la méfiance que nous portons à ce concept mais émerveillons-nous, de temps à autre, devant sa capacité performative à créer du collectif, du commun, voire même de la communauté.

Postface

L’autre jour, à l’Institut d’ethnologie de Neuchâtel, nous avons eu le plaisir et l’honneur de recevoir un éleveur hamar du sud de l’Ethiopie, en compagnie de ses anthropologues. Les circonstances de sa venue mériteraient un long développement, auquel nous ne pouvons pas nous livrer ici. Toujours est-il qu’il est venu nous parler de pastoralisme muni d’une plume, don d’un autre initié de sa classe d’âge, une plume d’autruche, perchée dans un porte-plume inséré dans ses cheveux gominés en rouge (à côté d’un ressort d’attrape-souris qui faisait décoration).

L’un des membres du public, un anthropologue amateur, s’est pris d’enthousiasme à la vue de cette plume, sentant que du véritable patrimoine culturel se balançait délicatement devant nos yeux. Savait-il, demande le Neuchâtelois au Hamar, qu’il y a des peintures rupestres qui montrent des éleveurs africains portant ce même type de plume il y a plus de 4’000 ans ?! Savait-il que la plume qu’il portait avait été portée depuis « la nuit des temps » par ses ancêtres ?!! A quoi notre invité a répondu calmement qu’il connaissait ses parents, qu’il avait connu ses grands-parents, mais qu’au delà, les personnes qui venaient avant eux, il ne les connaissait pas et qu’elles n’étaient rien pour lui.

Notre bon sauvage était un farceur qui, de surcroît, en avait vu d’autres, et il se peut qu’il nous ait menés en bateau ce soir là. Toujours est-il que si c’est une blague, elle est atrocement bien sentie, car elle relevait de l’ordre de l’impensable pour nous, extrêmes Occidentaux qui regardaient fascinés ce « trésor humain vivant ». Car, nous semble-t-il, nous ne pouvons pas ou plus, aussi critiques, voire méta-critiques que nous soyons, atteindre cette attitude de splendide indifférence envers le passé. Et c’est peut-être dans cette incapacité moderne de demeurer indifférent à la tradition que réside la véritable « perte durable » (Ciarcia 2006) produite par le patrimoine.

Par ailleurs, trois contributions sont présentées hors dossier. Dans la première, Isabelle Mauz traite de la sauvegarde de la diversité naturelle et analyse les justifications avancées par les gestionnaires du parc national de la Vanoise pour patrimonialiser le bouquetin. La deuxième, signée par Anne Monjaret, s’interroge sur l’antinomie de la « fête » et du « travail » et met au jour le rôle d’outil social que la fête remplit au sein d’établissements professionnels parisiens. Enfin, David MacDougall, dans un article spécialement traduit de l’anglais pour ethnographiques.org, montre comment, dans un pensionnat d’élite en Inde du Nord, la couleur, étroitement associée aux activités, aux relations sociales et aux expériences sensorielles des élèves, définit leur statut et ordonne leur vie quotidienne.

add_to_photos Notes

[1Voici quelques exemples de colloques passés ou à venir organisés pendant la période 2011-2012 :
Droit et patrimoine culturel immatériel, Musée du Quai Branly, Paris, 13-14 janvier 2011 ; Local Vocabularies of Heritage. Variabilities, Negociations, Transformations, University of Evora, Portugal, 8-10 février 2012 ; Quels patrimoines pour quelles communautés ? Valeur sociale du patrimoine, Ministère de la culture et de la communication, Paris, 12 mars 2012 ; Le patrimoine oui, mais quel patrimoine ? Commission nationale française pour l’UNESCO, Paris, 3-4 avril 2012 ; Nouveaux patrimoines et musées, Musée de la civilisation, Québec, 9-16 juin 2012 ; Heritage conserved and contested : Asian and European perspectives, University of Leiden, Leiden/Amsterdam, 19-26 juin 2011 ; Penser incertain : les sciences sociales au risque de la démocratie patrimoniale, Association internationale des sociologues de langue française, Rabat, 2-6 juillet 2012 ; Shaping Heritage-Scapes : processes of patrimonialization in a globalized world, University of Lausanne, 6-7 septembre 2012 ; Colloque international patrimoine culturel immatériel, Ministère de la culture et de la communication, Cerisy, 24-29 septembre 2012 ; Les conceptions du patrimoine. Regards croisés sur les patrimonialisations et leurs particularités, Vingt-cinquième Entretien Jacques-Cartier, Saint-Étienne, 19-20 novembre 2012 ; International Conference « Strengthening Intangible Infrastructures », ifz and University of Salzburg, 10-11 décembre 2012.

[2Nous pensons notamment à la conférence inaugurale d’une nouvelle association internationale en « Etudes critiques du patrimoine » (« Critical Heritage Studies ») qui a eu lieu à Göteborg, Suède, du 5-8 juin 2012 et qui a attiré plus de 500 participants, contribuant 360 communications à plus de 62 panels, sessions, workshops, table rondes, etc. Voir sur le site http://www.science.gu.se/english/research/prominent-research-environments/areas-of-strength/Heritage_Studies/news_events/achs.

[3Voir à ce propos l’analyse concluante de Brubaker et Cooper (2000).

[4Nous aurons l’occasion de revenir plus bas sur cette distinction.

[5Pour une mobilisation pertinente du vocabulaire psychanalytique dans le contexte patrimonial, voir Rautenberg (2003 : 30-38).

[6En faisant cette recommandation, nous ne faisons que suivre les conseils du fonctionnaliste Robert K. Merton, qui dans son fameux article « Analyse fonctionnelle en sociologie » conseille de toujours étudier « des modes équivalents de conduite que peut faire négliger l’accent mis sur la conduite observée (noter non seulement ce qui se passe, mais aussi ce qui a été exclu par la conduite adoptée) » (1965 (1953) :108). Conseil difficile à suivre mais non moins précieux pour autant.

[7Dans le même esprit, le projet de recherche que dirige Ellen Hertz à l’Université de Neuchâtel sur l’implémentation en Suisse de la Convention de l’UNESCO pour la Sauvegarde du PCI inclut expressément dans sa conception des pratiques culturelles qui ne pourraient pas satisfaire aux exigences normatives de ce cadre, comme par exemple, la pratique du « théâtre migrant » à Bâle (Cohen 2012). Voir également Olivier (2011) qui analyse les techniques et savoir-faire liés à l’instruction de la conduite automobile.

[8Comprenons-nous bien ! Nous ne souhaitons pas que l’excision ou les rites d’initiation avec brimade soient reconnus comme patrimoine de l’humanité ; nous souhaitons simplement que l’UNESCO cesse de prétendre qu’elle soutient une diversité culturelle qui sera définie « d’en bas ». L’UNESCO doit assumer pleinement sa mission normative : soutenir son idéal de la diversité culturelle, incompatible avec le maintien de la diversité culturelle telle qu’elle existe, qu’on le veuille on non. Ce faisant, elle perdrait sans doute une partie de sa légitimité, en tout cas dans un premier temps ; elle serait par ailleurs obligée de défendre sa mission avec plus d’honnêteté et de rigueur, voire de la redéfinir à la lumière des évolutions culturelles contemporaines.

[9A ce titre précisément, nous renvoyons nos lecteurs à l’exposition sur le patrimoine culturel immatériel, intitulée « Hors champs », qui s’ouvrira au Musée d’ethnographie de Neuchâtel en novembre 2012.

[10Voir à ce propos deux articles récents qui représentent deux approches différentes pour sauver le concept de « communauté » de ses connotations réifiantes (Hafstein, 2011  ; Maguet, 2011) Et voir la remarquable notice de Noyes (2003), qui propose de restreindre l’usage de la notion de « communauté » aux occasions où elle est, de fait, produite, et de considérer que le reste du temps, les ensembles de personnes communément étiquetées « communautés » sont en réalité des réseaux « lents » ou « inflexibles ».

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Pour citer cet article :

Ellen Hertz, Suzanne Chappaz-Wirthner, 2012. « Introduction : le “patrimoine” a-t-il fait son temps ? ». ethnographiques.org, Numéro 24 - juillet 2012
Ethnographies des pratiques patrimoniales : temporalités, territoires, communautés [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2012/Hertz-Chappaz-Wirthner - consulté le 19.03.2024)
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