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Claude Mercier

« Pratiquer la friche : couvert végétal spontané, relations interindividuelles et système à maison »
Annexe : Présentation des données de terrain

Sommaire

L’analyse repose sur des observations et des matériaux de terrain récoltés en vallées d’Aure (Hautes-Pyrénées) lors d’une enquête ethnographique effectuée de l’été à l’hiver 2003. Cette première recherche a été suivie de courts séjours en été 2004, automne 2005, hiver 2006 et printemps 2007, afin de compléter les premières données recueillies en vallées d’Aure et d’en tester la validité en Baronnies de Bigorre (vallée limitrophe) [1].

Afin de ne pas allonger le texte, nous nous sommes volontairement tenu à l’écart du discours méthodologique. Il convient toutefois d’en poser les principaux jalons.

Si nous n’avions pisté que le cadre structurel du système à maison et son empreinte contraignante quant à la tenue des terres, notre analyse aurait trouvé son terme avec la première partie de l’article. Nous aurions alors fait fi des contres-exemples donnés dans la seconde partie, et écarté certaines des motivations des acteurs qui créent les conditions de la propagation des friches. En symétrique, si nous ne nous étions intéressé qu’aux stratégies et pratiques d’enfrichement des acteurs tentant de satisfaire des buts qu’ils préfèrent taire, il nous aurait été difficile d’envisager les volontés anti-économiques de maintien des parcelles hors friches. L’analyse n’a ainsi été rendue possible qu’en pondérant l’importance donnée à la dimension structurelle. Elle ne constitue ni une toile de fond imperméable à tout changement, ni une chape culturelle surplombant les acteurs de sa toute-puissance, mais elle est une donnée parmi un jeu d’autres données. C’est en adoptant cette position et en suivant les acteurs dans toutes leurs contradictions, que nous avons pu commencer à traquer l’enfrichement des Pyrénées. Nous tenons toutefois à souligner que l’analyse retranscrite dans cet article ne constitue qu’une étape. La chasse est encore partielle, car d’autres données sont détenues par d’autres acteurs qu’il faudra suivre hors des villages de montagne des Pyrénées, sur des terrains aux aspects fiscaux, législatifs et politiques.

D’après une étude récente, la situation d’enfrichement en vallées d’Aure varie selon les communes. L’auteur d’un rapport de plan de gestion du canton d’Arreau (ville et canton situés au confluent des deux vallées d’Aure et de la vallée du Louron) distingue trois types de milieux : « 1/ milieux ouverts à faiblement embroussaillés, 2/ milieux moyennement embroussaillés, 3/ milieux fortement embroussaillés et landes d’altitude. Les milieux moyennement embroussaillés sont ceux dont la végétation arbustive et/ou semi-ligneuse sont comprises entre 10% et 60 à 70% de la surface, les milieux fortement embroussaillés sont ceux dont l’espace est couvert à plus de 70% par des espèces arbustives ou envahissantes » (Frat 2003). [2]

Pâturages d’automne recouverts de fougères (situation 2) Versants de montagne impénétrables envahis par les épineux (situation 3)

Afin de mettre en perspective les trois situations écologiques avec les données sociales qui selon nous les renforcent, quant elles ne les précèdent pas, nous étudierons les exemples de trois villages répondant aux trois situations d’enfrichement. Cependant, les points abordés pour ces trois communes se retrouvent de façon régulière sur l’ensemble des vallées d’Aure.

Un village que nous rebaptiserons du nom de Mounta, connaît le taux d’enfrichement le plus élevé des vallées d’Aure. Les terres accusent une forte proportion de pente et ne sont pas mécanisables (Dufourcq 2002, Frat 2003).

Un deuxième village, que nous nommerons Artigaou, est qualifié par l’étude de Julien Frat d’un taux d’enfrichement moyen. Le village possède un fond de vallée mécanisable et des parcelles situées sur des pentes de pourcentage fort variables (Dufourcq 2002, Frat 2003).

Un dernier village que nous appellerons Escaou connaît le taux d’enfrichement le moins élevé des vallées d’Aure (Frat, 2003). Toutes les parcelles de ce village accusent une forte pente, n’autorisant d’autres pratiques de fauche mécanisées que celle de la motofaucheuse (Dufourcq 2002, Frat 2003).

Ces trois villages sont situés à plus de 1000 mètres d’altitude.

Les trois terrains villageois ont été sélectionnés en fonction de leurs sociologies particulières permettant d’isoler les relations entretenues entre chacune des catégories d’acteurs. Ces situations, pourtant bien réelles, ne se retrouvent pas partout sous une forme aussi évidente. La majorité des villages des vallées d’Aure et des Baronnies de Bigorre ont des populations mêlées : pour retrouver les conditions qui ont servi à illustrer cet article, il convient de partir de la parcelle comme unité d’analyse

D’après les données de terrain, six catégories sociales ont été retenues, réparties sur deux groupes principaux. Le premier d’entre eux est celui comprenant la population autochtone, divisée entre les éleveurs et les ruraux non éleveur. Le second comprend la population nouvellement installée en vallée d’Aure et répartie en néo-ruraux éleveurs, néo-ruraux non éleveur et à un moindre degré les résidents secondaires. Il n’est guère possible de classer cette population sous l’appellation d’allogène ou allochtone, car les touristes qui font partie de cette catégorie, sont exclus des pratiques qui se jouent autour de la friche et de l’enfrichement.

Mounta possède le plus fort pourcentage d’habitants non originaires de la région (65% de la totalité des logements - source : INSEE 1999). Le pourcentage de résidents secondaires est considérable en regard de la quinzaine d’habitants permanents et atteint les ¾ de la population totale. Seules cinq habitations sont occupées par des personnes originaires du village, réparties sur deux familles. Aucun des habitants de Mounta n’exerce une activité en rapport avec le secteur agricole, un seul d’entre eux est retraité de ce secteur et se définit comme berger.

Le nombre des habitants d’Artigaou approche la centaine d’individus. Les résidents secondaires constituent plus de la moitié de ce chiffre, l’autre moitié étant constituée de résidents permanents. Le pourcentage de la population néo-rurale et secondaire d’Artigaou atteint 58,8% de la totalité des logements. Taux également situé parmi les plus élevés des vallées d’Aure (source : INSEE 1999). A ce nombre s’ajoutent les touristes de passage, qui habitent le village le temps de leurs vacances et trouvent des hébergements parmi les nombreux gîtes du village. Une colonie recevant des enfants pendant les vacances scolaires est située en contre-bas des bâtiments agricoles des éleveurs. En face de la mairie, un restaurant réputé attire tant les gens de la vallée que les touristes de passage. Sur les cinq éleveurs présents au village, un seul est autochtone, les quatre autres se sont implantés pendant les vingt dernières années, suite à la volonté de la municipalité de conserver une activité d’élevage sur le territoire de la commune en favorisant l’installation de nouveaux éleveurs. Ces éleveurs nouvellement installés sont issus de divers endroits de France, tant urbains (région parisienne) que ruraux (Vosges).

Escaou possède la plus faible proportion d’habitants exogènes à la région. Les habitants permanents d’Escaou (environ une quarantaine) sont tous originaires des vallées d’Aure, il n’y a aucun néo-rural installé dans ce village au moment de l’enquête de 2003. Vient s’ajouter à ce chiffre, celui des résidents secondaires dont la présence est intermittente (11 familles, dont deux ayant un ascendant au moins au village, soit 34,3% de la totalité des logements du village. Un des plus faibles taux des vallées d’Aure - source : INSEE 1999). D’après l’enquête généalogique réalisée pour Escaou, que nous avons menée sur une période allant de la révolution française à nos jours, tous les résidents permanents sont apparentés (par liens de filiation ou/et d’alliance, directs ou/et indirects [3]). Cinq éleveurs sont encore en activité et nombre de retraités décrivent leur ancienne activité en utilisant toujours le terme de « paysan » [4]. Six femmes et deux hommes, résidant au village de façon permanente, exercent une activité n’appartenant pas au secteur agricole, mais ont néanmoins des liens de filiation et/ou d’alliance avec des villageois de cette catégorie socioprofessionnelle. Contrairement à la vallée voisine des Baronnies, où elle est d’ailleurs en net recul, les vallées d’Aure ne connaissent que peu la pluri-activité [5].

Il s’agit du tableau « Conflits et populations » in Mercier 2006 : 184 (adapté pour l’article). Le présent article ne traite que d’une partie des différents groupes représentés dans ce tableau. Tous les individus présents au sein d’une même catégorie ne fonctionnent évidemment pas selon un schéma unique et les relations interindividuelles sont variables au gré des relations de personnes à personnes. Le tableau présenté ne constitue qu’une synthèse moyenne des relations observées.

 
 

Notes

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[1] Mes Remerciements à Yvan Droz, Eric Garine, Laurent Hazard et Mickaëlle Lantin pour leur lecture attentive. A Monique Descieux, Antoinette Molinié et Marie-Dominique Mouton pour m’avoir procuré les moyens du terrain des Baronnies de Bigorre.

[2] En aurois, les friches se disent saligas (saletés), une haie seigue, les broussailles seigot (haie qui n’est plus contrôlée) et les arbustes épineux espis, terme qui signifie « épines ». Les espis sont un sous-groupe des seigot, lui-même partie des saligas. Les principales saligas concernées sont les genêts (Cytisus scoparius), les fougères (Pteridium aquilinum) et les épineux. Cette catégorie comprend les aubépines Crataegus monogyna, les prunelliers Prunus spinosa, les genévriers Jupinerus communis et les ronces Rubus sp. Dans le cours de l’exposé, nous ferons également référence au lin et au chanvre textile, il s’agit du Linum usitatissinum et du Cannabis sativa.

[3] Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, les villageois des vallées d’Aure ont fonctionné en unités indépendantes constituées (le village), entretenant des relations d’échanges entre tous, mais privilégiant les stratégies matrimoniales endogames au village (réf. registres d’état civil). Cette pratique constitue l’une des stratégies pour conserver la terre au sein du groupe domestique élargi qu’est le village. A l’intérieur du village, elle permet de maintenir le rang de chaque maison : « les bonnes terres mariant les bonnes terres » (voir notre article). Il est possible de parler des villages comme d’unités apparentées, bien que le temps passant, les liens unissant les uns aux autres sont plus ou moins connus (la profondeur de la mémoire généalogique des acteurs locaux remonte à deux, voire exceptionnellement trois générations avant la leur).

[4] La sociologie et l’ethnologie rurales ont largement démontré l’emploi ambigu et polysémique du terme « paysan » (Barral, Pierre. « Note historique sur l’emploi du terme de paysan » Etudes rurales (21), avril-juin 1966 : 72-80 ; Mendras, Henri. La fin des paysans. Arles, Editions Actes Sud, coll. : Babel essai, 1992 et Hubscher, Ronald « Réflexions sur l’identité paysanne au XIXe siècle : identité réelle ou supposée ? » http://ruralia.revues.org, Ruralia (1), 1997). Pour les personnes interrogées en vallées d’Aure pendant cette enquête, « paysan » renvoie au fait « de tout savoir faire sur une exploitation, et de bien le faire ». Ce terme est donc l’expression d’une qualité professionnelle remarquable. Il est à noter que les jeunes éleveurs rencontrés ne renient aucunement ce terme et ce sens donné.

[5] S’il on excepte l’exercice d’un métier de façon simultanée à l’exercice d’une charge publique.

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Claude Mercier. Annexe : présentation des données de terrain.
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