Collaborations, conflits et dissidences dans une entreprise scientifique collective.
Le cas de l’École sociologique de Bucarest

Résumé

L’École monographique de Bucarest illustre de façon exemplaire ce qu’a pu être une entreprise collective d’enquêtes de terrain, dans un pays européen au début du XXe siècle. Lancé en Roumanie dans les années 1920 par le sociologue Dimitrie Gusti, le mouvement monographiste ambitionnait d’étudier un grand nombre de villages roumains au moyen d’une méthode d’enquête directe et multidisciplinaire. Le nombre trop élevé de collaborateurs, le retard dans les publications, le contexte politique trouble de l’époque et les velléités d’indépendance de certains membres de l’École, confrontés à la forte personnalité de Gusti, conduisirent à des ruptures et des dissidences tout au long du fonctionnement du mouvement monographiste (1923-1948). L’interdiction de l’enseignement de la sociologie dans la Roumanie communiste à partir de 1948, la disparition des institutions qui soutenaient le monographisme, l’éparpillement et la persécution subie par certains membres des équipes de Gusti mirent fin à cette entreprise scientifique pionnière.

Abstract

Collaborations, conflicts and dissidences in a collective scientific movement. The case of the Bucharest Sociological School.

The case of Bucharest’s Monographic School is exemplary for the creation of a movement for social research fieldwork in a European country at the early twentieth century. Initiated in the 1920s by the Romanian sociologist Dimitrie Gusti, the monographic movement aimed at researching a significant number of villages in Romania by applying a multidisciplinary fieldwork research method. The high number of collaborators, the postponement of publishing the research results, the politically troubled period and the ambitions of certain members of the School clashing with the strong personality of Gusti, resulted in defections and dissidences throughout the entire period of the School’s existence, between 1923 and 1948. The interdiction of the discipline of sociology after the instalment of the communist regime in 1948, the dismantlement of the institutions supporting monographic research, the scattering of the monographic School’s participants and the persecution of certain of its members by the communist authorities put an end to this scientific movement.

Sommaire

Table des matières

Des enquêtes monographiques villageoises pour une « science de la nation »

Cet article évoque une ambitieuse série d’enquêtes collectives, les monographies villageoises réalisées par l’École de Bucarest dirigée par le sociologue roumain Dimitrie Gusti (1880-1955) dans l’entre-deux-guerres. Ces enquêtes, qui vont assurer une grande notoriété internationale à leur promoteur, auraient concerné jusqu’à six cents villages et fait appel à des équipes d’observateurs et enquêteurs dont le nombre oscillait entre une dizaine et quatre-vingt-dix. Si le cadre institutionnel de ces enquêtes est en apparence lié au projet étatique de la jeune nation roumaine nouvellement unifiée en 1918, il obéit à un projet scientifique qui échappe aux influences politiques. Analyser cette entreprise à travers ses points de rupture et ses échecs partiels permettra de mettre en lumière les difficultés inhérentes à toute recherche scientifique collective. En mobilisant une grande variété de sources [1], nous souhaitons examiner la façon dont les données recueillies ont été mutualisées et utilisées lors des nombreuses campagnes de recherche et revenir sur les conflits qui ont pu émerger à l’intérieur d’équipes pluridisciplinaires regroupant des spécialistes de plusieurs sciences sociales (sociologie, folklore, géographie, ethnomusicologie, anthropologie physique, etc.) sous l’égide de la sociologie gustienne qui marqua fortement de son empreinte les protocoles d’observation et la grille d’interprétation des résultats. Les critiques d’ordre méthodologique concernant l’expérience de terrain révélèrent des visions différentes de la mission assignée à l’École et conduisirent à des scissions, dont la manifestation la plus notable reste l’utilisation et la publication des monographies sommaires par le jeune sociologue Anton Golopenţia, entre 1938 et 1945, sans l’accord préalable de Gusti, mis devant le fait accompli. Par ailleurs, le retard dans la publication des résultats des recherches monographiques ainsi que le choix même des rédacteurs des contributions ont entraîné des rivalités et une désorganisation de l’entreprise gustienne lourdes de conséquences pour la valorisation des résultats.

L’École de Bucarest est indissociable de son fondateur, Dimitrie Gusti [2]. Après sa thèse, obtenue sous la direction de Wilhelm Wundt, Gusti devient en 1910 professeur de sociologie à l’université de Jassy où il commence alors à développer une activité universitaire d’ingénierie sociale, à visée réformiste, éminemment pratique, afin de promouvoir et accompagner une politique volontariste de modernisation de la Roumanie, pays alors rural à plus de 80 %. Gusti crée ainsi en 1918 l’Association pour l’étude et la réforme sociale (qui deviendra l’Institut social roumain en 1921), dont les buts affichés sont l’étude scientifique des problèmes sociaux du pays et l’élaboration de programmes de réformes. La Roumanie, pratiquement vaincue par l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, connaît alors un moment de crise nationale sévère. Elle doit gérer des désordres économiques, politiques et sociaux ainsi que les troubles causés par une armée russe en pleine désintégration mais encore présente sur son sol. La victoire inespérée de la Roumanie aux côtés des Alliés à la fin de l’année 1918 est un argument supplémentaire pour l’entreprise de Gusti, son projet consistant désormais dans une réforme complexe d’un pays fortement agrandi, hétérogène du point de vue ethnique mais toujours aussi rural qu’avant la guerre.

 

En avril 1919 paraît le premier numéro de la revue de l’association, Arhiva pentru Ştiinţă si Reformă socială (L’archive pour la science et la réforme sociale), accueillant des études de fond épousant la définition de la « réalité sociale » proposée par Gusti, c’est-à-dire « un accord synthétique établi entre réalité, idée et idéal » (Gusti, 1919 : XVII). Le système gustien, qui constituera la matrice dans laquelle devront s’intégrer les monographies sociologiques, est fondé sur les notions d’unité sociale et de réalité sociale ainsi que sur une typologie de cadres dont dépend la vie sociale (cadres cosmologique, biologique, historique, psychique) et de manifestations sociales (économiques, spirituelles, juridiques et politiques). La volonté sociale représente, selon Gusti, un facteur dynamique qui, bien que déterminé par les cadres préexistants, « postule de nouvelles normes et crée de nouveaux cadres » [3] (Gusti, 1999 : 13). L’étude de la réalité sociale suppose l’exploration des unités sociales ‒ les monographies de villages qui s’intéressent aux unités les plus simples devaient être suivies par d’autres sur des villes, entreprises, villes, départements, régions. L’objectif ultime de ces enquêtes est bien de constituer une véritable « science de la nation ». Pour Gusti, la sociologie, nécessairement monographique [4], est une connaissance directe de l’ensemble de la réalité sociale au moyen d’un travail de recherche collectif qu’il met en place après son transfert vers l’université de Bucarest et son élection à l’Académie roumaine, et auquel participent d’abord les étudiants de son séminaire de sociologie de l’université et des spécialistes d’autres disciplines (géographes, médecins, statisticiens, folkloristes, etc.). La méthode privilégiée est l’observation qui, selon Gusti, doit restituer de façon rigoureuse la réalité — l’utilisation des questionnaires est exclue car cette méthode supprimerait le caractère direct de la connaissance sociale (Gusti, 1999 : 51, 55-56). En revanche, les statistiques sont utilisées, en principe lors d’une précampagne de reconnaissance dont le but est le recensement économique et démographique très précis du village étudié. La tâche en incombe d’abord au médecin D. C. Georgescu et ensuite au statisticien Roman Cresin qui est intégré aux campagnes de recherches dès 1929.

Les participants aux observations monographiques sont constitués en équipes qui correspondent chacune aux différents cadres et aux manifestations définis par Gusti. Au village de Drăguş, par exemple, T. Herseni étudie les jeux d’enfants, les lieux et institutions de socialisation du village : les confréries, le bistrot, la bergerie. Les monographistes intéressés par le recueil de la culture populaire et les ethnomusicologues (Constantin Brăiloiu, Harry Brauner, Mihai Pop) utilisent des enregistrements sur des cylindres phonographiques [5]. L’art populaire est l’un des domaines dans lesquels des monographistes comme Lena Constante et Marcela Focşa ont fait un immense travail, en répertoriant, copiant ou achetant de nombreux exemplaires des objets du quotidien des paysans. Lors de la deuxième campagne de Drăguş (1932), Lena Constante répertorie plusieurs milliers d’icônes sur verre ou sur bois et en copie 80 exemplaires dans les moindres détails (Rostás, 2003 : 82-83). Les fiches de Marcela Focşa contiennent des descriptions précises des différents éléments du costume populaire, souvent accompagnées de croquis. Si tous les enquêteurs ne sont pas également doués pour le recueil des données, l’on a retenu l’habilité de Stahl et de Brăiloiu, ainsi que le peu de talent et de goût de Gusti pour cette activité.

 

Vivant chez l’habitant, les monographistes essaient de s’attirer la bienveillance des villageois en dissipant leurs appréhensions, en expliquant l’objet de leur enquête, en demandant leur aide au prêtre et à l’instituteur du village : « Une fois l’équipe entière arrivée, écrit H. H. Stahl, le travail consistant à gagner la confiance du village pouvait commencer. Veillées paysannes, participation aux fêtes du village, visites de groupe rendues aux leaders, installation du dispensaire en accordant des consultations et des médicaments gratuits, création d’une bibliothèque, distribution de brochures et de livres, les nombreuses amitiés personnelles arrivaient à changer totalement l’atmosphère du village. […] Personne ne peut s’imaginer quel effet peut avoir un groupe de 60 monographistes qui se comportent fraternellement avec les villageois. » (Stahl, 1934 : 307)

Des photographes professionnels (Iosif Berman, Aurel Bauh) seront rapidement intégrés au dispositif ; ils travaillent tout autant à immortaliser la vie villageoise, à observer les divers objets d’étude scrutés par les monographistes qu’à restituer les pratiques de recherche des équipes. Un premier film documentaire sur la recherche dans ce même village de Drăguş sera achevé en 1930 [6]. Suivront le documentaire sur les villages de Cornova (en 1931) et de Sant (en 1936) [7]. En général, les observations sont consignées sur un grand nombre de formulaires et de fiches qui peuvent concerner l’informateur, le problème étudié, le ménage, etc. Les équipes se réunissent chaque soir dans « la salle lumineuse » [8], le plus souvent l’école du village, pour rendre compte du travail effectué et pour discuter de la suite des travaux à mener. Le nombre de participants augmentera progressivement à partir de la première campagne de 1925 (village de Goicea Mare) qui comptait 10 monographistes sur le terrain. Le nombre le plus élevé sera de 90 participants à Drăguş, en 1929. À partir de 1935, date à laquelle Gusti prend la direction de la Fondation culturelle royale Prince Charles [9], le nombre des terrains d’action culturelle, qui sont également des terrains de recherche, augmente, mais la taille des équipes tend à diminuer. C’est grâce à cette multiplication des terrains de recherche que le nombre des villages étudiés pourrait être estimé à 600, comme le suggère Gusti (1971).

Jalons chronologiques du mouvement monographique (1918-1948)

Pour mieux comprendre l’évolution du projet collectif gustien, il convient de poser quelques jalons et de procéder à une chronologie sommaire du mouvement afin de repérer les changements et les points de rupture [10]. Avant la création du centre de recherche bucarestois en 1921 et la mise au point de la problématique monographique, Gusti avait commencé à former à l’université de Jassy une génération de chercheurs dont le plus important est Petre Andrei, sociologue et enseignant remarquable, fortement influencé par Gusti mais assez critique à l’égard du monographisme dans sa Sociologie générale (1936).

La première étape du monographisme est celle des fondements théoriques et de la création de l’armature organisationnelle de l’École qui aura lieu de 1918 à 1924. C’est à cette époque que Gusti développe une vaste activité institutionnelle qui prolonge son travail universitaire.

Une première enquête collective dédiée aux conditions de vie des étudiants à la suite d’une importante grève étudiante est réalisée par Gusti et ses disciples en 1923. C’est à cette occasion que commence l’établissement du cadre théorique des recherches monographiques. Ensuite, de 1925 à 1934, se déroulent les grandes enquêtes de terrain pluridisciplinaires (dans les villages de Goicea Mare, 1925 ; Ruseţu, 1926 ; Nerej 1927 ; Fundu Moldovei, 1928 ; Drăguş, 1929 ; Runcu, 1930 ; Cornova, 1931 ; Drăguş, 1932 (2e campagne)). Pendant les enquêtes de 1925-1931, le mouvement monographique rassemblé autour de Gusti peaufine ses instruments, ses méthodes, affine le cadre théorique et voit naître une véritable conscience de groupe. Émergent des leaders ainsi qu’un « noyau dur » d’enquêteurs. Entre 1932 et 1934, l’on assiste à une véritable crise provoquée par l’éloignement de Gusti de la conduite des opérations, par des conflits ouverts entre monographistes, la difficulté de systématiser et de publier le travail d’enquête mais aussi par l’éparpillement des monographistes contraints, en l’absence d’un financement, d’embrasser d’autres carrières.

 

De 1934 jusqu’à 1939, le projet gustien se dote d’une composante pratique forte et reçoit un financement important lors de la collaboration avec la Fondation culturelle royale Prince Charles. En 1938, avec la promulgation de la loi du Service social, chaque étudiant est obligé d’effectuer un stage de trois à six mois dans le cadre très organisé des équipes étudiantes afin d’obtenir son diplôme de fin d’études. Nombre d’entre eux viennent renforcer les équipes d’observateurs dans les villages. Le projet gustien semble s’accomplir avec l’organisation du XIVe Congrès international de sociologie de Bucarest et l’accélération des publications dont la parution en français de la monographie de Nerej est la plus notable. Une dernière enquête emblématique a lieu en 1935 et 1936 dans le village de Şanţ réunissant des équipes de recherche et des équipes d’action sociale très organisées. L’épisode central dans cette période d’apparents accomplissements est la tentative de réforme du monographisme qu’entreprend le jeune Anton Golopenţia à partir de 1938, tentative rejetée en partie par Gusti et par ses plus proches collaborateurs. De 1940 à 1945, paraissent les monographies des villages de Clopotiva et Drăguş, plus éloignées du schéma gustien que celle de Nerej. C’est à cette époque qu’Anton Golopenţia, désormais salarié de l’Institut central de statistique, réalise sa vaste enquête administrative et sociologique sur les Roumains de l’est du fleuve Boug.

 

De 1945 à 1948, le rayonnement de l’École continue à se développer à l’étranger et les campagnes de recherche de terrain reprennent. Gusti espère retrouver son pouvoir institutionnel. Trop âgé, il n’envisage pas de poursuivre sa carrière en France ou aux États-Unis où il aurait pu se réfugier lors d’un voyage effectué fin 1946 et début 1947. Président de l’Académie roumaine (1944-1946) et du tout nouveau Conseil national de recherche scientifique (1947-1948), il se montre prêt à adapter son programme de recherche et de réformes selon les lignes dictées par le nouveau régime. Mais les autorités communistes accordent peu d’attention à ses projets, ne souhaitant pas récupérer les recherches monographiques réalisées selon un modèle étranger au marxisme dialectique. À partir de 1948, Gusti perd toutes ses fonctions et la sociologie, « science bourgeoise », disparaît de l’enseignement universitaire pour une longue période.

Après 1948, les monographistes sont soit en prison, soit interdits de publication, soit obligés de travailler dans d’autres domaines. Les plus chanceux sont accueillis au Musée national d’art populaire ou dans les centres de recherche de l’Académie roumaine — l’Institut de folklore, l’Institut d’histoire de l’art, l’Institut d’études sud-est-européennes — et tentent de continuer leurs recherches.

Sous l’influence d’anciens monographistes, des enquêtes économiques de terrain sont réalisées par l’Institut de recherches économiques et par la Commission centrale de statistique dans les années 1954-1958 mais sont stoppées après qu’elles ont été dénoncées comme enquêtes à caractère « bourgeois ». À partir de 1965, l’enseignement de la sociologie fait partie à nouveau du cursus universitaire et le régime procède à une sorte de réhabilitation du gustisme qui s’apparente plutôt à une récupération sans avenir (Rostás, 2012). Néanmoins, plusieurs enquêtes collectives d’inspiration monographiste, prenant parfois comme point de comparaison des enquêtes anciennes, seront réalisées par des jeunes chercheurs, formés soit directement, soit indirectement, par les disciples de Gusti dans les années 1960 et 1970.

La « conscience de monographiste ». Constitution des groupes et degré d’appartenance au mouvement

Analysant la constitution de l’École monographique du point de vue de la sociologie des organisations, Zoltán Rostás insiste sur l’importance de la culture de groupe, sur une culture organisationnelle faite « de présupposés, croyances, hypothèses, normes, valeurs partagés par les membres des organisations » (Rostás, 2005 : 134). On pourrait énumérer plusieurs facteurs propices à la formation de cet esprit de corps, indéniable chez la majorité des monographistes roumains : le charisme du professeur ; l’attrait que représentait son séminaire de sociologie et les échanges informels dans ce cadre ; les réunions de travail du soir dans la « salle lumineuse », pendant les enquêtes ; une certaine atmosphère potache et carnavalesque en marge du travail monographique et — last but not least — les veillées culturelles paysannes que Gusti demandait aux monographistes d’organiser dans les villages qu’ils étudiaient. Les plaisanteries, une certaine irrévérence et une inversion des rôles étaient tolérées par Gusti. Lors de la campagne de Fundul Moldovei, dans l’un des deux numéros des revues humoristiques que font paraître les monographistes, l’on ironise sur la difficulté du professeur à choisir entre des points de vue parfois contraires (Rostás, 2005 :134).

 

Selon Zoltán Rostás, c’est pendant cette campagne de Fundu Moldovei (1928) que la conscience de groupe — ce qu’il appelle la « conscience de monographiste » — s’est véritablement forgée (Rostás, 2005 : 118) et que, sur ce terrain, apparaissent les premiers groupes s’agrégeant en fonction des affinités personnelles mais aussi selon des critères sociaux, ce que nient d’ailleurs souvent les monographistes interrogés. De manière générale, le terrain de recherche est l’occasion de créer des relations durables. Les monographistes Marcela Focşa, Lena Constante, Paula Herseni racontent la force de ces liens, notamment entre femmes, qui survivront à l’inévitable éparpillement d’une partie des équipiers (Rostás, 2003 : 213).

Des couples naissent également à la faveur de ces périodes de travail et de socialisation intense sur le terrain. La question des alliances matrimoniales ou des rapports entre les genres ont été très bien analysés par Ioana Cîrstocea (2007) et Theodora-Eliza Văcărescu (2011). Les équipes de recherche monographique sont en effet un espace de rencontre entre jeunes étudiants, donnant lieu à des amitiés et à des alliances, véritables ascensions sociales pour les hommes. Traian Herseni, provenant d’une famille paysanne du pays de l’Olt, se mariera avec Paula Gusty, fille du metteur en scène Paul Gusty (1859-1944). Le dissident Amzăr épouse la sœur de son collègue, Ernest Bernea. Mihai Pop, fils d’un prêtre uniate d’un village de la région de Maramureş, le seul monographiste qui continuera sa carrière sans encombre après 1948 grâce à son goût pour le folklore, toléré par le régime, et à sa spécialisation dans les langues slaves, a épousé Irina Sturdza, appartenant à la vieille noblesse roumaine, ingénieure agronome passionnée par le projet gustien, mais quelque peu critique vis-à-vis du caractère militaire du service social obligatoire institué en 1938. Si ces couples mènent un travail d’équipe, le plus souvent, seule la contribution de l’époux sera visible ; de manière générale le rôle des femmes dans les monographies est relégué au second plan, et intériorisé ainsi (Văcărescu, 2011) C’est notamment le cas de Traian Herseni et Paula Gusty, deux monographistes dont on n’a retenu que la carrière du premier. Paula Herseni, discrète, effacée et dévouée, aidera son mari, très ambitieux, dans ses nombreux projets de publication, et ne signera que très peu de textes (Rostás, 2005 : 137-138. Entretien avec Marcela Focşa). Fait figure d’exception notable le couple Lena Constante -Harry Brauner qui développeront chacun en parallèle leurs travaux et subiront un long emprisonnement dans les geôles du nouveau régime dans les années 1950.

 

Mais c’est également sur ce terrain de Fundu Moldovei que naissent des divisions à l’intérieur d’une équipe qui compte 60 participants, dont 17 spécialistes de disciplines autres que la sociologie. Si les rapports avec les économistes, les musicologues, les anthropologues physiques étaient, selon Stahl, satisfaisantes — mais loin de l’interdisciplinarité à laquelle aspirait idéalement le modèle gustien —, l’organisation du travail d’un très grand nombre d’étudiants dont la présence sur le terrain est une prolongation pratique de l’enseignement reçu au séminaire de sociologie du professeur Gusti pose des problèmes plus sérieux. Les monographistes expérimentés, comme Stahl, se voient obligés, contre leur gré, d’accorder beaucoup de temps à l’organisation des équipes de recherche et à la formation des jeunes étudiants, au détriment de leurs propres recherches.

C’est peut-être à cause de ces problèmes d’organisation et du souhait d’échapper à la lourdeur logistique d’équipes trop nombreuses, que Stahl évoquera la formation d’un « noyau clandestin » (Rostás, 2000 : 85) réunissant ceux qui se considèrent comme les plus proches collaborateurs de Gusti : Mircea Vulcănescu, Xenia Costa-Foru, Stahl et D. C. Georgescu. Selon Stahl, les quatre « anciens » s’amusent à classer les monographistes présents dans le village de Fundu Moldovei selon un système de parenté dans lequel eux-mêmes s’attribuent le rôle d’ancêtres : « La monographie était basée sur quatre anciens, nous quatre. Et c’est nous qui, en fait, avons fait tout le travail » (Rostas, 2000 : 85).

L’opinion de Henri H. Stahl, élitiste et reflétant ses inimitiés personnelles, rend néanmoins compte d’un positionnement plus ou moins marginal et solitaire de certains membres comme Traian Herseni qui se trouve exclu du groupe des « anciens » malgré des relations de travail et épistolaires apparemment chaleureuses avec Stahl (Stahl, 2015 : 112-130). Herseni montre un attachement familial au groupe de monographistes, n’hésitant pas à nommer le futur dissident D. C. Amzăr, « son grand fils » (Stahl, 2015 : 121), devenant ainsi, à son tour, l’« ancien » d’une lignée de disciples monographistes. Contrairement à ce que laisse entendre Stahl, l’ethnomusicologue Constantin Brăiloiu, qui participe à toutes les enquêtes, ne sera pas improductif. Il aura, de plus, des disciples prometteurs parmi lesquels le folkloriste Mihai Pop, un des seuls monographistes à avoir fait carrière dans la recherche après 1948 et qui introduira sur le terrain roumain des chercheurs étrangers comme Frank Alvarez-Pereyre, Claude Karnoouh et Katherine Verdery.

Outre cette distinction entre le « noyau clandestin » des « anciens » et la grande masse de monographistes, s’opère sur ce terrain de recherche une séparation entre deux entités rattachées symboliquement aux deux principales subdivisions du village, désignées par les toponymes Fundu de sus et de Fundu de jos (littéralement, « Fundu d’en haut » et « Fundu d’en bas »). La future ethnographe Marcela Focşa (1907-2002) exprime d’une manière abrupte et claire cette distinction entre deux groupes constitués en partie sur des critères sociaux :

« Comment aurait-on pu créer une communauté d’esprit entre 60 individus forcément différents ! [...] j’ai l’impression qu’à Fundu de Sus c’étaient des bourgeois, c’est-à-dire ceux qui appartenaient à la classe bourgeoise, non pas « bourgeoise-latifundiaire », mais urbaine-intellectuelle. Ceux qui n’appartenaient pas à cette couche sociale ne s’adaptaient pas à nous, pas plus que nous ne nous adaptions à eux. [...] Tous ceux de Fundu de Jos étaient frustrés. Ils étaient plus nombreux. La stratification s’est réalisée comme ça, spontanément. » (Rostás, 2003 : 133. Entretien avec Marcela Focşa).

Les conséquences de cette rupture seront, d’une part, l’abandon des recherches monographiques par une partie de ceux qui se trouvaient ainsi exclus du noyau dur et, d’autre part, la lente séparation d’un groupe de quatre étudiants surtout préoccupés par l’étude des manifestations spirituelles, fascinés par les théories essentialistes de l’extrême-droite, qui fonderont en 1934 la revue Rânduiala.

Il faut noter également la faible intégration des spécialistes des autres disciplines dans le monographisme sociologique. Si Stahl souligne la difficile collaboration avec certains d’entre eux, mais aussi quelques amitiés et discussions intéressantes, Marcela Focşa évoque la constitution d’un groupe homogène de médecins qui ne partagent avec les sociologues ni préoccupations scientifiques, ni relations d’amitié. On est loin de la vision idéale que donnera plus tard le géographe Ion Conea (1902-1974) en évoquant « l’activité collective, la collaboration permanente [des] géologues, géographes, naturalistes, psychologues, anthropologues, économistes, juristes, agronomes, architectes, folkloristes, médecins, sociologues » (Conea, 1940 : X-XI)…

Des publications plus ou moins collectives, plus ou moins tardives

« J’ai le devoir moral envers la monographie et envers moi-même de rédiger mon travail.
Même si cela sera en vain. »
Anton Golopenţia, 2010 : 172 (Lettre de Ştefania Cristescu à Anton Golopenţia, août 1933)

Si l’on fait abstraction de ce qui relève des autres disciplines, souvent éloignées du projet lancé par Gusti, les publications de l’école monographique de Bucarest arrivent assez tard, et les rares monographies à peu près complètes paraissent plus de dix ans après les premières enquêtes sur le terrain. Assez tôt, les monographistes essayent de convaincre Gusti de favoriser la publication des monographies en volume séparé mais l’expérience de la campagne de rédaction de 1933 est désastreuse, laissant apparaître d’âpres conflits et une faible volonté de collaboration. Dans ce contexte, chaque auteur qui publiera dans les revues des monographies essaiera de traiter le thème étudié d’une manière exhaustive afin de s’affirmer comme le spécialiste de son domaine, en concurrence avec ses collègues. Seule monographie correspondant d’assez près au projet gustien, la monographie du village de Nerej n’en est pas moins l’œuvre individuelle de Stahl (1939), qui s’appuie sur de jeunes collaborateurs mais signe seul la plupart des contributions.

Les revues dans le sillon de Gusti

Cet important retard dans la publication donne l’impression que Gusti redoutait la difficulté à faire aboutir le projet, la multiplication des terrains de recherche, assimilable parfois à une fuite en avant, visant à faire oublier les imperfections de ce qui avait déjà été réalisé. Car, sur la question des publications comme au sujet de l’organisation des équipes de recherche, Gusti est un frein tout autant qu’un moteur indispensable. Il justifie le retard des publications d’ensemble par l’insuffisance des informations réunies, argument qu’il fourbit à partir de sa critique des travaux de Frédéric Le Play chez qui il décèle une « hâte à tirer des conclusions d’un nombre de faits insuffisamment et incomplètement étudiés » (Gusti apud Alvarez-Pereyre, 2012 : 65). La plupart des témoignages montrent que les jeunes monographistes essayent de pousser Gusti à donner le feu vert pour la publication des monographies. Le futur « dissident » Ion Ionică, étudiant à Paris où il suit les cours de Paul Fauconnet et de Marcel Mauss, formule très clairement la nécessité de publier dans une lettre adressée à Gusti en mai 1931 :

« Pour l’été qui vient, comme je suis informé aussi indirectement de vos décisions, je vous demande la faveur de me laisser rédiger — étant en Roumanie — le matériel recueilli à Drăguş et Runcu. Mes collègues feront de même, j’espère. Une rédaction intégrale s’impose maintenant, alors que le temps des vacances d’été nous laisse plus de liberté d’action, elle s’impose sans aucun délai possible. Elle seule peut montrer les vrais manques de nos travaux sur le terrain et l’utilité de leur apporter les corrections indispensables au progrès des futures monographies. Sans cette rédaction, une nouvelle recherche ne pourrait pas être très différente des autres, car elle rencontrerait les difficultés qu’on a déjà connues jusqu’ici dans l’essai d’une rédaction modèle. » (H. H. Stahl, 2015 : 134).

Mais le retard de la publication des monographies ne signifie pas pour autant une absence complète d’articles individuels. Dans L’Archive pour la science et la réforme sociale, une des deux principales revues dirigées par Gusti, avec Sociologie românească (Sociologie roumaine), qui avait dans un premier temps publié des articles de sociologie théorique et « de sociologie pratique » de ses collègues roumains ou étrangers, une section dédiée aux articles monographiques intitulée « Arhiva monografică » (« l’Archive monographique ») fait son apparition au début des années 1930. On trouve dans cette revue des études, souvent regroupées dans les catégories sociologiques gustiennes, issues des enquêtes monographiques à Nerej, Fundu Moldovei, Drăguş, Cornova. Les auteurs sont soit des collègues de Gusti impliqués dans son projet d’étude, comme Ion Conea et Constantin Brăiloiu, soit de jeunes chercheurs comme Xenia Costa-Foru, Stahl, Dumitru C. Georgescu, Ernest Bernea, Ştefania Cristescu, Gheorghe Focşa. La revue Sociologie românească, fondée en 1936, organe d’expression des jeunes monographistes, publiera un grand nombre de comptes rendus, d’articles théoriques, des rédactions partielles des études de terrain, accueillant non seulement les contributions des jeunes sociologues, mais également celles des spécialistes des domaines connexes.

La publication des monographies synthétiques

La première monographie publiée est celle du village de Nerej (Stahl, 1939), rédigée en français afin d’en faire une vitrine internationale du monographisme, à l’approche du XIVe Congrès international de sociologie qui devait avoir lieu à Bucarest [11]. Stahl dirige l’ouvrage et coordonne la plupart des chapitres avec un souci certain d’homogénéité, en suivant à la lettre le schéma gustien des cadres et des manifestations qui se retrouve dans une table des matières très détaillée. Le travail à Nerej apparaît comme un lent processus d’exploration de ce village, la première campagne de 1927 étant suivie de trois retours sur le terrain des équipes étudiantes à la fin des années 1930. Il faut souligner aussi que cette monographie, pourtant d’inspiration gustienne, devient, lors de la publication, un travail plutôt individuel ou fortement marqué par la personnalité de Stahl malgré la présence de dix-huit autres contributeurs. S’il mentionne ses collaborateurs et fait appel à des spécialistes des domaines connexes, il évite d’impliquer dans son travail les monographistes qui avaient participé à cette campagne à l’exception de D. C. Georgescu et de X. Costa-Foru. On sait que Stahl était mécontent des fiches établies en 1927, mais il est difficile de savoir s’il a utilisé les données recueillies par la suite, jusqu’à la dernière incursion sur le terrain, qu’il a intégralement dirigée, du 15 juillet au 15 septembre 1938. Stahl dispose alors de la liberté de mener cette enquête expressément dans l’objectif de compléter la rédaction finale de la monographie de son principal terrain de recherche. Il peut ainsi apporter au travail monographique les changements qu’il souhaite : choix d’une équipe de collaborateurs de taille modeste (8 personnes), direction centralisée des recherches et de la rédaction finale, appel à diverses innovations qui s’imposent dans sa recherche tout en étant conformes à la monographie-modèle gustienne (vues aériennes, appel à un mathématicien chargé d’analyser les mathématiques populaires, etc.).

La monographie de Clopotiva (Conea, 1940), dirigée et rédigée en grande partie par le géographe Ion Conea (1902-1974) et par douze collègues, dans un style assez dilettante, ne suivra pas rigoureusement le schéma théorique de Gusti. L’auteur, qui insiste sur le caractère modeste du terrain et de la recherche, réalisés en 1935 par une équipe étudiante et non par une équipe monographique classique, développe dans l’introduction un véritable plaidoyer pour la démarche gustienne. Il évoque les monographies de villages auxquelles il avait participé (Ruseţu, Runcu, etc.) et insiste sur le caractère pluridisciplinaire et collectif de ces recherches tournées vers l’action sociale. Comme dans le cas de la monographie de Nerej, c’est la petite équipe présente sur le terrain qui rédige la monographie en suivant un modèle qui s’est imposé après la prise de fonction de Gusti à la tête des équipes étudiantes royales. Géographe partisan du monographisme gustien, Ion Conea répond aux critiques formulées en 1928 par le géographe George Vâlsan (1885-1935), qui soutenait que les étudiants en géographie effectuaient depuis longtemps des monographies comparables à celles lancées par Gusti. Conea souligne que, dans ce dernier cas, il s’agissait de « dizaines de chercheurs coordonnés » qui étudiaient l’ensemble des unités sociales et qui travaillaient avec la « prétention d’épuiser le sujet » (Conea, 1940, I : XVIII).

La monographie du village de Drăguş, publiée en 1944 et 1945, se situe presque à l’opposé de celle dirigée par Stahl cinq ans plus tôt, les quatre campagnes de recherche (1929, 1932, août 1938, septembre 1938) menées dans ce village n’ayant pas permis la réalisation d’un travail cohérent. Le projet de publication de cette monographie date du début des années 1930 et est accéléré à l’approche du Congrès de sociologie de Bucarest, une publication en anglais étant évoquée à cette occasion. Dirigé par T. Herseni, l’ouvrage réunit des études publiées séparément dont certaines sont des republications d’articles parus dix ans plus tôt dans les revues dirigées par Gusti. Il s’agit donc d’une collection d’études individuelles signées seulement par les monographistes restés fidèles à Gusti, parfois très développées et semblables aux travaux personnels publiés à la même époque dans la collection Sociologia României, éditée sous l’égide de l’Institut social roumain au début des années 1940 (Lucia Apolzan (1941), Gheorghe Pavelescu (1945)).

En plus de ces trois monographies « classiques », une autre recherche collective semble respecter l’esprit des recherches gustiennes sinon ses impératifs méthodologiques. C’est l’enquête qui paraîtra sous le titre 60 sate româneşti (60 villages roumains) (1941-1943), « monographie sommaire » coordonnée par Anton Golopenţia et par le médecin Georgescu, en suivant un schéma visiblement à l’écart du modèle gustien. À partir des enquêtes sommaires réalisées par les équipes royales dans 40 villages représentatifs, une série de synthèses concernant l’état économique, culturel, sanitaire des villages est réalisée à l’aide des instruments statistiques. Gusti, d’abord très blessé par cette entreprise ressentie comme une trahison venue de l’intérieur, accepte finalement de préfacer le vaste ouvrage en quatre volumes en soulignant le caractère « sommaire » des monographies, mais aussi l’utilité de cette étude pour l’action sociale, détaillant les mérites des contributeurs ainsi que le rôle de l’institution qu’il dirige, tout en minimisant le rôle joué par les deux coordinateurs. En effet, la Fondation culturelle royale Prince Charles fournit les 850 équipiers répartis en 60 équipes nécessaires à la réalisation de l’enquête. Gusti tient à souligner le rôle de ses collaborateurs dans la rédaction des questionnaires (Stahl, T. Herseni, Al. Barbat), ainsi que celui des statisticiens qui ont interprété les données. Il est intéressant de remarquer que ce travail, qu’on doit presque exclusivement à Golopenţia et à Georgescu, est celui qui paraît le plus collaboratif. Ces deux derniers ne signent aucune synthèse, qu’il s’agisse des questions démographiques et économiques, principaux thèmes étudiés, les spécialistes en étant des jeunes sociologues et statisticiens. De même, la rédaction des dix-sept courtes monographies (de 8 à 38 pages) publiées dans les tomes IVe et Ve de l’ouvrage est confiée à quatorze jeunes étudiants qui réalisent ainsi des synthèses des travaux des équipes. Il s’agit, pour la plupart, « d’élèves de Golopenţia » comme le dit Gusti dans une lettre à Stahl (Stahl, 2015 : 104), des collaborateurs fidèles qui allaient le suivre à l’Institut de statistique et dans les enquêtes réalisées plus tard sur le terrain, notamment dans l’enquête sur les Roumains de l’est de Boug. Il ne s’agit pas à proprement parler des chefs des équipes étudiantes disposés dans les 17 villages mais des équipiers les plus assidus qui signent et cosignent plusieurs travaux. Le plus connu de ces auteurs sera Miron Constantinescu, un des membres influents du parti communiste roumain de l’après-guerre.

Critiques du système gustien et des méthodes de recherche sur le terrain

La fidélité de la plupart des collaborateurs à l’égard de l’entreprise de Gusti n’exclut pas un regard critique et des divergences sur les éléments les moins clairs du système ainsi que sur des questions de méthode et d’organisation. Les controverses théoriques explicites concernent la rigidité du système de Gusti, composé de quatre cadres qui correspondent à quatre types de manifestations obéissant à la volonté sociale (Stahl, 1981 : 100). Si la formulation la plus synthétique du système gustien est donnée par Mircea Vulcănescu, Stahl souligne que, outre les conflits d’interprétation sur la nature des manifestations et cadres sociaux (certains considérant que les cadres ont été déduits de manière empirique et les autres, comme M. Vulcănescu, les percevant comme transcendantaux), il y a dans ce schéma théorique gustien un problème essentiel. Dans l’organisation de la recherche, aucune équipe n’était prévue pour prendre en charge l’étude de la volonté sociale, seul facteur social dynamique mais jugé insaisissable par la plupart des monographistes.

 

Selon Stahl, le système gustien serait donc purement indicatif : c’est « un inventaire de points de vue dont il faut tenir compte, une formule ayant une valeur mnémotechnique, un instrument de travail extrêmement utile » (Stahl, 1981 : 102). Stahl n’adhère donc pas totalement à un système qu’il critiquera a posteriori. Pendant ce qu’on a appelé la période de crise de l’École gustienne des années 1933-1934, il entreprend la rédaction d’un ouvrage de méthodologie réalisé à partir de l’expérience accumulée sur le terrain d’enquête. Cette publication vise à clarifier la manière dont le travail sur le terrain doit se dérouler (Stahl, 1934) et représente un précieux document sur l’organisation pratique du travail et des données recueillies ainsi qu’un idéal méthodologique de l’activité collective de recherche. Car l’ouvrage de Stahl est né aussi de l’exaspération que lui inspirent la mauvaise organisation du travail collectif et la faible qualité des données recueillies, supposées être accessibles à tous les monographistes. Il s’en ouvrira très franchement à Gusti, à la fin de la campagne d’enquêtes dans le village de Cornova, en septembre 1931 :

« J’ai commencé à lire tous les dossiers en détail. Il y en a d’excellents et d’autres très faibles. La matière est mal classée. Chaque monographiste a mis ses fiches dans son dossier personnel donc, par exemple, la magie de Mlle Ivanovici, les sorts de Mlle Cristescu, les rites de M. Bernea, la mythologie de M. Ionică, la technologie de M. Samarineanu et le religieux de M. Iosif, répètent les mêmes fiches, concernant les mêmes problèmes dans six dossiers différents. Il faut procéder à une reclassification. Et, lors de la future campagne, nous devons réduire le nombre des monographistes. D’ailleurs tel était aussi votre avis. Le nombre élevé de participants amène un alourdissement administratif qui n’est pas récompensé par un apport conséquent de travail. Quand plusieurs personnes étudient un même problème, chacun compte sur le travail des autres. Quand ils sont peu nombreux, chacun travaille dans tous les domaines au maximum. Pour ce qui me concerne, débarrassé des soucis administratifs, je pourrais travailler non seulement à mon thème mais également à ceux des autres, avec plus de résultats que jusqu’à présent. » (Stahl, 2015 : 177-178).

Dans sa correspondance, dans ses mémoires comme dans les entretiens avec Z. Rostás, Stahl exprime les mêmes doutes au sujet du travail en commun et relativise les bons résultats du rite fondamental des monographistes, la fameuse réunion organisée chaque soir dans l’école du village, la « salle lumineuse ». Si ces réunions sont bénéfiques aux chercheurs qui ne sont pas encore habitués au travail monographique à prétention collective et interdisciplinaire, le rituel donne moins de résultats dans l’organisation effective de la recherche car il est impossible que chacun de 60 chercheurs isolés présente ses travaux. Ainsi, la solution que propose Stahl est la constitution d’un « for central » (Stahl, 1981 : 108), d’une instance chargée de recevoir les fiches et de les classer par domaines dans une archive ouverte à tous. Ce projet ne sera que partiellement réalisé. Mais Stahl lui-même reconnaît qu’il était difficile d’obtenir une constitution rigoureuse des archives selon ces critères compte tenu des inévitables différences d’expérience de recherche et d’assimilation des méthodes. Difficile, aussi, de traiter les collègues et pairs de Gusti, spécialistes reconnus des autres disciplines, de la même manière que les jeunes sociologues en formation.

 

Ces archives ont bel et bien existé, mais Stahl juge que leur intérêt était limité car la plupart des fiches mises à disposition par les équipiers n’étaient que des esquisses des domaines connexes à ceux étudiés par leurs auteurs. Seuls les schémas et les données statistiques (budgets, schémas de parenté, fiches nominales concernant un problème en particulier) se sont avérés vraiment utiles à l’ensemble des chercheurs. Par ailleurs, Stahl considère que le principal échec du travail sur le terrain fut la mise en place de la dimension interdisciplinaire des recherches, ambition principale du monographisme gustien. L’absence de rédaction sur le terrain rendait la corrélation des contributions éparses impossible, donnant en quelque sorte raison à ceux qui accusaient les monographistes de se limiter à une « "sociographie" descriptive » (Stahl, 1981 : 107).

La réforme méthodologique souhaitée par Stahl préconise des séjours sur le terrain de plus d’un mois, « comme les anthropologues » (Stahl, 1981 : 108), précédés d’une enquête exploratoire pour effectuer un recensement et une étude historique et géographique permettant aux spécialistes d’arriver sur le terrain avec une vision assez claire de l’ensemble et de leurs problématiques. En outre, la taille des équipes devait être réduite et la rédaction d’un texte final mise sous la responsabilité d’une personne ou d’un petit groupe censé veiller à un véritable travail interdisciplinaire. Selon Stahl, ce type de travail a été réalisé en partie lors de la rédaction de sa monographie de Nerej et dans les quatre volumes de l’Encyclopédie de la Roumanie (Gusti, 1938-1943).

La crise de 1932-1934. Un collectif déchiré

Une des grandes crises que rencontre la recherche collective a lieu entre 1932 et 1934. La cause principale en est l’absence du professeur Gusti, accaparé par ses nombreuses responsabilités administratives et politiques et son refus de désigner de manière explicite un remplaçant, ne voulant pas choisir entre Herseni et Stahl. Pendant cette même période, les jeunes monographistes peinent à trouver des emplois stables et sont alors obligés de demander l’aide de Gusti pour obtenir des postes dans l’enseignement, des bourses à l’étranger ou bien les rares postes d’assistants et de bibliothécaires à l’université. La situation est d’autant plus difficile que Golopenţia, le jeune monographiste le plus prometteur à cette époque, est alors pris par ses fonctions de chef de cabinet de Gusti au ministère de l’Instruction publique. Lors de la deuxième campagne de Drăguş (1932), Stahl est officieusement responsable de l’équipe, mais les difficultés d’organisation s’accumulent et la cohésion de l’équipe diminue en l’absence de Gusti (Stahl, 1981 : 197). Le verdict de Stahl sur cette recherche est sévère. Durant cette sixième campagne monographique, la recherche n’est plus qu’un « travail mécanique de routine d’un groupe de chercheurs isolés, chacun se préoccupant de ses propres recherches, sans véritable collaboration » (Stahl, 1981 : 198).

La correspondance entre Golopenţia et Gusti confirme l’analyse de Stahl. Dans une lettre de l’été 1933 concernant la campagne de rédaction de la monographie de Drăguş qui s’est déroulée à Făgăraş, Golopenţia fait part à Gusti des informations désastreuses qu’il reçoit du terrain : le travail se passe « sans la plus élémentaire coordination » dans une atmosphère de « féroce concurrence et d’orgueilleuse soif d’affirmation » dont sont parfois responsables les petits insuccès professionnels et la précarité de quelques-uns (Golopenţia, 2012 : 354). Stahl, soupçonné de vouloir prendre la place de Gusti (Golopenţia, 2010 : 171), voit son autorité contestée, les équipiers ne veulent pas remettre leurs fiches à leurs collègues et instituent même une sorte d’échange marchand autour de celles-ci, en argumentant qu’une bonne fiche devrait s’échanger contre plusieurs autres de moindre valeur ! Les monographistes, réunis en séance plénière, refusent à O. Neamţu le droit d’utiliser les autres fiches pour compléter son chapitre sur les manifestations politiques et sollicitent l’arbitrage de Gusti dans plusieurs conflits du même ordre (Golopenţia, 2010 : 177). C’est lors de cette campagne de rédaction que se cristallise le mécontentement des dissidents d’extrême-droite. I. Ionică et E. Bernea essaient d’accaparer le plus grand nombre possible de chapitres sur les manifestations spirituelles et entrent en conflit avec Stahl et Ştefania Cristescu à ce sujet. La conclusion de Golopenţia résume le grand décalage entre les espoirs du début et les fortes déceptions qui apparaissent au moment de la rédaction :

« La monographie est importante en tant qu’œuvre collective, c’est un credo et une aspiration pour chacun malgré les révoltes et les mécontentements passagers. Maintenant l’atmosphère est gâchée ; ceux qui y retournent éprouvent de la déception et parlent de l’enterrement de la monographie, avec une tristesse qui montre qu’ils y sont attachés. » (A. Golopenţia, 2012 : 355).

En dépit de sa fréquente absence sur les terrains de recherche à partir de 1932, d’où l’indécision qui touche à la conduite des opérations, Gusti suit pourtant de près l’activité monographique. Ce problème de direction et d’organisation des équipes ne concerne cependant que dans une faible mesure les spécialistes des autres disciplines (médecins, géographes, folkloristes, etc.) et n’affecte pas l’action sociale, volet pratique de l’entreprise gustienne de plus en plus présent à partir de 1934. L’action sociale développée par la Fondation culturelle royale Prince Charles et par le Service social, n’atteindra pas les résultats escomptés, mais sera néanmoins un succès grâce à l’énergie et l’esprit méthodique d’Octavian Neamţu, Stahl et Golopenţia.

Dissidences, ruptures, abandons

Le mot « crise » est largement utilisé par Stahl dans ses mémoires mais également dans ses entretiens avec Rostás. Il évoque deux types de crises, une « crise de rupture », qu’il appelle également « dissidence externe » (Rostás parlera de « conflit destructif ») et qui concerne la création de la revue Rânduiala, et une « crise de croissance » (« conflit constructif »), qui correspond à la réforme du monographisme souhaitée par le jeune Anton Golopenţia (Rostás, 2000 : 154). Nous ne passerons en revue ici que certaines causes de ces dissidences et quelques-uns de leurs arguments méthodologiques et organisationnels. Il faut d’abord garder présent à l’esprit un contexte politique troublé, marqué par l’essor du mouvement d’extrême-droite, et un taux de chômage important des diplômés de l’université, qui fragilise leur professionnalisation.

Pragmatisme et critiques chez Herseni et Stahl

« Si tu peux m’écrire rapidement pour me donner la version officielle des différences entre le psychologique et le spirituel, je lui ferai place avec le plus grand plaisir. Tu sais que sur ce point je suis dissident, comme d’ailleurs nous le sommes tous sur certains points […] » (Stahl, 2015 : 125-126. Lettre de Herseni à Stahl, 9.X.1930).

Bien qu’assumant son statut de « dissident » sur certains points de méthode, alors qu’il est plutôt à considérer comme un « chevalier solitaire » selon la formule de Stahl, Herseni se fait le gardien de l’orthodoxie gustienne dans le conflit qui l’oppose à Golopenţia à la fin des années 1930. Mais il n’en est pas moins vrai que, s’il participe aux premières enquêtes, publie un grand nombre d’articles et est l’assistant rétribué du professeur Gusti, il ne souhaite pas s’impliquer dans l’activité de la Fondation culturelle royale Prince Charles que Gusti dirige à partir de 1934 (Rostás, 2000 : 154). C’est à cette époque qu’Herseni, plutôt homme de gauche (Stahl, 2015 : 118), déçu par l’échec de son recrutement à l’université de Cluj, se tourne vers le mouvement d’extrême-droite la Garde de Fer — ce qui pourrait expliquer son refus de participer aux activités de la Fondation, instrument du combat inavoué du roi Charles II contre l’action sociale auprès des villageois du mouvement légionnaire dirigé par Corneliu Zelea Codreanu. Considéré comme un des théoriciens du mouvement légionnaire, accusé à juste titre d’y avoir adhéré par opportunisme, Herseni occupera des fonctions ministérielles pendant la courte période où le parti d’extrême-droite gouverne le pays aux côtés du général Ion Antonescu (septembre 1940-janvier 1941) en protégeant Gusti et les monographistes des vengeances et des épurations envisagées par le mouvement légionnaire.

Sans participer donc aux activités de la Fondation, Herseni reste proche de Gusti, prend part à l’organisation du XIVe congrès international de sociologie de Bucarest, retourne sur le terrain pour tenter de clôturer et de publier la monographie de Drăguş. Au nombre de ses nombreuses publications, on compte une défense du monographisme devant les fortes critiques du dissident D. C. Amzăr.

Stahl, le collaborateur le plus fidèle de Gusti, se considère paradoxalement comme un dissident. Selon ses propres termes, il s’agit de la « dissidence intérieure » d’un monographiste ayant « construit sa propre chapelle tout seul » (Rostás, 2000 : 148). Mais malgré certaines critiques implicites de la théorie gustienne, c’est bien plus tard, après avoir développé son œuvre propre qui fait de lui l’un des plus importants spécialistes de la sociologie historique rurale européenne, que Stahl critique sévèrement les résultats du monographisme gustien dont il fut l’une des chevilles ouvrières (Stahl, 1981) [12].

Tournant folklorique et extrême-droite

« Fais ton travail, l’ethnographie, mais pourquoi dois-tu absolument insulter ceux avec lesquels tu as travaillé tant de temps [?] » (Rostás, 2000 : 280. Stahl à propos des « dissidents »)

La principale action du groupe dissident qui s’oppose ouvertement aux théories énoncées par Gusti est la publication d’une revue traditionaliste de bonne qualité, Rânduiala. Arhiva de gând şi faptă românească (L’ordre traditionnel. Archive de la pensée et de l’action roumaine [13]), portée par D. C. Amzăr, qui paraîtra de 1935 à 1938. Les membres du groupe de Rânduiala (Ion Ionică, Dumitru Cristian Amzăr, Ernest Bernea, Ion Samarineanu) se sont fait remarquer pour leur intérêt presque exclusif pour l’étude des « manifestations spirituelles », de la vie psychologique et culturelle du village, thèmes en accord avec l’idéologie traditionaliste du mouvement légionnaire, de plus en plus populaire à l’époque. Cette préoccupation ira de pair avec leur admiration pour le philosophe Nae Ionescu, l’autre professeur d’université marquant de l’entre-deux-guerres, beaucoup plus populaire que Gusti, et qui fut le maître à penser de toute une génération fascinée par l’idée de la renaissance spirituelle de la Roumanie et par l’idéologie du mouvement d’extrême-droite la Garde de Fer.

Stahl soutient qu’une des raisons de la sécession de ce groupe proche de l’extrême-droite provient de l’ambition de Gusti de résoudre les problèmes sociaux des villages roumains par le vaste plan d’action sociale qu’il développe en prenant la direction de la Fondation royale. Selon les étudiants traditionnalistes, le projet de Gusti était inutile dans la mesure où les solutions sociales auraient déjà été énoncées par le leader charismatique du mouvement d’extrême-droite, Corneliu Zelea Codreanu, dans son ouvrage Pentru legionari (Pour les légionnaires) et mises en pratique entre 1933 et 1937 dans le cadre de camps de travail volontaire visant à promouvoir une action sociale concrète (Rostás, 2000 : 279). Critiques envers l’action sociale de la Fondation royale, les monographistes dissidents remettent aussi en question l’originalité de la démarche gustienne en l’identifiant à la recherche leplaysienne. Ion Ionică lui prête un manque de scientificité et lui oppose une approche ethnographique [14] appuyée sur des connaissances livresques et inspirée de l’enseignement de Marcel Mauss, que lui et E. Bernea avaient suivi en 1931. De son côté, Amzăr formule le même type de critiques : les recherches monographiques et la fondation du Musée du village roumain ne seraient que des emprunts leplaysiens, le musée fondé par Gusti en 1936 n’étant qu’une variante du musée social envisagé par Le Play. En 1937, ses plus proches collaborateurs (Stahl, Golopenţia, Herseni) défendront Gusti et réfuteront cette analogie avec le projet leplaysien [15].

Dans ses souvenirs et dans les entretiens, Stahl est plus nuancé, admettant que la démarche de ces jeunes dissidents s’explique d’abord par des tensions liées à l’entreprise monographique et à la crise que connaîtra le projet au début des années 1930. Le petit groupe se constitue en opposition avec le noyau élitiste créé par les anciens monographistes lors de la campagne de Fundu Moldovei — les jalousies, les rancœurs et le climat de concurrence aigüe atteignant leur apogée lors de la campagne de rédaction de Făgăraş. Un autre argument qui semble indiquer que le groupe ne s’est pas constitué uniquement sur des critères idéologiques est leur attitude particulièrement hostile vis-à-vis de Traian Herseni qui avait rejoint lui aussi le mouvement d’extrême-droite.

Ces oppositions violentes ne mènent pourtant pas à une rupture totale avec le mouvement, mais plutôt à un mélange entre démarches monographique et folkloriste. Ion Ionică, un des membres les plus appréciés du groupe dissident, a publié sa monographie (Ionică, 1943) après une recherche effectuée en 1938 dans le cadre de l’Institut social roumain, enquête coordonnée par Herseni. Celle-ci représente le modèle de la démarche dissidente : visant à rendre compte de traits essentiels de la spécificité nationale, elle analyse une cérémonie populaire agraire à l’échelle d’une région, s’apparentant malgré tout aux recherches de folklore. Le titre, Dealul Mohului (La colline de Moh), est celui d’un chant rituel agraire du sud de la Transylvanie, découvert par Ion Ionică en 1929, lors de la première campagne monographique à Drăguş. Un autre membre important de ce mouvement, Ernest Bernea, en conflit ouvert avec Stahl et S. Cristescu lors de la campagne de rédaction de Făgăraş (1933) [16], oriente également ses recherches vers l’ethnographie et le folklore. Obligé de quitter son poste de bibliothécaire du Séminaire de sociologie en raison de ses critiques, il devient en 1935 l’assistant du géographe Simion Mehedinţi (1868-1962), sympathisant des idées d’extrême-droite. Son travail le plus notable, portant sur les notions d’espace, de temps et de causalité chez les Roumains, sera publié en 1941 [17].

Les tentatives de réforme d’un disciple (in)fidèle

Les critiques en apparence les plus inattendues contre le monographisme classique sont venues d’Anton Golopenţia, toujours en quête d’un projet viable qui pouvait dépasser les difficultés rencontrées par la démarche gustienne, trop exhaustive et peu organisée. Le rôle de Golopenţia dans l’entreprise lancée par Gusti est plutôt paradoxal. Il occupe une place apparemment centrale, noue de nombreux liens épistolaires avec ses collègues, il est extrêmement proche de Gusti, mais évoque également une réforme des recherches monographiques.

Rentré en Roumanie en 1936, après trois années d’études doctorales dans les universités allemandes, Golopenţia s’occupe, avec Stahl et Neamţu, de la revue Sociologie românească, officie en tant qu’assistant honoraire de Gusti à l’université et occupe également un poste d’inspecteur à la Fondation culturelle royale Prince Charles, que Gusti dirige depuis 1934 . Sa correspondance avec Gusti, avec Ştefania Cristescu, mais également avec de nombreux monographistes, nous renseigne sur l’organisation du petit comité qui entourait et épaulait Gusti. Golopenţia trouve peu d’espace de manœuvre, la plupart des entreprises gustiennes, pratiques ou de recherche, étant contrôlées par Stahl, Herseni et Neamţu. Il s’investit alors dans la transformation de la jeune revue Sociologie românească dont il est la cheville ouvrière, véritable et seul secrétaire de rédaction (S. Golopenţia, 2012c). Son activité intense lui vaut l’inimitié de Stahl qui ne lui reconnaîtra pas de mérite particulier dans cette entreprise (S. Golopenţia, in A. Golopenţia, 2012 : LXXVII). Les conflits qui apparaissent sont liés au caractère de Golopenţia qui propose ouvertement des modifications dans la démarche monographique et est en permanence soupçonné d’une sorte de déviationnisme par ses aînés Stahl et Herseni. D’ailleurs, comme le fait remarquer Sanda Golopenţia, les principaux disciples de Gusti ont des positionnements éthiques différents vis-à-vis des difficultés que soulève l’entreprise gustienne. Stahl n’exprime pas ses réserves vis-à-vis de l’entreprise monographique et préfère garder une fidélité sans faille envers Gusti. D’une part il suit et enseigne scrupuleusement le système gustien qu’il perçoit comme un cadre de travail et, d’autre part, il entreprend des recherches personnelles d’histoire sociale et de sociologie du droit coutumier. De son côté, Golopenţia, nourrit une « fidélité [...] en rapport avec les objectifs initiaux ambitieux de l’approche gustienne » (S. Golopenţia, 2012 : LXXXVII) et espère pouvoir corriger un système auquel il est pourtant attaché plus qu’aucun autre [18].

Une importante controverse dans laquelle est impliqué Golopenţia apparaît notamment à propos des « monographie sommaires » lancées en 1938 en collaboration avec D. C. Georgescu que nous avons évoquées plus haut. D’ailleurs, dans une lettre adressée en 1938 à Philip E. Mosely, Gusti n’utilise pas le mot « monographie » mais évoque « certaines recherches » des équipes royales en vue d’un travail comparatif de Golopenţia (Stahl, 2015 :184).

En continuant sur sa voie, Golopenţia met en œuvre ses « recherches sociologiques concrètes » (Golopenţia, 2002 : 91-94) à partir de 1940, en tant que directeur de l’Office d’études et publications de l’Institut central de statistique roumain. Il réalisera notamment l’enquête-recensement des Roumains vivant dans les territoires situés entre les fleuves Boug et Dniepr. À la différence du recensement de la Transnistrie, réalisé pour le compte de l’Institut de statistique à l’aide des moyens militaires mis à disposition, Golopenţia n’est soutenu dans son « identification » de la minorité roumaine dans cette partie de l’Ukraine que par un groupe de jeunes chercheurs situés politiquement plutôt à gauche, ses « élèves » comme les appelle Gusti dans une lettre adressée à Stahl en 1943 (Stahl, 2015 :104). L’on parle alors de « l’équipe de gauche », opposée à « l’équipe de droite » dirigée par Herseni qui effectue des recherches en Transnistrie (Rostás, 2006 : 30. Entretien avec Nicolae Dunăre). Golopenţia continue à utiliser le modèle de la recherche régionale ou zonale qui avait fait ses preuves en 1939, ainsi que la méthode de la monographie sommaire (Golopenţia, 2006).

Conclusion

Dans quelle mesure l’École monographique de Bucarest a-t-elle vraiment représenté une entreprise collective ? Le projet de Gusti semble avoir partiellement réussi : en suivant un cadre théorique clairement défini et une méthodologie qui s’est affinée sur le terrain grâce notamment à Georgescu, Stahl, Vulcănescu et Golopenţia, les enquêtes ont exploré un nombre élevé de villages. La collaboration interdisciplinaire a souvent été fructueuse entre géographes, folkloristes, musicologues, médecins acquis au projet gustien ou prêts à s’y associer, comme ce fut le cas de Brăiloiu. Un mouvement cohérent et durable s’est cristallisé au fil des enquêtes. Il serait défini par un éthos particulier, par une manière d’être, une passion partagée pour le projet de Gusti, et même par une mode vestimentaire sur le terrain. Rapidement, des groupes pourvus d’une conscience affirmée de leur identité et de leurs missions ont émergé. La collaboration et l’émulation ont d’abord joué un rôle positif dans le développement des recherches. Une méthodologie du travail collectif d’enquête tenant compte des difficultés rencontrées sur le terrain paraît en 1934 : ce sera Tehnica monografiilor sociologice (La technique des monographies sociologiques) de H. H. Stahl. Malgré les différences d’approche et les scissions à venir au milieu des années 1930 dans un contexte politique et géopolitique difficile, marqué par la contestation du régime démocratique, par un étatisme croissant lié à la montée des totalitarismes européens, ce projet scientifique solide et appuyé sur une méthode précise a marqué tous les participants aux monographies sociologiques gustiennes. Mais, nonobstant des réussites indéniables, l’on peut difficilement parler d’un succès d’ensemble. Les entretiens avec les membres de l’école, les correspondances publiées ainsi que les critiques des « dissidents » montrent que la dimension collective du monographisme a buté sur des obstacles difficilement surmontables. La rareté des débouchés professionnels a empêché de très nombreux collaborateurs de se consacrer au travail de recherche. Le nombre élevé de participants sur le terrain, leur implication variable dans les enquêtes, ont rendu l’organisation du travail difficile. De même, la réticence de Gusti à nommer en son absence un remplaçant, des leaders intermédiaires, a provoqué des conflits entre les équipiers, et conduit au développement des recherches individuelles. La difficulté de Gusti à synthétiser, coordonner la rédaction des monographies collectives et à y mettre un point final, explique le retard dans les publications, préjudiciable à la viabilité et à la visibilité de la démarche monographique. Cela entraînera également des velléités d’indépendance pour publiciser les résultats des enquêtes. La crise des années 1932-1934 a accru la méfiance entre les groupes, conduisant à une scission et contribuant à renforcer les inimitiés entre les principaux collaborateurs de Gusti. Chacun interprètera à sa manière le monographisme et essaiera de constituer ses propres façons de travailler et sa propre équipe. Herseni se réfugie dans le travail et s’oriente vers les sujets théoriques, sans abandonner complètement les recherches de terrain, Stahl tente d’améliorer de l’intérieur l’organisation de la recherche sur le terrain et réussit à publier la monographie collective la plus aboutie.

Le changement que Golopenţia veut insuffler au mouvement gustien — lui-même évoquera une hérésie dans une lettre adressée au Professeur — ne sera accepté ni par Gusti ni par ses plus proches collaborateurs, Herseni et Stahl. C’est l’organisation « patriarcale » du mouvement gustien, la difficulté de concevoir une structuration horizontale et collaborative des recherches en profitant des innovations de chacun, qui expliqueraient les nombreux moments de crise par lesquels est passée l’École (S. Golopenţia, 2012a : XCVIII). Cette école monographique collective, que Paula Herseni appelle très significativement, dans un texte de 1940, « l’École Gusti », dépendit en grande partie du prestige et de la position institutionnelle de son maître qui sut collaborer avec le pouvoir politique sans pour autant faire des concessions scientifiques, et réussit à refonder son projet après les périodes de crise.

Le rôle des facteurs politiques ainsi que celui de l’État dans l’institutionnalisation et dans le développement de la sociologie monographique, à fort potentiel d’action sociale, a été exploré par de nombreux auteurs (Momoc, 2012 ; Rostás & Gaiţă, 2011). Si la modernisation de la Roumanie, et de ses villages surtout, était un objectif présent à l’esprit de nombreux monographistes, il n’est pas moins vrai que la recherche menée dans le cadre du système gustien n’invitait ni à idéaliser le monde paysan, ni à fournir un appui théorique à un activisme modernisateur. Certains monographistes (Stahl, Vulcănescu) formulent des critiques sévères à l’égard du discours politique portant sur le développement des villages, en soulignant en quoi ce monde social particulier se désagrège au fur et à mesure que l’économie capitaliste et l’État pénètrent dans l’espace de l’économie paysanne (Butoi, 2015 : 204-216).

Si la sociologie roumaine reconnaît l’École de Gusti en tant que moment fondateur de la discipline dans le pays, elle ne promeut plus de véritables campagnes monographiques. Au-delà des récupérations et de l’utilisation symbolique de l’École monographique mises en évidence par I. Cîrstocea (2007), le gustisme semble renaître non dans de nouvelles enquêtes de terrain mais dans des recherches relevant de l’histoire sociale et de la microhistoire réalisées par un collectif informel de chercheurs (Cooperativa Gusti) regroupés autour de Z. Rostás, qui s’attache à restituer le plus fidèlement possible, les idées, les aspirations, les raisons d’agir des monographistes et à rétablir le tableau sociologique d’un entre-deux-guerres qui a été trop idéalisé dans l’espace public roumain après 1989.

Annexes

Présentation et analyse des sources utilisées

Si l’École monographique de Bucarest reste encore relativement peu connue en France, l’on observe pourtant un intérêt croissant pour ce sujet. Mentionnons ici l’article de Ioana Cîrstocea paru en 2007 dans la Revue d’histoire des sciences humaines [19], ainsi qu’un important numéro thématique des Études sociales publié en 2011 [20], rédigé presque exclusivement par des spécialistes roumains de la question. Si Antoine Savoye et Frank Alvarez-Pereyre sont les spécialistes des sciences sociales françaises les mieux informés des travaux de cette École, ces mêmes travaux font très rarement l’objet de références dans les revues françaises importantes. Par ailleurs, les manuels, les dictionnaires et les encyclopédies françaises de sociologie évoquent fort peu Dimitrie Gusti, Henri H. Stahl où l’École monographique de Bucarest. Henri Mendras, ami de H. H. Stahl, les mentionne dans le Traité de sociologie dirigé par Georges Gurvitch [21] ainsi que dans son manuel, Éléments de sociologie [22]. Après les années 1960, les mentions se raréfient encore. L’entrée « Gusti Dimitrie, 1880-1955 », par Filippo Zerilli dans le Dictionnaire de la pensée sociologique fait figure d’exception [23].

En Roumanie, en revanche, nous assistons à un engouement certain pour l’École monographique de Gusti. Des revues scientifiques et culturelles (Revista Româna de sociologie, Revista Transilvania, Secolul 21, Sfera politicii, Observator cultural) lui ont consacré récemment des numéros thématiques et un site internet, extrêmement riche en contenu, lui est dédié [24].
Au-delà du regain d’intérêt provoqué par la réédition de textes théoriques et méthodologiques de l’École, signés par Dimitrie Gusti, Traian Herseni et Henri H. Stahl, l’attention renouvelée envers cette ancienne École monographique s’explique par l’immense travail de publication de Zoltán Rostás et Sanda Golopenţia. On doit à Zoltán Rostás, professeur à la faculté de journalisme et des sciences de la communication de l’université de Bucarest, la publication, depuis 2000, de quatre ouvrages d’entretiens avec les membres de cette École, réalisés principalement entre 1984 et 1987, ainsi que de nombreux articles d’analyse de ce mouvement de recherche. Le premier volume d’entretiens, Monografia ca utopie (La monographie en tant qu’utopie) (Rostás, 2000), est dédié exclusivement aux entretiens avec Henri H. Stahl, un des plus importants disciples de Gusti. Le deuxième volume, Sala luminoasă (La salle lumineuse) (Rostás, 2003), comprend les entretiens avec les premiers monographistes de l’École gustienne, ceux qui avaient participé aux premières enquêtes sur le terrain (1925-1932) (Ernest Bernea, Harry Brauner, Lena Constante, Marcela Focşa, Paula Herseni, Stefan Milcu, Mihai Pop, Gheorghe Vlădescu-Răcoasa). Le troisième volume, Parcurs întrerupt (Parcours interrompu) (Rostás, 2006), comprend cinq entretiens avec des monographistes appartenant à la deuxième génération, élèves des précédents, qui feront leurs premiers pas sur le terrain au milieu des années 1930, mais qui eux, pour la plupart, n’ont pas réussi à donner suite à leur passion pour les études sociologiques de terrain (Nicolae Dunăre, Coriolan Gheţie, Gábor Lükő, Gheorghe Retegan, Gheorghe Serafim). Le quatrième volume du projet d’histoire orale de Zoltán Rostás, Strada Latină nr 8 (La rue Latină n° 8) [25] (Rostás, 2009) comprend des entretiens avec les membres des équipes étudiantes royales, dont la principale activité est l’action sociale dans les villages.
On doit ajouter à cette liste un volume d’histoires, Chipurile oraşului. Istorii de viaţa in Bucuresti (Les visages de la ville. Histoires de vie de Bucarest) [26] qui comprend un entretien avec Mărgărita Vulcănescu, la deuxième épouse du monographiste Mircea Vulcănescu ainsi que deux recueils d’articles parus dans l’entre-deux-guerres, l’un consacré aux études sur la ville [27] et l’autre autre regroupant les articles d’opinion des années 1930 de Mihai Pop [28].

C’est également sous la direction de Zoltán Rostás qu’est paru en 2011 un volume regroupant les archives et les publications issues de la campagne monographique de Cornova (1931) (Diaconu, Rostás, Şoimaru, 2011), qui n’avait pas bénéficié d’une publication en volume à l’époque. Les seules monographies publiées ont été celles de Nerej (Stahl, 1939), Clopotiva (Conea, 1940), Drăguş (Herseni, Cristescu-Golopenţia, 1944-1945) ainsi que les enquêtes sommaires réalisées par A. Golopenţia et D. C. Georgescu sous le titre 60 de sate româneşti (60 villages roumains) (A. Golopenţia et D. C. Georgescu, 1941-1943).

Sanda Golopenţia, linguiste et ethnographe, professeure émérite à Brown University (Providence, Rhode Island), a publié des éditions critiques détaillées et exhaustives de la correspondance, des articles et des archives de ses parents, membres de l’École, Ştefania Cristescu-Golopenţia (1908-1979) et Anton Golopenţia (1909-1951). Il s’agit des quatre volumes de la vaste correspondance de son père, principalement avec des monographistes (Rapsodia epistolară) et de trois autres ouvrages composés en grande partie de documents d’archives inédits. Ultima carte (Le dernier livre, 2001) reproduit l’ensemble du dossier de surveillance politique et des interrogatoires d’A. Golopenţia, emprisonné en 1950 et décédé en 1951, ne comptant pas moins de 184 déclarations qui éclairent de manière incidente l’histoire de la sociologie roumaine de l’entre-deux-guerres. Les deux volumes de travaux et publications d’Anton Golopenţia (thèse de doctorat, articles, projets) paraîtront en 2002 dans ses Œuvres complètes. Les documents relatifs à la vaste enquête qu’il a dirigée pendant la Seconde Guerre mondiale, Românii de la est de Bug (Les Roumains de l’Est de Boug), seront publiés en 2006.
À cette liste de travaux il faudrait ajouter la réédition du monumental travail de H. H. Stahl, Satele devălmaşe (Les communautés villageoises roumaines) (1998), la publication d’une partie de ses articles et documents de travail par son fils, l’ethnographe et sociologue Paul H. Stahl (1925-2008) (2002) ainsi que la toute récente parution des lettres que H. H. Stahl avait confiées à Z. Rostás (Stahl, 2015). L’ouvrage de Ştefan Guga, Sociologia istorică a lui Henri H. Stahl [29] (La sociologie historique de H. H. Stahl) est un plaidoyer pour la réinsertion dans le cadre de la sociologie marxiste de l’œuvre de Stahl et une analyse polémique de sa réception.

Car Stahl n’est pas seulement le plus important et fidèle disciple de Gusti (et peut-être le plus grand sociologue roumain) mais aussi l’auteur d’un volume de souvenirs, Amintiri si gânduri din vechea şcoală a « monografiilor sociologice » (Souvenirs et pensées de l’ancienne École des « monographies sociologiques ») qui continue à influencer les recherches sur l’histoire de l’École sociologique de Bucarest. Il s’agit certes d’une vision propre à l’auteur sur un mouvement de recherche dont il fut un des principaux membres ; mais son ouvrage fournit un point de vue clair et informé sur le développement et l’organisation de ce groupe de chercheurs, sur la personnalité de Gusti, sur les conflits et les dissidences, sur les difficultés rencontrées dans la mise en place du programme de recherche sur le terrain et sur les difficultés de publication des résultats des vastes enquêtes gustiennes.

Les travaux de Mircea Vulcănescu ont également été rassemblés et publiés en volume par Marin Diaconu [30]. Si une partie de ces travaux ne sont pas liés à la sociologie et au monographisme, l’on doit à Ionuţ Butoi la publication d’un ouvrage relevant de l’histoire sociale qui éclaire d’une manière fine et inédite le positionnement de Mircea Vulcănescu dans le mouvement monographiste et sa contribution aux débats de l’époque concernant la jeune génération et la situation économique de la Roumanie [31].

Malheureusement, les archives de l’Institut social roumain, les documents du séminaire de sociologie éthique et politique du professeur Gusti, ainsi que les fiches de recherche établies lors des campagnes monographiques, ont été perdues.

Une source importante d’information sont les principales revues à caractère sociologique du mouvement gustien : L’archive pour la science et la réforme sociale (1919-1943), Sociologie românească (1936-1944), Curierul echipelor studenţeşti ainsi que les revues de province de l’Institut social roumain, Revista institutului social Banat-Crişana (Revue de l’Institut social Banat-Crisana) (1933-1945) et Buletinul Institut social român din Basarabia (Bulletin de l’Institut social roumain de Bessarabie). Par ailleurs, les monographistes ont beaucoup publié dans des revues culturelles et dans des quotidiens. Une partie de ces écrits ont été rassemblés par Zoltán Rostás.

Mentionnons enfin les Œuvres de Gusti éditées par Ovidiu Badina et Octavian Neamţu après la réhabilitation du monographisme gustien (Gusti, 1968, 1969, 1970, 1971, 1977).

Ainsi, nous pouvons dégager plusieurs catégories de sources :
- les articles scientifiques et les monographies parus dans les années 1913-1946,
- les courts articles de vulgarisation et les esquisses de futures enquêtes parues notamment dans les revues des jeunes monographistes,
- les documents de travail (esquisses, projets, etc.) présents dans les archives personnelles et édités essentiellement par Sanda Golopenţia et Zoltán Rostás et dans les correspondances,
- les articles d’opinion ou militants des années 1918-1946 qui présentent les réalités sociales de la Roumanie de manière plus sévère que les écrits scientifiques,
- les souvenirs de Gusti et de Stahl,
- les entretiens avec les membres de l’École monographique réalisés par Zoltán Rostás entre 1983 et 1987 et au début des années 1990,
- les déclarations fournies à la police politique lors de l’enquête visant Anton Golopenţia et Lucreţiu Pătrăşcanu à la fin des années 1940,
- les correspondances publiées par Z. Rostás et S. Golopenţia qui peuvent fournir des informations plus authentiques sur les rapports entre les monographistes ainsi que sur leur état d’esprit.

Nous nous sommes efforcé d’interpréter les informations fournies par ces sources en fonction de la spécificité de chacune, en évitant les interprétations hâtives et en essayant d’utiliser plusieurs sources. Nous avons, bien évidemment, essayé de trouver la raison des oublis, des inadvertances, des exagérations.

Dans l’analyse des entretiens réalisés par Z. Rostás avec les membres de l’École monographique nous avons tenu compte de l’époque particulière à laquelle ont été réalisés les entretiens, de la retenue ou du désir d’adaptation au présent des récits des monographistes qui ont été proches de l’extrême-droite, de la prudence des interviewés ayant fait carrière pendant l’époque communiste conduisant certains d’entre eux à avoir a posteriori une meilleure opinion des études d’ethnographie et de folklore, disciplines tolérées par le régime, de l’appropriation d’une culture de groupe persistante du mouvement gustien et enfin, de l’influence qu’ont pu avoir les publications sur l’École monographique des années 1970 et 1980 et notamment le volume de souvenirs publié par Henri H. Stahl (1981).

Dimitrie Gusti (1880-1955)

Né en Roumanie à Jassy en 1880, Dimitrie Gusti fait ses études d’abord à Berlin et ensuite à Leipzig où il soutient en 1904 une thèse de doctorat sous la direction de Wilhelm Wundt (1832-1920) [32] et est influencé par Karl Bücher (1847-1930) et Karl Lamprecht (1856-1915), deuxième examinateur de sa thèse. De retour à Berlin, il travaille avec Franz von Liszt (1851-1919) et ensuite avec Gustav von Schmoller (1838-1917), avant de rentrer en Roumanie en 1910 pour occuper un poste de professeur à l’université de Jassy. Titularisé en 1914, il sera muté à Bucarest en 1920, où il enseignera jusqu’à sa retraite forcée, en 1948.

Dès sa nomination à l’université de Jassy, Gusti expose le but pratique de son activité universitaire qui est de moderniser la Roumanie, pays rural à plus de 80 %. En reprenant un projet commencé en 1913, Gusti crée début 1918 l’Association pour l’étude et la réforme sociale (APERS) dans un moment de crise nationale, la Roumanie, pratiquement vaincue par l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, devant gérer des crises économiques, politiques et sociales ainsi que les désordres causés par une armée russe en pleine désintégration, encore présente sur son sol. À la fin de l’année 1918, la Roumanie se trouve aux côtés des pays vainqueurs et agrandit son territoire en annexant la Transylvanie, la Bucovine, la Bessarabie, et la Dobroudja du Sud. Désormais, le projet de Gusti est celui d’une réforme complexe d’un pays fortement agrandi mais aussi ethniquement hétérogène et rural qu’avant la guerre. En avril 1919 paraît le premier numéro de la revue de l’association, L’archive pour la science et la réforme sociale, accueillant des études de fond signées principalement par les collègues de Gusti, dont certains avaient participé à la fondation de l’association (V. Madgearu, Vasile Pârvan, Sextil Puşcariu, etc.). Ces travaux s’intègrent dans la définition de la « réalité sociale » que fournit Gusti, c’est-à-dire « un accord synthétique établi entre réalité, idée et idéal » (Gusti, 1919 : XVII) [33]. Seront traités des thèmes concernant les relations interethniques, les doctrines politiques, les théories économiques, la pauvreté, l’organisation du travail, les questions de santé publique, l’activité de la Société des Nations, l’émigration, etc.

L’Institut social roumain prend le relais de l’APERS en 1921 et poursuivra son activité jusqu’en 1948. Ses buts sont l’étude scientifique des problèmes sociaux de la Roumanie et l’élaboration de programmes de réforme mis à la disposition des autorités et de la société. Il faut noter que, même si l’Institut social roumain se dote d’une organisation complexe, à l’exception de la période 1938-1939, il n’aura pas les moyens de poursuivre de manière autonome ses ambitieux objectifs.

Gusti fait partie de nombreuses sociétés savantes, accepte des fonctions administratives et même politiques importantes. Il noue une relation privilégiée avec le roi Charles II qui financera son travail de recherche et ses projets d’action sociale, en particulier pour lutter contre l’influence de l’extrême-droite. Membre de l’Académie roumaine depuis 1919, Gusti préside cette institution de 1944 à 1946. En 1930 il est nommé président de la Société roumaine de radiodiffusion et préside également le Recensement de la Roumanie. Contrairement à une opinion qui a longtemps prévalu, Gusti n’est pas un technocrate mais un membre actif du Parti national paysan, qui dispute le pouvoir au le Parti national libéral dans l’entre-deux-guerres. Il devient en 1932 ministre de l’Instruction publique, des cultes et des arts, poste qu’il conservera jusqu’en 1933. Mais la fonction qui lui permet de développer le projet de l’Institut social roumain est celle de directeur général de la Fondation culturelle royale Prince Charles, qu’il occupe à partir de 1934. Gusti peut ainsi faciliter l’emploi de ses collaborateurs, développer des recherches ainsi qu’une action sociale concrète sur le terrain et fonder le Musée du village roumain (1936). Il lance la revue Sociologie roumaine (1936-1946), destinée d’abord aux jeunes chercheurs, et se concentre sur l’action sociale en milieu rural. En octobre 1938, pendant la dictature royale, Gusti obtient la promulgation de la loi du Service social, rédigée par ses collaborateurs H. H. Stahl et O. Neamţu, loi qui oblige chaque étudiant à effectuer un stage de trois à six mois dans le cadre très organisé des équipes étudiantes afin d’obtenir son diplôme de fin d’études. Dissous à l’automne 1939 en raison des dépenses exagérées qui lui sont imputées et de son noyautage par des groupes d’extrême-droite, ceux-là mêmes qu’il était censé combattre, le Service social a eu le mérite de familiariser un grand nombre d’étudiants avec les réalités sociales des villages ainsi que de faire naître des vocations monographistes parmi les jeunes recrutés. C’est en 1939, pendant la dictature royale que l’Institut social roumain se transforme en Institut de recherches sociales de la Roumanie (Institutul de Cercetări Sociale al României), une large structure qui fédère 50 institutions et à laquelle sont adossés plusieurs instituts régionaux de recherches sociales ainsi qu’un Centre d’études internationales et une Académie libre de sciences politiques qui suit le modèle promu par Émile Boutmy en 1871, référence souvent invoquée par Gusti.

À l’occasion du Congrès de Paris de 1937, Gusti est élu président du futur congrès qui devait se tenir à Bucarest et avait pour thème « les unités sociales ». C’est la préparation de ce congrès qui explique le fort développement des projets gustiens des années 1938-1939 et l’accélération des publications monographiques. Paraîtront notamment les quatre premiers volumes de l’Encyclopédie de la Roumanie ainsi que la monographie du village Nerej, dirigée par H. H. Stahl.

Le projet de réformes sociales de Gusti et les campagnes monographiques, commencées en 1925, lui attirent rapidement une renommée internationale. L’Archive pour la réforme et la science sociale accueille de nombreuses études des collègues étrangers (Célestin Bouglé, Guillaume-Léonce Duprat, Gaston Richard, William Rappard, Morris Ginsberg, Ferdinand Canning Scott Schiller, Léon Duguit, Henri Truchy, James Thomson Shotwell, Bessie Averne McClenahan, etc.). Si la collaboration avec les sociologues français et anglo-saxons est d’abord prééminente, les liens avec les sociologues allemands se renforcent dans les années 1930. Des sociologues et des étudiants allemands participent au travail monographique à Runcu en 1930. En dépit des fortes critiques que lui inspire l’influence du régime nazi sur l’université allemande, Gusti reçoit le titre de Docteur honoris causa de l’université de Leipzig en 1935 et le Congrès International de sociologie de Bucarest, prévu en septembre 1939, annonce significativement la venue de sociologues allemands.

Gusti, qui a fait plusieurs voyages en France, soit en tant que directeur de l’Institut social roumain, soit en tant que directeur général de la Fondation culturelle royale Prince Charles, soit en tant que commissaire du pavillon roumain de l’Exposition universelle de 1937, est proche de Célestin Bouglé, de René Maunier (1887-1951) et de Sébastien Charléty (1867-1945). Il donne des conférences à la Sorbonne (1935) et devant l’Académie des sciences morales et politiques (1939, 1947) dont il devient membre correspondant à partir de 1938 [34]. Lors de son voyage en France et aux États-Unis (1946-1947), Gusti répond à l’invitation de Georges Gurvitch de faire une présentation devant le tout nouveau Centre d’études sociologiques.

Dans la sociologie américaine, les travaux de Gusti et de l’école monographiste sont popularisés par Philip E. Mosely (1905-1972), qui a suivi sur le terrain le travail des monographistes roumains. En tant que commissaire du pavillon roumain de l’Exposition universelle de New York (1939), Gusti noue des relations avec des sociologues américains, visite l’université du Tennessee et est nommé en 1941 professeur à la New School for Social Reasearch de New York, poste qu’il ne pourra pas occuper. Lors de son voyage en États-Unis en 1946-1947, Gusti présente sa méthode et les résultats des enquêtes monographiques aux universités de Wisconsin, Chicago, Harvard et Yale, particulièrement appréciés par Pitirim Sorokin (1889-1968) qui conseille la méthode monographiste à ses étudiants de Harvard.

Gusti détient des fonctions importantes après la guerre. Il est président de l’Académie roumaine (1944-1946) et le premier président du Conseil national de recherche scientifique roumain (1947-1948). Mais, une fois le nouveau régime communiste installé, malgré sa notoriété et ses tentatives de conciliation, il ne peut poursuivre ses projets. En 1948, il est mis d’office à la retraite, la chaire de sociologie qu’il occupait étant remplacée par une chaire de marxisme dialectique. La même année, il est exclu de l’Académie roumaine. Il meurt en 1955.

Biographies (par Zoltán Rostás)

Nous avons traduit les notices biographiques présentes dans les ouvrages écrits ou présentés par Zoltán Rostás, avec l’accord de celui-ci. [35]

Amzăr, Dumitru C. (1906-1999), monographiste, disciple de Nae Ionescu, complète ses études en Allemagne. Publie une étude sur la sociologie de la veillée paysanne dans l’Archive pour la science et réforme sociale. Participe à la fondation de la revue dissidente Rânduiala, écrit des articles polémiques dirigés contre l’École gustienne. Il part en Allemagne en 1940. D’abord diplomate à l’ambassade de Roumanie à Berlin (1940-1944), ensuite enseignant au lycée de Wiesbaden et à l’université de Munich, où il soutient sa thèse de doctorat. Continue à publier, notamment des études d’histoire littéraire et de théologie orthodoxe.

Andrei, Petre (1891-1940), sociologue, philosophe, politicien, professeur à l’université de Jassy. D’abord assistant de D. Gusti à l’université de Jassy, il lui succède en tant que professeur en 1922. Critique à l’égard du monographisme et du volet pratique de l’entreprise gustienne (Sociologie générale, 1936). Exclu de l’enseignement par le gouvernement d’extrême-droite en 1940, se suicide craignant une exécution sommaire. Élu membre post mortem de l’Académie roumaine en 1990.

Apolzan Lucia (1911-2001), ethnographe, sociologue, dernière collaboratrice de Gusti, employée de l’Institut central de statistique. Publie des travaux portant sur la culture populaire avant et après 1948. A publié en 1945 un ouvrage sur les terrains de recherche de l’École gustienne.

Argintescu-Amza, Nicolae (1904-1973), monographiste, réalise avec Paul Sterian le film sociologique Dragus (1930).

Bădina, Ovidiu (1932-1999), sociologue, a publié, avec O. Neamţu, des ouvrages sur la sociologie de Gusti ainsi que les Œuvres de ce dernier. Spécialiste de la sociologie de la jeunesse.

Bauh, Aurel (1900-1964), photographe professionnel, a participé aux campagnes monographiques des années 1930.

Berman, Iosif (1892-1941), un des photographes professionnels qui accompagnent les monographistes sur le terrain. Photographe officiel de la Maison royale roumaine, correspondant d’Associated Press.

Bernea, Ernest (1905-1990), élève de D. Gusti, Nae Ionescu et M. Mauss, participant aux campagnes monographistes, fonde en 1935 la revue dissidente Rânduiala, archive de pensée et d’action roumaine. Membre de l’extrême-droite. Emprisonné pendant la période communiste. Père du peintre Ernest Bernea (1938-2000) qui fonde en 1990 le Musée du Paysan roumain, institution qui met en pratique les idées de l’historien de l’art et du muséographe Alexandru Tzigara-Samurcaș (1872-1952).

Brăileanu, Traian (1882-1947), Philosophe, sociologue, professeur de sociologie à l’université de Tchernowitz, membre de la Garde de fer. Sa revue, Notices sociologiques, accueille les points de vue des dissidents opposés à Gusti. Ministre de l’éducation nationale dans le gouvernement d’extrême-droite qui associe la Garde de Fer et l’armée (septembre 1940-janvier 1941). Ordonne une enquête disciplinaire au sujet de Gusti qui n’aboutit pas à sa révocation. Traian Herseni et Ion Făcăoaru, hauts fonctionnaires au sein du même gouvernement, défendent Gusti.

Brăiloiu, Constantin (1883-1958), ethnomusicologue, folkloriste et compositeur, professeur au Conservatoire de Bucarest, un des fondateurs de l’ethnomusicologie. Participe à la plupart des recherches monographiques. S’exile en Suisse à partir de 1943 où il travaille au sein du Musée ethnographique de Genève. Travaille également au CNRS et collabore avec l’Institut d’ethnomusicologie du Musée de l’Homme. Actuellement le Musée ethnographique de Genève détient 573 enregistrements réalisés en Roumanie entre 1928 et 1943 par Brăiloiu et son équipe.

Brauner, Harry (1908-1988), folkloriste, ethnomusicologue, compositeur, boursier au Musée d’Ethnographie du Trocadéro à partir de 1933. Il participe aux campagnes monographiques de Drăguş (1929), Runcu (1930) et Şanţ (1935-1936) où il travaille avec Constantin Brăiloiu. Collaborateur de L’Archive pour le folklore de la Société des compositeurs roumains, il recueille environ 5 000 chansons populaires (1928-1939). Après la guerre, il participe à la création de l’Institut de folklore. Condamné et emprisonné pendant une longue période dans le cadre du procès intenté au haut dignitaire communiste roumain Lucreţiu Pătrăşcanu.

Conea, Ion (1902-1974) géographe roumain, professeur de géographie à l’université de Bucarest, préoccupé par la géographie historique et par l’anthropogéographie. A participé aux campagnes monographiques de Runcu (1930) et Sant (1935-1936). Réalise la monographie de Clopotiva (1935) publiée en 1940.

Constante, Lena (1909-2005), artiste plasticienne, participe aux monographies sociologiques à partir de 1929 où elle fait connaissance de Harry Brauner, son futur époux. Lors de la deuxième campagne de Drăguş, Lena Constante répertorie plusieurs milliers d’icônes sur verre ou sur bois et en copie 80 exemplaires dans les moindres détails. Réalise plusieurs couvertures de la revue Sociologie românească. Impliquée dans le procès intenté au haut dignitaire communiste Lucreţiu Pătrăşcanu, est emprisonnée de 1954 à 1962. Publie en français un témoignage poignant de la période carcérale (L’Évasion silencieuse. Trois mille jours, seule, dans les prisons roumaines, Paris, La Découverte, 1990.)

Constantinescu, Miron (1917-1974), sociologue, historien, militant et ensuite haut dignitaire du Parti communiste roumain, professeur universitaire, académicien. Fait partie des équipes d’Anton Golopenţia. Participe à l’enquête sur les 60 villages roumains (auteur de la courte monographie sur le village Şepreuş) ainsi qu’à l’enquête-recensement sur les Roumains de l’est du fleuve Boug. Contribue au rétablissement institutionnel de la sociologie après 1965.

Cornăţeanu, Nicolae D. (1889-1977), ingénieur agronome, docteur en sciences agronomiques, sociologue, professeur à Académie des hautes études agronomiques de Bucarest, ministre de l’agriculture en 1939. Emprisonné de 1950 à 1955, il continue ses activités de recherche après sa libération. Participe aux campagnes monographiques (1927-1932), étudie les manifestations économiques et met au point une méthode rigoureuse d’étude des budgets paysans. Sa méthode de recherche est concurrencée par celle que développe Mircea Vulcănescu au début des années 1930, plus centrée sur la spécificité de l’économie paysanne traditionnelle.

Costa-Foru, Xenia (1902-1983), sociologue, collaboratrice de Gusti, participe aux campagnes de Nerej (1927), Fundu Moldovei (1928), Drăguş (1929), Runcu (1930) et Cornova (1931) où elle dirige les recherches portant sur la famille. Poursuit une spécialisation en travail social en Allemagne et aux États-Unis et participe à la fondation de l’École supérieure d’assistance sociale (1929-1950) qu’elle dirige à partir de 1935. Réalise des recherches sociologiques dans le cartier Tei de Bucarest.

Cresin, Roman, statisticien, participe aux campagnes monographiques à partir de 1929. Collabore à l’Institut de conjoncture économique dirigé par l’économiste Virgil Madgearu, dirige le département de statistique agraire de l’Institut de statistique. Après 1948 travaille comme statisticien dans différents instituts et centres de recherche. Publie en 1936 dans l’Archive pour la science et la réforme sociale, une vaste enquête sur l’origine, les aspirations et les conditions de vie des étudiant. C’est la première enquête collective entreprise par Gusti, projetée dès 1923 et réalisée en 1930 alors qu’il était le doyen de la faculté de lettres et de philosophie de l’université de Bucarest.

Cristescu-Golopenţia, Ştefania (1908-1979), sociologue, ethnologue, élève de D. Gusti, O. Densuşianu et Marcel Mauss. Participe aux campagnes monographiques à partir de 1929. Ses recherches se concentrent sur les manifestations spirituelles et la magie.

Densuşianu, Ovid (1873-1938), philologue et folkloriste roumain. A étudié à Jassy, Berlin et Paris, ancien élève de l’École pratique des hautes études. Professeur à l’université de Bucarest, académicien, fondateur de la Société de philologie (1903) et de l’Institut de philologie et de folklore (1913). Auteur d’un pamphlet dirigé contre l’École gustienne, Sociologia mendax (La sociologie mendiante) (1936).

Dunăre, Nicolae (1916-1987), sociologue, ethnologue, collaborateur d’Anton Golopenţia, participe à la recherche du canton Dâmbovnic et à l’enquête sur les Roumains de l’est du fleuve Boug. Poursuit ses recherches après la guerre notamment sur les relations interethniques entre Roumains et Hongrois. A travaillé au Musée ethnographique de la Transylvanie, premier musée roumain de ce genre, fondé en 1923 par l’ethnographe Romulus Vuia (1887-1963).

Făcăoaru, Ion (1897-1984), anthropologue, travaille à l’Institut d’hygiène de Cluj, participe à la campagne monographique de Şanţ. Développe des théories eugénistes. Directeur de l’enseignement universitaire sous le gouvernement d’extrême-droite (septembre 1940-janvier 1941), puis directeur dans le cadre de l’Institut central de statistique.

Focșa, Gheorghe (1903-1995), monographiste, ethnographe, participe à plusieurs campagnes de recherche à partir de 1929. Inspecteur à la Fondation culturelle royale. Devient directeur du Musée du village roumain (1948-1978) et poursuit son développement. Ses études publiées dans l’Archive pour la science et la réforme sociale et dans Sociologie roumaine concernent les mentalités et les manifestations spirituelles.

Focșa, Marcela (1907-2002), ethnographe, muséographe, participe aux campagnes de recherche à partir de 1928. Les fiches établies sur le terrain contiennent des descriptions précises des différents éléments du costume populaire, souvent accompagnées de croquis. A travaillé à l’Institut de recherches sociales de Roumanie et à l’Institut central de statistique. Après la guerre a travaillé au Musée d’art populaire de Bucarest.

Georgescu, Dumitru C. (1904-1974), médecin, sociologue, démographe et statisticien. Travaille aux côtés de Sabin Manuilă à l’Institut central de statistique (1930-1948). A participé aux campagnes de Goicea Mare, Nerej, Fundu Moldovei, Drăguş, Runcu, Cornova, Şanţ où il s’intéresse aux mesures anthropologiques, étudie des questions d’alimentation, de démographie et fait des recherches de démographie historique. Publie en 1940 le plan général pour la recherche du cadre biologique. A codirigé l’enquête « 60 villages roumains » et a participé à la réalisation de l’Encyclopédie de la Roumanie.

Gheţie, Coriolan (1916-1990), sociologue, collaborateur d’Anton Golopenţia, a travaillé à l’Institut central de statistique.

Golopenţia, Anton (1909-1951), sociologue, statisticien, intéressé par la géopolitique, proche collaborateur de Dimitrie Gusti. Chef de cabinet de Gusti au ministère de l’Instruction publique (1932-1933), assistant de Gusti, rédacteur de la revue Sociologie roumaine, inspecteur à la Fondation Royale Prince Charles. Ensuite directeur de l’Office d’études de l’Institut central de statistique et directeur délégué de cette institution (1947-1948). Participe aux recherches de Runcu (1931) et Cornova (1931), suit de près l’activité des monographistes et des équipes royales. Dirige, aux côtés de Dumitru C. Georgescu, l’enquête sociologique « 60 villages roumains ». A dirigé les enquêtes sur les villages roumains situés entre les fleuves Boug et Dniepr (1942-1943), sur le territoire ukrainien. Arrêté en 1950 dans une enquête visant le leader communiste Lucreţiu Pătrăşcanu, il meurt en prison en 1951.

Gusti, Dimitrie (1880-1955), sociologue, philosophe et homme politique roumain. Professeur universitaire à Jassy et à Bucarest. Député et sénateur, ministre de l’Instruction publique des cultes et des arts (1932-1933). Créateur de l’enseignement moderne de sociologie et de l’École sociologique de Bucarest. A mis au point la méthode monographique de recherche et a commencé en 1925 les premières recherches sur le terrain. Est à l’origine de la Loi du service social (1938). Crée l’Association pour la recherche et la réforme sociale (1918) et de l’Institut social roumain (1921). Fonde les revues Archive pour la science et la réforme sociale et Sociologie roumaine. Directeur général de la Fondation Royale « Prince Charles » (1934-1939). Commissaire général des pavillons roumains aux Expositions universelles de Paris (1937) et New York (1939). À la fin du Congrès de 1937, l’Institut international de sociologie nomme Gusti président du XIVe Congrès international de sociologie qui devait avoir lieu à Bucarest en septembre 1939. Gusti est un des fondateurs du Musée du village de Bucarest qui porte aujourd’hui son nom. Dirige l’Encyclopédie de la Roumaine, 4 vol. (1938-1943), vaste ouvrage interdisciplinaire. Membre de plusieurs associations internationales, membre correspondant de l’Académie des sciences morales et politiques (1938). Membre de l’Académie roumaine, dirige cette institution de 1944 à 1946 et jette les bases du CNRS roumain (1946).

Herseni, Paula, née Gusty (1859-1944), monographiste, fille du metteur en scène Paul Gusty (1859-1944). S’est contentée d’aider dans son travail son mari, Traian Herseni. A publié une bibliographie de l’École sociologique de Bucarest (1940, 1971).

Herseni, Traian (1907-1980), sociologue, anthropologue, proche collaborateur de Dimitrie Gusti, assistant, ensuite maître de conférences en sociologie rurale à l’université de Bucarest. Secrétaire général dans le gouvernement d’extrême-droite à l’automne 1940, il protège Gusti. Emprisonné entre 1951 et 1956, devient ensuite chercheur dans les instituts de l’Académie roumaine. A participé à des nombreuses recherches monographiques à partir de Nerej (1927). A publié la monographie du village Drăguş dont il a assumé la direction. A lancé les monographies régionales. Le plus prolifique des membres de l’École sociologique de Bucarest.

Ionescu, Nae (1890-1940), logicien, philosophe, publiciste, professeur de philosophie à l’université de Bucarest, a été le maître à penser de nombreux monographistes. Proche de la Garde de fer. Exclu de l’enseignement en 1938.

Ionică, Ion (1907-1944), participant aux monographies sociologiques à partir de 1928, étudiant de M. Mauss au début des années 1930, participe à la fondation de la revue dissidente Rânduiala, archive de pensée et d’action roumaine. Sa thèse de doctorat, publiée en 1943, représente le modèle de cette démarche dissidente : centrée sur une région et visant à rendre compte de traits essentiels des caractéristiques nationales, la monographie analyse une cérémonie populaire agraire à l’échelle d’une région, s’apparentant cependant aux recherches de folklore. Le titre, Dealul Mohului (La colline de Moh), est celui d’un chant rituel agraire du Sud de la Transylvanie, découvert par Ion Ionică en 1929, lors de la première campagne monographique à Drăguş.

Lükő, Gábor (1909-2001), ethnographe hongrois, participe aux campagnes de Cornova (1931) et Drăguş (1932). Expulsé par les autorités roumaines à la suite de ses recherches sur une minorité magyarophone de Roumanie. Contribue à faire connaître les travaux de l’École sociologique de Bucarest en Hongrie.

Madgearu, Virgil (1887-1940), économiste, sociologue et homme politique roumain, théoricien du coopérativisme. Docteur en sciences économiques, professeur d’économie à l’Académie commerciale de Bucarest. Député à partir de 1919, secrétaire général du Parti national paysan, ministre de l’Industrie et du Commerce (1928-1929, 1930, 1932), des Finances (1929-1930, 1932-1933), de l’Agriculture (1930-1931). Assassiné par la Garde de Fer en 1940. Secrétaire général de l’Association pour la science et la réforme sociale et de l’Institut social roumain. A influencé les sociologues gustiens préoccupés par l’étude de l’économie paysanne.

Manuilă, Sabin (1894-1964), médecin, statisticien, démographe, membre correspondant de l’Académie roumaine. Directeur de l’Institut central de statistique (1930-1947). Participe à la campagne de Drăguş (1929).

Mănescu, Corneliu (1916-2000), sociologue, diplomate, haut dignitaire du Parti communiste roumain. Ministre des Affaires étrangères (1965-1972), diplomate. Employé de l’Institut de statistique pendant la guerre, il a fait partie des équipes de recherche sur les Roumains de l’est de Bug, dirigées par Anton Golopenţia.

Measnicov, Ivan (1901- ?), statisticien, collabore avec de nombreux membres de l’École monographique de Bucarest. A travaillé à l’Institut central de statistique.

Mehedinţi, Simion (1868-1962), géographe, a effectué ses études à Bucarest, en France et en Allemagne. Soutient sa thèse de doctorat à Leipzig en 1900. Professeur de géographie à l’université de Bucarest à partir de 1900, est élu à l’Académie roumaine en 1915. Sympathisant de l’extrême-droite légionnaire. Accueille le dissident Ernest Bernea en tant qu’assistant (193(-1940).

Mihăilescu, Vintilă (1890-1978), géographe, anthropologue, élève de Simion Mehedinţi, membre de l’Académie roumaine à partir de 1974. A publié dans Sociologie roumaine.

Milcu, Ştefan (1903-1997), médecin, professeur universitaire, académicien, spécialisé en endocrinologie. Membre de l’équipe de recherche anthropologique de Francisc Rainer, a participé à la campagne monographique de Fundu Moldovei (1928). En 1956, S. Milcu codirige avec Horia Dumitrescu, autre membre des équipes médicales de Francisc Rainer, une recherche d’anthropologie physique dans le village Clopotiva, terrain exploré en 1935 par les équipes royales. La monographie publiée par S. Milcu et H. Dumitrescu en 1958 accueille une contribution sur l’« étude généalogique de la population » signée par Traian Herseni.

Mosely, Philip (1905-1972), sociologue américain spécialisé dans la sociologie rurale, professeur aux universités Cornell et Columbia. A effectué des recherches en URSS et dans l’Europe de l’Est. A participé à la campagne de Sant et avait prévu de coordonner un ouvrage monographique en anglais sur ce terrain sans y parvenir. A publié dans Sociologie roumaine.

Neamţu, Octavian (1910-1976), sociologue, proche collaborateur de Dimitrie Gusti, a dirigé la Fondation culturelle royale. Participe aux campagnes de recherche de Cornova (1931) et Drăguş (1932). Excellent organisateur, il dirige les équipes étudiantes de recherche et d’action sociale (1934-1939) et exerce un rôle important dans la mise en place du Service social (1938-1939). Édite, avec Ovidiu Bădina, les Œuvres complètes de Gusti (6 volumes, 1968-1971, 1977).

Pavelescu, Gheorghe (1915-2008), sociologue, folkloriste, ethnologue, élève de Lucian Blaga, Romulus Vuia et Dimitrie Gusti, docteur en sociologie et esthétique (D. Gusti), en philosophie de la culture (L. Blaga), ethnographie et folklore (R. Vuia), directeur du Musée ethnographique de Transylvanie. Publie La notion de mana dans le folklore roumain (1944) et Recherches sur la magie dans les Monts Apuseni (1945). Ce dernier ouvrage est réalisé à l’issue des campagnes de recherche de 1939 et est publiée sous l’égide de l’Institut de recherches sociales de la Roumanie dirigé par D. Gusti.

Pop, Mihai (1907-2000), folkloriste et anthropologue, participe à partir de 1928 aux recherches monographiques (Fundul Moldovei, Drăguş, Runcu, Cornova). Après la Deuxième Guerre mondiale, participe à la création de l’Institut de folklore. Sera le titulaire de la chaire de folklore de l’université de Bucarest. Reçoit le prix Herder (1967).

Rainer, Francisc (1874-1944), professeur d’anatomie aux universités de Jassy (1913) et de Bucarest (1920), titulaire de la chaire d’anatomie de l’Académie des beaux-arts (1921-1938), fondateur et directeur de l’Institut d’anthropologie (1940-1944). Ami de Gusti, il participe aux monographies de Nerej (1927), Fundu Moldovei (1928) où il retourne en 1929, Drăguş (1932). Pratique des mesures anthropologiques mais aussi la médecine préventive. Publie 1937 une synthèse des recherches réalisées : Enquêtes anthropologiques dans trois villages roumains des Carpates (1937). Des parties de cette publication seront insérées telles quelles dans les monographies de Nerej et de Drăguş.

Ralea, Mihai (1896-1964), sociologue, psychologue, essayiste, critique littéraire, homme politique, professeur universitaire à Jassy et Bucarest, académicien. Fait ses études doctorales à Paris sous la direction de Célestin Bouglé et soutient en 1922 une thèse de doctorat intitulée Proudhon. Sa conception du progrès et son attitude sociale (Paris, Jouve, 1922). Collabore à la revue Arhiva pentru ştiinţă si reformă socială. D’abord dignitaire du Parti national paysan, il est ensuite proche des communistes. Il sollicite avec succès la libération de certains monographistes emprisonnés dans les années 1950.

Rădulescu-Pogoneanu, Victor (Pichi) (1910-1962), sociologue, homme politique, diplomate. A participé aux campagnes monographiques à partir de 1929. Suit une carrière diplomatique. Emprisonné en 1947 en compagnie d’autres leaders du Parti national paysan, meurt en 1962 dans un hôpital pénitentiaire.

Retegan, Gheorghe (1916-1998), sociologue et statisticien formé par les monographistes à la fin des années 1930. Travaille à l’Institut central de statistique de 1941 1950. Participe a l’enquête sur les communautés roumaines situées entre les fleuves Boug et Dniepr, en est l’un des membres les plus actifs et appréciés de ces équipes. Arrêté en 1950, est acquitté en 1954. Continue ses activités de recherche et devient cadre universitaire en 1973.

Samarineanu, Ion poète, journaliste, participe aux campagnes monographiques à partir de 1928. Souvent cité en tant que fondateur de la revue dissidente Rânduiala (1935-1938), n’a pas été un membre actif de ce mouvement.

Serafim, Gheorghe (1912- ?), sociologue et statisticien, a travaillé à l’Institut central de statistique. Il est un des principaux collaborateurs de H. H. Stahl lors des recherches complémentaires réalisées dans le pays de Vrancea en vue de la publication de la monographie de Nerej dont il signe plusieurs chapitres.

Stahl, Henri H. (1901-1991), sociologue, juriste, académicien, le plus proche collaborateur de Dimitrie Gusti. A enseigné à l’université de Bucarest jusqu’à 1948, a contribué à l’essor des études de sociologie et des recherches sociologiques après 1965. A publié un important ouvrage de méthodologie de recherche (1934) réédité avec des modifications substantielles. A participé à presque toutes les campagnes monographiques de l’École, a publié en français la première monographie complète, celle de Nerej. Spécialiste reconnu de la sociologie rurale et de la sociologie historique, a utilisé les statistiques et l’archéologie sociale dans l’étude historique.

Stahl, Paul H. (1925-2008), fils d’Henri H. Stahl, ethnologue, sociologue. Dans les années 1950, chercheur à l’Institut d’histoire de l’art. Établi en France en 1969, directeur de recherche à l’EHESS (1969-1998), professeur à l’université Paris 5 René Descartes (1970-1993). Membre d’honneur de l’Académie roumaine à partir de 1993.

Sterian, Paul (1904-1984), publiciste et économiste. Participe à la campagne monographique de Drăguş (1929). Directeur de l’Office universitaire de Bucarest, un des fondateurs de l’Institut de conjoncture, haut fonctionnaire au ministère de l’Économie et au ministère des Finances. Réalise avec Argintescu-Amza le film monographique de la campagne de Drăguş, collabore à l’Encyclopédie de la Roumanie et à la revue Sociologie roumaine.

Vâlsan, Gheorghe (1885-1935), géographe, ethnographe, fait ses études à Bucarest, Paris et Berlin. Élève de Simion Mehedinţi et d’Emmanuel de Martonne (1873-1955). Professeur aux universités de Jassy, Cluj et Bucarest. Membre titulaire de l’Académie roumaine (1920). Nie l’originalité des monographies sociologiques dans un article paru en 1928 dans la revue Bulentinul de geografie.

Vlădescu-Răcoasa, Gheorghe (1885-1989), sociologue, économiste et homme politique social-démocrate, puis communiste. Assistant de Dimitrie Gusti à partir de 1920, participe aux premières recherches monographiques. Représente la Roumanie au Bureau international du travail. Continue sa carrière après la Seconde Guerre mondiale, ministre, ambassadeur en URSS. Publiciste de gauche, professeur universitaire. Vlădescu-Răcoasa représente le mouvement sociologique roumain aux Congrès internationaux de sociologie (Genève, 1933, Bruxelles 1935, Paris, 1937). Vice-président de l’Institut international de sociologie (1936-1947), il est désigné en 1937 vice-président du XIVe congrès international de sociologie qui devait avoir lieu en 1939 à Bucarest.

Vulcănescu, Mircea (1904-1952), philosophe, économiste, sociologue, essayiste, membre fondateur de l’École sociologique de Bucarest, haut fonctionnaire, a participé à la réalisation de l’Encyclopédie de la Roumanie. Études doctorales inachevées à Paris. Participe aux campagnes monographiques de Goicea Mare (1925), Fundul Moldovei (1928), Drăguş (1029), Runcu (1930), Cornova (1931). Préoccupé d’abord par les manifestations spirituelles, les manifestations psychologiques, et par le perfectionnement du système sociologique gustien qu’il expose sur le terrain aux jeunes monographistes. À partir de 1930, il étudie la vie économique des villages et développe une théorie soulignant le caractère original de l’économie paysanne, théorie inspirée par Alexandre V. Tchayanov (1888 – 1937) et par l’économiste roumain Virgil Madgearu. Assistant honoraire de Dimitrie Gusti, il fait carrière dans l’administration. Sous-secrétaire d’État au Budget de 1941 à 1944 dans le gouvernement Antonescu, il est condamné à 8 ans de prison en 1946. Meurt dans la prison d’Aiud en 1952.

Zelea Codreanu, Corneliu (1899-1938), leader étudiant, politicien d’extrême-droite traditionnaliste, nationaliste et antisémite. Un des dirigeants de la puissante Union nationale des étudiants chrétiens de Roumanie (UNSCR). A fondé en 1927 la Légion de l’archange Michel qui prend le nom de Garde de Fer en 1930. À la suite de l’assassinat du Premier ministre I. G. Duca par un commando de quatre légionnaires, la Garde de Fer est dissoute par les autorités. Codreanu crée alors le parti Tout pour le pays, qu’il ne dirige pas nominalement. Arrêté et condamné en 1938 pour sédition, C. Zelea Codreanu est tué peu après par des gendarmes lors d’un transfert pénitentiaire.

add_to_photos Notes

[1Voir l’annexe sur les sources.

[2Voir l’annexe sur sa biographie intellectuelle.

[3Tous les textes en roumain sont traduits en français par nos soins.

[4Gusti prend le soin de distinguer son entreprise des monographies leplaysiennes, des « surveys » américaines, ainsi que des enquêtes sociographiques allemandes (Gusti, 1940 : 26-27) et affirme avoir trouvé sa principale source d’inspiration pendant sa formation dans les universités wilhelmiennes : « Le réalisme sociologique que j’ai pratiqué plus tard par des recherches de terrain avec mes étudiants est dû à Wundt et à [Karl] Bücher [1847-1930] et non, comme il a été affirmé plus tard, à Le Play » (Gusti, 1971 : 130)

[5Actuellement le Musée d’ethnographie de Genève détient 573 enregistrements réalisés en Roumanie entre 1928 et 1943 par Brăiloiu et son équipe.

[7Voir la présentation de la recherche et l’activité des équipiers à partir de 49’42’’ : https://www.youtube.com/watch?v=qSUNJQ_zsPs.

[8Le nom est apparu sur le terrain de Nerej (1927). Il est lié à l’atmosphère chaleureuse des séances du séminaire, qu’est venue renforcer l’acquisition de lampes à pétrole (Stahl, 1981 : 53).

[9Cette fondation, héritière de la Fondation universitaire Charles Ier, fondée en 1891 par ce roi, est créée en 1922 par le futur roi Charles II en vue de favoriser l’éducation des paysans et la modernisation des villages roumains. Si Gusti est censé dynamiser cette institution, romantique et poussiéreuse, il la voue surtout au culte du roi Charles II et à la lutte contre l’influence du travail social de la Garde de Fer. En suivant l’expérience accumulée lors des campagnes monographiques et des projets plus anciens, Gusti concentre son plan d’intervention sociale sur quatre dimensions : la culture du travail, la culture de la santé, la culture de l’intelligence et la culture de l’âme. Les équipes royales pluridisciplinaires d’une quinzaine de personnes qui interviennent dans le développement des villages ainsi tracé étaient composées d’étudiants en médecine, médecine vétérinaire, théologie, éducation physique, etc. Une partie des monographistes trouveront dans ce projet l’occasion de poursuivre leurs activités de recherche et une source de revenu non négligeable. Le budget de la fondation servira à l’édition des ouvrages théoriques et méthodologiques de T. Herseni et H.H. Stahl (1934), à l’édition de la revue Curierul echipelor studentesti (Le courrier des équipes étudiantes) ainsi qu’à la fondation du Musée du village roumain (1936) (Rostás, 2009 : 5-23).

[10Frank Alvarez-Pereyre (2012 : 60-61), à la suite de Pompiliu Caraioan, définit quatre étapes s’étalant de 1918 à 1948 et Sanda Golopenţia, dans une analyse plus large et assez fine de ce qu’elle appelle « l’archipel gustien » (S. Golopenţia, 2012b : 10) évoque même plusieurs écoles locales inspirées par le gustisme. Voir également Gaiţă, 2011b.

[11Son ouverture était prévue le 29 août 1939. L’imminence du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale conduit à le reporter en 1940, puis sine die. Il se tiendra finalement à Rome en 1950.

[12Voir sur ce sujet, (Stahl, 1939), (Stahl, 1969) et (Gaiţa, 2011a).

[13Le mot « rânduială » peut être traduit par « ordre, loi, règle traditionnelle ».

[14La tentation apparaît bien avant la rupture. Dans une lettre de 1931, I. Ionică, étudiant à Paris, informe Gusti que P. Fauconnet le présente à M. Mauss comme « le premier (en ordre chronologique) disciple ethnographe roumain de l’école sociologique française » (Stahl, 2015 : 133).

[15Gusti, qui refuse d’entrer dans des polémiques publiques, que ce soit avec des collègues ou avec d’anciens étudiants, remercie Stahl pour « l’exemplaire leçon » donnée aux dissidents (Stahl, 2015 : 101).

[16À noter que Stahl, dans ses mémoires et dans les entretiens avec Rostás, semble nourrir un mépris certain à l’égard de l’œuvre de Bernea : « Bernea n’a donné que quelques études et un volume sur la ’civilisation paysanne’ dont il n’est pas nécessaire de parler », (H. H. Stahl, 1981 : 221). Bernea évoque une incompatibilité de caractère avec Stahl : « Avec Stahl, je n’ai jamais été proche, dès le début. Il y avait quelque chose, cela ne collait pas entre nous » (Rostás, 2003 : 21).

[17 Timpul la ţaranul român, contribuţie la problema timpului în religie si magie. (Le temps chez le paysan roumain, contribution au problème du temps dans la religion et dans la magie). La publication en 1985 d’une variante augmentée de cette étude sera plus en accord avec la doctrine culturelle officielle de la Roumanie d’alors qui tient autant du nationalisme que du marxisme.

[18Sa correspondance ainsi que des brouillons de lettres jamais envoyés à Gusti, montrent sa fatigue, sa souffrance de ne pas être compris ainsi que la difficulté de tracer son chemin et de transformer le système de son maître. Par ailleurs, un fragment des « données biographiques » qu’il rédige en prison en 1950 nous donne une vue d’ensemble de sa relation avec Gusti : « De retour après mes études [en Allemagne], j’ai perdu la confiance de mon professeur Gusti […] Il est vrai que je n’ai trouvé ni le ton ni la façon appropriée pour faire accepter mon point de vue, étant trop intransigeant après les trois années d’isolement dans les bibliothèques d’Allemagne. » (S. Golopenţia, 2012a : XCVII)

[19Ioana Cîrstocea, « Splendeurs et misères d’un projet intellectuel : l’École monographique de Bucarest », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 16, 2007, p. 33-56.

[20Les études sociales, « Sociologie et politique en Roumanie (1918-1948), n° 153-154, 2011.

[21George Gurvitch, Traité de sociologie, Paris, Presses universitaires de France, 1958.

[22Henri Mendras, Éléments de sociologie, Paris, Armand Colin, 1967.

[23Massimo Borlandi, Raymond Boudon, Mohamed Cherkaoui, Bernard Valade, Dictionnaire de la pensée sociologique, Paris, Presses universitaires de France, 2005.

[24Nous devons souligner que ce projet indépendant, intitulé « Cooperativa G » est porté par des jeunes chercheurs travaillant en collaboration avec Zoltán Rostás. Adresse du site : http://www.cooperativag.ro/

[25Il s’agit de l’adresse du siège central des équipes étudiantes créées par Gusti en 1934.

[26Zoltán Rostás, Chipurile oraşului. Istorii de viaţa in Bucuresti, Iasi, Polirom, 2002.

[27Zoltán Rostás, Alti Bucuresti interbelici. Studii si cronici gustiene (Un autre Bucarest de l’entre-deux-guerres. Études et chroniques gustiennes), Bucarest, editura Vremea, 2014.

[28Mihai Pop, Vreau și eu să fiu revizuit, Publicistica din anii 1937-1940 (Je veux moi-aussi être révisé), Antologie de Zoltán Rostás, Bucarest, Paideia, 2010.

[29Ştefan Guga, Sociologia istorică a lui Henri H. Stahl, Cluj, Tact, 2015.

[30Mircea Vulcănescu, Prolegomene sociologice la satul românesc (Prolégomènes sociologiques au village roumain), Bucarest, Editura Eminescu, 1997. Mircea Vulcănescu, Opere, Bucarest, Editura Enciclopedică, 2005, 2 volumes. Mircea Vulcănescu, Spre un nou medievalism economic. Scrieri economice (Vers un nouveau médiévalisme économique. Écrits économiques), Bucarest, Compania, 2009.

[31Ionuţ Butoi, Mircea Vulcănescu. O microistorie a interbelicului românesc (Mircea Vulcănescu. Une microhistoire de l’entre-deux-guerres roumain), Bucarest, Eikon, 2015.

[32Demetrius Gusti, Egoismus und Altruismus (zur sociologischen Motivation des praktischen Wollens), Leipzig, 1903.

[33En se démarquant des utopies et des changements radicaux, la réforme sociale gustienne vise à modifier les cadres sociaux sur la base de la connaissance : « Un projet de réforme ne peut donc pas être quelque chose d’arbitraire, son point de départ étant celui de corriger et de perfectionner la réalité et non de lui imposer artificiellement un plan de réorganisation pour une société abstraite, comme ont procédé les utopistes. » (Gusti, 1919 : XVIII)

[34La correspondance entre Jean Marx et Alphonse Dupront nous fournit de précieux indices sur la manière dont s’établissent les contacts entre Gusti et les institutions françaises. Cf. GODIN André, 1995. « La correspondance d’Alphonse Dupront et de Jean Marx (9 avril 1932-9 mars 1940) », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, t. 107, n° 1, pp. 207-411.

[35On peut également consulter en français l’index établi par le même auteur, Zoltán Rostás, « Index des principaux membres de l’École sociologique de Bucarest » Les Études sociales, 2011, 153-154, pp. 227-233 : http://www.cairn.info/revue-les-etudes-sociales-2011-1-page-227.htm.

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Pour citer cet article :

Andrei Gaghi, 2016. « Collaborations, conflits et dissidences dans une entreprise scientifique collective.Le cas de l’École sociologique de Bucarest ». ethnographiques.org, Numéro 32 - septembre 2016
Enquêtes collectives [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2016/Gaghi - consulté le 29.03.2024)
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