Compte-rendu d’ouvrage

KALAORA Bernard et VLASSOPOULOS Chloé. 2013. Pour une sociologie de l’environnement

KALAORA Bernard et VLASSOPOULOS Chloé, 2013. Pour une sociologie de l’environnement : environnement, société et politique. Paris, Champ Vallon.


L’ouvrage de Bernard Kalaora et Chloé Vlassopoulos présente un double intérêt : d’une part il expose de manière très précise les éléments d’une sociologie qui prend en compte les différents aspects d’une question qui est devenue centrale pour les collectivités contemporaines. D’autre part il a le mérite de mettre en perspective cette sociologie du point de vue de sa genèse et dans ses rapports aux autres disciplines.

Le livre est construit en sorte de ne pas simplement offrir une synthèse des apports de la sociologie de l’environnement, mais d’en proposer une approche réflexive. Il comprend six grands chapitres : le premier concerne l’élaboration du cadre cognitif qui a pris en charge la question environnementale : les auteurs insistent sur l’idée que les problématiques écologiques sont issues d’un processus historique qui au long du XIXe siècle, à travers des hygiénistes, esthétiques, technocratique a fait émerger ce champ. Le rôle des grands corps de l’État, en particulier les forestiers, est loin d’être négligeable.

Parallèlement l’environnement s’inventait dans les pays anglo-saxons. Man and Nature de George Perkins Marsh en 1864 et d’autres précurseurs (Patrick Geddes, Lewis Mumford) ont contribué à l’émergence d’un projet qui se concrétise en 1957 avec An Invitation to Environmental Sociology de Michael Mayerfeld Bell. Comme le constatent Bernard Kalaora et Chloé Vlassopoulos, le faible intérêt des sciences sociales françaises pour l’environnement a longtemps contrasté avec l’importance que lui accordaient leurs homologues américaines. Ils soulignent aussi les apports importants de l’anthropologie et de l’histoire dans ce domaine.

Dans le deuxième chapitre, on est confronté aux obstacles épistémologiques qui ont considérablement ralenti l’émergence en France de ces problématiques environnementales. A commencer par la sociologie durkheimienne qui focalisée sur le social demeure allergique à toute velléité de penser l’imbrication homme/nature, et qui du haut de son magistère institutionnel tendait à marginaliser ce type de recherches. On saisit bien aussi le rôle des organismes étatiques en France [1] qui a permis de structurer le champ, d’ouvrir de nouvelles directions et de dessiner des programmes de recherche.

A partir des années 1990 va se poser la question d’un paradigme susceptible d’unifier un champ relativement éclatée entre différentes discipline, et — au sein même de la sociologie — entre des lignes théoriques divergentes. Le troisième chapitre du livre montre la diversité des courants qui se focalise sur un domaine de plus en plus convoité : entre autres, la sociologie des sciences de l’environnement, la sociologie pragmatique et la sociologie de l’action publique. Mais, comme le notent les auteurs, « les recherches sociologiques sur l’environnement en France se sont développées sans réellement constituer un espace d’échange et de dialogue avec les autres disciplines ». A ce sujet, il vaudrait la peine de développer en contrepoint une analyse des courants sociologiques dans ce domaine, ailleurs en Europe et aux États-Unis.

Déplaçant leur angle d’analyse, Bernard Kalaora et Chloé Vlassopoulos abordent dans le quatrième chapitre la question proprement écologique, c’est-à-dire l’environnement comme valeur et enjeu de société. Les mouvements sociaux se réclamant de la cause environnementale, les formes d’organisation politique auxquelles elle a donné naissance, ont profondément transformé le champ politique et cette effervescence a fait l’objet d’analyses axées les unes sur les pratiques de l’écologie politique, les autres sur ses discours, ses controverses, ses objectifs. Là encore les points de vue diffèrent et les auteurs restituent dans leur richesse ces différentes approches. Ils notent que dans certains champs comme la santé environnementale, la tradition française conduit à une vision très différente de celle des chercheurs anglo-saxons.

Les chapitres 5 et 6 de l’ouvrage nous projettent dans la contemporanéité, car ils présentent une réflexion tout à fait stimulante sur l’action environnementale, ou si l’on préfère la gouvernance de l’environnement aujourd’hui (chapitre 5) et son inscription dans un monde globalisé (chapitre 6). Ici les questions prennent une tout autre dimension. Comment affronter des questions aussi complexes que celles qui ont trait, à la protection du paysage, à la lutte contre la pollution et le réchauffement climatique. Nous sommes désormais dans la tourmente, et si l’environnement devient un objet central de la sociologie et de la politique, les dispositifs pour faire face, au plan national, sont remarquablement peu adaptés à l’étendue et à l’urgence des problèmes. Le développement durable et d’autres notions du même genre relèvent souvent d’un registre incantatoire, et la tenue de grand-messes environnementales à intervalles réguliers marque à la fois l’importance des enjeux et les limites d’une action bridée par les divergences d’intérêts nationaux. En même temps, l’environnement nous projette dans un espace englobant. Le sixième chapitre montre bien la nécessité des formes de gouvernementalité globale, alors même que les conflits et les contre-pouvoirs qu’ils engendrent se déploient par-delà les cadres étatiques traditionnels. Nous sommes désormais à l’ère du global-politique avec la nécessité d’inscrire l’action collective dans une perspective résolument transnationale. Les auteurs, abordant la question du changement climatique, soulignent la spécificité d’un processus qui fait la part belle au « global expert » et où émergent de nouveaux types de mouvements sociaux.

Au terme de l’ouvrage, on mesure à quel point la question environnementale a reconfiguré de part en part non seulement les pratiques sociales et politiques contemporaines, mais les ressorts cognitifs de notre être-au-monde. Et rétrospectivement, on comprend mieux les tensions et les contradictions qui n’ont cessé d’affecter la sociologie de l’environnement, de la manière qu’elles complexifient en permanence l’action collective jusqu’à parfois la paralyser. La question n’est pas tant de substituer à la sociologie de l’environnement des sciences sociales de l’environnement ; elle renvoie plutôt au positionnement épistémologique du rapport entre le social et l’environnemental, et — plus complexe encore — à la définition des attendus d’une politique de la nature. C’est tout le mérite de ce livre, que d’articuler et de recontextualiser le projet sociologique en montrant à quel point l’environnement est devenue une donnée fondamentale de la pensée et de la polis contemporaines.

add_to_photos Notes

[1Programme Interdisciplinaire de Recherche sur l’environnement (PIREN), Institut National de Recherche Agronomique (INRA), Service de Recherche, des Études et du Traitement de l’Information sur l’Environnement (SRETIE).

library_books Bibliographie

BECK U., 2001. « Climate for change, or how to create a green modernity », Theory, Culture et Society, 27(2-3) : 254-266.


BELL M.M., 2011. An Invitation to Environmental Sociology. Sage Publications, Inc, 4th ed.

ESCOBAR A., 1996. « Constructing nature : Element for a poststructural polit- 
ical ecology », in R. Peet et M.Watts (dir.). Liberation Ecologies:Environment, Development, Social Movements. Routledge & Kegan Paul : 46-68.

GUILLE-ESCURET G., 1989. Les Sociétés et leur nature. Paris, Armand Colin.

JOLLIVET M. (dir.), 1992. Sciences de la nature, sciences de la société : les passeurs de frontière. Paris, CNRS-Éditions.

MARSH G.P., 2010 (1864). Man and Nature. Or physical geography as modified by human action. Withefish (Montana, USA), Kessinger Publishing, LLC.

MUMFORD L., 2011 (1961). La cité à travers l’histoire. Paris, Agone.

Pour citer cet article :

Marc Abelès, 2015. « KALAORA Bernard et VLASSOPOULOS Chloé. 2013. Pour une sociologie de l’environnement ». ethnographiques.org, Comptes-rendus d’ouvrages [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2015/Abeles - consulté le 20.04.2024)
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