Les traces de vie religieuse sur le Mont-Valérien : approche de la notion de cryptopatrimoine

Résumé

Le concept de cryptopatrimoine peut être appliqué à un type de patrimoine matériel ou immatériel dans lequel se combinent reconnaissance officielle et absence de valorisation. Il s’inscrit dans un processus historique d’occultation volontaire ou involontaire inabouti. Les artefacts chrétiens du Mont-Valérien, jadis Mont du Calvaire, en sont un cas typique. L’alternance de périodes de sacralisation et de désacralisation d’un espace disputé par des systèmes de représentation antagonistes a amené la destruction ou l’abandon d’un paysage religieux devenu résiduel à l’intérieur d’un domaine aujourd’hui dévolu à l’armée. La logique patrimoniale entre ici en conflit avec une politique mémorielle qui, centrée sur le martyre patriotique des fusillés de la seconde guerre mondiale, tend à muséifier et à sanctuariser le territoire du Mont-Valérien, dont la dimension sacrale originelle se trouve ainsi à la fois prolongée et subvertie.

Abstract

Approaches to cryto-heritage : the destruction, dissimulation and re-composition of traces of religious life on Mont-Valérien.
The concept of crypto-heritage applies to forms of material or immaterial heritage characterized by official recognition and simultaneous non-valorization, revealing an aborted historical process of (in)voluntary concealment. The Christian artifacts on Mont-Valérien, formerly known as "Mont du Calvaire", reveal such a phenomenon. The alternating sequence in which this site, coveted by the defenders of opposed ideologies, has been made and unmade sacred has led to the destruction or abandonment of the religious landscape, which is now a residual portion of a military area. The logic of heritage clashes with a politics of memory focused on the patriotic martyrdom of the people put to death during World War II, such that the whole territory of Mont-Valérien has becomes both a museum and a sanctuary, the force of which is intensified by the subversive way in which its initial sacred features have been harnessed to modern commemorative ends.

Sommaire

Table des matières

Mobilier ou immobilier, matériel ou immatériel, un objet peut être patrimoine sans pour autant "faire patrimoine". Ce paradoxe résulte de la nature même de la construction de l’objet patrimonial ou patrimonialisation, phénomène qui n’a rien d’instantané et qu’on ne peut estimer achevé une fois obtenue la reconnaissance juridique assurant la protection dudit objet. Le patrimoine naît d’une décision administrative, vit du discours officiel qui le justifie, se nourrit de l’appréciation du public, et dépérit de l’intérêt qu’il ne parvient pas à susciter. Le vocable de patrimoine renvoie de fait à deux réalités distinctes. La première, fondamentale, est relative au droit : pour la France, est patrimoine ce que le Code du Patrimoine permet de qualifier ainsi [1] ; en ce domaine, la plus solide garantie est celle que donne le classement au titre des monuments historiques par l’autorité administrative [2]. Mais pour que la patrimonialisation parvienne à maturité, il convient de passer de l’idéal au réel, de la rationalité juridique aux aléas de la perception : pour le sociologue ou l’ethnologue, le patrimoine en effet ne devient pleinement tel que lorsqu’il est intégré par une mémoire collective qui en comprend la signification et ne doute pas de la nécessité sociale de l’entretenir. Si prescription officielle et assimilation mémorielle ne progressent pas de conserve, le patrimoine échappera au champ des pratiques culturelles concrètes et demeurera l’expression d’une velléité technocratique sans effet. L’exemple des monuments religieux du Mont-Valérien, dans l’immédiate banlieue ouest de Paris, nous aidera ici à éclairer les conditions d’identification de ces patrimoines semi-avortés.

« Le Mont-Valérien que l’on peut regarder avec raison comme un des plus beaux lieux de l’univers, tant par son heureuse situation, que par le riche coup d’œil qu’il présente, est un Calvaire qui rappelle sans cesse à l’esprit celui de Jérusalem, où Jésus-Christ s’est sacrifié et immolé pour notre salut : c’est là où la piété de nos pères a réuni tout ce qui est le plus capable de réveiller notre foi, et de nous enflammer pour Jésus-Christ... » (Breuil de Pontbriand, 1775 : XIII-XIV).

Qu’est donc le Mont du Calvaire devenu ? Comment discerner le brillant passé religieux du Mont-Valérien, maintenant qu’un fort bâti au XIXe siècle, redoublé depuis 1960 par le mémorial de la France combattante, a substitué une mémoire militaire et résistante à une première mémoire, chrétienne, presque éteinte ? Cette substitution relève d’un processus complexe dans lequel destruction volontaire et négligence oublieuse ont tour à tour fragilisé la conservation de ces reliefs. L’investigation de ce passé chrétien n’est pas aisée : enserrés à l’intérieur d’un territoire militaire où l’on ne s’est jamais résolu ni à les faire disparaître, ni à les exploiter, les vestiges du Mont du Calvaire se laissent difficilement deviner à l’œil profane. Ils n’en contribuent pas moins à l’hétérogénéité d’un paysage qui sans eux ne serait que militaire. Leur permanence témoigne d’un rapport au passé qui hésite entre dissimulation et divulgation, et autorise à parler de cryptopatrimoine : même aux heures les plus dures du combat anticlérical, leur valeur patrimoniale n’a jamais été niée ; même aux heures les moins défavorables — les nôtres ? — à la valorisation du patrimoine religieux, et alors même que le souvenir ritualisé des fusillés des années 1940-1944 tend à développer une mémoire sacrificielle qui fait, comme malgré elle, écho à l’idée de calvaire, le traitement patrimonial (protection juridique, conservation préventive et curative, médiation culturelle) de l’héritage chrétien du Mont-Valérien reste imparfait. Rien à cacher, rien à montrer : cette tension innerve la relation ambiguë que les autorités en charge de ce patrimoine entretiennent avec lui.

L’appropriation d’un site à des fins apologétiques

La construction d’un mons sacer

Sans reprendre le détail d’une histoire qui n’est plus à faire [3], on abordera ici la question patrimoniale à travers l’évolution du regard porté sur cette butte hors normes qu’est le Mont-Valérien. En premier lieu, la plus haute colline des environs de Paris fut, dans ses parties supérieures, un mons sacer tout voué à la religion. Aux marges occidentales de Paris, en un point cardinal symboliquement attaché à la mort, il fut perçu, de la fin du Moyen Âge au seuil de la Révolution industrielle, comme le Golgotha d’une capitale devenue ipso facto une nouvelle Jérusalem, terrain idéal au développement d’une piété ostentatoire et à l’implantation de nouvelles congrégations. Deux types de figures religieuses y ont vu l’endroit idoine où laisser s’épanouir leur vocation : des ermites laïcs, à partir du XVe siècle, isolés puis formant communauté (Colletet, 1662 : 58-91) ; des prêtres, membres d’un institut sacerdotal apparu en 1633 pour encadrer les pèlerinages autour d’un chemin de croix et d’un calvaire monumental que leur fondateur, Hubert Charpentier, a fait construire sur la cime (Le Noir, 1658 : 79-118). Clercs et anachorètes coexistent presque deux siècles, au milieu d’un paysage où alternent champs, prés et vignes, espace semi-rural troublé seulement par l’afflux des pèlerins. Par métonymie, le mont et le calvaire se confondent. Ce paysage, d’un effet émotionnel puissant, n’est guère comparable qu’aux sacri monti de l’Italie du nord, dont neuf ont été inscrits en 2003 par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité [4]. Les onze stations du chemin de croix gallican prennent l’aspect de chapelles grillagées pourvues de sculptures grandeur nature. Un escalier dit des cent marches, sorte de scala santa que les pénitents peuvent gravir à genoux, conduit à la plus haute terrasse, où les trois croix du Calvaire sont le point d’arrivée de cette ascension physique et mystique. Derrière les croix, une église entourée par les édifices accueillant les Prêtres du Calvaire a été rebâtie au seuil du XVIIIe siècle. Non loin, les édifices des ermites, repliés à la fin du XVIIe siècle derrière un enclos pour préserver une tranquillité mise à mal par le succès des pèlerinages, complètent l’appareil monumental du Mont-Valérien (Seron, 1926 : 121-130)

Ce tableau fixe l’image d’un Mont-Valérien classique, siège d’une « dévotion réglée » centrée sur la pratique de la via crucis. L’étagement des chapelles menant à l’église du sommet et à l’ermitage balise un territoire que la déambulation des pèlerins achève de sacraliser. La gravure des XVIIe-XVIIIe siècles en pérennise le souvenir : vu depuis le bois de Boulogne, le Mont-Valérien couronne un paysage qui se prolonge par le village de Suresnes, la Seine et la plaine de Longchamp ; au premier plan, le monastère royal de l’Humilité-Notre-Dame, fondation d’Isabelle de France, sœur de saint Louis, semble homothétique du complexe des Prêtres du Calvaire (monastère féminin / couvent masculin ; site de plaine / site de colline ; dédicace à la Vierge / consécration à Jésus crucifié ; fondation sous saint Louis / fondation sous Louis XIII, premier roi Bourbon à porter le nom du saint protecteur de la monarchie). Représentant le mont comme un ombilic du monde, seul élément stable dans un univers voué à l’impermanence (stat crux dum volvitur orbis), l’image se rattache sous un certain angle au genre de la vanité : elle repose sur le contraste entre la riche vallée de la Seine, dépeinte sous des dehors souriants, empruntant plusieurs motifs à la pastorale, et la sévérité du Calvaire, môle de la Vérité éternelle, invitant à la pénitence.

Le Mont du Calvaire : paysage extérieur, paysage intérieur

La démarche inductive, celle de l’archéologue qui doit se contenter de quelques résidus, est ici moins féconde que la démarche déductive qui, à travers les mots de l’écrivain ou le trait de l’artiste, cherche à comparer les représentations idéelles et les réalisations concrètes. Confrontée au systématisme programmatique, l’enquête patrimoniale a tout intérêt à partir de l’archétype, de la manière dont les pieux occupants du mont l’ont investi d’une dimension sacrale qui a fini par devenir exclusive. Celle-ci détermine le prisme à travers lequel le Mont-Valérien a été dépeint jusqu’au deuxième tiers du XIXe siècle. Si le premier texte conservé touchant à la vie consacrée, une lettre du début du XVe siècle rassemblant les conseils du chancelier Gerson à un ermite prénommé Antoine, ne nous renseigne pas sur la configuration du mont ni n’établit de correspondance métaphorique entre topographie et spiritualité (Colletet, 1662 : 59-69), il n’en va plus de même dans le récit laissé par le curé René Benoist de la visite qu’il fit en 1580 au célèbre ermite Jean du Houssaye. Nous y apprenons que ce dernier, authentique reclus, n’est que la personnalité la plus éminente d’un groupe composé de semi-ermites agglomérés autour de sa cellule. Le texte associe une partie narrative qui voit dans la communauté érémitique une préfiguration de la société des bienheureux dans l’Église triomphante, et un discours à Jean du Houssaye où apparaît pour la première fois une vision allégorique du mont : la colline est le lieu élevé d’où l’ermite risque toujours de chuter, à l’exemple des anges rebelles. Jouant de paradoxes, selon une sensibilité déjà prébaroque, Benoist y voit le « lieu si faible » où cultiver au mieux l’humilité :

« Vous êtes en une haute montagne, et assez bonne affection [...], mais mon ami, vous êtes homme, c’est-à-dire imparfait, fragile et pécheur, sujet et exposé aux tentations de la chair, qui couche et converse ordinairement avec nous tous ; du monde curieux, illecebreux et trompeur ; et des esprits malins lesquels s’ils sont tombés du ciel, vous pouvez bien tomber du Mont-Valérien. [...] Lisez, priez, méditez et louez Dieu, étant toujours en quelque saint exercice, afin que le diable votre ennemi, qui n’a puissance que sur les oisifs et négligents, vous trouvant ainsi occupé, et principalement armé de la sainte hostie et eucharistie, il se retire confus, voyant une telle forteresse divinement bâtie en un lieu si faible, et en un vaisseau si fragile, comme je vous prie de vous estimer toujours, si vous voulez être sauvé... » (Benoist, 1580 : 16).

L’époque de René Benoist est celle d’Henri III, d’un regain de millénarisme dû à l’exacerbation du conflit entre catholiques et protestants. Les ermites du Mont-Valérien sont protégés par le dernier roi Valois comme ils le seront par le premier Bourbon. La colline est perçue comme le paratonnerre spirituel de la monarchie : les macérations des anachorètes contrebalancent les excès d’une capitale jugée corrompue, tentée par la violence anomique des guerres de religion ; leur sagesse est le pendant de la folie des ligueurs et des monarchomaques. Deux cent cinquante ans avant la ceinture fortifiée dont Thiers entourera Paris, Henri III conçoit le Mont-Valérien et sa petite communauté d’ermites comme une citadelle orante, pièce maîtresse, avec d’autres comme le couvent des minimes de Vincennes, d’une ceinture monastique dont la prière doit être une arme dans le combat eschatologique qui oppose le roi à sa capitale, la légitimité à la sédition, l’ordre divin au désordre démoniaque :

« À la vérité, il [Jean du Houssaye] me fit souvenir des prophètes montagneux Élie et Élisée, estimant que si cette ville avait cet heur d’être ceinte et environnée d’une demi-douzaine de tels personnages ès montagnes voisines d’icelle, il ne lui faudrait autres remparts, ni boulevards, ni gendarmeries : car les anges qui les assisteraient la défendraient non moins que le roi et royaume d’Israël fut gardé contre les Assyriens par le prophète Élisée... » (Benoist, 1580 : 4)

Le XVIIe siècle témoigne d’un regard réflexif de plus en plus aigu sur le passé religieux du mont, preuve de l’affirmation d’une mémoire qui en fixe peu à peu la destination ecclésiastique [5].

L’obscur frère François est dit avoir écrit, vers le milieu du siècle, une lettre [6] où l’on apprend que les antiquités du Mont-Valérien suscitent chez les érudits un intérêt grandissant, notamment la pierre tombale d’une femme non citée en qui on reconnaît Guillemette Faussart, recluse du milieu du siècle précédent. Le texte insiste aussi sur l’inorganisation relative de la vie solitaire avant le XVIIe siècle : des laïcs, femmes et hommes, les premières s’effaçant au fil du temps au profit des seconds, mènent une vie peu formalisée, sans prononcer de vœux définitifs ni obéir à une règle ; des reclus absolus côtoient de quasi cénobites, plus nombreux, ce qui favorise, au début du XVIIe siècle, la transformation de la communauté en une congrégation laïque de droit diocésain puis, dans le troisième tiers du siècle, la mitigation des exigences érémitiques. Les ermites laissent sur le paysage une empreinte forte, qui ne se limite pas à leur couvent et aux terres qu’ils cultivent : ils préviennent les risques d’éboulements et de glissements de terrain dus aux intempéries « en construisant des terrasses bâties sur des épaulements de briques » (Rousseau, 1925 : 132).

De la méditation du dévot à la rêverie du promeneur

À côté du discours historique fleurit à l’âge baroque un discours poétique sur le Mont du Calvaire. Les Colletet père et fils multiplient les oxymores pour célébrer la mort à ce monde qui est promesse de vie dans l’autre. Aimant les formes brèves et le figurisme (l’anachorète est un nouvel Élie ou un nouveau Jean-Baptiste, et le Mont-Valérien un nouvel Horeb) [7], ils cisèlent des portraits plus édifiants que réalistes des ermites morts en réputation de sainteté. Décrits comme de fidèles disciples des Pères du Désert, nouveaux Antoine, Macaire, Arsène ou Hilarion, les émules de Guillemette Faussart et de Jean du Houssaye ont sur les contemporains des solitaires de Port-Royal cette influence caractéristique de ceux qui semblent parvenus au parfait détachement d’avec les choses temporelles [8]. Ce qui est encore au Grand Siècle la plus haute expression poétique, le vers néo-latin, est mis à contribution par Raoul Boutrays dans son poème Lutetia pour honorer la Thébaïde de l’ouest parisien [9], avec une tonalité néo-stoïcienne : la sainteté tend à se confondre avec l’héroïsme ascétique, la béatitude avec l’otium, l’amour de Dieu avec le mépris du siècle. Sur un Mont-Valérien d’où l’on regarde de haut la ville matrice de tous les vices, tout concourt à la fuga mundi et à la louange de l’exception.

L’apparition du pèlerinage au Calvaire oblige les ermites à partager avec les prêtres d’Hubert Charpentier le territoire du mont, dont la physionomie se transforme. Les ouvrages concernant Monsieur Charpentier et sa fondation justifient le choix de cette butte pour y installer un double du Golgotha. Au cœur du plus beau royaume de la terre, dominant une vallée fluviale des plus fertiles, la croix regarde vers l’est, direction associée à la Parousie ; face à une capitale aux séductions fatales, elle ne cesse d’appeler à la conversion :

« Mais ce qui fit plus d’impression dans l’esprit de Monsieur Charpentier fut la situation de la montagne, et cette disposition avantageuse, qui dans le voisinage de Paris, et sur le bord de la Seine, la met en vue à tous ces lieux de divertissement et de plaisir, les plus agréables qui règnent à l’entour de cette grande ville, si nombreuse et si chargée de peuples : les prés du bois de Boulogne, le Cours de la Reine, les plaines délicieuses de Saint-Cloud et de Rueil, et toutes ces belles campagnes arrosées des eaux de cette aimable rivière, qui semble en serpentant, comme elle fait, témoigner le plaisir qu’elle prend de s’y arrêter plus longtemps, découvrent de tous les endroits l’éminence du Mont-Valérien, dans une juste distance ; ces belles allées qui servent tous les jours de théâtre à la vanité, où le luxe règne avec empire, et où l’on peut voir plus qu’en aucun lieu de la France, et peut-être de l’Europe, l’image du monde bien représentée (c’est-à-dire de ce monde condamné dans l’Évangile si souvent, et sur lequel le Fils de Dieu fulmine tant d’imprécations) dans tout son éclat, sa pompe, son orgueil, et ses divertissements. Tous ces lieux de promenade, et de volupté, sont commandés par cette montagne sainte qui s’élève avantageusement au-dessus des autres : là cet objet funeste des trois croix plantées sur la pointe, et que l’on découvre d’assez loin, semble menacer avec autorité tous ceux qui négligent leur salut, pour courir à leur plaisir, tous ceux qui embrassent le parti du monde, au préjudice de la Croix. Ce signe de salut les avertit de leur devoir, du moins mêle un peu d’amertume à leurs plaisirs, et peut leur donner en passant de bonnes impressions... » (Le Noir, 1658 : 96-99)

L’idéalisation et la grande forme disparaissent avec le siècle des Lumières. Le Mont du Calvaire n’incite plus au renoncement, la contemplation de la capitale n’engendre plus la dénonciation de la vanité du monde, le sensus Ecclesiæ recule devant les élans de l’âme sensible. Alors que le pèlerinage au Calvaire, à son apogée, provoque les railleries des anti-dévots, les ermites, chez qui affleure une tentation janséniste, conservent la sympathie des esprits éclairés. La rigueur de leurs mœurs et leurs activités de vignerons ou de tisserands les rendent agréables à l’utilitarisme ambiant. Pour ne rien dire du calme et de la beauté du site, qui font de l’ermitage une hôtellerie recherchée par des retraitants parfois fort éloignés du catholicisme, tel l’Américain Thomas Jefferson lors de ses séjours parisiens (Hailman, 2006 : 122). L’homme des Lumières fait son miel de l’endroit, que goûtent des promeneurs plus ou moins solitaires pour lesquels le paysage est prétexte à louer la nature. La foi ne convainc plus, mais la fidélité à une simplicité qui se revendique de l’Évangile séduit encore le duo d’amis que forment Jean-Jacques Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre :

« Arrivés sur le bord de la rivière, nous passâmes le bac avec beaucoup de gens que la dévotion conduisait au Mont-Valérien. Nous gravîmes une pente très raide, et nous fûmes à peine à son sommet que pressés par la faim, nous songeâmes à dîner. Rousseau me conduisit alors vers un ermitage où il savait qu’on nous donnerait l’hospitalité. [...] et lorsque nous eûmes prié, Jean-Jacques me dit avec attendrissement : « Maintenant j’éprouve ce qui est dit dans l’Évangile : quand plusieurs d’entre vous seront rassemblés en mon nom, je me trouverai au milieu d’eux. Il y a ici un sentiment de paix et de bonheur qui pénètre l’âme. » [...] Nous nous promenâmes quelque temps dans le cloître et dans les jardins. On y jouit d’une vue immense. Paris élevait au loin ses tours couvertes de lumière, et semblait couronner ce vaste paysage : ce spectacle contrastait avec de grands nuages plombés qui se succédaient à l’ouest, et semblaient remplir la vallée. Plus loin, on apercevait la Seine, le bois de Boulogne et le château vénérable de Madrid, bâti par François Ier, père des lettres. Comme nous marchions en silence, en considérant ce spectacle, Rousseau me dit : « Je reviendrai cet été méditer ici. » » (Bernardin de Saint-Pierre, 1840 : 451-452).

La lutte pour la domination symbolique du mont

La première désacralisation : une profanation violente

La Révolution anéantit la cohérence topologique du Mont-Valérien et laisse sourdre une thématique appelée à s’imposer jusqu’à nos jours : celle du vestige, non pas tant sous la forme encore trop noble et architecturée de la ruine que sous celle du débris. La montagne sacrée prétendument inébranlable des chrétiens baroques devient la colline profanée, une nouvelle Sion vandalisée par les révolutionnaires, nouveaux Babyloniens sinon véritable nuée de démons déchaînés. Retournant le concept de fanatisme en l’appliquant aux jacobins, les catholiques monarchistes du XIXe siècle rendent compte de ce bouleversement en termes apocalyptiques : une vague irrésistible d’impiété a éparpillé les traces matérielles de l’ancienne ferveur et créé, là où régnait une harmonie providentielle, le chaos et la désolation :

« La Croix élevée sur le Mont-Valérien ne le défendit pas de l’invasion générale. Ce Calvaire consacré par la piété des fidèles, et par ses monuments religieux, subit le sort général, et fut vendu à l’enchère. À peine les missionnaires qui l’habitaient eurent-ils été dispersés, que des fanatiques, échauffés par des idées révolutionnaires, vinrent des campagnes voisines envahir ce lieu saint, firent main basse sur les chapelles, brisèrent les bas-reliefs objets de la vénération des fidèles, et en dispersèrent les débris sur la montagne. » (Anon., 1826 : 200-201)

Mais l’iconoclasme n’est que la première étape d’un renversement symbolique plus radical : celui qui, sous l’égide du nouveau propriétaire, le conventionnel Merlin de Thionville, substitue le plaisir à la pénitence, l’hédonisme à l’ascétisme, comme valeurs dominantes au Mont-Valérien. À vrai dire, le domaine de la Croix avait toujours dû s’accommoder de transgressions greffées sur la pratique des pèlerinages. Les bosquets discrets et les cabarets suresnois ne manquaient pas de détourner certains pèlerins ou curieux vers les satisfactions sensuelles [10]. Bien que nous manquions de sources et que les littérateurs contre-révolutionnaires aient peut-être déformé la réalité, l’historiographie du XIXe siècle fait de Merlin de Thionville l’agent d’une reconversion subversive : celui-ci transforme bâtiments et jardins en un domaine qui manifeste son ascension sociale en même temps qu’une résurgence de l’esprit païen. Vénus, dont une statue orne un nouvel édicule, succède au Christ comme puissance tutélaire de la colline. Des fêtes sont données, où paraissent les membres du Directoire, dans une ambiance licencieuse favorisée par la présence de Madame Tallien (Anon., 1826 : 201-202). Le tempus fugit s’est consumé en carpe diem, quitte à ce que le locus amoenus prenne l’allure d’un vulgaire terrain d’expériences orgiaques :

« Un jardin anglais avait remplacé le jardin potager des ermites au Mont-Valérien. Le dimanche au lieu des offices divins on entendait les tambours et les violons d’un bal public : la nouvelle religion faisait naître un moment un rire insensé parmi les malheureux dont l’ancienne essuyait les larmes. Rapprochement singulier : les païens avaient élevé un temple à Adonis sur le véritable Calvaire. » (Chateaubriand, 1826 : 383).

La signature du Concordat permet la renaissance du Calvaire, à la satisfaction des commerçants locaux dont les revenus avaient pâti de l’interruption des pèlerinages. Ceux-ci refleurissent donc, animés par d’anciens ermites dont la présence n’avait jamais cessé d’être tolérée, et, à partir de 1807, par une communauté trappiste, jusqu’à ce qu’en 1811, dans le contexte du litige entre Napoléon et Pie VII, ermites et trappistes soient expulsés, le Mont-Valérien confisqué et le Calvaire une nouvelle fois abattu (Seron, 1926 : 131-134).

L’immixtion du politique

Le sort du Mont-Valérien ne dépend plus désormais de l’Église ou de particuliers mais du gouvernement. Le politique se mêle d’aménagement : Napoléon Ier comprend que l’affectation de la plus haute colline des abords de Paris est un enjeu emblématique, qu’il ne faut pas laisser aux mains de la spéculation foncière ou de pouvoirs rivaux. Personnellement intéressé au devenir d’un domaine proche de ses résidences de Saint-Cloud et de La Malmaison, il décide la construction d’un établissement d’éducation pour les demoiselles de la Légion d’Honneur. S’inscrivant dans une perspective non d’opposition mais de dépassement de l’héritage de l’Ancien Régime, il exprime au départ son désir que les constructions anciennes encore debout soient réemployées. Mais il revient en 1813 sur cette orientation (Poisson, 1969 : 312-316). La renonciation, pour des raisons surtout techniques et esthétiques, à réutiliser les bâtiments conventuels ne doit pas être interprétée comme une rupture avec le passé : le toponyme « Mont du Calvaire » continue d’avoir cours ; la maison de la Légion d’Honneur conserve des traits monastiques qui évoquent les maisons religieuses d’autrefois ; quant à la morale qui doit présider à l’éducation des jeunes filles, ce n’est rien d’autre que l’antique morale chrétienne qu’exaltera une église à coupole que l’on songe à bâtir. Si cette chapelle ne fut jamais construite, les déboires financiers et militaires du Premier Empire rendant la chose impossible, les dessins qui nous en sont restés, au-delà de leurs variantes, révèlent un souci de magnificence qui tranche avec la sévérité des projets initiaux (Poisson, 1969 : 316-318). Glissant du néoclassicisme au néobaroque, l’église un temps envisagée aurait illustré la convergence de deux triomphalismes, celui d’une Église de France consolidée par le Concordat et celui d’une dynastie Bonaparte garante du legs révolutionnaire mais voulant renouer le fil coupé de la tradition. Elle aurait été comme le pendant de cette autre église collinaire à coupole qu’est l’ancienne basilique Sainte-Geneviève convertie en Panthéon. Seul vit le jour un édifice dit « bâtiment de 1812 » (Lamare, 1994 : 380), pavillon dont l’orientation reflète l’intention politique ayant commandé à sa destinée : alors que le Calvaire d’Ancien Régime regardait vers l’est, vers Paris, le « bâtiment de 1812 » fait face au sud, à la colline de Saint-Cloud, où l’ancien château des Orléans, théâtre du coup d’État du 18 Brumaire, est devenu palais impérial : le Mont-Valérien est désormais comme aimanté par le lieu matriciel du pouvoir napoléonien.

Les grands travaux avortés du Mont-Valérien relèvent d’une politique édilitaire qui dépasse le cadre du mécénat. En un temps où le traumatisme révolutionnaire a accentué les divisions idéologiques, où se dessine ce qui deviendra « la guerre des deux France », le Mont-Valérien a été sous le Premier Empire l’objet d’une entreprise étatique qui, refusant la privatisation et la neutralisation de ce territoire, a essayé de faire servir un héritage culturel préexistant à l’édification d’une nouvelle morale sociale incarnée par la Légion d’Honneur. Débarrassé après 1811 des clercs fondés à revendiquer cet héritage, l’Empereur s’est efforcé d’en proposer une version déconfessionnalisée, au nom d’un retour à l’ordre qui ne soit pas pour autant un retour en arrière. La piste alors entrouverte témoigne de ce que l’effacement des pratiques religieuses sur le Mont-Valérien ne s’est pas accompagné d’un affaiblissement de sa force symbolique. Elle anticipe la pluralité d’assignations contradictoires que le mont va se voir imposer à l’âge contemporain.

La resacralisation : restauration matérielle et Restauration idéologique

La Restauration entreprend de rendre au Mont-Valérien sa dimension religieuse. Un projet prend ainsi forme, qui ne se contente pas d’un retour au statu quo ante mais veut faire du Calvaire restauré le centre d’un grand mouvement de rechristianisation des masses : suspension du chantier napoléonien ; affectation du « bâtiment de 1812 » à une nouvelle congrégation, les Missionnaires de France, fondés par Charles de Forbin-Janson, prêtre ultra-royaliste issu d’une lignée déjà propriétaire d’un manoir sur un flanc du Mont-Valérien ; érection d’un nouveau Calvaire sur la terrasse face au « bâtiment de 1812 » et rétablissement d’un chemin de croix ; transformation des édifices napoléoniens pour qu’ils puissent recevoir les séminaristes des Missionnaires de France (Seron, 1926 : 134-137). Symbole de l’union du Trône et de l’Autel, le Mont-Valérien retrouve une parure chrétienne, qui n’élimine pas les traces des bouleversements récents.

Le nouveau Calvaire, visuellement solidaire du « bâtiment de 1812 », qui en constitue comme l’arrière-scène et voit son rez-de-chaussée converti en église [11], n’est plus, comme sous l’Ancien Régime, orienté vers Paris mais vers Saint-Cloud, où le palais impérial s’est mué en palais royal. L’escalier aux cent marches devient périphérique par rapport au nouveau chemin de croix. Si les Missionnaires de France ont recueilli tout l’héritage matériel et spirituel des anciennes congrégations, la restauration religieuse n’a pourtant pas pris l’aspect d’une reconstitution paysagère : l’impact des ravages de la Révolution et des créations de l’Empire est ineffaçable (Anon., 1826 : 207-210). Mais la prédication des Missionnaires de France soutient le rêve de faire du Mont-Valérien l’ex-voto imposant de la renaissance de la foi et, bien avant le Sacré-Cœur de Montmartre, le monument expiatoire des crimes d’une capitale impie. Des demoiselles de la Légion d’Honneur aux Missionnaires de France, d’une communauté éducative féminine à une communauté religieuse apostolique accueillant de jeunes clercs, la mutation fonctionnelle n’a rien de brutal. Les constructions napoléoniennes se prêtent bien à la polyvalence : extérieurement, l’austère « bâtiment de 1812 » ne laisse deviner aucun usage déterminé, et pourrait abriter aussi bien un couvent qu’un collège ou, comme ce sera le cas après 1840, des logements militaires. Cette neutralité formelle pourtant n’est pas totale : en 1825, les Missionnaires de France font installer sur le fronton de la façade un haut-relief de Cortot représentant la Résurrection (Lamare, 1994 : 380) ; il demeure l’ultime témoignage de l’affectation religieuse qu’eut un temps le « bâtiment de 1812 » et peut encore donner l’illusion d’un édifice conventuel : « À l’ouest, dans les lointains bleuâtres, la colline du Mont-Valérien semble couronnée d’un monastère florentin. » (Maurois, 1949 : 376)
Afin notamment de financer la construction d’un nouveau sanctuaire, Forbin-Janson décide d’installer sur le versant oriental du mont un cimetière en deux sections dont l’une, réservée aux ecclésiastiques, renfermera les corps inhumés jadis dans les églises historiques du mont, et l’autre, grâce à un lucratif système de concessions, les tombes de pieux laïcs issus en général de la haute noblesse [12]. La création de ce double cimetière reflète le désir des catholiques intransigeants de s’approprier une terre toute consacrée, loin des cimetières parisiens où les dépouilles des chrétiens et celles des incroyants voisinent. La pureté d’une terre à nouveau toute chrétienne attire au Mont-Valérien les vivants, qui reprennent la pratique du pèlerinage, mais aussi les morts qui, attendant la résurrection à l’ombre de la Croix, ont choisi de reposer sur les pentes du mons sacer :

« Les cimetières de Paris ne sont plus une terre sainte. [...] Près d’une tombe que domine la Croix, s’en trouve une autre à inscriptions matérialistes qui donnent un démenti à nos espérances. Aussi c’est une idée heureuse d’avoir créé aux portes de la capitale un cimetière entièrement chrétien. [...] La Croix du Calvaire qui domine le Mont-Valérien sera comme un étendard qui nous couvrira et ralliera près des restes des vénérables ermites et prêtres qui, dès les temps les plus reculés, habitaient la sainte montagne. » Mémorial catholique, novembre 1824, cité par Seron (1926 : 151-152).

Le Calvaire rétabli et ses parages se présentent comme un refuge pour les tenants d’une chrétienté contestée. Citadelle à la fois défensive et offensive, le Mont-Valérien illustre un double mouvement de repli et d’expansion : repli sur les sécurités d’une tradition dévotionnelle que l’épreuve a rehaussée, confiance dans l’efficacité du prosélytisme politique et religieux des Missionnaires de France. L’histoire, par delà la parenthèse révolutionnaire, reprend un cours qu’on croit providentiel, la pérennité de l’Église et de la royauté étant présentée comme le plus sûr indice de leurs légitimités indissociables, au service d’une vérité unique et transcendante :

« Les rois montaient au Mont-Valérien avec la foule : Henri IV se reposa dans la cellule d’un des pauvres frères, la femme de Louis le Grand se prosterna au pied de la croix, et en 1789, S. A. R. Madame la comtesse d’Artois fit chanter un Salve solennel dans la chapelle des ermites. C’était la veille de nos malheurs : les bénédictions que demandait la princesse ne devaient être accordées qu’à son auguste époux [Charles X] et à ses fils, lorsque après trente années d’exil ils sont venus rendre hommage pour le trône rétabli à la croix relevée. » (Chateaubriand, 1826 : 383)

Les défis contemporains : superposition ou concurrence des héritages ?

La deuxième désacralisation : un phagocytage par la mémoire militaire

Du vaste espace sacral réorganisé sous les derniers Bourbon, la Révolution de 1830 puis le saccage des édicules religieux en février 1831 laissent peu d’éléments en place. Les légitimistes raniment le figurisme biblique pour dénoncer cette énième mise à bas du Calvaire, effet supposé de la haine des voltairiens et des francs-maçons, et évoquent la destruction du Temple de Salomon. Lamentation ambiguë, qui recèle une forme de délectation morose s’accordant avec la sensibilité romantique et son goût des ruines :

« La montagne sainte est veuve des ornements qui faisaient sa gloire ; et selon la parole de Jérémie, les sentiers qui serpentent sur les flancs du (sic) moderne Sion disparaissent sous l’herbe sauvage, et s’enveloppent de deuil, parce que personne ne vient plus les fouler et ne dirige ses pas vers les fêtes qui embellissaient le sommet sacré. [...] Les ruines se sont amoncelées sous la main des vandales de 1830, et les nobles colonnes du nouveau temple gisent maintenant recouvertes par les ronces et les épines. À peine pourrait-on dire : ici fut le Calvaire ! car bientôt la trace même aura disparu. » (M. D. L. C., 1835 : 5-6)

Le catholicisme intransigeant, jusqu’au milieu du XXe siècle, voit dans la forteresse bâtie après 1840 un anti-Calvaire, séquelle d’une inversion diabolique [13]. Symétriquement, les libéraux se félicitent de ce qu’ils considèrent comme une victoire sur l’obscurantisme [14]. En prenant possession des lieux, l’armée complète sans l’achever l’œuvre de destruction entamée à la fin du XVIIIe siècle : l’édification du fort entraîne la démolition des restes conventuels, réduits à l’état de mortier [15]. De modestes traces des anciennes implantations religieuses continuent pourtant de parsemer le territoire [16], éléments soit à l’état d’abandon (escalier aux cent marches ; tombes affaissées des cimetières de Forbin-Janson [17]), soit réutilisés (crypte devenue chapelle régimentaire dans les années 1950, après avoir servi de cave à vin ; fronton de Cortot sur la façade du « bâtiment de 1812 »).

Si la plupart des restes religieux sont intégrés au monde militaire, tous n’ont pas été conservés in situ : tel objet mobilier ou fragment architectural est allé rejoindre les fonds de musées, à l’exemple de la pierre tombale de Guillemette Faussart déposée au musée de Suresnes, ou a été déplacé, comme les croix du dernier Calvaire, celui de la Restauration, transportées dans le cimetière jouxtant l’église Saint-Pierre de Montmartre [18]. Reliques rares et dispersées : ce constat ne diffère guère de celui que pouvait déjà faire en 1925 le secrétaire adjoint de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Île-de-France :

« J’ai fait, ces jours derniers, une visite au Mont-Valérien, grâce à une autorisation que m’avait octroyée le gouverneur militaire de Paris, M. le général Berdoulat ; le cimetière est laissé à l’abandon, presque toutes les pierres sépulcrales sont descellées et l’on ne peut qu’à grand peine déchiffrer les inscriptions. La seule tombe demeurée presque intacte est celle de la comtesse Tolstoï. J’ai pu déchiffrer encore l’inscription du duc de Fleury. Un magnifique escalier divise en deux le cimetière ; il s’élève jusqu’à la dernière plate-forme et l’on y voit quelques restes des anciens bâtiments, reconnaissables à leurs colonnes d’ordre dorique. Mais l’ancien haut-relief de Cortot a disparu et le soldat qui me conduisait n’a pu me renseigner. Cette sculpture se trouve sur un petit bâtiment qui sert actuellement de corps de garde à l’entrée du fort. » (Rousseau, 1925 : 140)

Lors des journées européennes du patrimoine [19], seul moment aujourd’hui où le domaine militaire s’ouvre librement aux visiteurs, le parcours proposé et le discours pédagogique qui l’éclaire accordent une place sommaire au fait religieux : l’escalier aux cent marches et les cimetières sont contournés ; la crypte régimentaire n’est guère présentée que sous l’angle des activités de l’aumônerie militaire ; la chapelle du manoir Forbin-Janson n’est vue qu’en relation avec l’exécution des condamnés à mort de la seconde guerre mondiale. En une circonstance exceptionnelle, celle du jubilé de l’an 2000, le diocèse de Nanterre et l’armée se sont entendus pour que puisse se dérouler, le vendredi saint, un chemin de croix, sans d’ailleurs que l’un ou l’autre des anciens parcours de pèlerinage, celui de l’Ancien Régime ou celui de la Restauration, ait été suivi. L’église suresnoise Notre-Dame-de-la-Paix fut d’autre part déclarée église jubilaire, pour honorer le Mont-Valérien, sans grandes conséquences sur le plan culturel [20]. On peut d’ailleurs douter que l’Église catholique ait le désir de raviver un passé marqué par la théâtralité tridentino-gallicane et par le militantisme contre-révolutionnaire, caractères par trop en opposition avec les options pastorales de l’après Vatican II [21]. Pourtant, le rare visiteur ne peut pas ne pas voir les signes matériels d’une religiosité enfouie, et ressent une gêne devant le problème que posent leur identification, leur signification et leur relation aux éléments non religieux du site. Et si ce visiteur, à l’exemple d’Albert Garreau, écrivain catholique de l’entre-deux-guerres, éprouve peu de sympathie pour la tradition républicaine, la perplexité se teinte de désenchantement devant l’évidente liquidation des temps de chrétienté :

« Aujourd’hui, une visite au Mont-Valérien est décevante. Les villas, les maisons à quatre ou six étages de Suresnes et de Nanterre ont escaladé les pentes, remplacé les bocages et les vignes, jusqu’au pied même des fortifications. Les rampes d’accès portent des noms étranges : avenue Loucheur, boulevard Washington. Un cimetière de guerre américain aligne ses croix blanches à l’entrée du fort, sur le versant de Suresnes. Le chemin du Calvaire aboutit à un boqueteau fermé d’une grille branlante. Tous les souvenirs du pèlerinage, l’ancien cimetière, la terrasse, l’enceinte plantée par les Pères, le château de Forbin-Janson et l’oratoire qui abrite les dalles tumulaires d’anciens ermites, celles de Guillemette Fossart (sic) et d’Hubert Charpentier, sont à l’intérieur de la forteresse. Leur accès est interdit au contribuable vulgaire, qui doit se contenter de faire le tour, sur la route stratégique côtoyant les fossés, d’entrevoir derrière les parapets le fronton de Cortot, et, plus loin, la maison Forbin-Janson avec ses poivrières. » (Garreau, 1936 : 219-220)

Du Calvaire chrétien au calvaire des fusillés : une resacralisation areligieuse

L’analogie perce cependant derrière la discontinuité : le thème de la souffrance demeure en effet prégnant sur le Mont-Valérien. Ce n’est certes plus la souffrance du Christ, mais celle, toute humaine, des victimes des conflits mondiaux du XXe siècle. Une première catégorie de morts est formée par les soldats américains de la Grande Guerre, et une poignée d’autres de la guerre suivante, enterrés dans le cimetière inauguré en 1919 par Woodrow Wilson ; enclave étrangère, son rayonnement est limité, malgré des cérémonies régulières, et tend même à s’affaiblir du fait de l’effritement de la mémoire de la première guerre mondiale. Il n’en va pas ainsi pour la seconde guerre mondiale, qui a frappé directement le Mont-Valérien à travers les quelques quatre mille cinq cents juifs et résistants exécutés pendant l’occupation allemande (Lamare, 1994 : 381-382). Sacrifice du Christ pour le salut des hommes, sacrifice des résistants pour le salut de la patrie, le premier comme les seconds au terme d’un parcours douloureux qu’on peut, soit au propre, soit au figuré, qualifier de chemin de croix : les correspondances sont nombreuses entre le Mont du Calvaire de l’époque moderne et le Mont-Valérien des temps contemporains [22]. L’un comme l’autre a son monument emblématique : la via crucis a laissé place au mémorial de la France combattante [23]. Une gigantesque croix de Lorraine remplace l’instrument du salut, dans le prolongement du Calvaire de la Restauration mais sur une terrasse inférieure.

Seize hauts-reliefs de bronze, descriptions allégoriques d’événements ou de situations en lien avec la seconde guerre mondiale, sont placés symétriquement par rapport à cette croix, et peuvent être comparés aux chapelles du chemin de croix construit par Hubert Charpentier. Le chemin de pèlerinage qui se terminait par l’escalier aux cent marches est remplacé par le parcours mémoriel jalonné par les étapes que suivaient les condamnés à mort. Aux deux cimetières abandonnés de Forbin-Janson fait écho la crypte funéraire des compagnons de la Libération. Un seul artefact fait le lien entre la mémoire chrétienne, en particulier celle des Missionnaires de France, et la mémoire militaro-résistante : la chapelle du château Forbin-Janson, bâtisse néo-gothique où les condamnés à mort passaient leur dernière nuit ; sur ses murs, des inscriptions où s’expriment le patriotisme, l’attachement à la famille mais aussi le sentiment religieux témoignent d’un dernier mouvement d’élévation d’esprit au seuil de la mort (Poisson, 1972-1973 : 99).

La resacralisation paradoxale du Mont-Valérien, transformé en martyrium des années 1940-1944, n’est qu’en apparence en porte-à-faux par rapport à l’héritage chrétien. L’Église catholique comme les autorités responsables du mémorial sont ainsi intéressées, pour des motifs en partie communs, à la promotion de la figure de l’abbé Franz Stock, aumônier allemand des prisons parisiennes sous l’Occupation, engagé dans le soulagement des condamnés qu’il avait l’habitude d’accompagner au Mont-Valérien lors des exécutions [24]. Bien que son corps repose à Chartres, son souvenir n’est pas oublié sur le parcours des fusillés. La publicité qui lui est faite met l’accent moins sur son identité sacerdotale que sur le thème de la paix et de la réconciliation franco-allemande, dans une perspective téléologique proche de celle développée au mémorial de Caen. Mise au service de l’idée européenne et de l’exaltation des droits de l’homme, la figure de Franz Stock est redéfinie d’une manière métaconfessionnelle qui entre en consonance avec le récent projet de l’architecte et urbaniste Roland Castro. Réfléchissant sur le futur Grand Paris, celui-ci propose de créer au Mont-Valérien un mémorial national des « mémoires douloureuses » récapitulant les souffrances de diverses composantes de la population française (juifs, descendants d’esclaves, immigrés issus des peuples colonisés par la France) [25] en en faisant, au-delà d’une logique communautariste, le fondement d’une identité française partagée. De la Victime pascale priée au Calvaire aux multiples victimes des multiples politiques discriminatoires ayant touché la nation, une mutation plutôt qu’une rupture trouverait son accomplissement avec la mise en chantier d’un tel projet. De la transcendance à l’immanence, la mentalité victimaire traverse les époques, et un dolorisme anthropocentrique multiforme relaierait l’ancienne spiritualité de communion aux souffrances d’un unique Sauveur. Une évolution commencée il y a un peu plus de deux siècles s’achèverait dans le passage, en matière de disciplinement des esprits, de la sphère religieuse à la sphère socio-politique, de l’apologétique au didactisme étatique, de la sotériologie à « l’utopie concrète » (idée chère à Roland Castro) d’une société assumant sans états d’âme son caractère multiculturel mais s’efforçant de désamorcer le risque d’une concurrence mémorielle :

« Entre histoire et modernité, les lieux symboliques ont vocation à incarner et à refonder l’identité républicaine d’aujourd’hui. [...] Tout d’abord, nous avons souhaité en finir avec les batailles mémorielles et les mémoires hémiplégiques, qui sont l’espace de la dispute française. Nous proposons qu’au mont Valérien — mémorial de la France combattante et résistante — soit installé un mémorial de l’ensemble des mémoires douloureuses de notre pays : la Shoah, l’esclavage, sans oublier la colonisation et le drame singulier du double mépris dont sont victimes les Harkis. » (Atelier Castro-Denissof-Casi, 2009 : 49)

Acte de foi ou pari raisonnable ? La simple existence d’un tel projet témoigne que l’histoire est en train de déserter un certain champ politique, celui de la nation républicaine tel qu’il s’était constitué au XIXe siècle, pour le champ social, à travers « l’éclatement des mémoires particulières qui réclament leur propre histoire » (Nora, 1984 : XXIX). Quant à l’appréhension de l’espace, la hiérographie de l’âge sacral serait remplacée par une vision dite topolitique non exempte d’un millénarisme désormais réduit à l’horizon terrestre [26]. Au risque d’une hypertrophie et d’un morcellement de la mémoire, mais aussi d’une sous-exploitation d’une partie du patrimoine local et, pour les artefacts chrétiens, le plus fragile des patrimoines, d’un engloutissement définitif [27].

L’effacement du discours historique : mémoire-palimpseste et patrimonialisation

Pour l’heure, la logique patrimoniale se détache de plus en plus de la discipline historique, fondée sur l’intelligibilité de la temporalité comme flux, pour figer l’image grandiose d’une communauté nationale idéale, appelée à communier autour de la souffrance primordiale associée à la geste fondatrice des temps contemporains qu’est devenue la seconde guerre mondiale. Toute parole sur le passé ne ressortit pas à l’histoire : le repérage d’un événement dans le temps ne suffit pas à en faire un événement historique, car c’est l’historien qui fait advenir l’histoire, et non celle-ci qui s’impose à lui. Or, l’histoire est une herméneutique de type scientifique, qui s’interdit le jugement de valeur, quand le patrimoine a toujours force de plaidoyer : dépassant le simple inventaire chronologique ou archéologique, elle utilise les traces de ce qui n’est plus pour proposer une lecture plausible du passé, sans d’autre fin que la connaissance. Si la gestion du patrimoine participe de l’histoire des politiques culturelles, elle ne stimule pas forcément, malgré les apparences, la production d’un discours proprement historique sur les objets qu’elle honore. Au contraire, son interprétation du passé, ignorant souvent les exigences heuristiques de l’histoire, se présente d’abord comme une réponse à une nécessité sociale qu’elle a en fait elle-même suscitée. Cherchant à légitimer un objet-idole, là où l’historien ne connaît que des réalités mouvantes toujours à redéfinir, elle l’extrait artificiellement du flux temporel et l’offre à la vénération civique d’un public soumis à l’impératif du « devoir de mémoire ».
Tout le passé du Mont-Valérien tend ainsi à être subsumé dans la liturgie mémorielle déployée autour des événements traumatiques de la guerre, liturgie dont la mise en scène s’est étoffée avec les aménagements muséographiques créés en 2010. Sans garantie de réussite, tant il est vrai que la notoriété ne fait pas en soi le succès — que pèse touristiquement le mémorial de la France combattante au regard, par exemple, du mémorial de Caen ? [28] —, que le statut militaire de la forteresse, s’il contribue à geler le paysage, en limite aussi les possibilités de valorisation, que l’érection de quelque mémorial que ce soit menace toujours de stériliser la libre appropriation par le citoyen d’un passé dont la recomposition tient moins de l’histoire que de l’épopée. De ces ambiguïtés, Pierre Nora n’est pas dupe, qui n’a pas cru bon de compter le Mont-Valérien au nombre de ses « lieux de mémoire ». Oubli fâcheux ou effet de l’insuffisante lisibilité du site, dans laquelle la tenace présence de traces religieuses joue son rôle ? La suggestion par l’historien Michel Guillot d’une ingratitude nationale à l’égard du Mont-Valérien pointe l’efficacité incertaine d’un volontarisme mémoriel dont l’impensé religieux n’est pas absent :

« Il y a dans le nom de mémorial le mot mémoire. Il reviendra désormais aux historiens d’expliquer, de conter, d’aider à célébrer les légendes qui sont nées et vivent encore derrière les murs de la forteresse. Sans cette mesure — dont nous souhaitons que chacun soit partie prenante — le rite, si pieux soit-il, deviendrait folklore. Le Mont-Valérien, lieu de mémoire oublié, ne doit pas devenir lieu d’amnésie. Ceux qui y ont vécu ne le méritent pas. » (Lamare, 1994 : 15).

Indice supplémentaire de l’image brouillée du Mont-Valérien : le vocable de « lieu de mémoire » se voit préférer celui de « haut lieu » [29], terme plus vague qui établit une distance révérencieuse [30], formate le rapport au passé sur un mode hiératique, et manifeste une muséification / sanctuarisation qui dote le Mont-Valérien d’une « attractivité artificielle » passant par le « conditionnement mental et matériel » (Choay, 2009 : XXXIX) d’un public appelé à une consommation/communion culturelle/cultuelle très encadrée [31]. Les technocraties ministérielles ne s’avèrent pas moins inventives ni moins dirigistes que les défuntes congrégations dans leur entreprise de normalisation de l’imaginaire des usagers du mont. D’une cléricature à l’autre, du pèlerinage catholique au pèlerinage civique, le pouvoir hier religieux aujourd’hui politique continue de scénographier le triomphe des valeurs qu’il espère dominantes.

L’occultation du passé chrétien du Mont-Valérien n’est donc pas imputable aux seuls soubresauts politiques des deux derniers siècles, mais aussi au volontarisme étatique des débuts de la Cinquième République, qui a contribué à homogénéiser le lieu en vue d’un objectif métahistorique : la glorification d’une France meurtrie et prétendument unie. Le projet gaulliste du mémorial de la France combattante, en germe dès 1945, concrétisé quinze ans plus tard, peut être vu comme « la première grande tentative d’étatisation mémorielle de la Résistance » (Boursier, 1997 : 291). Taisant la longue rivalité qui opposa gaullistes et communistes dans l’interprétation de la lutte contre le nazisme, ne permettant pas de mesurer le poids exact du phénomène résistant dans la France occupée (où sont passées la France de la Collaboration et celle de l’attentisme ?), il propose, à l’instigation au départ des seuls gaullistes, une lecture unanimiste du rôle de la France dans la seconde guerre mondiale, jusqu’à ne pas reprendre le vocable de Résistance, jugé trop clivant, dans le nom du monument : « Le lieu est consacré à la France au combat, une France indivisible. [...] Toute cette épopée ne s’articule pas principalement sur les résistants et la Résistance, mais sur tout ce qui peut symboliser la France éternelle, la Métropole et l’Empire : le soldat, l’armée, donc l’État. » (Boursier, 1997 : 292). Malgré la diversité des contextes, cette réunification artificielle de la mémoire française, cette célébration d’une communauté imaginée, jamais remise en cause depuis cinquante ans au Mont-Valérien, n’est pas sans analogie avec « l’utopie concrète » d’un Roland Castro (re)constructeur, au propre comme au figuré, d’unanimité nationale. Dans tous les cas, l’articulation entre mémoire et identité se fait dans le déni du plus ancien patrimoine, celui du Mont du Calvaire, et confirme combien ces interprétations du passé réclamant l’acquiescement national reposent sur « un discours de l’altérité où la possession d’une histoire qu’on ne partage pas donne au groupe son identité » (Zonabend, 1980 : 310).

Si le statut patrimonial de la plupart des artefacts monumentaux, y compris religieux, présents sur le Mont-Valérien ne fait pas discussion au regard de la loi, le Mont-Valérien dans son ensemble ne parvient pas à se faire reconnaître comme un haut lieu patrimonial, un signe du passé immédiatement parlant pour le plus grand nombre. Dans l’ordre des représentations, il ne fait pas entièrement corps avec le mémorial de la France combattante. La pertinence de la notion de cryptopatrimoine appliquée aux vestiges chrétiens du mont résulte de leur position inconfortable : le patrimoine religieux demeure comme invisible parce que le territoire dont il est solidaire n’a connu jusqu’ici qu’une patrimonialisation partielle ; de la reconnaissance juridique de ce patrimoine à l’évidence de son importance pour le cœur comme pour l’esprit, la transition ne s’est pas opérée. Que le Mont-Valérien doive être regardé comme un haut-lieu, nul n’en disconvient. « Lieu pour l’exemple », lieu de mise en chantier d’une « méthodologie de gestion sociale », il a été construit dans le dernier demi-siècle comme un « lieu symbolique [figurant] la possibilité de résolution des contradictions » (Micoud, 1991 : 9-10). Mais ce haut lieu n’est pas devenu pour autant un haut lieu patrimonial : l’exploitation touristique reste en demi-teinte, et l’ensemble du site, que la population militaire, en diminution, peine à maintenir vivant, évolue, comme les artefacts religieux qui y sont dispersés, vers l’état de reste, sans parvenir à se hisser au rang de sémiophore (Pomian, 1987 : 38-40). Lieu reconnu comme historiquement significatif mais « lieu parmi d’autres », « lieu encore déchu » (Davallon, 1991 : 93), le Mont-Valérien, malgré ses édifices déclarés patrimoniaux, demeure un espace peu lisible, dont l’usage culturel, sporadique, se dégrade en « quelque chose qui tient à la fois du rituel et du spectacle » (Davallon, 1991 : 99).

Le concept de cryptopatrimoine permet de cerner les ratés de la patrimonialisation, le blocage du processus à un de ses niveaux inférieurs, ici le niveau juridique, et son impossible évolution, du moins à titre provisoire, vers la construction d’un objet pleinement signifiant pour la masse du corps social. En matière de mémoire, dont le patrimoine est un support privilégié, la volonté administrative même la plus directive ne peut que proposer : l’imaginaire du groupe dispose. Dans ce hiatus entre émetteur et récepteur, le cryptopatrimoine désigne un patrimoine dont l’appropriation par la conscience collective demeure inaboutie ; l’authentification le sauve de la clandestinité, mais l’absence de mise en valeur le condamne à la confidentialité. La formation du patrimoine apparaissant à la confluence de logiques politique, économique et scientifique, le cryptopatrimoine est ce patrimoine ambigu qui a ses spécialistes mais pas ou peu de visiteurs. Dans un contexte général de déprise de la culture chrétienne, les reliquats du Mont du Calvaire en sont un cas typique, explicable non par le remplacement brutal d’une mémoire religieuse par une mémoire guerrière, ni par la coexistence conflictuelle de ces mémoires, mais par le recouvrement progressif de la première, faible car historiquement complexe, par la seconde, forte car émotionnellement simple, recouvrement que le pouvoir politique a favorisé et dont, depuis l’édification du mémorial de la France combattante, il entend profiter. Dans la mise en scène du dépassement fantasmé des clivages nationaux, commencée à l’époque gaulliste et repensée aujourd’hui, à l’heure des débats sur la possibilité d’un multiculturalisme à la française, par l’audacieux projet de Roland Castro, la dimension religieuse du site reste dans l’ombre. Certes, le consensus des autorités académiques, confirmé par un classement au titre des monuments historiques, se fait autour de l’importance des pratiques religieuses passées dans la cristallisation de l’identité du Mont-Valérien, « haut lieu méconnu » (Guillot, 1996 : 115). Mais ce patrimoine connaît une éclipse durable du fait d’une combinaison de facteurs qui a conduit à la situation équivoque d’aujourd’hui, qu’on pourrait résumer d’une formule : ni insouciance, ni vigilance. Le paysage de ruines est devenu un paysage en ruine, presque indéchiffrable, qui ne vit plus — ni en lui-même, ni pour autrui — mais survit tout de même. Entre les exigences scientifiques de l’histoire et une politique mémorielle qui, sur un Mont-Valérien saturé de références aux fusillés de l’Occupation, oblitère tout ce qui ne se rattache pas à la seconde guerre mondiale et substitue à l’idéal ascétique et sacrificiel des premiers occupants une nouvelle martyrologie laïque et démocratique, les décombres d’un catholicisme jadis rayonnant perdurent dans une indifférence sans malveillance, entre destruction impossible et valorisation improbable.

add_to_photos Notes

[1La partie législative du Code du Patrimoine, publiée en 2004, se substitue à diverses lois antérieures, dont la loi sur les monuments historiques du 31 décembre 1913 . « Le patrimoine s’entend, au sens du présent code, de l’ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique. » (Code du Patrimoine, article L1).

[2Pour le patrimoine immobilier, les principales conséquences matérielles du classement sont les suivantes : « L’immeuble classé au titre des monuments historiques ne peut être détruit ou déplacé, même en partie, ni être l’objet d’un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, sans autorisation de l’autorité administrative. Les travaux autorisés en application du premier alinéa s’exécutent sous le contrôle scientifique et technique des services de l’État chargés des monuments historiques... » (Code du Patrimoine, article L621-9).

[3« Chaque génération, depuis 1580, a produit un ouvrage retraçant l’histoire du Mont-Valérien. Certains sont de banales compilations, d’autres de pieux manuels de pèlerinages » (Guillot, 1996 : 127). Les ouvrages proprement scientifiques n’apparaissent qu’au XXe siècle.

[5À côté de représentations plutôt réalistes, la gravure baroque, désireuse de magnifier le paysage, propose parfois des visions assez fantaisistes du Mont-Valérien.

[6Lettre non datée du frère François à Guillaume Coëffeteau (Colletet, 1662 : 81-84).

[7Le figurisme, mode de lecture de l’Ancien Testament comme préfiguration du Nouveau, est ici appliqué à l’histoire de l’Église, comprise comme une réitération des événements bibliques.

[8Voir plusieurs épigrammes de Guillaume Colletet (Colletet et De la Croix, 1647 : 24-29). Deux des ermites les plus fameux au tournant des XVIe et XVIIe siècles, Jean Le Comte et Pierre de Bourbon, sont comparés respectivement à saint Hilarion et à Moïse. L’épigramme consacrée à Pierre de Bourbon associe le Mont-Valérien au mont Horeb, une autre en l’honneur de Jean du Houssaye y voit une nouvelle Thébaïde. L’introduction du même ouvrage (1647 : 3) fait du mont un nouveau Sinaï et un nouveau Mont-Cassin.

[9Mercure de France, novembre 1739, pp. 2595-2596.

[10Sous l’Ancien Régime, les désordres entourant les processions de pénitents organisées dans la nuit du jeudi au vendredi saint avaient amené le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, à les interdire (Rousseau, 1925 : 136).

[11Cette chapelle insérée dans le « bâtiment de 1812 » se constitue d’un narthex et, après 1822, d’une abside, qui n’existe plus de nos jours. (Poisson, 1972-1973 : 100-101).

[12Une description du double cimetière Forbin-Janson se trouve sur le site « Cimetières de France et d’ailleurs » tenu par l’historien Philippe Landru (http://www.landrucimetieres.fr).

[13« Les disciples de Jean-Jacques [Rousseau] ont remplacé le Calvaire par une forteresse » (Garreau, 1936 : 217).

[14Les jugements tendancieux sur le zèle religieux des Missionnaires de France, qualifié d’excessif ou de fanatique, émaillent le discours des historiographes du Mont-Valérien tout au long des XIXe et XXe siècles. Voir par exemple Résumé de l’histoire du Mont-Valérien et du 8e régiment de transmissions (2002 : 10).

[15Les dégradations d’origine militaire se poursuivent jusqu’à la Belle Époque. Ainsi en 1903 la construction d’écuries conduit-elle le génie à ensevelir vingt-cinq tombes de la partie inférieure du cimetière de Forbin-Janson sous la terre provenant du creusement des fondations. (Rousseau, 1925 : 140)

[16La crypte, les pierres tombales de Guillemette Faussart et d’Hubert Charpentier, le « bâtiment de 1812 » et la partie nord du cimetière de Forbin-Janson (avec l’escalier le traversant) ont été classés monuments historiques en 1922. Voir http://www.culture-gouv.fr/public/mistral/merimee_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_1=REF&VALUE_1=PA00088157.

[17Quatre hypothèses sont avancées quant à l’origine de cette crypte. Elle aurait été : commencée vers 1585 pour Jean du Houssaye, ou dans la seconde moitié du XVIIe siècle par les Prêtres du Calvaire (Poisson, 1973-1975 : 100) ; bâtie par les ingénieurs du fort au XIXe siècle, mais laissée inachevée après la révolution de 1848 ; plus vraisemblablement, construite entre 1610 et 1615 pour l’ermite Séraphin de la Nouë à la demande de Marguerite de Valois (Guillot, 1996 : 26).

[18Description de ce minuscule cimetière dit du Calvaire, entièrement classé monument historique, sur le site des Amis et Passionnés du Père-Lachaise, http://www.appl-lachaise.net/appl/article.php3?id_article=380.

[19Journées annuelles instituées par le Conseil de l’Europe en 1991.

[20Une image de dévotion éditée par le diocèse rappelle la place du Mont-Valérien parmi les lieux jubilaires. Un livret explicatif la complète (Aybram, 2000).

[21La dernière édition (2009) du propre de la liturgie des heures pour le diocèse de Nanterre ne fait aucune allusion au Mont-Valérien ; la fête de l’Exaltation de la Croix (14 septembre), autrefois fête patronale de l’église du Calvaire, n’y fait l’objet d’aucune mention particulière.

[22Description du mémorial sur le site de l’Ordre de la Libération, http://www.ordredelaliberation.fr/fr_doc/2_2_2_valerien.html.

[23Déjà en 1942, l’architecte Jean Rey, proche de la Résistance, avait conçu un « parvis de la France » pour rendre hommage aux victimes et aux héros militaires, soit un an après l’exécution d’Honoré d’Estienne d’Orves, le plus fameux des fusillés du Mont-Valérien. Du projet entamé à la Libération mais interrompu par le décès de l’architecte et la fin du gouvernement de Gaulle, on retiendra trois croix dressées en 1946, en référence aux trois guerres franco-allemandes mais aussi au Calvaire (Guillot, 1996 : 115).

[24La cause de béatification de l’abbé Stock a été introduite en 2009. En 1990, son nom a été donné à la place située sur l’esplanade face au mémorial de la France combattante. L’actualité le concernant se trouve sur le site franco-allemand de l’association des Amis de Franz Stock (http://www.franz-stock.org/index.php?lang=fr).

[25La liste des "souffrants" aurait pu être bien plus longue, quitte à aggraver le soupçon de patchwork idéologique. Les descendants des Cathares, des Vaudois, des Camisards, des Vendéens, des Communards, entre autres, n’auraient-ils pas droit aussi à la compassion de l’actuelle République ?

[26La topolitique d’aujourd’hui, processus d’ingénierie symbolique inscrivant la mémoire d’un corps social dans certains lieux présentés comme remarquables, vise à fonder ou confirmer une identité politique, alors que la hiérographie d’hier, assignant une dimension sacrée à un espace donné, faisait servir la géographie à la définition d’un au-delà de la cité.

[27Le musée de Suresnes René Sordes doit se muer en 2012 en un « Musée d’Histoire urbaine et sociale » centré sur l’entre-deux-guerres. La place qu’il fera au patrimoine d’Ancien Régime reste problématique. Pourtant, en prélude à l’inauguration du nouveau musée, une petite exposition intitulée « Suresnes à travers le Mont-Valérien », ouverte en mai 2011, n’omet pas le fait religieux. Voir http://www.suresnes.fr/Culture-Loisirs/Culture/MUS-Musee-d-Histoire-Urbaine-et-Sociale/La-galerie-du-Musee.

[28Le mémorial de Caen, qui déborde le cadre de la deuxième guerre mondiale et se veut « Cité de l’histoire pour la paix », enregistrait environ 372 000 visiteurs en 2009 (http://www.memorial-caen.fr/portail/index.php?option=com_content&view=article&id=53), le mémorial de la France combattante 20 598 en 2010, année d’une notable progression attribuable aux innovations muséographiques (http://www.hauts-de-seine.net/loisirs/visite-touristique).

[29Le dossier de presse publié par le Ministère de la Défense pour l’inauguration le 5 mai 2010 d’un nouveau parcours muséographique et d’un espace multimédia utilise dans son titre l’expression un peu biaisée de « haut lieu de la mémoire » (Anon., 2010 : 1). Le site officiel du Mémorial du Mont-Valérien la reprend (http://www.mont-valerien.fr) mais expédie l’héritage religieux en une ligne (« ermitage médiéval puis pèlerinage populaire du XVIIe au XIXe siècle »).

[30On songe aux sites élevés ou hauts lieux vénérés dans le paganisme antique.

[31Ce n’est plus le 14 septembre, fête de la Croix glorieuse, mais le 18 juin, commémoration de l’appel du général de Gaulle, qui marque l’acmé du "temps liturgique" au Mont-Valérien. Cette dernière célébration vient chaque année en confirmer la nouvelle fonction rituelle.

library_books Bibliographie

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Pour citer cet article :

Philippe Castagnetti, 2012. « Les traces de vie religieuse sur le Mont-Valérien : approche de la notion de cryptopatrimoine ». ethnographiques.org, Numéro 24 - juillet 2012
Ethnographies des pratiques patrimoniales : temporalités, territoires, communautés [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2012/Castagnetti - consulté le 28.03.2024)
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