Pourquoi mon père n’aurait pas dû épouser ma mère.
Récit d’une quête généalogique

Résumé

Croisant une réflexion sur les nouveaux moyens technologiques dont on dispose aujourd’hui pour conduire une recherche historique et généalogique avec une quête personnelle, cet article reconstitue l’histoire de lignées françaises juives qui, dans leur singularité, s’inscrivent néanmoins dans des mouvements sociaux collectifs. L’auteur se saisit de l’occasion du contre-exemple du mariage de ses parents pour prolonger ses intérêts professionnels sur l’étude du choix du conjoint. Pourquoi donc ses parents n’auraient-ils pas du se marier ?

Abstract

« Why my father should not have married my mother : Telling a genealogical tale ». Blending reflections concerning new technologies for historical and anthropological research with a personal quest, this paper reconstructs the history of French Jewish lineages, which, in their specificity, are embedded in collective social movements. The author takes stock of the counter-example represented by her parents’ marriage in order to pursue her professional interests in choice of the mate. Why is it that her parents should not have married one another ?

Sommaire

Table des matières

Nous vous proposons de consulter cet article dans la version où il a été présenté en 2015 jusqu’en 2018, dans une précédente version de la revue en ligne ethnographiques.org.

« Dans la contemplation des mouvements profonds de la vie des hommes,
chaque homme est aux prises avec sa propre vie, son propre destin »
Fernand Braudel
(1969 : 34-35)

Faisant retour sur les travaux qui m’ont conduit tout au long de ma vie professionnelle à étudier le mariage, la parenté, la filiation, les modes d’héritage, dans diverses sociétés en France, je peux bien me l’avouer à moi-même : le choix de ces thèmes dut être, très banalement, une forme de substitut de ce que je ressentais comme une absence d’histoire familiale. De ce décalage j’avais pris conscience au cours de mes années à Sciences po à la fin des années 1950 : mes camarades étaient de « vrais » bourgeois tels que les a définis Béatrix Le Wita (1988) ; ils avaient de ces grandes « maisons de famille », acquises depuis longtemps : on y trouvait des tableaux — de qualité médiocre généralement — représentant plusieurs générations d’ancêtres. Si nous n’avions pas d’origines bourgeoises, pas plus n’en avions-nous de rurales, qui auraient été ancrées dans un coin de France. Tout au plus savais-je que du côté de mon père, l’origine familiale se situait hors de France, et que du côté de ma mère, ils étaient ces exilés de l’intérieur qui avaient quitté l’Alsace après la défaite de 1870 pour rester français. Chez nous, donc, une histoire familiale courte se cristallisant autour des années de la deuxième guerre. D’où ma fascination à découvrir les généalogies des autres, pour le meilleur profit de la science, osais-je l’espérer. Au cours de ma carrière de chercheur, j’ai reconstitué des généalogies à l’échelle de villages, à Vraiville dans l’Eure, Saint Honorine la Chardonne dans l’Orne, Saint Jean Trolimon et ses alentours dans le Finistère, et dans la ville de Nanterre pour sa période rurale. Reconstitution scientifique, analyse distanciée, (même si je ne pouvais m’empêcher de plaindre une pauvre Perpétue Le Marinier qui entre 1750 et 1760, accouchait tous les dix-huit mois à Vraiville d’un enfant dont le registre paroissial enregistrait le baptême ou l’ondoiement puis l’acte de décès dans les jours ou les semaines qui suivaient). J’ai étudié les mariages et les modes de vie de ces Normands, de ces Bretons, de ces péri-parisiens à partir de bases de données reconstituées patiemment à la main, en m’appuyant sur l’histoire de ces communautés, et en discutant avec ceux qui en gardaient la mémoire. Les hypothèses de Claude Lévi-Strauss et Françoise Héritier, comme de l’anthropologie historique, ont inspiré le traitement que j’en ai fait, à la recherche de régularités matrimoniales, de systèmes de transmission et de reproduction, de stratégies matrimoniales et patrimoniales.

Les conditions de recueil des données de base se sont radicalement transformées depuis mes premiers travaux à la fin des années 1960, où j’avais pu — comble de la modernité alors — m’appuyer sur la lecture des microfilms des Mormons, consultables à la B.N. C’est dans les années 1970, alors que je travaillais aux archives départementales de Quimper, un lieu exigu et poussiéreux fréquenté par quelques chercheurs, que j’ai pris conscience du mouvement des généalogistes amateurs, trouble-fête de dépôts d’archives ronronnants. Année après année, les familles venaient plus nombreuses rechercher leurs origines dans la poussière des registres paroissiaux. Dans une enquête pionnière (Segalen et Michelat, 1991) au cours de laquelle nous avions étudié la plus grande association de généalogistes amateurs, celle des PTT, nous soulignions la naissance de ce mouvement populaire qui n’a fait que croître et embellir depuis, avec le développement des associations, par centaines, (professionnelles, d’originaires, patronymiques, etc..). C’est en partie sous la pression de ce mouvement associatif que les services publics d’archives ont fait peau neuve dans nombre de départements, les poussant relativement rapidement à la mise en ligne de leurs archives d’état civil et la création de sites internet. En l’espace de dix ans, Internet a en effet bouleversé l’exercice de la généalogie. Si pour les originaires des régions de France, la quête a été simplement facilitée par l’accès à l’état civil, pour ceux dont les origines étaient étrangères, Internet a tout simplement ouvert un univers de possibles, totalement verrouillé jusqu’alors. Mais il faut compter aussi, depuis cinq ans, avec l’avènement des Smartphones qui, d’un simple effleurement du doigt permettent de saisir un texte sans s’astreindre à le recopier, d’archiver des documents, de s’approprier des fonds spéciaux. Ces outils transforment fondamentalement la manière de travailler, épargnant les tâches fastidieuses de recopiage manuel.

Au fil du temps, je caressai donc le projet de m’intéresser un peu plus aux miens mais comme bien des généalogistes, c’est évidemment lorsqu’il fut trop tard et que la génération née à la fin du XIXe siècle eut disparu que je me suis lancée dans ma quête généalogique. Il s’agit pour moi, et ma parentèle, si elle s’y intéresse, de « recueillir et rabouter à grand-peine les fragments de mon “moi” passé », à l’instar de ce que fait Proust — le bon maître me pardonne cette comparaison (Fabre, Jamin, Massenzio, 2010 : 26). Au départ, comme beaucoup, une connaissance très superficielle de mes origines, dans une famille sans archives personnelles, ni traces épistolaires.

Une quête généalogique commencée en 2010 n’a donc rien à voir avec le patient travail manuel de bénédictin qui fut le mien et celui d’autres chercheurs dans les années 1980. Les bases de données numérisées, qu’elles concernent l’état civil, nombre de documents d’archives, fonds photographiques comme les accès puis les échanges grâce aux multiples sites internet, soit d’associations, soit de particuliers ont rendu totalement inédites les conditions du travail. A travers l’exposé de mon cas personnel, qui n’a pas de valeur exemplaire, je souhaite montrer quelques effets de l’existence de ces sources multiples et croisées sur la fabrication d’un savoir, mon objectif étant de reconstituer les trajectoires sociales de ma lignée paternelle et maternelle. C’est à l’issue de cette quête que j’ai pris conscience pleinement de leur distance sociale : mon père n’aurait pas du épouser ma mère, si ce n’est l’effet d’un hasard.

Reconstituer une généalogie

Il s’agissait donc de faire pour moi ce que j’avais fait pour d’autres, reconstituer ma généalogie, faire parler la parenté, thématique qui ne se donne pas à voir et qu’il faut traquer dans les archives, s’il n’y a plus de mémoire orale. Et au-delà de la généalogie, collection de noms et d’engendrements, je recherche l’histoire sociale de ces deux lignées. Les anthropologues ont fait grand usage de généalogies depuis le fameux article de Rivers (1910) qui implique, dans nos sociétés de l’écrit, de se saisir d’une multitude de documents. Le cousin du célèbre anthropologue américain Lewis Henry Morgan, un des fondateurs de l’anthropologie et découvreur de la question de la parenté, reconstituant l’histoire de leur lignée, établit un parallèle éclairant entre la recherche d’un sentier par un indien et la tâche du généalogiste :

« The task of the genealogist, in groping his way amid the dusty records of the past, is much like that of the American Indian, in pursuing an obscure trail through a tangled wilderness. An acute faculty of perception, and a keen and practised eye, must note and scrutinize every obscure foot- print, every rustled leaf, every bent twig ; now progressing rapidly under a clear light, and guided by sure tokens ; and anon, suddenly arrested by a total absence of all further signs, and forced hopelessly to abandon the trail, long and patiently pursued ; until perchance again, some new and unexpected way-mark greets his eye, inspiring fresh pursuit » (Morgan, 1869 : 5).

Du côté maternel, la tradition orale rapportait les origines strasbourgeoises avec un moment important : le départ en 1870 des grands-parents de ma mère d’Alsace. La mémoire alsacienne et anti-allemande a été bien entretenue jusqu’à la génération des trentenaires (à travers quelques chansons qui appartiennent au répertoire familial [1]) ; la consultation de l’état civil en ligne a permis d’établir un lignage remontant sur six générations.

Du côté de la branche paternelle, j’avais fait une tentative en 1988 en m’adressant à la mairie d’une ville polonaise dont je savais mon grand-père originaire : après avoir envoyé, à leur demande, un billet de 100 frs, je reçus l’information que tout l’état civil avait brûlé. Je fis donc une croix sur toute tentative du côté de l’Europe de l’Est jusqu’à ces années récentes et je repartis de la seule trace écrite qui restait d’une famille sans archives : la copie de l’acte de mariage des grands-parents maternels de mon père [2].

« Bernard Wynstyn, né à Souwalki (Pologne russe) le 15 avril 1850, ouvrier en casquettes, demeurant 25 rue Geoffroy L’Asnier, fils de Wolff Wynstyn et de Rachel Rotskowski dont ils savent qu’ils sont décédés, mais ignorent les lieux et places de leur décès.
Et Rosalie Wiski, née à Souwalki (Pologne russe) le 15 mars 1852, ouvrière en casquettes, demeurant 25 rue Geoffroy L’Asnier, fille de Barnet Wiski et de Marie Polski [3], absents.
Mariés le 29 juillet 1875 ».

Le mariage fut célébré dans leur mairie de résidence, le IVe arrondissement. Comme beaucoup de ces migrants juifs, ils sont dénués de tout, y compris d’état civil, de sorte qu’il fallut faire précéder le mariage d’un acte de « notoriété publique » [4] au cours duquel des voisins vinrent témoigner de l’authenticité des déclarations, ce qui fut fait le 21 juin précédent devant le juge de paix du IVe arrondissement [5]. Au nombre de sept, quatre sont fabricants ou marchands de casquettes, un est orfèvre, un est coiffeur, un est libraire.

Paradoxalement, les parisiens français d’aujourd’hui sont le plus souvent originaires de province, et il leur faut rechercher leur état civil dans diverses régions ; mais c’est à Paris que ces migrants s’installent à partir des années 1860 pour les plus précoces d’entre eux, et l’on trouve donc facilement leurs actes d’état civil en ligne, une fois que l’on connaît leur arrondissement de résidence. J’ai donc largement fait appel à cette source, tout en travaillant sur le « calepin » [6], document fiscal établi pour le recouvrement des contributions directes des immeubles : on y trouve détaillés le bâtiment dans son entier et à chaque étage, pour chaque logement, le nombre de pièces et leur agencement. On peut de la sorte visualiser quelque peu les conditions domestiques d’existence du foyer et on peut aussi y relever les mentions de professions qui sont parfois différentes de celles de l’état civil (et qui varient au fil du temps lorsqu’un père vient déclarer la naissance de ses enfants successifs). J’ai pu suivre Bernard et Rosalie au cours de leurs nombreux déménagements.

Les ancêtres polono-russes étaient donc les plus intrigants. De quelle région étaient-ils originaires ? Je lance une recherche en juin 2010 et en quelques clics, et me voici en rapport avec un groupe, sis dans le Connecticut, fondé en 1990 le « Suwalk-Lomza Interest Group ». Chaque année, il publie quatre numéros d’une revue « Landsmen » que je me procure moyennant quelques dollars. Dans l’un d’eux, je découvre mon Bernard et ma Rosalie dans une compilation des mariages d’émigrants polonais à Paris [7], fruit du travail d’un membre du site Genami, site généalogique français, sis à Paris XVIe, qui se spécialise dans la généalogie des juifs de France polono-russes, mais aussi alsaciens [8]. Les dédales de la généalogie m’ont donc imposé un détour par les États-Unis avant de me ramener à Paris. A côté de ces sites de généalogie spécialisés — payants — dont le plus important est sans aucun doute, aux États-Unis, le jewishgen.org, se sont multipliés les sites historiques concernant telle ou telle région, comme les livres de mémoire de chaque ville ou région qui racontent l’histoire et l’émigration des juifs [9]. A condition de les chercher un peu, les sources non plus ne manquaient pas de ce côté là.

En travaillant sur ces données auxquelles j’ai cherché à fournir un cadre historique pour comprendre les conditions sociales du départ et d’arrivée de la migration, j’ai utilisé ces ancêtres comme une porte d’entrée vers un groupe auquel je consacre aussi un intérêt qui tente de relever de la science, celui du réseau des juifs de Suwalki arrivés à Paris entre 1860 et 1900. Chassez le naturel, il revient au galop. Bref, d’un côté je vis une « passion », avec des accès plus ou moins prononcés de « fièvre généalogique », et de l’autre je souhaite faire de cette quête sinon une « science » ou tout au moins lui trouver un débouché scientifique (Barthélémy et Pingaud, 1997).

Du côté paternel : les juifs de Suwalki

Il s’agissait de comprendre les raisons du départ de Bernard et Rosalie et les modalités de leurs conditions d’installation dans la capitale. À partir d’informations sommaires, et suivant ce même cheminement décrit par Morgan, j’ai fait quelques avancées permettant de mieux connaître l’histoire de ces juifs russo-polonais, dont l’émigration à Paris ou aux États-Unis [10], particulièrement précoce, a précédé de deux générations les grands mouvements migratoires de l’entre-deux-guerres. Internet, consultation de sites généalogiques et de fonds d’archives, rencontres in praesentia, lectures, visites des cimetières, me servent à éclairer l’histoire de cette migration moins étudiée que celle des années qui ont suivi la première guerre mondiale (Epelbaum, 2002).

Si la Pologne du XVIe a été réputée comme le paradisus Iudaeorum, après son partage à la fin du XVIIIe siècle et la disparition du pays comme Etat-souverain, les juifs polonais furent soumis aux diktat des puissances, liés à un antisémitisme de plus en plus virulent de la Russie et de l’empire austro-hongrois auquel succéda l’empire allemand. Selon Marlene Silverman, les « gubernias » (provinces) de Suwalki et Lomza, du Royaume de Pologne, connues sous le nom de « Pologne congrès » ou « Pologne russe », avaient été crées en 1866 à partir de la province de Augustow [11], située à la frontière de la Lituanie et de la Russie ; les juifs russo-polonais n’étaient pas autorisés à se marier hors de leur province, de sorte qu’il y eut un grand nombre d’inter-mariages. Au début des années 1840, les Juifs y dominent la vie économique, y compris à Suwalki, de sorte que le gouverneur polonais a conseillé de ne pas ouvrir le service militaire aux Juifs parce que « ce pourrait amener le ralentissement économique de la zone » [12]. Compte tenu des sentiments antisémites du gouvernement et de la population, compte tenu de l’épée de Damoclès qu’était l’imposition aux Juifs d’un service militaire de 25 ans dans l’armée russe, nombre d’entre eux quittèrent pourtant Suwalki et ses environs pour émigrer, principalement aux États-Unis, en Suède, en Afrique du Sud et Amérique du Sud, et un petit groupe en France, à Paris.

C’est alors évidemment que ma fibre chercheuse a fait sa réapparition et que, en relevant les actes d’état civil relatifs à mes ascendants directs et alliés, j’ai rencontré cette dizaine de patronymes très caractéristiques d’originaires des mêmes villes de Suwalki, Przerosl, Bakalarzewo, tous résidants du même arrondissement parisien, formant une parentèle solide au sein de laquelle s’inscrivent Bernard et Rosalie. Endogames au pays d’origine, ils le sont encore plus au pays d’arrivée et les enfants vont se marier au sein de ce réseau régional juif, jusqu’à la fin du XIXe siècle (soit deux générations). Le petit connubium matrimonial s’inscrit dans un tissu professionnel particulier et une proximité résidentielle très dense.



A Paris, une parentèle très dense

Quand Bernard et Rosalie se marient, voilà au moins trois années qu’ils résident à Paris, car leurs noms figurent sur le recensement des Juifs de 1872 [13]. Il existe déjà une petite communauté de Juifs originaires de Suwalki dont la trace nous est donnée par la fondation d’une association qui prit le nom de « Secours mutuels des israélites polonais de la loi rabbinique » fondée en 1856, ouvrit la « Petite synagogue de Sulwalki », indépendante du Consistoire rue des Lions Saint-Paul (Epelbaum, 2002 : 28) [14]. Selon Nancy Green (1985), on compterait alors environ 1 260 personnes (en totalisant tous les juifs d’Europe de l’Est). Les nouveaux arrivants trouvent rapidement à s’insérer dans le réseau économique de la confection qui se développe vigoureusement dans un Paris de la seconde moitié du XIXe siècle où l’industrie de la mode est très active. Les Juifs se spécialisent dans le chapeau. A leur mariage, en 1875, Bernard et Rosalie qui résident rue Geoffroy Lasnier, 25, sont déclarés tous deux ouvriers casquettiers, mais, faute d’informations, on ne peut savoir s’ils exerçaient cette profession dans leur ville d’origine, ni celle de leurs parents. Par cet emploi qui leur a été procuré selon toute vraisemblance par les plus anciennement arrivés, ils se trouvent insérés au sein d’un réseau de parents, d’alliés, voisins qui les ont précédés dans le métier. Selon les mécanismes classiques de la migration, ils sont accueillis par des co-religionnaires et des membres de leur région d’origine qui les aident à se procurer un premier logement et un emploi. Nancy Green a consacré un ouvrage au Pletlz (petite place) parisien, et mes deux ancêtres s’y logent à la perfection sur le plan résidentiel et professionnel. La zone de résidence — le IVe arrondissement — « abritait à lui seul la moitié de la population immigrée est-européenne » (1985 : 99) ; le bassin d’emploi est celui de la confection, avec la fabrication des casquettes dont les juifs immigrés de Russie se font une spécialité. Le métier s’organise sur un système de petits ateliers qui fonctionnent avec de la sous-traitance dans des conditions de travail et de résidence d’une grande insalubrité que ne manquent pas de remarquer et de stigmatiser les observateurs. Certains, toutefois, réussissent mieux que d’autres et en viennent à s’installer à leur compte.

Maurice Lauzel a consacré une étude sociologique et technologique à ce métier (1912), ouvrage que j’ai pu lire sur le net. L’auteur indique que « le métier de casquettier s’apprend vite, surtout dans la spécialité de « mécanicien » ; au bout de trois ou quatre semaines d’apprentissage un mécanicien est formé et gagne déjà trois francs par jour » (1912 : 12-13). S’il faut être un « virtuose de la machine à coudre », on trouve cependant facilement un emploi.

En combinant aux données de l’état civil les repérages dans le « calepin de propriété bâtie », j’ai pu suivre le cours de la vie familiale de Bernard et Rosalie, que scande la naissance de leurs cinq filles. Entre leur mariage et le décès de Bernard (1919), ils déménagent souvent, tandis que Bernard abandonne le statut d’ouvrier casquettier pour se lancer dans le petit commerce.

En 1876, Bernard et Rosalie passent de la rue Geoffroy L’Asnier où ils occupent une « grande chambre et une cuisine » [15] au 22, rue Charlemagne. Leur logement sis dans le 2e corps de bâtiment, au fond de la cour, est situé au 3e étage à gauche et comporte maintenant « deux pièces à feu et une cuisine ». Bernard se lance dans le commerce ; il est alors désigné comme marchand forain ou encore « marchand de bimbeloterie commun avec détail en ambulance » [16]. Un an plus tard, à la naissance de Rachel en 1877, il est dit marchand de casquettes ; en 1880, à la naissance de Lina — ma grand-mère — casquettier à nouveau, en 1884 à la naissance de Jeanne, employé de commerce, à celle de Ida en 1887, voyageur de commerce et en 1889 à la naissance de Marthe, marchand forain ; à son décès en 1919, 22 rue du Petit musc, il est dit négociant. Il a pu s’arracher au métier d’ouvrier pour faire du commerce et ne sera pas du nombre des ouvriers qui participèrent à une grande grève en 1911-1912 (Gomolinski, 2006. Les déménagements fréquents du couple se font au sein d’un espace résidentiel circonscrit, entre la rue Charlemagne au Nord et la rue Geoffroy l’Asnier et de l’autre, la rue Saint-Paul, au Sud le Quai de l’Hôtel de ville.

C’est au sein de ce quadrilatère, rue des Lions Saint-Paul, rue Saint-Paul, rue des Jardins, rue des Nonnains d’Hyères, rue du Petit musc que se concentre leur parentèle des Weinstein, Ratzkowski, Midlarski, etc.. Les mariages s’y nouent à l’intérieur au cours de deux décennies, et l’on peut observer, au fil du temps, l’évolution de la carrière et du revenu de ces parents et alliés, à partir des déclarations des professions à l’état civil. Bernard et Rosalie, de ce point de vue, sont mal partis, avec cinq filles à entretenir et à marier : pouvoir s’appuyer sur un jeune fils est un atout pour créer son entreprise ou entreprendre une ascension sociale. Le cousin Bernard (ou Gaspard ou Ezechiel) Weinstein (ou Wynstyn ou Winstyn) a été plus gâté par le hasard démographique. Il a trois fils et deux filles qui se marient dans le cercle parental ; à son mariage en 1888, Henri, son fils aîné, né en 1862 est dit « ouvrier mécanicien », ce qui d’après l’étude de Maurice Luzel est un échelon haut placé dans la hiérarchie tant dans la fabrication que des produits fabriqués : casquettes ordinaires ou de luxe. Dans sa demande de naturalisation figure d’ailleurs une facture portant l’en-tête de son entreprise : « Fabrique de Casquettes H. Weinstein, 22 rue des Nonnains d’Hyères. Casquettes de soie drap et fantaisie pour enfants. Bonnets de voyage » [17]. Sur l’en-tête d’un document publié par Gomolinski (2006), qui date de 1902, Henri Weinstein a fait figurer les médailles qu’il a gagnées lors de concours professionnels et la mention « exportation ». A côté des bonnets d’enfants qui semblent toujours sa spécialité, sont mentionnées les casquettes pour cyclistes. Le second frère, Edouard est dit « marchand colporteur » quand il se marie en 1888 et à sa demande de naturalisation en 1895 « marchand de chiffons » ; quant au troisième frère, Heymann, né en 1867, il est dit « marchand forain » lorsqu’il dépose sa demande de naturalisation en 1894.

Les écarts sociaux entre les cousins se repèrent en comparant les sépultures du carré juif du cimetière de Bagneux. Non loin de la tombe de la chanteuse Barbara (avec qui je partage, les mêmes origines juives, sinon de façon inversée, puisque son père était alsacien et sa mère originaire de Moldavie, en Ukraine), un imposant tombeau en marbre est celui des familles Weinstein Kaufmann Midlarski, avec une stèle sur laquelle figurent les noms des défunts, encadrée de deux colonnes et comportant un élégant péristyle encadrant les tables de la loi [18]. C’est le caveau de Heymann, dans lequel reposent plusieurs descendants et alliés. Rebecca Weinstein, la femme de Bernard, décédée en 1939 y est enterrée aussi. Selon les informations orales de mon père, les frères Weinstein, et notamment Heymann, ont fait fortune en 1914 dans la récupération des vieux métaux [19]. « On allait récupérer les balles, les douilles de la guerre 14-18, ils tiraient le cuivre, le zinc pour faire mille tonnes de déchets de cuivre. Heymann a racheté des autobus de la guerre de 14 » [20].

A côté de cette tombe, une chapelle funéraire imposante est celle de Henri, frère de Heymann au fronton de laquelle est indiqué Famille Henri Weinstein ; y sont enterrés Henri, son épouse Rachel Mintz et leur fils Bernard. Au fond de la chapelle, un magnifique vitrail figure deux cerfs debout portant les tables de la loi, peut-être sous un insigne maçonnique.

Pour sa part, Bernard, décédé en 1919, est enterré dans une sépulture plus modeste d’aspect, mais plus impressionnante car il est un parmi une quarantaine de défunts enterrés dans un tombeau collectif. Il était donc affilié à une de ces nombreuses associations d’entraide fondées par les migrants. Ce tombeau est surmonté d’une haute stèle en forme de tables de la loi, en haut de laquelle figure la mention TSEDOKO TATSIL MIMOVES, transcription de l’inscription hébreu qui figure sur la partie droite et qui se traduit par « La bonne action, la charité sauvera de la mort » [21], tandis qu’à gauche les caractères hébreu indiquent : ME SOUWALK, soit « de Souwalki ». Sur la partie dressée, comme sur la partie basse, figurent les noms des défunts, enterrés à l’égide de cette société d’entraide. Bernard fait donc partie de tout ce petit peuple juif du quartier qui n’a pas réussi à rassembler assez d’argent pour s’offrir une tombe personnelle ou un caveau familial, contrairement à la branche de ses cousins Weinstein, qui manifestent dans la mort leur aisance financière récemment acquise. Sa veuve, décédée plus tard, bénéficiera, en raison de sa parenté, d’une place dans le tombeau des dits cousins.

Un sondage dans les actes d’état civil montre que jusque dans les années 1890, le mariage reste circonscrit aux originaires de Suwalki et de Prorochlé, dont les noms figurent sur ce tombeau collectif. La première génération d’arrivés s’intermarient, restent groupés géographiquement dans leur arrondissement et travaillent dans le même secteur. Si ma grand-mère Lina se marie en 1900 avec un originaire d’une autre région de Pologne, une des sœurs de son époux s’était mariée avec un originaire d’une autre ville de la région de Suwalki, Bakalarzevo, en 1896. Selon ce que mon père m’en a dit, le mariage de mes grands-parents se fit par présentation. Les liens de cousinage se maintinrent à la génération suivante puisque la fille de Lina épousa un cousin de celle-ci, Georges, fils de Heymann.

L’autre branche russo-polonaise

Tout en conservant ses liens avec ses co-originaires, Lina épouse un autre coreligionnaire, né à Kattowice, une ville située à 80 kilomètres de Cracovie, Israël Appel. Membre d’une fratrie de dix enfants, à l’âge de 13 ans, il a rejoint Paris, ses parents et frères et sœurs qui l’y avaient précédé. Pour reconstituer sa trajectoire sociale, outre l’état civil et le « calepin » des résidences, j’ai pu utiliser, comme pour les Weinstein, une autre source, les dossiers de naturalisation des parents et de la fratrie qui livrent des informations généalogiques, sociales, culturelles. Samuel Appel, père de mon grand-père, est né en 1843, à Chrzanów, aujourd’hui située en Voïvodie de Petite-Pologne, mais partie de l’Empire d’Autriche-Hongrie, jusqu’en 1918. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, la moitié de la population de la ville était juive [22]. Samuel s’est installé à Kattowice, à 20 kilomètres de son lieu de naissance, où il exerce le métier de cordonnier et où naissent ses dix enfants entre 1864 et 1881. Il arrive à Paris en 1884 ou 1885. L’examen de ses multiples tentatives de naturalisation permet de recueillir une importante quantité d’informations sociales sur le couple et ses enfants, comme il révèle l’antisémitisme de l’administration, particulièrement sensible dans les années 1910. Sa situation en France n’est pas brillante, une des raisons pour lesquelles sa naturalisation lui sera refusée. Sur les documents sur lesquels son nom apparaît, il est tantôt diamantaire, marchand en coutellerie, et le plus souvent mentionné comme sans profession, vivant du soutien de ses enfants qui résideront assez longtemps avec lui, rue Rochechouart. Dans sa première demande « d’admission à domicile », prélude à la constitution d’un dossier de demande de naturalisation qui date de 1892, Samuel explique qu’il était « maître cordonnier » à Kattowice. Une seconde demande qui date de 1896 est refusée avec la mention suivante : « Les renseignements recueillis sur le compte du postulant ne lui sont pas très favorables : a laissé des dettes dans les divers domiciles qu’il a occupés. Une demande d’admission à domicile formée en 1892 a été ajournée en 1893 : le postulant était signalé comme recevant d’Allemagne une volumineuse correspondance et étant en relation avec de nombreux étrangers. Cette famille semble peu intéressante » [23]. Dans le climat d’antisémitisme et d’antigermanisme de l’époque, l’administration française ne voulut pas prendre de risques, connaissant évidemment le militantisme de gauche de ces Juifs russes.



Selon le récit que fit mon père de l’histoire de sa famille, Samuel avait déserté pour échapper au service militaire, et arrivé à Paris, a fait venir ses enfants les uns après les autres comme Israël qui est arrivé grâce à un système de relais : « il a fait la Pologne à l’âge de 7 ans, il est passé en Allemagne, en Autriche (où il a été arrêté ; en prison, il a vu des oiseaux et s’est dit je serai libre) » [24]. A l’entendre, on croit lire ces lignes de l’ouvrage de Nancy Green : « Les émigrants qui décidaient de se rendre en France savaient qu’ils devaient faire une partie du voyage à pied, se faufiler à la frontière russo-allemande, pour prendre un train qui les conduirait directement gare du Nord » (1985 : 65).

En 1901, un mois après leur mariage, mon grand-père Israël et ma grand-mère Lina demandent à leur tour leur naturalisation. En leur faveur, leur dossier mentionne que sur les dix enfants, trois frères et deux beaux-frères sont déjà naturalisés. A l’exception de l’un d’entre eux, qui se dit interprète et un autre qui travaille à la bourse, les autres sont tailleur ou fourreur, et les sœurs figurent comme couturières avant leurs mariages. Israël est aussi dit tailleur pour dames, et indique gagner 300 frs par mois [25]. Comme de nombreux juifs, ces Russes nouvellement arrivés s’insèrent dans l’économie française par la voie de la confection, mais à un niveau supérieur à celui du milieu des casquettes : il s’agit d’une confection pour « dames » inscrite dans le mouvement de la mode, ce qui contribue à les ouvrir au monde économique et au monde social parisien à travers la relation avec une clientèle féminine bourgeoise qui a les moyens de s’offrir des fourrures. Les adresses professionnelles des frères et beaux-frères de Israël, situées proches les unes des autres, dans le quartier de la Madeleine et de l’Opéra : rue Rochechouart, rue Vignon, rue Ste Anne, place de la Madeleine, rue de la Chaussée d’Antin montrent qu’il sont sortis du pletzl, et se sont rapprochés du cœur économique du Paris de la fin du siècle. Attestent d’une certaine aura dans leur secteur professionnel, des annonces publiées dans des magazines de mode. Si plusieurs membres de la fratrie A. émigrèrent par la suite qui en Argentine, Angleterre, États-Unis, pour leur part, Israël et Lina vécurent d’abord à Garches où, après deux filles, mon père est né en 1908, puis s’installent rue Edouard VII dans trois pièces, une chambre pour les parents, une chambre pour les trois enfants. Tous deux tinrent d’abord une boutique de fourrure, rue Caumartin, puis à partir de 1929, une chemiserie exploitée jusqu’en 1941 [26]. Le chiffre d’affaires en 1940 est de 155 409 francs, et les bénéfices commerciaux s’élèvent à 8 641 : une entreprise modeste qui compte une seule employée. Quant à mon père, les études l’ennuient et il est introduit à 16 ans aux métiers de la bourse par un de ses oncles en tant que « grouillot », celui est chargé des courses [27] : il gagne bien sa vie et s’installe en célibataire à Neuilly-sur-Seine.



Du côté maternel : des juifs alsaciens à Paris

L’histoire des juifs alsaciens commence à être bien connue notamment grâce aux travaux fondateurs entrepris par Freddy Raphaël et son équipe. Selon Gilbert Weil (2001), les Juifs venus en Alsace, après les invasions dans le sillage de Romains judéisés, ont connu une période de prospérité au temps des villes carolingiennes, lieu de négoce et de rencontre d’une mosaïque de peuples où leur savoir-faire commercial était apprécié. Des chartes les protègent, leur garantissent le droit à la synagogue, au cimetière. A cette période de paix relative, succède un long épisode de dégradation qui culmine dans le massacre de 1349, alors qu’ils sont accusés de propager la peste. Gilbert Weil explique ce retournement socio-politique par le développement des villes qui décidèrent de les accabler d’impôts et par celui du pouvoir temporel et spirituel de l’Eglise chrétienne sur toute l’Europe qui leur assignait la figure du traÎtre et du maudit. À partir du XVIe siècle, le judaïsme alsacien semble renaître de ses cendres. En 1500, on estime à 100 le nombre de familles ; on en recense 522 en 1689. Après le traité de Westphalie en 1648, le passage de l’Alsace sous domination française leur fut relativement favorable et la population connut une véritable explosion démographique, puisqu’au dénombrement de 1784 on comptait 4 000 familles soit 20 000 juifs. Interdits de séjour en ville, ils devinrent les Juifs « de la journée ». Interdits d’agriculture, ils se spécialisent, par défaut, au XVIIIe siècle dans le commerce, brocante, usure, commerce des bestiaux et particulièrement des chevaux.

L’acte du 27 septembre 1791 reconnut aux Juifs la citoyenneté française : « La Révolution française a constitué pour les Juifs une véritable levée d’écrou [..] Mais ce n’est qu’à l’issue d’une longue marche dans la seconde partie du XIXe siècle que le judaïsme connaît son épanouissement » écrit Freddy Raphael (2001 : 9). Ma lignée maternelle s’inscrit dans cette histoire et sa reconstitution biographique montre comment s’accomplit, au niveau individuel d’une famille, cette « longue marche » : quatre générations ont été nécessaires pour parvenir à l’embourgeoisement des ascendants paternels de ma mère dans la ville de Strasbourg. En croisant les données du dénombrement général des Juifs [28], et de l’état civil, j’ai repéré un Moyse B. qui s’est marié à Hatstatt [29] en 1759. Ces Juifs ne sont pas parmi les plus pauvres ; quand Moyse se marie en 1758, la mariée reçoit une dot de 500 livres et la Ketouba [30] indique une somme de 1000 livres (Fraenckel, 1997). C’est peut-être ce qui leur permet de s’installer à Strasbourg, où selon la légende familiale, les B. auraient été une des premières familles juives à s’y déplacer, alors que, selon les historiens, les Juifs ne quittèrent que lentement leurs villages. Il est avéré que le fils de Moyse, Emmanuel, né à Hatstatt en 1760, habite Strasbourg, 103 Grand Rue, à la naissance de son fils né en 1803.

Alors commence la lente amélioration socio-économique d’une lignée qui va alterner sur quatre générations la transmission des prénoms masculins, Moyse et Emmanuel. Gilbert Weil écrit : « Dans la période qui débute avec Louis-Philippe, le[s] activités nomades [des Juifs] se sédentarisent et prennent un caractère plus noble : la possession d’un magasin est aussi une voie vers l’intégration bourgeoise » (2001 : 150). Le parcours social de la famille B. en est une bonne illustration. Le premier Moyse est déclaré marchand sur divers actes publics dont notamment celui des « déclarations de prise de nom » pour les juifs ; en 1808, Emmanuel, son fils est mentionné comme cocher [31], mais à son décès, il est « marchand ». Son fils, Moyse, né en 1803, est mentionné selon les actes d’état civil d’abord comme fripier puis négociant, terme plus noble ; il se marie en 1833, et ses deux fils, au recensement de 1866 [32], sont dits négociants, et l’un d’entre eux, plus précisément « employé dans une magasin de drap ».

Sur cinq générations, les mariages se font strictement à l’intérieur de la communauté juive. C’est à la génération trois que le saut social semble le plus évident, car Moyse épouse en 1833 la fille d’un instituteur, originaire de Landau en Bavière rhénane, fils lui-même d’un rabbin. Parmi les enfants du couple, une fille épouse un négociant de Sainte-Marie-aux Mines, fils d’un rentier ; elle se voit attribuer en dot une somme de 24 000 frs [33]. A cette date, février 1868, Moyse est lui-même déclaré « rentier ». Les deux fils épousent deux sœurs natives de Worms, filles d’un marchand de bois, issu d’une très vieille famille juive dont la présence à Worms est attestée jusqu’au XVe siècle. L’un des mariages a lieu à Worms en 1864, l’autre en 1868 à Strasbourg. On peut juger de l’embourgeoisement et de la réussite sociale des familles aussi à la lecture des professions des témoins parmi lesquels figure même un cousin par alliance de l’époux qui était venu de New York où il résidait. Et leur intégration dans la société se manifeste également à travers les prénoms qui sont donnés aux enfants : les deux fils se nomment Emmanuel et Léon, et la fille Hortense Agathe.

Ce sont ces deux couples qui vont quitter Strasbourg pour Paris en 1872, soit deux ans après la naissance de mon grand-père paternel et opter pour la nationalité française entre le 15 et le 20 septembre 1872 [34]. Ils auront pour l’un six enfants, pour l’autre, quatre auxquels on donne de nombreux prénoms, juifs et français. Emmanuel et Sarah Jeanne nommeront ainsi leurs fils Moise Henri Louis Joseph, Vallière Jules Edouard Gaston, etc.. et ses filles Frédérique, Blanche Eugénie, Marguerite Adrienne Flore Lucie. Quant à Léon et Frédérique, ils nommeront les leurs Eugénie, Emmanuel Gaston (mon grand-père), Sarah Jeanne, Moise Maurice. Les deux frères et sœurs attribuent de façon croisée à leurs neveux et nièces leurs propres prénoms pour renforcer les liens familiaux. Dans le langage courant comme dans les actes notariés, ce sont les prénoms français qui sont utilisés : mon grand-père paternel était connu sous le nom de Gaston.



Après l’annexion de 1870, plus de 6 000 juifs ont quitté l’Alsace. Léon Strauss note que « en donnant en 1872 la possibilité d’opter pour la nationalité française, Bismarck a permis aux Alsaciens-Lorrains de manifester leur sentiment sur leur appartenance nationale. Les Juifs et plus particulièrement les juifs citadins et bourgeois ont proportionnellement plus opté pour la nationalité française et plus émigré en France en 1871-1872 que leurs compatriotes chrétiens. L’émigration des juifs vers Paris était déjà importante avant 1871, mais elle se renforça après ; en 1872, 34 % des Juifs de Paris étaient nés en Alsace-Lorraine » (2001 : 159). Résidant dans le Ve arrondissement, rue des Fossés Saint-Jacques, rue de la Sorbonne, les frères B. s’installent comme tailleurs militaires, 16 boulevard Saint-Michel, comme l’indique le Bottin professionnel [35] ; puis, à la même adresse, après le décès du père de mon grand-père en 1892, sa veuve et son beau-frère Emmanuel B. fondent une société « de commerce de marchand tailleur et fournitures d’équipements militaires » au capital total de 488 567,75 frs [36].

Mes arrière grands-parents furent donc des « fous de la République », selon la formule de Pierre Birnbaum (1992), non pas des Juifs d’Etat mais sur un registre plus modeste, une lignée viscéralement française, mariant judaïsme et nationalisme. En reste une trace matérielle, outre la transmission des formulettes orales mentionnées plus haut : notre famille a conservé longtemps une de ces mappoth [37] patriotiques, à propos desquels Robert Weyl et Martine Weyl écrivent : « Les Juifs d’Alsace se sentent profondément français et ils le montrent naïvement. Le bleu, blanc, rouge du drapeau national figure désormais [vers 1830] sur les Mappoth alsaciennes. Fleurs tricolores, lettres tricolores, drapeau tricolore » (1975 : 132) qui alternent avec des lettres hébraïques.

Cette petite bourgeoisie commerçante était donc socialement éloignée de la haute bourgeoisie juive dont la densité des réseaux familiaux et matrimoniaux a bien été mise en évidence à travers les études que Cyril Grange leur a consacrées en se fondant sur des corpus importants (Grange, 1999, 2005). Au tournant du XXe siècle, elle poursuivait ses efforts de promotion sociale, manifestée par le diplôme de médecin de mon grand-père. Au mariage de sa sœur Eugénie en 1894, il est dit « étudiant en médecine », mais trois ans plus tard au mariage de son autre sœur, Jeanne, en 1899, à 28 ans, il est « docteur en médecine », résidant toujours avec sa mère veuve 11 rue des Fossés Saint-Jacques.

C’est alors qu’intervient un premier hasard qui lui fait faire un mariage totalement hors de l’épure sociale et familiale. Alors que ses deux sœurs ont épousé des français juifs d’origine alsacienne, appartenant aussi à la bourgeoisie moyenne, Gaston Emmanuel épouse une jeune fille catholique, issue d’un milieu modeste, mais alsacienne comme lui. Antoinette G. est née à Paris en 1881 ; la reconstitution de sa généalogie montre que sa famille paternelle est originaire de petites villes du Bas-Rhin où les hommes sont mentionnés comme « journalier » ou « laboureur ». Au mariage de son grand-père paternel en 1847, à propos du père de la mariée, porté comme maréchal-ferrant, l’état civil mentionne que son « domicile est inconnu et [son] existence incertaine étant parti pour l’Amérique », ce que prouve un « acte de notoriété ». Par ailleurs, le père de l’époux signe d’une croix, « ne sachant écrire » [38]. La famille maternelle, originaire du Haut-Rhin, semble d’un niveau social supérieur ; le grand-père maternel d’Antoinette était instituteur à Mulhouse ; on relève des propriétaires parmi ses ascendants.

Natifs d’Alsace, les parents d’Antoinette ont aussi quitté l’Alsace pour Paris sans pour autant d’ailleurs opter pour la nationalité française. Deux des frères de mon arrière grand-père figurent parmi les « optants », mais pas lui [39]. Ils se marient à Paris en 1878, François Antoine G., tailleur, épouse Marie Jeanne S., giletière. Après avoir demeuré dans le 15e arrondissement, les G. résident 43 rue des écoles. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer la rencontre entre Gaston et Antoinette : soit la fréquentation d’associations d’Alsaciens-Lorrains, soit la proximité résidentielle du Ve arrondissement, une relation professionnelle, puisque les B. étaient tailleurs et faisaient sûrement appel à des façonniers comme François G. Quoi qu’il en soit, le mariage de Gaston et Antoinette, le 24 juillet 1906, est doublement hétérogame : sur le plan religieux — le mariage est seulement civil ; sur le plan social, entre deux familles qui n’avaient pas le même niveau d’aisance et ne fréquentaient pas les mêmes cercles sociaux. En témoigne leur contrat de mariage passé chez le notaire de la famille qui gère les affaires du commerce de vêtements, par lequel Gaston apporte en avoir indivis notamment dans des maisons à Strasbourg plus de 100 000 frs, alors qu’Antoinette apporte seulement les meubles d’une salle à manger, d’une chambre à coucher et une batterie de cuisine, pour 3 000 frs [40].

De plus, ce mariage légitimait la naissance d’un enfant survenue deux années plus tôt, que Gaston avait d’abord simplement reconnu en 1905, selon les lois de l’époque. On peut supposer que la mère de l’enfant travailla à convaincre Gaston de l’épouser et on peut aussi supposer — et il en reste des traces dans la mémoire familiale — que ce mariage ne plut ni à ses sœurs et beaux-frères, un milieu resté très judaïsant, encore moins à sa mère, veuve, qui mettait tous ses espoirs dans l’ascension sociale de la famille, à travers un « beau mariage » pour son fils.



Ce sont les revenus du magasin de vêtements pour militaires qui vont permettre d’installer Gaston comme directeur d’une clinique au début du XXe siècle à Neuilly-sur-Seine, une ville qui compte 60 000 habitants au tournant du siècle. « Dans la seconde moitié du 19e siècle, Neuilly voit fleurir sur son territoire une multitude de cliniques, de maisons de santé et de soins, privées. Situées dans un environnement privilégié, elles attirent une clientèle aisée. On connaît l’hôpital américain construit par l’architecte Charles Knight en 1910 » [41]. Parmi les établissement plus modestes, est fondée une clinique en 1907 par le Dr J., dans un bel hôtel particulier au sein d’un jardin, rue Saint-Pierre, dans une rue qui débouche sur l’église du même nom, construite entre 1883 et 1914. Pour un loyer de 13 000 frs par an, Gaston B. reprend le droit au bail et, sous le titre de « Maison de santé chirurgicale du Dr Gaston B. », développe une clinique moderne pour l’époque. Sa singularité et sa renommée locale lui valent d’être prise en photos qui sont vendues en cartes postales, comme la plupart des lieux importants de la ville. Selon la mention figurant sur l’une d’entre elles, la clinique dispose d’une « salle d’Electrotérapie et de Radiologie » ; s’y pratiquent surtout opérations chirurgicales et accouchements. Elle est sise dans une villa qui comporte 33 chambres, salons, salles d’opération et dépendances. En 1939, le chiffre d’affaires s’élevait à 965 273 francs et le bénéfice net à 21 092 francs. Jamais le Dr Gaston B. n’acquerra le fonds dont le bail s’élève à 70 000 frs par an en 1941 [42].

Gaston et Antoinette louent, de l’autre côté de la rue, un appartement assez vaste pour accueillir les six enfants qui naîtront de leur mariage. Ma mère est la dernière, née en 1918, après cinq garçons.

Un mariage désassorti sur le plan social, culturel et religieux

« On n’apparie pas un geai avec une agace ». Proverbe que citait Alain Girard, pour résumer sa grande thèse concernant le choix du conjoint, première œuvre importante de sociologie de l’après-guerre. Dans une enquête socio-démographique conduite en 1958, auprès de couples qui s’étaient mariés avant et après la guerre, il montrait que, bien que les mariages se fissent désormais librement, et sur le sentiment amoureux, le choix du conjoint n’était pas socialement libre, mais fortement conditionné par l’homogamie. Une homogamie de résidence, « la majorité des mariages, sept sur dix, sont contractés entre personnes ayant les mêmes origines : dans deux ménages sur dix, les deux conjoints sont nés dans la même commune, trois sur dix dans le même canton, plus de cinq sur dix dans le même arrondissement » (1964 : 188), mais surtout sociale et religieuse. « La fréquence de l’homogamie sociale est deux fois plus forte que si les mariages se concluaient indépendamment des origines sociales des partenaires » (1964 : 75-76). Reprenant l’enquête d’Alain Girard plus de trente années après, et l’élargissant au choix du compagnon, Michel Bozon et François Héran (1987) ont démontré les mécanismes sociaux de l’homogamie. On se marie généralement « sur la diagonale » du tableau croisant l’appartenance sociale des deux partenaires. En se demandant pourquoi il en allait ainsi, Girard, puis ses successeurs ont souligné que l’homogamie était la conséquence de la ségrégation sociale des espaces. Dans la mesure où les mariages ne sont plus arrangés par les familles ou par des entremetteurs, c’est à la sociologie des lieux de rencontre des jeunes qu’il faut s’intéresser ; ainsi le bal ou plutôt les bals : les bals des pompiers et celui des polytechniciens sont fréquentés par des publics spécifiques, d’origines socialement semblables, de sorte que, résume Alain Girard, on se « trouve » plus qu’on ne se choisit.

En tant que sociologue et ethnologue, on met ainsi en évidence des règles et des régularités cachées, auxquelles on a peu de chances d’échapper. J’ai épousé mon semblable, avec des origines sociales proches des miennes, qui nous ont conduit tous deux vers une école où nous avions toutes les chances de nous « trouver », d’autant plus que notre taille — excessivement grande pour l’époque — nous donnait toutes les chances de nous repérer.

L’enquête sur mes origines familiales me montre que du côté maternel, on observe deux mariages qui échappent à la règle girardienne, celui de mes grands-parents maternels, celui de mes parents. A l’inverse du couple de mes grands-parents maternels dans lequel c’était le mari qui était le mieux doté socialement, dans le cas de mes parents, c’est l’inverse : mon père mentionnait souvent l’arrêt de ses études et le regret qu’il en éprouvait. C’est en établissant leurs généalogies sociales respectives que j’ai pu réaliser à quel point étaient éloignés les milieux sociaux dont étaient originaires mes parents, alors que je n’en avais eu que le pressentiment ou le sentiment au cours de mon existence. Ce qui n’empêcha nullement leur vie matrimoniale d’être des plus heureuses.

Tous deux résidaient à Neuilly, tous deux étaient juifs, mais sous ces apparentes proximités résidentielles et religieuses, selon les critères d’Alain Girard, la distance sociale et religieuse était importante. Les A., une famille aux origines françaises encore fraîches, doublement originaires de Pologne et Russie, les B. une lignée ancienne d’Alsaciens qui, s’étant arrachés à leur pays d’origine en 1870, se considéraient comme les plus patriotes des Français. Les A., une famille insérée dans une parentèle totalement juive, alors que le père de ma mère avait déjà fait un grand écart en épousant une catholique. Les B. n’étaient pas juifs, ils se disaient « Français israélites », selon le vocable de l’époque qui montrait — d’après eux — leur intégration définitive dans la société et leur distance d’avec les autres juifs récemment arrivés en France. Dans ce milieu, on était franchement antisémite face aux « Polaks ». D’un côté, un jeune homme issu d’une famille modeste travaillant dans un secteur peu valorisé aux yeux de l’autre côté, celui de la fourrure et de la couture ; s’il est à l’aise financièrement, ses perspectives d’accéder à une plus haute fonction dans la finance — secteur également peu valorisé alors — sont minces en raison de son manque de diplômes ; de l’autre côté, une très jeune fille qui commençait à se lancer dans des études de médecine, fille d’une personnalité locale de la ville, puisque la clinique a été fréquentée depuis sa fondation par la bourgeoisie de Neuilly. Les aspirations et les stratégies sociales des deux familles étaient certainement différentes (Delsaut, 1976).

Mes parents n’avaient donc aucune chance sociologique de se rencontrer dans des lieux vers lesquels leurs origines sociales auraient pu les mettre en présence : mon père vivait sa jeunesse dans son cercle de copains de la bourse, ma mère vivait la sienne avec les camarades de ses frères. Le hasard a pris la forme d’une intervention chirurgicale subie par la sœur de mon père dans la clinique du Dr. B. Cinquante ans après, mon père raconte [43] : « Je vais voir ma sœur. En redescendant de sa chambre, j’aperçois une jeune fille blonde, dans un tailleur, élégante et fine, avec des livres sous le bras qui rentre dans l’appartement en face de la clinique ». Peut-on voir dans ce récit l’expression même de l’amour moderne provoqué par une apparition, un éblouissement ? [44] « Ma sœur fait l’entremetteuse. Je vais voir le Dr B.. La première chose qu’il me demande, c’est "Comment vous appelez-vous ? " "Je m’appelle Paul Axxx". "Ce n’est pas Axxx..ovitch ?" ». Dans ces années noires d’antisémitisme généralisé, mon grand-père fut réconforté à l’idée que sa fille ne porterait pas un patronyme trop stigmatisant. La rencontre eut lieu en septembre et le mariage fut célébré en janvier 1939.

Comme l’Amérindien qui cherche son sentier

Giovanni Levi notait qu’on recourt à la biographie « afin de souligner l’irréductibilité des individus et de leurs comportements à des systèmes normatifs généraux, au nom de l’expérience vécue ; dans d’autres travaux, en revanche, elle est perçue comme le lieu idéal où éprouver la validité des hypothèses scientifiques concernant les pratiques et le fonctionnement effectif des lois et des règles sociales » (Levi, 1989 : 1325). Les généalogies ici présentées — à travers l’esquisse de biographies individuelles — relèvent des deux perspectives. D’un côté, le choix de migrer, de quitter l’environnement familial et social, la volonté de s’arracher à la fatalité d’un service militaire trop long ou d’un asservissement à l’ennemi sont le fait d’individus dont les décisions sont dictées par l’analyse des circonstances socio-politiques. En même temps, la démarche migratoire comme les inscriptions professionnelles et résidentielles, si elles résultent de choix singuliers, s’inscrivent dans des mouvements collectifs. La plupart de ces biographies individuelles sont « modales » (Levi, 1989 : 1332) en ce qu’elles servent à illustrer des formes typiques de comportement ou de statut. Les biographies de Bernard, Henri, Gaston ou Paul racontent ce qu’il en est de leur groupe social. Mais dans un cadre pré-construit jouent ensuite les variations individuelles : les dispositions de caractère, le hasard démographique qui vous donne des fils ou des filles, la rencontre avec un cousin mieux placé que vous dans l’échelle sociale, l’élan amoureux, etc.

Optant pour la démarche de l’Amérindien en quête d’un sentier, j’ai construit ma démonstration sur le rassemblement de traces diverses qui ouvrent des fenêtres sur des éclats de vies individuelle et de vie sociale. Pour passer du singulier au collectif, je suis partie d’une adresse personnelle pour m’intéresser à tout un quartier, d’une mention professionnelle figurant sur un document d’état civil à l’étude du milieu, d’un nom sur une tombe aux formes d’entraide collective au moment de la mort. En comparaison avec mes travaux antérieurs, fondés sur le recueil manuel d’archives, Internet et les outils numériques ont modifié sensiblement les conditions de cette enquête. Plus de recopiage des sources archivistiques classiques : il suffit de les photographier avec son Iphone pour les voir apparaître sur son écran d’ordinateur ; les temps consacrés à la recherche de l’état civil d’une parentèle sont considérablement raccourcis, lorsqu’on peut les consulter chez soi en chaussons sans avoir à se déplacer dans un dépôt d’archives ; des sites improbables de lignées déjà reconstituées ou consacrés à de vieilles réclames de mode peuvent être découverts au hasard d’un surf sur internet. Si la quête généalogique se trouve démocratisée, elle a créé de nouveaux marchés lucratifs puisque les sites, les logiciels, etc. sont payants. Elle est aussi désacralisée puisqu’on ne travaille plus dans le lieu saint des Archives. Sur l’écran peuvent surgir des images porteuses d’émotions contraires : de l’ordre du ravissement, devant l’élégance des manteaux proposés par le grand-oncle fourreur parisien à la fin du XIXe siècle, mais aussi de l’ordre de l’effroi lorsqu’aussi facilement, d’un clic, apparaissent le nom de l’épouse de ce fourreur et ceux de ses trois nièces, directement accessibles sur le site du Mémorial de la Shoah, — des déportations dont l’histoire de la famille n’avait pas laissé de souvenirs. A l’instar de l’Indien qui est arrêté en chemin faute de signes clairs, Internet ou pas, il reste toujours des questions sans réponse.

Sources : Archives départementales du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, Archives de Paris, Archives nationales, Archives du Consistoire israélite de Paris (ACIP).

add_to_photos Notes

[1« Catherine est une fille gentille, gentille comme on voit et verra toujours de Mulhouse à Strasbourg » ; origine Alsace, chanson de Groffe et Zimmerman ; « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine », créée par Peschard en 1871. Dans le folklore familial, on chantait en imitant l’accent allemand : « nous sommes alsaciens, nous ne sommes pas prussiens ».

[2C’est la recopie de l’acte original, collée dans un portefeuille cartonné, et établi en 1943 par l’adjoint au maire du IVe arrondissement. Je ne sais pour quelle finalité il a établi.

[3Le greffier Eugène Cossin a du perdre patience à la rédaction de tous ces noms aux consonances étrangères et a, à coup sur, fait une erreur en indiquant que la mère de Rosalie s’appelait Marie Polski ; il s’agit en fait du patronyme Mariampolski (mais alors son prénom est inconnu).

[4Dans Ferragus, Balzac, dit à propos de l’héroïne Clémence, la femme de Jules Desmarets, le banquier des Nucingen : « la jeune personne était dans une de ces circonstances affreuses où l’égoïsme a placé certains enfants. Elle n’avait pas d’état civil et son nom de Clémence, son âge furent constatés par un acte de notoriété publique », , Paris, Librairie générale Garnier, 1964 : 120

[5Archives de Paris, D 7 U 1 74

[6« Calepin de propriété bâtie » portant sur chaque immeuble pour calculer les contributions des portes et fenêtres et les contributions foncières

[7Marcus-Gutmann Micheline, « The Suwalk-Lomza Jewish community in Paris », Landsmen, 7, 2-3 ; 1996-1997 : 43-54

[9« The emigration from Suwalk », Landsmen, 1990, 1, 2, texte extrait du Yiddish Memorial Book from Suwalki and Vicinity, 1961, qui fut incorporé dans le Jewish community book for Suwalk and Vicinity, Tel Aviv, 1989.

[10« The emigration from Suwalk », Landsmen, 1990, 1, 2

[11Des sept districts que contenait la province de Suwalki, retenons celui de Suwalki (capitale) et les villes associées d’où sont originaires des membres de notre parentèle : Bakalarzewo/Baklerow, Filipow, Jeleniewo, Przerosl, Wizajny. Source : Landsmen, 1996-1997, 7, 2-3.

[13ACIP MM, recensement des Juifs en 1872 (4e arrondissement)

[14« Les juifs de Suwalk-Lomza à Paris », Landsmen, 1990, 1, 2 et par Micheline Marcus-Gutmann, Landsmen, 1996-19977, 2-3.

[15Archives de Paris, D 1 P 4/489, carton 1876, 25 rue Geoffroy l’Asnier.

[16Archives de Paris, D1 P 4/231, carton 1876-1881, 22 rue Charlemagne.

[17A.N. Demande de naturalisation n° 6306 x 95

[18Cimetière parisien de Bagneux carré D3 Nord 23

[19Leur père Ezechiel/Gaspard/ était ferblantier. Faut-il y voir une continuité professionnelle ?

[20Source : enregistrement de Paul A. par Laurent Segalen, 1990.

[21Cimetière parisien de Bagneux carré D4 L1 T 16

[23A.N. 7250 x 92 n° du dossier 55232 ; rapport du bureau du Sceau du 31.10. 1896

[24Source : enregistrement de Paul A. par Laurent Segalen, 1990

[25A.N. 7854 x 1900

[26Direction de l’Aryanisation économique Section I Æ Textiles, 2 408

[27Avant la disparition physique de la bourse, la cotation des valeurs mobilières se faisait à la criée. Le « grouillot » disposait d’un carnet de fiches pour porter rapidement les ordres d’achat et de vente aux agents de change réunis autour de la « corbeille ».

[28AD Bas Rhin C 337 « Dénombrement général des Juifs qui sont tolérés en la Province d’Alsace, en exécution des lettres parentes de sa majesté en forme de règlement du 10 juillet 1784 ».

[29http://fr.wikipedia.org/wiki/Hattstatt : Au début du Moyen Âge, le village de Hattstatt comporte une importante communauté juive qui est pourchassée impitoyablement en raison de rumeurs faussement colportées. Les juifs sont accusés d’avoir empoisonné les cours d’eau et sont soumis à des tortures dans le but de leur faire avouer leurs forfaits. Ils sont brûlés dans un lieu connu sous le nom de Judenbrand, un lieu-dit qui se trouve à Herrlisheim-près-Colmar. En 1375 quelques familles juives feront à nouveau une apparition dans le village ; elles seront au nombre de 43 lors du dénombrement des juifs de 1784, avec 229 individus, mais quitteront peu à peu le village, surtout après l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne en 1871. Elles auront complètement disparu vers 1950.

[30Contrat de mariage lu par le rabbin le jour du mariage

[31Une autre légende familiale prétend qu’il conduisit Napoléon lors de son passage à Strasbourg, mais je n’en ai pas encore cherché la preuve. [En revenant de la campagne d’Austerlitz, Napoléon s’arrêta les 22 et 23 janvier 1806, à Strasbourg, où le préfet et les notabilités du département lui firent entendre de vives doléances au sujet des juifs. « Ils envahissaient, disait-on, toutes les professions de brocanteurs et de marchands ; ils ruinaient les cultivateurs par l’usure et les expropriaient ; ils seraient bientôt propriétaires de toute l’Alsace » (Opinions de Napoléon, p. 211)]. [cf. la pièce de Thomas Sauve, Le cocher de Napoléon, Vaudeville anecdote en un acte, 1831].

[32A.D. Bas-Rhin 7 M 743, Recensement de 1866 Canton Ouest Intra muros.

[33A.D. Bas-Rhin 7 E 57.6/93, Contrat de mariage entre Joseph Dreyfuss et Hortense Bloch, le 10 février 1868.

[34Archives de Paris, D3 M 9 4 5e arrondissement ; options pour la nationalité française du 15 au 18 septembre 1872 ; D3 M 9 4 5e arrondissement ; options pour la nationalité française du 18 au 20 septembre 1872.

[35Archives de Paris, 2 MI 3/125/ 1900.

[36Archives de Paris, 31 U3 819, formation de société le 17 octobre 1898, passé devant Me Cousin, notaire à Sedan.

[37Lange qui a servi à la circoncision du jeune garçon qui est ensuite brodé ; il servira à entourer le sepher-Tora ‘livre de la Torah’.

[38A.D. Bas-Rhin 4 E 25/7.

[39A.N. BB 31 172 Louis G., journalier à Lunéville opte de 6 septembre 1872 ; Archives de Paris, D3 M9 4 5e arrondissement ? Pierre G. opte 17 septembre 1872, la même semaine que les B. !

[40A.N. MC/ET/XLIII/non coté 23 juillet 1906.

[41Neuilly Journal janvier 2011

[42A.N AJ 38/3153 dossier 31018. Acte d’aryanisation de la clinique.

[43Source : enregistrement de Paul A. par Laurent Segalen, 1990.

[44Tel Frédéric apercevant Mme Arnoux (L’éducation sentimentale, Gustave Flaubert), à ceci près que mon père n’est pas un jeune bachelier. Je remercie Anne-Marie Thiesse de cette suggestion.

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Pour citer cet article :

Martine Segalen, 2015. « Pourquoi mon père n’aurait pas dû épouser ma mère. Récit d’une quête généalogique ». ethnographiques.org, Numéro 30 - septembre 2015
Mondes ethnographiques
[en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2015/Segalen - consulté le 19.03.2024)
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