Delphine Dejeans. ANNEXE 1. Extrait d’entretien avec ALBERT.


Annexe issue de l'article

À la rencontre des agriculteurs.
Sur la désensibilisation du sociologue en action

http://www.ethnographiques.org/2006/Dejeans.html


LOUIS : Et ils ont une grosse production, parce que c'est difficile de savoir...
ALBERT : Les chinois, ils montent jamais des petites productions, quoi, hein ?
LEA : Mais, ils produisent combien, à peu près, par an ?
ALBERT : Pfff. Je sais pas, mais ils arrivent à.. Oui, ils ont des grosses productions, oui. C'est..
LOUIS : Barbaroux avait l'air de dire que.. Ils disent qu'ils produisent énormément peut-être pour, euh, pour faire un peu..
ALBERT : Ah, c'est peut-être un peu de l'esbrouffe, pour faire peur aux américains, mais, en tout cas, quand le patron de Earthrise est venu ici, il m'a dit que ça faisait deux ans qu'il vendait à perte la spiruline, à cause de.. à cause des chinois. Donc, eux, ils avaient les épaules solides, puisque c'est le Dai Ink, le propriétaire d'Earthrise, maintenant c'est les japonais.
LEA : Ah, ils ont repris..
ALBERT : Dai Ink. Ouais, ça fait un moment. Et maintenant ils sont entièrement.. entièrement.. le propriétaire, ouais. Donc, ils ont des soucis parce que.. la spiruline, maintenant, ils perdent de l'argent sur la production de spiruline. Ils perdent de l'argent. Et, euh.. les chinois, ils sont dessus. De toute façon, quelque soit le prix que fassent les américains, ils disent : "mais nous, on fait moins cher". Technique de dumping normal pour prendre un marché, et euh..
LEA : Mais pourquoi les américains sont effrayés par la concurrence chinoise, puisque, eux, le marché intérieur chinois est très grand, et absorbe la production chinoise.
ALBERT : Mais, dans tous les pays, la devise c'est intéressant. Les chinois, ils cherchent aussi à vendre. Ils préfèrent ne pas vendre aux chinois, et vendre à l'étranger, comme bonne technique de mondialisation merdique, euh, internationale, quoi, euh. On préfère faire crever les gens, on produit un produit, mais on le donne.. c'est pas pour les gens du pays, on préfère le vendre à l'extérieur pour enrichir les riches, pas pour donner à manger aux pauvres, quoi. D'ailleurs, cet après-midi à Montpellier, si vous vous ennuyez, y a une manifestation organisée par Attac et la Confédération Paysanne dont je fais partie, euh, contre la mondialisation, pour le sommet du Cathare qui a lieu actuellement, où on discute la privatisation..
[parlent en même temps]
SOCIOLOGUE : Ouais, y a à Lyon aussi.
ALBERT : Voilà, exactement, où il va se discuter de l'AGCS, l'arrangement général sur le commerce et les services, parce que là on va privatiser l'éducation et la santé.
LOUIS : Ah oui ?
ALBERT : Là, on va vite se rendre compte de la mondialisation, on va.. au jour le jour, là. Où les enfants apprendront Coca-cola, et se soigneront que les riches. Les pauvres seront carrément, pffuit, plus rien. La CMU, c'est pas quelque chose qui va bien dans la.. dans l'AGCM.
LEA : Nous, le problème, chez nous, ça commence déjà. La privatisation de la santé..
ALBERT : Bien sûr.
LEA : Ca commence. C'est-à-dire, maintenant, dans un pays où y a moins de vingt universités en tout, dans le pays y a déjà des universités privées.
ALBERT : Bien sûr.
LOUIS : Mais, c'est aussi..
LEA : Je sais pas si y a besoin d'universités privées.
ALBERT : C'est quoi ton pays d'origine ?
LEA : Le Tchad.
ALBERT : Ah oui !
LEA : Y a déjà des universités privées, des instituts de formation dans tous les domaines privés. Y a plus d'institutions d'enseignement supérieur privées.
ALBERT : Bien sûr.
LOUIS : Ca devient gênant si en plus les gouvernements favorisent.
[inaud. Parlent en même temps]
ALBERT : Les gouvernements peuvent pas faire autrement ! Si le FMI et la Banque Mondiale leur disent. Moi, j'étais au Bénin, leur disent "vous voulez des crédits, voilà, pour démarrer, vous privatisez l'électricité. Sinon, c'est même pas la peine, vous avez rien". Le gouvernement, qu'est-ce qu'il fait ?
LEA : Ils ont pas le choix.
ALBERT : Il essaye, il essaye de..
LOUIS : Mais, ouais, c'est une mafia d'amis qui sont.. importantes.
LEA : Le FMI et la Banque Mondiale, c'est quand même une clique là, une mafia..
ALBERT : Les institutions supérieures, c'est les gens les plus intelligents du monde, c'est ce qu'on essaye de nous faire croire en permanence ! C'est une bande de malhonnêtes..
LEA : C'est une mafia, ils s'entendent sur le dos des pauvres, ça, c'est toujours comme ça.
ALBERT : Bien sûr. Les politiciens, ils les achètent, c'est tout. Eux comme les autres, quoi ! Peut-être plus facilement que les autres. Ceux qui font de la politique ont peut-être plus propension à se laisser acheter que..
LEA : Mais, ce qui est curieux, c'est que c'est pas que les républiques bananières, disons en Afrique, ou là-bas, en Amérique latine, mais même chez les occidentaux, chez les européens, la Banque Mondiale, le FMI ont leur [?] quoi.
ALBERT : Bien sûr. Bien sûr.
YI : Si ça ne marche pas, on fait la pression.
ALBERT : Ben c'est.. pour ramener ça à la spiruline, si les projets de spiruline faits par.. tous les trucs faits par Fox, si ça a jamais pris, c'est parce que, en fabriquant de la spiruline, on ne génère pas d'argent, on génère à manger. C'est absolument autre chose. On génère à manger pour les gens sur place. Aucun intérêt ni pour l'OMS, ni pour l'ONU, ni pour les ministres de la santé pourris des pays concernés, et compagnie. Pas de bad chich. On génère à manger pour les gens qu'ont faim. C'est pas intéressant, pour personne. Au niveau des instances internationales, et même nationales de certains pays, y a aucun intérêt.
YI : Y a aucun intérêt.