Résumé

Associant la célébration d’un mort, la guerre et l’alliance, le rituel du javari fait l’objet depuis quelques années d’un effort de « revitalisation » par les Trumai (Amazonie brésilienne), qui sont réputés en être les maîtres mais n’y participaient plus depuis des décennies, à l’inverse de leurs partenaires et rivaux dans la société du Haut Xingu. En comparant leurs ethnographies, qui couvrent une période d’un demi-siècle, les deux auteurs de ce travail esquissent une réflexion sur le changement et la répétition de la tradition dans une société hantée par la figure de la disparition. Acteurs du retour du rituel, les Trumai accrochent au présent des images du passé qui sont autant les fruits de l’imagination que d’un savoir inconscient ; effort de reconfiguration qui, à rebours de ce qu’ils croient faire advenir, plonge à nouveau leur être social collectif dans une reconduction de vieux schèmes intégrés par l’écoute des mythes et la pratique du quotidien au moment où tout cela n’est pas encore drastiquement oublié.

Abstract

For some years now, the Trumai people (from the Brazilian Amazon) have endeavored to revive the « Javari » ritual which combines such themes as war, alliance and the honoring of the dead. Despite their reputation as masters of this ritual, the Trumai had ceased to take part in it several decades ago, unlike their partners and rivals of the High Xingu society.
By comparing their respective ethnographies, which cover half a century, the authors have attempted to reflect on the changes and repetitions affecting tradition in a society haunted by the « figure » of disparition.
In their re-enactment of the ritual, the Trumai attach to the present images of the past that are as much the fruit of their imagination as that of unconscious knowledge ; in this attempt at reconfiguration and contrary to their own intentions, they actually re-immerse themselves, as a collective entity, in the renewal of the old schemes conveyed by the myths, and their application to everyday practice before it all falls into complete oblivion.

Sommaire

Table des matières

À Nituari


Javari, ô mes délices,
Vous et moi, nous nous en allons,
Comme s’en vont tous nos écrits,
à reculons, à reculons
[parodie du poème d’Apollinaire : « L’écrevisse »]


Le 10 août 2015…

Le 10 août 2015, Kumaré Txicão, coordinateur de la FUNAI [1] pour le parc du Xingu (Amazonie brésilienne), a posté sur sa page Facebook une photo d’une vingtaine d’Indiens Trumai [2] (dont une majorité d’enfants), peints et parés de plumasseries, dansant sous le soleil et sous le regard d’une caméra tenue par une jeune fille du groupe. Il l’a précédée de la légende suivante :

La fête javari dans le village de Boa Esperança se termine aujourd’hui. La fête a bénéficié du soutien de la CR-XINGU de la FUNAI [3].

Suivent 18 commentaires célébrant avec force émoticônes la beauté de la photo et de la fête (« magnifique photo », « super beau », « Quelle fête magnifique ! Je veux voir les photos et le film après », « spectaculaire », « VOUS ÊTES BEAUX ! », etc.) ou son caractère « traditionnel » (« tradição »). Ces réactions émanent pour la plupart d’amis « blancs [4] » de Kumaré. Les Indiens de la région ayant laissé un commentaire sont tout aussi élogieux, mais précisent la portée de l’événement :

« Très beau… Regardez les maîtres du javari qui font cette fête ! » ou encore « quelle fête, hein, c’est comme ça que sera pour toujours la terre indigène du Xingu : forte. Ils sont les maîtres du javari. Au nom du Xingu travailler pour le sauvetage culturel est important, félicitations… »

Fig. 1 : Post Facebook du 10 août 2015, par Kumaré Ikpeng, annonçant la tenue du javari trumai.
Capture d’écran : Emmanuel de Vienne. Photographie : Serge Guiraud, 2015.


Cette photo a été publiée à l’issue de trois intenses semaines de « revitalisation » entreprise par les Trumai dans l’un de leurs villages, avec l’aide et la participation de l’un de nous, Emmanuel de Vienne. Il s’agissait de refaire ce rituel que les Trumai sont réputés avoir introduit dans la région, ce qui en fait les « maîtres » (donos en portugais, yar en trumai) et qu’ils n’avaient plus patronné et exécuté depuis 1992. Divisions, fissions, désaffections, conflits internes avaient apparemment ôté du groupe le désir ou la possibilité d’y participer pleinement en assumant l’organisation d’une fête, ou même en répondant à une invitation.
La grandeur et la splendeur de l’image sont cependant toutes relatives. Pour qui est familier du Haut Xingu, ce javari est à ceux qu’organisent les voisins des Trumai ce qu’un plateau-repas famélique est à un banquet romain impérial. L’événement est certes remarquable à l’échelle des Trumai, mais il semble rester incomplet car, à l’encontre du script rituel décrit jusqu’ici dans la littérature, nul autre groupe de la région ne fut invité à y participer. Le rituel est censé remplir une triple fonction : funérailles secondaires, bataille rituelle et rituel d’alliance. Or la revitalisation a débouché, pour l’instant, sur un événement solipsiste au lieu de reconduire la relation interethnique. Cette anomalie foncière est un des éléments qui fonde l’intérêt de l’analyse de l’évènement. S’agit-il du « retour » d’un rituel ou de tout autre chose ?

D’un coup d’œil rapide, on serait tenté d’y lire une tendance lourde de la ritualité autochtone vers l’exhibition esthétisée d’un patrimoine culturel. Dans les trente dernières années (1992-2015), de nombreux changements importants sont intervenus en ce sens (outre la généralisation de Facebook) : usage systématique de la vidéo et des enregistrements audio, tant par les observateurs que par les Indiens ; grands projets de documentation culturelle dans les années 2000 ; intensification des luttes et des conflits autour des droits des Indiens ; scolarisation des savoirs traditionnels ; insistance sur les droits de « l’auteur », même si l’on ne sait pas bien qui l’on désigne par là ; essor enfin d’un discours globalisé de l’autochtonie où chaque « ethnie » est censée exhiber son emblème pourvu qu’il remplisse sa fonction contrastive à visée identitaire. Il faut cependant résister à la tentation d’épuiser l’événement de l’été 2015 en le qualifiant simplement de tradition inventée, au sens précis que lui donne Eric Hobsbawm (1983) [5]. Dans les cas qu’il étudie, ce mouvement est typique de l’essor des nationalismes (et de l’anthropologie) à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Faire son rituel, au début du XXIe siècle au Brésil, serait l’équivalent d’exhiber son tartan sur un kilt ou sa coiffe bigoudène un siècle et demi plus tôt en Europe. Même si cette injonction constitue une toile de fond que les acteurs prennent en compte, elle ne saurait suffire à expliquer les motivations et les choix locaux. C’est que le projet trumai n’est pas, ou pas exclusivement, un projet de patrimonialisation [6]. Nous tenterons de l’expliquer en nous intéressant à la notion plus large de tradition, la patrimonialisation n’en étant qu’une modalité parmi d’autres.

Dans son livre sur la tradition, Pascal Boyer (1990), reprenant l’inversion de Hobsbawm du rapport entre ancienneté et tradition (la tradition ne préfère pas les formes anciennes, elle décrète anciennes les formes qu’elle préfère), en fait une caractéristique de toute tradition, qu’elle soit « traditionnelle » ou « traditionaliste ». La tradition, dit-il, ne doit pas être étudiée comme un substantif, mais plutôt comme un adjectif, dans la mesure où l’on n’observe jamais de tradition, seulement des évènements traditionnels, des « instances d’interaction sociale » concrètes. Ces évènements ont pour propriété, en plus d’être psychologiquement saillants et de faire autorité, de se présenter comme la répétition d’une occurrence antérieure et jugée essentielle. On peut y rapporter également la notion de Maurice Bloch de « déférence », comme « reproduisant sans se poser de question autre que celle de la reproduction », les acteurs faisant référence réflexivement à l’avant comme à une instance d’autorité (Bloch 2004). À ceci près qu’aucune des deux approches ne nous donne les réponses aux questions des « retours » des rituels, définis pour l’instant comme la reprise d’un ensemble rituel interrompu pendant un laps de temps vu par les acteurs comme anormalement long. Quel rapport particulier entre transformation et innovation voit-on émerger de cette situation de retour tardif du rituel ? À quel original (et d’ailleurs, y a-t-il un original et quel serait-il ?) la tentative de résurrection de l’été 2015 fait-elle référence ? Au « vrai » javari des anciens Trumai – s’il a jamais existé – sur le mode de la fidélité, ou à celui des voisins d’aujourd’hui, mais sur le mode de la contestation ? Dans quelle mesure le fait de ranimer ce qui dans leurs discours est considéré comme presque perdu, modifie-t-il cette dynamique de production et de transformation du rituel ? Pourquoi devrait-il être exécuté et ne l’est-il pas ? Qu’est-ce qui remplacerait le javari pour les Trumai, s’il n’était plus exécuté ? Quelles relations sociales se font ou se défont dans cette nouvelle occurrence, si différente des autres ?

Cette contribution a été conçue sous forme d’un dialogue entre deux ethnographies du javari trumai distantes d’une cinquantaine d’années. Elle se fonde sur des carnets de terrain et des notes non publiés. Entre les deux témoignages s’étend une période pendant laquelle ce rituel n’a pas été assuré (sinon en 1992, peut-être avant) par les Trumai, ni comme promoteurs ni comme participants. La question du « retour des rituels » s’est donc posée naturellement à partir du travail d’Emmanuel de Vienne (dorénavant E. de V.) de 2011 à 2015, confronté à la documentation d’Aurore Monod Becquelin (dorénavant A.M.B.) dans les années 1966-1967, 1973 et 1980 essentiellement.

La première partie donne le contexte général de ce rituel adopté par les groupes du Haut Xingu et la place des Trumai, derniers arrivés dans ce contexte multiethnique.
La deuxième partie offre une description des enjeux du rituel, des fonctions et obligations de trois des rôles clés – choisis pour leur signification spécifique dans notre argumentation – pour sa reconduction. Les paroles que ces acteurs du scénario rituel doivent prononcer s’organisent en deux genres de discours rituels – injures et chants.
Dans la troisième partie sont analysées la répartition des acteurs socio-économiques, politiques et symboliques ainsi que la reconfiguration démographique et factionnelle du groupe. Nous considérons que le défaut de savoir (qu’ils disent ne plus pouvoir convoquer) constitue un obstacle objectif – car exprimé par les acteurs et confirmé par la comparaison de nos ethnographies – mais non réel – les Trumai ont assez de connaissance de ces chants quoiqu’ils en disent, et de tout temps se sont querellés sur l’exactitude de leur production et de leur ordre. Nous relèverons le déplacement (surprenant au premier abord mais symptomatique de la situation actuelle) d’un argument de type « savoir » en une discussion qui porte sur le signe d’identification des femmes, le uluri [7].
L’épilogue de cette ethnographie à quatre mains montre que les Trumai ne se limitent pas à subir la force envahissante de la modernité mondiale comme productrice de ce que Robert Jaulin appelait « la sous-civilisation du Far West » (Jaulin 1967 : 620). Leur survie dépend paradoxalement de la répétition de leur passé de guerriers et du maintien des luttes factionnelles comme formant le nœud de leur tradition, plus que d’une quelconque sujétion aux impératifs de la patrimonialisation [8].

Le Haut Xingu, le javari et les Trumai

Fig.2 : Carte du Parque Indigena do Xingu (PIX).
Crédit : Instituto Socioambiental, 2002.


Les Trumai sont les derniers venus dans le Haut Xingu, société multi-ethnique et multilingue constituée par la rencontre, au fil des siècles, de groupes différents appartenant à quatre familles linguistiques des basses terres [9]. Ils sont aussi les plus isolés, aucun groupe ne partageant la même famille linguistique. De plus, les aléas biologiques, démographiques et culturels ont fragmenté ce groupe qui ne comptait pas trente personnes dans les années 1960, et qui était déjà largement « hybridé » par les mariages intertribaux [10]. Déjà en 1966, la presque extinction démographique n’offrait pas la force de travail et l’énergie collectives suffisantes pour qu’un maître du javelot puisse « entraîner ses gens » (animar o pessoal) assez pour accomplir ce rituel dont les Trumai étaient pourtant reconnus comme les introducteurs, leur rendant impossible l’initiative de cette rencontre majeure des cérémonies de la saison sèche dans le Haut Xingu. Cependant, reconnu comme le plus grand chanteur du javari, le chef trumai était encore l’invité indispensable de toute célébration de cet événement pan-xinguano, une des armatures des alliances intergroupes, réservant à ses gens un rôle de participants (Guirardello, Monod Becquelin et de Vienne 2008, Franchetto et Heckenberger 2001, Monod Becquelin 1996).

Le javari

Que l’anthropologue se fie à la rumeur de ces « sociétés du uluri » (Galvão 1953) ou de leurs voisins septentrionaux, aux premières descriptions des explorateurs de la fin du XIXe siècle (Steinen 1940) ou encore au savoir des Blancs (Murphy et Quain 1955, Villas Bôas 1990, Franchetto, Fausto et Heckenberger 2008, Franchetto 2011), le javari (nom d’origine tupi) parcourt les décennies et les forêts, ramassant au passage des traits d’autres groupes, et nourrissant ses chants, ses mythes d’origine et son rituel de façon à rendre son histoire inextricable (Fausto 2004). Aucun chercheur, depuis les années 1950 environ, n’a échappé à la mention de ce rituel (Basso 1973, Agostinho 1974, Zarur 1975, Gregor 1977, etc.). Par ailleurs, quelques études spécifiques ont été faites à son propos y compris tout récemment (Menezes Bastos 1990, 1993, Fausto et Penoni 2014). Ce rituel est agonistique et oppose formellement deux des groupes xinguanos [11], qui cependant peuvent s’adjoindre d’autres groupes, soit comme aides des invitants soit comme invités du groupe partenaire.
Le rituel est commencé lorsque l’on demande formellement, sur la place du village, à un homme de l’organiser en mémoire d’un parent défunt qui était « maître du javelot », c’est-à-dire champion des duels de son vivant, grand guerrier et/ou grand connaisseur des chants [12]. L’homme qui accepte cette fonction d’organisateur est appelé à son tour hopep yar, maître du javari. Ceci implique de mobiliser un large réseau de parentèle capable de produire la nourriture suffisante à l’organisation. Une telle charge est un jalon essentiel pour actualiser une position d’éminence dans la société du Haut Xingu, fortement hiérarchique par rapport à nombre de sociétés amazoniennes.
La préparation est composée d’activités de durée et de complexité différentes : d’abord tout ce qui concerne l’alimentation festive – de plusieurs mois sinon années, comme la préparation des plantations de manioc, des récoltes et des nourritures – ; puis l’apprêt du corps – un régime strict de prohibitions et de restrictions alimentaires et sexuelles, exercices d’adresse tant pour la pêche que pour le tir au propulseur –, enfin la répétition des séquences de chants – également quelques semaines ou mois [13] avant l’exécution du javari. Les répétitions quotidiennes dans la période précédant la fête visent quant à elles à perfectionner trois opérations fondamentales : les chants et danses, le lancer de javelot avec propulseur et le remâchage ou le polissage des plaisanteries injurieuses adressées d’abord à un mannequin-effigie de feuilles de palmier dressé au centre de la place du village, puis à de réels adversaires dont les identités sont exactement fixées.
L’arrivée du groupe adverse marque l’entrée dans le javari proprement dit. Outre les chants et les danses se déroulent deux sortes de duels. Les premiers se font contre le mannequin, comme pendant les « répétitions » de la fête, à cette différence près que les destinataires des injures, des railleries et des mimes sont présents. Les seconds se font sans médiateur entre invitants et invités, à coups de javelots sur une distance de plus en plus courte. La cire qui enrobe la noix de tucum [14] à l’extrémité peut recouvrir de petites pierres fort dangereuses quand l’animosité n’est pas contrôlée par les chefs [15]. Les champions de chaque groupe s’affrontent d’abord. Les peintures corporelles les transforment en prédateurs, dans un ordre rigide normalement respecté par tous les groupes : rapaces ou jaguars, figures d’un monde sauvage et aérien dans lequel le poisson, nourriture des Xinguanos, n’existe pas. Viennent ensuite ceux que les Trumai désignent sous le nom de yopïr, c’est-à-dire ceux qui viennent accompagner les « champions », opposant exclusivement des cousins croisés.
Pendant tous ces épisodes, préparations et rituel, chants et danses diurnes et nocturnes se succèdent, de même que les échanges de nourriture et les discours des chefs enjoignant les participants à des relations tempérées, recommandations ambiguës qui allient l’obligation de mesure à la nécessaire agressivité :

« Je veux que vous vous éloigniez des querelles malveillantes, je veux que vous ne soyez pas effrayés par la confrontation » (chef kamayura)
A.M.B. 1973

La dernière phase consiste en une déploration rituelle de la mort du héros pour lequel le javari est célébré – parfois antérieure de plusieurs années –, guerrier dont on brise les armes avant de les consumer. Cet épisode doit être analysé en continuité avec le kwarup ou fête des morts collective, à l’occasion de la commémoration de la mort d’un chef (Agostinho 1974). Alors que les poteaux du kwarup personnalisent les morts des années ayant suivi le précédent rituel funéraire et sont jetés à l’eau, le mannequin, à la fois icône (anthropomorphique générique), indice (pronom personnel de la deuxième personne interlocutrice) et symbole de l’altérité, sera brûlé avec l’arc et les flèches du maître du javari défunt [16].

« Du pain et des jeux… » : identité socio-économique et politique dans le contexte interethnique

Voyons maintenant les enjeux du javari, localement pour les Trumai et globalement dans la société du Xingu, principalement à travers les contraintes et obligations qui sont attachées à ce rituel [17]. Pour cela, laissons-nous guider d’abord par les réflexions des Trumai qui révèlent leurs préoccupations en 2015 :

La réunion des Trumai prévue pour mi-juillet 2015 a donné lieu à d’intenses échanges, par radio, entre les différents villages et partenaires d’organisation. Il fallait s’assurer de la participation de chacun, de l’arrivée de l’essence et de la nourriture, se compter, calculer les coûts. Quelques jours après la date prévue, le compte n’y était toujours pas. Il y manquait la nourriture, l’émulation et (donc) les invités.
E. de V. 2015

Le javari est bien senti par les Trumai comme une propriété culturelle : lors de leur établissement dans la région nord près de Diauarum, les Trumai disaient : « On ne peut pas faire un javari avec les Kajabi ou avec les Suyá. Ils ne comprennent pas. »
A.M.B. octobre 1966

L’économie de la nourriture

Samedi 18 juillet 2015 [E. de V. est encore à Steinen, un village trumai situé près de la frontière ouest du parc]

Fin d’après-midi, coup de théâtre à la Trumai. Nous sommes tous devant la maison de W. [femme d’une soixantaine d’années], à discuter. Les enfants jouent autour, sur la pelouse. On parle de la fête, qui s’oriente vers un format beaucoup plus court, de trois jours seulement ! Faute de nourriture. Ameotle kain ha wan [18], etc. On examine les possibilités ensemble. Il suffit d’acheter du riz au campement des sans-terres à 2 h de bateau vers l’amont. Pour la fécule de manioc traditionnelle (torek), que préférerait K. [chef du village où aura lieu la fête], c’est au village de **** qu’il faut demander. K. nous a dit ce matin qu’il leur avait demandé en vain : ils prétendent qu’ils n’en ont plus. « Ils mentent », commente une fille de W. Ils en avaient encore énormément il y a quelques jours, lorsqu’eux-mêmes sont allés échanger là-bas. Il faut leur reposer la question. Le problème c’est le prix qui selon les cas va de 200 à 400 réaux le sac de 60 kilos. « C’est du vol » dit W. En effet, les prix se sont envolés depuis la dernière fois. Selon sa fille, il faut demander à M. [son frère célibataire] de servir d’intermédiaire. Il a dans ce village une amoureuse qui lui fait le sac à 100 réaux. Plus tard ses sœurs expliquent qu’elles ont aussi là-bas une « vraie cousine » qui leur fait ce même prix « mais elle est partie. On va essayer de la contacter. »
L’autre problème pour la fête est les conditions d’hébergement des Trumai au village de Boa Esperança, qui n’a pas assez de maisons [19]. Il était prévu une maison bâchée, mais la bâche commandée par la FUNAI a été détournée par un Suyá. Tout est chez eux. « Quand ils ont vu que c’était pour les Trumai, ils ont dit qu’on n’en avait pas besoin, puisqu’on n’existait plus. »
K. fils de W. dit que dans le pire des cas on ferait tawarawana, ou takwara [20]. Que c’est sûr que le javari c’est mieux : « les gens deviennent cinglés quand ils entendent parler du javari : les gens de Kamikia voulaient venir », mais que c’est quand même bien. Ensuite chacun repartira chez soi. Je suis assez abattu. […] On passe d’un javari pour de vrai après un mois de répétitions à un galop d’essai, puis une démo de trois jours des danses que ne font pas les autres groupes, enfin trois jours de takwara…
E. de V. 2015

Après cette date, des solutions plus ou moins solides furent trouvées, de l’essence empruntée, on embarqua les familles dans les longues barques d’aluminium pour se réunir finalement le 21 juillet à Boa Esperança. Manquaient cependant beaucoup de Trumai qui avaient manifesté leur envie d’en être ou avaient été expressément invités.
Pendant trois jours se sont répétées, tous les après-midi, les mêmes séances de danses et de chants du javari.

Fig. 3 : Une danse du javari.
Photographie : Serge Guiraud, 2015.


Au matin du quatrième jour de répétition, un second coup de théâtre intervint, sous la forme d’un départ en masse. Quelle en était la signification ?

Vendredi 24 juillet

Aujourd’hui est partie, vers midi, une grande partie des participants.
T. et sa famille sont repartis à leur village, emportant C. et K., qui vont à Sinop résoudre les histoires de voiture. Dans l’autre bateau Y., ses filles et leurs enfants, dont D., sa femme et son bébé. K. part demain pour Cuiabá avec sa grand-mère Y. pour un examen de contrôle de son opération de la cataracte. Ce sont donc deux barques pleines qui partent. [Ils représentent presque 20 personnes, enfants compris.]
Nous découvrons l’ampleur de la débandade avec Serge et Camille sur la berge. Je remonte au village avec W. qui me raconte ce qu’il sait, c’est-à-dire ce que les femmes de sa famille ont entendu des femmes des familles démissionnaires : pas assez de nourriture. Alors que j’ai l’impression de manger sans arrêt. W. : « Mais tu ne connais pas notre coutume, pendant la fête, si tu es reçu, la nourriture ne doit pas manquer, c’est tout le temps ! Leurs enfants pleuraient de faim ! » J’ai pourtant acheté d’énormes quantités de fécule de manioc et de riz. « Oui, mais au lieu de donner la fécule à chacun, pour qu’il se débrouille, les filles du chef du village [qui ont centralisé les ressources] font les galettes elles-mêmes pour les apporter aux autres maisons, et pas assez souvent. » Sa sœur corrige légèrement : « Elles ont dit que les invitées pouvaient se servir en beiju, arroz, torek, au lieu de leur apporter leur ration [21] ». W. part ensuite appeler Fr. et C. (couple ikpeng-trumai de Pavuru) pour remplacer les départs.
E. de V. 2015

L’ingrédient de base qui soutient l’énergie festive est la nourriture offerte. En 1967, Nituari, le chef trumai d’alors, invité par les Suyá – groupe du nord du territoire du Xingu, de langue gê – afin d’y chanter, repartit brusquement au bout de deux jours car, disait-il : « Ils ne nous ont pas donné à manger. » De fait, ce fut une des fois où la nourriture consistait en calebasses de fourmis noyées en lieu des galettes tendres et fraîches de manioc, des poissons fumés et goûteux et des régimes de bananes ; on regretta surtout l’absence des sauces au piment et la pénurie de wylyr et de atsaek, respectivement soupe et bouillie sucrée de manioc (A.M.B. octobre 1967).
Cette nourriture essentielle s’appelle hopep pan, « la nourriture du javari », composée de poisson et de galette de manioc [22]. On parle aussi de denemnak, « la nourriture rituelle abondante », puisque le terme signifie « l’abondance [23] ». Elle est l’objet d’échanges extrêmement compliqués entre les visiteurs et les visités, impliquant non seulement la quantité mais le degré de préparation atteint et la saveur.
Pour quels invités préparer tant de biens ?

Fig. 4 : Messager apportant les galettes de manioc aux invités.
Photographie : Aurore Monod Becquelin, juillet 1973.


Une émulation sans force politique

Les Trumai accordent une grande place au fait de « s’animer » et « d’animer » les autres (en portugais véhiculaire : animar). En trumai on désigne cet état par l’expression « hupda pom pom  », littéralement « visage très bon », c’est-à-dire gai, joyeux. Wan pome waruwa signifie en trumai « ils vont célébrer le kwarup », où « célébrer » a le sens de susciter avec entrain. La fête est faite pour susciter cette émotion, mais dans les faits elle l’exige aussi pour avoir lieu.


21 juillet

Arrivée en même temps que P., qui est peint au rocou. Il se fait une joie d’« animar o pessoal » par ses blagues, en criant le cri de l’épervier pa’tso depuis le bateau en arrivant, tel un messager (parear) du hopep [javari].

24 juillet
De façon générale, la fête implique un changement radical dans l’atmosphère sonore du village. On se hèle, on s’appelle d’un bout à l’autre de la place, pendant les activités de préparation, de collecte, d’essartage. La sociabilité masculine, toujours plus intense et visible que la sociabilité féminine, est axée autour du fait d’« animar  ». En l’occurrence on use sans arrêt, pour ponctuer les plaisanteries et les moqueries, du cri du hopep, le hiyooo ! ho ho ho ho, lancé par un seul et poursuivi par tous, capable par l’effet de ponctuation de rendre drôle le trait le plus plat ou le plus trivial. On s’amuse aussi à simuler des discours de chef pour se moquer les uns des autres, etc.
E. de V. 2015

Peut-être que l’idée de rendre visible l’image d’une satiété bien ordonnée sur les visages des participants à la fête ne suffit pas à enclencher le mouvement. D’autres extraits de ce journal de terrain montrent, pendant les trois semaines qu’a duré l’évènement, les incessants revirements, espoirs, mobilisations et démobilisations des participants. La stimulation n’est pas suffisante. Soulignons au passage que s’y confirme une double idéologie de la parole : on privilégie une attitude mutique, offensée et on interdit l’expression ouverte du reproche. Ceci n’interdit pas d’ailleurs de faire activement circuler les reproches par le circuit du bavardage d’où sourd la rumeur (officiellement de manière privilégiée par les femmes, cf. Menget 1993). C’est par la présence ou l’absence à l’heure de danser, et seulement ainsi, que l’on peut exprimer ce que l’on pense de la situation et de son rapport aux autres. Cela ferait de la participation une sorte d’idiome rudimentaire donnant simplement des degrés d’adhésion (témoin, participant, absent) et un mouvement (centripète ou centrifuge). Cette simplification radicale ouvre la voie à d’infinies conjectures chez ceux qui en sont les destinataires. Pourquoi mon beau-frère aujourd’hui a-t-il préféré essarter que danser ? Pourquoi ses filles ont-elles cessé de venir ? Pourquoi mon oncle n’est-il pas rentré de la ville ?
Par ailleurs, la parole rituelle ou, plus exactement, plusieurs genres de la parole rituelle sont indispensables au processus de fabrication du rituel lui-même : depuis la prise d’initiative formelle jusqu’à la clôture des diverses phases, du discours du chef aux séries interminables de chants dansés ou non, diurnes ou nocturnes, immobiles ou de parcours, des dialogues sous forme de plaisanteries injurieuses aux lamentations collectives, il y a, dans le javari, une sorte de surexploitation des ressources de l’oralité que le mélange des langues dans un ensemble authentiquement multilingue rend extrêmement ardue à étudier.
L’examen de quelques-unes des relations qui sont au centre du rituel conduit à reconsidérer cette faille apparente du retour du javari et à en apprécier une autre formulation.

La reconfiguration des enjeux : tenir des rôles

Nous allons tenter de décrire ce qui permet au javari de construire des relations entre différentes figures de l’altérité. Nous nous concentrerons dans cette partie sur des rôles essentiels aux domaines de l’économique et du politique : les messagers (parear), les cousins croisés (amipine) et enfin le mannequin, i’an. De fait ces différents rôles ont été systématiquement cités pendant les trois semaines de terrain de de Vienne, mais pour certains sur le registre de la déploration.

Les messagers, ou comment devenir riche et puissant

On peut dire des messagers, les parear, qu’ils sont annonciateurs et agents de l’abondance, de l’échange et de la stratégie. Les dépenses autres que celles attachées à l’obligation de distribuer une très grande quantité de nourriture – ce qui demande une plantation de manioc préparée plusieurs années à l’avance sous peine de devoir « acheter » le manioc – sont celles occasionnées par les cadeaux aux invités. Si le maître du javari est évidemment impliqué de même que le chef du village, les parear sont les manipulateurs, au sens propre, des échanges qui vont avoir lieu, et aussi parmi les récipiendaires les plus favorisés (mais en revanche les plus dépensiers) [24]. Choisis par le maître de la fête ou par le chef, ils sont rétribués par ceux-ci. Leur rôle rituel pourrait être assimilé à celui de très hauts diplomates, avec les contraintes de conduite, de postures, de travaux et d’obligation de succès associées aux relations « internationales » ou ici, intertribales. Ils convient les groupes choisis et entre leurs mains passent les cadeaux qu’ils vont recevoir du maître de la fête et des invités et qu’ils doivent redistribuer, ce qui leur donne un statut et une abondance de biens enviables (l’influence du chef dans le choix des messagers est donc une des marques de son pouvoir politique [25]).

Le chef choisit le messager qui se met au milieu de la place. Le chef ou le maître de la fête lui demande :
– Où vas-tu ?
Et le messager répond :
– Je vais chez les Meinaques.
– Bon !
N’importe qui peut être messager, « s’il a beaucoup de colliers pour distribuer à ceux qu’il va chercher ».
– Je ne peux pas être messager parce que je n’ai pas de collier !
Le messager parle d’abord et propose :
– Que voulez-vous ?
– Çà !
– Bon !
Et il donne.
Si l’accord se fait, on délie les bandes d’écorce de ses jambes.
Ensuite, les gens apportent des présents au messager : des marmites, des colliers…
Et quand les gens s’en vont, le messager demande :
– Que voulez-vous ?
S’il n’a pas ce qu’ils demandent, il dit :
– Attendez un petit peu…
A.M.B. 1973

Mais outre la capacité économique, qui fait officiellement défaut pour l’instant chez les parear potentiels, une autre capacité est exigée : le savoir-parler [26].
En 2015, on parlait beaucoup de ce rôle : qui serait en mesure de le faire ? Être parear, ou en recevoir un en qualité d’hôte, implique, outre la provende, la maîtrise d’un dialogue cérémoniel dont on ne sait pas très bien aujourd’hui s’il est un secret qu’on donne comme un oubli ou un oubli déguisé en secret. A., vieil homme réputé pour son savoir en matière de tradition :

Alors dans le village ils discutent entre eux pour savoir qui va les chercher. Ceux qui vont les chercher sont aek (ce n’est pas n’importe qui !), ici appelés amischiok « initiateurs » [27]. Ce sont ceux qui vont initier une plantation de manioc, une fête. Pour cette année, A. a demandé : « Qui est amischiok  ? Qui a commencé. » Et réponse : « C’est Aw. »
En fait A. ne sait pas trop. Il n’a jamais participé à une fête de sa vie. Seulement « des jeux ». Il dit ensuite que ce sont les amischiok (un par parear) ou l’aek qui iraient accueillir les parear à la lisière de la place.
De toute façon il y a une phase d’attente. Et une phase de salut cérémoniel qu’A. déteste :
– « Ils disent n’importe quoi. Ça me met en fureur. Je disais toujours à mon père, quand il me racontait ça : “Assez ! ça suffit !” »
Et il imite son père : « Bla-bla-bla… ce n’est pas comme autrefois… bla-bla-bla… la tradition se perd… »
E. de V. 2015


En bref, le messager est un redistributeur de biens et sa nomination est plus qu’un acte stratégique, c’est une décision d’ordre socio-économique associée au pouvoir de la parole, indissociable en Amazonie de toute fonction d’autorité. Il est clair que pour l’heure, en 2015, manquent les messagers d’abondance, d’où des solutions que nous évoquerons plus loin.

Les cousins croisés : les chercher et les trouver

« Oui, j’ai (du moins j’avais) beaucoup d’amipine.
Des Trumai ? Ils sont déjà tous morts.
Des Kalapalo ? Il y a Ausuku, une femme, et Tauraki, une femme aussi ; Iye, un homme et Kacharama, son frère. Et aussi Moemoe, une femme.
Des Kuikuru ? Majawau, un homme, et les autres, ils sont déjà morts.
Des Kamayura ? Tous morts. Il y en avait trois, des hommes, et trois femmes aussi, toutes mortes.
Chez les Yawalapiti : personne.
Chez les Meinako : le frère de Pytahapu, un autre qui est mort, et une seule femme.
Chez les Aweti : point. »
A.M.B. 1967, traduit du trumai

Le chef trumai vivant dans le seul village trumai existant alors à l’embouchure du Suyá Misu à la fin des années 1960 énumère ses amipine. C’est extraordinairement important. Il lève ses doigts pour compter. Beaucoup de ces liens ont été rompus par la mort, cet homme est âgé, il parle d’un temps à demi révolu. Pourquoi révolu ? Parce que les amipine, ce sont des relations que l’on tisse lorsqu’on est jeune, fort, que l’on se marie avec sa cousine croisée, que l’on participe aux rituels, et surtout, au javari. Nituari parcourt mentalement les groupes Kuikuru, Meinako, Kalapalo, Aweti, Yawalapiti, Kamayura. Et puis, se glisse une remarque : « Il y avait bien un Yawalapiti, nommé Sariruwa, qui était mon amipine, mais… » :

« Ce n’est plus possible [le genre discursif de la relation à plaisanterie], parce qu’il m’appelle maintenant “oncle maternel”, c’est que C. s’est marié avec la mère d’A., et c’est pour cela qu’il doit me respecter. »
A.M.B. 1973

Obligatoirement, la bataille oppose des cousins croisés d’une brûlante proximité, les amipine, qui vont devenir des beaux-frères. De la gaudriole, les deux jeunes gens vont passer à un semi-mutisme antagoniste (Monod Becquelin 1981). Foin de plaisanterie, la relation de compagnonnage est coupée, en même temps que sont rompus ce lien précieux d’un homme avec son parent amipine, l’émotion qui lie les amants de la même femme, les compagnons de pêche et de guerre. Par cette énumération, on voit qu’une partie de la sociabilité biologique et rituelle est concentrée dans ce personnage qui joue « un rôle pour l’alliance ».
Dans le nouveau contexte de 2015, quelle union et/ou désunion le jet de la flèche et la plaisanterie de mise entre cousins croisés impliquent-ils ? Pour y répondre, il manque à notre analyse, dans le tissu relationnel de cette fête intertribale, un troisième personnage, le plus richement pourvu de noms, incernable et incontournable : celui dont on ne parle pas, celui pour lequel manquent les exégèses, peut-être précisément parce qu’il est immanquablement présent : le mannequin de paille, appelé yaw i’an, élevé sur la place et qui incarne ceux dont nous venons de parler.

Le mannequin : miroir, miroir, dis-moi si je suis le plus fort

Examinons d’abord à partir de l’observation ethnographique comment les Xinguanos interagissent avec le mannequin [28]. Dans la mesure où le rituel n’a pas été accompli avec des adversaires invités chez les Trumai en 2015, nous commencerons cette fois par des observations des années 1967 et 1973.

23 octobre : javari pour Leonardo
Mannequin : familiarité avec lui. On lui tape sur l’épaule, on invente des réponses à lui ; on lui parle… On mime qu’il jette de la terre vers les autres. Puis on met la bûche et les javelots dessus, et quelques propulseurs, orientés soleil couchant. Les javelots sont liés avec des bouts de fibres du mannequin. Devant, on dispose feuilles et tisons. Il est environ 17 heures. Le maître de « la queue de sucuri » [sorte de pendentif en bois peint de jaune et rouge attaché à l’arrière de la coiffure] caresse et tapote les javelots. Pluie. […]

26 octobre […] tous s’approchent en une ligne épaisse et s’affrontent au mannequin un par un. Les autres se balancent, suivent, hululent, halètent, se chauffent. On lui fait des niches, on lui fait des discours, on se pousse « à y aller ». Gestuelle extrêmement poussée, répétition et invention. Acharnement d’un des tireurs sur l’œil. Fin à 17 h 45.
A.M.B. 1967

Entre préparation et accomplissement du rituel, le mannequin [29] a un rôle de charnière entre deux phases.

Fig. 5 : Le mannequin au plus près : attaque rapprochée.
Le calcul des distances à respecter est extrêmement précis et ordonne l’approche par degrés, de même que lorsque l’on visite un village pour éviter toute surprise.
Photographie : Aurore Monod Becquelin, juillet 1973.


Fig. 6 : Injure rituelle à l’adresse du mannequin.
Le retour du javari s’est accompagné d’un atelier de formation à la vidéo assuré par Serge Guiraud. L’attaque du mannequin s’opère donc sous l’œil de trois caméras.
Photographie : Emmanuel de Vienne, 2015.


Ce personnage fait presque littéralement office d’homme de paille. La dimension iconique contenue dans son appellation de yaw i’an (littéralement « image de personne humaine ») reste minime et le cède largement à un emploi comme embrayeur déictique au cours de l’événement [30]. A.M.B. avait déjà pointé cette propriété du mannequin, qu’elle qualifiait de « pronom personnel sur pied », en tant qu’il est capable de pointer vers des interlocuteurs multiples. Cette indexicalité variable est confirmée par Fausto et Penoni qui avancent que « l’effigie […] ne semble pas être un artefact doté de subjectivité mais plutôt un pivot relationnel garantissant le turn-taking entre vivants » (2014 : 15). Sa forme volontairement rudimentaire tranche avec l’ornementation du poteau qui figure le mort dans le rituel funéraire du Kwarup [31]. Elle est précisément ce qui le rend disponible pour de multiples et fugitives incarnations. C’est pourquoi au terme d’effigie, choisi par Fausto et Penoni, qui désigne la représentation d’un humain spécifique, nous préférons celui de mannequin, qui désigne une représentation humaine générique destinée à une personnalisation ultérieure dès qu’il est animé, dialogique et interrelationnel : c’est ce caractère qui l’emporte sur l’indécision, puisqu’il est « je » et « tu » dès qu’il est « habillé »…
À travers lui et son indétermination formelle – qui permettra le renvoi immédiat de l’image du beau parleur lanceur de javelot au cours du duel – on s’adresse ainsi aux cousins croisés du groupe adverse et aux grands prédateurs que sont les rapaces et les félins figurés par les peintures corporelles des champions, dans un contexte de mariage prescriptif avec le cousin croisé (Fausto et Penoni 2014) [32]. On doit noter la condensation des temps et des acteurs que permet cette figure paradoxale. Paradoxale en effet car dans la performance rituelle il est celui qui est investi de rôles en miroir : figure de celui qui regarde et de celui qui est regardé. En même temps, il donne à voir deux types de diachronie – la première, « en performance » en présentant l’un après l’autre tous ses avatars (au sens propre), c’est-à-dire les individus dont on lui attribue les identités successives ; la seconde « hors rituel », temps plus long qui est celui du dialogue, d’un rituel à l’autre, jusqu’au passage d’un cousin à un beau-frère dans une société à mariage prescrit avec la cousine croisée précisément mis en scène à ce moment-là. De plus, au moment de l’interaction rituelle, il se situe sur un axe paradigmatique exclusif et précis car les personnages successivement représentés lors de l’affrontement sont des cousins et des prédateurs aviaires ou mammifères : ni des affins réels, ni des consanguins, ni des poissons ! La combinaison de ces deux ensembles sur l’axe de la syntaxe permet la transmission du rôle de maître d’un mort à un vivant en même temps qu’elle reconduit la dialectique de l’affinité potentielle qui, dans le réseau xinguanien, exige autant la mise à distance que le rapprochement.
Le prête-nom végétal, soigné auparavant par un feu qui le réchauffait à la tombée de la nuit et par des fumées de tabac, sera renversé et brûlé avec les objets témoins du culte rendu à cet « ancêtre » très particulier qu’est le maître du javari.

Fig. 7 : Réchauffer le mannequin au crépuscule…
Les nuits froides de la saison sèche sont toujours inaugurées par des feux qui éclairent et réchauffent l’entour.
Photographie : Aurore Monod Becquelin, juillet 1973.


Autrement dit, il s’agit d’un signe qui prend sa valeur (sa signification) dans le contexte  : si l’on suit notre interprétation de ce personnage, on pourra imaginer qu’un principe de substitution s’opère sans cesse durant le rituel et que l’être anonyme devient le pronom « personnel » de l’adresse performative, le « tu » à qui est destinée l’approche à la fois hargneuse et désirante de deux ensembles rivaux dont l’un sera gagnant. Ce personnage sursaturé d’indices porte ainsi cette fonction essentielle et dynamique de substitution qui le préservera de tout oubli ou suppression. Le contexte que nous avons observé est formé par le dialogue gestuel et d’interlocution qu’entretiennent ses partenaires avec lui.

D’abord un affrontement kamayura puis kalapalo. Ils sont très différents dans leur manière […] L’arrivée des Kalapalo ressemble à celle des Huns […] : courbés, trépignant, faisant grand bruit, en troupe, battant le mannequin dont ils se sont fort approchés. Le maître de cérémonie dirige les mouvements et les places. Discours longs, rapides, énergiques, gestes forts et complets, assistants frénétiques en ligne : Kalapalo et Kamayura forment deux lignes à angle droit. Beaucoup de mimes : se jettent aux genoux du mannequin […] Pendant les discours des chefs de cérémonie, personne n’écoute, tout le monde parle en même temps.
27 octobre […] Lorsque c’est le tour des Kalapalo de viser le mannequin, ils avancent en frappant les javelots par terre, courbés, rapides et brutaux, puis forment un cercle devant le bonhomme de paille en chantant, puis ils se rassemblent (en groupe), menant grand raffut ; trois emplumés avancent en tapinois et c’est la ruée. Les assistants sont frénétiques de joie.
Les mimes incluent copulation, fumerie…
Tous les groupes vont ainsi s’affronter deux par deux.
Le mannequin enlevé, lors de l’affrontement Kalapalo-Kamayura, mime de toute la tribu qui se rue [sur l’autre groupe] avec des cris affreux. Orlando [le maître de la fête puisqu’il s’agit de celle, atypique, commémoratrice de son frère Leonardo, à laquelle participent tous les groupes du haut Xingu] joue les pacificateurs au milieu. Aucune dispute.
A.M.B. 1967

D’après ces quelques notations, on voit que les groupes du haut Xingu n’ont pas les mêmes gesticulations avec leur interlocuteur : c’est comme si on accordait au mannequin la capacité de les différencier par ce moyen. On assiste à un véritable spectacle portant sur les comportements sociaux, comme s’il était nécessaire de lui en faire une démonstration : caresses, réchauffement, coups, affection, moquerie…
En lui-même « son nom est Personne », mais sa mise en paroles crée au cours de la performance une pluralité de marqueurs spécifiques de ses identités successives fondées sur l’implicite partagé avec son adversaire (fonction indicielle). La répétition de la chaîne gestuelle et de la chaîne du langage forme, au cours des séances de tir, la société des alliances, fondement du rituel du javari.
À qui faisait-il référence en 2015 ? On peut remarquer d’abord que la règle qui veut que les cousins croisés insultés dussent être étrangers au village a été scrupuleusement respectée. Aucune insulte ne fut jamais échangée entre les présents. En l’absence d’un groupe identifié comme adversaire, on n’insulta pas non plus quiconque parmi les cousins absents. L’étranger masculin est souvent catégorisé par défaut et implicitement comme un cousin croisé, ce qui s’observe par la plaisanterie, caractéristique de cette relation (de Vienne 2012). La seule cible possible, et partant employée, fut l’anthropologue, parce qu’il était présent et très familier. Le rituel démontra ainsi sa capacité à entériner les relations de parenté et les attitudes associées [33]. En l’occurrence, la participation obligatoire, pour les raisons mentionnées plus haut, de l’anthropologue à la danse et au chant a figé une position sociale jusqu’ici encore instable, malgré un terrain débuté 12 ans plus tôt [34]. L’une des familles le traita en consanguin, en prêtant les couronnes, genouillères et brassards et en aidant à les poser chaque jour, alors que P. le traita en cousin croisé d’une manière rendue explicite par une série d’insultes proférées contre le mannequin, dans son avatar « de Vienne », en trumai walatu.

P. est le seul à faire rentrer le cousin croisé dans la fête, et à lui donner un rôle central, à travers ma personne. Il s’anime aussi énormément lors de la mise en scène du duel. Bref beaucoup plus que pour K. c’est pour lui un événement qui porte de manière inhérente certaines relations sociales, alors que pour M. c’est un spectacle à exhiber presque interchangeable avec un autre.
La relation d’amipine est désormais explicite avec P., grâce au javari, qui a donc bien un rôle de fixation des relations de parenté et des attitudes.
E. de V. 2015

Si nous nous en tenions au manque cruel de cousin croisé ou de compagnon d’initiation, nous pourrions en rester là et ne faire alors état que d’un échec du retour du rituel du javari, d’une faiblesse ancienne d’un groupe en déclin, d’Indiens « qui n’ont plus leur culture » (que não tem mais a cultura deles). Mais cet examen du mannequin auquel nous venons de procéder nous oblige maintenant à parler de ce qui se passe entre « lui » substitut d’« eux » et « eux » substitut de « lui », autrement dit, de leur supposé dialogue.

Proférer des paroles rituelles : les plaisanteries insultantes

Si nous avons esquissé le portrait des acteurs et la fabrication de leur rôle et de leurs fonctions, le scénario de la performance n’a pas encore été établi. Que se disent ces acteurs ? Aussi, nous nous tournerons maintenant vers l’examen des paroles de la pièce [35].
Hasardons l’idée que, comme dans l’écoute de mythes enregistrés dans des périodes antérieures, l’objet d’attention des Indiens réside dans les « accrocs » du texte, c’est-à-dire les ajouts, les suppressions, les emphases, les silences du conteur : celui qui écoute, perçoit puis reconnaît, par le contexte, quel a été l’objet de la narration mythique et quel est son contexte. Ici, ce sont les insultes qui jouent ce rôle. Comme pour la narration, l’auditeur, écoutant une séance de duel plusieurs années plus tard, reconnaît les acteurs, retrouve la performance, les circonstances, la date ou la saison, et la circonscrit dans un contexte social et émotionnel qui lui importe au premier degré, car la structure du duel lui est déjà connue. Les insultes échangées avec le mannequin préfigurent et succèdent à celles entre cousins. C’est dire que, de même qu’à l’écoute des mythes, l’auditeur reconnaît l’auteur de la narration par le contexte qui a imposé cette variante, dans le cas du duel, il reconnaît les partenaires par les anecdotes les plus précises qui ressortent de l’état des choses et que la rumeur a propagées : tromperies, incidents, soupçons, disputes, etc. En voici quelques exemples :

Un incident : « Tu es bien tombé de ton hamac ? »
Vol d’une pirogue : « On va nous rendre une rame. »
Un adultère : « Qu’est-ce que tu faisais la nuit avec cette femme ? »
A.M.B. 1996

Les injures ou plaisanteries rituelles sont donc la marque d’ancrage temporel, politique et social du rituel interethnique que tous reconnaissent.
On peut retenir l’hypothèse que le mannequin est identifié par ses adversaires comme “l’ennemi numéro un”, tout comme il reconnaît également ceux qui le criblent de sarcasmes et de dards comme ses ennemis. Ils forment un ensemble de parents et de prédateurs (les animaux de l’air dans la classification trumai du monde) à la condition que le mannequin reflète et devienne un de ces animaux-esprits ou un cousin.

Fig. 8 : Un épervier.
Un homme se peint du motif de l’épervier pa’tso évoquant le plumage tacheté de cet oiseau prédateur.
Photographie : Aurore Monod Becquelin, juillet 1973.


Fig. 9 : Coiffe du javari.
Le javari autorise toutes les extravagances, comme en témoigne cette coiffe composée d’une mandibule de mammifère (pécari ou tapir) peinte au rocou, sur laquelle sont collées des plumes caudales d’Ara arauna et du coton.
Photographie : Aurore Monod Becquelin, septembre 1980.


Sa valeur se trouve dans le contexte des relations sociales constituées par lui-même et la catégorie de « l’Autre ». Il est un condensé du système d’alliance, de la relation aux esprits et de la définition de celui qui va peut-être l’atteindre par son dard et par sa langue.

« Si mon oncle est gavião [rapace], [moi qui suis gavião] je le vise ; après, c’est fini, je ne le vise plus ; je cherche un cousin croisé. »
C’est le maître du javari qui choisit les tireurs. « Je vais voir si je serai bon. » Il choisit aussi les autres. Par exemple awara’tsi [renard] qui ressemble au jaguar mais qui a des griffes de chien. Ceux qui ne lancent pas le javelot restent à « sauter ».
Chaque tireur a ses distances : gaivota [mouette] : de loin ; gavião  : plus près ; jaguar aussi. Puis jaguar noir ; puis awara’tsi. Et ensuite : tout le monde, todo de troca [tous deux par deux].
A.M.B. carnet 1974

Nituari tire le dernier [son javelot] en trottinant avec un ho ho ho […]. Il fait nuit. Il donne le signal du repos. Cigares. Paroles claires du chef. On entend les Waura faire un mannequin au loin. Pas de réponse au village : opposition de la forêt et du centre. Silence de tous.

[…] On chante les chants de l’interdit kanua wal [36]. Après la fin d’un chant, tous se lèvent et en groupe, font semblant de lancer une flèche à l’extérieur, vers là où sont les Waura… […] Autre mannequin au village, toujours terminé par Nituari. Puis discours des deux chefs : « Vous avez bien jeté les javelots. Vous n’êtes pas en colère ; nous ne sommes pas en colère. » […] Le chef fait retentir quelques paroles bien senties pour les exhorter à être courageux-féroces et à bien tirer leurs flèches (javelots). Ils commencent à s’attifer, entrent dans la maison des flûtes (sacrées), chantent puis recommencent le scénario du mannequin. Celui-ci est devant un feu allumé par des petites filles. […] On entend toujours les appels des Waura.
A.M.B. 18 juillet 1967.

Fig. 10 et 11 : Peintures corporelles.
Le chef trumai Nituari peint son fils pour le javari.
Photographie : Aurore Monod Becquelin, juillet 1973.


D’où le i’an tire-t-il son extravagante multi-incarnation de polyglotte ? C’est que, outre le rôle de charnière, il joue un rôle de médiateur, assez attendu d’après ce que nous en avons dit. Il est à la fois le tireur, l’autre et l’intermédiaire. « Soi » et l’autre se présentent dans une version animale de prédateur ou dans une version humaine de parenté, produit d’un cumul diachronique d’affinité et de consanguinité [37]. Cette juxtaposition « anormale » exige un intermédiaire qui puisse produire la fonction sociologique requise par le javari. Si donc le mannequin accumule lui-même les propriétés de ses adversaires, un à un, il les définit aussi.
Comment savoir si nous ne faisons pas ici une catégorie de l’altérité ad hoc, subsumant prédateurs et parents, trop simple pour être vraie ou même plausible ? Celle d’une figure globale de l’altérité ? Pour confronter à l’ensemble « à plaisanterie » que nous venons de décrire, examinons l’autre parole rituelle du javari, opep wal, les chants, dans une description qui continue la précédente sur le carnet de terrain.

C’est la fête du javari, au poste Leonardo. C’est un javari en l’honneur de Leonardo Villas Bôas [38]. Les chants s’égrènent, ponctués de forts cris.
Le chant dit : malata iye… « grande joue, grande tête ». C’est en langue kamayura. Ensuite, « celui qui est le maître du javari » (opep yar chyk) dit : mateye rywyt… « où est mon frère ? ». C’est en kamayura. Et puis jumani mani… « je ne veux pas de leur nourriture ». Ariri ikwewene… « je serai aphone demain matin ». Et puis on chante ukupatl, par le nom d’un petit oiseau noir compagnon du singe. Nukuri… C’est dans le chant du javari, c’est le nom payetan de la flèche : juwahe…
A.M.B. octobre 1967

Certains de ces chants s’exécutent tandis que les attaques ont lieu :
De nouveau ont lieu les chants. Pendant leur exécution, trois Yawalapiti se précipitent en ligne devant le mannequin, bientôt rejoints par les autres. Ils piétinent furieusement et lancent leur javelot sur le mannequin. On entend hu… huo à voix basse, puis plus fort et des cris retentissent. Les flécheurs reviennent en hoquetant sur le pas battu de l’escrimeur, court et très martelé. On s’en va en disant trutrutru, tru tru tru
A.M.B. juillet 1973

L’ordre des chants, l’ordre du monde. Une altérité pacifiée

Rappelons que les chants sont exécutés pendant des semaines ou des mois, et que le mannequin en est le témoin, jour et nuit, réchauffé comme les chanteurs par un feu allumé à ses pieds.

Lorsque, dans le mythe d’origine du javari, une phratrie est arrivée au village payetan où a lieu la fête, la liste des chants qu’ils entendent et apprennent de leur oncle maternel (qui les convie en les appelant : ha deta, « mon neveu ») [39] est immense, aujourd’hui comme hier. Il y a des dizaines et peut-être des centaines de chants associés avec autant de figures de danse, dont la succession défie la narrativité d’un mythe, le déroulement d’un rite, le rythme de l’écologie animale (pour des détails sur les thèmes, cf. Monod 1996 et surtout Menezes Bastos 1990, 1993 pour l’interprétation kamayura, ainsi que Penoni 2010 pour la version kuikuro). Ce corpus réunit des règnes différents (animaux, esprits, humains, objets rituels et activités quotidiennes) avec leurs formes, leurs coutumes, leurs cris, leurs odeurs, leurs préoccupations ; il était dans l’ethnographie d’A. Monod revendiqué comme constitutif d’une « vérité » sur ce qui est chanté (pi’tsiake) [40], un ordonnancement jamais atteint, une leçon sur le monde jamais complète, pour que les humains « sachent » (wan xupe), chaque groupe donnant sa couleur à son intégration dans la fête et à sa propre vision du monde [41].

Cette façon d’envisager les chants, comme porteurs d’une leçon ou d’une vérité sur le monde, est absente aujourd’hui de l’ethnographie. En 2015 le sens des chants n’apparaît que sous la forme de fragments dans un océan d’opacité. La notion d’ordre est toujours centrale, mais la dimension référentielle des chants a quasi disparu.

Parmi les chants du javari, les Oi wal sont jugés par les Trumai comme particulièrement beaux. Ils s’effectuent sur la place centrale, dans l’obscurité, alors que brûle un feu et que les crieurs qui ponctuent les chants (le cri du pa’tso) sont au bord de la nuit, au bord de l’ombre, comme des animaux qui s’approchent depuis la forêt, sans s’avancer vers la clarté rouge et chaude du feu, dans ces nuits glaciales de la saison sèche au Xingu. C’est justement de l’aptitude à chanter cette partie nocturne du javari que s’inquiète un Trumai : chanter, c’est invoquer en ordre, c’est invoquer les Oi qui sont des géants noirs dont on entend les appels et qui pourraient s’indigner s’ils étaient mal chantés.

P. revient aussi sur le fait qu’il faut pouvoir chanter toute la nuit les Oi wal.
Et il ne sait pas changer de couplet (ela [42]).
E. de V. 2015

Les discussions sur « l’ordre » des chants sont ce qui se dit le plus souvent dans le monde du Haut Xingu. Critiques, reproches, conflits même se succèdent depuis des dizaines d’années – peut-être plus ? – et relèvent le mauvais ordonnancement des couplets. La revendication de critiquer est partagée par tous. Il est invraisemblable d’entendre la louange, véritable et sans arrière-pensée, d’une exécution : toute louange est politique, toute critique est politique. Aucun jugement complètement favorable n’est émis.

Entretien, entièrement au dépourvu, sur les fêtes […] X insiste sur la correspondance intime des fêtes, le fait que plusieurs chants se retrouvent dans plusieurs fêtes, le fait qu’il y a un ordre strict…
A.M.B. 1980

C’est grâce à cette abondance de référents que ce rituel est toujours en question. Un savoir qui ancre dans l’implicite partagé ce jeu éminemment politique qui tourne autour de la question : « Savons-nous assez et dans le bon ordre ? » L’ordre est un prétexte, celui qui permet d’affirmer qu’on possède un savoir plus complet. Ce savoir concerne le monde, celui des esprits, celui que l’anthropologue désigne sous le nom de cosmologie, incluant la vie des humains depuis la vie la plus concrète, convoquant dans les couplets des objets et des actions aussi bien que des expressions d’émotions ou de croyances. Les phrases suivantes sont les titres des couplets qui sont répétés en différents rythmes et intonations :

Je veux pas de leur nourriture
Je serai aphone demain

Allons manger ce fruit du palmier
Tu as sommeil
Je suis le grand cerf à taches noires
nukuri (nom payetan du javelot)

exemples de Oi wal A.M.B. 1973

Ces quelques observations montrent plusieurs réponses à des points que nous avons abordés. Au mal-être de futurs acteurs-messagers pressentis, il semble que des solutions pourraient être trouvées : leurs discours sont peu compréhensibles et peu entendus et à la pénurie économique traditionnelle, il peut y avoir remède. Au manque de cousins croisés aussi on peut pallier : s’il n’y en a pas, on en fabriquera. Quant au versant de la connaissance traditionnelle des « paroles du rituel », le savoir est peut-être moins en cause – puisqu’il sera toujours incomplet et toujours désordonné pour ceux qui choisiront de critiquer la performance – que les conditions sociales de son exercice public : un groupe suffisamment grand de personnes qui acceptent telle version du savoir rituel comme étant correcte. En revanche, prendre cette ignorance comme prétexte est significatif. Par quoi remplacer ce manque éthique de connaissance de la tradition ? Et si le monde change, alors : comment, sur quel contenu et avec qui chanter, parler, railler ? Avec qui et comment faire le javari pour exister ?

La querelle des anciens et des modernes : une clé d’intelligibilité

Ce qui nous intéresse ici est l’ensemble des indices qui sont des symptômes du processus de transformation qui s’est instauré, cueilli par E. de V. dans ses notes de terrain.

§1 - La fête du javari est primordiale pour nous […]
Vers 9 ou 10 heures, je vais avec K. dans la cuisine derrière la maison (encore en construction) d’A. Il y a là tous les hommes, jeunesse comprise […] En y allant, on croise Samuel qui emporte un gros ampli. Arrivés là, séance de plaisanterie, discussion. Puis arrive le professeur du village qui glisse dans l’ampli une carte SD contenant un enregistrement de Nituari par Raquel qui explique le javari, l’histoire des Payetan. Cela se conclut par une série de chants. P.et K., les deux chanteurs, sont côte à côte. P. chante à mi-voix, commente de temps en temps. Atmosphère détendue, joyeuse.

Fig. 12 : Réunion masculine nocturne.
L’organisation du javari fait l’objet d’une réunion improvisée le soir de l’arrivée des participants, autour de l’ampli (à droite), qui diffuse chants et mythes du rituel enregistrés auprès de l’ancien chef Nituari.
Photographie : Emmanuel de Vienne, 2015.


§2 - Au bout d’un moment, K. et P. éteignent le son. Il faut discuter. P. commence. C’est du portugais de réunion. Solennel, un peu grandiloquent, plein de formules autoréférentielles (« Je voudrais présenter cela devant vous. Je pense que… je dis que… »). Avec lui cela tourne à une sorte de discours du chef à la sauce contemporaine. Il parle des difficultés des Trumai. De la nécessité de ne pas tout révéler. Du fait que les autres Indiens disent que « C’en est fini des Trumai, ils ne parlent plus leur langue », etc.
§3 - Du fait qu’il n’y a plus de chefs pour parler le matin, que quand lui essaie sa femme et ses filles l’envoient sur les roses. Qu’autrefois ce n’était pas ainsi ! Il me regarde tout le temps.
§4 - Puis K. Un peu plus explicite. Il ne faut pas que les autres Indiens volent le javari. Pas de film, sauf pour eux et seulement pour eux… Tout au long de son discours, il y a la contradiction entre « montrer que les Trumai sont bien vivants » mais « ne pas divulguer [le savoir] sinon les autres Indiens vont le voler ».
Ensuite A. (Waura marié à une Trumai). Parle du fait lui aussi que les autres Indiens volent, prennent les fêtes des Trumai. Que c’est un groupe !
§5 - Puis K. Pas de film, sauf pour eux et seulement pour eux. Et il aimerait que ce soit une « oficina », un atelier, au cours de laquelle on pourrait tout expliquer aux jeunes, pour qu’ils sachent, etc. Convoque donc une réunion pour demain matin, au cours de laquelle je devrai aussi présenter Serge. […]
Ensuite A. parle du fait lui aussi que les autres Indiens volent, prennent les fêtes des Trumai.
§6 - Ensuite P., qui lui maîtrise mieux le portugais soutenu. Avec son demi-sourire, il dit que le hopep est un moyen essentiel d’autodétermination du peuple trumai.
§7 - Il confesse ensuite, pour appuyer A., avoir fait fuiter des musiques d’un rituel Trumai. Il avait fait quelques images et recherches avec sa mère, puis a demandé à l’un de ses neveux à Canarana d’en faire un montage rapide. Même s’il a demandé expressément d’effacer, il soupçonne que le gars a sauvé les docs. J’ai confirmation après avec P. qu’il a entendu ces musiques proprement trumai dans la bouche des Yawalapiti. Dans ces chants il y a des noms propres trumai. Car c’étaient des musiques « pour s’amuser, pour se moquer ». A. s’étonne, et P. répond qu’« ils avaient les mots, oui, parce qu’ils les trouvaient beaux. Mais ce qui est dans la langue trumai était modifié par la prononciation de leur langue » […]
§8 - J’entre dans la danse avec un peu de maladresse. Je dis combien c’est un moment historique, que c’est bien, puis enchaîne sur le fait que toute culture évolue, et qu’il faut aujourd’hui pour « montrer » faire des films. Et que l’idée que j’ai eue depuis 2011 est de leur permettre d’en faire.
Discussion devient peu à peu moins contrainte par la règle de monologues successifs. On se demande comment on va faire.
K. sur une ligne “oficina”, avec dès demain construction d’une tente pour faire de l’artisanat du hopep. A. demande s’il doit demain appeler tout le monde.
§9 - Et demande aussi qui va être « maître de la fête », « de qui va-t-on brûler l’arc ». P. répond aussitôt que ce sera K., pour son père. Semble faire l’unanimité, mais pas ce que cela implique en termes d’investissement.
§10 - Pour K., ce sera vraiment une préparation pour l’année prochaine. Et on divisera le village en deux [pour jouer les rôles respectifs des hôtes et des invités]. Destinataire principal : les enfants, les jeunes. C’est le camp des revitalistes.
§11 - Mais semble y avoir un flou sur la nature de cette répétition. Je précise que par le passé, la fête elle-même consistait déjà en grande partie en une telle répétition. P. résume d’une belle formule « vai ser ensaio de verdade » : ça va être un essai pour de vrai.
E. de V. 2015

Le portrait sur le vif des Trumai est instructif à plus d’un titre car il reprend en effet en mode mineur l’ensemble des questions que pose la reconduction du javari.

Craintes et tremblements

« Os outros vão roubar… » Les autres vont voler [ce qui nous est propre] §5

Un des points les plus clairs de ces considérations est la tension entre « dévoiler » et « garder secret ». Elle a toujours été présente, comme le montre la première citation de Nituari à propos de la participation des Suyá et des Kajabi à Diauarum en 1966 (cf. plus haut « ils ne nous ont pas donné à manger »).
Dès qu’un invité se présente, il y a une sorte de démonstration ostentatoire obligatoire de ce que l’on a, « denemnak  », la richesse en nourriture, en paroles, en chants, en mythes, en sus des biens d’échange. Concomitamment, les craintes de se voir dépossédés sont toujours présentes, mais rien n’est fait pour garder, pour SE garder. La rumeur met au clair les chemins complexes de la circulation des chants rituels : X l’a prêté à Y qui l’a prêté à Z, mais on m’a dit que des A. sont venus en visite et ont volé la cassette/le livre/la bande/le CD, etc. Le passage sur « la fuite » des enregistrements serait-il en fait un autre mot pour « la distribution » ? Cependant, s’il y a toujours eu une tension entre la volonté de garder pour soi et celle de montrer que l’on sait, avec ce que cela comporte de détournements, de pertes, de vols, d’achats interpersonnels, etc., cela s’est singulièrement tendu avec les enjeux nouveaux liés à l’exhibition culturelle, le tourisme, et les possibilités de vol offertes par les nouvelles technologies.

Sursum corda, « ce n’est pas vrai que la langue trumai est morte » §1 et 3

Les Trumai en 1966 – probablement parce qu’une « caraiba  » disait vouloir l’étudier – manifestaient une grande fierté vis-à-vis de leur langue. Ils s’enorgueillissaient du fait que les autres groupes la trouvaient difficile, dans un contexte où pourtant le multilinguisme individuel est l’usage normal dans la communication. De plus, ils étaient assurés que d’autres groupes parlaient « trumai », tout en insistant sur le fait qu’un groupe proche, les Awaldat, parlait un trumai différent, leur reconnaissant une variante dialectale. Le chef trumai parlait, à cause de sa captivité chez les Kamayura, un trumai certainement influencé par cette langue tupi. Les mariages interethniques, et en particulier ceux « recommandés » par les Villas Bôas avec les groupes du nord, multipliaient encore les pratiques : en 1966, un Trumai était marié avec une Suyá, un autre avec deux Juruna, une autre avec un Kajabi, etc. Pour être présent dans le concert multiethnique économique, politique et rituel, il fallait que subsiste le trumai parlé. La situation maintenant est presque plus difficile qu’en 1966, dans la mesure où, dix fois plus nombreux, les Trumai parlent moins la langue.

« Et on divisera le village en deux. Destinataire principal, les enfants, les jeunes »… §11

La dimension pédagogique passe au premier plan, et révèle un problème épineux de génération chez les Trumai, chez lesquels ce sont plutôt les parents des enfants que les enfants eux-mêmes qui veulent « apprendre », témoin l’image de cette femme écoutant les enregistrements de chants de Yamorikuma (la fête des femmes) pour s’en pénétrer alors que ses filles n’y étaient alors selon elle aucunement intéressées.

Fig. 13 : À l’écoute pour apprendre.
Femme trumai écoutant les chants de Yamorikuma.
Photographie : Aurore Monod Becquelin, 2005.


Le secret n’est peut-être qu’un prétexte en face de la diffusion de mise dans le Haut Xingu, même auprès de ceux « du nord », auprès desquels avaient été expatriés les Trumai sur ordre des Villas Bôas, du fait que l’exécution de la fête est évidemment publique, et parce que tous les enregistrements circulent. Mais ce qui reste problématique est la prise en charge par les jeunes d’un rituel complexe qu’ils ne veulent ou ne peuvent pas pratiquer (tout au long de l’année par des répétitions de chants et danses), mais seulement exécuter. Habitant en microvillages ou en ville, et dans les deux cas intéressés surtout par la culture urbaine brésilienne, les enfants cristallisent l’inquiétude sur la « perte de la culture ». La focalisation sur la transmission à l’identique à la génération suivante est également l’indice d’un glissement du rituel vers le « patrimoine culturel », ainsi que de l’influence du modèle scolaire dans la transmission.

Qui sera le maître de la fête ? Qui est chef des Trumai  ? §3

À la fin d’une des séquences du javari qui, en cette occasion, opposait les Yawalapiti et les Waura, le chef trumai en 1973 fait un discours :

« Il y a longtemps que le champion affrontait le maître du javari. Mais maintenant, il n’y a que des enfançons qui commencent à peine à apprendre ! Nos ancêtres étaient bien meilleurs. En plus je veux que vous vous affrontiez sans dispute. Ah, celui qui savait, c’était Y., il savait inviter tout le monde. Il n’avait pas peur d’affronter tout un chacun ».
A.M.B. 1973

La préoccupation du chef trumai maître du javari est de proférer un discours formaté sur la tradition et les ancêtres. Nulle autre préoccupation. Il est chef, il est maître du javari, il est indispensable, lui et son lapino (ensemble des gens qui participent au rituel à la suite du chef).
La situation est plus complexe aujourd’hui. La discussion fait émerger un consensus sur l’identité du maître de la fête : K., chef du village où a lieu la réunion. La question de la chefferie trumai, en revanche, reste hautement délicate. Dans la succession du chef précédent, mort en 1995, se trouvent un fils aîné, héritier légitime, invalide, un fils à son tour invalidé (pour frasques diverses) et un petit-fils en compétition avec l’héritier d’une ligne concurrente de chefs trumai. Le groupe trumai sur la longue durée semble pris dans un dualisme structurel entre deux factions, qui se retrouve aujourd’hui dans l’opposition entre deux chefs à la fois rivaux et alliés. Se sont ajoutées dans les années quatre-vingt plusieurs scissions supplémentaires, orthogonales à cette fraction historique. La construction d’un projet commun de « sauvegarde culturelle » autour du javari se fait à la fois en dépit et grâce à ce contexte complexe [43]. Les accords qui émergent pendant cette réunion cachent en l’occurrence des interprétations différentes de la réalité et des malentendus partiellement volontaires. En l’occurrence, l’investiture de K. comme maître du rituel, étape importante d’un parcours d’éminence, est un cadeau empoisonné qu’il n’accepte pas, préférant définir l’événement comme un simple « atelier » (oficina) destiné à préparer l’avenir. L’atelier est avec la réunion l’un des événements collectifs qui rythment désormais la vie du parc. Devenu la norme de l’apprentissage pour toute sorte de projet (de santé, de vidéo, d’apiculture…), il prend la forme de rencontres ponctuelles de quelques jours ou semaines où les travaux pratiques sont rigoureusement cadrés et les repas pris à heures fixes.
Le choix de l’atelier que promeut K., contre celui du « vrai rituel », n’est pas seulement une concession à cette forme moderne. Il est surtout un moyen de négocier les écueils inévitables liés au retour du rituel. On pourrait parler, dans ce retour, d’une zone grise, celle où non seulement on réinvente (c’est la loi), mais aussi où on ne peut cacher à personne, pas même à soi-même, que l’on réinvente, alors que la tradition l’interdit officiellement. La forme « atelier » revendique la posture d’apprentissage, et donc d’imperfection. Elle désamorce d’emblée le jeu de la critique qui est inévitable pour les « vrais rituels », jeu dans lequel les Trumai, pour l’instant, ne pourraient que perdre.

L’éternel non-retour des chants du javari : deux modes de rituel, entre oficina et paraguay

L’idée d’organiser de nouveau un javari s’est fait sentir avec acuité quatre ans plus tôt. En 2011 circulait un DVD tourné et monté par les Indiens Suyá qui présentait leur version du javari [44]. Ce sont vraisemblablement les Trumai qui ont appris aux Suyá à faire le javari dès avant 1950 (cf. Seeger 1981).

Fig. 14 : Danse du javari.
En 1966, javari entre Indiens Trumai et Suyá au poste Diauarum.
Photographie : Aurore Monod Becquelin, 1966.


Les Trumai ont habité plus de dix ans dans la partie nord du parc national du Xingu, tout près des Suyá avec lesquels ils s’intermariaient sous la pression des Villas Bôas. Leur politique était de revitaliser les Trumai en les mariant à ces groupes septentrionaux. Ce pour quoi ils habitaient à Diauarum en 1966 depuis quelque temps déjà. Le DVD circulait en même temps qu’une rumeur fort désagréable : les Suyá se prétendaient les « maîtres » du javari, puisque les Trumai, « maîtres » jusqu’ici, ne le faisaient plus du tout. Cette déclaration mettait les Trumai face aux Suyá dans la position des Payetan face aux Trumai : un groupe ayant légué un corpus rituel avant de disparaître.
Ce constat de décès prématuré provoqua une colère vive et compréhensible. On protesta non seulement que les Suyá mentaient et étaient des voleurs, mais aussi, preuve filmée à l’appui, que leur javari était tout à fait « paraguay [45] », c’est-à-dire erroné. Les Suyá selon eux s’étaient ridiculisés en le faisant, et c’était bien fait. La principale difficulté pointée par les Trumai à l’époque était l’absence de chanteurs. Il en faut deux pour cette fête, capables d’enchaîner un corpus immense dont la mémorisation est un effort de très longue durée. Vu la gravité de la situation, Amati accepta d’enregistrer avec E. de Vienne, gratuitement, tout ce qu’il savait pour le diffuser sous forme de CD puis de clé USB à tous les villages trumai et seulement aux villages trumai. On espérait l’année suivante, grâce à cela et à une recherche de fonds à conduire en parallèle en Europe, pouvoir organiser un javari qui serait intégralement documenté pour les futures générations trumai. On produirait en parallèle un court film de présentation, sorte d’abrégé à faire circuler largement et gratuitement, qui aurait permis d’exhiber la patente sans en révéler le contenu précis. En 2012, un an plus tard, les copies audio des chants, laissées chez Amati l’année précédente, avaient soit échoué à trouver leur destinataire, soit été mystérieusement perdues ou volées. Éternel refrain.

Quant aux tentatives de fundrising en France, elles s’étaient soldées par un échec. L’affaire semblait close. Mais au début de l’année 2015, un jeune homme trumai, résidant à São Paulo depuis plusieurs années pour des raisons de santé, parvint avec l’aide d’amis paulistanos à obtenir de la FUNAI le financement intégral d’un grand javari trumai. Son projet était de réunir tous les Trumai dans le village de Boa Esperança (à la fois le plus grand et le plus central) pendant deux mois pleins pour répéter le rituel, c’est-à-dire s’entraîner aux chants, aux danses et aux insultes, avant d’inviter un village ennemi dont l’identité restait à déterminer. Dans le même temps, via l’ANR Fabriq’Am, nous avions trouvé une association française, Jabiru Prod, à même d’aider à réaliser le versant filmique et documentaire du projet. Cette association alliée au Muséum de Toulouse collecte depuis plusieurs années déjà des objets dans différentes sociétés amazoniennes en même temps qu’elle les forme à l’usage de la vidéo et produit des films, sur le modèle du projet « vidéo dans les villages » [46].
L’événement de l’été 2015 est donc un des derniers jalons d’un processus réflexif qui vise à accepter et organiser le changement de la ritualité dans une société qui l’exclut normalement. Face à l’ampleur de la perte et au stigmate trumai, il convient de prendre des mesures radicales : faire des fragments de rituels lorsque l’on sait perdu le corpus jugé immuable des chants qui le composent, accepter pour la plupart des Trumai de faire semblant d’habiter à Boa Esperança pour s’y comporter en amphitryons dans un rituel interethnique, s’adresser aux « enfants », destinataires de cet effort revitaliste, partager le savoir sans avarice et sans compensation.

Nous faisons ce que nous ne voulons pas et nous ne faisons pas ce que nous voulons…

Les discussions autour de la réalisation du javari en 2015 sont révélatrices d’une forte ambiguïté d’un « retour », et de l’impossibilité de ranger les Trumai entre « pour » et « contre ». Même chez les rivaux du chef de Boa Esperança on veut collaborer à un retour des Trumai sur la scène rituelle. Mais la modalité de ce retour fait débat.

Pour les uns, appelons-les les « traditionalistes », on peut se permettre de réinventer des signes distinctifs. Ils envisagent par exemple d’emprunter aux Javaé un cache-pubis en écorce, qui serait proche de celui, appelé sapukuru, qu’utilisaient les femmes Trumai avant leur arrivée dans le Xingu. Ici il importe surtout de démontrer que l’on fait un rituel, quel qu’il soit, et peu importe si l’on n’y invite pas les Indiens du Haut Xingu. Il suffirait qu’ils sachent que l’événement a eu lieu.
Pour les autres, appelons-les les « traditionnels », il convient d’inviter les Xinguanos et surtout de se conformer aux critères de jugement qui prévalent chez eux en matière de correction et de convenance rituelle. On rêve à une démonstration de pureté rituelle et de puissance ethnique : un grand groupe trumai exécutant parfaitement la totalité du script. Cette voie, au vu des obstacles, mène à une position qui combine deux traits : la volonté vague de refaire des rituels en étant conscient de l’inanité du projet, et la critique acerbe de ceux qui le font mal, c’est-à-dire tous les autres. Cette paralysie élégiaque et nostalgique est typiquement celle du vieil Amati, l’enseignant des chorégraphies et des chants qui devait être la pierre angulaire du retour du rituel, attendu en vain pendant trois semaines car trop malade pour voyager.
La veille du dernier jour, qui devait être marqué par une démonstration exhaustive du javari et d’autres rituels, une réunion fut convoquée pour aborder la question du destin des heures de rushs et de chants rituels qui circulaient dans le village, sur des cartes mémoire SD de téléphone ou de lecteurs MP3 et sur des clés USB.

Fig. 15 : Pendentif de clés USB.
La fragmentation et la reproductibilité des savoirs traditionnels par la technologie augmente autant les possibilités d’acquisition individuelles que la crainte du vol. Les clés USB s’accumulent comme des ornements corporels ou des incantations thérapeutiques.
Photographie : Emmanuel de Vienne, 2015.


Le débat sur les risques d’une fuite des savoirs trumai et de leur image déboucha sur une querelle sur les sexes féminins et leur visibilité rituelle, qui était rampante depuis plusieurs années.

« Parlons plutôt uluri ! », un déplacement symptomatique

Ici désaccords profonds, et explicites, sur la nature de la situation, ce que l’on a le droit de faire ou de ne pas faire, et aussi sur les destinataires. Jupe de perles ou uluri ?
E. de V. 2015

Certaines femmes ont décidé en effet de ne pas porter le uluri, feuille végétale pliée et liée à un cordon de buriti passant entre les fesses, à la manière d’un string, qui est un des traits distinctifs du Haut Xingu, au point que Eduardo Galvão avait décidé de nommer la région « aire du uluri ». Remarquons au passage que le rôle des femmes n’est pas seulement d’intervenir dans certaines danses (comme celle du serpent, aussi appelée « danse des Payetan », qui requiert leur présence à côté de chaque danseur). Elles sont aussi évoquées dans tout un corpus de chants appelés kanua wal « chants de la restriction », ensemble qui concerne la prohibition des relations sexuelles avant et pendant les rituels.

Fig. 16 : Pose du uluri.
Ce rituel féminin intervient ici après un kwarup et rend publique la sortie de réclusion d’une jeune fille pubère avant de se marier.
Photographie : Aurore Monod Becquelin, septembre 1973.


Cet ornement traditionnel attire les regards et les commentaires des hommes comme des femmes sur l’anatomie féminine. Avec les téléphones portables, les ordinateurs et les logiciels de traitement de l’image, beaucoup de jeunes hommes se sont mis à collectionner les gros plans de vulves (des agrandissements de plans larges pris pendant les rituels), et à les faire circuler, y compris auprès de leurs amis blancs.
La solution de certaines femmes Trumai a été de se revêtir la taille de jupettes de perles brodées de motifs géométriques traditionnels, afin de se garder de ces pratiques.

Très vite le débat est posé. Les femmes donnent leur avis (K. puis T.) : « on ne peut plus faire comme nos grands-mères, nos arrière-grands-mères, les choses changent ». Autre argument : c’est difficile pour les femmes, mais pas pour les hommes dont les ceintures de coton couvrent le pénis. K. les soutient « je ne vois pas pourquoi je devrais obliger les femmes à se découvrir le sexe alors que le mien est caché ». E. aussi. A. finit par assumer la position de son mari, qui a déserté la fête à partir du troisième jour, parce que beaucoup de femmes ne portent pas le uluri.
Il est impossible de s’opposer frontalement aux autres dans un tel contexte. Les autres hommes s’en vont en silence l’un après l’autre. Seul Al. dit en se levant « Bon eh bien demain je vais danser en pantalon ». […]
[L’un des hommes s’emporte] : « Je me retire. Je ne ferai rien l’année prochaine ». Le uluri lui reste en travers de la gorge. « Je voulais qu’on fasse une fête vraiment belle. Et maintenant vous voulez que les femmes portent de petites culottes et des jupettes ? C’est un exemple à donner aux enfants ? On va se ridiculiser ! Tout le Haut Xingu va se moquer de nous ! »
T., femme d’un autre village, qui défendait l’usage des jupes, reprend la parole : « On parle déjà mal des Trumai. Je vais dire les choses comme elles sont : on médit des Trumai à cause de leur ivrognerie, à cause de leur emploi des vêtements dans les fêtes, à cause de la langue. Qu’est-ce qu’ils peuvent dire de plus ? »
Une autre, plus tard, en réponse à l’un des hommes qui parle de la pureté de la culture, marmonne, en référence à ses frasques connues lors de ses passages en ville : « Culture, Culture… et s’endormir ivre mort dans un caniveau, c’est la Culture ? » […]

X. part, furieux. Je le suis après quelques instants, et le rejoins dans la maison où se sont retrouvés tous ceux qui avaient déserté peu à peu la réunion en signe de protestation. Ils regardent un film tourné par les Kuikuro qui montre l’inauguration de je ne sais quel bâtiment collectif dans leur village. Je m’efforce de lui parler. Il est fermé, mutique. Il faut que je fasse mine de partir pour qu’il m’adresse la parole. […] En réponse à mes tentatives d’apaisement, il prend la cantonade à témoin en montrant l’écran : « Regardez ces images [on voit un rituel xinguanien de grande ampleur, comme savent les organiser et les filmer les Kuikuro, où toutes les femmes sont nues, et ornées de leur uluri]. Ça n’est pas beau comme ça ? Si ça l’est ! Il n’y a pas de jupette pour tout gâcher. »
E. de V., samedi 8 août 2015


La querelle du uluri dépasse le seul cadre du javari. Elle est l’un des aspects non aléatoires où se cristallise le conflit factionnel. Elle accompagne depuis son début le processus de récupération rituelle chez les Trumai, et illustre l’importance du donner à voir dans la ritualité régionale, exacerbée encore par l’importance de la vidéo et l’émergence d’une patrimonialisation de l’autochtonie. Néanmoins, il n’est pas anodin que dans le cas du javari, le conflit, attendu sur la réalisation des chants et des danses, intervienne sur un ornement féminin. Nous avons parlé d’affinité potentielle et d’alliance, ce qui fait des femmes, presque effacées du javari, l’un de ses enjeux principaux. Elles sont seulement partenaires de certaines danses qui contrastent avec les danses proprement guerrières où les hommes seuls, en file, courbés sur leurs armes, chantent en parcourant la place. Leur voix est donc fondamentale pour la réalisation de la fête.

Conclusion

Les Trumai continuent à façonner leur histoire : si l’on considère leur quasi-disparition démographique, leurs relations conflictuelles décrites avec les autres groupes du Haut Xingu autant qu’avec les groupes septentrionaux dans les années 1960 et leur isolement linguistique, on constate qu’ils n’ont pourtant pas voulu (ou su) développer la foudroyante et rémunératrice ascension du concept de patrimonialisation.

Fig. 17 : Chamane, où es-tu ?
Ce chamane était consulté mondialement par les politiques et les vedettes du monde entier. Il donnait ses consultations par téléphone depuis une pièce louée à Brasilia.
Crédit : illustration d’un article sur le chamanisme dans la revue brésilienne Véja, date inconnue.


Les réflexions collectives, formulées au cours des rencontres, ou manifestées à travers les oppositions internes, les conflits, les revirements, montrent qu’elle ne constitue qu’une des polarités présentes, qui est loin d’être la plus importante. Le mode d’existence du javari, en 2015, était loin d’être stabilisé. Entre l’atelier, la tentative de « vrai rituel » potentiellement mort-né sous la forme du rituel « paraguay », ou encore l’évocation, non suivie d’effet, de ce que devrait être le retour du javari, les carnets de terrain d’E. de V. témoignent d’un retour liminaire, imparfait, du point de vue des Trumai eux-mêmes.

La comparaison avec les carnets d’A.M.B. permet de relativiser ce passé glorifié où les Trumai étaient les maîtres du rituel. L’ancien chef trumai, chanteur d’exception toujours convié à chanter ce rituel dans les autres villages, n’en était déjà plus le promoteur au milieu du XXe siècle pour son propre groupe. Il déplorait aussi cette perte, et essuyait les critiques sempiternelles de son fils quant à la correction de son savoir. Maintenant, si l’on regrette de ne pouvoir répéter ce que faisaient les aïeux, on répète aussi le regret des aïeux eux-mêmes. Cette comparaison est d’ailleurs inscrite dans la tradition rituelle xinguanienne. Les discours de chef, les salutations cérémonielles, les dialogues ritualisés d’acceptation d’un rôle rituel, pour le javari ou pour toute autre fête, incorporent un élément d’autodénigrement extrêmement fort par rapport au passé et même au présent, mais qui reste inscrit dans une échelle de formes discursives qui place ce déni très proche d’une forte expression d’assertion identitaire (comme dans les discours très formalisés sur la non-préparation et l’incapacité des jeunes gens qui vont lutter : « Vous êtes faibles, vous n’avez pas pris les remèdes qu’il fallait, vous n’avez pas respecté les prohibitions… » : discours qui marquent de façon furieuse et insistante une identité de vainqueur). Les Trumai semblent avoir porté au plus haut point ce trait, en le mettant en œuvre littéralement. Chez eux on ne s’excuse pas de ne pas faire aussi bien que les aïeux. On déplore de ne pas réussir à faire vraiment.
On pourrait qualifier ce mouvement de « tradition de la nostalgie », qui serait l’inverse de l’invention de la tradition au sens d’Eric Hobsbawm : on ne prétend pas répéter l’ancien alors qu’on l’invente en fait, on croit échouer à répéter le passé alors que cet échec fait partie de la tradition. Cet engendrement de la nostalgie n’est pas sans rappeler la « nostalgie structurelle » de Michael Herzfeld, qui désigne la perpétuation dans le temps long d’une vision idéalisée du passé. Elle s’en distingue néanmoins en ce qu’elle porte spécifiquement sur des événements traditionnels, au sens défini par Pascal Boyer (1990). Poussée à son terme, cette tradition de la nostalgie veut que l’on reproduise le regret à ne pas faire le rituel sans même s’atteler à la tâche.
Ce fantôme de la Tradition est incarné par « l’acteur » Amatiwana qui ne donne pas tête baissée dans le patrimoine (doctrine des Xinguanos), mais tente cette approche à la fois plus fine, plus abstraite et plus désespérée. Ayant décliné pour raison de santé de venir transmettre son savoir, il a adoré regarder les vidéos de l’événement, à la fois profondément ému et profondément critique [47]. À l’appui de sa position, il envoya l’un de ses fils chercher un lecteur MP3 en forme de voiture de course, afin de jouer les enregistrements du « vrai » javari par son père en 1966, enregistrements dus à A.M.B. C’est là une image parfaite de ce que sont la culture et la tradition pour lui : une représentation (ici sonore), non une répétition. La technologie est adoptée, mais au service de la nostalgie, pas de la « revitalisation ».
Sa mise en peinture de la culture trumai depuis les années soixante procède de la même logique (Moiroux et de Vienne 2015).
Le mouvement qui a conduit à ce curieux retour ne va manifestement pas dans le même sens. Il témoigne néanmoins d’une inventivité indéniable, puisqu’il s’agit de produire collectivement et réflexivement les conditions d’une innovation assumée comme telle, sur la question des savoirs rituels mais aussi sur celle de la structure sociale à même d’organiser un événement d’envergure. Le javari trumai s’est répété, en plus vaste, à l’été 2016. Aucun des deux auteurs n’était présent. L’histoire s’accélère, l’ethnographie pas toujours.

Fig. 18 : Accolade.
Un exemple des gestes d’amitié formelle et de complicité qui existent entre deux cousins croisés.
Photographie : Aurore Monod Becquelin, septembre 1980.


Épilogue

Pourquoi cet essai sous forme de dialogue ?
La mise en regard des deux descriptions montre quelques aspects révélateurs de la vie du groupe et que des préoccupations centrales demeurent quoiqu’elles se présentent sous des formes différentes : les rôles, les formes, les anicroches.
Il nous a alors semblé intéressant et, qui sait, fructueux, de confronter en même temps que « changement et continuité » chez les Trumai, les deux expériences singulières, à des époques et sous des auspices professionnels et personnels différents. On pourra aisément – et schématiquement – y déchiffrer le changement de perspective obligé des témoins (structuralisme/pragmatique par exemple ?), les techniques utilisées (Notes & Queries/participation), et des reflets des investissements de chaque époque dans le travail ethnologique (regard éloigné/regard proche, cognition version 1/cognition version 2, etc.). Pourtant, au-delà de ces différences et contradictions entre observateurs, ce dialogue fait émerger les structures qui persistent dans la réflexion et l’autoanalyse des Trumai eux-mêmes recueillies à des dizaines d’années de distance (par exemple, leur discours de victimes ne change pas) et possiblement les embrayeurs qui font du passé un futur possible (perpétuation des savoirs), comme les attracteurs qui font du futur un passé éventuel (invention de la tradition). Il ne s’agit ici que du parallèle avec une figure fort ancienne : « l’invention est puissamment orientée par les valeurs momentanées [du milieu intérieur] associées aux flux exogènes qui frappent les communautés » (Leroi-Gourhan 1945 : 470) ; figure de l’acceptation de l’innovation au sein d’un état de choses où s’intriquent de façon centrale et complexe structures, bouleversements et mémoires prospectives. Nos cahiers et carnets de notes convergent de façon lancinante sur les savoirs nécessaires pour effectuer ce rituel : les savoirs attachés aux discours et surtout aux chants, spécifiques à cette commémoration. Nous n’avons pris, au sein d’un ensemble hétérogène et complexe, que quelques actions et personnages pour décrire et analyser des transformations et des continuités, frôlant ainsi la mémoire, les directions du changement, le statut du processus rituel.
Convergentes parfois, divergentes souvent, écartelées entre les photos fixes d’antan et les vidéos surprenantes de vie d’aujourd’hui, montrant la disparité entre une description peut-être trop extérieure assortie à une relation avec une « sœur aînée » débutante [48], et un dialogue tissé entre amis et même entre amipine…, ces réflexions distantes de cinquante années veulent aussi rappeler une pratique nord-américaine souvent exercée en Méso-Amérique de « revisitation », mais inversée (consistant à lire le présent depuis le passé), pleine d’enseignements (Robert Redfield 1970, Oscar Lewis 1951) lorsqu’il ne s’agit pas de déploration rituelle et d’énumération des pertes culturelles en vue d’une patrimonialisation rémunératrice.

Fig. 19 : Apprendre dès l’enfance.
Enfant paré, portant le javelot du javari, suivant son père sur le chemin pour se rendre à la fête.
Photographie : Aurore Monod Becquelin, septembre 1980.


La troisième voix de cet article, et la plus importante, que nous avons essayé de respecter, est celle des Trumai à travers et malgré leurs paroles. Il ne s’agit certes pas de substituer à la subjectivité des anthropologues celle des Indiens, comme si leur discours était la vérité : elle est elle aussi chargée d’implicites, de contextes, de non-dits ; cependant, même s’ils ne sont pas seuls auteurs de leur propre histoire, ils prennent en main leur destin. Ce n’est pas « la vision des vaincus », selon le titre d’un texte célèbre de Nathan Wachtel (1971), c’est celle de véritables acteurs : on pourrait utiliser un certain slogan tel « le changement, c’est maintenant » mais en le prenant au sérieux en tant que chercheurs des micro-événements qui font insensiblement l’histoire et que l’on pourrait nous blâmer de ne pas avoir décrits, nécessité pointée et justifiée par l’inventeur de la « micro-histoire » (Ginzburg 1980). Aussi nous n’avons pas cherché à gommer les différences entre les notes de terrain et les citations, ni tenté de réajuster des données dissemblables, comme si l’ancien devait être privilégié comme source du nouveau et de la comparaison. Peut-être au contraire avons-nous mis en valeur, dans notre choix, les dissonances elles-mêmes, fussent-elles entre les époques ou entre nous-mêmes. Car les désaccords, dans les deux cas, peuvent engendrer les scissions, mais aussi l’histoire.

add_to_photos Notes

[1Fondation nationale de l’Indien, organisation gouvernementale de défense des droits autochtones.

[2Prononcer trumaï.

[3Sauf mention contraire, les citations sont traduites du portugais.

[4Le terme est d’usage courant localement.

[5L’expression désigne le fait d’affirmer comme immémoriales des formes, notamment rituelles, qui sont en réalité fort récentes.

[6Nous entendons ici le terme « patrimonialisation » comme l’ensemble des dispositions prises par les Indiens et/ou des organisations extérieures pour donner à voir une part de ce que nous appelons la « culture » et promouvoir celle-ci à des fins identitaires, de reconnaissance, financières, etc.

[7Ceinture de fibre de liber associée à un triangle d’écorce, portée par les femmes, occasion de rituels spécifiques.

[8Rappelons que, dans les années 1960, les Trumai « regrettaient » leur passé de guerriers et de carnivores. C’est probablement le reflet de cette revendication qui donne aux Kuikuro, sans qu’ils s’en rendent compte, la figure du « sauvage » présente dans leur javari (Fausto et Penoni 2014 : 19).

[9Kamayura et Aweti (famille tupi) , Waura, Mehinacu, Yawalapiti (famille arawak), Kalapalo, Kuikuru, Matipu, Nafukwa (famille caribe) et enfin Trumai. Les groupes du Bas Xingu qui n’appartiennent pas à cette aire culturelle sont de langues gê (Suyá, Txikahamae) et tupi (Kajabi, Yudjá).

[10En 1966 le village trumai comptait deux maisons et moins de trente personnes, les conjoints étrangers compris, à savoir deux épouses juruna, une veuve Suyá, un Kajabi marié à une Trumai et un Kamayura à une Trumai.

[11Xinguanos : terme portugais désignant les habitants du Haut Xingu.

[12On commentera dans la troisième partie cette association de la proie et des chants.

[13La durée des répétitions varie selon les groupes. Les Trumai mentionnent une durée de plus de deux mois dans le passé, ce qui est confirmé par A. Monod Becquelin. Aujourd’hui dans le Haut Xingu elle n’excède guère 15 jours.

[14Espèce de palmier.

[15En trumai : cho qui signifie « viser » et « atteindre » mais non « percer » comme le verbe similaire employé en kuikuru (Fausto et Penoni 2014 : 21).

[16Le javari peut, dans certains cas où le chef du village et la maîtrise du javari sont réunis dans sa personne, faire office de troisièmes funérailles.

[17Pour une description plus complète du javari, voir Monod Becquelin 1996.

[18« Nous sommes dépourvus. » Ameotle désigne l’état de disette, sans manioc.

[19Les conditions d’hébergement sont indissociablement liées à la répartition de la nourriture offerte, avec une hiérarchie et une chronologie strictes. Ce lien est si fort que la disposition des maisons et de leurs habitants forment une sorte de carte mentale chez les femmes qui dispensent la nourriture : celle-ci est le support mémoriel d’un nom oublié qu’elles retrouvent en refaisant mentalement cheminement et distribution. Dans bien des cas observés, c’est aux femmes que les hommes demandent le nom de tel ou tel parent d’une époque éloignée.

[20Festivités de moindre importance.

[21Ne pas apporter ses provisions mais se contenter de ce qui est fabriqué dans le village invitant est opposé à l’idéologie commune : on ne dépend pas des autres, même si de fait on en profite.

[22Pan est un nom qui signifie en trumai « nourriture ». Le dérivé panet’ signifie « cadeau » et le verbe panu « échanger », racine différente de pap, « échanger » ou « échange », « paiement ».

[23Denemnak-es hup tak-e : « il ne sait pas accumuler/travailler [et il n’a rien] » ; dene-nik : « démuni, dépourvu » ; et au contraire, denemnak-yar : « maître de l’abondance, pourvu de ».

[24C’est cette énorme dépense de nourriture qui fait hésiter les Indiens, comme dans bien d’autres cas similaires pour lesquels la charge traditionnelle est concurrencée par l’obligation de survivre dans un monde monétarisé.

[25La fonction de chef principal d’un village s’inscrit dans un système complexe de maîtrises diverses : maître d’une fête, de la place ou des chemins vers les plantations, du chemin qui va au fleuve, de la réception des arrivants, etc.

[26« 23 octobre 10h15. Les messagers envoyés vers les invités, dépeints, lavés, assis, reviennent rendre compte de leur mission. Le chef kamayura donne la réponse des Kalapalo à ses gens et annonce le javari en l’honneur de Leonardo Villas Boas. Un autre chef fait de même. Puis Nituari le chef trumai. Les hommes poussent des clameurs à la fin de chaque discours. Ces discours sont prononcés avec une intonation et un débit particuliers. » (A.M.B. 1967).

[27Autre exemple, est amischiok celui qui va aller parler sur la place du village pour lancer la construction de la maison du chef. Amischiok wan : « les initiateurs, les entraîneurs ».

[28Notons que ce personnage peut également prendre l’identité d’une femme, en témoignent les insultes sexuées qui lui sont adressées.

[29Si ce terme est choisi en français pour traduire le trumai i’an (ou ihan selon une autre graphie), c’est que concrètement le mannequin, de bois et de tissu, portera successivement les effets de plusieurs clients, comme la figure de palmes et de bois portera successivement les identités des combattants. C’est aussi l’objet matériel que l’on peut atteindre : yaw i’an-atl wan chon : « ils visent le mannequin ».

[30Sémantiquement, le terme i’an désigne la représentation, l’image, l’ombre, la photographie et le reflet – celui que l’on voit dans l’eau par exemple pour se mirer – le portrait, l’esprit, le sujet du rêve, et par extension ce que l’on voit par la télévision. De nombreux mythes relatent cette confusion de l’image dans l’eau avec un personnage ou animal réel qui s’y mire, trompant le poursuivant en lui faisant prendre le reflet pour sa proie.

[31Comme le dit Pedro Agostinho, c’est véritablement une allusion (au minimum) aux morts que ressuscite et anime le créateur Mawutsini (Agostinho 1974).

[32« Soustraction de la consanguinité pour laisser place à l’affinité » selon l’analyse de Fausto et Penoni 2014. Ajoutons que deux types d’agressivité sont à distinguer : l’un de rapprochement, l’autre d’éloignement. Le duel est le dernier échelon qui séparent des rapports de proximité.

[33Fausto et Penoni (2014) notent également dans leur article cette fabrication de parenté chez les Kuikuro.

[34Position acquise non seulement par la présence mais aussi par la dimension désormais inévitablement « collaborative » du travail ethnographique. Ceci est en contraste avec le terrain de A. Monod, alors âgée de 23 ans, appelée ha pisi « ma sœur aînée », appellation probablement due au non-interventionisme de rigueur à l’époque quand les ethnologues relevaient d’une classification de parent plus âgé ou plus distant.

[35Non que nous volions au secours de l’interprétation du rituel comme théâtre (une option présentée par les Trumai eux-mêmes) mais parce qu’à ce point nous manque le livret de l’ensemble des paroles rituelles : nous ne pouvons ici en donner qu’un très faible aperçu.

[36Les chants de l’interdit sont chantés aussi lors de la fête des femmes, les Yamorikuma, identiques ou semblables, mais en tout cas, en réponse aux mêmes chants joués par les flûtes du Jakui (Monod Becquelin 1987). Ces interconnexions sont intéressantes à étudier.

[37L’ouvrage de Pascale Bonnemère renferme une note expliquant l’utilisation des termes « germanité croisée » (2015 : 174) qui pourrait s’appliquer ici si l’on accepte l’idée de fusion (et non d’élimination d’un des deux termes) de deux opposés de la terminologie de parenté : parallèle/croisé.

[38Aîné des trois frères Villas Bôas, fondateurs du parc, décédé en 1961, soit 5 ans avant le kwarup.

[39Le fils de la sœur, terme appartenant au paradigme de la parenté (possessif absolutif inaliénable), tandis que l’autre classe des neveux appartient seule à un autre paradigme (possessif ergatif aliénable).

[40Rappelons que beaucoup de chants présentent l’identité d’un être, surtout les oiseaux, par la simple énonciation de son propre nom : « Je suis le… et j’ai telle particularité. »

[41Les chants du javari sont dits appartenir à plusieurs langues, encore qu’ils soient revendiqués plus particulièrement par les Kamayura, cf. l’ouvrage de Menezes Bastos (1990) pour les tentatives de traduction des textes à partir du kamayura. On peut les grouper en plusieurs thèmes : actions, objets et gloses du rituel, animaux, végétaux, relations entre les sexes. Animaux : mutum (cracidé), socó (ardéidé), toucan, jacú (penelopidé), aigle, épervier, aigle, perruche, singe noir, cerf, renard, tapir. Végétaux : calebasse, palmier buriti, mangue, patates, fruit, palme, soupe de manioc. Objets du rituel masculins : javelot, flèches choquées, bois de flèche, tête de flèche polie, propulseur, cire, polissage de l’arc, ornementation des flèches ; objets féminins : plaque à galette, poil pubien, danger. Actions rituelles et actions quotidiennes : il va manquer son coup ; tu as peur ; je t’atteindrai devant ta bien-aimée, la fille de la sœur de ton père [uan amipine : ils sont cousins croisés] ; lève la tête et regarde-moi à l’aube, bien aimée ; ne crains pas, fais attention seulement ; tu vas être battu à force d’être atteint ; avec son propulseur, il va lancer son dard ; mangeons ce fruit ; je chante ma robe ; voilà comment je chante : je suis le mutum ; l’aigle est dur à atteindre car il a une vue perçante ; j’ai une tache sur le cou ; voici la pointe de la flèche ; regarde bien sinon tu vas te percer le pied ; ils m’atteignent, ils me tuent ; ma lèvre tremble de froid ; mon œil se meurt de sommeil ; allons manger ; je danserai devant la maison du maître du javari ; je ne veux pas de leur nourriture ; je ne pourrai plus parler demain, etc.

[42On peut traduire ela par « couplet » en y ajoutant qu’il a toujours un ela-pine, sur la même racine que -pine « ami » et qui fait partie de la structuration des chants.

[43Cf. de Vienne 2011 pour une présentation détaillée.

[44Ces Indiens sont des ennemis historiques du Haut Xingu, ayant longuement entretenu avec les Trumai une de ces relations d’étroite inimitié, ou d’hostile amitié, comme l’Amazonie en donne de nombreux exemples. Dans ces rapports interethniques le rapt de femmes et d’enfants est une modalité de la relation autant que sa négation, et ouvre sur des rapprochements plus ou moins durables.

[45Le terme désigne au Brésil, en référence aux biens de consommations plutôt perfectibles importés du Paraguay, toute chose ou événement de piètre qualité, frelaté.

[46Ce projet, créé il y a trente ans par Vincent Carelli, se définit comme une école de cinéma pour Indiens. Il a permis la réalisation de plusieurs chefs-d’œuvre cinématographiques amazoniens.

[47Exactement de la même façon, cinquante années auparavant, il écoutait les performances de son père, Nituari : même regard critique et mêmes reproches grognons sinon hargneux sur l’ordre et la méthode du chanteur ; et aussi, même émotion à l’écoute, sans cesse exigée de l’ethnologue, des bandes UHER ou des cassettes contenant les chants.

[48Mais tout à coup ont résonné les appels de hapisi ! hapisi ! « sœur aînée, sœur aînée » ! C’était la vieille femme du chef avec son petit-fils sur les bras, mon amie ; divorcée ? Trumai ? ; et la petite femme enceinte et charmante d’A., et la jeune asperge du groupe, qui me recherchaient : elles m’expliquèrent à grand renfort de rires que c’était dangereux d’aller en forêt la nuit : « On ne se promène pas ainsi le soir ! C’est plein d’onças (de jaguars) ! On ne se baigne pas non plus, il y a plein de raies ! » Je me suis couchée en rigolant drôlement…
A.M.B. 1er août 1966

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Pour citer cet article :

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Retours aux rituels [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2016/Monod-Becquelin-deVienne - consulté le 28.03.2024)
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