Résumé

Dans le domaine de la figuration, les chimères, hybrides et autres êtres imaginaires posent des problèmes d’interprétations à l’anthropologie. Cette contribution expose et interroge l’argument central du Principe de la Chimère que Carlo Severi a développé pour expliquer ces constructions iconiques énigmatiques, afin d’en montrer les limites et, le plus souvent, de proposer des directions interprétatives alternatives. Plutôt qu’une image construite sur une relation entre les êtres représentés au sein d’un seul composite comme le soutien son Principe, notre proposition considère que chacun de ces animaux est l’image que renvoie une partie d’un animal réel. Il s’agit là d’un faisceau d’indices qui permet un déchiffrement iconique et constitue de la sorte une anti-chimère.

Abstract

« The anti-chimera ou the chimera without the principle ». In the figurative field, chimeras, hybrids and other imaginary beings represent an interpretative challenge to anthropology. Our contribution presents and questions Carlo Severi’s central argument of the Principle of the Chimera, developed to explain these enigmatic iconic constructions. The article exposes the limits of this principle and, in certain cases, proposes alternative interpretative directions. Instead of a picture constructed upon a relation between the beings that are represented in a composite, our proposition considers each of the chosen animals to be the image that a part of a real animal or being reflects. It is a cluster of indices that allows an iconic decipherment and constitutes, in a way, an anti-chimera.

Sommaire

Table des matières

Les mots, les images et les choses

En anthropologie, la reconnaissance de l’altérité, ou pour le moins de la différence entre les cultures ou entre des groupements humains, s’appuie le plus souvent sur la variabilité des traits sociaux, parfois sur les variations linguistiques et sur le découpage catégoriel du monde que ces dernières autorisent. Chaque culture aurait ainsi un ensemble catégoriel construit qui rendrait compte de la perception singulière de l’environnement qu’elle aurait élaboré à travers les âges. Pendant longtemps, cette hypothèse du rapport entre perception et langage a produit des débats passionnés entre anthropologie et linguistique (hypothèse dite de « Sapir et Worf », classification des couleurs selon B. Berlin et P. Kay, etc.) ayant débouché sur le vaste courant dit de l’anthropologie cognitive qui place au centre de son attention la variabilité ou la permanence des mécanismes cognitifs comme fondement de la variété des expressions culturelles humaines.

Depuis une vingtaine d’année, les débats autour de ces interrogations propres à la reconnaissance de l’altérité et à la tentative d’en élaborer les traits les plus saillants se sont vus augmentés par l’inclusion du matériel iconographique dans les objets susceptibles d’être les témoins de cette variabilité culturelle. Au « tournant linguistique » des années 1960 s’est vue substitué le « tournant iconographique » des année 1990.

C’est dans ce dernier courant qu’il faut placer le travail exploratoire entamé par Carlo Severi tout particulièrement lorsqu’il tente d’analyser certains registres iconiques grâce à ce qu’il nomme le « Principe de la chimère ». Ces registres seraient d’un type particulier en ce que l’on y retrouve combinés des éléments disparates de l’environnement dans des agrégats formant une unité et une continuité organiques complètes, comme le ferait une chimère lorsqu’elle combine en un seul être des parties issues d’autres espèces. C’est en référence à ces chimères que Severi tente de faire émerger un principe de composition picturale ou rituelle dont l’analyse se focalise sur la relation entre les espèces ou les éléments présents sur les formes iconiques rencontrées. Sans l’éclairage fournit par son Principe, ces formes iconiques ne seraient pas comprises entièrement et, dans tous les cas, il formule l’hypothèse qu’il est le moteur de leur création. Les chimères en effet, ou les hybrides et les animaux imaginaires, ont ceci de singulier qu’ils constituent une catégorie particulière de production iconographique en ce qu’elle ne cible pas, à première vue, un être existant, et qu’elle est donc plus apte que d’autres formes iconiques d’illustrer le fait de croyance et de la notion de « surnaturel » puisqu’il n’existe pas, dans le réel — ici artificiellement relié au « naturel » — de composites tels qu’ils apparaissent sur ces images.

Dans deux de nos articles qui traitent de la création des animaux imaginaires (Karadimas 2010, 2012), nous avions fait remarquer que le processus de nomination des espèces naturelles pouvait être pris comme une modalité de référence de la faculté des systèmes de connaissance d’associer les noms de deux espèces pour en nommer une troisième. L’espèce ainsi désignée possède quelque chose d’une autre espèce — la forme d’une partie de son corps, la couleur, le comportement, etc. — et celle-ci entre alors dans le nom composé qui la désigne. L’oiseau-mouche, par exemple, est nommé de la sorte en référence à ses battements d’ailes vrombissants qui rappellent un bourdonnement propre à certains insectes volants, dont les mouches. C’est donc son vrombissement qui le fait être « mouche ».

Nous avions alors souligné que le problème de création des animaux imaginaires, des hybrides et des chimères relevait plus d’une difficulté rencontrée par certaines ontologies — essentiellement naturalistes dans le sens que Philippe Descola donne à celle-ci [1] — de reconnaître sous l’apparence du fantastique une désignation qui relève du déchiffrement et non de l’identification immédiate d’une espèce naturelle par sa seule forme visuelle. Les animaux imaginaires et les hybrides ou les chimères existent donc surtout grâce à deux domaines : l’image ou la mise en scène rituelle, où ils sont figurés, et la légende ou le mythe qui joue en quelque sorte le rôle de trame narrative soit de leur origine, soit de leurs gestes.

Au travers de ces deux approches, c’est le débat classique entre croyance et savoir encyclopédique qui transparaît en filigrane, débat qu’avait déjà traité Dan Sperber dans son article de 1975 intitulé : « Pourquoi les animaux parfaits, les hybrides et les monstres sont-ils bons à penser symboliquement ». Dans son analyse portant sur la nature de ces êtres, Sperber considère qu’ils représenteraient en quelque sorte des formes parfaites qui exprimeraient par leur composition des univers ou des catégories elles-mêmes parfaites, puisque ces dernières ne pourraient trouver dans les espèces existantes de représentants suffisamment aptes à les personnifier. Notre hypothèse considère que la création des animaux imaginaires est le résultat de l’activité de perception et de description de certains animaux réels. Leur création est issue d’une activité cognitive humaine qui implique tant la reconnaissance des formes que des processus de nomination. Notre proposition se place donc du côté d’une analyse cognitive de ce phénomène qui se situe à la base de la constitution des narrations dans lesquelles ces animaux sont présentés, puis de leur matérialisation visuelle dans le domaine de l’image ou de la mise en scène rituelle.

L’étude des figures chimériques et des hybrides nous semble également nécessaire dans la mesure où ces objets ont souvent été l’occasion de tester les limites de certaines catégories utilisée par l’anthropologie comme « Croyance », « Nature », « Savoir », « Culture », etc., mais aussi, pour avoir été des exemples de la potentialité imaginative humaine et de sa place dans les systèmes de croyances. Les catégories analytiques des différentes théories sur la catégorisation et la cognition humaines sont souvent mises à l’épreuve de la chimère, comme une sorte d’Œdipe faisant face aux énigmes de la Sphinx.

Plutôt que son ouvrage de 2007 Le Principe de la chimère, nous préférons reprendre plusieurs arguments que développe Severi dans un article qui ouvre un numéro spécial de la revue Gradhiva « Pièges à voir, pièges à penser. Présences cachées dans l’image » (Severi 2011b), dans la mesure où il y synthétise sa proposition et qu’il utilise des exemples amazoniens qui nous sont plus familiers. Nous proposons de montrer qu’il est possible de réaliser une interprétation plus économique tant des exemples ethnographiques que des images que Severi choisit d’analyser. Surtout, il nous semble que son « Principe de la chimère » ne fonctionne pas sur les exemples proposés et qu’en quelque sorte, il s’agit de s’interroger plus globalement sur la validité de ce principe. Ne fournissant pas de clé interprétative majeure qui puisse être reconnue comme étant vraie ou fausse, son Principe ne relève pas d’une formulation de proposition scientifique. Ainsi, pour Severi, « il ne s’agit plus seulement de déchiffrer un sens caché, mais aussi d’établir un rapport nouveau entre l’espace de la fiction et la place de l’observateur » (2011b : 23).

L’ours et le phoque, en boucle

Dans son article de 2003, repris en 2007 et partiellement en 2011b, Severi construit sa démonstration à partir d’exemples amérindiens, mais pas uniquement puisque les iconographies sibérienne et océanienne y interviennent également. Cette variété d’exemples, Severi la puise essentiellement dans l’ouvrage de Hjalmar Stolpe (1927), qui est un essai plutôt daté sur « l’ornementique » des arts des sociétés traditionnelles. Severi considère toutefois ces réflexions faites par Stolpe à la fin du XIXe siècle concernant ces images, comme étant les prémisses d’une analyse de son Principe. À partir d’une relecture de ces exemples, le propos de la contribution de Severi est de faire apparaître comment « l’ornementique » de ces sociétés, en fait des formes graphiques, participent non pas d’une « proto-écriture », mais bien plus d’une graphie — entendue au sens large — alternative à la séparation écriture/figuration propre aux formes habituelles rencontrées dans les civilisations qui les ont développées. Il s’agit de la décrire et de la cerner analytiquement en la rattachant à des modalités similaires que Severi avait analysées avec brio dans deux corpus distincts : les formes rituelles complexes de la cérémonie du Naven en Papouasie-Nouvelle Guinée (avec Michael Houseman) et surtout les constructions rituelles et les formes narratives des Cuna du Panama parfois relayées par des dessins mnémotechniques que réalisent les narrateurs. C’est donc dans une double perspective de l’analyse des formes de la mémoire et de leur expression entre forme rituelle et forme graphique que s’inscrit son « Principe de la chimère ».
Severi commence son article par l’analyse d’images que nous considérons être utilisées à contre-emploi. Il s’agit de celles qui apparaissent sur une « boucle » faite — d’après la légende originale de la figure — en ivoire de morse (et non « en ivoire de lion de mer » comme le soutient Severi 2007 : 61), originaire de Sibérie, du Musée Pitt-Rivers et qu’il avait déjà utilisées en tant qu’élément-clé de sa démonstration dans ses contributions de 2003 et de 2007. Cette « boucle » s’avère en fait être une sorte de poignée dans laquelle est passée une lanière, utilisée par les populations du Grand Nord pour tracter une proie, le plus souvent un phoque, pour l’extraire de l’eau, puis pour la traîner jusqu’au campement.

Figure 1 : « boucle » en ivoire du Pitt-Rivers Museum représentant une tête d’ours blanc et, sur l’autre face, un phoque (in Stolpe 1927, Fig. 32).

D’après Severi, « on y voit deux formes identiques interprétées de manière différente : une fois comme le contour d’une tête de loup, et une autre fois comme celui d’un corps entier, probablement celui d’un lion de mer » (Severi 2011b : 9, reprenant quasiment mot pour mot Severi 2003 : 101). Parce qu’elles appartiennent au même objet et qu’elles partagent le même contour, Severi traite ces deux images comme si elles formaient des compositions « chimériques ». Chacune des formes retranscrit toutefois une face différente du même artefact dont les contours marquant chaque face sont partagés, comme le serait les deux faces d’une même pièce de monnaie. En d’autres termes, la « boucle » d’ivoire de Sibérie produit deux images, distinctes, appartenant chacune à une face différente du même objet. Vouloir les traiter, comme cela est fait, en affirmant que « en insérant une ligne courbe dans deux contextes différents, l’image passe de la représentation par imitation d’un animal, à l’interprétation, complexe et plurielle, d’une forme » (2011b : 9, nos italiques) est ne pas prendre en compte le fait qu’il n’y a que deux images, chacune sur une face distincte qui occulte l’autre, dont le contour certes irrégulier et partagé ne constitue pas une forme « chimérique » puisque chaque image est parfaitement reconnaissable pour elle-même. Or, dit-il, « nous avons proposé d’appeler chimérique ce type de représentation » (2011b : 9), ce qui est quelque peu problématique puisque rien, dans chacune des images, ne renvoie à un quelconque hybride ou à un composite incluant plus qu’une seule espèce ou item. Il n’y aurait que le contour partagé qui deviendrait une forme énigmatique et en constituerait, pour Severi, la partie « chimérique » puisque censé évoquer une autre image (évocation qui est ainsi un appel à la mémoire). À ce compte-là, n’aurait-il pas mieux valu nommer son Principe, « Principe du contour » ou « Principe de la forme » ? Sous ce régime cependant, toute image deviendrait en quelque sorte chimérique par le seul fait qu’une de ses parties produit une évocation (ici résultat d’une interprétation du contour partagé). C’est ce qu’il admet parfaitement un peu plus loin dans sa contribution lorsqu’il fait remarquer : « comment concevoir, si toute œuvre d’art suppose une réflexion, une image qui ne serait pas chimérique ? » (2011b : 11).

Notre première critique de son Principe ne porte pas tant sur le fait de savoir s’il existe ou non des représentations de chimères, ce qui est l’évidence, mais plutôt de s’interroger en quoi elles seraient régies exclusivement par un principe général qui, selon Severi, ne viserait pas une espèce particulière, mais plutôt une relation entre des espèces ou des éléments dont une des composantes resterait invisible. Grâce à leur inclusion en un seul être, ou en une seule image, cela permettrait de figurer cette relation. Or ce type d’évocation de relation est extrêmement rare dans les formes figuratives des chimères. Il s’agirait de représenter, par exemple, proie et prédateur dans une seule figure en combinant, c’est selon, un fourmilier avec un corps de fourmi, un lion avec une livrée de zèbre, un renard avec des plumes de poules et une crête de coq, etc., dans laquelle prédateur et proie ne font plus qu’un.

A regarder de plus près la poignée sibérienne présentée par Severi au début de son analyse, il semble bien que l’artisan sibérien ait voulu représenter ce type d’association. Plutôt que d’y reconnaître un loup et un lion de mer comme le propose Severi, il semble qu’une des faces représente un phoque alors que l’autre représente plutôt une tête d’ours blanc (comme le montre la citation de Stolpe qui suit), son principal prédateur naturel (une scène communément représentée dans les figurines en ivoire toujours confectionnées aujourd’hui par les Inuit et les autres populations circumpolaires). Zoologue puis ethnologue, Hjalmar Stolpe, la source première de Severi (2003 : 96), note en effet que « A very characteristic button or « toggle » in the Pitt-Rivers Museum at Oxford (fig. 32) [Figure 1], shows an unusual design. On one side, the head of a white bear is represented and on the other an entire seal. » (Stolpe 1927 : 82). On ne comprend donc pas comment l’ours blanc devient un loup et le phoque un lion de mer dans l’analyse de Severi. Les espèces qu’il nomme n’ont aucune relation entre elles alors que, pour l’ours et le phoque, comme l’un se nourrit de l’autre, il est probable que chacune des faces figure les termes d’une relation de prédation que l’objet en lui-même serait en mesure d’évoquer (le phoque dessiné sur l’une des faces contenu dans la tête de l’ours dessinée sur l’autre). L’objet évoque la relation, mais chacune des faces représente une espèce particulière. Il n’y a donc pas, dans ce cas là, de chimère, et, selon Severi, l’objet ne serait « chimérique » que par le fait du contour identique qui évoquerait une réalité mentale absente de la représentation (mais qui apparaît une fois que l’on retourne la boucle, c’est-à-dire qu’il n’y a là aucune absence). L’exemple choisi n’est ainsi pas des plus patents puisqu’il existe, dans ces mêmes régions, des objets aux compositions distinctement hybrides, comme ce compteur de points d’un jeu de société aux formes de kayak traité en combinaison avec une tête d’ours blanc qui sont eux, on le voit, de nature métaphorique (vis-à-vis du chasseur comme du phoque, le kayak est comme l’ours qui nage vers sa proie).

Figure 2 : Compteur de points d’un jeu de société traité sous la forme d’un kayak à la tête d’ours blanc reposant sur deux phoques (iconographie inuit, travail de Joe Kunnuk, http://www.maruskiyas.com/store/products/polar-bear-head-cribbage-board-joe-kunnuk).

Ou comme sur cette figurine en ivoire qui représente un morse aux traits humains tout en tenant dans sa nageoire-main une lance, instrument de chasse que l’un utilise pour tuer l’autre.

Figure 3 : Figuration de la relation entre le chasseur et sa proie s’unifiant en un hybride, (iconographie inuit, travail de William Soonagrook, http://www.maruskiyas.com/store/products/walrus-hunter-transformation-william-soonagrook).

Mais là encore, si la relation est celle de prédateur et de proie, alors les deux réalités sont déjà présentes dans la conscience de l’artisan lorsqu’il dessine sur les faces de la poignée du musée Pitt-Rivers comme il le fait ici avec ce morse-chasseur. Le contour partagé par les deux faces devient alors plus une contrainte qui s’impose à l’artiste qu’il n’est une forme devant évoquer une autre réalité. La question qui se pose à lui est plutôt de savoir comment trouver la figure d’un ours (ou du phoque s’il reconnaît en premier l’ours) dans ce même cadre que de savoir ce qu’il doit évoquer. Cette double contrainte n’est pas ouverte sur l’ensemble des possibles quant au choix des espèces à représenter. Il ne s’agit ainsi pas d’un art de la mémoire qui se différencierait des autres arts, à moins, il faut en convenir, que tout art est de la mémoire, auquel cas il n’y a pas de nécessité d’ériger un Principe distinct pour l’interpréter.

Ce problème était déjà apparu dans l’analyse de cette « boucle » dans la contribution de Severi de 2007 (p.61). Le problème que ne règle pas Severi est de présenter les motivations ou les raisons supposées de l’association entre ces deux espèces. De la façon dont l’auteur les décrit, ces deux (fausses) espèces se trouvent figurées par le jeu qu’une même forme fait produire à la mémoire, auquel cas Severi aurait tout à fait raison d’affirmer que nous serions devant un art de la mémoire (comme la plupart des arts figuratifs). Si nous nous plaçons cependant dans la perspective tout aussi probable qu’il s’agisse de la figuration d’un couple prédateur/proie sur un même artefact comme l’indique Stolpe, alors ce couple préexiste non seulement dans l’esprit de l’artiste, mais aussi dans l’environnement. L’artiste utilise du coup le contour de la forme non pas comme un révélateur d’une seconde espèce, quelconque, qui lui viendrait à l’esprit, mais plutôt comme un cadre dans lequel il devra inscrire l’ours et le phoque. Il n’est alors plus possible d’utiliser cet objet pour illustrer ce que serait un art non-occidental de la mémoire, puisque les images seront adaptées à la forme qui fixe un cadre et que cette forme n’ouvre pas sur l’ensemble des possibles, un arbitraire, une fois choisi le premier terme de la relation. Ces modalités sont compatibles à toutes les formes d’art. En d’autres termes, avec cet exemple inaugural de sa contribution Severi n’a pas réussi à présenter une image proprement chimérique dans le sens qu’il entend lui donner pour élaborer son principe. Une image et un contour ne font pas une chimère. S’il y a Principe, il n’y a pas encore chimère.

Des chimères chez les Wayana

Il en va tout à fait autrement des exemples amazoniens choisis par Severi dans sa contribution de 2011b qui traite bien de représentations d’êtres chimériques entendus au sens classique du terme, c’est-à-dire d’hybrides d’animaux. Dans la présentation du numéro spécial de la revue qu’il a dirigé, il précise et résume son propos quant à ces « êtres chimériques » :

Il s’agit en effet de montrer, à travers l’analyse de deux traditions iconographiques amazoniennes (des Yekuana et des Wayana), comment la désignation par projection d’une présence imputée engendre l’idée d’une essence propre aux êtres chimériques. La représentation chimérique s’associe ainsi à la définition essentialiste d’une classe d’existants dont les traits définitoires ne coïncident jamais avec ceux qui, au sein du monde humain, animal ou végétal, définissent une espèce. (2011a :7, nos italiques).

Or nous proposons de montrer qu’en évacuant cette dernière possibilité (les traits définitoires qui caractérisent une espèce), Severi se coupe d’une voie interprétative majeure pour comprendre les occurrences tant rituelles que visuelles où justement l’hybride cible une espèce bien spécifique par l’intermédiaire des images produites par les parties qui la constituent. Selon notre hypothèse, il ne s’agit pas d’un processus abstrait qui fonctionnerait « à vide », juste pour le plaisir de produire des énoncés chimériques. Suivant celle-ci (Karadimas 2010), un cheval ailé, un serpent à plumes ou un jaguar à deux têtes ne sont pas juste des figures construites pour « faire chimère » et rendre visible une relation invisible entre des êtres distincts, mais des retranscriptions imagées d’êtres réels aux propriétés bien spécifiques qu’il est possible de déchiffrer afin de reconnaître une espèce précise. Tel un Bellérophon de la pensée ayant dompté Pégase (Karadimas 2010), notre proposition d’interprétation s’attelle à une déconstruction de la chimère ; notre hypothèse revient à présenter une anti-chimère puisque nous effaçons la composition chimérique, opaque, au profit d’une explication relevant du principe de juxtaposition d’images issues de l’acte de perception d’une espèce réelle, c’est-à-dire un déchiffrement.

Lorsque Severi prend comme exemple la nature plurielle des êtres que sont en mesure d’incarner des danseurs wayana, il semble exclure les cas des noms composés. Ainsi, en suivant l’ethnographie écrite en brésilien de Lucia van Velthem O Belo e a Fera de 2003, il affirme que :

nous aurions tort de penser que l’apparence des êtres du monde est fixée, pour les Wayana, selon des modèles préétablis. Puisque tout ce qui existe est pris, dans le monde des Wayana, dans un processus de transformation constante, tout être peut assumer, à chaque instant, la « peau » d’un autre, et même, parfois, de plusieurs êtres à la fois. Velthem rappelle le cas des danses qui ont lieu dans la maison des hommes. Celle-ci est censée être un lieu « habité par les poissons tukuxi », qui sont d’ailleurs représentés, avec bien d’autres êtres, dans la roue centrale du plafond de la grande hutte cérémonielle. Mais les poissons sont aussi, à leur tour, représentés comme des « colibris au long bec ». Lorsque les hommes masqués « agissent en poissons », ils deviennent, en même temps, des « colibris au long bec ». (Severi 2011b : 36).

Remarquons tout d’abord que ce que Severi prend pour des représentations de tukuxi présentes dans les ciels-de-cases ne sont en réalité que des figures du mulokot, un hybride en partie poisson, en partie oiseau doté d’un patte de mammifère qui ne correspond pas au tukuxi — ce dernier n’étant pas figuré sur le ciel-de-case. En suivant le point de vue défendu par Severi, les Wayana penseraient que certains êtres peuvent avoir des identités plurielles, qu’ils seraient aptes à revêtir des peaux d’autres êtres et que, dans le cas qu’il prend pour illustrer son propos, les danseurs humains, lorsqu’ils dansent dans le tukusipan — la maison des tukusi — deviennent ces poissons, mais aussi des colibris au long bec. Ils seraient donc, d’une certaine façon eux-mêmes des êtres chimériques et, il faut bien l’avouer, voilà une forme de rationalité indigène qui est aux antipodes de ce que nous sommes en mesure de comprendre.

Dans un article de 1998, le muséographe Daniel Schoepf, également ethnographe des Wayana dans les années 1980, propose une interprétation de cette maison des hommes suivant une identification des danseurs avec les seuls colibris et donc de cette maison avec une fleur que ces oiseaux viennent butiner pour en boire le nectar. Schoepf passe cependant sous silence la polysémie du terme tukusi. Selon le dictionnaire bilingue wayana-français produit par Eliane Camargo (2009) et accessible en ligne sur le site du Celia [http://www.vjf.cnrs.fr/celia/FichExt/Dic_alphas/wayana_francais/index.htm], tukusi est le nom donné à une espèce de poisson au long bec (Boulengerella lucia) de la famille des Ctenoluciidé, aussi nommé Piacoco ou Piapoukou en créole guyanais ; selon l’ethnolinguiste, le terme wayana qui sert à le désigner est une référence au tukui, le nom générique pour les colibris : « TUKUI, n. nom générique pour les colibris. Cf. Tukusi ».

Figure 4 : Tukusi ou « poisson-colibri » en wayana en référence à la forme du « bec » des Boulengerella sp. (source : http://herpetofauna.com.br/peixes.htm)

Bien qu’elle l’identifie avec une espèce de siluridé plutôt qu’avec le Piapoukou, van Velthem indique également que le Tukuxi est nommé de cette façon en référence métaphorique à l’anatomie du colibri : « La maison cérémonielle tukuxipan, littéralement ‟lieu de nombreux poissons tukuxi”, lequel est métaphoriquement représenté par le colibri tukui car le poisson possède un bec effilé comme ce petit oiseau » [2] (van Velthem 2003 : 169, notre traduction). Toujours selon Schoepf (1998 : 113-114), l’analyse étymologique de ces termes les fait dériver chacun de tuku- « pointu, ce qui est pointu » et peut aussi être appliquer à une flèche ou aux danseurs avec leur cigarette qui prennent un aspect équivalent. La maison des hommes tukusipan serait de la sorte le « lieu des êtres à l’avant pointu » si ce n’était que tukusi désigne avant tout à une espèce de poisson en référence au tukui, le colibri, alors que Schoepf ne retient que la référence au colibri sans faire référence au poisson (1998 : 113). Selon Camargo (ethnolinguiste) et van Velthem (ethnologue), tukus(x)i désigne en premier lieu des poissons au bec pointu et dérive de tukui /colibri/ en fonction d’une analogie formelle d’une partie de leurs anatomies. En d’autres termes, le tukusi est, en wayana, un « poisson-colibri », l’un et l’autre des « pointus ». Cette identification d’un nom de poisson en référence à la forme de son « bec » — sa gueule — qui le fait nommer par l’intermédiaire d’un oiseau au long bec, le colibri, est typique des systèmes de nomination des espèces, toutes cultures confondues, puisque nous avons également, chez les poissons, nos « -chat », « -perroquet », etc. Il n’y a rien là qui ne puisse être surmonté conceptuellement et qui impliquerait de nous attribuer la croyance d’une pluralité d’identités des êtres qui peuplent le monde ou pouvant revêtir plusieurs identités à la fois de manière concomitante.

Il convient ici de faire tomber cette attribution d’altérité propre au « Principe de la chimère » défendu par Severi, qui prête aux Wayana le fait de croire que le « monde est un processus de transformation constant » sous prétexte, entre autres, qu’ils nomment « poisson-colibri » une espèce de poisson et que, lorsqu’ils dansent la danse de ce poisson, « ils deviennent, en même temps, des colibris au long bec » comme cela est affirmé. En dansant tant le poisson que le colibri, les Wayana ne montrent-ils pas plutôt les composantes d’un même nom en faisant jouer le poisson et le colibri et, de cette façon, ne mettent-ils pas en scène, en plus de la classe des tuku-, le nom d’une espèce ?

Ne faut-il pas reconnaître que, chez les Wayana, la combinaison rituelle d’une référence au poisson et d’une référence au colibri cible un être réel, le poisson-colibri, et que celle-ci ne doit pas être considérée comme relevant de deux identités distinctes que revêtiraient les danseurs lors de leurs processions ?
Prenons un autre exemple qui cible le même nom, mais cette fois-ci dans un autre espace culturel. Il s’avère que la combinaison « poisson-colibri » avait déjà trouvé une occurrence en nahuatl, huitzitzilmichin, de huitzitzil « colibri » et avait été illustrée au XVIe siècle pour Sahagun par des lettrés aztèques dans une combinaison qui mélangeait un corps de poisson à une tête et un bec de colibri : les nageoires devenaient ses ailes. Le poisson en question est différent de l’espèce amazonienne nommée par les Wayana, mais, comme les orphies qu’il désigne probablement (Belone belone aussi appelé bécassine de mer en français pour les mêmes raisons), il partage cette qualité d’avoir un bec effilé. Les familles de langues sont différentes, les cultures le sont également et le seul point commun est que l’une et l’autre font référence au colibri suivant un principe analogique, au même titre que dans les environnements qui ne le possèdent pas, on choisira la bécassine, ou tout autre oiseau au bec effilé.

Figure 5 : Figuration du huitzitzilmichin ou Poisson-colibri par un lettré aztèque sous la forme d’un hybride corps de poisson/tête de colibri (folio 126 du livre XI du Codex de Florence, Bibliotheca Medicea Laurenziana, http://www.wdl.org/fr/item/10622/view/1/126/)

Cette illustration, on le voit, ne cible pas tant un portrait naturaliste de l’espèce qu’elle ne met en scène visuellement les composantes du nom qui la désigne. Elle ne met pas non plus en image une relation entre le colibri et le poisson ; mais un être réel, le huitzitzilmichin « poisson-colibri ». S’il y a bien une représentation chimérique, elle n’est pas régie par le Principe de Severi. Il y a chimère, sans Principe.

Un marteau, clou du spectacle

Nous faisions remarquer dans un autre article (Karadimas 2012) qu’un jeune garçon nord-américain, sur une photo postée par son père sur un Blog, avait saisi un marteau et se l’était placé sur le haut de la tête en disant en anglais « I am a hammerhead shark » : je suis un requin-marteau ! (Litt. Je suis un requin tête-de-marteau). En effectuant ce geste, il mettait en scène un énoncé visuel minimal du nom du squale. Imaginons maintenant qu’une mise en scène — rituelle ou théâtrale en anglais ou en français — doit, pour une raison ou pour une autre, faire intervenir le requin-marteau dans son déroulement, il serait possible aux danseurs de procéder de la sorte : certains, parmi les spectateurs capteraient l’évocation du nom par l’intermédiaire de l’artefact — un trope visuel — d’autres se poseraient encore la question de savoir pourquoi des danseurs sont venus avec un marteau placé sur leur tête. Mais à aucun moment il est possible d’affirmer que les danseurs se penseraient ou se présenteraient dans leur qualité de « marteau », ce qui est l’hypothèse défendue avec le « principe de la chimère » ; les danseurs ne font que mettre en scène un nom, ils ne sont pas marteaux.
Le fait de nommer une espèce « poisson-clown » et, lorsqu’il faut la figurer — en image ou dans un rituel — lui faire adopter une apparence des êtres qui composent son nom sous la forme d’un hybride corps-de-poisson/tête-de-clown ne fait en aucun cas des producteurs de cette image des personnes n’ayant pas une idée claire de la fixité des espèces ou devant appartenir à une ontologie qui les porterait à croire qu’un tel être puisse exister réellement de la façon dont ils le figurent. En d’autres termes, et contrairement à ce qu’affirme Severi lorsqu’il dit que : « L’étude de la représentation chimérique permet ainsi d’éclairer d’un regard nouveau l’ontologie que ces traditions présupposent » (2011a :7), l’étude de la représentation chimérique ne permet pas d’éclairer d’un regard nouveau l’ontologie que ces traditions présupposent.

Figure 6 : figuration imagée du poisson-clown sous la forme d’un hybride constitué des composantes de son nom issues d’une saillance visuelle (Clown-Fish ; 5" x 5" acrylic on paper, by Greg Newbold http://gregnewbold.blogspot.fr/2011/10/have-scary-halloween.html)

Lorsque Severi affirme « qu’est chimérique toute image qui, désignant à travers une seule représentation un être pluriel, mobilise, par des moyens purement optiques ou par un ensemble d’inférences, ses parties invisibles » (2011b : 29), on ne comprend pas en quoi seraient invisibles les composantes colibri, clown, marteau des êtres aquatiques ainsi désignés dans plusieurs langues puisqu’au contraire elles sont parfaitement reconnaissables une fois que sont acquises les connaissances encyclopédiques du système culturel donné (par un locuteur naturel de la langue, ou par quelqu’un qui en apprend l’usage). À moins qu’il ne faille considérer que le système de nomination est à l’origine de la constitution des êtres chimériques et, dans ce cas, il y aurait contradiction puisque le Principe ne renverrait plus à une relation entre des êtres mais à la désignation d’une espèce particulière ou d’un item (ce qui est, par contre, notre hypothèse).

On le voit, Severi évalue la qualité chimérique des images qu’il étudie en considérant qu’elles renvoient à des évocations mentales ; mais ces dernières seraient absentes de la réalité à laquelle elles se réfèrent (puisqu’il s’agirait d’une relation qui relève d’un arbitraire), raison pour laquelle ces images ne peuvent, selon lui, faire référence à une description métaphorique d’une réalité tout à fait tangible :

Du point de vue logique, on réservera le terme « chimérique » à l’articulation spécifique entre représentation iconique (par imitation et convention) et indication indiciaire (visuelle, tactile, ou autre) d’une présence dont le mode d’existence est avant tout mental, et non matériellement réalisé. Il s’agit d’une image imputée par la pensée dont la réalisation n’est jamais considérée (précisément comme dans la boucle sibérienne du Pitt Rivers) comme un indice. (2011b : 29, nos italiques).

Or les qualités colibri, chat, clown, etc., sont bien des indices des espèces de poissons ainsi désignés (raison pour laquelle on les utilise pour marquer de la sorte l’espèce désignée) ; que l’on puisse les dissocier à des fins iconographiques en les figurant matériellement ou rituellement ne les fait pas tomber en dehors de leur qualité indicielle. Ne pas prendre en compte les combinaisons de deux caractéristiques de l’anatomie d’un être marquées chacune par une espèce pour former un nom composé qui en désigne une troisième, est symptomatique du traitement réservé à l’ethnographie des Wayana. Lorsque Severi aborde par exemple une classification de certaines espèces associées à l’anaconda, ou qui se retrouvent, dans l’ethnographie de van Velthem, associées à un suffixe « okoim ou koimë qui signifie ‘en-tant-qu’anaconda’, et s’appliquent au nom d’une espèce spécifique » (Severi 2011b : 36), il oublie de faire remarquer que cette désignation, en fait « -anaconda » en tant que suffixe qualificatif, est aussi utilisée, entre-autre, pour un ensemble de larves et/ou de chenilles en wayana. Ainsi, selon Van Velthem :

Selon les différentes manifestations de anaconda, celles qui sont reliées aux larves d’insectes sont les plus courantes. Ces juxtapositions rendent évidentes que certains attributs des chenilles, comme leur pilosité et leur voracité, fonctionnent en tant que référents superlatifs. Plus que n’importe quel autre animal, les larves désignent le caractère ambigu et métamorphosant des êtres surnaturels et surtout de leur archétype et, par conséquent, ils fonctionnent en tant que synecdoques du surnaturel. (van Velthem 2003 : 105, notre traduction) [3].

Il faut ici faire une courte incise sur le traitement proposé par van Velthem de la qualité « surnaturelle » des êtres évoqués par l’intermédiaire des chenilles : si la métamorphose peut apparaître extraordinaire aux yeux d’un observateur non averti, elle n’est en rien « surnaturelle » puisqu’issue d’un processus inscrit dans un ordre que nous nommons « naturel ». Il n’y a qu’en référence à un anthropomorphisme présumé que le changement complet de forme — de la chenille vers le papillon en passant par la chrysalide — apparaît extraordinaire ou fantastique. De là à le considérer comme marquant la qualité surnaturelle de certains êtres, c’est donner à la nature la régularité et la stabilité de formes qu’elle n’a pas. En d’autres termes, le qualificatif de « surnaturel » n’est pas utile pour décrire des êtres qui, chez les Wayana, peuvent être tout à fait réels et extraordinaires — ou monstrueux — dans la mesure où ils possèdent certaines qualités qui sont absentes chez la plupart des autres espèces.

Nous avions nous-même fait cette constatation pour certaines langues tukano, situées dans la région du Vaupès entre le sud-est de la Colombie et le Brésil, dans lesquelles les désignations « Anaconda-de-X » ciblaient dans un langage mythologique des chenilles tout à fait réelles, mais dont l’aspect paraissait fantastique (« Anaconda-du-manioc » par exemple, est une chenille qui s’attaque aux feuilles du manioc et en est son « prédateur », nous dirions ‘destructeur’, cf. Karadimas 2008, nous y reviendrons de suite). Dans l’annexe de la classification des êtres « surnaturels » proposée par van Velthem (2003 : 423, passim), la catégorie « Anacondas (en-tant-que) » (2003 : 426), c’est-à-dire suffixé, comprend des désignations en apparence fantastiques, chimériques dirait Severi, d’êtres parfaitement réels.

Ainsi, reprenant ces éléments du glossaire, Severi fait remarquer : « On aura par exemple, sous l’appellation de kiapo-koimë, le « toucan-en-tant-qu’anaconda », représenté comme un serpent pourvu d’un long bec et dont la peau est couverte de plumes de couleurs contrastées » (Severi 2011b : 37) : un être fantastique, en apparence pour le moins. La citation de van Velthem va dans le même sens puisque dans son glossaire elle fait juste remarquer que Kïapókoimë est un « anaconda/tucano, individu qui a le corps revêtu de plumes formant des rayures » (van Velthem 2003 : 427, notre traduction). Pourtant, en suivant le dictionnaire wayana-français de Camargo (cf. supra), le Kijapokoïme (graphie alternative de Kïapókoimë) est le nom d’un oiseau, l’anhinga d’Amérique (Anhinga anhinga) dont le nom commun qui lui a été donné en français provient du tupi et signifie plus ou moins littéralement « oiseau-serpent » (litt. « oiseau-esprit-malfaisant » ou « oiseau-diable ») du fait que, ressemblant au cormoran, il possède un cou allongé extrêmement mobile qui dépasse de l’eau lorsqu’il nage — d’un aspect ophidien, en quelque sorte — qui lui sert à pourchasser les poissons qu’il transperce sous l’eau à l’aide de son bec effilé. En plus de nager le corps complètement immergé avec le cou sortant de l’eau, cette qualité serpentiforme de l’anhinga fait saillance dans la classe des oiseaux et se retrouve en tant qu’indice dans son nom (tant en wayana qu’en tupi). Le « toucan-anaconda » ou, dirions-nous, l’oiseau-serpent, n’est donc pas un être fantastique une fois rétablies les connaissances encyclopédiques propres à la langue et la culture wayana. Ainsi, lorsque les Wayana figurent par un artefact le « Kiapokoïma » — nom donné par le collecteur de la pièce —, comme sur la sculpture suivante (cf. Figure 7) portée dans le dos orné de plumes lors de danses, ils construisent bien un oiseau doté d’un cou sinueux (endommagée, le bec et une des ailes sont manquants) qui propose une représentation assez fidèle de l’anhinga avec son cou serpentiforme, ses plumes blanches présentes dans les ailes et en pointillées dans la région des épaules (pour une illustration de ces détails anatomiques, voir Figures 11). D’après les données recueillies par Paul Sangnier, collecteur de cette pièce à la fin des années 1930, les dessins sur le corps de l’oiseau représentent « deux vers » qui sont « l’emblème du chef » [4]. On retrouve d’ailleurs ces êtres serpentiformes qui sont des larves ou des vers sur les ciels-de-case sous la forme d’êtres fantastiques (cf. infra).

Figure 7 : Ustensile porté dans le dos par les danseurs wayana lors de cérémonies représentant, d’après sa fiche muséale, le « Kiapokoïma », c’est-à-dire l’anhinga d’Amérique (Mission Paul Sangnier, Musée du quai Branly n°71.1939.25.486 ; source : http://collections.quaibranly.fr en remplissant le champ "Rechercher" avec le n° de la pièce.)

Dans ce même glossaire des êtres fantastiques de van Velthem, il y a plus d’une douzaine de noms d’êtres qui sont classés en tant que « anaconda/larva », ou « anaconda/lagarta » : larve ‘-anaconda’ ou chenille ‘-anaconda’. Plutôt que de les considérer comme des êtres surnaturels, il s’agirait d’êtres réels, des « vers », les larves et les chenilles à l’aspect fantastique de par leur coloration, leurs dessins/motifs, ou de caractéristiques comportementales et/ou physiques si singulières qu’elles sont marquées par une combinaison de termes ou un classement relevant d’une autre espèce (leur « saillance » diraient les cogniticiens). D’où le fait que van Velthem estime les espèces ainsi désignées comme devant « porter le nom et la peau » de ces animaux (i.e. c’est par l’intermédiaire de leurs dessins/motifs que l’on peut les nommer en combinant l’évocation de la forme : ainsi, même ceux qui, en français et pour s’être laissés guider par le « Principe de la chimère » pourraient se sentir avoir été pris pour des poires, ne doivent pas craindre le Tigre du poirier car celui-ci, contrairement à ce qu’indique son nom, n’est pas un félin !). Le nom peut paraître extraordinaire, mais l’espèce qu’il désigne est réelle (Dragonfly est certes une « mouche-dragon » en anglais mais n’en renvoie pas moins à une libellule…).

La chimère Oiseau/serpent ou le Snakebird américain ?

Cet exemple de l’oiseau-serpent, « toucan-anaconda » des Wayana, est pour nous l’occasion de revenir sur une autre image utilisée par Severi pour illustrer la généalogie de son « Principe de la chimère » qu’il trouve dans l’analyse produite par Aby Warburg, au tournant du XXe siècle, de dessins que les Hopi ont réalisés sur leurs poteries (cf. Figure 10). Severi fait grand cas des conclusions de Warburg qui se sont pourtant révélées très marquées par la perception des sociétés traditionnelles par l’anthropologie naissante de l’époque. Severi entame son analyse en reprenant l’association faite par Warburg entre la forme donnée aux éclairs par l’iconographie hopi qui est prêtée à celle utilisée pour figurer des serpents. À la suite du relevé ethnographique d’Alexander M. Stephen (daté de 1894), Warburg considère cette association entre éclair et serpent grâce à un traitement iconique analogue, comme une modalité permettant d’évoquer l’un en figurant l’autre. Sans vouloir revenir sur l’analyse de ce motif qui demanderait une étude approfondie des conditions rituelles de la réalisation du « rituel du serpent » chez les Hopi, il nous faut faire remarquer que la forme « serpent » des éclairs n’est qu’une des réalisations possibles de la forme iconique qui renvoie à l’éclair, puisque d’autres formes, telles des éclairs finissant en forme de croix sont aussi rencontrées dans le même contexte rituel, ou encore d’autres formes plus complexes incluant des ajouts de formes énigmatiques à chacune des formes d’éclair émergeant des nuages (cf. Figure 8).

Surtout, les autres éléments participant de la scénographie rituelle ne sont pas pris en compte par Warburg, au profit de la seule forme tracée sur le sol à l’aide de peintures de sables. Enfin, les « serpents » en question sont tous dotés d’une plume sur le côté de leur tête et renvoient à la figure mythologique locale du « Serpent-d’eau » (Balölöokong) doté d’une crête de plume et d’une corne sur la tête. Il s’agit de toutes les façons d’un être mythique et non de serpents réels.

Figure 8 : élément iconographique « éclair » du rituel du serpent des Hopi associé à son contexte rituel et présenté sur le sol en tant que dessin de sable avec, ici, des formes énigmatiques sur chacune des pliures du corps zigzagant du « serpent » (http://www.biodiversitylibrary.org/item/89014#page/574/mode/1up)

Une fois rétablie la convention graphique des Hopi dans un contexte profane comme le montre l’image ci-dessous (Figure 9), il n’y a que des nuages (les formes amoncelées de demi-cercles), de la pluie (les lignes verticales situées en dessous des nuages) et des éclairs (les formes zigzagantes partant des nuages et terminées par des plumes de prières).
Quoi qu’il en soit de cette forme première éclair/serpent, elle va servir d’élément iconique permettant d’être reconnue au sein d’autres compositions et d’inférer de la sorte qu’il existe une composante « serpent » dans les êtres qui en sont dotés.

Figure 9 : Emblème des nuages, pluie et éclairs (illustration Hopi, vers 1930, Image number : NMNH-98-46_66, Repository : Smithsonian Institution, NAA-Natl. Anthropological Archives)

Il en va ainsi du dessin présent sur une poterie hopi et exploité par Warburg puis par Severi représentant, selon Warburg, une forme intermédiaire entre l’image et le signe et qui figurerait un hybride entre un oiseau et un serpent à la manière, nous dit Severi, d’une chimère grecque. Ce dessin, repris par Severi en 2003 : 84, tout comme en 2011b : 27 montre bien à quel point il est central dans sa démonstration (Figure 10) :

Warburg va bientôt reconnaître que cet exemple apparemment simple possède néanmoins sa complexité propre. En fait, comme la source directe de sa connaissance des poteries hopis le montrait très clairement [un catalogue édité par A. M. Stephen en 1894], l’image-signe de l’oiseau hopi était le résultat d’une composition associant des éléments hétérogènes, et non seulement des « parties du corps » de l’oiseau. Pour représenter les êtres surnaturels qui apparaissent sur leurs poteries, les Hopis utilisent un schéma iconographique qui associe, comme la Chimère des Grecs, dans un seul corps, l’image d’éléments différents. Ainsi que le montrent des documents tirés du texte même de Stephen, la représentation schématique d’éléments célestes tels que le soleil ou l’éclair pouvaient par exemple légitimement figurer, entre autres éléments iconographiques doués de sens, dans la représentation d’un oiseau. (Severi 2003 : 84)

Figure 10 a & b : représentation de l’anhinga américain, ou « snakebird » sur une poterie hopi (d’après Stephen & Paterson Hopi Pottery Symbols, repris in Severi 2007 : fig.7) et b : original de la pièce, n° 43-39-10/25808 du Peabody Museum of Archeology and ethnology de Harvard, source : http://pmem.unix.fas.harvard.edu:8080/peabody (puis entrer le n° de la pièce dans « quick search »)

En d’autres termes, l’association entre un élément iconographique pouvant représenter un éclair (pour son association avec l’Oiseau-Tonnerre, cf. infra) et sa reconnaissance au sein de la figure de l’oiseau est proposée par le rédacteur du catalogue et est reprise par Warburg dans son analyse. Mais là encore, la question qui se pose est de savoir si nous avons affaire à un signe doté de sens (élément iconographique « éclair » qui peut signifier le serpent) ou si cet élément graphique ne retranscrit pas de manière stylisée ou schématique une caractéristique anatomique réellement présente sur une espèce naturelle, auquel cas il n’est plus possible de lui attribuer la qualité de « signe-hiéroglyphique » comme le fait Warburg et, après lui, Severi.
À regarder de près ce dessin de la poterie hopi, il s’avère que la représentation d’un hybride n’est pas patente. On y voit en revanche assez clairement un volatile au bec effilé et au long cou doté d’une zone de plumage blanc descendant jusqu’au milieu du poitrail. Les ailes semblent dédoublées, effilées lorsqu’elles s’enroulent à leur extrémité antérieur et possédant des pointillés blancs en leur sein. Elles pointent également vers l’arrière, montrant ainsi une autre forme que prennent les ailes lorsqu’elles sont pliées (cf. Figures 11). La queue se caractérise par des rectrices marquées d’une alternance de couleurs alors qu’un motif échelonné (en forme d’éclair ?) parcourt le corps du volatile. C’est ce dernier motif probablement interprété par A. M. Stephen [5] comme étant celui de l’éclair qui fera dire à Warburg qu’il y aurait, avec cet « oiseau-serpent », une figuration d’une forme hiéroglyphique faisant référence au serpent, par forme-éclair interposée.

Or tel qu’il est figuré, cet oiseau que Warburg considère être un oiseau-signe-hiéroglyphique parce que composé de parties formant un « oiseau-serpent » est un portrait stylisé plutôt fidèle de l’Anhinga américain (Anhinga anhinga).

Figures 11 : différentes vues et dessins de l’Anhinga anhinga, ou « oiseau-serpent » montrant les postures du volatile et de son cou lorsqu’il nage, en vol, au repos lorsqu’il sèche son plumage ainsi que les motifs que produisent des plumes blanches des ailes, du cou etc. rendus sur les images des poteries ou donnant raison de son nom composé. Figure 11a : photographie de Stéphanie Sanchez, source http://butterflies.heuristron.net/birds/anhinga3.html ; Figure 11b : photographie de Art Siegel, source http://en.wikipedia.org/wiki/File:Anhinga-in-flight.jpg ; Figure 11c : dessin de James Audubon, source http://audubon.nyhistory.org/anhinga/ ; Figure 11d : photographie de Jean-Marc Rabby, source http://jmrabby.oiseaux.net/anhinga.d.amerique.3.html#famille ; Figure 11e : photographie de Steve, source http://psnp.lightshedder.com/?cat=7.

La zone de plumes blanches qui descend jusqu’au poitrail se retrouve en effet chez les femelles de l’espèce alors que la forme zigzagante sur le corps est une retranscription graphique d’une série alternée de plumes blanches présentes sur la partie dorsale des ailes de l’oiseau et que le haut des ailes est parcouru de petites plumes blanches en pointillées. Sur la poterie hopi, la queue est la seule à ne pas respecter le code des couleurs puisqu’elle inverse le noir et le blanc des taches présentes aux extrémités des rectrices.

D’après Alex Patterson (1994) qui a étudié les conditions historiques de la constitution de ces collections, le motif de cette poterie a été peint par une femme Hopi à partir de dessins copiés sur des tissus (cf. Patterson 1994 : 51). Dans la collection Keam toutefois, il existe une poterie archéologique équivalente à la précédente, décorée sur ses flancs de plusieurs de ces oiseaux peints (Figure 12).

Figure 12 : Poterie archéologique Zuni avec le motif originel des oiseaux copiés sur la poterie historique (n° 43-39-10/25093 du Peabody Museum of Archeology and Ethnology de Harvard, source : http://pmem.unix.fas.harvard.edu:8080/peabody (puis entrer le n° de la pièce dans « quick search »)

La variation entre les deux pièces tient essentiellement au fait que l’artisane hopi a accentué les pointillés blancs dans les ailes et transformé en un motif échelonné ce qui dans le motif d’origine n’était qu’une simple ligne en diagonale formant une sorte de Z. Est-il possible que, sur les deux poteries, il s’agisse bien d’une même figuration stylisée d’un anhinga ? On remarque en effet que les volatiles peints sur ces poteries sont chacun dotés de becs ornés de « dents » ce qui, on en conviendra, plaide plutôt pour l’hypothèse de la chimère défendue par Severi puisque les oiseaux en général ne possèdent pas de dent. Un détail anatomique propre à l’anhinga doit cependant être apporté dans la discussion. Afin d’empêcher que la proie harponnée par le bec de l’anhinga ne glisse et ne s’échappe, la sélection naturelle lui a fait développer une structure osseuse singulière dans son bec. Constituée de petits ardillons en dents de scie courbés vers l’intérieur de la gueule, cette structure maintient le poisson transpercé en place et, situé dans le bec, l’ensemble fait ainsi office de « dentition ». Il ne faut donc pas voir les éléments dentés peints dans le bec des oiseaux figurés sur les poteries comme participant de la constitution d’une chimère, mais comme une retranscription en images d’une réalité anatomique propre à cette espèce et à cette espèce seulement. Avec l’ensemble des autres caractéristiques anatomiques concordantes, nous pouvons donc être catégorique en affirmant qu’il s’agit bien d’une figuration imagée d’un anhinga et non d’une chimère entendue dans le sens de Severi.

Ce que Warburg et Severi, prennent pour la figuration d’un être « oiseau/serpent » composé de façon chimérique, n’est en fait qu’une représentation réalisée par les Hopi de l’oiseau appelé Snakebird, « oiseau-serpent » aux Etats-Unis ; il n’y a aucune combinaison chimérique en vue, puisque l’élément interprété comme un éclair n’est probablement que la retranscription épurée en une forme continue des plumes dorsales blanches contrastant avec la livrée noire de l’oiseau. Il s’agit ainsi du même volatile que Severi a déjà croisé sous l’appellation de « toucan-anaconda » chez les Wayana sans relever qu’il a affaire à deux évocations figuratives distinctes du même oiseau réalisées dans deux cultures différentes. Il évoque de la sorte dans un même article le « toucan-en-tant-qu’anaconda » (2011b : 37) et l’oiseau-serpent hopi (2011b : 27) sans noter que l’un et l’autre se réfèrent au même Anhinga.

Il est probable que, suite aux annotations de Stephen, cette retranscription imagée a été prise par Warburg comme relevant non pas de la figuration, mais de la constitution d’une image proche du signe ou, comme il la nomme, d’une image-hiéroglyphe, qui doit être lue tout autant que regardée. Or il est d’autant plus facile de le suivre sur cette voie que l’oiseau figuré sur cette poterie est pratiquement absent du territoire des Hopi. Situés dans l’Arizona en milieu quasi-désertique, les Hopi ne peuvent avoir croisé l’anhinga que lors de migrations car il leur faut descendre jusqu’au Nouveau-Mexique ou à la Basse-Californie voisine pour trouver les exemplaires les plus septentrionaux, atteignant ce territoire lors de leur vol migratoire. Ainsi, la liste des oiseaux de l’Arizona le note comme étant d’apparition accidentelle, c’est-à-dire n’étant pas endémique de la zone. On le comprend, l’oiseau-serpent ne se trouve pas en permanence sur le territoire hopi puisqu’il est associé à des milieux aquatiques. La tentation de le « mythologiser » est ainsi d’autant plus grande qu’on ne peut le trouver communément dans le milieu habituellement occupé par la population qui l’a dépeint sur une de ses poteries. Il n’empêche que, de la sorte, la figure dite « hiéroglyphique » de « l’oiseau-serpent » de Severi renvoie à une espèce réelle et que, pour le coup, elle ne constitue pas un cas d’une image d’un hybride ou d’une combinaison entre une image (l’oiseau) et un signe (le motif de l’éclair comme évocation du serpent). Ce n’est que Warburg qui, suite à la lecture du catalogue de Stephen, propose ce raccourci dans la perspective de rendre compte, grâce à cet exemple, de la singularité du mode de figuration des populations autochtones.

Mais quand bien même ce serait le cas, c’est-à-dire que le motif en escalier renvoie au serpent/éclair, on aurait, au choix, un « oiseau-serpent » ou un « oiseau-éclair » (Snakebird ou son équivalent littéral en hopi dans le premier cas et thunderbird dans le second). Le premier est une espèce réelle et le reste du dessin cible précisément l’Anhinga américain. Que l’on prenne le dessin de cette poterie par un bout ou par l’autre (reconnaissance ou lecture), chacune des solutions mène à la représentation de l’anhinga, un oiseau réel et non, comme le pensent Warburg et Severi, à la figuration d’un oiseau/serpent en chimère.

Nous en prendrons comme exemple complémentaire un dessin qui apparaît sur l’intérieur d’une poterie de la période archéologique dite « Mimbres » du Nouveau-Mexique, voisine des Hopi. Précolombienne, la culture Mimbres (AD 1000-1130) fait partie de la civilisation Mogollon du Sud-Ouest américain, c’est-à-dire située sur l’actuel territoire des Hopi et des Pueblos. Pour cela, la culture Mimbres — et surtout son style iconographique rencontré essentiellement sur les poteries — est considérée comme l’ancêtre des Hopi, bien qu’occupant un territoire qui leur est directement voisin.

Sur la poterie suivante (Figure 13), l’artiste mimbres a dessiné un hybride doté d’un corps d’oiseau et d’un cou démesuré qui prend la forme d’un serpent, allant jusqu’à remplacer la tête de l’oiseau par celle de l’ophidien et dont la langue sert d’évocation du bec.

Figure 13 : Intérieur de poterie de la période précolombienne Mimbres représentant un anhinga ou « Oiseau-serpent » sous la forme d’un hybride constitué des composantes visuelles de son nom qui, probablement, se décline selon la même saillance visuelle du cou serpentin de l’espèce (in J.J. Brody 2004 : Pl. 11)

Bien que l’on ignore quelle langue parlait les Mimbres, il est raisonnable de penser qu’ils nommaient l’anhinga en suivant une forme composée du type « oiseau-serpent ». C’est en tous les cas ce qu’en dit J.J. Brody, l’archéologue qui analyse cette pièce :

The neck of a long-legged water-bird transforms into a snake with a rattlesnake-like head. Although the bird does not closely resemble the cormorant-like anhinga, an occasional visitor to the southern New Mexico, the snake-bird association suggests anhingas who, when they swim to feed, can be mistaken for black water snakes. (J.J. Brody 2004 : Pl. 11)

On le voit, la représentation est cette fois-ci complètement celle d’un hybride, mais nul besoin du Principe de Severi pour la comprendre, puisqu’elle cible une espèce réelle figurée grâce aux composantes probables de son nom, elles-mêmes issues d’une saillance visuelle parfaitement visible. On remarquera, d’ailleurs, que les motifs créés par les plumes blanches des ailes sont parfaitement rendus sur cette poterie et que l’anhinga, pour être un visiteur occasionnel de la zone, n’en est pas moins figuré sur les intérieurs de poteries d’un milieu quasi-désertique. Ce sont donc bien des composantes de nom commun qui sont figurées et non un principe relationnel se référant à quelque chose d’invisible.

Mais figure-t-on toujours une espèce par cet intermédiaire, ou de simples items peuvent-ils subir un même traitement par l’image hybride ? Ainsi, la « pomme-cheval » en allemand, Pferdeapfel, n’est pas un fruit fantastique ou chimérique qui nécessite l’édification d’un Principe pour le comprendre, mais du vulgaire crottin. Un bon dictionnaire permet en Allemagne de ne pas acheter au même prix les pommes qui poussent sur un arbre que celles qui tombent d’un cheval. L’image suivante, chimérique mais élaborée dans un cadre germanophone, a-t-elle besoin du Principe relationnel imaginé par Severi ou d’un dictionnaire afin d’être comprise par ceux qui ne maitriseraient pas la langue de Goethe ?

Figure 14 : Image chimérique à comprendre dans un contexte germanophone comme la mise en image des composantes du nom Pferdeapfel, « Pomme-cheval », c’est-à-dire du crottin, http://www.tiergeschichten.de/2011/10/06/pferdeapfel/

Croire ainsi que l’on pourrait, en Italie, acheter des pommes d’or au même prix que les tomates et espérer obtenir des fruits fait dans le précieux métal, c’est non seulement se bercer d’illusion, mais c’est accorder au nominalisme empirique [6] une importance qu’il n’a pas. Nous ne le faisons pas avec les langues connues ; pourquoi se l’autoriser, alors, avec le Wayana ou d’autres langues qui le sont moins ?

Peindre ou dépeindre des êtres ?

En ce sens, lorsque Severi en vient à analyser les motifs graphiques des maluwana, désigné comme « roue-de-toit » au Brésil et « ciel-de-case » en Guyane française, qui regroupent un ensemble d’êtres fantastiques peints sur leur superficie, il évacue un peu rapidement les données ethnographiques proposées par van Velthem lesquelles, en plus de références à des êtres surnaturels, rappellent leur ancrage à des êtres réels : « La décoration des roues-de-toit comprend des motifs exclusifs qui reproduisent des êtres surnaturels. Les plus significatifs sont : kuruwaiak, pakokoxi, anacondas/chenilles, et mulokot, un poisson doté d’éléments anatomiques de mammifères et d’oiseaux » (van Velthem 2003 : 301, notre traduction) [7]. En reprenant ce passage en effet, Severi, tout en avançant l’argument du principe chimérique pluriel qu’il recherche, commet, me semble-t-il, plusieurs contresens :

On retrouve là la notion de prédateur ancestral, un être qui, se manifestant à travers une série de métamorphoses, se trouve représenté comme un être collectif ou sériel. L’illustration la plus éloquente de ce processus est fournie par les peintures qui décorent, comme nous l’avons signalé, les « roues de toit » (maruana) de la maison cérémonielle. On y voit apparaître une série de thèmes graphiques qui renvoient à plusieurs êtres, eux-mêmes hybrides (les anaconda-crocodiles et des poissons qui « possèdent des caractéristiques propres aux mammifères et aux oiseaux »), mais dont la série représente, dans son ensemble, la « raie-en-tant-qu’anaconda (Severi 2011b : 38).

Or selon van Veltehm, Kuruwaiak est un « anaconda/larve, bicéphale. Son effigie est une peinture de la roue-de-toit. Sa caractéristique prédatrice est celle d’un kuruakë, “dévorateur du palmier curuá” » (van Velthem 2003 : 428, notre traduction) [8]. En d’autres termes, il s’agit probablement d’une figure inspirée d’une retranscription imagée d’une larve prédatrice des palmiers curua, c’est-à-dire d’un type de grand charançon, comme le sont la plupart des larves-palmistes qui vivent et grandissent dans le stipe des palmiers en les détruisant. La même chose peut être dite du pakokoxi également classé parmi les « anaconda/larve, bicéphale, rare. Il est l’archétype, elukë tamú, des chenilles surnaturelles. Son effigie est une représentation qui se trouve sur la roue-de-toit » (2003 : 429, notre traduction) [9]. Dit autrement, cette figure représente l’archétype des chenilles fantastiques ; mais les elukë sont des chenilles urticantes (cf. infra). Faisons d’ailleurs remarquer que Severi traduit de façon erronée « lagarta » par ‘crocodile’, puisque van Velthem parle de « anacondas/lagartas » qui sont des « anaconda/chenilles » (en portugais, lagarta désigne la chenille et non le crocodile), et que nulle part elle n’évoque d’anaconda-crocodile dans toute son ethnographie des Wayana. Si l’on devait suivre Severi, il serait effectivement difficile de reconnaître dans ces motifs des hybrides de crocodiles. De fait, si Severi prend la figure de la chenille mythique comme une représentation d’un anaconda-crocodile, il est normal qu’il ne puisse pas y reconnaître une figure qui évoque un être d’un aspect ophidien, comme peuvent l’être certaines chenilles (cf. Figures 19). Que l’on puisse ainsi jauger de la non-figurabilité des iconographies amérindiennes laisse songeur…

Figure 15 : « Ciel de case » ou maluwana des Wayana dans laquelle apparaissent, entre autres, des motifs de chenilles monstrueuses sous l’apparence d’êtres hybrides à deux têtes (Pièce du Musée ethnographique de Bonn, photo de l’auteur, D. K.)

Le plus important reste toutefois que les motifs qui apparaissent dans les « ciels-de-case » ou Maluwana sous la forme d’êtres bicéphales, c’est-à-dire des hybrides, sont en fait classés comme des larves et/ou des chenilles (elukë) bien qu’elles soient également décrites comme des « jaguars à deux têtes » ce qui, pour nos systèmes de classification hylémorphiques [10] où le nom correspond à la matière, est quelque peu déroutant.

Or la classification de ces chenilles en tant que « jaguar » provient du fait que tout prédateur d’humain — ou tout être homicide — peut être désigné par le représentant prototypique de la classe, à savoir le jaguar (i.e. « X-jaguar »). Ainsi Paula Morgado, ethnographe brésilienne des Wayana, analyse un des motifs des maluwana, le kaokakoxi, ou « jaguar-à-deux-têtes », un être fantastique qui se rattache à la classe de ce que nous nommons les chenilles :

Figure 16 : « Jaguar à deux têtes », être hybride qui renvoie à des chenilles urticantes (in Morgado 2003)

Les animaux les plus redoutés sont les jaguars, comme le kaokakoxi (jaguar-à-deux-têtes), les serpents et chenilles (note 34 : Le terme Kaikuxi, en plus de désigner tous les félins et les chiens, est aussi utilisé pour se référer aux « bestioles dangereuses ». En temps de guerre, il était aussi utilisé pour les « guerriers »). Ce sont eux qui sont considérés comme les plus dangereux parmi les êtres de la forêt, car ils ne meurent jamais ou ne peuvent mourir sous peine de provoquer quelque type de maléfice : kaokakoxi ("chenille/jaguar-à-deux-têtes"). (Morgado 2003 : p. 111, notre traduction [11]).

En d’autres termes, ce qui apparaît comme des figures de « jaguars-à-deux-têtes » sont des retranscriptions imagées de chenilles meurtrières tout à fait réelles.

Selon Renzo Duin, autre ethnographe des Wayana qui a analysé ces maluwana dans un article de 2006, ces chenilles sont d’un type particulier, puisqu’elles sont dotées de structures poilues ou « plumeuses » particulièrement urticantes qui peuvent tuer une personne par hémorragie (cas d’empoisonnement dû à des chenilles du genre Lonomia de la famille des Saturnidés ; on se réfèrera également à notre article, Karadimas 2014, qui montre que cette même espèce est probablement à l’origine du fameux « Serpent à plumes » mésoaméricain). Dans son dictionnaire, Camargo donne également Lonomia obliqua comme représentant probable de la chenille mythique à deux têtes mataluwana représentée en tant que motif peint matawat sur le maluwana. Toujours selon Camargo, matawat est le nom d’une chenille à deux têtes mais, devons-nous ajouter, son nom lui vient probablement du matawale qui est un poisson amazonien très connu, le tucunaré (Cichla ocellaris) à l’ocelle caractéristique porté sur la queue. Sa deuxième tête serait ainsi redevable soit d’un ocelle porté à l’autre extrémité de son corps, soit du fait de posséder un deuxième visage marqué par des ocelles.

Figure 17 : Tucunaré (Cichla ocellaris) à l’ocelle caractéristique placé sur la queue et d’après le nom duquel les chenilles possédant la même particularité anatomique sont nommées en wayana. Source : http://www.clubedapescaria.com.br/peixe/tucunare.

C’est en tout cas l’avis de Duin, pour lequel c’est une qualité mimétique de la chenille, le fait de posséder un ocelle à l’autre extrémité de son corps qui la fait apparaître comme un être à deux têtes :

The « double-headed Jaguars » on both sides of the center on the maluwana (…), are monstrous man-killing caterpillars Kuluwajak. Although the main motif seems to be ‘double-headed’ it is actually a head on one end, and on the other the rear end of a caterpillar mimicking a head (conform saturniidae sp.), as can be observed in the maluwana published by Crevaux (1881 : 399). These ‘double-headed Jaguars’, or monstrous caterpillars, hold on their back a little straight adornment which is T - or Y- shaped (conform saturniidae sp.), named in Wayana apsikelete (abriti [aplete] or apturum (Van Velthem 1995 : 301-302). This T -or Y- shaped adornment is the claw, like the tooth of a piranha (Serresalmus piraya), that kills people.” (Duin 2006 : 128)

En d’autres termes, certains hybrides présents sur les maluwana des Wayana sont des retranscriptions imagées d’êtres réels, des chenilles (elukë) mortelles pour les humains (grâce à des structures urticantes qui sont comme des griffes et coupent comme des dents de piranha — i.e. évocation imagée de l’hémorragie que provoque le poison contenu dans les poils).

Avant de passer à l’exploration de l’iconographie du ciel-de-case, il faut revenir brièvement sur l’identification que propose Duin de l’ornement présent sur le milieu du dos de la chenille. Les chenilles des Saturnidés en effet, ne possèdent pas de structure en T ou en Y sur le milieu du dos mais un ensemble de poils ou de soies urticantes disséminées sur tout leur corps. Ce que les Wayana nomment apsikelete ou apturum ne peut donc pas correspondre à ces excroissances, en tout cas chez les chenilles de cette famille de lépidoptères. Il faut toutefois faire remarquer que cette configuration singulière du Jaguar-à-deux-têtes agrémenté d’un T ou d’un Y sur le dos n’est pas limitée à la seule iconographie wayana des Guyanes. La civilisation précolombienne Gran-Coclé appartenant à l’aire intermédiaire située dans la région actuelle de l’isthme du Panama, a vu fleurir une iconographie complexe dans laquelle les hybrides d’animaux sont légions. Parmi ceux-là, il existe une série d’animaux ressemblant aux jaguars-à-deux-têtes des Wayana dotés sur leur dos des mêmes excroissances qui forment une sorte de T (ici dissociées en leur milieu).

Figures 18 a et b : « Jaguar à deux têtes » de l’iconographie gran-coclé, Panama, traité de façon analogue que dans l’iconographie wayana avec un appendice dépassant du dos en forme de T ou de Y, résulta d’une interprétation du motif mimétique à base d’ocelles présent chez les chenilles de Papilionidés. Sources : a : dessin de l’auteur D. K. d’après un motif de bracelet Gran-Coclé, object n° 40-13-29, University of Pennsylvania Museum of Archaeology and Anthropology, (https://www.flickr.com/photos/pennmuseum/3792228891/) ; b : photocomposition de l’auteur D. K. à partir de http://www.troubleimpact.com/blog/2013/9/18/art-direction-part-2-cultures.html.

Il semble que ces « jaguars à deux têtes » coclés soient, comme dans le cas wayana, le résultat d’une compréhension du motif constitué par les ocelles et de la bande marbrée créant ensemble un regard et nommé par le nom d’un poisson doté de ce même dessin sur son dos et sa queue. Pour expliquer l’association avec le T ou le Y situé au milieu de ce motif sur les maluwana, il faut avoir recours à une autre poterie coclé qui associe l’ensemble de ces éléments avec la tête véritable de la chenille, mais de la famille des Papilionidés (cf. Figures 19).

Les chenilles de cette famille en effet, possèdent au dessus de leur tête un organe invaginé, qui prend l’aspect d’une sorte d’ornement ou de corne, nommé osmeterium par les naturalistes, qui émet une odeur désagréable pour leurs prédateurs. Au même titre que les serpents fantastiques sont dotés dans l’iconographie des Aztèques des mêmes éléments étranges dans leur anatomie — « cornes » enroulées et plumes disséminées sur tout le corps — (cf. Karadimas 2014), nous aurions ici une représentation imagée de la classe des chenilles qui inclue donc également les représentants des Papilionidés et de leur organe si singulier. Cet organe prend la forme d’une structure bifide rouge ou orange — en forme de T ou de Y — qui, associée à l’aspect mimétique du thorax des chenilles imitant la tête d’un serpent grâce à des ocelles, devient l’image de la langue du serpent. L’osmeterium est alors une « langue » bifide pour le « serpent », mais devient l’équivalent d’un ornement ou d’antennes portées par la chenille sur le haut de sa tête : sa forme est celle d’un Y ou d’un T (cf. Figures 19), raison pour laquelle cet organe serait plus à même d’incarner cet élément graphique présent sur les chenilles mythiques des maluwana.

Figures 19 a & b : Osmeterium ou organe répulsif des chenilles de Papilio sp. comme référent possible des structures en Y ou T trouvées sur les chenilles peintes des maluwana ainsi que sur le motif d’un intérieur de poterie gran-coclé. (a : photo de l’auteur D. K. ; b : photos de Nicole Chong sur http://butterflyclub.greenpower.org.hk/eng/article.php?id=10 ; infographie de l’auteur D. K.)

Dans ce cas, il y existe un mélange des représentations de face et de profil des chenilles peintes sur les maluwana puisqu’elles y apparaissent en priorité en étant figurée de profil — chenille entière — tout en étant une représentation, vue de face, des têtes de chenilles qui imitent des têtes de serpent grâce à des motifs marbrés entre des ocelles. Il est probable que ce qui apparaît comme le motif d’une chenille à deux têtes soit aussi une interprétation de la bande continue, marbrée, qui relie les deux faux yeux (cf. Figures 18 et 19), laissant dépasser l’osmeterium en son milieu, comme dans l’iconographie gran-colé. Comme ces motifs apparaissent sur le ciel de case en étant figurées en miroir, la structure en T apparaît inversée sur l’autre exemplaire lui faisant face. La forme chimérique qui leur est donnée doit ainsi être considéré comme un faisceau d’indices menant vers une ou plusieurs espèces réelles. Là encore, et pour en revenir à Severi, il y a chimère, sans Principe.

Du disque de toit de case à la raie-disque

Revenons à l’interprétation de Severi des motifs présents sur ce disque de case : ce n’est pas la série de ces figures présentes dans le maluwana qui renvoie à la « raie-en-tant-qu’anaconda », mais le ciel-de-case dans son ensemble. D’après van Velthem en effet :

Un second ensemble décoratif employé par les Wayana comprend les peintures corporelles d’un être surnaturel aquatique dénommé Maruanãimë, dont le correspondant zoologique est la raie d’eau douce. Cet être n’est pas dépourvu de l’essence surnaturelle de l’anaconda, il est par conséquent et plus correctement, un anaconda/raie. (van Velthem 2003 : 299, notre traduction [12]).

Dans plusieurs systèmes de classifications indigènes, les raies d’eau douce d’Amazonie appartiennent en effet aux anacondas car, comme eux, elles mettent bas des petits déjà formés (ovoviviparité) et non, comme d’autres poissons et d’autres reptiles, des œufs qui doivent être couvés (oviparité) : en cela, les raies sont « anacondas » (c’est-à-dire relevant d’un mode de reproduction ovovivipare et ce ne sont pas des « raies-anacondas », mais des raies appartenant à la classe des anacondas). Comme pour van Velthem, le « disque de case » est, selon Duin, non pas seulement l’effigie d’une raie, mais de la représentation d’une raie véritable renvoyant à un être fantastique :

van Velthem (1995 : 301) stated that this « roda-de-teto » (wheel-of-the-ceiling) is not just an « effigy » but constituted of the proper Maruanãimë (=Maluwaleimë). She (ibid. : 176) stated that this supernatural being corresponds with the sweet water stingray (Potamotrygou [sic.] sp.). When I was discussing the maluwana with the Wayana, the Elders (I have to thank Kulienpë in particular) told me about Maluwaleimë, the ‘monstrous maluwana’, too. Maluwaleimë is like the large sipali (stingray, Potamotrygon hystrix), but different ; it is like the maluwana. Maluwaleimë is an ipo (water spirit). It is a ray with a maluwana drawing on the upper plane and a sharp edge surrounding the body. In contrast to the stingray, Maluwaleimë does not have a tail (iwatkë). If you face Maluwalaimë too long it will blind you, analogous to Mulokot. (Duin 2006 :132)

Un peu plus loin dans son travail et contrairement à van Velthem qui l’associe à une raie d’eau douce, Duin identifie cette espèce en apparence fantastique à la raie électrique, ce qui ne nous semble pas être le cas, car celle-ci n’est pas particulièrement circulaire et possède une queue bien marquée (de plus, la raie électrique est une espèce marine qui, si elle remonte parfois le cours des rivières, n’est pas visible dans les eaux déconnectées des milieux marins). Or il nous semble que l’informateur de Duin lui fournit une description et non une configuration « chimérique » qui représenterait quelque relation dont l’absence de queue serait la marque. Parmi les différentes espèces de Potamotrygon, ou raies d’eau douce identifiées tant par Duin que par van Veltehm, comme P. leopoldi, P. motoro, celle qui pourrait correspondre le mieux à la description proposée serait P. hystrix, qui possède sur sa face dorsale des motifs allongés sur fond noir (les « peintures corporelles » de l’être en question : par ailleurs, Potamotrygon hystrix est une désignation construite à partir du latin qui renvoie à une « raie-d’eau-douce-utérus », élaborée là encore sur une analogie formelle, à la manière des Indiens du Nord-Ouest amazonien pour qui l’origine de la raie remonte dans un temps mythique à un placenta rejeté dans le fleuve, cf. Karadimas 2003 ; c’est-à-dire que son aspect révèle sa qualité « mythique »).

Figure 20 : Raie d’eau douce commune de la variété hystrix (Potamorygon hystrix) aux motifs allongés sur sa face dorsale. Source : http://www.amazonasbecken.eu/p.hystrix.htm.

A en croire la description faite à Renzo Duin, l’espèce en question semble renvoyer à un être surnaturel, comme le reprennent van Velthem et Severi. Cette description est toutefois suffisamment précise pour que l’on puisse y reconnaître une raie amazonienne d’une autre famille que les Potamotrygonidae, à savoir la Raie-disque (Paratrygon aiereba, Discus-Ray en anglais ou Raya-disco en espagnol). Comme son nom l’indique, cette espèce est parfaitement circulaire et possède une queue massive très courte, semblant presque incluse dans la circonférence de son corps, puis prolongée par un simple flagelle qui disparaît le plus souvent avec l’âge. En comparaison des raies communes (Potamotrygon sp.), la raie-disque est proprement monstrueuse ou fantastique puisqu’elle peut atteindre un diamètre de 130 cm et peser jusqu’à 60kg alors que les bords externes de son corps finissent en une peau plus fine, de la façon décrite par l’informateur de Duin. Ce dernier trait anatomique est marqué graphiquement sur les maluwana des Wayana. Son nom commun est un bon indicateur de la forme de disque des ciels-de-case des Wayana qui, pour les exemplaires les plus grands, possèdent un diamètre presque équivalent et un poids conséquent. D’activité essentiellement nocturne, on rencontre la raie-disque dans le Rio Negro, l’Orénoque et un peu partout dans les affluents de l’Amazone où elle aime rester dans des grandes profondeurs plutôt que sur les bancs de sable comme les raies communes, d’où sa classification en tant que ipó par les Wayana, qui sont les êtres et les esprits peuplant le fond des eaux. Le maluwana fait ainsi référence à une espèce certes rare, mais néanmoins tout à fait réelle.

Figure 21 : Raie-disque (Paratrygon sp.) aux dimensions monstrueuses habitant les profondeurs de l’Amazone et de ses affluents, référent probable des maluwana ou « ciel-de-case » des Wayana. Source : http://www.lode.biz/paratrygon.htm.

Selon différents travaux d’ethnohistoires (e.g. Chapuis 1998), les Wayana ont effectué, ces deux derniers siècles, plusieurs migrations qui les ont menés du Jari, un affluent de l’Amazone où cette espèce est encore visible, vers la région de la Guyane française où ils se trouvent actuellement et dans laquelle cette espèce de raie d’eau douce n’est plus rencontrée. Il est ainsi probable que la tradition ait gardé une description d’une espèce réelle — ainsi que son effigie — alors que celle-ci n’est plus présente dans le milieu vers lequel les Wayana ont migré. Le Maluwaleimë (= maruanãimë de van Velthem) est une sipali (raie), mais de la forme d’un ciel-de-case (disque) qui n’a pas de queue (en comparaison avec les autres sipali). Il s’agit donc d’une espèce monstrueuse ou fantastique, mais réelle.

Une des questions qui peut émerger directement de cette localisation du maluwana est de savoir en quoi une raie, ou son effigie, serait à sa place dans le toit d’une maison rituelle. En quoi une raie serait une référence à un ciel ? Selon Renzo Duin en effet, le ciel-de-case est orienté de façon à être en conjonction avec le parcours solaire et avec les pôles Est et Ouest :

Main motif on this disk is the dyadic dialectic serpentine Kuluwajak caterpillars ; a male and a female, facing east and west respectively. When discussing the painted disk with Wayana (with special acknowledgement for Kulienpë), they emphasized that the male (eluwa) is oriented towards the rising sun (sisi mektopoinë) and the female (wëli) towards the setting sun (sisi eniktopoja). (Duin 2009 : 182)

Or, cette contrainte des orients implique, sous l’équateur, une division symétrique du ciel dans laquelle le point central est au zénith et renvoie probablement à un ciel nocturne et à des constellations liées au soleil (cf. Karadimas 2003). Pour les Miraña d’Amazonie colombienne, le masque de la raie, en plus d’incarner un personnage mythologique, est en même temps une représentation d’une constellation passant au zénith dans la voûte céleste. En comparaison, si l’on prend le toit de la case wayana comme une représentation microcosmique du ciel, la place qu’occupe le maluwana en son sein est celle du zénith (cf. Karadimas 2003). En d’autres termes, le maluwana-raie occupe chez les Wayana de Guyane la même place que la constellation figurée sur le masque de la raie chez les Miraña du Nord-Ouest amazonien (Orion) : il s’agit d’une variante combinatoire mythologique qui trouve à s’exprimer de façon distincte sur des artefacts faisant référence à la même réalité astronomique, par l’intermédiaire d’un même animal subaquatique.

Severi aurait pu lui-même développer cette idée à partir de notre article de 2003 (paru dans le numéro "Image et anthropologie" de la revue L’Homme) mais l’argument que nous y développions n’allait déjà pas dans le sens d’un espace chimérique. La forme anthropomorphe du masque est non pas une condensation arbitraire entre la forme du visage humain et celui d’une raie, mais plutôt une retranscription imagée et mythologique des étoiles d’une constellation, traitées de façon à les faire apparaître comme des taches ou des ocelles qui se trouvent sur le dos d’une raie, lesquels, associés à sa face ventrale et à ses narines, lui donnent un « visage » anthropomorphe (la raie étant un personnage mythologique). Il n’y a donc pas quelque chose d’absent, mais bien plus une coprésence traitée iconographiquement par le biais de l’anthropomorphisme et l’ensemble renvoie à des éléments réels de l’environnement, c’est-à-dire qu’il faut les traiter comme des indices pour les comprendre. La raie dans le toit wayana représenterait en fait un ciel, non pas diurne mais nocturne, dans lequel les taches ou les ocelles présents sur la peau du sélacien sont interprétés comme des constellations particulières.

Selon Edmundo Magaña en effet, autre ethnographe des Wayana qui a travaillé sur les connaissances astronomiques des groupes de langue Caribe dans les années 1980 : « Le pilier central de la maison des hommes se termine par un disque peint avec quelques constellations. » (Magaña 1987 : 67, notre traduction [13]), alors que la chenille Elukë donne son nom à une constellation (Magaña 1987 : 73). C’est une des raisons pour lesquelles, en plus des grenouilles, papillons et autres espèces dont les noms servent à nommer des constellations particulières, on voit apparaître, sur les maluwana modernes, des formes d’étoiles au centre du disque, le plus souvent à la place du poteau central, c’est-à-dire le lieu qu’occuperait Epsilon d’Orion au zénith (cf. Karadimas 2003). On remarquera cependant que le zénith est un lieu par lequel passent d’autres groupes d’étoiles auxquels ces groupes portent alors leur attention (Magaña 1987 : 71). L’interprétation du ciel-de-case lié à des réalités astronomiques est complètement laissée de côté par Severi alors qu’elle donne en partie raison de la présence « dans le ciel » de l’effigie de la raie-disque.
Enfin, il est à noter que le nom commun donné à la raie-disque au Brésil est raia-ceja « raie-sourcils ». Ce nom lui vient de la forme prise par deux taches situées en avant des yeux du sélacien qui, une fois anthropomorphisées, prennent la place des sourcils sur un visage humain que reproduirait la raie, ainsi que le montre la Figure 22 (cf. la raie comme « masque » chez les Miraña, Karadimas 2003).

Figure 22 : Raie-disque, ou « raie-sourcils » en Amazonie brésilienne, aux taches caractéristiques en forme de « sourcils » placées en avant de ses yeux donnant raison de son nom commun. Source : www.monsterfishkeepers.com/.

Or une fois que ces « taches-sourcils » sont reliées entre elles — certains exemplaires doivent posséder plus franchement que d’autres cette caractéristique —, leur forme reproduit celle qui est donnée aux motifs des « jaguars à deux têtes » sur les maluwana, c’est-à-dire sous l’aspect de chenilles urticantes. La présence et la place de ces motifs de chenilles sur le ciel de case deviennent ainsi un indice d’une réalité perceptible sur la raie-disque, à savoir les motifs des taches qu’elle porte sur sa face dorsale. Analysée de cette façon, c’est-à-dire à l’inverse du Principe de Severi, la « chimère » devient parfaitement intelligible en tant que combinaison de formes qui sont autant d’indices renvoyant à un être et à une configuration astronomique réels. Plus qu’à une anthropologie de la mémoire, c’est à une anthropologie des formes de savoirs qu’il fallait s’atteler.

Conclusion

Si nous reprenons les éléments présentés par Carlo Severi concernant son Principe de la chimère, il ne faudrait en quelque sorte considérer que des images ou des mises en scènes rituelles qui dessinent les contours de quelque chose d’absent et reconnu par projection mentale d’une forme déterminée culturellement. En d’autres termes, des images construites sur le même modèle que les figures ci-dessous qui présentent pour la première un couple inscrit dans l’intervalle des contours formés par les stalactites de glaces et, pour la seconde, un joueur de saxophone et un visage féminin.

Figures 23 a & b : Contours de stalactites formant une image d’un couple se faisant face (Source : www.worth1000.com) ; joueur de saxophone et visage féminin (Source : http://www.onlinewahn.de/kipp-r.htm).

Mais comme nous le faisions remarquer plus haut, une image et un contour ne forment pas une chimère et il n’y a donc pas de raison de recourir à cette appellation sous le seul prétexte que l’on utilise dans certaines langues le terme de chimère pour désigner quelque chose qui n’existe pas. Ne serait-il pas plus juste que Severi nomme sa proposition d’analyse de ces formes iconiques « Principe de l’évocation » ? Tout en sachant que ce dernier est déjà connu puisqu’il procède suivant le mécanisme mental de projection analogique au moment de l’acte de perception et qu’il n’y a donc pas de registre particulier de ces images qui demanderait l’édification d’un nouveau modèle d’analyse.

Une fois appliqué à du matériel iconographique issu de l’ethnographie et/ou de l’archéologie en revanche, on se rend compte que ce Principe, tel que conçu par Severi, ne donne pas raison des motivations — cognitives, artistiques ou culturelles — qui ont poussé les artistes de ces cultures à réaliser ce type de composé visuel ou rituel. Il faut pour le moins dresser le constat que le Principe de la chimère est inopérant à analyser les figures chimériques et certaines formes énigmatiques rencontrées dans les iconographies des sociétés traditionnelles ou sans écriture. Severi part en effet du postulat que c’est dans ces dernières que son Principe s’exprime le plus souvent. On soulignera ici que nous avons proposé des exemples issus de sociétés sans écriture (actuelles ou passées) tout autant qu’issus de celles qui la possèdent (tant contemporaines qu’anciennes, comme les Aztèques) en les expliquant sans son Principe. Dans les quelques exemples amérindiens utilisés par Severi pour l’illustrer, il nous a été possible de montrer que chacune de ces formes chimériques, des hybrides, ciblait de fait un être — ou une classe d’êtres — réels et non un élément absent qui serait déterminé culturellement par des éléments adjacents qui créeraient les contours permettant de générer une évocation déclenchant un acte de mémoire et d’être ainsi reconnu par les membres de la culture donnée.

Il n’y a donc pas, dans ces images, de renvoi à une présence représentée par indices qui se ferait par une indication fragmentaire devenant image que lorsque le regard mobilise un « style cognitif » propre à un observateur donné, fonctionnant par projection (Severi 2011 : 27, citant Baxandall), si ce n’est, doit-on ajouter, que pour cibler une réalité tangible ou un être réel et non, comme le veut Severi, une relation entre des termes figurés sur ces images qui renverrait à une absence.

Nous pourrions accumuler ainsi les exemples choisis par Severi pour illustrer son Principe, en montrant que des analyses ethnographiques et linguistiques poussées donnent souvent, si ce n’est toujours, des solutions compatibles avec le système de connaissances des sociétés étudiées. La mise en images de l’aspect des êtres peut parfois paraître déroutante pour les systèmes de figuration comme les nôtres où l’on attend de l’image qu’elle produise un portrait de la chose figurée et non qu’elle en fasse une évocation par l’intermédiaire des composantes de son nom ou encore de ce que son aspect évoque (fut-il fantastique ou monstrueux). Hormis une bonne traduction, une bonne connaissance ethnographique et un peu d’imagination, nul Principe de l’absence — autre désignation possible — n’est nécessaire pour les comprendre.

En d’autres termes, il n’y a pas de Principe de la Chimère ou, si l’on préfère, c’est ce principe qui en est en lui-même une.

add_to_photos Notes

[1À gros traits, dans la typologie quadripartite des ontologies de Descola (2005), le naturalisme consiste en une continuité des physicalités entre humains et non-humains (tous les êtres partagent, en quelque sorte, une même matérialité physique) et une discontinuité des intériorités entre ces mêmes protagonistes (il n’y a pas, chez les non-humains, une intériorité analogue à celle que se reconnaissent les humains entre eux).

[2« A casa cerimonial tukuxipan, literalmente « lugar de muitos peixes tukuxi », o caul é metaforicamente representado pelo beija-flor, tukui pois o peixe teria um bico afilado como deste pequeno pássaro. » (van Velthem 2003 : 169).

[3« Entre as diferentes manifestações da anaconda, as que estão acopladas às larvas de insectos são as mais recorrentes. Nestas justaposições fica patente que certos atributos das lagartas, como a pilosidade e a voracidade, atuam enquanto referentes superlativos. Mais do que qualquer outro animal, as larvas indicam o carácter ambíguo e metamorfoseante dos sobrenaturais e sobretudo de seu arquétipo e, por conseguinte, atuam enquanto sinédoques da sobrenaturalidade. » (van Velthem 2003 : 105).

[4cf. http://collections.quaibranly.fr en remplissant le champ "Rechercher" avec le n° de la pièce : "71.1939.25.486".

[5Suivant Hopi Pottery Symbols, une analyse contemporaine du travail d’Alexander M. Stephen menée par Alex Patterson (1994), les données collectées par Stephen auprès des Hopi sur la symbolique des dessins ont été réalisées à partir de pièces archéologiques collectées sur place pour constituer une collection et être vendues (la collection Keam) puis interprétées par les Indiens à la demande de l’enquêteur, et non à partir de poteries confectionnées par les Hopis eux-mêmes. Nous renvoyons le lecteur à cette analyse des conditions du travail de Stephen sur le symbolisme hopi car elles restent l’objet de nombreux débats tant ces données recueillies contrastes avec le peu de renseignements obtenus à la même époque par d’autres enquêteurs (cf. Patterson 1994 : « Introduction »).

[6C’est-à-dire une « Doctrine d’après laquelle la science a pour objet, non les choses elles-mêmes, mais les énoncés relatifs aux choses, les mots au moyen desquels nous les désignons » (Foulq.-St-Jean 1962) cf. http://www.cnrtl.fr/lexicographie/nominalisme.

[7« A decoração da roda-de-teto compreende padrões exclusivos que reproduzem seres sobrenaturais. Os mais significativos são : kuruwaiak, pakokoxi, anacondas/lagartas, e mulokot, um peixe dotado de elementos anatômicos dos mamíferos e das aves. » ((van Velthem 2003 : 301).

[8« anaconda/larva, bicéfala. Sua efígie é a pintura da roda-de-teto. Sua característica predatória é a de um kuruakë, ‘devorador de palha de curuá’ » (van Velthem 2003 : 428).

[9« anaconda/larva, bicéfala, descomunal. É o arquétipo, elukë tamú, las lagartas sobrenaturais. Su efígie é uma representação encontrada na roda-de-teto » (2003 : 429).

[10Nous pensons en effet que l’hylémorphisme aristotélicien, lequel postule une unité entre forme et matière, implique qu’à chaque matière corresponde une forme et qu’à chaque forme une matière, est ainsi à l’origine du naturalisme contemporain et de son système classificatoire.

[11« Os animais mais temidos são as onças, como a kaokakoxi (onça de duas cabeça), cobras e lagartas (note 34 : O termo kaikuxi além de designar todos os felinos e cachorros, é também empregado para referir-se a "bichos perigosos”. No tempo das guerras, era também empregado para os "guerreiros"). Entre os seres da mata são estes os considerados mais perigosos, pois nunca morrem ou não podem ser mortos, sob pena de provocar algum tipo de malefício : kaokakoxi ("lagarta/onça de duas cabeças"). (Morgado 2003 : p. 111).

[12« Um segundo elenco decorativo empregado pelos Wayana compreende as pinturas corporais de um sobrenatural aquático, denominado Maruanãimë, cujo correspondente zoológico é a raia de água doce. Este ser não está desprovido da essência sobrenatural da anaconda sendo, por conseguinte e mais corretamente, uma anaconda/arraia. » (van Velthem 2003 : 299)

[13« El postre central de la casa de hombres termina en un disco pintado con algunas constelaciones » (Magaña 1987 : 67).

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Pour citer cet article :

Dimitri Karadimas, 2015. « L’anti-chimère ou la chimère sans Principe ». ethnographiques.org, Numéro 30 - septembre 2015
Mondes ethnographiques
[en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2015/Karadimas - consulté le 19.03.2024)
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