Le paradis des grands bandits : la culture de la mort violente en Extrême-Orient russe

Résumé

Vladivostok et Komsomolsk-sur-l’Amour, comme d’autres grandes villes de la Russie post-soviétique, ont traversé dans les années 1990 une période de violents conflits entre factions rivales de groupes criminels. Meurtres sur contrat d’hommes d’affaire et de chefs de gangs ont créé une culture de la violence affectant les entrepreneurs comme les citoyens ordinaires. Cet article s’intéresse à l’iconographie du crime organisé en explorant les lieux où ce phénomène devient perceptible, en particulier les cimetières où sont inscrits ces excès de violence. Tombes et funérailles de grands bandits dévoilent des zones où s’entrecroisent les aspects réels et symboliques du crime organisé. À ce titre, les cimetières de Vladivostok et de Komsomolsk-sur-l’Amour se laissent analyser comme des espaces de production culturelle à l’ombre du crime organisé.

Abstract

Vladivostok and Komsomolsk-na-Amure, like other large cities in post-Soviet Russia during the 1990s, went through a period of violent turf wars between opposing organized crime groups. Numerous contract killings of businessmen and criminal authorities created a culture of violence affecting entrepreneurs and ordinary citizens alike. These excesses of violence have been inscribed in the cities’ graveyards. This article is an exploration into the iconography of organized crime, focusing on spatial nodes where organized crime becomes perceptible. Organized crime is at the same time a real and symbolic event. Gangsters’ graves and funerals are zones where the real and the symbolic aspects intersect, representing the spaces for cultural production in the shadow of organized crime.

Sommaire

Table des matières

Cet article a été traduit de l’anglais par Patrick Plattet

« Death is the silence in this language of violence » (Franti, 1991 [1])

Voile d’hiver

Komsomolsk-sur-l’Amour, le 10 novembre 2004. Les précipitations tombées durant la nuit ont recouvert la ville d’une fine couche de neige poudreuse. Le voile blanc de l’hiver s’est installé. La Volga noire progresse lentement dans la tempête. « Il y aura beaucoup d’accidents aujourd’hui » remarque le chauffeur de taxi — vêtu de noir lui aussi — en prenant un virage à droite vers le vieux cimetière. Les routes sont glissantes. Nous gardons le silence alors que les banlieues de la ville s’éloignent derrière nous. Notre voiture passe d’abord l’aciérie locale avant que n’apparaisse, sur fond de tourbillon blanc et juste un instant, la tour de refroidissement de la chaufferie de la ville. La tempête de neige s’intensifie. La route est cette fois entièrement recouverte de neige. Soudain, la Volga s’écarte de sa trajectoire. En se pinçant les lèvres, le chauffeur lutte pour garder le contrôle de son véhicule. Les essuie-glaces usés distillent un bruit monotone.

Komsomolsk-sur-l’Amour, ville industrielle de 300’000 habitants située dans la partie inférieure du fleuve Amour, fut durant des décennies le repaire de l’un des plus célèbres chefs mafieux de Russie. Mieux connu sous son surnom Dzhem, l’homme fut reconnu par ses pairs comme le « parrain » (krestnii otets) exclusif de l’Extrême-Orient russe. En tant que tel, il occupe une place d’honneur dans le panthéon russe des parrains où figurent aussi les fameux Iaponchik (Viacheslav Ivan’kov), Taivanchik (Alimzhan Takhtakhunov), et Silvester (Sergei Timove’ev).

Après trente minutes, nous arrivons, le chauffeur de taxi et moi, au vieux cimetière de Komsomolsk-sur-l’Amour. « Je serai de retour dans une demi-heure » lui dis-je avant de sortir de la voiture. La portière claque. Seuls quelques véhicules se trouvent sur le parking jouxtant le cimetière, lequel s’étend sur plusieurs petites collines parsemées de bouleaux. Évitant l’entrée principale, je saute par-dessus une petite barrière. Les étroits chemins qui passent entre les tombes sont recouverts d’une couche de neige qui atteint maintenant la hauteur de mes genoux. À la recherche du meilleur tracé, je termine mon chemin sur l’une des collines surplombant le cimetière. À son sommet, deux sépultures monumentales ont été construites pour deux jeunes hommes morts une année plus tôt. Sur chacune d’elles, une pierre en marbre gris foncé est placée au milieu d’un ensemble funéraire parfaitement poli, à côté d’une croix orthodoxe surdimensionnée. D’un blanc éclatant, le ciel fait ressortir les pierres tombales qui surgissent de terre. L’image des défunts est gravée dans la pierre de manière particulièrement nette. Aleksei Viktorovich Razuvaev est mort une semaine après son trentième anniversaire (illustration 1). Bien que recouvertes de neige fraîche, les fleurs et les couronnes funèbres nouvellement installées rappellent que sa mort a été commémorée la veille de ma venue au cimetière. Sergei Aleksandrovitch Lepeshkin a été retrouvé mort dans sa cellule de prison à Khabarovsk, pendu à ses lacets de chaussures. La taille de sa représentation gravée sur pierre dépasse celle qui était la sienne de son vivant (illustration 2).

Comme Dzhem, ce personnage était connu de la criminalité locale sous son surnom, Lepekha. Les parrains meurent jeunes en Russie : Lepekha avait 29 ans au moment de sa mort. Il était l’un des plus jeunes chefs criminels de la ville, couronné « aristocrate » par Dzhem en personne et devenant ainsi un vor v zakone (« bandit professant le code » [2]) selon la terminologie traditionnelle du puissant monde criminel russe dont il faisait partie.

Un chemin battu vers lequel mènent des traces fraîches descend en contrebas de la colline. Je le suis. Un peu plus loin, un autre tombeau apparaît derrière un virage. Il est encore plus imposant que celui de Lepekha. C’est là que repose Dzhem, le célèbre parrain de la mafia russe (illustration 3). Son image plus grande que nature, dévoilant un visage mastoc sur un corps costaud, est gravée sur une pierre noire également parfaitement lisse (illustration 4, 5). Dzhem est mort dans une prison fédérale il y a trois ans, un mois seulement après son arrestation. Les circonstances de sa mort restent mystérieuses et alimentent encore les nombreuses rumeurs et les théories de conspiration. La version officielle de sa mort est pourtant limpide : arrêt cardiaque. Je me souviens des mots de mon ami Viktor qui m’avait emmené pour la première fois sur la tombe de Dzhem quelques jours plus tôt : « c’était un vrai vor, il avait passé la moitié de sa vie en prison, et c’est là qu’il est mort finalement ». Dzhem manqua son cinquantième anniversaire de seulement deux semaines.

Le vrai nom de Dzhem était Evgenii Petrovitch Vasin, né le 10 novembre 1951 à Borzia dans la Région de Chitinskaia, en Sibérie méridionale. Peu après sa naissance, sa famille déménagea à Komsomolsk-sur-l’Amour, la ville qui le verra prospérer. A l’âge de quatorze ans, le jeune Evgenii est arrêté pour hooliganisme, une charge commune durant la période soviétique et recouvrant toutes sortes de comportements « anti-sociaux ». Durant les années 1970, Evgenii Vasin fut l’entraîneur du club de football de Komsomolsk-sur-l’Amour. Ses projets de faire monter l’équipe dans la division supérieure échouèrent. Au lieu de cela, les membres de l’équipe placés sous sa conduite commencèrent entre autres à extorquer de l’argent aux hommes d’affaires locaux. Bien que l’extorsion de fonds n’en fût qu’à ses débuts durant la période soviétique, le groupe de Vasin réussit à monopoliser tout le « business » à Komsomolsk-sur-l’Amour en écartant violemment les autres groupes criminels (Razinkin, 1998 : 2). Les arrestations se multiplièrent cependant et les charges de prise d’otages, de vol et de meurtre furent retenues contre les joueurs de Vasin. Purgeant plusieurs peines de prison, Vasin visita différents camps de prisonniers en Extrême-Orient russe. C’est à cette époque qu’il fut introduit dans la sous-culture criminelle du système pénal soviétique et qu’il rencontra plusieurs bandits de haut rang. En 1985, il fut “couronné” vor v zakone par Dato Tashkentskii, un proche du légendaire parrain russe Iapontchik (Novikov, 2001).

Libéré de prison au début des années 1990, Vasin travailla officiellement comme fournisseur de la coopérative Druzhba (« Amitié ») à Komsomolsk-sur-l’Amour. Son influence dans cette ville et dans la région augmenta de manière substantielle au milieu des années 1990 et culmina lorsque Vasin prit le contrôle de l’Obshchak d’Extrême-Orient, un conglomérat de groupes criminels traditionnels possédant un fond de caisse commun. Sa sphère de domination ne regroupait pas moins de trois Régions administratives de la Fédération de Russie. La période de transition économique qui suivit l’effondrement de l’Union Soviétique fournit à l’organisation de Vasin une large palette d’opportunités économiques. Le marché naissant des voitures d’occasion importées, les pêcheries, les compagnies de fret maritime et la vente d’essence en gros étaient soit sujets à des taxes de protection, soit partiellement contrôlés par l’Obshchak lui-même (Petrakova, 2001). En tant que gouverneur officieux de Komsomolsk-sur-l’Amour, Vasin cultiva l’image d’un garant de l’ordre et de la loi dans cette ville. Toutefois, son influence dépassait de beaucoup les limites de Komsomolsk. Son « business » concurrençait ouvertement les autorités étatiques régionales tout comme les criminels concurrents. En 2000, sur une chaîne de télévision locale, il annonça avec fierté que « ceci est mon Krai (« Région »), et je veux que l’ordre y règne » (Mironova, 2001).

Vasin aurait fêté son cinquante-troisième anniversaire le 10 novembre 2004, raison pour laquelle je me suis rendu au cimetière ce jour même. En Russie, les vivants rendent honneur aux morts sur leurs tombes. La neige fraîche recouvre l’arrangement floral vieillissant qui décore la sépulture de Dzhem, de même que la table en marbre et les bancs adjacents. Mes contemplations sont tout à coup interrompues. Un petit groupe d’individus s’approche. J’essaye de feindre l’indifférence et commence à descendre le chemin dans leur direction. Sans prononcer un mot, le groupe d’hommes revêtus de manteaux d’hiver noirs soigneusement taillés me dépasse. Certains tiennent des roses rouges à la main. Après un court instant, je m’arrête et me cache derrière une pierre tombale ceinte par deux bouleaux. La procession s’arrête en silence en face de la sépulture de Dzhem. Quelques hommes nettoient la tombe de la neige fraîche qui la recouvre. Leurs têtes sont baissées.

Des funérailles de légende constituent un excellent point de départ pour qu’un mythe devienne durable. Trois ans plus tôt, les funérailles de Dzhem constituèrent un événement télévisuel de portée nationale. Plus de deux mille personnes assistèrent au service funèbre, poussant à leur maximum les capacités logistiques du groupe de Dzhem. Le directeur de l’unité régionale anti-crime au Ministère de l’Intérieur estima à plus de cinquante le nombre de grands chefs criminels russes présents aux funérailles (Petrakova, 2001). En écho à la nature extensive des réseaux traditionnels du crime russe, les invités vinrent de tout le territoire de l’ex-Union Soviétique : Ukraine, Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie, Républiques d’Asie Centrale. Tous les hôtels et maisons d’accueil de Komsomolsk-sur-l’Amour et alentours furent réservés à l’avance. Komsomolsk ne possédant pas d’aéroport national, de nombreux invités durent voler jusqu’à Khabarovsk, puis être conduits en voiture sur plus de 350 kilomètres. Pour arranger les affaires des organisateurs, l’un des invités les plus importants, le vor v zakone géorgien Revas Tsitseshvili (aussi appelé Tsitsa) mourut d’une crise cardiaque durant le vol Moscou-Khabarovsk, ce qui ne manqua pas de soulever encore plus de questions sur l’implication de l’État dans la mort de Dzhem (Zhunusov, 2001).

Afin de prendre plus de distance par rapport au groupe, je m’éloigne dans le cimetière. Mes mouvements deviennent crispés et l’un de mes pieds se prend dans une racine cachée sous la neige. Je perds l’équilibre et me retrouve à terre. La neige crisse sous mon poids. Je me remets debout en jurant, ôte la neige de ma veste, et disparaît parmi les centaines de sites mortuaires. Seul un petit nombre d’entre eux possèdent de véritables pierres tombales. La plupart sont décorés avec une simple croix en bois ou en métal, certains arborent l’étoile communiste. De taille restreinte et entourées de petites barrières, ces tombes ordinaires n’ont que peu de ressemblance avec les tombeaux monumentaux des parrains du crime organisé.

Durant les dernières années de sa vie, Dzhem cultiva avec succès l’image publique d’un homme d’affaire ordinaire et bienveillant. En 1996, il ouvrit la fondation de charité Sostradanie (« Compassion ») à Komsomolsk-sur-l’Amour, avec des subdivisions à Khabarovsk, Birobidzhan et sur l’île de Sakhalin. Parmi les membres de ce service de charité sociale se trouvaient d’anciens détenus, des écrivains, d’anciens officiers de police, des professeurs d’université, et plusieurs vory v zakone [3]. De plus, Dzhem avait mis sur pied deux camps pour orphelins sur des îles du fleuve Amour. Le camp situé sur l’île de Malaikina, proche de Komsomolsk-sur-l’Amour, est appelé par certains locaux « l’île de Dzhem ». L’autre, situé sur l’île Lesnoi dans la Région Amurskaia, est appelé tabor en référence au « campement » tsigane traditionnel.

Un seul incident égratigna l’image de Dzhem comme garant de la stabilité et de l’ordre à Komsomolsk-sur-l’Amour, incident qui mena en fin de compte à sa mort soudaine. Au début de la soirée du 22 février 2001, le café Charodeika, très apprécié de la jeunesse locale, subit une violente attaque. Plusieurs assaillants mirent le feu au café, transformant l’intérieur en un véritable crématorium. Huit personnes moururent, vingt furent blessées, certaines gravement. Les victimes étaient pour la plupart des adolescentes de 16-18 ans, ce qui renforça encore plus l’état de choc dans lequel la ville toute entière fut plongée. L’attaque du café Charodeika restera comme le premier “acte terroriste” jamais répertorié à Komsomolsk-sur-l’Amour, une ville qui, jusqu’alors, avait été préservée des échanges de coups de feu frappant de nombreuses villes russes au milieu des années 1990. Outrés, les habitants de Komsomolsk réagirent comme ils le purent : parents et écoliers défilèrent dans la rue, demandant aux autorités locales de prendre des mesures décisives.

Le propriétaire du café visé était l’homme d’affaire Edouard Zaitsev. Zaitsev était un membre du parlement de la ville et le directeur d’une compagnie spécialisée dans le recyclage des métaux. Il avait investi ses profits dans plusieurs cafés et restaurants. Des rumeurs s’étaient vite répandues à son sujet : Zaitsev aurait refusé de coopérer avec l’organisation de Dzhem et de payer les taxes de protection. Au lieu de cela, il aurait collaboré avec un groupe criminel mineur possédant des contacts au sein de la police locale, ce qui lui offrait une alternative pour protéger son business (Minigazov, 2001). Le public perçu l’attaque sur le café comme une pure démonstration de force du maître officieux de Komsomolsk-sur-l’Amour. Peu après l’incident, quatre jeunes hommes directement impliqués dans l’attaque furent arrêtés. Mais les autorités ne s’en tinrent pas à ce coup de filet. Sept mois après l’assaut du café, Vasin fut interpellé. Le cas étant particulièrement grave, c’est le procureur général de Russie en personne qui ratifia l’arrestation.

Une vingtaine de minutes plus tard, je retourne près du tombeau de Dzhem qui est maintenant abandonné, la table en marbre débarrassée de sa couche de neige. Plusieurs bouquets de roses rouges ont été déposés au pied de la pierre commémorative. Quelques pétales se sont détachés et jonchent la neige comme des gouttes de sang frais. Soudain, alors que je photographie l’ensemble funéraire, deux hommes s’approchent de moi avec détermination. Je me retire en toute hâte dans la haute neige. L’un d’eux me suit jusqu’en bas de la colline. Une nouvelle fois, j’essaie de paraître normal, scrutant les tombes alentour. « Vous êtes perdu ? » demande soudainement une voix juste à mes côtés. Je sursaute et découvre un visage arborant un petit sourire satisfait. Mon ami m’avait mis en garde contre les gardiens du cimetière. L’une de leurs tâches est de protéger les sépultures contre de possibles voleurs. De grandes quantités d’or ont prétendument été enterrées avec les parrains. Pris au dépourvu, je réponds « chercher la tombe de parents ». À ma grande surprise et à mon grand soulagement, ma réponse satisfait la requête du gardien. Il se retourne et s’en va.

Réconforté, je marche en direction de la sortie où m’attend déjà un autre gardien. Il n’a pas le sourire aux lèvres. Sa joue gauche est enflée. Un large chapeau de fourrure est fermement enfoncé sur sa tête menaçante. Il n’y va pas par quatre chemins : « Pourquoi preniez-vous des photos de cette tombe ? ». Sans ressource, je lui réponds « juste comme ça ». Cela ne le satisfait pas du tout. « Hé mes frères, venez par ici, nous avons un invité ». Il apostrophe un groupe de jeunes hommes qui se tiennent debout entre deux remises en métal près du portail d’entrée. En un instant, je suis encerclé. Des yeux sans émotion m’observent de haut. Tous les gaillards portent le même large chapeau en fourrure. L’un d’eux semble être le leader du groupe. Il s’avance et se plante devant moi en commençant l’interrogatoire : « Que faites-vous ici ? Pourquoi prenez-vous des photos ? D’où venez-vous ? Où vivez-vous ? » Je suis pris par surprise ; mes explications sont plus que pathétiques. Pourtant, ma naïveté étudiée semble avoir des effets désarmants. La voix inquisitrice de mon interlocuteur baisse d’un ton et me demande mon adresse en ville. Je montre ma carte d’hôtel. Il l’ausculte assidûment en mémorisant mon nom et mon numéro de chambre. « Combien de temps encore resterez-vous en ville ? ». Même si je prévoyais de quitter la ville le lendemain, je lui mens : « Au moins une semaine ». Ma réponse semble le satisfaire. Il réfléchit un moment, hoche de la tête sans vraiment me regarder, et finit par me rendre la carte. Le cercle des chapeaux de fourrure se disloque. Je m’éclipse. Reprenant mon souffle, j’entends le leader demander à l’un de ses hommes ce que je photographiais exactement. Sans attendre de connaître la réponse, je me hâte vers le taxi qui m’attend, me glisse sur un siège et ferme la portière. Le moteur gronde et la Volga noire soulève un nuage de neige en démarrant. Nous rentrons en ville en silence. Il neige toujours lourdement.

Brève histoire du crime organisé en Russie

« Vory v zakone »

En Russie, l’histoire du monde souterrain est longue et facétieuse. Dans cette histoire, la figure du vor v zakone, ou « bandit professant le code », est centrale. L’origine des grands bandits et de leur code professionnel remonte au moins au début des années 1930. À cette époque, les purges de Staline remplissent les nombreux camps de travail de l’Union Soviétique avec un flot sans fin de prisonniers politiques et de prisonniers de droit commun, créant un monde en soi, coupé et tenu à l’écart du reste de la société soviétique. Des structures informelles et des hiérarchies se répandent rapidement au sein de cet univers carcéral.

La Fraternité criminelle des « bandits professant le code » était incontournable alors que les structures sociales se formaient à l’intérieur du système pénal soviétique. L’organisation des bandits était basée sur l’idée de fraternité ; elle possédait sa propre cohésion interne et son propre code éthique. Au sommet de la hiérarchie sociale en vigueur dans les prisons, les vory constituaient une aristocratie criminelle qui avait le commandement suprême dans chaque camp. Ceux-ci se comportaient comme des organisateurs d’activités criminelles, comme des arbitres lors des conflits entre individus ou groupes d’individus, et représentaient l’institution judiciaire informelle ultime à l’intérieur des murs de la prison. Pur produit du système pénal soviétique, la société des vory v zakone était contenue derrière les barbelés des camps de prisonniers. Cependant, les grands bandits parvinrent à organiser un réseau d’aide mutuelle en dehors des camps pour leurs frères nouvellement libérés. Ce système d’entraide fournissait aussi une aide financière aux proches des vory faits prisonniers. Ces réseaux étaient en même temps une plate-forme pour le recrutement de nouveaux membres et un support indispensable pour l’organisation d’activités criminelles hors des camps. Une « caisse commune » (obshchaia kassa ou obshchak), constituée par les profits réunis des membres individuels, fournissait les indispensables fonds de soutien et permettait de soudoyer des officiels à l’intérieur et à l’extérieur des camps. Un éthos fortement anti-étatique, interdisant toute forme de coopération et de travail avec l’État, de même que l’autorité morale conférée à d’éminents vory v zakone, faisaient de cette Fraternité une structure criminelle particulière durant la période soviétique, contrastant fortement avec d’autres formes de crime organisé (cf. Volkov, 2002 : 58-60).

Mafia soviétique

Parallèlement aux vory v zakone et diamétralement opposé à leur ethos anti-étatique, un tout autre ensemble d’activités criminelles — basé sur le détournement mafieux d’allocations étatiques — florissait en Union Soviétique. Selon la terminologie soviétique, le terme mafia référait essentiellement à une « corruption liée à une occupation spécifique » (la mafia de la pêche, des fruits, des légumes, de l’hôtellerie, des transports, etc.) qui détournait les biens de certains secteurs de l’industrie vers le marché noir (Naylor, 2002 : 38). Les manques en biens de consommation fournissaient de nombreuses opportunités d’activités illégales, surtout au début des années 1970 lorsque l’économie centralisée de l’URSS était de plus en plus incapable de satisfaire la demande croissante de tels biens au sein de la population. Un pouvoir bureaucratique excessif et un marché noir florissant favorisèrent la croissance de ces structures informelles. Pots-de-vin et corruption à large échelle étaient endémiques au sein du système bureaucratique soviétique. Une étroite coopération entre entrepreneurs du marché noir et officiels du Parti garantissait une immunité partielle face aux actions policières de l’État (Grossman, 1977 : 32). Cette coopération entre acteurs de l’économie de l’ombre et officiels marqua un tournant important dans le champ des activités criminelles en URSS. La séparation entre l’État et le monde criminel, exemplifiée par l’ethos anti-étatique de la Fraternité des Bandits, devint de plus en plus floue.

Les sportifs

La phase de transition économique en Russie post-soviétique, caractérisée par l’apparition de nombreux marchés de rue et de petits business privés, créa une configuration idéale pour une nouvelle classe de criminels prédateurs. Des milliers de petits groupes de racket constitués au début des années 1990 commencèrent à extorquer de l’argent à des entrepreneurs privés en échange de leur protection. Les membres de ces gangs étaient jeunes et la plupart d’entre eux avaient une expérience des arts martiaux ou du bodybuilding. Ils s’organisaient et se regroupaient par quartiers ou districts de ville. Les clubs de sport et les centres de fitness d’anciennes entreprises d’État faisaient de parfaites bases de recrutement. Ces racketteurs des rues étaient appelés bandity (« bandits, malfrats »), sportsmeny (« sportifs ») ou encore kachki (« pousseurs de fonte ») en référence à leur force physique et à leurs habits ostensiblement usés. Au début des années 1990, les « sportifs » devinrent un trait caractéristique de quasiment tous les marchés de rue en Russie. De la même manière que les agences de protection officielles, ces “nouveaux bandits” avaient de multiples fonctions dans l’économie de marché émergente. Comme l’a noté le sociologue russe Vadim Volkov, « ils intimidaient, protégeaient, rassemblaient des informations, apaisaient les disputes, donnaient des garanties, forçaient les contrats et prélevaient des impôts » (Volkov, 2000 : 709).

Le terme général désignant les services de protection est krysha (« toit »). Ce « toit » fait référence au paquet de services offerts à un client pour le protéger physiquement et minimiser les risques de son business. Pour les besoins de protection “spéciale” et l’exécution d’activités illégales, telles que l’effacement de mauvaises dettes, l’obtention de paiements différés ou l’apport de “muscles” contre des groupes ennemis, un « toit de bandit » (banditskaia krysha) est impérativement requis [4]. D’un autre côté, les officiers de police et employés des agences de sécurité étatiques offrent leur propres « toits » pour la protection contre les gangs criminels. Impliquées de manière croissante dans le marché florissant du risk management, les agences de protection privées et les agences de protection étatiques offrent une variété de « technologies hybrides » pour minimiser les dangers du business (Yurchak, 2002 : 302). Aussi, la frontière entre les arrangements de protection légaux et illégaux est devenue de plus en plus floue durant les dernières années.

La mort dans une société de gangs

Cimetière maritime

Le milieu des années 1990 fut une période de turbulences en Russie. Les redistributions à large échelle des biens de l’État s’accompagnèrent de violentes confrontations entre gangs criminels rivaux qui s’affrontaient pour gagner de l’influence au sein de l’économie de marché émergente. Les échanges de tirs meurtriers entre différents groupes de crime organisé et les meurtres sur contrat étaient des événements récurrents durant cette période. Ces violentes confrontations entre différents groupes et acteurs de l’économie russe se produisirent dans un environnement en transformation où la compétition pour la propriété était rude et les ressources limitées [5].

Komsomolsk-sur-l’Amour n’est pas la seule ville de l’Extrême-Orient russe à posséder un cimetière où se trouvent les tombes ostentatoires de criminels célèbres. Vladivostok, la capitale de la Région administrative de Primorskii possède également un tel cimetière. Situé sur la crête d’une colline pentue dominant le port de la ville, le morskoi kladbishche (« cimetière maritime ») de Vladivostok s’étend sur une large parcelle parsemée de bouleaux et est devenu ces dernières années le lieu de repos d’une génération entière de figures du monde souterrain. Tous ces individus, victimes pour la plupart de confrontations entre gangs rivaux, sont représentés par des photographies réalistes gravées dans des pierres tombales noires et lisses, et dévoilant des hommes dans leur plus bel âge et leurs plus beaux vêtements (illustrations 6, 7, 8).

Au milieu des années 1990, Vladivostok a acquis la réputation de capitale du crime en Extrême-Orient russe. Les funérailles ostentatoires et les tombes monumentales des grands criminels renforcèrent substantiellement ce statut. Comme d’autres villes importantes de Russie, Vladivostok a été le théâtre durant cette période de violents conflits entre factions criminelles rivales. Les territoires et les industries bénéficiaires étaient limités dans le Vladivostok post-soviétique. La mainmise sur le racket de protection, sur l’importation de voitures d’occasion, sur les compagnies de fret maritime et de pêche était fortement convoitée (et contestée), et cette situation finit par limiter les ressources de l’économie souterraine. Des affrontements violents éclatèrent entre groupes criminels pour s’approprier ces ressources, avec des conséquences mortelles. Plusieurs figures centrales de l’univers criminel de la ville furent tuées durant cette période, certaines ouvertement devant des hôtels ou des restaurants. Cette série de meurtres sur contrat de haut niveau intervint à Vladivostok dès 1995 et connut un pic en 1997 et 1998 (annexe 1). Au milieu des années 1990, le taux de meurtres en Russie était l’un des plus élevés au monde [6]. Bien que la violence liée aux gangs soit quelque peu retombée depuis, de récents meurtres sur contrat de journalistes et de banquiers de haut rang en Russie révèlent que le problème persiste encore largement [7]. Le nombre exact de meurtres sur contrat en Russie est difficile à estimer, en partie parce que de tels meurtres n’étaient pas distingués d’autres formes d’homicide dans les statistiques officielles du crime [8]. Nombreuses sont ici les statistiques officielles qui varient considérablement selon les sources. En 1998, des experts ont estimé que le nombre de meurtres sur contrat dans la Fédération de Russie était compris entre 500 et 600. La même année, vingt meurtres sur contrat étaient enregistrés dans la seule Région de Primorskii (Nomokov, 2003 : 1).

Selon les informations fournies par les institutions légales de la Région de Primorskii, près de cinquante pour cent des victimes ont été tuées d’une balle dans la tête tirée à distance rapprochée, l’arme à feu étant la plupart du temps un pistolet militaire de type Makarov. Les patterns spatiaux des meurtres sur contrat sont aussi révélateurs : la plupart de ces assassinats ont lieu près de (ou dans) l’appartement de la victime. Les cages d’escalier et les entrées des appartements de style soviétique deviennent alors des espaces mortels en pleine nuit : trente pour cent des contrats en Extrême-Orient russe sont exécutés entre 22h00 et 24h00 (Nomokonov et Shulga, 1998 : 678). Enfin, le nombre croissant de businessmen tués indique un tournant : les cibles ne sont plus seulement des criminels mais des entrepreneurs. En 1997, trente-sept pour cent des victimes de contrats dans la Région de Primorskii étaient des hommes d’affaires. Ce taux s’élevait à quatre-vingt-dix pour cent en 2002 (cf. Nomokov, 2005).

Une iconographie du crime

Les anthropologues menant des recherches dans le champ des transformations post-soviétiques ont fréquemment rencontré le thème du crime organisé, non seulement en tant que forme de violence mais aussi en tant qu’élément d’un discours public portant sur une société et une économie en rapide mutation [9]. En 1996 déjà, Katherine Verdery a attiré notre attention sur le fait que le grand banditisme en ex-URSS est un phénomène à la fois réel (« la vraie mafia ») et symbolique (« la mafia conceptuelle »). Selon cette auteure, l’aspect symbolique est constitutif d’un discours public visant à comprendre les nouvelles insécurités qui accompagnent en Russie la transition vers une économie de marché (Verdery, 1996 : 219). En parallèle à la réalité matérielle du crime organisé — violences, deals véreux, réseaux invisibles — une forme particulière de production culturelle est ici en marche, laquelle charge symboliquement une réalité normalement cachée de la vie publique. Ainsi, le grand banditisme ne devient pas seulement un symbole des forces invisibles de l’économie de marché, mais les autorités du monde criminel acquièrent elles-mêmes un statut symbolique hors norme. Nancy Ries décrit ce discours en Russie post-soviétique comme étant composé d’histoires qui « décrivent de “vrais bandits” mais qui les font briller avec un vernis symbolique de générosité, d’obligeance et de subtilité, et qui relaie le sentiment de crainte (pas complètement désapprobateur) avec lequel la population considère les rituels de la mafia » (Ries, 2002 : 307).

Mythologie

La recherche anthropologique et sociologique sur le crime organisé en Russie post-soviétique a mis l’accent avant tout sur les dimensions économiques et entrepreneuriales de ce phénomène. Malgré l’importance et la valeur explicative de telles approches théoriques, je me concentre pour ma part sur les aspects mythologiques du crime organisé en Russie contemporaine. Durant ma recherche, des points de vue variés ont émergé au regard de la nature du crime organisé en Extrême-Orient russe. Ces perspectives parfois contradictoires soulignent l’hétérogénéité du crime organisé et représentent autant d’évaluations particulières de ses structures [10]. Le crime organisé est un objet difficilement saisissable. En plus des rumeurs et des anecdotes qui constituent une sorte de zone grise épistémologique, les perspectives émiques et étiques s’entrechoquent lorsqu’il s’agit d’évaluer des conduites illégales. Je soutiens que la formulation d’affirmations contradictoires fait partie d’un discours plus large qui cherche à exposer une variété de perspectives sur la nature du crime organisé.

Le point de vue d’une femme qui connaissait bien Dzhem et que j’ai interviewée durant ma recherche illustre bien l’existence de représentations conflictuelles. En contradiction avec l’image populaire d’un prédateur et d’un bandit violent, cette interlocutrice décrit sa relation avec Dzhem comme chaleureuse et bénéfique :

« Durant l’été nous sommes parfois allés sur une île située sur la rivière. Les gens l’appellent “l’île du bandit” (vorovskoi ostrov). C’était l’île de Dzhem, là où il invitait des personnes proches de lui ; c’était comme une retraite pour les vory. Nous avons toujours passé de si bons moments là-bas, à plaisanter, à s’asseoir autour du feu, à bien manger. [Dzhem] était une personne très gentille. Il aimait les enfants, les faisait monter à cheval, les laissait cavaler. Quand mon fils avait six ans, il le fit s’entraîner à la lutte contre un de ses cousins éloignés. Mon fils se souvient encore de ce jour où il a “gagné” son premier combat [...]. Je suis heureuse que le fils de mon frère ait trouvé du travail chez les Bandits. Les familles qui sont proches d’eux sont toujours prospères : leurs membres ont de bons jobs, il y a toujours assez de nourriture sur la table, et ils vivent en sécurité ».

L’aspect sécuritaire est central dans cette affirmation. Le parrain y apparaît comme un garant de la stabilité à une époque de chaos social et d’insécurité économique ; et pas seulement au sein de son cercle rapproché :

« Quand Dzhem dirigeait Komsomolsk, la ville était sûre. De nuit, je pouvais marcher dans la rue en portant mes bijoux sans que rien ne m’arrive. Lorsque Dzhem était là, nous n’avions aucun drogué dans les rues, la ville était complètement sûre » (une femme participant aux funérailles de Dzhem).

Dépeint comme un protecteur et un bienfaiteur, Dzhem est perçu comme un garant de l’ordre social à une époque sans loi. Sergei Diupin, journaliste au journal Kommersant, a noté des impressions similaires en interviewant des membres de l’organisation de Dzhem durant la cérémonie de bienvenue organisée avant ses funérailles à l’hôtel Voskhod de Komsomolsk-sur-l’Amour :

« Grâce à Petrovitch (Vasin), le chaos (bespredel’) ne s’est pas installé en ville... C’est une ville de [grands] bandits (vorovskii), pas une ville de [petits] criminels... S’ils volent votre porte-monnaie dans votre poche, c’est normal, vous ne pouvez rien dire contre ça. Mais s’ils vous frappent avec une batte de baseball et volent votre chapeau en fourrure, c’est déjà le chaos. Ces choses se passaient dans notre ville. Quand Petrovitch a pris les commandes, nous avons attrapé tout ce mauvais gibier. Jusqu’à aujourd’hui, tout était calme. Tu pouvais marcher ivre et en chaussettes à travers toute la ville en pleine nuit, avec une chaîne en or autour du cou, ton porte-monnaie à la main, et personne ne t’aurait touché. » (cité dans Diupin, 2001).

Il est difficile d’évaluer la validité de ces commentaires et d’estimer leur bien-fondé à la lumière de la réalité criminelle de Komsomolsk-sur-l’Amour. La vision d’une ville en paix sous la gouverne bienveillante de la Fraternité des Bandits pourrait se laisser analyser comme une stratégie d’autolégitimation et ne pas nécessairement refléter la réalité du crime dans cette ville. Malgré tout, ces remarques représentent un point de vue émique sur la réalité sociale des réseaux criminels et font allusion à la multivocalité des discours sur le crime organisé en Russie contemporaine. Nancy Ries a relevé des affirmations contradictoires de même nature sur le rôle ambivalent de la mafia en dans ce pays, tantôt vue comme une menace destructrice pour la justice et l’ordre, tantôt comme une source d’ordre et de justice [11]. La production de discours populaires sur le crime organisé sous-tend donc un ensemble de représentations morales sur le chaos et l’ordre. Non pas tant sur l’ordre supposé garanti par le pouvoir étatique, mais plutôt sur le chaos que l’État semble incapable de contrôler. Dans ce contexte, les puissants groupes du crime organisé apparaissent aux yeux de certains comme les seuls garants de la stabilité et de l’ordre, comme une institution capable de remplir les fonctions de régulation et de contrôle apparemment perdues par l’État. La dimension mythologique qui entoure les parrains et les autres leaders de gangs criminels se prolonge dans la matérialité des funérailles et des pratiques mortuaires qui font suite à leurs décès. Dans les récits évoqués ici, le “vernis symbolique” des histoires de gangsters se reflète dans les gravures commémoratives qui ornent les pierres tombales reluisantes des parrains du crime.

Pierres tombales

Retrouvons le cimetière maritime de Vladivostok et observons de plus près ces gravures. Que nous révèle une lecture iconographique de ces pierres tombales ? En premier lieu, il est évident que ces sépultures, de par leur taille et leur style peu communs, se distinguent considérablement des centaines d’autres aux alentours. L’arrangement des tombes russes est généralement assez simple : une petite barrière entoure une petite pierre, une croix orthodoxe ou une longue tige métallique surmontée de l’étoile communiste. Les images photographiques, la plupart du temps imprimées sur des petits supports en porcelaine, sont devenues un élément classique de ces arrangements depuis le début de l’ère soviétique. De leur côté, les immenses pierres tombales et les estampes photographiques de taille réelle du cimetière de Vladivostok contrastent fortement avec cette tradition : la représentation photographique du défunt est ici transférée sur une pierre d’une demi-tonne ! L’opération est réalisée soit manuellement, soit à l’aide d’un micro-marteau ou d’un graveur laser assisté par ordinateur. Il va sans dire que cette technique élaborée a un prix : le coût d’une pierre tombale gravée de grande taille peut atteindre 50’000 USD.

Malgré leur caractère individuel, les pierres tombales géantes dévoilent aussi des similarités iconographiques. La plupart des individus dépeints dans le cimetière de Vladivostok apparaissent dans de beaux habits, certains en costume d’affaire, d’autres en tenue plus décontractée. Pourtant, leur stature professionnelle conserve une aura de tranquillité, exprimée par une main délicatement posée sur la hanche ou nonchalamment glissée dans une poche (illustrations 9, 10, 11, 12). Les pierres commémoratives dépeignent des individus puissants, des professionnels dans l’univers gris de l’économie post-soviétique qui auraient connu le succès si la mort ne les avait pas rattrapés soudainement. Le succès et la vigueur sont clairement exprimés dans ces images mortuaires, et ces deux traits se retrouvent aussi dans l’architecture élaborée des sites funèbres dédiés aux grands bandits (illustrations 13, 14). Les yeux des vory observent les visiteurs depuis le haut des tombeaux. Le réalisme de la commémoration photographique transforme la mort violente en une représentation de la richesse matérielle et de la jeunesse vigoureuse (Cameron, 2002 : 9).

L’Extrême-Orient russe n’est pas la seule région de Russie possédant des tombeaux élaborés à l’intention de grands criminels récemment tués. De tels ensembles constituent désormais un élément caractéristique d’autres cimetières du pays. Le cimetière Uralmash de Ekaterinbourg dans l’Oural est l’un des plus grands et des plus importants de ces sites [12]. En 1992-93, Ekaterinbourg fut le théâtre d’intenses et violentes confrontations entre organisations criminelles rivales qui occasionnèrent la mort d’une douzaine de membres de la pègre de haut rang [13]. Leurs tombes sophistiquées présentent les mêmes photogravures réalistes qu’à Vladivostok et à Komsomolsk-sur-l’Amour. Dans une analyse des représentations photographiques d’anciens grands bandits à Ekaterinbourg, Olga Matich remarque dans celles-ci une inversion par rapport à la tradition russe orthodoxe standard qui privilégie une grande croix et un petit portrait du défunt (Matich, 1998 : 91). Au lieu de mettre l’accent sur les valeurs immatérielles et religieuses, l’iconographie des pierres tombales surdimensionnées accentue le succès matériel et la vigueur économique.

Les tombes "spéciales" du cimetière de Vladivostok incorporent à des degrés variables symboles séculiers et religieux. Certaines, comme celles de Koval (illustrations 15, 16) ou de Babakekhian (illustration 17) sont plus profanes, et mettent surtout en lumière le portrait du défunt au détriment des symboles sacrés. D’autres, comme celle de Baul (illustrations 18, 19), évitent les portraits ostentatoires et mettent l’accent sur la croix orthodoxe et l’effigie de Marie. Cependant, la majorité des tombeaux de grands bandits incorporent les motifs religieux sous forme de croix orthodoxe et les motifs séculiers sous forme de photogravures.

La conception fastueuse de ces ensembles mortuaires n’est pas le seul élément à nous dire quelque chose sur leur caractère “non-ordinaire”. Leur localisation générale dans le cimetière est également révélatrice. À Vladivostok par exemple, la rangée des tombes et des pierres tombales géantes s’étend le long de la route principale qui traverse le cimetière. La prééminence de cette localisation est encore accrue par la proximité d’un monument à la mémoire d’un équipage de sous-marin disparu (illustration 20).

Les corps des grands bandits morts en Russie post-soviétique acquièrent un statut de perfection, attirant et suscitant l’attention particulière des vivants. Durant un temps, il était même à la mode de les faire préparer par les embaumeurs spécialisés qui “réparèrent” plusieurs fois le corps momifié de Lénine durant la période soviétique. Ilya Zarbinski, l’un de ces embaumeurs, fait référence à ce travail sur les dépouilles de bandits comme le “re-conditionnement” de leurs corps en vue de leurs funérailles (Hutchinson et Zbarsky, 1999 : 194-196). Ces techniques de restauration, de même que les immenses estampes gravées sur les pierres tombales, visent à représenter les défunts aux yeux des vivants de manière irréprochable, gommant la violence de leur profession passée. Sous la forme d’une résurrection photographique, le corps est en même temps nettoyé de son violent passé et élevé au rang de la mythologie moderne du grand banditisme (Matich, 1998 : 96). Le vernis iconographique recouvre la violence sans amoindrir le succès professionnel de la victime.

Funérailles

Durant la période post-soviétique, quelques figures du crime organisé sont sorties de l’ombre pour devenir publiques, ce qui transparaît clairement au moment de leur mort. Les funérailles de chefs criminels bien connus en Russie ont parfois attiré plusieurs milliers de spectateurs. Elles constituent des rituels publics où les citoyens ordinaires peuvent observer les nouvelles richesses et participer sans dommage à une nouvelle mythologie, laquelle est en même temps mortellement réelle. Les processions funéraires — historiquement réservées aux dirigeants en Russie soviétique et censées glorifier le programme politique de l’État — se sont muées en « nouveaux spectacles ritualistes » (Ries, 2002 : 309).

Les funérailles de Dzhem à Komsomolsk-sur-l’Amour ont constitué un événement de portée nationale qui a attiré des visiteurs en provenance de toute la Russie. Ce qui reste de la mort de Dzhem est une tombe ostentatoire dans le cimetière local, la mémoire de ses funérailles somptueuses et le souvenir d’un temps meilleur :

« Aucun président n’est enterré comme ça. Ils sont venus de toute la Russie. Depuis l’entrée du cimetière, la rangée de voitures et de 4x4 s’étendait sur plus de cinq kilomètres. Des hélicoptères envoyés par les principales chaînes de télévision tournaient dans le ciel. Tous les visiteurs ont été bien nourris et tout a été fait de manière civilisée. [...] Avec Dzhem, Komsomolsk était une ville sûre. » (une femme participant aux funérailles).

Les funérailles de Baul à Vladivostok ont attiré une foule similaire. Le théâtre Gorki (i.e. le théâtre de la ville), où le corps était exposé, fut au centre d’une procession funéraire somptueuse qui attira plusieurs milliers d’hôtes ainsi que de nombreuses BMW noires, et qui entraîna la fermeture temporaire de la Rue Svetlanskaia, l’artère centrale de Vladivostok (Shul’ga et al., 2001). Le corps de Baul fut mis à reposer dans un tombeau bien visible du cimetière maritime de Vladivostok, près du mémorial du sous-marin évoqué plus haut.

Les funérailles ne nous disent pas seulement quelque chose sur le défunt. Elles nous révèlent aussi quelque chose sur les vivants. Les funérailles (et la tombe) peuvent être la destination d’un pèlerinage, une manière d’honorer et de vénérer le mort. Mais elles peuvent également devenir une scène sociale et politique où s’élaborent la succession et l’héritage du défunt. Comme les meurtres sur contrat, les enterrements de grands chefs criminels fluctuent entre les dimensions symbolique et pragmatique. D’un point de vue anthropologique, de tels événements offrent un point de vue privilégié sur un réseau social normalement caché [1999) fait (…)" id="nh2-14">14]. En avril 1994 par exemple, les funérailles du bandit géorgien Otari Kvantrishvili (Otarik) à Moscou ont attiré un éventail d’invités (personnalités du spectacle, membres du gouvernement, officiers de loi, athlètes de haut niveau, etc.) illustrant l’importance d’Otarik en tant que médiateur social capable de jeter un pont entre sphère souterraine et sphère légitime (Razinkin et Serio, 1995 : 87). De manière similaire, les obsèques de Baul ont attiré une large variété de citoyens importants de Vladivostok. Le gouverneur régnant de la Région a notamment été aperçu sur une vidéo côtoyant les intimes de Baul, près de son cercueil, poussant ainsi les journalistes à spéculer sur ses relations professionnelles avec le chef criminel défunt (cf. Korolkov, 2001  ; Luk’ianova, 2001) (illustrations 21, 22).


Conclusion

Les pratiques funéraires reflètent toujours les réalités politiques et sociales de leur époque. Les changements affectant ces pratiques dévoilent des bouleversements profonds au sein d’une culture. Les cimetières deviennent ainsi des lieux privilégiés pour observer les reflets matériels du changement culturel.

Donner du sens aux processions funéraires et aux pratiques post-mortem est une vieille tradition en Russie. Les analystes politiques qui ont tenté de comprendre les structures cachées du pouvoir ont généralement observé de près les obsèques d’État en Union Soviétique et l’ordre de préséance parmi les invités (Hutchinson et Zbarsky, 1999 : 17). Les funérailles de Lénine, et particulièrement l’absence remarquée de Trotski durant celles-ci, avaient déjà constitué un signe annonciateur de la montée en puissance de Staline. De même, le déplacement du corps de Staline hors du Mausolée en 1961 et son enterrement au pied du mur du Kremlin constituèrent aussi un signal clair de changement politique durant les années Khrouchtchev.

La période post-soviétique a été — et est toujours partiellement — une période de politisation intensive des dépouilles funèbres. La discussion hautement controversée sur le ré-enterrement possible du corps de Lénine en est un bon exemple. Dans son examen des « vies politiques des corps morts », Katherine Verdery a suggéré une approche alternative pour comprendre les idéologies et les stratégies politiques nationalistes post-soviétiques :

« Je considère les corps morts comme l’un des nombreux véhicules grâce auxquels les membres des sociétés post-socialistes reconfigurent leurs univers de sens à la suite de ce que je considère (et, je l’assume, de ce qu’ils considèrent) comme un changement profondément désorientant au sein de leur environnement » (Verdery, 1999 : 50).

De la même manière, les tombes et les funérailles colossales des grands bandits font partie d’un discours plus large sur le crime organisé. Leur analyse autorise à une autre vision d’une société en changement rapide. La tradition d’études sociologiques et anthropologiques sur le crime organisé offre plusieurs modèles pour expliquer l’émergence de pouvoirs alternatifs défiant l’État. Le modèle politique voit les structures du crime organisé comme un corollaire de la faillite de l’État et les mafiosi comme des négociateurs influents, tandis que le modèle économique conçoit le crime organisé comme un business (celui de la protection privée) qui s’emploie à transformer une violence potentielle en une commodité à valeur marchande. Je ne conçois pas ces diverses approches comme étant mutuellement exclusives et soutiens plutôt que chacune d’elles s’attache à décrire des aspects particuliers du crime organisé. Les recherches récentes ont mis à l’épreuve le paradigme économique qui caractérise les études sur le crime organisé, plaidant pour une vue pluraliste de la mafia et des fonctions. Pour ma part, je suis l’approche de Letizia Paoli qui considère les organisations mafieuses du sud de l’Italie comme « des entités multifonctionnelles » ayant une pluralité d’objectifs (Paoli, 2003 : 174).

Les réseaux du crime à Vladivostok et en Extrême-Orient russe illustrent cette multiplicité de fonctions que les groupes criminels organisés peuvent remplir, tant dans une perspective historique que dans le contexte contemporain. À cet égard, les organisations de type mafieux en Russie peuvent se comprendre comme des réseaux multifonctionnels, violents et informels qui se développent au sein d’une alliance sans cesse renouvelée avec l’État (notamment au travers des arrangements de protection auxquels l’État participe de manière dynamique). Selon Ries, le crime organisé en Russie se caractérise le mieux comme un réseau interpénétrant susceptible de relier entre elles différentes sphères sociales et économiques — celles des criminels, de l’État, du pouvoir politique, ou encore du business privé [15]. Janie Wedel a affiné cet argument et reconnaît parfaitement l’habileté de ces réseaux à « opérer dans, influencer et brouiller différentes sphères » en raison de leur succès et de leur prédominance en Europe de l’Est après l’éclatement de l’Union Soviétique (Wedel, 2003 : 233). Cette observation est importante pour comprendre le rôle des funérailles et des tombeaux de parrains en Russie contemporaine. Héritage symbolique d’une vie de grand bandit, les pierres tombales prolongent ce travail de reproduction floutée en brouillant la ligne de démarcation entre une personne réelle et sa représentation mythologique post-mortem. Dotées de leur iconographie spécifique, les pierres tombales constituent des marqueurs visibles entre le monde des vivants et le monde des morts, et font ainsi s’enchevêtrer la mythologie de la bienveillance mafieuse avec la réalité brutale du crime organisé. En ce sens, les monuments funéraires dédiés aux grands bandits imprègnent jusque dans la pierre la mythologie qui entoure les parrains durant leur vie active. Ces tombeaux représentent un point de vue particulier sur le crime organisé qui apparaît gravé dans le marbre et qui s’exprime en actes lors des funérailles. Les personnalités criminelles qui étaient entourés par une aura de bienveillance et d’éminence durant leur vie le sont également après leur mort. Des funérailles de chef d’État et une image de protecteur de Komsomolsk-sur-l’Amour ont ainsi élevé Dzhem au rang de héros mythologique post-soviétique, un royaume où la main protectrice des parrains cache le poing invisible du crime organisé.

Le crime organisé se manifeste donc à différents niveaux et sous différents aspects : dans une forme très réelle d’abord, correspondant à une pratique de prédation violente, avec des conséquences mortelles occasionnelles ; en tant que discours culturel ensuite, visant à expliquer les réalités sociales cachées. Ainsi, ce phénomène peut être à la fois réel et symbolique. Les tombeaux élaborés d’anciens grands bandits se situent à l’intersection de la mafia réelle et de la mafia conceptuelle, à mi-chemin entre la réalité de la violence des gangs et de l’image populaire du mafioso russe. Située au croisement de ces deux dimensions, mon analyse visait à jeter un regard sur l’une et l’autre. Les tombes et les funérailles dévoilent des zones où se rencontrent les réalités du banditisme et les conceptions que les Russes s’en font. Elles représentent des espaces privilégiés de production culturelle à l’ombre du crime organisé. Sous leur forme idéalisée, ces images de chefs criminels transcendent la réalité crue de la mort violente et élèvent les protagonistes du crime au rang de héros mythologiques modernes.

add_to_photos Notes

[1Cette citation est issue de la chanson Language of Violence parue en 1991 sur l’album Hypocrisy is the Greatest Luxury (Island) de Michael Franti, chanteur du groupe hip-hop Disposable Heroes of Hiphoprisy.

[2La traduction mot à mot signifie « bandit-en-loi ». Je suis néanmoins Joseph Serio et Vyacheslav Razinkin en choisissant une traduction plus littéraire — « bandit professant le code » — qui rend mieux compte de l’adhésion particulière à un code de conduite particulier (cf. Razinkin et Serio, 1995).

[3En russe, la forme vory (« bandits ») correspond au pluriel de vor (« bandit »).

[4Par contraste, un krasnaia krysha (« toit rouge ») correspond à un arrangement de protection obtenu par l’entremise d’agences de sécurité étatiques.

[5Vadim Volkov considère ces violentes confrontations entre gangs comme des « compétitions d’élimination » ayant culminé en 1994 et ayant conduit à la formation d’un petit groupe de groupes criminels contrôlant un nombre sans cesse croissant de biens (cf. Volkov, 2002 : 74-79). Vitalii Nomokonov, professeur de droit à l’Université de Vladivostok et directeur dans cette même ville du Centre d’Études sur le Crime Organisé et la Corruption, soutient que les pics des meurtres sur contrat en Extrême-Orient russe coïncidaient avec des périodes d’actives redistributions des biens (cf. Nomokonov, 2003 : 3).

[6En Russie, ce taux était de 30 pour 100’000 en 1995. En comparaison, l’indice était de 80 en Colombie durant la même période, de 19 au Brésil, de 8.6 aux USA et de 1.0 au Royaume Uni (cf. Federico Varese, 2001 : 19-21).

[7Parmi les personnages ayant été assassinés sur contrat ces dernières années en Russie figurent notamment : la journaliste de la Novaya Gazeta Anna Politovskaia en octobre 2006, le senior de la Banque Centrale Andrei Kozlov en septembre 2006, le journaliste du magazine Forbes Paul Khlebnikov en juillet 2004.

[8C’est seulement récemment qu’une définition du meurtre sur contrat a été ajoutée au nouveau Code Criminel de la Fédération de Russie (paragraphe 3, article 105) (cf. Nomokonov et Shul’ga, 1998 : 676).

[9Nancy Ries (2002) et Caroline Humphrey (1999) ont toutes deux démontré de manière convaincante dans leurs travaux l’existence d’un certain nombre de mafias conceptuelles et réelles en Russie contemporaine.

[10Ces vues divergentes se reflètent aussi dans les débats théoriques. Thomas Hauschild, par exemple, a retracé des opinions différentes sur la mafia italienne dans la littérature sociologique et anthropologique. Il distingue deux perspectives opposées : (1) la mafia considérée comme un membre constructif de la société, une structure populaire de médiateurs et de patrons attentionnés au service des gens communs ; ou (2) la mafia considérée comme un réseau criminel d’entrepreneurs violents et de prédateurs, sapant la société (Hauschild, 2006).

[11Les informateurs de Ries dépeignent par moment la mafia comme une institution honnête et respectable, urgemment nécessaire dans l’environnement économique hostile de la Russie post-soviétique (Ries, 2002 : 278).

[12Pour des images et une description de ce cimetière, cf. Hutchinson, 1997.

[13Le gang Uralmashievskaia (du nom d’une grande usine d’automobiles), le gang Tsentralnaia (« central ») et un groupe de sinie (les « bleus », des criminels tatoués ayant à leur actif une longue expérience de la prison) ont combattu de manière sanglante pour gagner de l’influence au sein de l’économie souterraine régionale (cf. Volkov 2002 : 116-122).

[14Jeffrey McIllwain (1999) fait une belle démonstration de cette approche dans son étude des funérailles de « Big Jim » Colosimo à Chicago en 1920.

[15Sur ce point, Ries suit l’argument de Verdery sur « les liens horizontaux invisibles » qui sont intrinsèques à l’économie de marché, mais qui sont aussi fréquemment assimilés au crime organisé en contexte post-soviétique et ainsi moralement douteux (Ries, 2002 : 307).

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Pour citer cet article :

Tobias Holzlehner, 2007. « Le paradis des grands bandits : la culture de la mort violente en Extrême-Orient russe ». ethnographiques.org, Numéro 13 - juin 2007 [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2007/Holzlehner - consulté le 19.04.2024)
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