Faire don : philanthropie & Co

Appel à propositions de la revue ethnographiques.org

Date limite de soumission : 15 janvier 2016

Depuis une vingtaine d’années, les pratiques du don connaissent une visibilité nouvelle. On ne compte plus les classements qui listent les grands donateurs de ce monde, à l’exemple du classement « America’s 50 Top Givers » du magazine Forbes. La richesse ne suffit plus, il faut la redistribuer. Simple visibilité nouvelle pour une pratique aussi vieille que l’humanité elle-même ? Juste retour dans l’espace médiatique de pratiques constitutives de toute société (Mauss, 1923-24) ? Ou y aurait-il une spécificité propre à ces pratiques de don aujourd’hui appelées « philanthropiques » qui en ferait un phénomène social propre à une élite qui, à l’image de Mo Ibrahim en Afrique ou Vincent Tan Chee Yioun en Malaisie, est devenue mondialisée ?

Ce numéro de la revue ethnographiques.org voudrait explorer les formes contemporaines de la philanthropie au regard de la visibilité publique nouvelle dont ces pratiques bénéficient. Il voudrait notamment interroger les modalités de construction, à l’intérieur de la diversité des formes de don, du « donner philanthropique ». Quelles sont les continuités et discontinuités, entre la philanthropie et d’autres formes de dons, et plus largement de l’échange marchand ? Est-ce que rendre service à son prochain, faire acte de bénévolat, ou s’engager dans une action philanthropique, c’est faire la même chose comme semblent l’indiquer Payton et Moody (2008) ? Est-ce qu’une entreprise privée qui offre à une ONG un rabais sur un de ses services fait œuvre de philanthropie ? Est-ce que parler d’évergétisme, de charité ou de philanthropie (Veyne, 1976 ; Duprat, 1996) ne renvoie qu’à des questions de distinctions sociales ou est-ce que cela implique des formes, des modalités ou des conceptions distinctes du don (et plus largement des bénéficiaires, de l’Etat, de la science, etc.) ? Y a-t-il, comme le propose Olivier Zunz (2012), une continuité entre une « philanthropie de masse » et une « philanthropie des élites », ou ces pratiques relèvent-elles de logiques différentes ? Et quelle place accorder aux contextes socio-culturels singuliers dans les formes prises par ce « donner philanthropique » ?

Au-delà de cette problématique générale, deux axes pourraient être plus particulièrement explorés :

D’abord, ce numéro voudrait interroger plus particulièrement les pratiques concrètes liées à ce « donner philanthropique ». La littérature scientifique semble montrer une fascination pour les individus et pour les circonstances qui président à l’acte de don ou philanthropique (générosité des donateurs, histoires familiales, montants versés, nombre d’actions menées, etc.). En même temps, le fonctionnement concret des pratiques contemporaines de la philanthropie reste souvent à l’état de « boîte noire ». Pour prendre le cas des fondations philanthropiques : Comment fonctionnent-elles ? Comment collectent-elles des fonds et publicisent leurs actions ? Comment sont placées et affectées les ressources financières ? Comment sont sélectionnés les donataires ? Quels sont les outils d’intervention privilégiés et sur quelles logiques reposent ces choix ? Et si une part de ce travail est déléguée à des professionnels, qui sont ces professionnels ? Quels sont les dilemmes auxquels sont confrontés les philanthropes et ou les fondations philanthropiques dans leurs pratiques quotidiennes ?

Ensuite, si on fait l’hypothèse que l’absence ou les transformations de l’Etat social, aujourd’hui comme au XIXe siècle, en Europe ou ailleurs (Ferguson, 2015), modifient, canalisent ou transforment le sens des pratiques du don, et que donc les pratiques philanthropiques doivent être pensées de manière relationnelle, ce numéro voudrait questionner, les dynamiques à l’œuvre entre pratiques philanthropiques et action étatique. On pourra s’interroger alors sur les agencements des actions philanthropiques et étatiques (entre complémentarité, substitution et concurrence), sur les ressources et contraintes mises en place par les Etats en faveur d’actions philanthropiques (avantages fiscaux, dispositifs législatifs, etc.), sur les usages que les acteurs philanthropiques font de ces ressources, mais également sur les ressources et risques que représentent ces pratiques philanthropiques pour les Etats (ou en l’absence de l’Etat).

Cette problématique générale ainsi que les deux axes de réflexion proposés ne ferment pas le dossier à d’autres propositions. Les études portant sur des contextes non-occidentaux et les études de cas reposant sur un fort matériau empirique seront privilégiées.

Les propositions de contribution (2 pages maximum, comprenant une bibliographie indicative) sont attendues au plus tard le 15 janvier 2016. Ces propositions doivent être envoyées, avec la mention « Faire don : Philanthropie & Co » (en objet du message), aux rédacteurs de l’appel alexandre.lambelet@eesp.ch et lefevre.sylvain@uqam.ca.

Ethnographiques.org offrant toutes les potentialités d’une revue en ligne, les auteur-e-s sont encouragés à présenter des matériaux visuels ou sonores susceptibles de structurer ou d’accompagner leur article, voire même à proposer une mise en forme originale de leur réflexion et de leurs données.

Les auteur-e-s dont les propositions auront été sélectionnées (réponse le 30 février 2016) devront remettre leur article avant le 10 juillet 2016.

Bibliographie :

DUPRAT Catherine, 1996. Usage et pratiques de la philanthropie : pauvreté, action sociale et lien social à Paris, au cours du premier XIXe siècle. Paris, Comité d’histoire de la sécurité sociale.

FERGUSON James, 2015. Give a Man a Fish : Reflections on the New Politics of Distribution. Duke University Press.

MAUSS Marcel, 1923-1924. « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », L’année sociologique : 30-186.

PAYTON Robert et MOODY Michael, 2008. Understanding Philanthropy. Its Meaning and Mission. Bloomington, Indian University Press.

VEYNE Paul, 1976. « L’évergétisme et l’esprit du capitalisme », Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique. Paris, Seuil : 127-140.

ZUNZ Olivier, 2012. La philanthropie en Amérique. Argent privé, affaires d’Etat. Paris, Fayard.