Introduction
La recherche présentée ici repose sur l’observation dans la longue durée d’un groupe de paysans mossi qui ont littéralement inventé le développement au village. Ils avaient vingt ans en 1970 et atteignent aujourd’hui l’âge où, dans ces régions, les aînés commencent à recevoir l’assistance de leurs fils. Dans cette génération, certains ont connu une ascension sociale fulgurante. Ces paysans, aujourd’hui semi-citadinisés, s’ils tirent toujours l’essentiel de leur subsistance de l’agriculture, peuvent désormais compter sur l’appui d’enfants émigrés de part le monde ou sur l’investissement à terme que constitue un jeune aux études.
Ce texte raconte des « bricolages en train de se faire » (Mary, 2000) dans une période où une frange importante de la société rurale mossi passe en une génération de la société coutumière mythique à une forme de la modernité globalisée. C’est le regard porté par ces paysans sur leur brousse qui change complètement : d’un environnement naturel, humanisé çà et là par les pérégrinations des ancêtres et la multitude des esprits, la terre devient désormais un moyen de production. La brousse se vide de ses esprits et des intrigues liées aux ancêtres. À la faveur d’une posture de plus en plus réflexive, la brousse leur apparaît désormais comme un espace sec, dégradé, triste, déboisé, érodé. Dans cet environnement hostile, privé de l’imaginaire qui l’humanisait, le paysan mossi se découvrant pauvre, cherche à s’extraire de sa condition.
Cette « génération du développement » favorise l’adoption par la société entière d’une réforme importante de la culture qui ose déclarer, de l’intérieur, obsolète les anciennes formes de pensées et les rituels coutumiers. Avec eux, la tradition devient comme une vieille peau dont ils veulent se débarrasser. Ainsi cet iman de la mosquée du village de Kulkinka où j’ai résidé plus de trois ans [1], qui fin des années quatre-vingt me déclarait que si c’était pour le développement lui aussi élèverait des porcs... Après des années de migrations dans les plantations de Côte-d’Ivoire, ces jeunes paysans rentrent avec “un ailleurs dans la tête” qu’ils aspireront à mettre en œuvre au village. Le développement renvoie ici à un sens pratique, celui par exemple « d’accumuler pour soi », sans plus craindre les rancoeurs et les jalousies d’autrui ou celui de tenter de s’émanciper de la tutelle des aînés par la recherche personnelle d’un conjoint. Ces jeunes affronteront les pouvoirs locaux dotés qu’ils sont d’une puissance supérieure à celle détenue par les féticheurs, celle de Dieu derrière lequel ils pensent se protéger.
Des élaborations identitaires inédites accompagnent ces changements. La porte d’entrée pour les apprécier sera les types de conversion à l’Église des Assemblées de Dieu du Burkina Faso (AD/BF) (Laurent, 1998a). Je propose de considérer dans un premier temps les conversions relatives à la mise en œuvre d’une rupture radicale avec les anciennes croyances, conversions que j’ai proposé d’appeler celles du « groupe de la sortie du groupe » (Laurent, 1998b) et de traiter ensuite d’un ensemble de conversions qui laissent émerger, en marge de la doctrine officielle, un système de pensée métissée, relative à la prise en charge des doutes et des souffrances des croyants, empêtrés pour certains dans les difficultés de la survie en ville. Aujourd’hui, ces conversions aux pentecôtismes cohabitent dans le même présent, ce qui rend délicate la description synthétique du processus dont il sera toutefois question dans la conclusion.
Les Assemblées de Dieu du Burkina Faso, une Église historique
La mouvance pentecôtiste du Burkina Faso est estimée à plus de 700 000 personnes [2], soit 5,8 % de la population totale évaluée à 12 millions d’habitants en 2003. Pour leur part, les AD/BF, les protestants ou les Américains comme on les désignent, compteraient en 2002, environ 2 600 églises [3], plus de 2 500 pasteurs [4], 600 000 membres (soit 5 % de la population totale de ce pays) [5], 6 écoles de formation biblique et un Institut supérieur de théologie, ce qui représenterait approximativement 86 % de la mouvance pentecôtiste de ce pays qui se morcelle, pour les 14% restants, en plus de 20 appellations différentes, pour les plus connues et uniquement pour la capitale (Laurent, 2003). Avec ces 5 % de la population nationale, situation unique en Afrique pour les ADD [6], cette Église pentecôtiste à l’opportunité de jouer un rôle dans le paysage politique du pays [7], ainsi qu’une certaine ascendance sur les Églises soeurs d’Afrique. À ce titre, seules les Églises du Kenya (3 %) et de Côte-d’Ivoire (avant sa partition) pourraient prétendre à un tel rôle [8]. Au Burkina Faso, les ADD sont aujourd’hui considérées comme une Église nationale, instituée, à côté de l’Église catholique et des grandes fédérations musulmanes (Laurent, 2004).
De manière générale, l’Église des AD/BF implique chez les convertis le sentiment d’appartenir à une communauté transnationale qui produit des ressources inédites pour trouver de nouveaux chemins dans un moment d’invention du développement. C’est dans ce sens que la doctrine et la pratique pentecôtiste offrent une ouverture sur le monde que la modernité globalisée promet. Cette ouverture porte sur deux aspects. Le premier renvoie à l’identité de la personne dans la mesure où la conversion est avant tout une question personnelle. De ce fait, elle concerne le processus d’individuation lorsqu’elle met en jeu la transformation radicale du « moi ». La conversion est un principe d’individualité qui porte sur une identification personnelle passant ici par la rupture radicale d’avec les anciennes croyances, à la nécessité dans certaines circonstances de recourir à des compromis qui aboutissent à des formes bricolées de l’identité et de l’altérité. Dans ce sens, je ne traiterai donc pas directement de l’individualisation, ni de la transition entre communauté et société. Le second aspect rend compte de la nouvelle identité collective que confère le fait d’appartenir aux Assemblées de Dieu (ce qui atteste par ailleurs du pouvoir d’individuation d’une identité sociale). Celle-ci semble délivrer « des biens » dans un contexte où la participation de beaucoup à la consommation et l’accès aux richesses se réduit souvent à une « vitrine ». À titre d’hypothèse, j’avancerais que par la conversion au pentecôtisme, la transformation du monde à un niveau individuel produit l’imaginaire nécessaire à une inspiration qui devrait conduire le fidèle à croire qu’une autre vie est possible, là où la forme collective du changement s’exprime dans la « guerre contre Satan ».
La conversion pentecôtiste repose sur une vision dualiste du monde qui établit des frontières et institue l’identité du fidèle. La singularité de l’identité des AD/BF tient dans une double négation : ni la société coutumière, « officiellement » déchue au rang d’entité démoniaque, dont il convient d’avoir l’audace de se distancier, ni « la société (moderne) » identifiée « au monde », c’est-à-dire à un univers corrompu, où règnent la violence, la peur et la défiance (Laurent, 2003). En référence à la Bible, ces protestants adoptent un système d’interdictions qui les distinguent des non convertis. Dorénavant, ils décodent les rapports sociaux en termes de Bien et de Mal et ils se meuvent dans un entre-deux mondes, dotés qu’ils sont de la capacité de discernement. Au village, globalement, chacun se connaît et en conséquence peut identifier celui qui lui en veut (à mort). À l’opposé, dans un environnement où l’anonymat croît au rythme de l’urbanisation, il devient urgent de pouvoir mettre la main sur la cause de son propre malheur. Dans ce contexte moins personnel qu’au village, les protestants capables de discriminer le Bien du Mal peuvent toujours identifier la cause de leurs malheurs à la figure anonyme de Satan. Il n’est autre que les impurs, c’est-à-dire ceux qui ne respectant pas les interdits de Dieu, les jalousent et les persécutent.
Ce texte voudrait analyser les conséquences pratiques de la double négation pentecôtiste sur l’identification, le système de pensées et les modalités de la vie en commun. Toutefois, et là réside la difficulté de la démonstration, nous observons qu’à côté d’une pensée radicale qui s’exprime en termes de rupture, se rencontre toujours une conversion “bien tempérée”, mesurée, calculée parfois, à la laquelle renvoie deux formes singulières de bricolage, dont il sera à présent question.
La sortie du village ou la conversion au « groupe de la sortie du groupe »
Ce point traite d’un groupe de paysans mossi qui, entre les années soixante-dix et deux mille invente le développement au village. Après des années d’errance, ils rentrent de migrations avec l’intention de s’intégrer autrement. Ils entendent changer le monde, leur monde, leur village. Ils veulent simplement « faire le développement » qu’ils oseront mettre en œuvre, disposant déjà de la légitimité de l’avoir vu. Cette certitude les conduira à s’opposer parfois violemment aux pouvoirs coutumiers. Leur développement commence par l’entretien de quelques parcelles de maraîchage ou par l’achat de tôles pour couvrir les cases. Ces actions apparemment anodines comportent toutefois un fort potentiel de contestation, où progressivement s’immisce un doute systématique qui va finalement conduire au déclassement radical de la pensée coutumière, ainsi que de certains rituels. Le développement commence par une sorte de désobéissance qui conduit à défier les pouvoirs locaux avec l’espoir secret de vivre de manière plus libre au village.
Se découvrir pauvre
La transformation radicale de la société mossi renvoie à la prise de conscience de la pénibilité de la condition paysanne. Impulsé par « la génération du développement », émerge le sentiment de pauvreté. Cette posture réflexive consiste à se découvrir pauvre et à refuser ce statut. Le pauvre devient celui qui ne possède rien. Alors que ce « rien », le fait d’être seulement en bonne santé et de pouvoir compter sur sa force de travail pour cultiver, constituait en quelque sorte le statut normal valorisé du paysan mossi. Désormais, ce rien résulte d’un appauvrissement lié aux obligations envers les pouvoirs coutumiers et l’entourage. Ce qui se vivait comme une évidence devient une charge. Alors que celui que l’on plaignait dans la société traditionnelle mossi n’étaient pas le pauvre, mais l’infirme ou le fou en raison de leur incapacité à travailler. Toutefois, la pauvreté de cette région d’Afrique n’équivaut pas (encore) à la « pauvreté nue » (Agier, 2002 ; Agamben, 1997) car les riches et les pauvres, en dépit des transformations rapides de la société mossi, restent dépendants les uns des autres par le maintien actif d’un imaginaire commun entretenu entre autres par la sorcellerie qui participe à la régulation des obligations envers les pairs, par l’instrumentalisation du don et de la dette, favorisant ainsi la dépendance et le recours.
Défier les pouvoirs locaux
L’invention du développement au village soulève deux problèmes. Tout d’abord, celui de l’émancipation de « l’entourage », et donc de la dette communautaire (lignagère et trans-générationnelle) avec le risque d’avoir à affronter les pouvoirs coutumiers. Et ensuite, celui de pérenniser son aspiration à plus de liberté par la garantie de revenus stables afin de réduire le recours à l’entourage dans l’adversité.
Pour être quitte des groupes de pairs et de l’univers de la dépendance, il est nécessaire de se distancier de la confiance (coopération et solidarité) essentiellement confinée aux relations de parenté qui dans un même mouvement appauvrissent, par l’obligation d’entraide, celui qui désormais voudrait plus clairement accumuler pour lui-même. Il importe aussi de s’éloigner de l’idéologie du consensus (wuum taaba, l’entente) laquelle régule les relations entre les lignages par l’imposition par les dominants d’une paix basée sur le silence. Il s’agit moins de vider les querelles et de s’accorder sur qui a dit le Bien ou le Mal que d’imposer sans délibérer sur le fond un « vivre ensemble apaisé », avec comme objectif essentiel de ménager l’autre. En effet, compte tenu des aléas de la survie, il serait audacieux de compter ouvertement des ennemis car personne ne sait, le jour où le malheur surgira, de qui il aura besoin. Ceci étant rappelé, on comprend qu’il demeure difficile de s’éloigner de ce système, d’autant plus que les solidarités étatiques, institutionnelles et impersonnelles assurées par le tiers-État garant de l’impartialité et de la vigilance font défaut. C’est donc la fonction première de l’État — permettre la sécurité de quiconque réside sur son territoire — qui n’est pas garantie. Comprenons bien que le personnalisme diffère de l’anonymat du traitement des individus dans leurs rapports à une administration publique là où l’État a pu assumer les fonctions de sécurité des citoyens. Autrement dit, ce que tente de réaliser les paysans pentecôtistes, ce n’est rien de moins que de s’affranchir à la fois de la logique lignagère, de la personnalisation des relations et de la « privatisation de l’État » (Medard, 1992 ; Jaffre & Olivier de Sardan, 2003). Le défi consiste à articuler une existence un peu plus individuelle sans la garantie de ne pas avoir un jour à dépendre de l’entourage. Au-delà, il est surtout question de rendre compte du système de pensée qui permet à la fois de s’émanciper de la « dette communautaire » en la maintenant à l’état de latence en cas de nécessité dans un environnement où les solidarités étatiques sont déficitaires.
Se convertir pour oser transgresser
La conversion aux ADD équivaut à une conversion au « groupe de la sortie du groupe » et la recherche d’une autre identité se confine à la quête d’une nouvelle puissance protectrice. On ne sort donc pas du paradigme de la puissance (Augé, 1982). La prise de conscience de la défaite de l’ancien monde se double du constat que les vieilles protections (fétiches) ont perdu leur efficacité pour cheminer dans l’univers du développement. La conversion aux ADD renvoie à la crainte de se sentir nu et démuni sans protection devant ces nouveaux enjeux. Ces sentiments conduisent le paysan à tenter d’adhérer à un ensemble de croyances capables de l’accompagner dans sa quête d’une autre manière de vivre en commun. Pour cela, la conversion pentecôtiste impose de s’en remettre complètement à Jésus. Ceci demande de « se convertir de cœur » et pas simplement « de bouche » afin de s’assurer du soutien d’une puissance sans faille capable de guider le fidèle dans un monde inconnu et de lui donner la garantie de pouvoir abandonner l’ancien monde, celui de la vengeance, de la jalousie, de la dépendance. La conversion pleine et entière à la puissance du Christ est la condition pour rendre effectif le double refus pentecôtiste du, ni la coutume obsolète, ni la société corrompue représentée par l’État [9].
La conversion des paysans mossi aux ADD est surtout une démarche pragmatique. Elle porte sur la nécessité de se protéger contre ceux qui s’estiment abandonnés par ceux (les convertis) qui tentent d’accumuler pour eux-mêmes, ou encore de se protéger contre un mariage forcé. Il peut aussi être question de se prémunir d’un ennemi intérieur, d’une part mésestimée de soi, comme par exemple les difficultés que représentent désormais à leurs yeux la condition paysanne (pauvreté et pénibilité des conditions d’existence), ou encore l’alcoolisme. Alors la part maudite de soi se mue en un ennemi extérieur. Il devient l’entité qui possède le fidèle, manipulée par Satan et, au-delà, ceux qui vous envient.
Les signes de rupture avec la société rurale et villageoise sont évidents. En effet, en plus du déclassement violent, radical d’un monde désormais considéré comme dépassé, il convient de s’en détourner sans compromission au risque d’anéantir l’efficacité de la toute puissance de Dieu qui ne peut souffrir d’aucune comparaison avec les puissances attribuées aux fétiches. L’ennemi de la conversion est ici le doute et la tentation d’avoir à composer avec des croyances anciennes. C’est à ce prix que la rupture induite par la conversion confère une autre identité qui conduit les « vrais croyants » qui respectent les interdits prescrits, à ne plus rien craindre des sollicitations (même imaginaires) des pairs.
La nouvelle identité repose sur le respect d’un système d’interdiction et sur la croyance en Satan qui a englouti l’univers coutumier. Elle tient aussi dans un changement de nom, la valorisation d’autres nourritures et d’une tenue vestimentaire occidentalisée, la recherche de l’acquisition de l’écriture (à travers la Bible), ou encore dans un mariage par consentement mutuel et l’organisation de funérailles compatibles avec le système de pensée des AD. À côté de ces marqueurs identitaires, la rupture induite par la conversion pentecôtiste s’exprime au mieux dans la croyance d’un monde après la mort duquel on ne revient plus. Chez les Mossi, cette rupture oppose la conception d’une vie éternelle et d’un paradis duquel on ne revient plus sur terre, aux croyances coutumières selon lesquelles il n’y a pas d’être neuf mais plutôt les mêmes personnes qui reviennent de « l’autre monde », dans le monde des vivants (Bonnet, 1988). En quelque sorte, ce changement délivre les mourants du cycle de la renaissance. Ceci bouleverse en profondeur la conception de l’individualité car ce qui est combattu avec la plus grande violence, c’est le culte des ancêtres impliquant l’idée de réincarnation. S’en prendre aux ancêtres, c’est s’attaquer à l’existence même de la société (Godelier, 2004 : 302). De plus, ce qui est promis à travers la vie éternelle, c’est d’être quitte de l’insupportable condition paysanne telle qu’elle apparaît désormais aux fidèles des ADD (pénibilité, misère, non accès aux écoles et aux soins médicaux,...), et la figure du diable devient celle de se reconnaître dans la personne de ce paysan miséreux.
La finesse de cette conversion consiste à vivre avec la volonté d’atteindre sur terre ou après la mort l’autre monde espéré, et cela malgré la pénibilité de la survie qui nécessite pour beaucoup l’inclusion dans des réseaux de solidarité. Ce qui diffère de la situation antérieure, c’est le fait que le fidèle a pleinement conscience que l’entourage l’appauvrit autant qu’il le sécurise. C’est dans ce sens qu’en milieu rural mossi, le pentecôtisme permet aux fidèles de maintenir les acquis de la rupture avec l’ancien monde, sans les diluer dans d’inévitables compromis engendrés par la dureté des conditions d’existence. Comment « sortir du groupe », s’estimer en ascension sociale et garder des contacts avec les pairs au cas où, c’est-à-dire en cas d’échec de son développement ? Ce processus assez subtil articule des principes a priori incompatibles : l’accumulation pour soi et la recherche de la solidarité par les pairs. Je montrerai que pour ce faire, ils mobilisent un bricolage des institutions sociales qui, aux yeux des convertis, n’est pas ressenti comme tel, car il ne porte pas sur leur système de pensée et de croyance. Le bricolage protestant des institutions sociales de la société mossi (celle du mariage par exemple) rend pensable l’impensable, celui qui consiste à combiner l’aspiration à plus de liberté, tout en maintenant active la dette communautaire. C’est par une sorte de ruse que ce pentecôtisme de première génération parvient à ses fins.
Le bricolage des structures sociales de la société coutumière mossi est particulièrement évident dans l’analyse des étapes du mariage par consentement mutuel mis en œuvre par les ADD et plus particulièrement dans les étapes des fiançailles (les salutations, pog-puusem). J’ai parlé à ce propos d’un bricolage des institutions sociales qui instrumentalise les alliances coutumières après les avoir « découtumisées » (Laurent, 2003). Le but recherché consiste à s’adjoindre des alliés (dans ce contexte, se marier consiste à s’allier à un lignage, voire à tout un village), tout en sauvegardant la rupture avec les anciens systèmes de pensées. Dans ce sens, chaque alliance est singulière : elle équivaut à une invention ad hoc dont l’objectif consiste à permettre la rencontre entre des personnes mues par des systèmes de pensées en concurrence. Une description précise de ces alliances (Laurent, 2003) mettrait en évidence le respect “maniaque” de l’étiquette dans le rituel du pog-puusem des AD. Pour comprendre cette pratique, partons de l’idée que la matière symbolique (mythes, rites) mobilisée en vue d’établir une alliance est parfaitement « informée », « pré-contrainte » pour reprendre la terminologie de Claude Lévi-Strauss [10] et c’est bien cela qui fait problème aux fidèles. La « ruse symbolique » consiste alors à « dé-informer la matière », pour les uns vis-à-vis des autres, par le passage, dans les rituels d’alliance, par un équivalent monétaire.
« [...] Le jour de pog-puusem [...] le vieux (animiste) m’a répondu : « si tu donnes à quelqu’un un habit blanc, tu lui as donné tous les habits ». Le vieux est fort, il a bien répondu... » (Pasteur Charles, village de Guiloungou, enquête ethnographiques réalisée en 1995).
Autrement dit, les parties en présence (musulmans, catholiques, protestants, “animistes”) qui composent les familles des jeunes protestants qui se marient, mettent sur pied un rituel d’alliance sur mesure qui satisfait chacun dans le respect de ses convictions. Par le surinvestissement dans le respect de l’étiquette et le recours à une matière neutre « non informée » : la monnaie, chaque groupe, dans l’ignorance feinte de l’autre, peut accomplir les rituels d’alliance qu’il estime avoir à faire pour préserver ses croyances et son identité. Les parties concluent des alliances par-delà la pluralité des identités en présence. Et le consensus tient à l’entente (wuum taaba) entre membres de la société mossi qui prime sur les appartenances religieuses qui, selon les Mossi, restent les cadettes de l’identité (englobante) mossi.
Les protestants ne bricolent pas avec le désir de modernité, ils bricolent seulement avec la façon d’y parvenir. Ainsi, l’introduction de l’argent dans les rituels d’alliance des ADD agit comme une compensation matrimoniale positive, ce qui au final permet au fidèle de rester lui-même dans son quant-à-soi [11]. L’argent tient ici le rôle d’intermédiaire neutre, anonyme, dans les rapports entre les personnes et dans ce sens, la conversion aux ADD promeut ici une forme de tiercité dans les relations entre les personnes, valorisant ainsi l’accord entre différents systèmes de croyances.
Si la notion de rupture renvoie à l’idée du « groupe de la sortie du groupe », elle relie aussi ipso facto la conversion au doute qui s’enracine sur un conflit intérieur non résolu. Considérons que l’ascension sociale tant désirée par la génération « convertie au développement » pouvait conduire à une impasse (surtout en cas d’échec de la recherche de son propre développement économique). Alors la conversion passerait de la rupture au doute et du doute au drame. Le drame équivaudrait à être contraint de renégocier sa quête identitaire et à se résoudre à amender son projet d’émancipation, devant l’obligation de renouer avec des principes de solidarité.
La maladie : doute et bricolage de formes a priori incompatibles de la pensée
Si la conversion aux ADD facilite la prise de distance du vivre en commun coutumier, dans un second temps, l’adhésion aux ADD accompagne les fidèles tentés par l’aventure urbaine lesquels cherchent à se mouvoir dans un environnement pluriel et plus anonyme. Cependant, cette mutation se déroule dans un contexte d’absence de politiques publiques véritables que les populations urbaines cherchent alors à combler. Pour beaucoup, l’installation en ville reste synonyme de pénibilité. Et en conséquence, c’est bien les formes désormais honnies du recours aux réseaux de pairs que les fidèles devront réactiver en ville. Du point de vue de l’identité, ils seront amenés à (re)négocier, à nouveaux frais, à côté de la rupture liée à la conversion, un principe d’activation de la dette communautaire dont ils espéraient avoir pris distance.
Le contexte de la « Modernité insécurisée » : un lien social basé sur la défiance
Le temps de la « Modernité insécurisée » est surtout urbain. Il conjugue l’affaiblissement de la prise en charge coutumière de la vie commune avec les carences de l’État à organiser des solidarités institutionnelles. Mais la situation rencontrée au Burkina Faso diffère de celle en œuvre dans certaines villes brésiliennes par exemple, car l’extrême pauvreté, la « pauvreté nue », n’existe pas vraiment. Le recours reste pensable car les liens imaginaires de dépendance, entre autres ceux induits par la sorcellerie, le lignage, le rapport aîné - cadet, restent actifs. Dès lors, pour un temps encore, tout se passe comme si nous vivions un moment particulier où l’accumulation fait peur. D’un côté, elle fait peur à celui qui s’y risque, en raison des jalousies qu’elle suscite et des incertitudes qui pèsent à long terme sur la pérennité des ressources (un contrat de travail ne dure que le temps d’un projet de coopération au développement, par exemple). De l’autre, l’accumulation fait peur à celui qui s’estime injustement écarté des principes de la recherche de la sécurité sociale et économique de la société coutumière par l’égoïsme, selon lui, de celui qui amasse. De ceci découle une fantastique articulation (un lien social puissant) entre les membres de la société. Et malgré l’absence du tiers-État, c’est la société tout entière qui fait sens, avec des conséquences importantes sur la nature des relations entre les personnes.
Ceci a des conséquences sur la conversion aux AD, car à côté de la rupture qu’elle induit — moment d’extrême clairvoyance devant la contemplation de l’obsolescence de l’ancien monde —, se rencontre une pensée métissée inavouable qui doit être tenue secrète car elle repose sur le doute, l’inquiétude et la souffrance. Elle s’engendre de l’échec d’une ascension sociale entrevue dans la conversion pentecôtiste. Cependant, par l’offre de guérison, les Assemblées de Dieu prendront en charge ce doute et l’inquiétude qui peuvent s’enfler au point de rendre malade. Ce sont plus précisément les croyants-guérisseurs qui, permettant à l’inavouable de s’exprimer au sein des AD, conduisent certains fidèles à bricoler avec leur croyance. Ceci n’est possible qu’en marge de la doctrine et des rituels officiels qui ne conçoivent qu’une identité en rupture et victorieuse face à l’ancien monde et à l’Etat corrompu et non pas une identité malheureuse et hésitante qu’ils combattent avec virulence. Par cette scène thérapeutique, il est question de gérer le doute et de laisser émerger une forme de pensée de l’entre-deux, apaisante et compatible avec des principes sociaux hybrides.
Il serait tentant de conclure qu’en ville, les fidèles renoueraient avec des principes de vie collective inhérents à la société coutumière mossi. Nous assisterions alors à une sorte de villagisation de la ville, avec la valorisation des solidarités lignagères, des réseaux et du consensus. Cette analyse reste toutefois imparfaite car se serait sans compter sur l’émergence d’un point de vue réflexif concernant très précisément la solidarité, laquelle ne se vit plus comme une évidence mais plutôt comme une obligation. Alors que la rupture induite par une conversion aux ADD était censée favoriser un mode vie plus autonome plaçant à bonne distance l’entourage, ce qui pèse désormais, ce sont les groupes de pairs qu’on déteste (car ils lorgnent sur votre propre accumulation) mais dont on a plus que jamais besoin.
Vivre ensemble en ville sans le recours à un tiers-État impartial
Dans un environnement où la fonction de tiers-État impartial manque (déficit de la solidarité étatique et institutionnelle), les relations entre les personnes se réalisent dans un face-à-face permanent, à défaut d’institutions étatiques tierces pour les réguler. Dès lors, les médiations interpersonnelles s’établissent par la possession supputée de puissances offensives et/ou défensives (chacun disposant de sa propre violence symbolique). Les conséquences sur la vie en commun peuvent s’appréhender par ces formules : « tu m’aides si je t’affecte » ; « je t’affecte pour que tu m’aides » ; « je me protège contre les jalousies et les rancoeurs » ; « je vis dans la crainte de l’autre ». Les relations entre les membres de la société s’établissent sur un équilibre instable basé sur l’imaginaire investi dans la possession, chacun pour son propre compte, de protections, à savoir de puissances (fétiches, divinités, Dieu) comme mode de régulation du vivre ensemble qui se dédouble, par-delà la violence physique, dans un gouvernement des forces invisibles. Dans ce sens, il est possible de parler d’une crise sorcière essentiellement urbaine et contemporaine.
Avec le doute qui taraude certains fidèles, les Églises des AD, en ville surtout, deviennent des lieux où ils espèrent déposer leur fardeau, celui induit par la gestion magique de la société où règne la peur (dans le sens du coût psychique qu’implique ce type de régulation sociale), la défiance, la rancœur. Les fidèles rassemblés autour de leur pasteur expérimentent la confiance rétablie entre « frères et sœurs en prière » et une relation individuelle avec Dieu en opposition à l’univers de défiance qui sévit à l’extérieur. La « famille de prière » apaise par la confiance retrouvée au sein d’un groupe d’affinités électives.
Maladie et offre de guérison : une identité malheureuse bricolée en profondeur
Le processus d’élaboration d’une identité hybride, bricolée de l’intérieur, peut s’approcher par l’analyse de la maladie chronique dont souffre le pasteur Charles. Ce vieux pasteur, financièrement assez aisé et bigot, vit depuis plusieurs années reclus dans sa maison. Dès 1994, il me parla d’un mal étrange pour lequel il consulta divers thérapeutes. En 1997, les douleurs ont repris de plus belle. Et le croyant-guérisseur des ADD consulté, toujours prompt à la répartie, lui expliqua qu’un jour, il a dû trouver en dessous de son bureau un bout de tissu avec trois aiguilles, munies de fils de couleurs différentes. Il aurait piétiné le fétiche, déposé là par quelqu’un qui voulait lui nuire. À présent, le fétiche le possède. Le croyant-guérisseur poursuivit en expliquant que, lors de la prière, Dieu lui révéla, en songe, que les membres de la coopérative, dont il est responsable, voyaient sa maison au centre d’une grande cage. De nombreux singes étaient accrochés aux parois extérieures de la cage. Les animaux poussaient des cris et ils passaient leurs mains à travers le grillage. Et lui, le pasteur, se trouvait au centre de la cage avec sa famille.
On perçoit aisément que, par un jeu complexe, toujours ambigu, portant sur l’entretien de la crainte de l’entourage, le croyant-guérisseur renforce, en quelque sorte, le symptôme du pasteur. Il lui propose une clé d’interprétation de son mal, en même temps qu’il ravive ses angoisses par la (ré)activation de l’obligation de solidarité. On se trouve plutôt confronté à la permanence de formes de la persécution, même si celle-ci se transforme pour répondre à l’environnement de « modernité insécurisée ». Le bricolage du système de pensée repose sur l’impasse que ressent le fidèle face à son avenir et à l’entourage qui n’a de cesse de l’affecter. L’impasse se mue en doute à l’égard de sa propre conversion et entraîne une souffrance jusqu’à induire des pathologies. Comme j’ai commencé à le montrer, c’est la pénibilité de la vie et/ou de l’environnement insécurisant qui engendrent un doute. Il porte sur le bien fondé de la conversion, dans le sens ici très précis de la rupture qu’elle a nécessité vis-à-vis des pairs, autant que sur la prise de distance devant les obligations de solidarités.
Dans ce sens, une « pensée bricolée aboutie » trouve son origine dans un trouble de l’identité. Il s’exprime dans des rapports paradoxaux à l’entourage. La souffrance de certains fidèles extériorise leurs difficultés à placer les groupes de pairs à la distance qu’ils estimeraient adéquate, dans un contexte, ai-je montré, d’absence de tiers-État [12], de ce que j’ai appelé ailleurs la « modernité insécurisée » où ce qui fait particulièrement défaut c’est le tiers-État impartial. Cette pensée hybride est souffrance car elle oblige le fidèle à recourir à un véritable bricolage de la représentation de soi et des autres. Ce bricolage porte sur le principe d’individuation et donc sur la représentation de la personne que mobilise la conversion pentecôtiste. Le bricolage de l’identité émerge d’une défaite inavouable sur la scène officielle des AD. Tout se passe comme si la souffrance rendait intenable la rupture (et donc la quête d’une autre identité). L’issue serait à rechercher dans un bricolage des croyances et des représentations de la personne qui portent sur la place à (ré)accorder aux ancêtres, aux génies, au souffle, au principe vital, aux divinités. L’objectif serait de rendre compatible des principes antagonistes de vie en commun car c’est précisément l’impensable synthèse qui induit la souffrance. Il est question de concevoir une vie plus individuelle capable de moduler avec la nécessité du recours à l’entourage qui reste ici la forme la plus aboutie de la sécurité sociale et économique.
L’examen d’un moment pénible de la vie du pasteur Charles, celui du décès de son fils cadet permet de mieux saisir cette proposition. Le vieux pasteur Charles, dont il fut déjà question est une figure emblématique des mouvements paysans du plateau central mossi. Il est à la fois admiré et détesté pour son autoritarisme, et sa réussite suscite jalousie et rancoeur. Alors qu’il était empêtré dans un conflit majeur qui l’opposait aux membres de son association, son fils se noie. Bien que je ne dispose pas ici de place pour rendre compte de la complexité du problème, je retiendrai que selon la doctrine des AD, l’explication de la cause de la mort par le recours à un tiers persécuteur jaloux est proscrit de même que toute idée de vengeance. Cependant, c’est entre les deux explications concernant les causes du décès de son fils, soit entre la conception d’une mort causée par Dieu et donc à l’exclusion d’un humain, soit encore une mort causée par un ennemi, que le pasteur Charles ne parvient pas depuis plus d’un an à se décider : un atermoiement qui le mine.
« Dieu m’a mis à l’épreuve. J’ai prié et aujourd’hui, Dieu m’a aidé. Tu dois comprendre, c’est à cause de ce projet de coopération au développement que mon fils est mort. C’est sûr que mes ennemis voulaient me nuire à travers ce projet. Ils ont tenté de m’attraper. Comme il n’ont rien pu faire contre moi, ils ont alors tué mon fils. Je sais qu’il faut être puissant. Il ne faut jamais rien laisser passer sinon c’est moi qu’ils vont attaquer. Il faut être digne et donc il faut tout poursuivre... » (pasteur Charles, septembre 2004).
Conclusion : bricoler pour guérir et se (re)-convertir pour suspendre les hésitations
Les deux grands principes de la conversion des AD/BF analysés ici impliquent deux types de bricolage. Un bricolage qui n’est pas ressenti comme tel parce qu’il porte sur les structures sociales et un bricolage en profondeur, douloureux et inavouable qui affecte l’identité de la personne. Cette distinction s’avère toutefois inopérante. Dans la réalité, ces types de conversions, celle de la rupture et celle du bricolage, coexistent dans le même présent et forment un système qui doit d’être appréhendé comme un tout. Adoptant le point de vue de fidèles, cette proposition équivaudrait à comprendre la raison pour laquelle Dieu tout puissant, en mesure de protéger pleinement les croyants des envieux, peut, dans certaines circonstances, flancher, obligeant ainsi les fidèles à produire une explication plausible quant à la permanence de leur malheur malgré l’action d’un Dieu de puissance.
Pour éclairer ceci, je conclurai par un bref retour à la scène thérapeutique des AD. J’ai montré que la maladie renvoie, pour partie, à un mal-être, et plus précisément à des « pathologies de l’entre soi » (Laurent, 2003). S’agissant de la gestion des frontières de l’identité, en référence à la double négation pentecôtiste, ou encore à la prise en charge de troubles de l’identité, le traitement consiste généralement dans la mise à bonne distance de l’entourage par l’entretien de la tension entre affiliation et désaffiliation [13]. Ainsi, par l’exorcisme pratiqué par les croyants-guérisseurs des AD/BF, les possédés expriment leurs doutes, ceux qui les ont conduits à la remise en question de la rupture radicale d’avec « l’ancien monde ». C’est seulement à la faveur de la consultation privée du malade chez un croyant-guérisseur, en marge de la doctrine des AD, que ce doute trouvera un écho, tandis que l’autre scène de la guérison — inséparable de la première —, celle officielle de la prière de délivrance qui se tient dans un temple, se concentre sur la toute puissance de Dieu et le combat victorieux de l’assemblée contre le Mal. Les croyants guérisseurs viennent en quelque sorte prendre en charge une indécision, considérée ici comme l’élément pathogène à la source de la souffrance. Elle résulte d’un choix à faire, toujours différé, entre les principes non isomorphes de la vie en commun.
L’offre de guérison des ADD transcende la simple « ruse » d’un bricolage des structures sociales de la société mossi pour les fidèles adeptes du développement [14]. Pour ce faire, l’offre de guérison doit mobiliser, le temps d’apaiser le doute, un bricolage du système de pensée, bricolage qui s’élabore de l’intérieur. Cette synthèse porte sur le principe d’individuation (Bastide, 1973), dans le sens où, pour reprendre Mary Douglas, certaines théories du « moi » sont des moyens institutionnalisés pour alléger le fardeau de la responsabilité, atténuant ainsi les frictions de la vie en commun (Douglas, 1999 : 160). Il est ainsi possible de préciser que le bricolage dont il est question porte sur la nature même de l’Esprit du Mal. Autrement dit, Satan peut-il rester l’autre anonyme et inattingible, après avoir englouti la pluralité des éléments constitutifs de la personnalité coutumière mossi, ou alors, face aux aléas de la vie urbaine, les principes de l’altérité (ancêtres, génies, force vital, divinités) survivent-ils à ses côtés ?
Les méandres de l’étiologie de la consultation privée du croyant-guérisseur, au-delà de la rhétorique du Mal absolu, celle du diable, recourent aux « mauvais esprits » — les zinse (sing. zina, ancêtres errants issus d’une mauvaise mort), mais surtout aux génies de l’adultère, de la colère, de la paresse, ou encore de l’alcool — lesquels profiteraient de la faiblesse d’un individu pour « entrer » en lui. Autrement dit, pour reprendre les catégories des pentecôtistes mossi, « se dire diable » ou encore « être déclaré diable » (possédé), c’est aussi ne pas vraiment se sentir coupable ni responsable (Zempleni, 1975 : 167). Ceci renvoie à une conception singulière de la personne et à une identité inquiète qui repose sur un flou entretenu entre sa propre identité et la place attribuée aux autres. Ce fonctionnement combine un principe de persécution (un tel m’a envoyé tel génie) ou une cause individuelle (un écart à la Loi) avec la conception d’un « moi » multiple en mesure de disculper le fidèle (ce n’est pas moi le coupable mais l’esprit d’adultère). Dans ces « disculpations douces comme dans ces fictions polies » (Douglas, 1999 : 160), ce qui compte en définitive, c’est de parvenir à accuser tout en gardant intact son capital social comme un recours dans l’adversité. Celui qu’il faut ménager, c’est bien l’autre qui vous persécute et que vous accusez. Autrement dit, la communauté et les principes identitaires qui lui sont propres, tout en se transformant, parviennent à instaurer des relations avec l’individu sujet de cette forme de modernité.