Clairette
Janus
à double face, femme du peuple et Prince de renom, Clairette passe insensiblement d'un rôle à un autre selon les circonstances et pour
répondre à tout problème, déclinant au fil des jours une gamme de
regards, postures et paroles qui s'inscrivent dans l'ordinaire du
quotidien.
Pendant la
transe,
l'espace de la maison est
redécoupé pour faire place au Prince Raleva dont la personnalité bien
connue peut alors s'exprimer au mieux. Car c'est Lui, impressionnant,
dominateur, menaçant parfois mais toujours poli, attentif, de bon
conseil et réputé pour ses dons de guérisseur que l'on vient consulter.
Clairette
est possédée par 12 esprits masculins, appartenant à quatre familles
royales, décédés à des âges différents et ainsi elle peut devenir à
loisir un vieillard, un jeune homme ou un enfant. mais c'est avec son
premier esprit et son premier “époux”, le Prince Raleva, “celui qui l'a
tuée” alors qu'elle avait vingt ans, provoquant de cette manière une
transformation irréversible de sa personne, que les relations sont les
plus intenses.
Mamabé
La mère de
Clairette,
ancienne possédée, se rend utile de mille manières, prépare le café,
s'occupe de ses petits-enfants, garde la maison.
Papabé
Le père de
Clairette, gendarme à la retraite.
Paul
L'époux
humain de Clairette, chauffeur de son métier, serviable et jovial mais
pris dans un jeu de cache-cache avec une épouse qui, via son esprit, le
surveille sans répit s'octroyant le droit d'intervenir chaque fois que
quelque chose lui déplaît alors qu'elle ne pourrait le faire en tant
qu'épouse.
Alexandre et
Jean
Les frères
de
Clairette, le premier, chômeur et le second, pêcheur et
factotum de la maisonnée.
Berthine
La femme
d'Alexandre.
Noro,
Claudine et
Anna
Les nièces
de
Clairette, élevées par cette dernière et âgées de
dix-huit à trente ans.
Jeanne
Une
vingtaine
d'années, fille unique de Clairette, née d'un premier
mariage et considérée comme la fille du Prince Raleva.
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Le Prince Raleva
Contrairement
à
l'un de ses frères aînés, de la même lignée, considéré comme un
redoutable conservateur, le Prince apparaît comme un esprit ouvert
sur
le monde contemporain, réceptif à tous les problèmes nés des
changements actuels et capable d'apporter lui-même des réponses
originales.
Les
interventions
du Prince Raleva sont d'autant mieux acceptées qu'Il est accueilli
comme un membre de la famille à part entière même s'Il est “par nature”
tout à fait différent d'un être humain comme Il se plaît d'ailleurs à
le répéter à la moindre occasion. En tant qu'époux de Clairette, Il
joue tous les rôles correspondants : Il est le père de la fille de
Clairette, le gendre des parents de Clairette, le frère de son mari
humain..., et s'Il s'adresse à chacun des membres de la famille avec
les expressions habituelles, tous, par contre, doivent s'adresser à Lui
avec un même terme de respect, Seigneur. Ainsi Clairette, qui, dans la
vie quotidienne, est une épouse, une fille, une soeur, une tante ...,
peut aussi incarner grâce au Prince plusieurs rôles masculins et donc
personnifier à elle seule l'essentiel des relations possibles à
l'intérieur du groupe domestique.
Le Prince
Raleva
incarne un mari idéal, vaillant, fidèle, toujours amoureux, amant comme
au premier jour, exigeant en retour les mêmes qualités et la même
disponibilité. Paul, le mari “humain”, arrivé en second, occupe la
place du second mari et Clairette vit de la sorte une situation de
bigamie qui, selon les besoins, lui permet de monter un mari contre
l'autre et, de manière unilatérale, l'esprit contre l'humain,
éternellement coupable de frivolité, d'in- constance, d'irresponsabilité.
De même, en tant que père, l'esprit se montre soucieux de l'éducation
de “son” enfant (la fille de Clairette) et s'intéresse de très près à
son avenir. Dans tous ses rôles masculins, Clairette, par
l'intermédiaire de Raleva, impose le modèle d'un être humain
irréprochable, responsable, économe, avisé, détenteur d'une véritable
autorité, capable donc de prendre toutes les décisions nécessaires,
jouant de cette manière, dans les familles éclatées des villes, le
rôle, souvent manquant de l'aîné, du sage, du chef de lignage, du mari
affectueux.
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Une
pièce de la maison, la plus grande, destinée aux séances de
consultation et aux grandes fêtes rituelles sert aussi de salle à
manger, de salon et éventuellement de chambre à coucher pour les
parents de passage. Le matériel rituel est disposé dans la partie est,
orientation de l’orant qui s’adresse aux ancêtres et point de
sacralisation de l’espace, selon les règles de la divination qui
régissent les êtres comme les événements. Le mobilier se compose d’un
grand bureau un peu déglingué qui sert d’autel, d’un fauteuil en cuir
rouge réservé au Prince et de plusieurs buffets où sont précieusement
rangés, propres et repassés, les costumes des différents esprits et le
matériel rituel, assiettes, récipients pour les bénédictions et les
bains de purification, plantes médicinales, kaolin pour le maquillage.
Enfin, sur un panneau posé sur le mur au dessus de l’autel, sont
accrochés une douzaine de chapeaux, les coiffes des esprits de
Clairette qui soulignent ainsi son importance et ses qualifications
comme la plaque de cuivre d’un médecin particulièrement titré. Un
certain nombre d’objets rituels restent en permanence sur le
bureau-autel notamment une assiette creuse remplie d’eau où baigne une
pièce d’argent de l’époque de Napoléon III et un brûloir à encens,
symboles de la relation avec le monde surnaturel qui s’établit dans ce
lieu. Mis à part les musiciens, présents au moment des grandes fêtes
rituelles, qui se tiennent au nord, tout le public s’installe à même le
sol derrière l’autel, à l’ouest. Seul le Prince assis dans son fauteuil
trône au-dessus du commun.
La transe
est plus ou moins forte,
spectaculaire, dramatique selon la nature du “travail” à tel point
qu’elle peut apparaître dans certain cas très rapide, neutre, presque
invisible quand l’esprit doit répondre “au pied levé” à une question
urgente ou impromptue ou bien peut durer des heures et laisser
Clairette abattue et épuisée après le départ de l’esprit. Chaque esprit
s’installe à sa manière qui doit rappeler les principaux traits de sa
personnalité humaine. La préparation à la transe par le maquillage, le grimage, l’enfilage du costume fait penser au comédien dans sa loge et se conclut par un élément dramatique, le rappel symbolique des circonstances de la mort de l’esprit en tant qu’être humain qui
constitue le premier signe
de son arrivée. Dans l’exemple du Prince
Raleva, il s’agit d’une toux
de poitrinaire, gutturale car Il serait mort d’une maladie pulmonaire
dans les années 1920. Ensuite, Clairette déploie en
l’agitant de la
tête au pied un voile blanc, symbole de la transition entre les deux
mondes introduisant le Prince Raleva. Il finit alors de s’habiller,
ferme son ceinturon, met son chapeau et allume une cigarette. Sa sortie
de transe s’effectue également sous ce voile, allongée dans les bras de
son serviteur, par une procédure inverse, avec la même toux mais
atténué qui annonçait l’arrivée du Prince Raleva.
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