Retours d’expériences.
Plaidoyer pour l’ethnographie collective

Résumé

Ce texte se veut une analyse réflexive de la trajectoire de l’auteur, et au-delà de lui sans doute d’un segment de sa génération de sociologues, pour expliquer comment il en est paradoxalement venu à l’ethnographie collective. La pratique de l’enquête de terrain et plus généralement de la recherche, a été pensée et enseignée comme un geste individuel. Pour nous, formés à l’ethnographie sociologique et à la socio-histoire, il n’y avait pas de modèle positif d’enquête collective à disposition. Or de fait, à l’occasion de stages de terrain, l’enseignement de l’ethnographie conduit vers l’ethnographie collective. Le texte revient sur trois enquêtes collectives pour en tirer les leçons et mesurer les gains de chacune d’elle, principalement sur le terrain, et sur les difficultés occasionnées par la mutualisation des données et l’épreuve de la publication. Une méthode d’archivage est alors proposée pour contourner les réticences suscitées par la mise en commun des données.

Abstract

Feedback from experience : An argument for collective ethnography.

This paper is a reflexive analysis of the author’s trajectory (and probably those of a share of sociologists of his generation) to understand how he paradoxically ended up doing collective ethnography. Starting from a scientific socialization informed by sociological ethnography and socio-history, the practice of field research, and research in general, was conceived of and taught as an individual act. There was no positive model for collective research available. But in fact, the teaching of ethnography during field school training leads toward collective ethnography. By trying to systematize the benefits of these experiences, this text revisits three collective studies to evaluate the gains of each, mainly in the field, as well as the difficulties encountered in sharing data and the trials of publication. An archival method is then proposed to work around a general reticence toward sharing data.

Sommaire

Table des matières

Introduction

Il peut sembler paradoxal de se risquer à écrire un plaidoyer de l’ethnographie collective à la première personne [1]. La reconstitution de l’histoire de quelques-unes de ces enquêtes collectives, racontées par l’un de ses protagonistes – auteur de ces lignes –, servira ici de fil conducteur à cet exercice de réflexivité, qui ne saurait être qu’un arrangement avec soi-même, une « illusion biographique », fût-elle raisonnée, dont il convient de se méfier par principe afin d’en mesurer les limites (Bourdieu, 1986). Aussi tenterai-je de l’inscrire dans une sociobiographie de ma trajectoire professionnelle en espérant que son objectivation, même partielle, dépasse mon expérience individuelle afin de rendre compte des rapports que le segment de la génération de sociologues français à laquelle j’appartiens entretient avec l’enquête collective ethnographique.

Mes lieux de conversations scientifiques s’inscrivent dans une histoire et une géographie singulières de la recherche qui sont celles du campus Paris-Jourdan de l’École normale supérieure (ENS, Laboratoire des sciences sociales) et de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) dans les années 1990 et 2000 (DEA en 1997, thèse en 2002 sous la direction de Florence Weber). La formation que je suivis était alors marquée par un projet d’unification des sciences sociales, par la promotion d’une pratique ethnographique s’appliquant sans distinction à toutes les sociétés et tous les objets. On y pensait la refondation de la méthode de terrain en s’appuyant sur la sociologie critique bourdieusienne et l’anthropologie sociale britannique, contre l’anthropologie structuraliste et la sociologie peu empirique. Les enseignements de méthode ethnographique étaient dispensés par Stéphane Beaud, Florence Weber ‒ sociologues, ils en feront un guide (Beaud & Weber, 1997) ‒ et par Alban Bensa, anthropologue, incitant tous trois à mener une anthropologie chez soi, réflexive, critique et postcoloniale. Cette refondation était indissociable d’une certaine façon de raconter l’histoire des sciences sociales.

Les RCP (recherches coopératives sur programme, l’un des modes de financement et d’organisation de la recherche sur projet en France dans les années 1960 et 1970), incarnation pour l’ethnologie de la France d’un modèle important d’enquêtes collectives ethnographiques, apparaissaient dépassées, notamment quand elles étaient conduites d’après le canon muséographique de l’ethnologie auquel adhérait le Musée national des arts et traditions populaires, disqualifiant jusqu’à l’enquête collective elle-même. Ces RCP ont été critiquées pour avoir été l’illustration d’un modèle usinier de la science dans lequel l’ethnographie était pensée avant tout comme une production de données pour l’anthropologie, dans une division hiérarchisée du travail entre petites mains et grands penseurs (Burguière, 2005  ; Paillard, Simon & Le Gall 2010). Alors que la division ethnographie/anthropologie était assez nette en France, avec une prime symbolique importante accordée à la synthèse et la théorisation anthropologiques, la diffusion de l’anthropologie sociale britannique (L’Estoile, 2005), la consécration de l’auteur en sciences sociales (Zonabend, 2011), l’impossible délégation du travail ethnographique (Beaud & Weber, 1997), condamnèrent ce modèle muséographique de la pratique ethnographique collective. Ils renforcèrent la généralisation du travail individuel, particulièrement au sein de ce que l’on nomme « l’ethnographie sociologique » (ibid.), horizon de recherche indiscutable pour beaucoup d’apprentis sociologues de ma génération, formés, comme moi, dans ce cadre méthodologique. Hors les RCP, modèle perçu comme non viable, peu de modèles d’enquêtes collectives alternatives nous paraissaient alors disponibles, même s’il en existait bien d’autres comme le suggère ce numéro thématique.

Paradoxalement, alors que j’étais rétif, à priori, au principe même de l’ethnographie collective, j’ai néanmoins participé à plusieurs enquêtes collectives, qui initialement, ne se disaient pas comme telles. Ce fut, d’abord, de manière implicite, comme étudiant dans un cadre pédagogique, à Meaux, en 1998. Ce fut, ensuite, dans une stratégie de plus en plus assumée, à Lens, de 2001 à 2006. Ce fut, enfin, clairement revendiqué dans l’espoir d’en recueillir tous les bénéfices méthodologiques dans une ethnographie collective entreprise dans le Germanois [2], entre 2007 et 2015. Le propos défendu ici est marqué par ma position de coordinateur scientifique du programme germanois, même si sa conduite scientifique concrète a été très largement partagée avec mes collègues, en particulier du CESAER (Centre d’économie et de sociologie appliquées aux espaces ruraux), Ivan Bruneau, Julian Mischi, Nicolas Renahy, et d’autres. En poste (à la différence des doctorants et post-doctorants) et pris dans les enjeux d’un début de carrière (trouver des financements, animer un programme pour son laboratoire, accéder au grade de chargé de recherche première classe puis de directeur de recherche…), j’avais la responsabilité de trouver des financements, de rédiger des rapports, d’assurer la mise en forme « officielle » de notre collectif. J’ai porté les idées de revisite et d’ethnographie collective autant par conviction intellectuelle que par stratégie de séduction des financeurs, avides de projets distinctifs. J’en garde sans doute une posture de promoteur de l’enquête, en dépit de ses travers programmatiques. Outre la découverte de la pratique de l’ethnographie collective lors des stages pédagogiques, ma formation scientifique porte également l’empreinte de la socio-histoire [3], qui m’a conduit à adopter la méthode de la revisite, j’y reviendrai.

Ce texte plaide pour le développement d’une ethnographie collective contemporaine qui, en l’état, offre de nombreux avantages sur le terrain en démultipliant les portes d’entrée dans les groupes sociaux, en renforçant l’approche relationnelle, cœur en quelque sorte de la démarche ethnographique. Mais, à l’heure d’écrire ces lignes, ces expériences collectives pêchent encore par une résistance à la mutualisation des données (contrairement à d’autres expériences rapportées dans ce numéro, soit dans une logique hiérarchique (Mak, Dubief & Vallet), soit dans une logique plus égalitaire (Collectif onze)), que pourrait progressivement surmonter la pratique de l’archivage. De même, diverses tensions autour des enjeux scientifiques et de carrière renvoient à l’impossible projet égalitaire des collectifs, horizon espéré, souvent inatteignable. Partout les hiérarchies, de statut, de genre, les rapports de classe et les socialisations scientifiques différenciées viennent fractionner le collectif. Or, faire de la recherche collective, c’est tout autant profiter d’une accélération du travail scientifique, goûter des moments de joies amicales, que se préparer à des dissensions plus ou moins douloureuses.

Les stages de terrain ou les bénéfices perdus du collectif

L’histoire de l’enseignement universitaire de l’ethnographie et notamment des stages de terrain serait à faire, tant elle marque le rapport variable des apprentis ethnographes au terrain selon les générations et les lieux. À partir des années 1970, alors que tombe en désuétude la pratique des enquêtes collectives héritée du CFRE (Centre de formation à la recherche ethnologique, 1946-1969), principal lieu de formation à l’ethnographie d’une génération d’anthropologues (Gutwirth, 2001), ce type d’enquête se prolonge, via l’enseignement et les stages d’ethnographie. Nous n’en citerons que quelques exemples : le Centre d’initiation à la recherche en anthropologie sociale créé en 1962 à l’École pratique des hautes études (VIe section) à l’initiative d’Alfred Métraux et deux anciens du CFRE, Claude Tardits et Lucien Bernot dont la monographie Nouville fit école dans la réinvention de l’ethnologie de la France, après les grandes enquêtes précédentes (Cefaï, 2003 : 29 ; Bernot & Blancart, 1996). En 1969, le Centre de formation à la recherche en Afrique noire (FRAN) reprend la formule du stage de terrain (Copans & Pouillon, 1977). L’université d’Aix, autour de l’équipe d’Hélène Balfet, Georges Ravis-Giordani et Christian Bromberger, organise à son tour, à partir de 1970, des stages de terrain (Gutwirth, 2001 : 39), comme le font l’université de Nanterre ou la FRASE (formation à la recherche en anthropologie sociale et ethnologie) à l’EHESS. Au même moment, du côté de la sociologie, la diffusion en France des travaux de l’École de Chicago (Chapoulie, 1992) provoque une sensibilisation aux travaux collectifs de terrain, inspirant par exemple l’idée de créer dans la ville d’Anthony (Hauts-de-Seine) un Chicago à la française (Pasquali, 2012). En 1972, les époux Creswell, eux aussi deux anciens du CFRE, mettent sur pied un stage à l’université de Paris V qui constitue une première rencontre de l’anthropologie et de la sociologie critique de terrain. Cette matrice est reprise et développée dans la seconde moitié des années 1980 au Laboratoire de sciences sociales de l’ENS où se reformalise une méthode ethnographique autour des travaux de Florence Weber, d’Olivier Schwartz ou encore de Stéphane Beaud, travaux pris comme modèles de ce qu’ils dénomment « l’ethnographie sociologique ». C’est au sein des stages proposés par ce laboratoire, suivis lors de notre formation par Nicolas Renahy et moi-même, mais aussi par une partie de l’équipe issue d’ETT (le Laboratoire de sciences sociales se transforme en équipe Enquête Théorie Terrain du Centre Maurice Halbwachs en 2006), que se forge notre socialisation à l’enquête collective et à l’ethnographie. Cette socialisation s’inscrit dans un mouvement international de diffusion de la pratique ethnographique ouvrant nettement la méthode à tout objet sociologique, l’émancipant définitivement des objets et des terrains de l’anthropologie classique. La démarche réflexive constitue bien le ciment unificateur de ce rapport au terrain, et dans ses usages sociologiques, et dans notre lieu de socialisation. Cette ethnographie penche plus du côté de l’entretien (Beaud, 1996) que de celui de l’observation (Chapoulie, 2000).

Le stage de terrain auquel je participais comme étudiant (1995-1996) se déroulait à Meaux (Seine-et-Marne, à une cinquantaine de kilomètres de Paris). Cette année-là, les encadrants étaient Florence Weber, Stéphane Beaud, Alban Bensa, Michel Pialoux, Éric Fassin, ainsi que Claudio Lomnitz, alors chercheur invité. Deux étudiants en thèse se joignirent à eux, Benoît de l’Estoile et Olivier Le Guilloux. Le contrôle réflexif de la production des données qui était exigé prenait pour cadre matériel le cahier de terrain individuel (Weber, 1987). Il est significatif que le manuel d’ethnographie de Stéphane Beaud et de Florence Weber, construit en partie sur l’expérience de ces stages, ne contienne aucune considération sur les spécificités des enquêtes collectives (Beaud & Weber, 1997). Or, pensés autour d’objectifs pédagogiques, ces stages produisaient de fait du travail collectif de recherche : les étudiants travaillaient souvent en binôme ; les entretiens, dépouillements d’archives, observations, se faisaient à deux ou trois, avec un encadrant ; les données de cadrage contextuel étaient partagées ; chaque soir, un débriefing général de la journée interrogeait les liens entre les travaux en cours ; ce stage était porté par une institution, des collègues souvent proches, avec une sensibilité intellectuelle partagée.

Je pris un grand plaisir à découvrir ce « labo aux champs ». J’étais particulièrement sensible à la discussion du soir. Chacun rendait compte de ses avancées, le tout était repris par les encadrants qui replaçaient les éléments épars dans des cadres cohérents plus larges, les autres informations du jour, les travaux antérieurs, la littérature sociologique. Cette scène de forte émulation ethnographique donnait à chacun le sentiment de se démultiplier en entrant de plain-pied ou par procuration dans divers groupes sociaux en même temps. Mille idées se bousculaient et s’effilochaient tant le rythme était effréné. On semblait « attraper » une ville en quelques jours. Ce collectif fonctionnait comme un « ogre ethnographique » en surchauffe sociologique. Tout me semblait aller plus vite que dans ma recherche personnelle parallèle, pour mon mémoire de DEA. En outre, cette effervescence intellectuelle se produisait dans le cadre de soirées, un verre à la main, comme si la recherche épousait la sociabilité estudiantine avec ses plaisirs et ses codes, son humour. Ces stages nourrissaient à la fois les amitiés, les réputations scientifiques, comme les conflits, un entre-soi qui peut se révéler dangereux tant pour les étudiants que pour les encadrants. Mais la majorité des étudiants se trouvaient rapidement « convertis » à l’ethnographie. En ce sens, le stage par son efficacité sociale, produit des « croyants ». Lorsque je dus compléter le matériel collecté pendant cette semaine de terrain par quelques séjours à Meaux, seul, j’eus le sentiment de repasser après la bataille, ayant perdu le sel du collectif. Mais il me semblait que je pouvais trouver ma place dans cette démarche collective, aux antipodes de l’imaginaire de l’intellectuel de cabinet.

En 1996-1997, année de mon DEA, nous étions la deuxième promotion d’étudiants à nous rendre à Meaux. Pour ma part, je travaillais sur les usages du passé, sur le spectacle historique, le carnaval et la Confrérie des compagnons du brie de Meaux. Cette enquête m’a conduit à rencontrer les élus, le directeur des affaires culturelles et des associations de quartiers, entretiens que j’ai réalisés successivement avec les différents encadrants, bénéficiant de leurs conseils. Une étudiante avait travaillé sur le même sujet l’année précédente et me fit profiter de ses principales entrées sur le terrain, accélérant considérablement ma collecte de données. Enquêtant sur l’histoire et les notables locaux, je tirais parti des travaux d’autres étudiants sur les Rotary et Lyons clubs, sur les agences immobilières, sur les sociétés savantes, ou encore sur la morphologie sociale de la ville, qui montrait en creux quels sous-groupes de la population locale étaient concernés par les diverses actions culturelles que j’observais. Le carnaval ciblait les quartiers populaires à forte concentration immigrée de la ville, à la différence du spectacle historique répondant au souhait des élus et de bénévoles majoritairement « blancs » des classes moyennes de valoriser le centre-ville. La Confrérie des compagnons du brie de Meaux fonctionnait, quant à elle, comme une instance de représentation des notables locaux désireux de promouvoir la ville et ses produits. En dépit du temps court de l’enquête, sa dimension collective me permit de resituer les évènements étudiés au sein de la structure sociale locale, et j’en tirai la matière de mes premières publications (Laferté, 2000  ; Bacciochi et al., 2001).

Quoique renouvelé plusieurs années par une vingtaine d’étudiants accumulant ainsi une somme conséquente de connaissances sur la ville, ce stage à Meaux n’a conduit qu’à très peu de publications. Il est resté ce pour quoi il avait été créé, un stage pédagogique sans objet de recherche précis, sans organisation raisonnée du travail collectif, sur un terrain à tout le monde et à personne.

L’illusion égalitaire du collectif : l’expérience lensoise (2001-2006)

Plusieurs participants de ces stages ont expérimenté ailleurs des ethnographies collectives : les travaux sur le Nordeste brésilien (L’Estoile & Sigaud, 2001  ; Combessie, 2001 ; Sigaud, 2008), sur « la rue de la République » à Marseille (Fournier et al., 2004), sur « la France des “petits moyens” » à Gonesse (Cartier et al., 2008), ou encore l’enquête « Rupture contemporaine » (Collectif Onze, 2013). De même, la réussite de cette formation a contribué à la multiplication de stages ethnographiques dans diverses universités françaises, à mesure qu’elles recrutaient ces convertis à l’ethnographie sociologique. Notre démarche ethnographique collective s’inscrit bien dans une socialisation scientifique. Elle croise certainement d’autres socialisations académiques ailleurs en France et à l’étranger, tant les mouvements de la science sont rarement circonscrits à un seul lieu.

À plusieurs, doctorants en anthropologie (Martina Avanza), histoire (Caroline Hodack, Claire Zalc), science politique (Nicolas Mariot), sociologie (moi-même), travaillant sur des thématiques de recherches proches, nous avons souhaité partager nos difficultés conceptuelles sur les notions d’identité, de territoire, de mémoire, et de tradition. Aussi avons-nous organisé lors de l’année académique 1999-2000 un séminaire, puis un terrain commun, à partir de l’opportunité qui nous était offerte grâce à un ami de Claire Zalc de travailler sur le commerce lensois du textile, tenu par des juifs majoritairement d’origine polonaise dont les clients étaient les mineurs polonais, objet d’étude qui convenait parfaitement à nos questionnements. Cette recherche a été ouverte aux étudiants volontaires du DEA de sciences sociales [4]. Sans y avoir réfléchi, nous avons renversé les priorités du stage de terrain, y voyant moins un outil pédagogique qu’un levier pour les recherches collectives.

Avec de petits financements, chaque année, pendant quatre ans, nous avons passé une semaine à Lens, formant un groupe d’une dizaine de jeunes chercheurs. Nous nous retrouvions avec grand plaisir dans cette expérience autant amicale qu’intellectuelle, en l’absence de professeurs. De même, à l’initiative des plus historiens d’entre nous, nous organisions des consultations collectives des archives du Pas-de-Calais. Je restais impressionné par la rapidité avec laquelle on dépouillait ces fonds, contrastant avec l’isolement qui était le mien aux archives dans ces années de thèse. Puis seul ou à plusieurs, ponctuellement dans l’année, nous faisions quelques allers-retours assez brefs sur le terrain pour réaliser un entretien complémentaire, pour compléter le dépouillement d’un fonds d’archives, prolongé en région parisienne par la collecte de données aux Archives nationales, à celles de la Banque de France ou auprès d’enquêtés dont une partie de la famille avait migré à Paris. Comme à Meaux, cette recherche était secondaire pour chacun d’entre nous, pris dans sa thèse et se tenant loin d’une ethnographie classique en immersion prolongée. Nous pratiquions ce que nous pourrions nommer des « descentes ethnographiques », nous empressant dans le temps court d’une semaine de collecter le maximum d’informations. Ces stages de terrain, par la masse de chercheurs qu’ils mobilisent et la hâte à mener entretiens et observations, pêchent souvent par quelques « infractions aux règles de la méthode » (Combessie, 2001 : 185). Celles-ci n’étaient pas sans étonner les enquêtés, nous voyant nous acharner à obtenir dans l’urgence des informations, puis n’entendant quasiment plus parler de nous, pendant un an. Malgré ce jeu étrange, une réelle dynamique de terrain s’était enclenchée. Les enquêtés nous identifiaient moins personnellement que comme un groupe d’étudiants et de jeunes chercheurs parisiens, un « individu-équipe » (Combessie, 2001 : 192). Nous nous présentions tous de la même manière, comme étudiants du Laboratoire de sciences sociales, partageant le même objet, une enquête sur la communauté juive lensoise et ses relations avec les mineurs polonais.

À l’exception des étudiants qui choisissaient un thème pour leur mémoire de DEA, personne n’avait d’objet à soi. S’est imposée l’idée de partager les données, favorisée par la mise à disposition au laboratoire des archives personnelles de la famille et de l’entreprise principalement enquêtée. Une cave et un bureau nous étaient affectés. Il était pour nous essentiel que les étudiants réalisant un mémoire déposent leurs données, de la même manière que chacun d’entre nous devait mettre à disposition ce qu’il avait collecté. Nous n’avions défini aucun protocole de dépôt, ni même désigné une personne référente, n’ayant pas même tenu d’agenda commun. L’archivage se faisait au coup par coup, à la fin des semaines de terrain, par un jeu de clés USB. Différentes versions d’archivage et, plus tard, de données retravaillées, circulaient. Il apparaît rétrospectivement, qu’à négliger les aspects matériels du travail collectif, nous avons fait preuve d’un amateurisme coupable. Nous n’avions aucun modèle positif d’enquête collective en tête et nous n’y étions pas préparés.

Imprégnés de l’utopie égalitaire de la recherche collective (Rosental, 2005 : 10), nous avions projeté de publier un ouvrage signé d’un nom collectif imaginaire, puis dans une seconde version, de tous nos noms. Mais au bout de deux ou trois ans, cet enthousiasme s’est érodé en partie en raison de l’asymétrie des positions liées aux avancements de chacun dans sa très jeune carrière. Pour ma part, j’apprenais que certains avaient saisi des opportunités de colloques, puis de publications, sans en avoir discuté collectivement. Du coup, le choix des objets, qui était jusqu’alors partagé dans la mesure où nous formions un ethnographe collectif, s’est imposé sous une forme contrainte. Les thèmes de la migration dans l’entre-deux-guerres, des processus d’identification des juifs lors de la Seconde Guerre mondiale, devinrent du ressort d’un premier sous-groupe. Un second sous-groupe, auquel j’appartenais, s’appropria le thème du crédit de l’après-guerre à aujourd’hui. Les investissements sur le terrain furent de plus en plus inégaux, réservant la conduite du terrain ethnographique au groupe étudiant le crédit, qui perdit la trace des recherches en archives du premier groupe. Une somme de mécompréhensions s’accumula et le partage des données se grippa. Des sous-groupes finirent par supplanter l’ethnographe collectif unitaire du début. Pire, dans l’incompréhension générale, une partie de l’équipe tenait toujours à la publication d’un ouvrage commun, quand l’autre préparait son ouvrage propre. Seul ce dernier (Mariot & Zalc, 2010) a vu le jour, à côté de nombreuses publications d’articles [5]. Comme d’autres avant nous (voir la controverse à Plozévet autour de l’ouvrage d’Edgar Morin in Burguière, 2005 : 252), nous découvrions la difficulté de publier collectivement les fruits d’une enquête collective.

À Meaux, l’inégalité des statuts et la déférence de l’apprenti envers le professeur auraient pu déboucher sur une direction scientifique si le terrain n’avait pas été pensé comme « seulement » pédagogique. À l’inverse, à Lens, la quasi-égalité statutaire et le caractère très amical des relations entre les participants nous ont laissés croire naïvement que le collectif pouvait tenir sans formalisation ni règles. L’illusion égalitaire s’est effondrée à la première opportunité de valorisation individuelle. Mais, chacune à leur manière, ces deux enquêtes m’ont fait comprendre la puissance du collectif pour la réalisation d’enquêtes ethnographiques et historiques. Fort de ces expériences, j’ai tenté, dans la suite de mes travaux, de retrouver ce plaisir du travail collectif en cherchant à le formaliser.

Les conditions d’une revisite collective

Inscrite dans une période scientifique marquée par le constructivisme, la sociohistoire et son réflexe régressif incitant à remonter à la genèse des faits sociaux, ma socialisation scientifique m’impose – comme à ceux qui partagent ces postulats théoriques – d’historiciser les processus sociaux contemporains. Cependant les archives institutionnelles, les données statistiques, sont peu adaptées à un retour ethnographique sur une enquête passée (Laferté, 2009). Mener une ethnographie historique, c’est-à-dire circuler dans les archives comme on circule sur un terrain, en étant attentif aux trajectoires d’un individu sur diverses scènes sociales, aux logiques d’interconnaissance et de croisement des regards, suppose d’accéder à des archives personnelles, généralement constituées par les acteurs eux-mêmes, et mieux, à des données d’enquêtes ethnographiques elles-mêmes construites à partir de leurs trajectoires singulières. D’où l’importance de leur archivage puisqu’elles donnent accès à la parole des personnes communes et permettent d’engager des revisites. Ces dernières consistent à revenir sur le terrain d’un autre chercheur. Cette méthodologie est bien développée dans l’anthropologie « anglo-saxonne » autour de controverses célèbres (Burawoy, 2003). Moins connue en France, elle reste réservée à de grandes enquêtes aux enjeux patrimoniaux, notamment autour des papiers de Marcel Griaule (Jolly, 2008). À quelques exceptions près (Molinié, 2008), la revisite se limite au retour d’un même chercheur, quelques années plus tard, sur son terrain (Garrigues-Cresswell, 2000  ; Jamard, 2000  ; Picon, 2000). On perd alors les possibilités critiques qu’offre le regard porté par un nouvel observateur, à la fois sur la position qu’occupait son prédécesseur sur le terrain et sur sa socialisation scientifique.

Nous avons choisi le terrain germanois en Bourgogne parce qu’il était proche de notre laboratoire dijonnais et que nous pouvions disposer de trois fonds d’archives sur ce terrain. Il s’agit des fonds d’une RCP (1965-1968, une quarantaine de chercheurs dirigés par Georges Henri Rivière, Isac Chiva, Jean Cuisenier et François Furet pour les principaux), d’une recherche sur un village conduite au Laboratoire d’anthropologie sociale (1967-1980, Tina Jolas, Marie-Claude Pingaud, Yvonne Verdier, Françoise Zonabend) et sur un bourg industriel (1978-1984, Florence Weber) (Wolikow, 2010  ; Zonabend, 2011) [6]. Si les publications auxquelles ces enquêtes ont donné lieu nous en offrent les résultats, les archives quant à elles livrent des données inexploitées, nous montrent comment les chercheurs ont circulé sur le terrain, par quels réseaux ils y sont entrés, à quelles techniques ils ont recouru pour exploiter leurs données (Laferté, 2006). L’intérêt des enquêtes directes tient à leur non-reproductibilité. On ne peut réenregistrer aujourd’hui les paroles paysannes des années 1960. Dans les cadres habituels de la conservation d’archives, les trajectoires sociales communes ne sont repérables que dans les actes de naissance, de mariage ou de décès, voire au sein des listes nominatives de recensement, lesquels constituent des sources maigres. Les archives publiques centrent leur collecte sur les institutions et l’administration d’État. Quant aux archives privées, elles sont souvent le fait des élites sociales. Ne tenant pas compte de la diversité et du jeu des classements indigènes, les statistiques archivées donnent peu accès aux discours. L’histoire orale constitue le plus souvent des corpus d’entretiens en dehors des groupes d’interconnaissance, ensemble de données peu recontextualisables par l’ethnographe (Müller, 2006). Aussi ces données ethnographiques archivées, comparées aux autres fonds disponibles, constituent-elles un apport indiscutable pour accéder à des pratiques non officielles et à la parole de personnes « ordinaires ».

Cependant, peu de membres de notre groupe de recherche ont consulté ces archives. Une première explication tient sans doute à leurs profils disciplinaires, davantage sociologiques et politistes qu’historiens, et à la division du travail, m’attribuant le soin de produire une ethnographie historique, au principe de notre terrain contemporain. En effet, ces publications et archives ethnographiques, couplées aux archives classiques et institutionnelles, m’ont permis de dresser un large tableau historique du XIXe siècle à aujourd’hui de la zone d’enquête, histoire saisie à l’échelle des trajectoires familiales (Laferté, 2013 : chapitre 3 à 6).

Mais l’explication procède aussi des décalages des types de données entre deux temps ou modèles de la recherche. Ceux qui ont pris le chemin des archives des enquêtes ethnographiques précédentes, comme Nicolas Renahy à partir des travaux de Françoise Loux dans le cadre de la RCP (1974), ont buté sur la pauvreté des données conservées. Plus largement, certaines données se sont révélées peu adaptées (des questionnaires sommaires) à nos approches, fondées notamment sur l’analyse des trajectoires (Beaud, 1996  ; Passeron, 1989). Les travaux conduits au sein du Musée des arts et traditions populaires, notamment, datent d’un temps où les enquêtés restaient les témoins, les représentants plus ou moins interchangeables, d’un temps, d’une culture. Ils ne prennent pas en compte l’interaction qui, elle, est au cœur de l’enquête réflexive contemporaine. En outre, la technique du fichier propre à l’ethnographie d’alors n’a plus cours aujourd’hui. De même, les objets scientifiques canoniques de cette anthropologie, à la recherche des traditions (les rituels, les chansons populaires, les contes, la culture matérielle, les techniques professionnelles anciennes…) sont devenus marginaux dans nos questionnements sociologiques. Ces approches culturalistes sont souvent peu exploitables dans une démarche constructiviste. Excepté les travaux menés par les anthropologues du Laboratoire d’anthropologie sociale, fondés sur des entretiens et des récits multiples de trajectoires individuelles ou familiales, et les travaux des historiens (notamment la démographie historique), la science d’hier collectée en archives s’est révélée peu utile pour nombre d’ethnographes contemporains.

De l’individu équipe à l’équipe de chercheurs individuels : terrain accéléré, partage d’enquêtés et scientificité

Au-delà de la revisite comme méthode de reconstitution de la socio-genèse d’une société qui avait fait l’objet d’une ethnographie collective, l’enquête dans le Germanois se voulait également collective sur le contemporain. Convaincus de la force des collectifs ethnographiques par nos expériences passées, il nous fallait en concilier les gains avec, d’une part, les exigences méthodologiques de l’ethnographie réflexive qui renvoie l’ethnographe à un travail individuel, et d’autre part, avec les tensions propres à un collectif intellectuel et scientifique dès lors que l’essentiel de la carrière se construit sur l’accumulation personnelle de données d’enquête et de publications.

Pour le terrain collectif du Germanois, l’un des points décisifs fut de ne pas avoir mutualisé d’emblée les données. À la différence de l’ethnographe collectif lensois, de « l’individu équipe », ce collectif-ci a d’abord fonctionné comme une juxtaposition d’ethnographes individuels, ou en binôme, conduisant leur propre enquête et analysant leurs propres matériaux. Cette juxtaposition était un choix mais s’imposait aussi, tous n’étant pas d’emblée convaincus par la mutualisation des données d’enquête et la délégation de parties du terrain à des tiers dans un collectif large. Nous étions un collectif de jeunes pairs, même s’il faut noter que les chargés de recherche du CESAER étaient en position dominante tant ils bénéficiaient du plein soutien de leur institution (à la différence des maîtres de conférences, chargés d’enseignement, ou des chercheurs du CNRS pris en même temps dans d’autres programmes) et du confort de pouvoir s’inscrire dans la durée (contrairement aux post-docs et dans une moindre mesure, aux doctorants). Pour autant, aucun d’entre nous ne pouvait imposer un quelconque ascendant sur les autres et pas davantage diriger les doctorants, par ailleurs inscrits sous la responsabilité de leur directeur respectif. Dans cette économie relativement horizontale, chacun pouvait tout au plus conseiller son collègue. Cette association d’ethnographes individuels ou en binôme nous a permis de nous réinscrire dans les outils classiques de la méthode (cahier de terrain personnel, réflexivité individuelle).

Nous avons inauguré notre ethnographie collective en organisant un premier stage de terrain avec l’École normale supérieure en 2007 (image 1). Pour la suite, nous avons organisé deux ou trois séjours d’une à deux semaines par an, en logeant tous dans un même gîte, appartenant souvent à des agriculteurs enquêtés, pour reproduire le plus souvent possible cette effervescence singulière du terrain collectif (image 2). Chacun les complétait par des allers-retours personnels, en étant accueilli chez des enquêtés ou dans des chambres d’hôtes. Le premier avantage d’un collectif d’ethnographes est de fonctionner comme un accélérateur du terrain, embrassant d’un coup plusieurs mondes (Copans & Pouillon, 1977 : 49).

L’ensemble des données de cadrage a été collecté pour et par tous. L’identification des personnes pivots d’un espace social enquêté fut plus rapide et le partage de contacts permit de conseiller les nouveaux arrivants pour qu’ils se lancent plus efficacement sur leur terrain. En dépit des risques de redoublement d’entretiens, la plupart d’entre nous ont tenté de préserver leur propre espace, encourageant leurs collègues à creuser une piste, un contact, un lieu, qu’eux-mêmes ne pouvaient explorer.

Sur le terrain, chaque chercheur « ratisse » large, particulièrement au début de son enquête. Nos informations secondaires peuvent se révéler précieuses pour un collègue. J’ai pu, par exemple, en entretien avec des agriculteurs, collecter des éléments à la fois sur la chasse, les élus locaux, le foot, l’économie du bois, les coopératives, le syndicalisme, les rapports hommes/femmes, les migrations… Ces éléments peu systématisés restent le plus souvent à l’état de pistes, mais dans un cadre collectif elles peuvent être investiguées sciemment si l’on fait face à un enquêté que l’on sait central pour un collègue. Ainsi, par l’intermédiaire d’un conseiller bancaire avec lequel je me suis lié d’amitié sur le terrain, j’ai rencontré le patron de la plus grosse entreprise de bois de la région, contact qui a permis à Julien Gros d’y faire un stage. Inversement, enquêtant sur certaines familles, j’ai pu récupérer les entretiens que d’autres avaient déjà eus avec elles et surtout confronter leurs impressions aux miennes (Buford-May & Pattillo-McCoy, 2000). Selon leurs propres caractéristiques sociales, selon leur entrée, leur position, les formes de l’interaction ou les cadres d’énonciation de la parole et d’observation des pratiques, les chercheurs donnent à voir des facettes diversifiées et pas toujours cohérentes d’un même individu.

Grâce aux relations personnelles avec les enquêtés s’inscrivant dans la durée, l’ethnographie collective permet ainsi d’enrichir leur description, en particulier quand il s’agit d’enquêtés secondaires, en démultipliant les différentes scènes sociales observées et les enquêteurs observateurs. Par les archives comme par le croisement des regards et des entretiens, on dispose d’une arme de plus pour contrôler dans le temps ce que Pierre Bourdieu nomme « l’illusion biographique » (1986), et l’effet de façade qu’un individu peut souvent produire dans le cadre d’un entretien. L’enquête retisse sa cohérence à mesure qu’il livre ce qu’il pense être son unité, au moment et sur le lieu de l’entretien, et que d’autres observent différemment, ailleurs. Cette méthodologie révèle plus facilement la « pluralité des individus » (Lahire, 1998), la perception dissonante que l’on peut en avoir. Ces différentes entrées, que l’on pourrait qualifier d’ethnographie « en canon », démultiplie à la fois le moteur de l’interconnaissance au cœur de l’ethnographie et le statut de la preuve par un retour partagé des expériences croisées. Mais au fil du temps, chacun est revenu individuellement sur son terrain. La relation de longue durée avec les enquêtés les plus proches, devenus des informateurs, a pris le pas.

Entrer dans la dynamique de l’espace social localisé

Nos modes d’entrées dans le terrain germanois furent différents à la fois de ceux de « l’individu-équipe » de Lens où les ethnographes étaient en quelque sorte interchangeables, travaillant tous initialement pour un seul collectif, et plus encore des collectes institutionnelles des RCP. Que ce soit à Plozévet (Burguière, 2005 : 242), et en général pour les RCP, les recherches ethnographiques collectives débutèrent souvent par une présentation de la démarche aux autorités locales par les institutions porteuses de l’enquête et par les mandarins qui la dirigeaient. En cela, ces enquêtes restèrent proches d’un modèle classique de l’enquête d’autorité (Topalov, 2015 : 403-404).

À l’inverse, si nous avons rencontré les élus, souvent au centre des réseaux d’interdépendance des groupes sociaux, il ne s’agissait nullement de créer avec eux une complicité de « dominants » vis-à-vis des populations à administrer, mais bien plutôt de les prendre, eux aussi, pour objets d’enquête. De fait, au début du terrain germanois, nous cherchions à éviter une position de surplomb sur l’espace enquêté. La place acquise aujourd’hui par la réflexivité en ethnographie nous a appris à nous méfier des réseaux clivants et dominants des élus. Ainsi, jusqu’à maintenant, nous avons été peu sollicités par les institutions locales, comme s’il existait une défiance réciproque. Nous l’avons été (Violaine Girard, Nicolas Renahy et moi-même) par la direction d’un établissement public à caractère industriel et commercial qui gère un important site industriel sur notre terrain. Mais le contact est resté bref et n’a pas eu de suite sur le terrain. Le Crédit Agricole m’a également demandé de faire des interventions mais à l’échelle non décisionnelle des caisses locales (présentation de travaux en Assemblée générale). Plus récemment, j’ai aussi contacté par l’administration du projet de Parc national autour de la forêt, préoccupée par un conflit montant avec les agriculteurs.

Ne bénéficiant pas toujours d’entrées adéquates sur son terrain, l’ethnographe individuel doit parfois borner sa recherche aux limites du réseau dans lequel il a pu s’insérer. Ne pouvant briser les amitiés ou la confiance accordée par ses informateurs privilégiés, il est parfois difficile d’enquêter des mondes sociaux en conflit avec eux. L’ethnographie collective, quand elle se pense comme une somme d’ethnographes individuels, élargit alors le champ des possibles comme nous l’avons aperçu en chemin. Certains ont pu, par exemple, accéder aux deux parties qui s’affrontaient au sein d’une union locale syndicale CGT, un chercheur enquêtant du côté des ouvriers métallurgistes, un autre auprès des enseignants. De la même façon, un ethnographe enquêtant sur le patronat et d’autres sur les mondes ouvriers locaux ont ainsi pu appréhender simultanément des groupes en tension. Un tel dispositif, rare, permet de ne pas dépendre exclusivement d’un groupe et de ses représentations pour repositionner les personnes et les groupes étudiés, à la fois dans leurs positions sociales et dans leurs interactions avec d’autres groupes sociaux. Le partage d’enquêtés, la récurrence de thèmes mis en commun lors des entretiens selon les enquêtes, constituent des moyens de sentir concrètement les points de contact entre des mondes sociaux dans lesquels nous sommes entrés isolément.

Cette interdépendance des groupes sociaux vaut dans l’espace social mais aussi dans le temps. Les chercheurs qui étudient dans la durée le groupe des agriculteurs voient les plus fragiles quitter ce monde professionnel, quand ceux qui travaillent sur les mondes ouvriers les retrouvent parfois à l’usine voisine. Enquêter sur un même terrain à la fois historiquement et synchroniquement permet ainsi de mieux saisir diachroniquement l’articulation entre les groupes sociaux. L’ascension sociale et politique du groupe agricole entre les années 1950 et 1970 fut rendue possible par la fin progressive des notables depuis le XIXe siècle et par la permanence des milieux populaires. Aujourd’hui, à son tour, le groupe agricole est concurrencé sur la scène politique par l’émergence d’une nouvelle petite bourgeoisie administrative et culturelle. L’évolution d’un groupe social est déterminée par celle des autres groupes sociaux avec lesquels il partage un même espace social, espace de lutte ou de coopération. Ces approches ne sont sans doute pas inaccessibles à l’ethnographe individuel, mais elles lui demandent un temps décuplé d’immersion et une capacité de mobilité dans l’espace social à bien des égards exceptionnelle.

En pénétrant simultanément sur un même terrain par différentes entrées de la structure sociale, on étudie conjointement des groupes socialement différents mais géographiquement entremêlés. On repositionne beaucoup mieux chacun d’entre eux dans la structure sociale non pas uniquement d’un point de vue statistique, à l’aide des données localisées de l’INSEE rapportées aux données plus générales de la France, mais dans des interactions, des interdépendances, des rapports de force, saisissant une morphologie sociale dynamique. On développe alors une analyse structurale, sociologique, qui n’est pas artificiellement plaquée, mais incarnée, spécifique à un espace social localisé (Laferté, 2014).

La mutualisation inachevée des données

Dès le début de l’enquête sur le Germanois, nous avons cette fois-ci pris en compte les aspects matériels d’une enquête collective. Un site réservé aux membres de l’équipe a été mis en place. Il contient un agenda général de l’enquête qui répertorie par grands thèmes l’ensemble des actions significatives conduites sur le terrain (scènes d’observation, entretiens, interactions avec les enquêtés) sur un mode succinct. Ce site met également à disposition des éléments de sources (les archives des enquêtes passées), des bibliographies et des fiches de lecture. Il contient également des données statistiques de cadrage fournies par Violaine Girard et par la cellule des études du CESAER, constituée d’ingénieurs d’études et de recherches qui ont une fonction d’appui aux chercheurs dans le cadre d’une division instituée du travail scientifique. Nous avons alors réalisé un tableau général des entretiens avec un descriptif sommaire des personnes rencontrées pour disposer d’éléments qui nous permettent de solliciter les entretiens des autres pour sa propre recherche. Aujourd’hui, nous avons réalisé près de quatre cents entretiens.

La mutualisation des données, des idées, des hypothèses, s’est effectuée principalement lors des nombreuses occasions plus ou moins informelles de rencontres, prioritairement au laboratoire ou pendant le temps privilégié du terrain, mais aussi lors des ateliers annuels sur trois jours tenus pendant quatre ans (image 3) et séminaires mensuels qui, depuis 2006, structurent notre groupe. Plusieurs travaux et périodes de recherche en commun se sont ainsi dessinés : chacun a envoyé un entretien ou la trajectoire d’un enquêté à un collègue, a travaillé des données de cadrage pour un groupe, a construit des statistiques réutilisables par tous… Au sein du groupe des chercheurs, nous avons bien engagé une division du travail plus horizontale que verticale. Tant que l’équipe est restée resserrée, accéder aux observations et aux entretiens des autres a pu se faire informellement, tout le monde se faisant une idée suffisamment précise du travail des autres. Mais, au fur et à mesure de l’extension et du renouvellement de l’équipe, il est apparu que cette connaissance se perdait ou restait le privilège de ceux qui étaient au cœur du programme, expliquant notre besoin actuel d’archivage des données.

Conformément à ce schéma, nous élaborons en ce moment un protocole d’archivage pour une mutualisation respectueuse à la fois de la propriété intellectuelle du chercheur dépositaire et de la protection des enquêtés. Cet outil indispensable pour ceux qui voudront pousser plus loin la recherche rendra également nos données communicables à des tiers susceptibles, après nous, d’en engager une revisite. La mutualisation se fait donc à rebours, en raison des réticences à l’égard d’un partage plus large des données non encore exploitées par une partie de leurs producteurs. La peur d’être évalué ou dépossédé par ses pairs, notamment ressentie par les doctorants, les interrogations légitimes quant à la protection de « ses » enquêtés dans une procédure où l’anonymisation est impossible, la longue histoire d’une épistémologie de la recherche valorisant l’acte individuel, constituent autant de freins majeurs au partage. Mais, déjà, cet archivage connaît des retombées positives : le travail sur la sociologie des élus de Thibault Marmont a d’emblée été utile pour beaucoup, notamment ses données statistiques sur les élus s’étalant des années 1970 au début des années 2000 (Bruneau & Renahy, 2012 ; Laferté, 2013 : chap. 10).

De la même manière que nous avons procédé à des entretiens avec les chercheurs des enquêtes revisitées, nous avons conduit des entretiens avec nos propres formateurs, afin de mieux nous situer dans l’histoire sociale de notre discipline et tenter d’objectiver notre socialisation scientifique. Outre le cahier de terrain, nous avons demandé à chacun d’expliciter son mode d’entrée sur le terrain et collecté l’ensemble de ces récits, pour archivage. Nous poursuivrons cette démarche qui permet de préciser la sociologie de chaque enquêteur, en lui demandant, au moment du dépôt, de remplir un court questionnaire pour qu’il se repositionne socialement, dans une sorte d’ébauche d’auto-analyse.

Par ce système d’archivage, tout le travail de collecte, de l’entretien à l’observation, des cahiers de terrain aux archives en passant par les notes, comme le travail intermédiaire d’interprétation, est rapporté au fonds personnel d’un chercheur, qui garde la propriété intellectuelle des données qu’il a produites. Par ailleurs, tout usage d’une donnée produite par un autre chercheur suppose l’autorisation du producteur. Ce type de règles permet de partager les données, d’élargir le champ des interprétations, tout en respectant le mode personnel de construction des données ethnographiques.

Fragilité du collectif scientifique sur projet

Ma position de coordinateur de l’enquête m’a permis d’en suivre les étapes. Mais cette posture provoque une cécité relative, celle du promoteur du travail accompli. À l’évidence, bien au-delà des socialisations académiques, l’inclination au collectif se niche aussi dans des questions de genre, d’origine sociale et de statut, ici sous-explorées. Notre équipe était à dominante masculine. Une histoire de ces enquêtes par les doctorants ou les femmes serait probablement différente de celle-ci. Par ailleurs, nous nous sommes aussi en partie reconnus socialement. Beaucoup d’entre nous provenons de la petite bourgeoisie provinciale créant autant d’affinités, même si les particularités suscitent toujours leur lot d’incompréhensions. D’autre part, l’enquête collective est aussi et pour tous une fabrique de carrière. Notre équipe a aujourd’hui fortement évolué puisque certains sont arrivés à l’âge des HDR (habilitation à diriger des recherches) et directions de recherche. Cela nous place de fait dans une position d’autorité, face aux nouveaux, qui font désormais leur thèse sous notre direction. À la « bande de potes », proches par leur socialisation scientifique, s’est peu à peu substituée une équipe hiérarchisée par les statuts et les générations. En un mot, nous avons vieilli.

Pour autant, il ne faut pas négliger un ensemble d’éléments structurels qui charpentent une telle enquête collective. L’existence de notre groupe de chercheurs correspond à une volonté de l’INRA qui nous avait confié le soin de créer une équipe de sociologues à Dijon. Le laboratoire et l’institution qui l’abrite ont longtemps été la forme principale d’organisation des hiérarchies professionnelles. Dans le cadre de projets tels que ceux financés par l’ANR (Agence nationale de la recherche) qui favorisent les relations inter-institutionnelles, les dépendances hiérarchiques sont bien moindres, l’organisation des équipes devient plus souple, jusqu’à échéance de leur financement, à renouveler constamment. Les hiérarchies se recomposent sur la base de facteurs symboliques et de prestige, comme les lieux de formation, le rythme et la qualité des publications. Comme jamais auparavant, de tels financements par projet rendent possible une large gamme de configurations collectives, tout en vidant en partie de leur substance les formes instituées de leur organisation comme les laboratoires. À l’évidence, notre équipe a été et reste structurée par ces deux formes institutionnelles des collectifs scientifiques contemporains : les plus impliqués ont été les statutaires du CESAER, le dispositif même du laboratoire nous soudant plus fermement ; à ce noyau, s’est agrégé un réseau plus large mais aussi plus labile, fonctionnant plus par adhésion et affinité, chacun participant aux travaux sans obligations institutionnelles, au gré de ses intérêts scientifiques.

Ce type d’équipes construites sur projet s’inscrit donc bien dans une époque. Elles semblent également marquées par un cycle. Les trois expériences vécues (Meaux, Lens, Germanois) se caractérisent par un premier temps heureux du terrain qui ouvre en grand les perspectives de dépassement de la recherche individuelle et nourrit durablement les relations amicales. Mais par la suite, la mutualisation des données vient heurter de plein fouet la conception individualiste de la recherche qui reste particulièrement saillante dans les sciences sociales. Le chemin qui mène à des recherches véritablement collectives est souvent difficile comme en témoignent également les autres articles de ce numéro. La publication des résultats constitue un troisième moment également délicat. Apposer un ou plusieurs noms sur des résultats ne rendra pas justice à la réalité plurielle des investissements de chacun, quelle que soit la solution choisie : le nom collectif gomme l’asymétrie de ces différents apports et freine la construction des carrières ; la liste de noms individuels survalorise l’idée d’auteur.

Annexe 2 - Publications enquête lensoise

add_to_photos Notes

[1Même si les propos qui suivent n’engagent que leur auteur, je remercie vivement Anne Bory et Nicolas Renahy pour leurs commentaires sur une première version de ce texte.

[2Cette anonymisation ‒ artificielle pour de nombreux chercheurs en sciences sociales qui reconnaîtront aisément les enquêtes et les lieux en question ‒ a été souhaitée par les collègues de cette enquête collective. La liste des chercheurs impliqués figure en annexe. Pour la bibliographie de cette enquête, voir http://www2.dijon.inra.fr/cesaer/axes/groupes-sociaux-et-mondes-ruraux/encadrement-et-sociabilite-dans-les-mondes-ruraux/.

[3La socio-histoire est apparue en France dans les années 1990 particulièrement à l’initiative de Gérard Noiriel, Michel Offerlé ou encore Christian Topalov, alors tous enseignants au Laboratoire de sciences sociales de l’ENS. À la croisée de l’histoire et de la sociologie, dans une démarche proche du Marc Bloch des Annales, elle se caractérise par l’étude du passé dans le présent et par l’analyse des relations à distance qui lient entre eux un nombre sans cesse croissant d’individus. Elle produit en cela une réflexion particulière sur le rôle des institutions, de l’État, des bureaucraties.

[4Etienne Pénissat, Marion Fontaine, Emmanuel Martin, Hélène Steinmetz, Maria Grecu, Annick Grandemange, Alexandre Hobeika, Eleonora Elguezabal…

[5Voir la liste des travaux publiés dans le cadre de l’enquête Lensoise en annexe et à la fin de la bibliographie.

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MARIOT Nicolas et ZALC Claire, 2010. Face à la persécution. 991 Juifs dans la guerre. Paris, Odile Jacob.

Pour citer cet article :

Gilles Laferté, 2016. « Retours d’expériences. Plaidoyer pour l’ethnographie collective ». ethnographiques.org, Numéro 32 - septembre 2016
Enquêtes collectives [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2016/Laferte - consulté le 19.03.2024)
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