À la recherche d’un enracinement.
De l’importance des voyages au sein des itinéraires de féministes activistes afro-allemandes

Résumé

La narration d’expériences de vie, incluant la quête individuelle des origines Noires et africaines, joue un rôle essentiel dans la construction du mouvement politique afro-allemand depuis les années 1980. L’article aborde l’intégration des mobilités spatiales dans la construction du soi par deux écrivaines/activistes afro-allemandes, Ika Hügel-Marshall et May Ayim. Il analyse comment les expériences vécues dans différents endroits du monde sont mises en relation à travers leurs récits de vie. Si en grandissant, les deux femmes n’ont pas eu le sentiment d’appartenir à une communauté, donc n’ont longtemps pas pu développer une identité-idem, comme mêmeté, c’est leur rapprochement vers les mouvements afro-féministes et la pratique de narration de leurs expériences sous forme de récit autobiographique qui leur ont permis la création d’un soi cohérent. Dans leurs récits de vie, les expériences de voyages entrent dans ce que Ricœur appelle « l’interprétation narrative de l’identité » : l’acte de raconter peut être considéré comme une création d’identité même, car c’est par le récit qu’est créée une permanence dans le temps, en l’occurrence un soi permanent et cohérent en tant que féministe afro-allemande.

Abstract

Searching for Roots. The Importance of Travel in the Life-stories of Afro-German Feminist Activists

The narration of personal life experiences, and particularly of an individual’s quest for his or her Black and African origins, has played an essential part in the construction of Afro-German political movements since the 1980s. In this paper, I focus on how spatial mobility is weaved into constructions of selfhood for two Afro-German writers/activists, Ika Hügel-Marshall and May Ayim. It analyses how the experiences made in different corners of the world are put in relation through narration. While neither of the two women felt part of a community while growing up, and thus could not develop an identity as idem, sameness, they create a coherent sense of self through their relation with afro-feminist movements and the practice of narrating their life-stories. In their life-stories, the experience of travel can be understood through what Ricœur describes as “narrative interpretation of identity” : the act of telling one’s life-story can be considered as an identity-making process in and of itself, as it is through narrative that a permanence in time is created, in their case a coherent and permanent self as Afro-German feminists.

Sommaire

Le mouvement féministe afro-allemand

Ika Hügel Marshall et May Ayim sont deux figures fondatrices du mouvement féministe afro-allemand. Ce mouvement a été initié par Audre Lorde dans les années 1980 à Berlin et a mené à la formation des organisations Initiative Schwarze Deutsche (ISD, représentant les Allemands Noirs [1]) et Afro-Deutsche Frauen [2] (ADEFRA — organisation de femmes afro-allemandes et femmes Noires en Allemagne), encore actives aujourd’hui. Audre Lorde était une auteure et poète afro-caribéenne des États-Unis, active dans le mouvement féministe Noire et le mouvement des droits civils. Pendant son temps comme lectrice à l’Université libre de Berlin (Freie Universität) en 1984, elle incite des femmes afro-descendantes dans ses classes à faire le récit de leurs vies (Oguntoye, Opitz, Schultz 1986). Pour la poète afro-caribéenne, cette pratique représente une façon de s’inscrire dans l’histoire comme une personne marginalisée, une forme d’émancipation pour des femmes racialisées, et permet la formation d’une identité collective en tant que féministes Noires (Lorde 2012).

Inspirées par les cours et les contributions de Lorde, Ika Hügel-Marshall et May Ayim écrivent sur leurs vies et leurs quêtes de racines en Allemagne, aux États-Unis et au Ghana. Ika avait un père afro-américain et May un père originaire du Ghana. L’article se penche sur cette quête de racines entreprise par ces deux femmes, ainsi que sur le processus d’inclusion de cette quête, et des voyages qui les entourent, dans leurs récits de vie.

Paul Ricœur différencie deux usages du concept de l’identité : « l’identité comme mêmeté (latin idem [...]) et l’identité comme soi (latin ipse [...]) » (1988 : 296), pour pouvoir mieux comprendre la construction d’une identité personnelle par la narration du soi. Je propose de voir les récits de vie d’Ika Hügel-Marshall et de May Ayim par rapport à ces deux concepts de l’identité. Par les récits autobiographiques, les deux femmes construisent à la fois une identité comme mêmeté, en s’identifiant à une communauté de féministes afro-allemandes, et une identité comme soi, en interprétant leurs vies par la mise en récit de leurs expériences individuelles.

Dans cet article je m’interroge sur la place de la mobilité spatiale dans la narration biographique et la construction d’une identité personnelle. Comment Ika Hügel-Marshall ou May Ayim incluent-elles les endroits visités et les personnes rencontrées dans leurs récits de vie ? L’objectif est de comprendre comment ces deux activistes et écrivaines afro-allemandes ont construit leur identité en tant que féministes Noires ; quel rôle jouent les expériences qu’elles ont faites en Allemagne et pendant des voyages à l’étranger ? Je me propose de retracer leurs parcours de vie et d’analyser le rôle que jouent les lieux, la mobilité, et les racines ou l’enracinement dans leurs écrits autobiographiques. Les sources que j’utilise pour présenter et analyser ces deux biographies sont diverses. Alors qu’Ika Hügel-Marshall a livré une autobiographie classique et cohérente, May Ayim a laissé des textes fragmentaires et du matériel vidéo biographique — celui-ci, même s’il n’a pas été nécessairement conçu comme un écrit cohérent, contient des références autobiographiques et des notes.

Récit autobiographique afro-allemand — le lien entre voyage et activisme

Depuis ses débuts dans les années 1980, le mouvement afro-allemand a comme objectif de mieux faire connaître le rôle de personnes Noires dans l’histoire de l’Allemagne ainsi que de lutter contre la discrimination raciale et les préjugés contre celles-ci. La narration d’expériences de vie joue un rôle essentiel dans la construction de l’activisme afro-allemand. Dans ces récits, la quête des racines et des origines africaines et afro-diasporiques joue un rôle particulier : d’une part, la quête individuelle d’origines ethniques et familiales en dehors de l’Allemagne ; et d’autre part, une quête collective d’une histoire commune de la présence africaine et Noire en Allemagne (Aitken and Rosenhaft 2013 ; Oguntoye, Opitz et Schultz 1986). Dans le présent article, je me concentre sur la quête individuelle. Les deux femmes dont j’utilise les travaux sont Ika Hügel-Marshall et May Ayim, deux Allemandes afro-descendantes, nées de mères allemandes, et respectivement d’un père afro-américain et d’un père ghanéen, en 1945 et en 1960, et pour lesquelles des destinations telles que le Ghana, les Caraïbes et les États-Unis représentent des « origines », à cause d’une histoire familiale en partie inconnue, et du désir de renouer avec leur propre sens de l’africanité et d’être Noire. Ma réflexion trouve un écho dans les recherches sur le voyage et la quête de racines afro-américaines : Paulla Ebron (1999) décrit le voyage-quête de racines de touristes afro-américains au Sénégal et en Gambie comme un moyen de reformuler leur identité comme afro-diasporique. Quant à Patricia Pinho (2008), elle souligne que la motivation centrale de ces touristes est de créer des liens avec les populations afro-diasporiques dans le monde.

Beaucoup d’auteurs afro-allemands décrivent l’organisation de rencontres entre Allemands afro-descendants dans différentes villes ainsi que l’écriture autobiographique comme une stratégie pour lutter contre le racisme, et pour dépasser un sentiment d’isolement et d’exclusion qu’ils ont vécu dans les lieux où ils ont grandi. Dans la publication de la ISD — Initiative Schwarze Menschen in Deutschland, organisation fondée en 1986, on trouve un lexique concernant les deux mots Afro-allemand et Noir :

« Afro-allemand » : auto-désignation utilisée par beaucoup de personnes Noires en Allemagne. Il est inspiré par le mot « Afro-américain » et met en lien l’aspect d’origine africaine et afro-diasporique avec l’appartenance à la société allemande.
« Noir » : une auto-désignation non discriminatoire. Elle marque certaines expériences communes dans une société dominée par la whiteness. Dans une perspective politique, Noir est écrit avec un N majuscule pour illustrer le fait qu’il décrit une catégorie construite au lieu d’une vraie « caractéristique » liée à une couleur de peau [3].
(Ridha et al. 2016 : 2.)

Dans une récente publication qui a été faite pour commémorer le trentenaire de la fondation de l’ISD et de l’ADEFRA, Maureen Maisha Eggers, professeure en sciences de l’éducation et chercheuse éminente du mouvement afro-allemand, décrit l’engagement pour une communauté Noire transnationale :

L’engagement envers la diaspora va bien au-delà de la théorie et a un rôle très concret dans le processus de constructions identitaires pour des Allemands Noirs. La recherche de parents - principalement la recherche du père ou, pour des enfants adoptés, la recherche de la mère ou des deux parents biologiques ou de membres de la famille - fait depuis vingt ans partie du programme de la rencontre annuel de l’ISD.
(Eggers 2006 : 3.)

Cette recherche de parents biologiques mentionnée dans la citation ci-dessus est un aspect important dans la vie d’Ika Hügel-Marshall et de May Ayim, qui ont été deux figures importantes dans le développement du mouvement afro-allemand. Elles tenaient à faire des voyages pour renouer avec leur héritage Noir et africain. Ce désir était en lien avec leur engagement dans les mouvements politiques, entre autres, mais elles le faisaient également pour des raisons privées. May Ayim a, par exemple, voyagé au Ghana, aux États-Unis, au Sénégal et au Brésil. Ika Hügel-Marshall, après son engagement dans des organisations féministes, a été petit à petit amenée à rencontrer d’autres Afro-Allemands et a voyagé aux États-Unis et aux Caraïbes.

Le mouvement afro-allemand, qui met en avant un engagement avec une communauté afro-descendante transnationale, a influencé les motivations personnelles d’Ika et May dans la recherche de leurs racines et de leur filiation.

Biographie spatiale, histoire de vie, récit personnel

Dans les récits de vie, les différents lieux qu’une personne a habités, les différentes temporalités et les différents individus qui ont compté dans sa vie peuvent être mis en relation et ainsi former une narration cohérente de soi. Selon Paul Ricœur c’est « le récit [qui] construit le caractère durable d’un personnage, qu’on peut appeler son identité narrative » (1988 : 301). À travers le récit, une personne tente de créer un soi qui inclut toutes les contradictions et hasards d’une vie. La linguiste Charlotte Linde (1993) explique l’importance des récits de vie ainsi :

Les récits de vie expriment notre sens de soi : qui nous sommes et comment nous sommes devenus ainsi. Ils sont aussi un moyen très important pour communiquer ce sens de soi et le négocier avec les autres. En outre, nous utilisons ces récits pour réclamer et négocier des appartenances de groupe [...] Finalement, les récits de vie touchent aux constructions sociales, puisqu’ils permettent de faire des suppositions sur ce qui peut être perçu comme attendu, quelles sont les normes, et quel système de croyances peut être utilisé pour créer de la cohérence. (1993 : 3.)

Les anthropologues Vered Amit et Caroline Knowles (2017) décrivent le concept de « biographie spatiale » comme un moyen de raconter une histoire de vie en mettant l’accent sur la mobilité ; et comme la possibilité de comprendre la relation entre des évènements ordinaires et extraordinaires dans le cadre d’une vie mobile.

Quant au concept de la biographie spatiale, il est utile pour appréhender la place du voyage-quête de racines en tant que séquence de vie liée à d’autres dans la vie d’Ika et May. Selon moi, ces voyages-quêtes de racines sont de potentiels « moments clés » (Humphrey 2008 : 364) dans la vie de ces deux activistes afro-féministes. Un moment clé, selon Caroline Humphrey, est un moment extraordinaire qui peut conduire la personne à une « reconstruction du soi radicalement différente » (2008 : 371) ; un évènement qui mène ainsi à une réévaluation et à une recomposition de soi.

Cependant un moment extraordinaire vécu dans le cadre d’un voyage en quête de ses racines est différent des autres voyages dont la motivation est existentielle. Dans le cas de ce type de voyage, la personne ne va pas rechercher l’ « autrui absolu » pour découvrir un soi authentique, comme Dean McCannell (1976 : 5) l’avance lorsqu’il parle des motivations existentielles de certains touristes. Au contraire, ces personnes vont rechercher l’identification avec des personnes et des endroits qui leur sont étrangers, mais qui leur procurent tout de même un sentiment d’appartenance (Kim 2010, Williams 2018).

Ce moment clé n’est souvent pas reconnu en tant que tel au moment où il se produit. Il ne le devient que quand il est inclus et incorporé à un récit de vie, quand il est mis en relation avec le passé, le présent et le futur.

En effectuant l’analyse de ces deux biographies, je m’appuie sur Michael Jackson (2013 : 40) qui considère que « les histoires sont le résultat de dialogue et de rédaction continuelle dans le domaine de l’intersubjectivité ». Les récits de vie peuvent montrer comment une vie est mêlée à celles d’autres personnes. L’acte de narrer lui-même peut être considéré comme une stratégie, un outil de décision, pour maîtriser sa propre vie, « pour reconsidérer activement » les évènements d’une vie « en dialogue à la fois avec les autres et avec sa propre imagination » (2013 : 34), et transformer de la matière personnelle en une matière publique.

À travers les récits de vie d’Ika Hügel-Marshall et May Ayim, je me propose d’analyser ce lien entre récit et construction d’un soi cohérent.

Ika Hügel-Marshall : de la Bavière à Chicago

Dans l’autobiographie d’Ika Hügel-Marshall Daheim unterwegs (En route chez soi) (1998), ses voyages aussi bien en Allemagne qu’aux États-Unis et aux Caraïbes occupent une place majeure dans la narration qu’elle fait de sa vie. Elle décrit ces deux dernières destinations comme jouant un rôle crucial dans sa recherche d’identité. Mais il y a d’autres endroits et espaces qu’elle utilise pour raconter sa biographie. Sa vie l’a menée d’un petit village en Bavière (dont elle ne donne pas le nom) à Düsseldorf, Francfort, Berlin, Chicago et Sainte-Croix (Caraïbes). Elle met en lien tous ces endroits dans sa trame narrative.

Un village en Bavière

Ika Hügel est née dans un village en Bavière en 1947, fille d’une mère bavaroise blanche et d’un soldat afro-américain qui a dû quitter l’Allemagne avant qu’elle ne naisse. À l’âge de sept ans, sa mère la place dans un foyer pour enfants, une pratique qui était encouragée par l’État allemand pour la garde des « enfants de l’occupation » (1998 : 10) comme on les appelait. Les mères allemandes étaient fréquemment stigmatisées pour avoir fréquenté un soldat américain après la Deuxième Guerre mondiale [4].

Elles étaient doublement condamnées s’il s’agissait d’un soldat afro-américain, car elles avaient alors non seulement eu une liaison avec l’occupant, mais qui plus est, avec une personne noire. Des articles de journaux de cette époque, publiés dans les années 1950 et qu’Ika Hügel-Marshall cite dans son livre, parlent de ces enfants « métis » comme « un problème humain et racial particulier » (1998 : 12). En grandissant, des enfants Noirs étaient souvent appelés « farbig » (coloré) et des enfants de parents blanc et noir « Mischling » (métis), un terme péjoratif habituellement utilisé pour les chiens. « Neger » était également un nom courant dans des documents officiels pour designer des personnes de peau plus foncée ; une désignation considérée comme raciste et offensive aujourd’hui.

Le cas de Ika Hügel-Marshall n’est pas une exception : beaucoup d’enfants allemands afro-descendants ont été proposés à l’adoption après la Deuxième Guerre mondiale, et ont grandi dans des orphelinats, des familles d’accueil en Allemagne ou aux États-Unis (grâce à l’adoption internationale par des familles afro-américaines), ainsi que dans des foyers dans les années 1945-60 (Morris 2012, Lee 2011, Oguntoye, Opitz, Schultz 1986). Selon Sabine Lee (2011) et Yara-Colette Lemke Muniz de Faria (2003), environ 4.000 enfants de père soldat afro-américain et mère allemande ont été proposés à l’adoption ou placés dans des orphelinats, souvent séparés de force de leurs parents biologiques, par suite du rappel des soldats aux États-Unis, ou de l’absence d’autorisation au mariage par leur hiérarchie militaire.

Ika se souvient de son enfance alors qu’elle n’avait pas sept ans, durant laquelle elle partageait son monde en deux : intérieur et extérieur. Le monde intérieur est sa famille proche, où, sa « naissance a été célébrée [...], dans le silence et l’anxiété » écrit-elle (p.10). Elle vient d’un milieu ouvrier, sa mère a arrêté l’école à l’âge de 14 ans pour travailler dans le foyer d’une autre famille ; et il y avait « un monde extérieur qui avait déjà décidé d’exclure sa famille et elle-même de la société. » (1998 : 10.)

À l’âge de sept ans, elle est placée dans un foyer pour enfants, après que sa mère ait été mise sous pression par un employé du service de la protection de la jeunesse. À partir de ce moment-là, Ika ne voit plus sa mère, sa grand-mère et sa sœur que durant les vacances. Dès lors qu’elle est en âge d’entrer à l’école, elle se souvient de s’être fait agresser à cause de sa couleur de peau par des camarades de classe et des professeurs. Au foyer, elle écrit se faire battre par des bonnes sœurs, qui la soumettent même à une séance d’exorcisme pour purifier son sang et payer pour le « péché » de sa mère qui a eu une relation avec un homme noir.

Dans un tel environnement, elle écrit que ce qui aurait pu lui donner des outils pour développer sa confiance en soi, aurait été d’avoir des modèles Noirs dans sa vie, qui lui auraient appris comment affronter la vie en tant que personne Noire en Allemagne. Cela aurait été important, selon elle, pour contrebalancer les stéréotypes négatifs qu’elle a connus dans son enfance.

Elle décide d’écrire à son père biologique Eddie Marshall pour la première fois en 1965, à 18 ans, mais malheureusement, l’adresse n’est pas la bonne.

Francfort-sur-le-Main : l’engagement dans des mouvements féministes

Sa destination suivante est Francfort-sur-le-Main, après un apprentissage comme éducatrice dans un village en Bavière, où elle a travaillé dans un foyer pour enfants. « Deux ans plus tard, je passe mon examen final et je postule à Francfort-sur-le-Main » (1998 : 60). Elle explique qu’elle voulait quitter sa petite ville pour s’immerger dans une grande ville où sa couleur de peau n’aurait pas d’importance. Ika décide de faire des études de pédagogie. C’est à l’université que sa conscience politique se réveille, un espace où elle apprend à réfléchir, à discuter et à se confronter aux politiques et à l’éducation en Allemagne.

Avant d’être active dans le mouvement afro-allemand, elle s’engage dans les mouvements féministes (il n’y a pas de mouvement Noir et antiraciste à cette époque, nous sommes au début des années 1980) ; au sein de cette mouvance, elle prend néanmoins conscience de l’absence de reconnaissance des actes racistes qu’elle subit. Durant cette période elle écrit :

De temps en temps je me demande comment cela aurait été de rencontrer d’autres personnes Noires, d’entendre ce qu’elles ont à dire, et de voir comment je me sentirais en leur présence. Je pense à mon père de plus en plus, et le besoin intense d’avoir un père est toujours en moi.
(Hügel-Marshall 1998 : 77.)

Un jour, une amie lui montre un article de presse sur le mouvement afro-allemand qui aura sa première réunion à Francfort. Ika entend le mot afro-allemand pour la première fois dans la moitié des années 1980, à l’âge de 39 ans. Au début, elle refuse de participer à ces rencontres, par peur de devoir parler et confronter les expériences négatives de son enfance. Ce n’est qu’après avoir reçu l’appel d’une autre femme qui l’invite qu’elle décide de se rendre à une réunion qui a lieu dans un appartement en 1986.

Ces rencontres sont hebdomadaires. Ce qui crée un sentiment de communauté, écrit-elle, c’est l’expérience du racisme que subissent les personnes afro-descendantes en Allemagne. Grâce à ses contacts, elle commence à lire de la littérature Noire et à développer une envie particulière de voyager aux États-Unis, un pays composé d’une grande population Noire, dans lequel vit son père (1998 : 84). Elle commence à être très active dans les organisations phares du mouvement afro-allemand, l’ISD et l’ADEFRA. Elle explique son souhait grandissant de connaître son père à travers son fort intérêt pour l’histoire Noire. « Plus je me plonge dans l’histoire Noire, plus j’ai envie de rencontrer mon père » (1998 : 86).

Berlin — le début de la recherche de son père

Ce moment de sa vie se situe au croisement d’un projet intellectuel (apprendre l’histoire Noire) et d’une quête plus existentielle (rencontrer son père biologique). Mais les deux sont liés : son engagement dans le mouvement afro-allemand est nourri par ses expériences de discrimination raciale et d’exclusion. Le projet intellectuel, l’activisme Noir, a aussi des racines existentielles. Bien que son souhait de rencontrer son père grandisse et qu’elle croit savoir qu’il habite aux États-Unis, elle ne part pas encore directement à sa recherche. Elle ne commencera à le chercher véritablement qu’après avoir été davantage active dans le nouveau mouvement afro-allemand. En 1990, Ika s’installe à Berlin. Elle emménage avec Dagmar Schultz, professeure en travail social active dans le mouvement féministe, qu’elle a rencontrée lors d’un évènement politique féministe à Francfort. C’est Dagmar Schultz qui a invité Audre Lorde, auteure féministe afro-caribéenne et initiatrice du mouvement afro-allemand, à venir à Berlin pour donner des cours à la Freie Universität de Berlin. Dagmar devient une amie proche d’Ika. À Berlin, elle rencontre à nouveau Audre Lorde qui va habiter avec elle et Dagmar durant quelques mois. « Pendant la période où Audre vit avec nous, elle saisit chaque opportunité pour me parler de racisme et de différences. » (1998 : 88)

Dans son livre, Ika Hügel-Marshall décrit comment, grâce à ses liens avec d’autres personnes afro-allemandes, elle réussit pour la première fois de sa vie à se construire une forme de confiance en soi et d’appartenance à l’Allemagne, car elle peut désormais s’identifier aux Afro-Allemands. Dans ce groupe, elle ressent pour la première fois que le fait d’être Allemand et Noir est normal. Dans la deuxième partie de son livre, elle décrit ses voyages aux États-Unis et à Sainte-Croix, et la façon dont ils affectent son sens de soi et son sentiment d’appartenance.

Premier voyage aux États-Unis — un voyage-quête de racines imprévu

Elle se rend aux États-Unis pour la première fois en 1990 à l’âge de 43 ans, pour participer à un championnat de taekwondo. Dans son récit, elle décrit son sentiment lorsqu’elle se retrouve dans un aéroport peuplé d’autres personnes Noires, où elle n’est pas en minorité. Le fait de savoir qu’elle se trouve dans le pays natal de son père crée en elle un sentiment de familiarité et de solidarité ; elle le voit dans chaque homme Noir et, à travers ce lien, se sent connectée à toute personne Noire aux États-Unis :

Je suis nerveuse au point d’avoir l’impression que mon cœur va exploser lorsque nous approchons de New York City. Voici le pays de mon père. Est-ce donc mon pays aussi ? Mon corps tremble comme si j’allais le rencontrer. [...] À l’aéroport je vois mon père dans chaque homme Noir adulte. Je parle à peine anglais mais j’ai envie de courir vers eux et de leur parler à tous. [...] En marchant dans l’aéroport, plusieurs personnes Noires me saluent et me disent bonjour [...]. Cette gentillesse, ce phénomène d’être vue et reconnue par des gens que je ne connais même pas, cette connexion avec d’autres personnes Noires me touche précisément dans ce lieu, à cause de mon désir d’appartenance à un groupe et le désir de sortir de l’isolement. [...] Je regarde mes pieds et ne peux pas croire qu’ils touchent la terre de mon père. »
(Hügel-Marshall 1998 : 91.)

Pour Ika, le voyage n’était pas planifié en tant que voyage-quête de racines, cependant, l’imaginaire qu’elle avait des États-Unis était influencé par son étude approfondie de la littérature Noire qui vient majoritairement des États-Unis. Cet intérêt pour celle-ci, et pour le mouvement afro-allemand, constituait un terrain favorable pour lui donner envie de rencontrer son père. Son voyage, qui n’était pas motivé par une quête généalogique avant le départ, se révéla être le résultat de sentiments et d’émotions qui vont se manifester pendant le voyage, et qu’elle expliqua à travers son récit par cette impression d’être chez elle aux États-Unis.

La façon dont elle donne du sens à ses expériences devient tangible en regardant la citation ci-dessus : les mots de salutation sont un signe d’un lien entre les personnes Noires, et elle essaie de donner une signification aux émotions imprévues qu’elle ressent, en s’appuyant sur son histoire familiale et sur son père inconnu. Tout au long de sa vie, son expérience lui a montré que seuls d’autres individus Noirs comprenaient vraiment ce que signifiait le fait d’être Noire en Allemagne ; l’idée de solidarité mondiale entre personnes Noires est très présente dans son récit. Il est moins important de savoir si elle a vraiment été saluée par solidarité ou par politesse à son arrivée aux États-Unis, que de comprendre ses interprétations qui nous ramènent à ses expériences de discrimination et d’exclusion en Allemagne, et qui influencent son sentiment de lien et d’appartenance aux États-Unis.

Pendant son premier voyage aux États-Unis, elle planifia également de visiter Sainte-Croix dans les Caraïbes, où habitait son amie Audre Lorde.

On est en plein été [...] et l’air est tellement humide que je ne peux quasiment pas respirer quand on arrive à Sainte-Croix. [...] Il y a des Noirs partout ; pour la première fois, je compte les blancs dans une salle pleine de Noirs. Je suis heureuse et épuisée par le voyage et le climat. [...] Petit à petit, malgré mon effervescence et ma curiosité, je me tranquillise. J’ai l’idée exaltante que je pourrais me sentir chez moi ici — je pourrais trouver ma place assez naturellement.
(Hügel-Marshall 1998 : 92 sq.)

Elle ne savait pas ce que c’était que d’être dans un endroit où la majorité de la population est Noire. L’endroit et les gens lui donnaient le sentiment de n’être qu’une personne parmi tant d’autres, un sentiment qu’elle ne connaissait pas en Allemagne. C’est pourquoi, même si elle y était étrangère, pour elle, le sentiment d’appartenance l’emportait. Ici, à Sainte-Croix, elle se sentait à l’abri de toute discrimination raciale. Elle y retournera chaque année.

En 1992, Ika reviendra aux États-Unis pour donner des conférences sur les attaques racistes qui devenaient plus fréquentes contre des réfugiés et immigrants en Allemagne, après l’unification. Elle fera connaissance avec une amie de Dagmar qui lui proposa de chercher son père. Elle le retrouvera, et elle entamera une correspondance avec lui en 1993. Puis Ika le rencontrera, ainsi que sa famille, en 1994. Quelque temps avant de partir pour cette rencontre, elle est submergée par la peur et l’anxiété. « Au lieu de la joie et de l’enthousiasme, je ressens de la peur. Peur d’un pays étranger, peur d’une langue étrangère (qui plus est, un dialecte, et de l’anglais Noir), et de rencontrer mon père pour la première fois à 46 ans » (1998 : 115). Finalement la rencontre se passa très bien :

Mon père sourit prudemment et nos regards se croisent de temps en temps. Je vois des ressemblances entre nous que je n’aurais jamais imaginées, à en avoir le vertige. [...] Ici, je rencontre de l’humanité et de l’amour comme je n’en ai jamais connu auparavant. Une telle rencontre serait-elle possible dans mon pays natal ?
(Hügel-Marshall 1998 : 119.)

Durant la rencontre familiale, toutes et tous cherchèrent des ressemblances entre Ika et d’autres membres de la famille et les trouvèrent dans des expressions de visage et des gestes ; ils essaient de les noter pour créer des points d’identification, une affiliation de groupe, de la parenté. De même que les personnes adoptées qui recherchent leurs parents biologiques étudiées par Janet Carsten (2004), Ika avait dans sa vie en Allemagne « un sens de soi fracturé et partiel » (1998 : 106-7) l’expérience de rencontre avec son père l’aide à surmonter ce sens du soi fracturé.

La parenté selon Marshall Sahlins (2011 : 9 sq.) est définie comme une existence mutuelle, inter-subjective entre des personnes qui participent à la vie l’une de l’autre et se construisent mutuellement, ce que Sahlins nomme « mutualité d’existence : des personnes qui font partie de la vie de l’autre. [...] Une variété de participations intersubjectives, basée sur des mutualités d’être » [5]. Son père et elle n’ont pas partagé leurs vies jusqu’en 1994. Jusque-là, elle n’avait donc pas de père, au sens où ils ne partageaient pas leur existence et qu’ils ne leur étaient donc pas possible de faire partie l’un de l’autre. Mais dès leurs retrouvailles, leur existence est liée, partagée, et une relation de filiation entre une fille et un père s’établit.

Elle décrit l’expérience de la rencontre avec son père et de sa famille comme « la fin de son trajet » dans un poème :

Je lève mes mains
Je les lève vers ma famille Noire
Mon père, ma famille
Ici mon voyage se termine
Ici, le monde entier se rassemble
(Hügel-Marshall 1998 : 118.)

Tout le long de sa biographie et spécialement dans ce poème, qui montre bien qu’Ika écrit sa biographie en tant qu’activiste afro-allemande : écrire et raconter sa propre histoire est considéré comme un acte d’« émancipation » et de solidarité ; « un acte de reconnaissance publique » pour des groupes marginalisés dans une société. C’est ainsi que Jackson (2013 : 32) décrit la motivation politique de la narration.

Ika reverra son père encore une fois avant qu’il ne meure. Il lui promettra de lui faire obtenir la nationalité américaine, la seule chose qu’il peut lui donner en héritage, dit-il. On pourrait suggérer ici que la nationalité proposée par le père ainsi que son nom de famille créent le lien de filiation entre père et fille. Elle prendra officiellement le nom de son père et ne s’appellera plus seulement Hügel, mais Hügel-Marshall et prendra la double-nationalité allemande-américaine pour rendre visible ce nouveau lien avec son père.

Il est important de noter que les voyages d’Ika Hügel-Marshall, mis à part ce dernier, sont moins motivés par une quête de ses origines, mais celle-ci est davantage quelque chose qui arrive de façon imprévue dans son récit. Son premier voyage aux États-Unis, bien qu’elle décrive des sentiments immédiats de complicité et d’appartenance avec d’autres personnes Noires, n’était pas motivé par l’idée de trouver ses racines familiales. Cependant, à ce stade de sa vie, elle avait déjà fait sienne l’idée que le fait de se retrouver dans un endroit peuplé d’un grand nombre d’autres personnes Noires était un événement spécial pour elle. La même chose est vraie pour son voyage à Sainte Croix. À l’origine, la motivation centrale était de rendre visite à des amies. Les voyages deviennent des voyages-quêtes par leur interprétation dans son récit ; c’est après avoir ressenti un sentiment d’appartenance aux États-Unis et à Sainte-Croix qu’elle comprendra qu’elle y recherchait en réalité ses racines.

May Ayim — « Entre Avenui et Kreuzberg »

May Ayim [6] est le nom de plume de May Opitz. Elle est née le 3 mai 1960 à Hambourg, et elle est morte le 9 août 1996 à Berlin. May était l’une des membres fondateurs de la ISD et de l’ADEFRA en 1986. Elle était également poète, activiste féministe et antiraciste, chercheuse, et logopédiste.

Fille d’une mère allemande et d’un étudiant en médecine du Ghana, Emanuel Ayim, qui est venu en Allemagne en 1950, elle est confiée à un foyer pour enfants après sa naissance, en 1960. Son père voulait l’emmener avec elle au Ghana pour qu’elle grandisse avec sa tante, mais la loi allemande ne le permettait pas à cette époque (Ayim 1997a : 13). Elle est adoptée par une famille allemande, les Opitz, à Münster, à l’âge de deux ans, dans laquelle elle grandit aux côtés de ses parents adoptifs et trois frères et sœurs. Sa vie en Allemagne la mène de Hambourg à Münster, puis à Regensburg et enfin à Berlin, où elle passera les douze dernières années de sa vie. Elle a beaucoup voyagé dans le monde entier, mais elle a surtout écrit sur son voyage au Ghana, un peu moins sur l’Afrique du Sud. Il est moins évident de reconstruire sa trajectoire, car elle s’est suicidée à l’âge de 36 ans et n’a jamais rédigé d’autobiographie en tant que telle, mais elle a écrit beaucoup d’essais autobiographiques. Ce qui est présenté ici de May Ayim sont des extraits de textes, de poèmes et d’essais qui seront publiés à titre posthume dans le livre Grenzenlos und unverschämt (Sans frontière et impudique) (1997a) ainsi que des interviews donnés à la télévision qui sont réunis dans le film « Hoffnung im Herzen » [7] (L’espoir dans le cœur) (Binder 1997). Je reconstruis donc sa biographie spatiale à l’aide de ces différentes sources.

De Hambourg à Berlin

La famille adoptive de May Ayim est d’un milieu ouvrier. Ses parents voulaient qu’elle ait une bonne éducation pour être capable de « trouver un travail où sa couleur de peau n’aurait pas d’importance et avec lequel elle pourrait possiblement travailler également en Afrique » (Ayim 1997a : 78). Elle se sentait marginale au sein de sa famille, car elle était la seule à faire des études supérieures et la seule enfant adoptée. May Ayim se souviendra plus tard que sa famille lui disait souvent d’essayer de ne pas se faire remarquer, car sa peau foncée et ses cheveux frisés attiraient déjà « trop l’attention » (1997a : 78). Cependant, ils encourageaient le contact avec son père biologique, Emanuel Ayim, qui lui rendra visite durant son enfance, avant de partir travailler en tant que professeur de médecine au Kenya. Sa mère biologique refusait le contact.

Sa carrière en tant que féministe et activiste Noire a commencé quand elle était au premier congrès des « Femmes allemandes et étrangères » à Francfort en 1984, où elle s’était rendue depuis Münster, à l’âge de 24 ans. Dans une lettre aux organisatrices, elle écrit qu’elle n’a jamais été présente à un congrès de femmes auparavant et leur explique son parcours. Elle raconte avoir quitté sa famille adoptive suite à une dispute après son Abitur (équivalent du baccalauréat) qui l’a menée à couper le contact pendant quelques années. Elle continue en décrivant ce que veut dire pour elle le fait de vivre en Allemagne avec une peau foncée et un passeport allemand. Malgré le fait d’avoir grandi en Allemagne et d’avoir été socialisée dans cette société, « être allemande » lui a souvent été refusée :

Les apparences physiques ne devraient normalement pas jouer de rôle. Je me suis rendu compte ce week-end de la signification pour moi de cette incompatibilité apparente entre couleur de peau et nationalité dans ma recherche d’identité - pour moi qui ai grandi dans une société où les apparences physiques sont très importantes : ma socialisation est celle d’une fille « allemande » dans un environnement allemand (ma famille n’a pas de contact avec des étrangers).

J’ai un nom allemand et « profite » des privilèges d’être allemande avec mon passeport allemand. Je ne parle aucune langue africaine, je n’ai jamais mis les pieds dans le pays natal de mon père, en résumé, je ne suis pas étrangère. Je trouve inutile d’insister sur le fait que je suis allemande. Mais lorsqu’on me demande, ce qui arrive très fréquemment, quel est mon pays d’origine et que je réponds « Je suis née et j’ai grandi en Allemagne », on accepte rarement ma réponse.
(Ayim 1997a : 10.)

Elle raconte les questions et les commentaires qu’on lui a déjà faits : « Mais tu ne peux pas nier ton sang », ou bien « Mais tu n’as pas le désir de retourner chez toi un jour ? »,« Tu parais tellement différente » (1997a : 10). Une autre activiste afro-allemande, Katharina Oguntoye explique : « Comme nous ne sommes pas perçues comme européennes, un sentiment de différence se développe en nous » (Ayim 1997a : 20). May Ayim décrit le racisme et les stéréotypes : dès son enfance, elle a constaté la façon négative dont sont désignés les Noirs, dans la chanson « Zehn kleine N-lein » (Les dix petit n-), entre autres.

Selon May Ayim, le sentiment de devoir faire partie de la masse et de ne pas attirer les regards était quelque chose de très fort : « alors l’imagination d’un pays comme le Brésil où la population est très diverse, me réconfortait ; là-bas je pourrais être acceptée sans attirer l’attention » [8] (Ayim 1997a : 31). Cet imaginaire de lieux dans lesquels elle pourrait se fondre dans la masse est un thème commun aux récits de vie des deux auteures.

Elle rencontre un ami à Münster avec lequel elle se rend à Regensburg pour faire des études de psychologie et de pédagogie en 1980. May écrira son mémoire de master sur le thème suivant : « Afro-Deutsche. Ihre Kultur- und Sozialgeschichte vor dem Hintergrund gesellschaftlicher Veränderungen » (Les Afro-Allemands. Leur histoire culturelle et sociale sur fond de changements sociaux) qui sera le premier livre sur l’histoire Noire en Allemagne.

Elle déménage à Berlin en 1984 et décrit la ville comme « son chez-soi [...] plus que n’importe où » (Ayim 1997a : 89). À Berlin, espère-t-elle, elle se sentira mieux, car c’est une grande ville composée de nombreuses nationalités et cultures, et présentant davantage de possibilités pour s’engager politiquement. Trois ans plus tard, elle décide de faire des études de logopédie, et décide d’écrire un travail sur des pratiques ethnocentriques et sexistes dans cette profession. À cette époque, l’engagement contre le racisme et le sexisme constitue déjà une partie majeure de sa vie.

Elle est l’une des fondatrices de l’ISD et elle travailla au sein d’un mouvement anti-apartheid. Le lien avec l’Afrique du Sud restera important toute sa vie. Lors d’un entretien, May explique qu’elle n’a appris à s’identifier avec une plus vaste histoire de personnes Noires en Allemagne qu’après avoir fait ses recherches pour son mémoire. Durant toute son éducation, elle n’avait jamais entendu parler de Noirs en Allemagne, et c’est la raison pour laquelle elle a décidé de mener ses propres recherches. Celles-ci incluent des biographies de personnages africains et d’origines africaines en Allemagne à partir du XVIIIe siècle.

Ghana : la rencontre avec son grand-père

En 1986, elle part au Ghana pour quelques mois ; elle a peur de partir, car elle ne sait pas si elle sera acceptée là-bas en tant qu’Allemande avec des origines ghanéennes, mais décide de le faire tout de même. Pour May, le Ghana était un endroit qu’elle associait avec une histoire de famille inconnue ; jusque-là, le pays n’était le symbole que de son père biologique, avec lequel elle entretenait une relation conflictuelle, n’ayant quasiment pas de contact. Ce voyage était censé lui faire éprouver quelque chose de nouveau pour cette terre :

Je ne suis pas allée au Ghana avec l’intention d’aider, pas avec l’intention de me détendre ou de me distraire. Je voulais plutôt découvrir les racines de mon origine africaine, faire l’expérience du pays dans lequel j’aurais pu être élevée, au même titre qu’en République fédérale [allemande] — peut-être même mieux ? Mais je n’ai pas grandi au Ghana. Et même si je pouvais marcher dans la rue au Ghana en me fondant physiquement dans la masse — un contraste plaisant par rapport à ma vie de tous les jours en Allemagne — cette joie s’arrêtait net dès que j’ouvrais la bouche pour parler : Une Allemande Noire ? Une femme Noire qui a grandi dans une famille blanche ?
(Ayim 1997a : 53.)

Cependant, elle décrit que, même si elle était perçue comme différente, elle était la bienvenue dans ce pays. Dans son essai Eine der anderen (Une parmi d’autres) elle compare sa vie en Allemagne avec celle qu’elle mène au Ghana, et écrit que même si elle « se sentai[t] étrangère [au Ghana], avec le mal du pays etc., je ne m’y sentais jamais rejetée, malvenue ou pas à ma place » (1997a : 54) ; des sentiments qu’elle avait ressentis en Allemagne.

May décide de participer à un projet de développement pour être en contact plus intense avec les Ghanéens, un contact qui va au-delà de celui qu’aurait un simple touriste (Ayim 1997a : 53). Ses motivations de voyage étaient donc à la fois récréatives et existentielles, dans le sens où ce séjour lui permettra d’en connaître davantage sur ses origines familiales. Une fois au Ghana, elle rencontra de nombreuses personnes prêtes à l’aider dans la recherche de sa famille. In fine, un homme parviendra à la retrouver. Elle-même ne l’aurait pas fait de sa propre initiative, mais comme cette opportunité se présenta à elle, elle décida de se rendre dans le village de la famille paternelle, inquiète de la façon dont elle y sera reçue :

J’étais là, en face de mon grand-père. Il avait 80 ans, j’en avais 26. En entrant chez lui, il est venu vers moi les bras ouverts et m’a pris dans ses bras, comme il l’avait décrit dans la lettre [il y avait eu un échange de lettres auparavant], comme si j’étais l’une de ses petites-filles préférées. Quelle joie !
(Ayim 1997a : 59.)

À Avenui, le village natal de son père, elle était acceptée comme l’une des leurs, notamment par la famille de son père. Cependant, elle ajouta à propos de ses expériences à d’autres endroits au Ghana :

Les questions que me posaient les gens n’étaient pas si différentes que celles posées en Allemagne. Cependant il y avait une différence majeure : même si on m’appelait « White Lady », tout le monde m’acceptait comme étant ghanéenne.
(Ayim 1997a : 53.)

L’importance de cette citation, à mon avis, est dans la comparaison entre ses expériences. Alors qu’en Allemagne, le fait que son père biologique soit de couleur de peau foncée et vienne du Ghana suffisait pour qu’un grand nombre de personnes ne la considère pas comme vraiment une Allemande, et ce malgré qu’elle soit née en Allemagne, qu’elle y ait grandi toute sa vie et que l’allemand soit sa langue maternelle ; ce même fait était suffisant pour que les Ghanéens l’acceptent comme une Ghanéenne, bien qu’ils la considèrent comme blanche et qu’elle ne parle pas le Twi ou d’autres langues locales à part l’anglais.

D’après elle, sur la base de son expérience, l’équation de la catégorie de race [9] avec celle de la nationalité n’était pas faite au Ghana (bien qu’il y ait une équation apparente entre descendance et nationalité), alors qu’elle était faite en Allemagne. Une identité raciale n’est pas un choix individuel, elle est attribuée par les autres ; et dans les deux cas, May Ayim devait gérer la façon dont une identité raciale était construite à son sujet dans les différents systèmes nationaux et la façon dont elle s’articulait dans les relations interpersonnelles.

Afrique du Sud — L’inspiration du Black activism

Quand les deux Allemagnes s’unifient en 1990, May Ayim habite à Berlin. Ses écrits datant de cette période incluent la perspective de personnes Noires et de personnes immigrées, décrivent les positions et les expériences de groupes marginalisés. Elle avait l’impression que les choses empiraient à Berlin, avec davantage d’attaques racistes verbales et physiques envers elle-même et ses amies. C’est durant cette période qu’elle a commencé à créer des liens avec des activistes en Afrique du Sud.

En 1991, May Ayim fait un voyage d’études dans ce pays. Dans un festival à Johannesburg, elle récita le poème Afro-Deutsch qui parle de ses expériences en Allemagne. Elle partagea ses sentiments et réflexions au sujet de l’unification et des attaques racistes en augmentation. La perspective politique du « Blackness », du mouvement politique Noir, qu’elle trouva en Afrique du Sud, l’inspira pour son travail en Allemagne. La catégorie, définie de manière plus politique, d’« être Noir » ou « issue d’une communauté Noire », en lien avec des expériences partagées de marginalisation, de racisme et d’altérité, s’approchait de ce que May avait en tête pour décrire sa vie et son travail en Allemagne. Ses expériences en Afrique du Sud et au sein d’une organisation en Allemagne qui soutenait la lutte contre l’apartheid ont nourri sa vision de son rôle en tant que membre du mouvement « Schwarze Deutsche » (Allemands Noirs), avec l’idée de réunir tous les groupes qui souffrent du racisme (personnes juives, différents groupes de personnes immigrées comme les Turcs..., les Allemands afro-descendants) sous le terme « Schwarz » (Noir) (MacCarroll 2005, Mertins 1997, Michaels 2006, Rotaru 2017).

Au niveau personnel et sensoriel, l’Afrique du Sud a également été très importante pour elle. Une de ses amies qui a rédigé la postface du livre posthume de May Ayim y décrit qu’elle avait été très marquée par le fait d’avoir vraiment l’impression de se fondre dans cette masse de « différents tons de brun » (1997a : 147).

Ce voyage ne peut pas être conçu comme une quête de racines ou de retour, car May ne cherchait en Afrique du Sud ni des origines familiales, ni des origines imaginées autrement. Cependant, sa relation continue avec ce pays lui a permis de se construire comme activiste Noiresachant qu’en Allemagne la terminologie n’existait pas encore, et de modifier le sens de ce que c’est d’être Noire. Être Noire n’était donc plus un indice de sa couleur de peau mais devenait un symbole de son engagement au sein d’une communauté globale de personnes afro-descendantes.

La quête de racines comme projet existentiel

Les récits de vie des deux auteures afro-allemandes sont un exemple d’une conception du soi qui est intrinsèquement liée à des environnements sociaux, politiques et historiques, et de l’enchevêtrement et du développement du soi en interactions avec les autres (Jackson 2013, Mead 1934, Mauss 1938). Nous pouvons mettre en parallèle les vies de May Ayim et Ika Hügel-Marshall : toutes deux déménagent à Berlin comme adultes où elles s’engagent davantage dans le mouvement afro-allemand, et toutes les deux combinent un projet intellectuel sur l’histoire Noire et africaine avec un projet existentiel de recherche de leurs propres racines. Dans les deux cas, l’engagement intellectuel précède les projets de voyage.

Dans leurs récits de vie on peut trouver les deux usages que Ricœur propose du concept de l’identité : « l’identité comme mêmeté et l’identité comme soi » (1988 : 296). Dans les récits d’Ika Hügel-Marshall et May Ayim, nous retrouvons des éléments qui peuvent être des critères d’identification à un groupe, une communauté de féministes Noires. Le fait d’écrire sur sa vie et sur certaines expériences, par exemple être confronté au racisme en Allemagne et apprendre à s’en protéger, se retrouve chez les deux auteures.

Ces récits témoignent aussi de l’importance de la mobilité et du changement géographique dans la perception du soi ; le voyage à l’intérieur de l’Allemagne et au-delà des frontières nationales a été une stratégie d’Ika Hügel Marshall et de May Ayim pour combler un vide existentiel et mener une quête d’appartenance à une communauté.

En regardant les biographies des deux écrivaines, en retraçant leurs chemins dans le temps et l’espace, il me semble que le concept de navigation permet bien dexpliquer comment la mobilité dans la vie d’une personne peut être perçue comme une accumulation de « petits pas plutôt que de grands projets » (Amit et Knowles 2017 : 10).

Par exemple pour Ika Hügel-Marshall, l’idée de rechercher son père n’était pas une idée qu’elle avait depuis toujours, mais quelque chose qui revenait au fur et à mesure dans sa vie, et c’est seulement lors de son voyage aux États-Unis en 1992 que cette idée s’est concrétisée quand une connaissance a proposé de l’aider à trouver son père.

May Ayim et Ika Hügel-Marshall arrivent à se construire une identité en tant que personnes Noires, en partageant leurs expériences avec d’autres personnes afro-descendantes, en étant membres de mouvements antiraciste et féministe et en faisant la connaissance de leur famille ghanéenne pour l’une et afro-américaine pour l’autre.

Ces deux cas montrent comment des voyages peuvent être interprétés comme existentiels. Lorsqu’elle part à Sainte-Croix, Ika veut tout d’abord rendre visite à des amies ; mais au cours de son périple, elle découvre un sentiment d’appartenance à une communauté et à la majorité de la population de cette île, en tant que personne Noire. Elle s’y sent en sécurité, loin de la discrimination raciale qu’elle subit en l’Allemagne.

La même chose se passe durant le voyage au Ghana de May. Bien que celui-ci soit censé être organisé avec une agence de coopération au développement, son désir existentiel d’établir un lien avec un pays qui est lié à l’histoire de sa famille inconnue fait partie de sa motivation. Le voyage se révèle être une quête de racines, durant lequel elle rencontrera son grand-père et sa famille. Cependant, dans ce cas aussi, le sentiment d’appartenance n’est pas seulement lié à une histoire de famille personnelle, mais au sentiment d’avoir l’impression de s’intégrer physiquement dans la foule au Ghana, et d’être acceptée en tant que Ghanéenne, sans condition. Dans les deux cas, cela leur permet de dépasser les stéréotypes négatifs sur les personnes Noires et africaines dans la société allemande.

La recherche d’un être-dans-le-monde qui est ancré et enraciné quelque part (peut-être dans plusieurs lieux et communautés), mais aussi le rétablissement d’un lien de filiation, est une dimension qui guide les deux femmes dans leur mobilité géographique, en Allemagne et en-dehors. Ces auteures participent par leur pratique, par leurs multiples voyages, à la création d’une communauté globale d’activistes Noires.

Alors qu’aucune des deux ne se sentait faire partie d’une communauté en grandissant — ni dans leur cercle familial, ni dans leur pays — la nécessité de chercher leur appartenance ailleurs les accompagne durant toute leur vie.

Le voyage dans d’autres endroits, villes et pays représente un processus significatif à deux niveaux. Tout d’abord, les séjours dans les pays natals de parents biologiques ou dans des régions habitées par de larges populations africaines ou afro-descendantes est une tentative de donner du sens à soi-même, comme personne afro-descendante. Puis, la découverte de la politique féministe Noire ainsi que celle de raconter leur expérience sous forme de récit de vie leur permettent de créer un soi cohérent.

add_to_photos Notes

[1Le mot « Noir » avec majuscule ne fait pas référence ici à une couleur de peau, mais est à une catégorie « émique » d’identité politique qui désigne toute personne de descendance africaine ou afro-diasporique (Gordon and Anderson 1999). C’est dans ce sens qu’il est utilisé dans cet article.

[3Toutes les traductions de l’allemand et de l’anglais sont de l’auteure.

[4Pour un historique détaillé de ce thème voir Lemke Muniz de Faria (2003) ou Lee (2011).

[5Anne-Christine Trémon propose la traduction « communauté d’êtres » (2015 : 158).

[6« Entre Avenui et Kreuzberg », poème de May Ayim dédié à son Grand-père au Ghana (1997b).

[7Cf. ein-film-uber-may-ayin. Dans le documentaire, May explique comment elle et d’autres personnes ont inventé le mot « afro-allemand » comme terme émique et alternatif aux désignations péjoratives comme « métis » ou « nègre ».

[8May voyage au Brésil en 1989-1990.

[9Voir El-Tayeb (2001) pour l’histoire de l’évolution de la catégorie et le lien avec le racisme en Allemagne et l’Europe.

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Pour citer cet article :

Silvia Wojczewski, 2019. « À la recherche d’un enracinement. De l’importance des voyages au sein des itinéraires de féministes activistes afro-allemandes ». ethnographiques.org, Numéro 37 - juin 2019
Revenir. Quêtes, enquêtes et retrouvailles [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2019/Wojczewski - consulté le 19.03.2024)
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