Revenir. Quêtes, enquêtes et retrouvailles

(Information publiée le mardi 2 mai 2017)

Revenir. Quêtes, enquêtes et retrouvailles

Appel à propositions de la revue ethnographiques.org

Date limite de soumission : 28 juin 2017

Certains voyages, dont les destinations sont investies de charges affectives fortes, prennent des formes singulières. Ce numéro thématique d’ethnographiques.org est consacré aux déplacements temporaires et volontaires revendiqués et vécus comme des « retrouvailles » avec des endroits considérés comme ceux des origines familiales ou nationales, souvent qualifiés par les acteurs eux-mêmes de « recherche de racines », « quête des origines » ou encore « retour aux sources ». Ce « retour » implique la recherche d’un lien possiblement distendu, voire rompu. Il repose souvent sur une enquête préalable et sur la quête active, qui peut être déçue, d’une reconnexion ou d’une (re)familiarisation avec des langues entendues, des aliments goûtés, des personnes, des paysages et des sites patrimoniaux (re)découverts. Par quelles logiques, quelles justifications, quels récits, ces déplacements sont-ils portés ? Comment quêtes et enquêtes s’articulent-elles dans ce genre de démarches ?

Ces voyages ont reçu une attention croissante depuis la dernière décennie du XXe siècle. Les « mythes du retour » (Cohen et Gold 1997) nourris par les émigrés qui entretiennent « l’illusion » d’une installation qui ne serait que « provisoire » (Sayad 2006), « l’amour de la terre ancestrale » et la « mémoire de l’exil » transmis souvent sur plusieurs générations (Bordes-Benayoun et Schnapper 2008, Hovanessian 2006) ont été largement documentés par la littérature consacrée aux migrations et aux diasporas. Les « retours » ont été appréhendés comme des pratiques par lesquelles sont entretenus et reproduits les sentiments d’appartenance (Legrand 2002, Leite 2005, Gourcy 2007, 2010, Bidet et Wagner 2012, Katić 2014, Tsimouris 2014) mais qu’ils peuvent également remettre en question (Louie 2000, 2001, Razy 2006, Tsuda 2009).

Nous entendons interroger les différentes formes que peuvent prendre ces voyages, en réfléchissant en particulier aux liens et aux articulations entre « retours », quêtes et enquêtes. L’intention première des contributions rassemblées dans ce dossier est de considérer ces voyages en tant qu’ils sont sous-tendus par une démarche de recherche. Par le recueil de témoignages, par des plongées dans les archives, par la quête d’indices, de traces et de pistes, la préparation au voyage et le voyage lui-même s’apparentent volontiers à des enquêtes. Celles-ci s’inscrivent souvent dans le cadre d’une quête personnelle qui constitue la raison d’être du voyage. Qu’il s’agisse de personnes revenant sur leurs pas ou, au contraire, traçant leurs premières empreintes sur des lieux jusqu’alors connus au mieux par des récits transmis au sein de la famille ou d’une communauté, ou parfois même totalement inconnus, car tus ou passés sous silence, quêtes et enquêtes constituent leur dénominateur commun.

L’importance du processus de recherche tient à trois éléments qui constituent autant d’axes de réflexion que pourront adopter les contributions : d’abord, en quoi la quête de quelque chose qui est ressenti comme « perdu » constitue la raison même de ces voyages « retour » ; ensuite, comment les pratiques d’enquête et de quête modèlent la préparation, le déroulement du voyage, ses séquences temporelles et son déploiement dans l’espace ; et enfin, en quoi l’expérience vécue est leur trait distinctif.

Quels « retours », quelles retrouvailles ?

La notion de « retour » prend des sens différents en fonction des manières dont ces voyages sont pensés, des situations de ceux qui les effectuent et de leurs pratiques mémorielles. Les auteurs pourront examiner comment ces cadrages opèrent au regard des liens des voyageurs avec les endroits « (re)visités » et selon que l’idée d’un « retour » s’impose dans des discours officiels qui présentent ou non comme un impératif moral la visite du lieu des origines. Les façons dont les recherches afférentes au « retour » s’effectuent, et comment les pratiques de quête font écho ou entrent en dissonance avec des discours et programmes officiels sont aussi des éléments pouvant être interrogés. De nombreuses configurations de retrouvailles sont possibles : celles de migrants revenant dans des lieux où ils ont vécu ; celles de généalogistes en quête de leurs lointains ancêtres ; celles de descendants d’émigrés sans attaches directes qui souhaitent découvrir la terre d’origine de leur famille…

Retour, quête et enquête

Marie-Blanche Fourcade a montré qu’au-delà des contextes singuliers et des modalités diverses des voyages, ceux-ci présentent « un cheminement commun ponctué de séquences récurrentes » (2010 : 6). Les contributions à ce dossier pourraient développer plus en avant ce point en l’élargissant à l’ensemble des rencontres effectuées par les voyageurs, non seulement avec des personnes, mais aussi avec des objets, des sites, des sensations. Dans de nombreux cas, les voyageurs procèdent selon un paradigme indiciaire (Ginzburg 1980), commençant à accumuler dès avant le voyage des traces, des pistes, des indices souvent ténus qui nourrissent leur quête. C’est à partir de descriptions ethnographiques fines des divers moments et facettes de ces « retours » ainsi que de leurs mises en récits par les voyageurs que l’on devrait pouvoir mettre à jour comment les processus d’enquête et de découverte forgent l’expérience du voyage lui-même.

L’expérience du retour

Un dernier axe concerne la dimension vécue du voyage « retour », envisageant ainsi le voyage dans sa dimension « expérientielle » (Cohen 1979, Aziz 1987, Holmes-Rodman 2004). Qu’implique par exemple le fait de « revenir » sur des lieux jamais visités auparavant ? Les expériences des voyageurs confrontés à ce qui relevait jusqu’alors du souvenir ou de l’imaginaire pourraient être restituées et interrogées. Guidé par le principe paradoxal d’une re-familiarisation avec l’inconnu (Trémon 2016), le voyage peut générer l’impression d’être à nouveau chez soi, mais il peut aussi faire surgir la conscience d’y être (devenu) un étranger. Le retour peut même se transformer en une expérience traumatisante si le lieu de la quête n’existe pas, est devenu autre, a été détruit ou spolié. Entre familiarité et étrangeté, entre retrouvailles heureuses et illusions perdues, quelles sont alors les « conditions de félicité » (Goffman 1986) des voyages de retour ? Les textes pourront aborder les tensions latentes ou tangibles de ces situations, et les manières dont elles peuvent conduire à une négociation de positions médianes.

Les contributions d’auteurs ayant pris part à ces déplacements et cheminé aux côtés de celles et ceux qui « retournent » seront particulièrement bienvenues. Les analyses pourront également être basées sur les témoignages de ceux qui ont pratiqué ce type de voyages. En outre, les contributions construites avec ou autour de matériaux visuels et/ou sonores (images, photos, extraits de films) seront particulièrement encouragées.

Calendrier

Les propositions de contributions (2 pages maximum, comprenant une bibliographie indicative) sont attendues au plus tard le 28 juin 2017. Elles doivent être envoyées, avec la mention « Revenir » (en objet du message), à la rédaction ainsi qu’aux rédacteurs de l’appel :
redaction@ethnographiques.org ; michael.busset@unil.ch ; gregoire.mayor@ne.ch ; anne-christine.tremon@unil.ch

Une réponse sera donnée avant le 15 juillet 2017.
Les textes doivent être remis pour fin octobre 2017. Ils seront relus par le comité de rédaction ainsi que par des évaluateurs externes. La version définitive devra être remise en mars 2018 pour une publication dans le numéro 37, à l’automne 2018.

Références bibliographiques

AZIZ Barbara Nimri, 1987. « Personal Dimensions of the Sacred Journey : What Pilgrims Say », Religious Studies, 23 (2), p. 247-61.

BIDET Jennifer et WAGNER Lauren, 2012. « Vacances au bled et appartenances diasporiques des descendants d’immigrés algériens et marocains en France », Tracés. Revue de Sciences humaines, 23 (en ligne), https://traces.revues.org/5554, DOI : 10.4000/traces.5554, (mis en ligne le 19 novembre 2014).

BORDES-BENAYOUN Chantal et SCHNAPPER Dominique, 2008. Les mots des diasporas. Toulouse, Presses Universitaires du Mirail.

COHEN Erik, 1979. « A Phenomonology of Tourist Experiences », Sociology, 13 (2), p. 179-201.

COHEN Rina et GOLD Gerald, 1997. « Constructing Ethnicity : Myth of Return and Modes of Exclusion among Israelis in Toronto », International Migration, 35, p. 373-94.

FOURCADE Marie-Blanche, 2010. « Tourisme des racines. Expériences du retour », Téoros, 29 (1), p. 3-7.

GINZBURG Carlo, 1980. « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, 6, p. 3-44.

GOFFMAN Erving, 1986. « La condition de félicité — 1 », Actes de la recherche en sciences sociales, 64, p. 63-78.

GOURCY Constance (de), 2007. « Le retour au prisme de ses détours ou comment réintroduire de la proximité dans l’éloignement », Revue européenne des migrations internationales, vol. 23 (2).

GOURCY Constance (de), 2010. « Revenir sur les lieux de l’origine. De la quête des “racines aux épreuves du retour », Ethnologie française, vol. XL (2), p. 349-356.

HOLMES-RODMAN Paula Elizabeth, 2004. « ‘They Told What Happened on the Road’ : Narrative and the Construction of Experiental Knowledge on the Pilgrimage to Chimayo, New Mexico », in BADONE Ellen et ROSEMAN Sharon R. (eds.), Intersecting Journeys. The Anthropology of Pilgrimage and Tourism. Urbana, University of Illinois Press, p. 24-51.

HOVANESSIAN Martine, 2006. « Exil et catastrophe arménienne : le difficile travail de deuil », in Berthomière William et Chivallon Christine (éd.), Les diasporas dans le monde contemporain, Paris, Karthala - Pessac, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, p. 227-234.

KATIĆ Mario, 2014. « From the Chapel on the Hill to National Shrine : Creating a Pilgrimage ‘Home’ for Bosnian Croats », in Eade J. et Katić M. (eds), Pilgrimage, Politics and Place-making in Eastern Europe. Crossing the Borders. Farnham, Burlington : Ashgate, p. 15-35.

LEGRAND Caroline, 2002. « Du tourisme généalogique dans l’Irlande contemporaine », Revue de Synthèse, 123, p. 131-147.

LEITE Naomi, 2005. « Travels to an Ancestral Past : On Diasporic Tourism, Embodied Memory, and Identity », Antropologicas, 9, p. 273-302.

LOUIE Andrea, 2001. « Crafting Places through Mobility : Chinese American “Roots-Searching” in China », Identities, vol. 8, p. 343-379.

LOUIE Andrea, 2000. « Re-territorializing transnationalism : Chinese Americans and the Chinese motherland », American Ethnologist, 27 (3), p. 645-669.

RAZY Élodie, 2006. « De quelques “retours Soninké” aux différents âges de la vie. Circulations entre la France et le Mali », Journal des anthropologues, 106-107, p. 337-354.

SAYAD Abdelmalek, 2006. L’immigration ou les paradoxes de l’altérité. 1. L’illusion du provisoire. Paris, Éditions Raisons d’agir.

TRÉMON Anne-Christine, 2016. « Cheminer sur la trace des ancêtres. “Retour aux sources” et résurgences dans les visites aux villages d’origine de la diaspora chinoise ». Communication au colloque « Nathan Wachtel, anthropologie et histoire ». Musée du Quai Branly, 12 et 13 mai 2016, actes mis en ligne en septembre 2016, https://actesbranly.revues.org/726.

TSIMOURIS Giorgos, 2014. « Pilgrimages to Gökçeada (Imvros), a Greco-Turkish Contested Place : Religious Tourism or a Way to Reclaim the Homeland », in Eade J. et Katić M. (eds), Pilgrimage, Politics and Place-making in Eastern Europe. Crossing the Borders. Farnham, Burlington : Ashgate, p. 37-55.

TSUDA Takeyudi, 2009. Diasporic homecomings. Ethnic return migration in comparative perspective. Stanford, Stanford University Press.

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