Impulsé par la 1ère Journée Régionale d’Anthropologie de la Maladie organisée en 2004 par le Groupe de Recherche sur les Croyances et les Actions Collectives (GRACC) de l’Université de Lille 3, ce dossier réunit les contributions de chercheurs que rassemblent un commun intérêt pour l’exploration des dimensions sociales et culturelles des faits de maladie et de santé : parmi les articles présentés, certains sont le fruit de communications exposées lors de cette rencontre ; d’autres sont venus, au fil du temps, enrichir le projet de publication.
Les auteurs de ce numéro étudient dans diverses régions du monde (au Brésil, à La Réunion, au Burkina Faso, en Géorgie, en France) et depuis différents univers médicaux, des objets qui s’inscrivent dans ce champ de recherche fort dynamique et fécond, qu’on appelle assez unanimement aujourd’hui « anthropologie médicale » mais aussi diversement — selon les socles théoriques, les perspectives, les traditions nationales, les conventions — « anthropologie de la maladie », « anthropologie de la santé » ou encore, dans un esprit rassembleur, « anthropologie de la maladie et de la santé » [1].
Peu importe ici la diversité de ces expressions, les filiations intellectuelles comme les finalités qui les expliquent. Fortement ancrés empiriquement dans les réalités qu’ils se proposent de décrypter, les articles présentés ici traduisent tous la préoccupation et l’ambition majeures d’une anthropologie qui se donne pour tâche de connaître et comprendre les manières dont la maladie, la souffrance, la mort, le malheur sont perçus, conçus et expliqués dans les diverses sociétés et les réponses apportées par ces dernières pour la prise en charge de ceux qui en sont affligés ou s’y trouvent exposés. Une anthropologie « de » la maladie et « de » la santé donc, mais une anthropologie « par » la maladie et la santé également, pour laquelle l’étude des pratiques, représentations et usages sociaux dont maladie et santé font l’objet, constitue une voie d’accès privilégiée à la compréhension des sociétés.
Face à la maladie et au malheur, divers sont les univers de prise en charge vers lesquels hommes et femmes peuvent se tourner lorsque, en quête de soin (Benoist, 1996) et en quête de sens (Augé & Herzlich, 1984 ; Zempléni, 1985 ; Jacquemot, 1998 ; Schmitz, 2006), ils cherchent à guérir de leurs maux ou à les soulager.
Guidés par des perspectives et des questionnements variés, les auteurs de ce numéro nous invitent à explorer quelques expressions de cette diversité et leurs articles ont été regroupés selon les univers médicaux qu’ils prennent pour cadre.
En tout premier lieu, on a rassemblé ceux qui portent sur des univers religio-thérapeutiques, où le religieux et le médical se trouvent intimement et ostensiblement mêlés, où le sacré et ses forces (divines ou spirituelles) sont mobilisées dans la gestion de la maladie et du malheur et qui, rappelant partout la relation privilégiée de la maladie et du sacré, « alimentent les réflexions d’une anthropologie médicale des soins de salut tout autant qu’une anthropologie de la religion comme médecine » (Massé, 2002).
Jacqueline Andoche ouvre le numéro avec un article consacré aux mécanismes de la cure magique à l’île de la Réunion qu’elle dégage à partir de l’étude comparée du corpus des techniques qu’utilisent deux désenvoûteuses de tradition différente pour traiter les maux imputés à la sorcellerie.
S’appuyant sur l’observation dans la longue durée d’un groupe de paysans mossi, Pierre-Joseph Laurent se penche pour sa part sur l’offre de guérison des Assemblées de Dieu du Burkina Faso dans un article qui traite de la souffrance et des élaborations identitaires inédites qu’engendre, pour une frange importante de la société rurale mossi, le passage rapide d’une société coutumière mythique à une forme de la modernité globalisée.
Il est également question du pentecôtisme dans l’article que Miriam C. M. Rabelo consacre au thème des relations entre possession et thérapie au Brésil. Soucieuse de comprendre les modes par lesquels les expériences d’affliction peuvent être transformées dans les contextes religieux, l’auteure propose une analyse de la possession comme mode propre d’engagement du corps en s’appuyant sur l’examen comparé de deux cas de maladie et de traitement, respectivement observés dans l’Eglise « Dieu est amour » et dans le Candomblé brésiliens.
Toujours au Brésil, Sônia Weidner Maluf porte son attention sur l’émergence, ces dernières années et dans les principales villes du pays, du phénomène culturel du Nouvel Âge dans lequel s’entrecroisent de nouvelles formes de spiritualité, des pratiques thérapeutiques alternatives et le vécu d’expériences éclectiques par des membres des classes moyennes. Elle analyse les pratiques, notions et procédures de traitement de ce qui relève, à ses yeux, d’une véritable culture thérapeutique néo-spirituelle ou néo-religieuse.
Avec l’article d’Artur Perrusi sur les psychiatres de Recife et leur dialogue difficile, voire impossible, avec leurs patients qui ont des conceptions religieuses de la folie et de ses causes, nous entamons notre plongée dans des univers médicaux où le médical, cette fois-ci disjoint du religieux, est une pratique spécifique et spécialisée [2].
C’est le cas de la psychiatrie au Brésil mais aussi plus généralement de la biomédecine [3], qu’Armelle Giglio-Jacquemot et Anne-Gaël Bilhaut abordent respectivement au Brésil et en France à partir d’ethnographies du monde hospitalier, l’une focalisant son attention sur les professionnels de santé de services d’urgence en vue d’appréhender la conception biomédicale de l’urgence ; l’autre, sur les relations entre les soignants et les malades d’un service de cancérologie gynécologique, dans le but de saisir la façon dont les émotions se manifestent et sont contrôlées par les soignants.
Et puisque la maladie et le malheur sont aussi affaire de santé publique et de santé humanitaire, ces dernières trouvent ici leur place dans deux articles. Celui de Bernadette Tillard, qui décrit les évolutions et les permanences des politiques françaises en matière d’éducation et de santé des enfants à partir des messages de prévention adressés aux (futurs) parents qu’elle déniche dans les archives de la revue de l’Institut National de Prévention et d’Éducation à la Santé, La santé de l’homme ; et celui d’Eugénie d’Alessandro qui, à travers l’examen d’un projet de Médecins Sans Frontières pour la prise en charge de la tuberculose résistante en Géorgie, montre les négociations pour la mise en place d’une politique de gestion de la tuberculose par le gouvernement géorgien et dévoile, du même coup, le mode de fonctionnement de MSF et la complexité des phénomènes de formation du politique au sein de cette organisation.