Retours sur images.
Nouveaux médias et transmission du secret dans les rituels du nord de l’Australie

Résumé

Dans la société yolngu du nord de l’Australie, les technologies audiovisuelles sont mobilisées depuis les années 1970 dans le cadre de politiques de transmission des savoirs rituels. Plus que de simples enregistrements destinés à consigner dans l’urgence des traditions menacées, les productions audiovisuelles permettent de nouvelles formes de médiation de l’expérience religieuse. L’accès à ces documents dans des centres d’archives numériques aborigènes a stimulé une importante activité créative dans la sphère rituelle. De nombreux dirigeants cérémoniels ont ainsi développé une réflexivité critique sur leurs propres pratiques, imaginant de nouveaux moyens de transmettre leurs valeurs religieuses sur des supports tels que la peinture sur écorce et la vidéo. Fondée sur une renégociation permanente du secret et de sa transmission, la diffusion de ces médias génère un mode de relation aux images interactif, non doctrinaire, propice à une multiplication d’interprétations.

Abstract

Since the 1970s in Northern Australia, the Yolngu have mobilized audiovisual technologies for the transmission of ritual knowledge. More than records made to salvage potentially threatened traditions, audiovisual productions give rise to new forms of mediation of religious experience. Access to these documents in community based digital archives has stimulated a significant creative activity in the ritual sphere. Many ceremonial leaders have developed a critical reflexivity on their own practices, imagining new ways to transmit their religious values on mediums such as bark painting and video. Based on a permanent renegotiation of secrecy and its transmission, the diffusion of these media generates a mode of relation to images that is interactive, non-dogmatic and conducive to multiple interpretations.

Sommaire

Table des matières

Introduction

Connus dans le monde de l’art depuis les années 1940 pour leurs peintures à l’ocre sur écorce réalisées pour les collectionneurs et les musées, les Yolngu du nord-est de la Terre d’Arnhem sont devenus célèbres en anthropologie visuelle dans les années 1970 à travers une série de classiques documentaires tournés en 16mm par le cinéaste australien Ian Dunlop [1]. La numérisation de ces films, dont les bandes VHS circulèrent très largement dans les communautés yolngu, et leur distribution sur support DVD furent l’une des premières initiatives du centre d’archives et de production de média établi dans la municipalité aborigène de Yirrkala en 2007. [2] Conçu comme un « patrimoine culturel vivant » (De Largy Healy & Glowczewski, 2014), ce corpus audiovisuel aujourd’hui historique est régulièrement augmenté de productions filmiques nouvelles, les vidéos récentes alliant des éléments des mythes, du rituel, de la culture populaire ou de l’actualité locale comme les matchs de football [Fig. 1]. Plus que de simples enregistrements destinés à consacrer une version particulière d’une cérémonie ou à consigner dans l’urgence des traditions menacées, les nombreux films de rituels, réalisés par des Aborigènes ou en collaboration avec des professionnels venus de l’extérieur, apparaissent comme des « formes sensibles [sensational] légitimes » (Meyer, 2009 : 13) permettant de nouvelles médiations de l’expérience religieuse. Depuis leur introduction en Terre d’Arnhem, les technologies audiovisuelles ont ainsi été mobilisées dans le cadre de véritables politiques locales de transmission des savoirs rituels.

Fig. 1 : La production filmique récente du Mulka Centre.
Capture d’écran de la page Youtube du Mulka Centre (6.12.2017) .
(* youtube.com/user/TheMulkaProject)

Le tournant médiatique qui caractérise une série de travaux récents sur la religion a permis de renouveler les études sur l’expérience religieuse, le changement et l’imagination (Engelke, 2010). Cette approche du fait religieux par ses médias s’attache aux processus matériels de la médiation religieuse, aux variétés de formes, de pratiques et de technologies qui, au sein de différentes communautés de croyants, servent à rendre sensible la présence des esprits, des ancêtres ou des dieux de leur religion. En Terre d’Arnhem, comme ailleurs, le film, et plus récemment la vidéo de rituel, s’inscrivent dans un continuum de changements négociés des modes de révélation religieuse. Les films de cérémonies s’ajoutent en effet à un ensemble de productions culturelles plus anciennes, comme la peinture sur écorce, avec lesquelles ils coexistent. Ces ajustements technologiques s’opèrent à travers un processus de remédiation (Bolter et Grusin, 2000) qui adapte la forme et le contenu rituel à différents supports et contextes. C’est en replaçant l’appropriation aborigène du média filmique dans ce cadre historique qu’on peut saisir les façons dont, en réponse à l’introduction de nouvelles technologies, les pratiques de médiation religieuse des Aborigènes de la Terre d’Arnhem ont été adaptées et transformées.
En les matérialisant sous forme d’images et de sons, les films ont la capacité de re-présenter des objets et des actions rituelles reconnus par les Yolngu comme étant socialement agissants, dont la révélation ou la réitération, même médiatisée par un écran, a le potentiel d’affecter les spectateurs mais aussi d’influencer l’activité religieuse future. La spécificité du film en tant que source de savoirs et d’affects religieux réside en effet dans ses propriétés de représentation mimétique du réel, qualité qui permet de faire revivre certains événements ou expériences du passé. Voir et revoir une cérémonie filmée, à laquelle on a participé ou non, implique une expérience sensible et interactive, qui se noue pour les spectateurs autour des relations personnelles qu’ils ont avec les images des personnes, des objets ou des séquences rituelles montrées à l’écran.
Le film de cérémonies, tel que pratiqué par les Yolngu, en tant que support de la mémoire rituelle, constitue donc un ajout récent, un référent supplémentaire dans un assemblage historique et relationnel de performances. Considérer ces films au sein d’une constellation dynamique de relations à la fois collatérales et diachroniques, rétrospectives et prospectives, permet d’appréhender ce qui est en jeu, d’un enregistrement à l’autre, dans la reproduction et la transmission rituelles. En interrogeant les notions de répétition, de copie et de recréation telles qu’elles peuvent émerger en relation à l’objet « film de rituels », cet article s’attachera aux façons dont les nouveaux médias comme le film entraînent en Terre d’Arnhem une renégociation permanente des savoirs religieux aborigènes. J’analyserai plus particulièrement l’effet de ces médias sur la transmission des savoirs d’une société dont les rituels, comme ceux de la majorité des groupes aborigènes australiens, sont structurés autour du secret. Il s’agira de mettre au jour les mécanismes par lesquels le secret peut être reproduit par le film et dans la transmission filmique des cérémonies. Ainsi, plutôt que d’appréhender les films de rituels comme marquant une rupture radicale avec les stratégies de transmission du passé, je montrerai comment leur usage contemporain peut s’inscrire dans une histoire locale d’appropriation de nouveaux médias visuels amorcée dès les premiers contacts missionnaires avec le mouvement artistique de la peinture sur écorce.
Afin de rendre compte de la tension réflexive entre production et réception de films de cérémonies d’un côté et entre continuité et innovation rituelle de l’autre, je m’attacherai à un type particulier de cérémonie du nord-est de la Terre d’Arnhem appelé Djungguwan. Cette cérémonie de cycle de vie, mise en œuvre pour la première initiation masculine et afin de commémorer les morts des groupes organisateurs, a pour particularité d’avoir fait l’objet de trois films tournés par des réalisateurs différents à plus de trente ans d’intervalle. L’existence de ces documents filmés permet, selon mon analyse, d’ouvrir la voie à un développement critique et créateur de l’action rituelle. Les formes de réflexivité qu’ils mobilisent s’inscrivent dans des logiques tant relationnelles et intersubjectives, liées aux acteurs humains et non-humains des performances passées, que dans des logiques pratiques et circonstancielles, révélatrices d’enjeux contemporains.

Les « nouvelles » images rituelles des Yolngu

Plus d’une quarantaine de chercheurs et de documentaristes ont travaillé dans le bloc culturel yolngu depuis le terrain pionnier de l’américain Lloyd Warner (1958 [1937]) à la fin des années 1920, juste après l’implantation de la première des trois missions du nord-est de la Terre d’Arnhem, terrain « classique » de l’anthropologie australianiste. Répartis dans la partie orientale de cette ancienne réserve vaste de 96 000 km2, les missionnaires méthodistes furent chargés par le gouvernement de centraliser, de protéger de l’extérieur et de christianiser les quelque soixante clans de chasseurs-cueilleurs d’une région qui était demeurée jusque-là dans un isolement relatif. Sous leur impulsion, puis celle des anthropologues et des collectionneurs, les dirigeants yolngu se mirent à transposer leurs peintures cérémonielles sur des panneaux d’écorce destinés à la vente [3]. Outre l’attrait économique de cette nouvelle activité artistique, la production de ces peintures permit aux Aborigènes sédentarisés dans les missions de transmettre ex situ les savoirs religieux et fonciers associés aux images peintes et de perpétuer dans l’ère missionnaire le système complexe de droits qui régit leur création et leur circulation.

Fig. 2 : La production d’art à l’ère missionnaire : l’entrepôt de Milingimbi, c.1960.
Photographie prise par le collectionneur et anthropologue Karel Kupka, numérisée sur ODSAS
Avec l’aimable autorisation du CREDO (AMU-CNRS-EHESS) [4].


Si les panneaux d’eucalyptus n’étaient pas un nouveau média, puisque les écorces servaient, comme des carnets de croquis, à esquisser les motifs les plus puissants avant leur exécution définitive, ou comme supports de révélation des peintures secrètes durant certaines phases des initiations masculines, leur production atteint à partir des années 1940 un niveau sans précédent. La multiplication des peintures sur écorce, et avec elles de nouveaux contextes de transmission des savoirs rituels, joua un rôle non négligeable dans le processus d’émancipation des images religieuses dans la société yolngu. Mais bien que, pour la première fois, la majorité des peintures était produite en dehors du contexte cérémoniel, certains mécanismes de contrôle sur les représentations, comme la pratique de peindre en petits groupes, sous l’œil attentif d’autres dirigeants cérémoniels de son clan ou en position de « managers » (djunggayi) de l’autre patrimoitié, persistèrent néanmoins. Cette prolifération d’images sacrées conduisit également à de nouveaux modes, non-cérémoniels, de révélation religieuse. Ces modes de transmission séculaires avaient cours par exemple lorsque les familles campaient sur tel ou tel lieu et que différents traits du paysage et leurs associations mythiques étaient pointés aux enfants. Dans le contexte du mouvement artistique des années 1950, les hommes d’âge mûr, de la première génération à avoir grandi dans les missions, se souviennent de leurs pères et oncles qui, peignant pour les collectionneurs, avaient pour habitude de chanter à voix basse les chants cérémoniels (manikay) associés aux êtres ancestraux et aux sites qu’ils figuraient sur leurs œuvres. Comme pour l’évolution des images religieuses en Occident durant la période médiévale analysée par Jean-Claude Schmitt (2002 : 63), les images rituelles yolngu furent soumises à un « développement remarquable » sous trois aspects : celui « de leurs formes plastiques », avec le passage à l’écorce et à ses formats plans et rectangulaires ; celui « des pratiques cultuelles dont certaines étaient l’objet », avec l’essor, en parallèle de la peinture cérémonielle, d’une production pour le marché de l’art ; et enfin celui d’une « réflexion théorique visant à en préciser la signification et à en asseoir la légitimité », avec l’émergence de nouveaux discours et pratiques autour de ces images.
Dans le contexte de la sédentarisation missionnaire de la Terre d’Arnhem et d’une influence accrue de l’État australien dans la vie des Yolngu, ce dernier aspect concerne plus particulièrement l’usage des peintures cérémonielles dans le nouvel espace interculturel. Utilisées très tôt comme supports didactiques des mythes pour les anthropologues, dans une démarche clairement pédagogique, les peintures sur écorce figurant des portions de la cartographie mythique du paysage furent érigées, à partir des années 1960, en titres fonciers autochtones dans le cadre de revendications territoriales. « Nos peintures sont un acte politique » expliquait ainsi le dirigeant cérémoniel Galarrwuy Yunupingu à propos d’une pétition sur écorce qui fut présentée au Parlement australien en 1963 pour protester contre l’implantation d’une mine de bauxite sur les terres de son clan [5].

Fig. 3a et 3b : La Pétition sur écorce de Yirrkala, 1963.
Envoyée au Parlement australien en 1963, afin de protester contre l’ouverture d’une mine sur leurs terres de la Péninsule de Gove, co-signée par les dirigeants des douze clans résidant dans la mission de Yirrkala, cette œuvre est considérée en Australie comme une icône du combat politique aborigène.
Courtesy of the House of Representatives of the Commonwealth Parliament of Australia.


Les peintures sur écorce, à l’instar d’autres supports de médiation d’images rituelles qui suivirent, comme les pierres tombales en béton gravé, les photomontages numériques ou les films de cérémonies, donnent à voir des formes de représentations sacrées que les Aborigènes de la Terre d’Arnhem désignent par le terme de mädayin. Ce terme renvoie à un ensemble de formes distinctes – motifs, danses, chants – et d’objets rituels de grande valeur religieuse et esthétique conçus comme une expression du pouvoir des êtres ancestraux (wangarr) qui instituèrent la Loi sacrée (rom), à l’origine de l’organisation sociale, foncière et religieuse du cosmos. Comme le coude qui articule les deux parties du bras, les images mädayin figurent les connexions (likan) qui relient des ancêtres particuliers – couples de Sœurs anthropomorphes, Homme-tonnerre, Crocodile ou Abeille ancestrale – les terres qu’ils créèrent et les clans qui en sont les responsables. La matérialisation des représentations mädayin sur des supports aussi variés que la peau, l’écorce, la pierre, la photographie ou le film est un moyen efficace d’actualiser la présence agissante de ces ancêtres en les faisant apparaître sous des formes sensibles.
L’image rituelle, peinte ou photographique, dans sa matérialité et la singularité de son aspect ne se désolidarise pas de son prototype, c’est-à-dire du pouvoir ancestral qu’elle rend présent ou re-présente. Un lien ontologique fort est ainsi établi entre une peinture, son auteur et son créateur ancestral : les peintres assimilent les figurations des motifs mädayin de leur clan à des autoportraits, « cette peinture c’est moi », « cette peinture dit qui je suis » sont des commentaires fréquemment entendus ; d’autres personnes associeront les œuvres à des membres spécifiques de leur parenté « c’est ma mère [M (B)] », « ma grand-mère maternelle [MM (B)] ». En même temps, pour les Yolngu, les motifs peints proviennent directement des êtres ancestraux : ils sont les ombres (mali) des marques corporelles portées par ces êtres. Ce terme « ombre » (mali) est d’ailleurs celui qui a été choisi pour désigner les photographies, établissant une continuité sémantique entre le corps des ancêtres et la peinture rituelle d’un côté, et la personne vivante ou morte et sa représentation photographique de l’autre.
La valeur des supports de figuration des savoirs rituels réside précisément dans cette qualité indicielle, en tant que traces d’une présence ancestrale à laquelle le regard permet de se connecter. Birrinymal, un expert rituel à l’initiative du mouvement de rapatriement numérique des collections muséales yolngu vers le Centre des savoirs de Galiwin’ku, sur l’île d’Elcho, espérait ainsi, en soumettant les reproductions photographiques des objets au regard des gens qui en connaissaient la signification, « libérer l’esprit des ancêtres enfermés dans des petites boîtes noires afin qu’ils recommencent à agir » [6]. En permettant aux images d’apparaître sur des écrans d’ordinateur dans les communautés, les esprits figurés sur les artefacts pourraient se remettre à « parler », cette communication passant par des apparitions en rêve, sous forme de visions ou de nouvelles idées de création artistique et rituelle (De Largy Healy, 2011).

Fig. 4 : Le mythe des Sœurs Wawilag, 1963, Dawarangulil. Peinture sur écorce de Milingimbi.
Ce mythe et ses différentes expressions forment la trame de la cérémonie Djungguwan. Collection Karel Kupka, 72.1964.9.11. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photographie Thierry Ollivier, Michel Urtado.


Prises dans leur singularité, ces images apparaissent comme un indice du système de relations sociocosmiques plus large dont elles sont l’une des manifestations. Dans un article récent, Carlo Fausto et Carlo Severi (2014 :10) suggèrent d’étudier les images rituelles non plus seulement comme des systèmes de signes, mais aussi et surtout comme des systèmes d’actions et de relations. Considérées comme les « empreintes » (luku, djalkiri) des actions des êtres ancestraux sur des sites spécifiques du paysage, les représentations mädayin des Yolngu apparaissent en effet dans les rituels comme la matérialisation d’un ensemble de relations : relations verticales, entre les vivants, les esprits des morts et les ancêtres totémiques du groupe ; et relations horizontales, entre les individus et les différents clans apparentés appartenant à l’une ou à l’autre patrimoitié de la société. La mise en œuvre des images mädayin dans les rituels permet à ces relations d’être visibles, actualisées et transformées (De Largy Healy, 2017).
Dans la culture visuelle yolngu, l’image rituelle transcende le médium pour exister de sa propre autorité et de manière cumulative sur différents supports. Également opérantes dans les représentations photographiques et filmiques des personnes, ces traces tangibles qui matérialisent une nouvelle forme de connexion entre les ancêtres, les morts et les vivants sont réactivables par le regard. Plus spécifiquement, c’est la pratique active de l’observation, d’une vision relationnelle, ce que Jennifer Deger (2006) appelle le « labeur du regard », qui permet à l’observateur d’activer ses connexions intersubjectives avec le domaine ancestral. Ainsi, en regardant une photographie de son père prise par un ethnologue dans les années 1930, Birrinymal expliquait voir « au-delà » de l’image. Ce qui devenait perceptible à travers la photographie était l’ombre (mali) ou la projection (wunguli) de l’esprit de son père, un important dirigeant cérémoniel de l’époque missionnaire mort 30 ans plus tôt. À sa mort, l’esprit de l’homme avait rejoint le réservoir spirituel de leur clan, une source d’où proviennent également les nouveau-nés du groupe. Ce que Birrinymal voyait derrière l’image photographique relevait directement du domaine ancestral : « ce que je regarde, disait-il, ce sont les fondations sacrées (mädayin) de mon clan ».
Depuis une vingtaine d’années, la disponibilité d’images photographiques anciennes et la possibilité de les copier et de les imprimer ont donné lieu à de nouvelles pratiques de deuil et de façons de commémorer les morts. Passant du statut d’images taboues (sacrées, dhuyu), qui devaient être retirées de la circulation et conservées à l’abri des regards jusqu’au début des années 2000, les portraits photographiques d’aïeux défunts s’ajoutent aujourd’hui aux autres artefacts mädayin traditionnellement exposés dans les abris mortuaires où sont entreposés les cercueils pendant la durée des funérailles. Encadrées, choyées, retouchées, les photos des morts récents qui circulent aujourd’hui sur des écrans de téléphones portables au sein des réseaux de parenté ont pour effet de rendre présents les défunts dans la vie quotidienne en perpétuant par la vision active décrite précédemment les relations individuelles entretenues avec eux (Deger, 2008).
Outre les artefacts rituels et les photographies des morts, le terme de mädayin a été étendu très récemment aux photomontages numériques qui se multiplient sur les profils Facebook des utilisateurs yolngu et sur les téléphones portables. Ces compositions, très populaires auprès des trentenaires, peuvent associer des portraits de défunts, de parents vivants, avec des emblèmes totémiques comme des photos d’animaux, d’objets ou de sites spécifiques du paysage. Ainsi rassemblés, ces éléments forment une nouvelle image mädayin pour le groupe, une représentation qui ne peut être partagée ou sauvegardée que par certains parents proches du défunt [7].

Organisation des savoirs religieux, nouveaux médias et négociation du secret

Depuis les années 2000, l’inquiétude soulevée par les projets de restitution numérique des collections muséales dans les communautés, ou par l’accès des jeunes aux technologies d’enregistrement vidéo sur leurs téléphones portables, se traduit par l’exercice d’une vigilance particulière à l’égard du processus de reproduction des droits sur les images. Quelles personnes peuvent avoir accès à des photographies ethnographiques de rituels, qui sont les ayants droit d’une peinture sur écorce historique, quel peintre a hérité des droits de figurer cet épisode mythique aujourd’hui, qui détient l’autorité de faire « sortir » une séquence rituelle secrète dans le domaine public, ou qui a la permission de partager des films de cérémonie sur les réseaux sociaux sont quelques-unes des questions qui se posent actuellement dans les communautés yolngu de la Terre d’Arnhem. Dans une société où l’accès aux savoirs religieux est strictement régulé selon des critères de genre, de parenté, d’appartenance clanique et d’expérience cérémonielle, la problématique du secret et de sa transmission demeure au centre des préoccupations.
Suivant la répartition des différentes cérémonies mises en œuvre dans la région, les savoirs religieux des deux patrimoitiés yolngu – danses, chants, artefacts et entités totémiques – sont organisés en trois domaines interdépendants appelés, du plus « extérieur » (warrangul) et public au plus « intérieur » (djinaga) et secret : garma, dhuni et ngärra. L’anthropologue Ian Keen (1994), qui a travaillé à Milingimbi dans les années 1970, distingue trois domaines cérémoniels : les cérémonies publiques, les cérémonies régionales et les cérémonies de révélation religieuse ngärra. Sa catégorie des cérémonies régionales, qui comprend les cérémonies Mandiyala, Gunapipi, Djungguwan et Ngulmarrk, correspond à ce que j’appelle dhuni selon le terme utilisé par les hommes avec lesquels j’ai travaillé. Ni publiques, ni complètement secrètes, ces cérémonies, tenues sur des pistes rituelles situées à distance du campement principal, sont utilisées pour initier les garçons et les jeunes hommes à certains savoirs ésotériques « intérieurs » (djinaga) de leur groupe. Dhuni, un nom qui désigne des abris cérémoniels en branches et en écorce dans lesquels sont confectionnés certains types d’artefacts mädayin, traduit en anglais la notion de « semi-restricted », à approcher avec « extrême précaution ».
Les cérémonies de type garma, comme la première initiation masculine (dhapi), les rites de funérailles (bäpurru) ou de diplomatie (marradjiri), se déroulent sur un terrain cérémoniel public, généralement consacré près de la maison du principal groupe organisateur. Ouvertes aux enfants et aux femmes, elles peuvent comprendre certaines séquences rituelles dhuni, qui se déroulent à l’abri des regards, ou bien des versions « extérieures » et publiques de danses « intérieures » habituellement interprétées durant les cérémonies secrètes ngärra. Les cérémonies garma, qui rythment véritablement la vie des familles yolngu, ont fait l’objet de nombreux films par des documentaristes professionnels, mais aussi par des vidéastes amateurs résidant dans les communautés. En 2003, lors de l’acquisition par le Centre des Savoirs de Galiwin’ku de sa première caméra vidéo, c’est ce type de cérémonies que je fus chargée de filmer dans la mesure où, contrairement au personnel yolngu du centre, il n’était pas attendu que je participe aux performances [8].
Ces films tournés à la demande, qui pouvaient durer jusqu’à 10 ou 12 heures, pour des événements se déroulant sur une période pouvant aller de quelques jours à plusieurs semaines, étaient des enregistrements bruts composés de longs plans-séquences des différentes performances dansées des groupes participants aux cérémonies. Pour des funérailles (bäpurru), il s’agissait principalement de filmer l’arrivée des différents clans sur la piste cérémonielle, dégagée devant l’abri funéraire où était entreposé le cercueil, et la succession des danses claniques retraçant les épisodes mythiques qui avaient été choisis pour l’occasion. Après un montage sommaire et un découpage en chapitres, les films étaient gravés sur deux séries de DVD, l’une pour les organisateurs de la cérémonie, les parents proches du défunt ou de l’initié, et l’autre pour les principaux managers (djunggayi) de l’autre patrimoitié. Pour ces DVD réalisés pour des visionnages dans le cadre familial, seules les phases publiques des cérémonies étaient filmées, même si parfois ma caméra était guidée vers des espaces liminaires, par exemple durant une cérémonie de diplomatie marradjiri, où je fus placée à distance des femmes, juste devant l’abri en branches dhuni duquel seraient sortis les poteaux rituels avant leur procession publique et qui étaient demeurés cachés à la vue jusque-là [Fig. 5]. Inversement, on me demandait de couper la caméra durant certaines séquences du rituel jugées trop intenses, lorsque les participants étaient submergés par l’émotion, comme durant les démonstrations spectaculaires de douleur des femmes qui peuvent, au cours de certaines étapes des funérailles, se jeter violemment au sol et se frapper la tête jusqu’au sang, ou lors des débordements parfois violents provoqués par la colère et la soif de vengeance.

Fig. 5 : L’abri de branches dhuni érigé à l’écart de la piste de danse pour confectionner et abriter le poteau rituel de la cérémonie marradjiri.

Photographie de l’auteure, Milingimbi 2004.


Si la présence de la caméra fut rapidement et largement acceptée, et même recherchée par certaines familles soucieuses de conserver un enregistrement des cérémonies, qu’elles visionnaient parfois le jour même, en commentant les performances des uns et des autres, le moindre problème technique était attribué à des causes surnaturelles. Tel fut le cas par exemple peu après le début d’une « grande » danse (yindi bunggul), relevant du domaine « intérieur » (djinawa), qui devait être interprétée publiquement pour clore les funérailles d’un jeune homme de Galiwin’ku mort par suicide. Parées des paniers et cordelettes rituelles mädayin de leur clan, les tantes paternelles du défunt se préparaient à interpréter la marche des Sœurs Djang’kawu, d’importantes figures ancestrales instigatrices de la Loi sacrée (rom) des clans de la moitié dhuwa. Alors que les femmes s’apprêtaient à sortir de l’espace boisé, où elles s’étaient préparées à l’abri des regards, pour gagner la piste cérémonielle publique située devant l’abri mortuaire, la caméra avait brusquement cessé de fonctionner. Pour mes proches yolngu, l’explication avait été évidente : c’était l’esprit du mort qui avait ainsi manifesté son refus de voir cette séquence rituelle particulièrement puissante (dhal) et sacrée (dhuyu) consignée sur un film.
Les cérémonies secrètes de la catégorie ngärra, réservées aux hommes initiés « aux plus hauts degrés » (Elkin, 1977), constituent le domaine « intérieur » par excellence. Mises en œuvre par les dirigeants claniques afin de révéler les savoirs religieux les plus secrets du groupe, elles mobilisent, au cours de « grandes » danses, les objets rituels les plus puissants ou « lourds » (ngonung) des groupes participants, les rangga. Appelées les « high totems  » par Warner (1958[1937]), ces sculptures peintes et gravées sont assimilées aux os (ngarraka) du clan et des êtres ancestraux. Extrêmement dangereux pour les non-initiés, qui ne peuvent physiquement en supporter le pouvoir (märr), la vue même accidentelle de ces objets par des personnes non habilitées pouvait, dans le passé, être passible de mort. Aujourd’hui, lorsque de telles cérémonies ont lieu en Terre d’Arnhem, les routes d’accès aux zones investies par les participants sont bloquées et les véhicules redirigés vers des pistes alternatives. Si femmes, jeunes et enfants sont exclus de ces rituels ngärra et des savoirs « intérieurs » qui y sont transmis, ils peuvent toutefois assister à certaines phases de ces cérémonies, lorsque par exemple, après plusieurs semaines de réclusion, les hommes, le corps peint des motifs mädayin, reviennent sur le terrain cérémoniel public, établi dans le village. Interprétées à « l’extérieur », ces versions publiques des danses « intérieures » permettent de montrer le secret sans toutefois en révéler la signification. Ce mécanisme, qui permet d’extérioriser le savoir intérieur en le rendant visible tout en gardant le contrôle sur son contenu est utile pour comprendre comment le secret peut être conservé dans la transmission filmique des cérémonies.
Outre ces possibilités de montrer sans révéler, différents éléments rituels, comme les artefacts ou les peintures, peuvent passer d’un domaine à l’autre, la nature du secret faisant l’objet de négociations constantes. Comme je l’ai montré ailleurs pour les peintures sur écorce (De Largy Healy, 2012), la circulation des images religieuses à l’intérieur mais aussi à l’extérieur du contexte cérémoniel est soumise à l’autorité des experts rituels des deux moitiés qui en ont la seule prérogative. Appelés « djirrikaymirri » dans la moitié dhuwa et « dalkarramirri » dans la moitié yirritja, des termes qui peuvent se traduire par « détenteurs des noms sacrés », le statut de dirigeant cérémoniel s’acquiert par la naissance, l’expérience et l’âge. Les hommes et les rares vieilles femmes étant reconnus par leur clan comme les « têtes - savoirs rituels secrets - possédant » (liya-ngärra-mirri), ou les « nez » (ngurru) du groupe, détiennent ainsi le pouvoir de renégocier le statut des images et leur passage du domaine secret, intérieur, au domaine public, extérieur.
À Milingimbi en 2009, alors que je cherchais à établir le statut contemporain des peintures sur écorce d’une collection muséale rassemblée 50 ans plus tôt, j’eus l’occasion d’observer un tel processus de négociation rituelle directement. Avant de pouvoir déposer les reproductions numériques des peintures sur l’ordinateur de la petite bibliothèque scolaire, j’entrepris une consultation avec les descendants des peintres afin d’en déterminer les accès. Sur l’ensemble d’environ 180 peintures que je montrais, seules deux, du même peintre, posèrent un problème particulier, les autres étant toutes considérées comme « publiques ». Les différentes personnes consultées ne s’accordaient toutefois pas sur le statut exact de ces deux images qui avaient pour particularité de figurer un objet rituel du clan gupapuyngu : certains pensaient qu’elles devaient être omises du dépôt numérique pour l’école, d’autres qu’elles pouvaient parfaitement être incluses. Après plusieurs allers-retours entre les différents groupes d’ayants droit – les fils du peintre nés de ses différentes épouses, les fils des deux frères du peintre d’une autre branche du clan, les fils de la sœur aînée du peintre (principaux managers de l’autre moitié) – un consensus fut cependant atteint. L’homme reconnu par tous comme étant le propriétaire actuel de cette peinture, le fils aîné de la première épouse du peintre, avait récemment réalisé ce motif sur le torse d’un jeune garçon pour sa cérémonie de circoncision. Comme la première cérémonie d’initiation masculine (dhapi) est un rituel public (garma), tout le monde admit que la peinture avait bel et bien été « sortie » (dhawatmarram) du domaine intérieur. En passant de l’intérieur à l’extérieur dans le contexte cérémoniel, elle devenait ainsi visible par tous, y compris par les enfants de l’école. L’existence de ces potentialités latentes, comme en attente de surgissement (dhawatmarram), est au fondement de la dynamique rituelle yolngu et l’un des principaux vecteurs du changement religieux [9].

Films de rituels, films rituels ?

L’enregistrement filmique de scènes rituelles « intérieures », ainsi que la conservation et la circulation de ces images, ont historiquement fait l’objet de négociations complexes, entre les différents clans impliqués dans les cérémonies d’une part, et au sein des groupes de descendants d’autre part. L’analyse des pratiques sociales qui entourent l’appropriation du média filmique en Terre d’Arnhem est utile pour saisir ces enjeux tant politiques que religieux. Au regard du contexte cérémoniel décrit précédemment, et plus particulièrement de la relation des Yolngu aux images, je propose de considérer les films de rituels comme des « films rituels », dotés d’une efficacité propre tant pédagogique, que politique et religieuse.
Les différents réalisateurs qui se succédèrent en pays yolngu à partir de la fin des années 1920 exprimaient assez bien les préoccupations documentaires de leur temps, depuis la curiosité du grand public pour la vie des tribus aborigènes nomades [10], jusqu’à la glorification de l’action missionnaire [11], en passant par l’enregistrement à des fins de sauvegarde de techniques et de formes cérémonielles qu’on pensait menacées [12] (Bryson, 2002). À la fin des années 1960, un changement de paradigme significatif s’opéra dans le champ de l’anthropologie visuelle, les réalisateurs de films ethnographiques s’orientant davantage vers des pratiques filmiques collaboratives. La généralisation de la technique du sous-titrage qui permit de restituer la parole aux sujets filmés en remplacement du commentaire en voix off est assez révélatrice de cette tendance (MacDougall, 1995). Le tournant vers l’appropriation aborigène des films et l’émergence d’une véritable réflexivité sur ce média peuvent être datés à l’arrivée en Terre d’Arnhem en 1970 du fameux réalisateur Ian Dunlop, déjà connu dans le milieu du cinéma ethnographique pour sa série People of the Australian Western Desert (1965-1967) et ses films sur les Baruya (1972), tournés avec Maurice Godelier en Papouasie Nouvelle-Guinée [Fig. 6]. Comme avec les peintures sur écorce trois décennies plus tôt, les Yolngu saisirent rapidement le potentiel que présentaient les films en tant qu’instruments politiques.

Fig. 6 : Ian Dunlop et le Yirrkala Film Project
Coffret de DVD du Yirrkala Film Projet (Film Australia, 2007) rassemblant les 22 films réalisés par Ian Dunlop en Terre d’Arnhem et jaquettes originales des films Madarrpa funeral at Gurka’wuy (1979), Pain for this Land (1995), et One Man’s Response (1986).


Envoyé en Terre d’Arnhem par l’Australian Commonwealth Film Unit, Dunlop avait initialement pour objectif de documenter l’impact du développement de la mine de bauxite et de la nouvelle ville minière de Nhulunbuy sur les Yolngu résidant dans la mission voisine de Yirrkala. Comme je l’ai mentionné plus haut, la Pétition sur écorce remise au Parlement australien quelques années plus tôt s’était soldée par un échec, de même que le recours juridique entrepris en 1968 par les Yolngu de Yirrkala à la Cour Suprême du Territoire du Nord. L’anxiété associée à cette période d’intensification des contacts avec l’extérieur fut un facteur déterminant pour expliquer la décision des dirigeants des clans de Yirrkala d’enregistrer certains aspects de leur Loi ancestrale (Rom). À l’arrivée de l’équipe de tournage dans la mission, une réunion du conseil des anciens avait été organisée pour expliciter, devant la caméra, leur volonté de « mettre [leur] Loi dans le film avant que la nouvelle loi n’arrive » (Roy Dadaynga Marika, dans Pain for this Land). Cette séquence, incluse dans le Pain for this Land (1995), explique bien les motivations qui présidèrent au Yirrkala Film Project, le nom de la collection de 22 films produits par Dunlop avec les Yolngu de Yirrkala sur une période de 30 ans.
De nombreux films de rituels du Yirrkala Film Project furent ainsi tournés à la demande des organisateurs des cérémonies dans un souci explicite de produire des enregistrements pour les générations futures. Codirigeant le tournage en plus de l’action rituelle, les dirigeants cérémoniels des clans de Yirrkala contribuèrent également à la documentation des cérémonies selon leurs propres critères d’objectivité. Cette nouvelle forme de discursivité filmique sur leurs pratiques religieuses, sciemment enregistrée pour la postérité, met en avant certaines interprétations de l’action rituelle aux dépens d’autres, passées sous silence. Dans les cérémonies yolngu coexistent en effet une variété de perspectives interprétatives sur les épisodes rituels mis en œuvre durant une performance, la signification pouvant varier d’un individu à l’autre, selon son expérience, son statut, le rôle joué par son groupe et ses relations de parenté aux autres clans impliqués.
Les films de rituels sont en outre conçus comme des enregistrements d’une performance qui est elle-même construite, agencée autour d’éléments et de séquences qui varient d’une cérémonie à l’autre (Morphy, 1994). Si les différents types de cérémonies yolngu telles que les initiations masculines ou les secondes funérailles partagent un schème rituel commun, chaque cérémonie est un événement unique orchestré selon un programme singulier. Au regard du large répertoire sémantique et de formes rituelles dans lequel les experts peuvent puiser pour orchestrer une cérémonie – choix des itinéraires mythiques suivis, des lieux traversés, des sujets chantés et dansés, des peintures corporelles réalisées, des objets rituels confectionnés, etc. –, la décision d’immortaliser sur bande telle ou telle version apparaît d’emblée pour les spectateurs yolngu comme historiquement et socialement située. Les négociations rituelles déterminant le déroulement de chaque cérémonie peuvent d’ailleurs apparaître dans les films, rappelant qu’il existe toujours plusieurs alternatives à celles retenues. C’est ce que souligne Dunlop en commentant ici un extrait de son film Djungguwan at Gurka’wuy de 1976 :

Les hommes étaient réunis dans l’abri public […] et ils s’apprêtaient à peindre le visage du garçon et je pense que c’est Dundiwuy qui a posé la question, allons-nous commencer les chants par l’eau douce ou par l’eau salée, et […] un autre dirigeant répondit, nous commencerons par l’eau douce, l’eau douce qui se déverse de la rivière Gurka’wuy, puis avec le changement de marée, [nous chanterons] l’eau de mer qui reflue de toute sa puissance jusqu’au réservoir sacré à l’embouchure de la rivière, qui reflue jusqu’à Gurka’wuy, tout comme la peinture va se répandre sur le visage du garçon. Ce fut donc à ce moment même qu’ils déterminèrent précisément le chant qui allait être interprété (Dunlop, 2006 :48 *).

Le script rituel est ainsi déterminé collectivement avant chaque performance et négocié au fur et à mesure de la progression de la cérémonie par un petit nombre de dirigeants cérémoniels des principaux clans concernés, souvent des clans de la même moitié en relation de grand-mère maternelle (märi) / petit-enfant (gutharra) (MM[B] / [Z]Dc) et de moitiés opposées en relation de mère (ngändi) / enfant (waku) (M[B] / [Z]c) [13]. Ces positions classificatoires déterminent le rôle des différents groupes participants dans la cérémonie et révèlent la politique d’alliance entre les groupes ou les motivations parfois plus personnelles des dirigeants rituels. Dans une société marquée par la segmentarité et une forte compétition entre les clans de la même moitié, l’ambition des dirigeants claniques de faire perdurer leur version d’une cérémonie par le film ou de légitimer la prétention politique d’un groupe sur un corpus rituel ou sur un territoire n’est certainement pas à écarter.
Dans son livre consacré à la fabrique des cosmologies ok de Nouvelle-Guinée, Fredrick Barth (1987) s’intéresse à la variabilité des rituels d’initiations et au rôle de la créativité individuelle dans la reproduction et le changement culturels. Le contenu culturel de la cosmologie, écrit-il, est distribué entre plusieurs sous-traditions régionales tout en étant soumis à une oscillation constante entre la performance publique et la conservation personnelle qui reste aux mains d’un petit nombre d’experts rituels. Cette concentration, qui n’est pas sans évoquer la situation yolngu, où des savoirs rituels distincts mais complémentaires sont détenus par les dirigeants cérémoniels des différents clans, explique comment ces individus pourront petit à petit, au cours de chaque performance, reformuler le contenu et la forme du rituel en accord avec leurs propres visions (Barth, 1987 : 30). Ce nécessaire apport réflexif des experts sur leur propre rôle dans la remémoration et l’innovation cérémonielle va à l’encontre de la perspective plus dogmatique pourtant mise en avant dans la théorie indigène de l’action rituelle qui, pour les Ok comme pour les Yolngu, insiste sur la continuité d’un modèle hérité d’un passé ancestral.

Ambiguïté, formalisation et changement culturel

Depuis les études de Victor Turner (1967) sur la multivalence des symboles rituels, de nombreux anthropologues travaillant en Australie ont montré la densité sémantique des formes religieuses aborigènes [14]. L’ambiguïté caractéristique de ces formes qui peuvent, selon la perspective et le niveau de connaissance des observateurs, figurer plusieurs choses différentes et acquérir des significations variées, en fait des médiateurs de choix du changement culturel. Sous couvert de continuité, ces formes et la signification qui leur est donnée permettent également d’intégrer les nouveautés [15].
S’intéressant aux cérémonies funéraires yolngu et aux façons dont les films ethnographiques comme ceux de Dunlop peuvent être mobilisés en anthropologie pour comprendre comment le rituel se construit, Howard Morphy (1994) met en lumière la nature fondamentalement rétrospective de la cohérence donnée aux actions rituelles. Bien que la forme prise par une cérémonie soit le résultat de facteurs négociés et contingents, qui émergent au cours de la performance – comme la disponibilité de tel ou tel dirigeant rituel, la logistique nécessaire à la participation de parents venus de toute la région, les rivalités entre deux factions d’un clan, etc. –, la cohérence rétrospective qui lui est donnée, y compris dans l’exégèse filmique, fait partie intégrante du processus culturel de transmission de l’action et de la signification rituelles. Même si cette cohérence relève d’une fabrication pragmatique, c’est cette cohérence, plutôt que les aléas pratiques de sa mise en œuvre, qui va être mise en avant par les spécialistes rituels dans l’exégèse de la cérémonie.
Ce processus est apparent dans la manière dont sont construits certains films de Dunlop comme Madarrpa funeral at Gurka’wuy (1979) pour lequel l’anthropologue Howard Morphy était consultant. Filmé suite à la mort subite d’un nourrisson, quelques jours seulement après le début du tournage de la cérémonie Djungguwan discutée plus bas, ce film est structuré autour des différentes étapes qui marquent le voyage de l’esprit de l’enfant mort vers Gangan, un important site sacré du clan de la mère de sa mère situé à 60 km de là. Il restitue l’interprétation rétrospective proposée par Dundiwuy Wanambi sur les événements qui se sont déroulés. Dans la séquence introductive, une carte animée montre les territoires des différents clans impliqués dans les funérailles et les principaux êtres ancestraux associés à ces lieux qui ont fourni le contenu sémantique des formes rituelles mobilisées. Dunlop annonce en voix off les actions rituelles qui seront réalisées durant chaque phase de la cérémonie (la peinture du cercueil, son transport jusqu’à l’abri où repose le corps, la mise en cercueil du corps, son déplacement jusqu’au site où il sera enterré, la mise en terre), en précisant à chaque fois le nom des terres claniques qui seront symboliquement traversées par l’esprit de l’enfant et les itinéraires des êtres ancestraux qui seront mis en œuvre pour l’accompagner. Cette structuration du film laisse penser que tout est parfaitement maîtrisé, que les performances des uns et des autres s’articulent idéalement pour atteindre l’objectif recherché. Ceci est bien entendu loin d’être le cas, chaque cérémonie devant être construite en fonction des forces en présence et la narration rituelle retravaillée en permanence afin de faire sens. Lorsque les exégèses locales cessent d’être rétrospectives pour devenir prospectives, pour orienter l’organisation des performances futures, elles deviennent un facteur déterminant de la reproduction religieuse et du changement social (Morphy, 1994 : 141).

Fig. 7 et 8 : Le Mulka Centre de Yirrkala, centre d’archives et de production de média
Vue extérieure du bâtiment abritant Buku Larrnggay Mulka, le centre d’art de Yirrkala, et le Mulka Centre.

A l’intérieur du centre, l’espace dit « yalu » (le nid), équipé de postes informatiques quotidiennement pris d’assaut par les écoliers à la sortie des classes.

Photographies de l’auteure, août 2016.


Le rapatriement numérique de films ethnographiques anciens dans les centres d’archives des communautés aborigènes, où ils sont visionnés lors de projections publiques ou privées, a donné lieu à de nouvelles formes de réflexivité des Yolngu sur leurs pratiques rituelles. Les descendants des sujets filmés vont en effet pouvoir évaluer les activités cérémonielles passées – la façon d’interpréter un chant, les mouvements d’une danse, de donner corps au mädayin –, tout en s’inscrivant dans une continuité de pratique. Ils vont établir des liens entre les morts et leurs descendants en relevant la similarité d’une voix, d’une manière de se tenir ou de danser. Ils vont approuver l’ardeur montrée par certains danseurs ou rire parfois de leur intensité, comme ce fut le cas lors du visionnage d’un film de funérailles récent montrant un duel au cours duquel deux danseurs interprétant la Pastenague ancestrale s’affrontent avec des kriss macassans. Comme l’écriture analysée par Jack Goody (1977), le film peut être pensé comme une « technologie de l’intellect », rendant possible une exégèse, un retour critique des performances cérémonielles passées. Si, selon Goody, l’écriture s’est imposée comme un nouveau moyen de communication, réifiant la parole par des signes visibles, le film permet de transmettre par mimesis une succession d’images rituelles circonstanciellement scriptées. Ce mode de formalisation pérenne de la performance entraîne une extension des relations sociales dans le temps en connectant par analogie les morts et les vivants. Dépendant du contexte de sa projection et de son audience – membres des clans participants, parents proches des personnes filmées, initiés ou enfants –, l’enregistrement filmique peut également occasionner une multiplication d’interprétations. La conservation et le cumul des ressources filmiques aujourd’hui accessibles aux Yolngu autorisent en effet de nouvelles formes de comparaisons entre différentes versions d’une même cérémonie ou séquence rituelle. Il peut également stimuler certains groupes à marquer leurs différences, en enregistrant les versions qui sont les leurs, afin de réaffirmer la singularité de leur corpus rituel. Ces pratiques relativement récentes de la mémoire et de l’examen critique mettent à mal l’idée de l’existence d’une version originale qui serait, avec l’usage du film, invariablement répétée de la même façon. Leur analyse permet de dépasser le mythe du rituel figé qui coupe court très souvent à tout examen constructif des nouvelles formes de transmission.

La généalogie filmique d’une cérémonie yolngu

Comme pour la vidéo kayapo analysée par Terence Turner dans les années 1980, le film n’est pas simplement mimétique ou représentatif d’une réalité sociale préexistante qu’il s’agirait de faire perdurer à l’identique. Bien conscients des changements qui affectaient leurs modes de représentation traditionnels, les Kayapo d’Amazonie brésilienne s’approprièrent le film en tant que « média socialement agissant », en reconnaissant ses effets sur la transformation de leur culture et sur leur conception d’eux-mêmes (Turner, 1992 :14). Le processus d’objectivation de la culture en Terre d’Arnhem et la façon dont les Yolngu inscrivent leurs cérémonies dans des généalogies particulières sont explicites dans une série de trois films réalisés sur une période de 36 ans d’un rituel de cycle de vie appelé Djungguwan  : The Djunguan of Yirrkala (Sandall, 1966), Djungguwan at Gurka’wuy (Dunlop, 1976) et Djungguwan – Speaking to the Future (Graham, 2002) [16].

Vidéo 1 : La généalogie filmique de la cérémonie Djungguwan
Wanyubi Marika, du clan rrirratjingu, explique sa volonté de transmission de la cérémonie. Extrait du film Djungguwan – Speaking to the Future (Graham, 2002)
Accès direct :
http://filmaustraliaceremony.com.au/flv/future01.htm


Djungguwan désigne un type de cérémonie institué par deux Sœurs ancestrales appelées Wawilag qui la léguèrent à un ensemble de clans de la moitié Dhuwa de la partie centrale de la Terre d’Arnhem. Mise en œuvre pour actualiser les actions créatrices des deux Sœurs, elle est utilisée comme rituel de circoncision pour les jeunes garçons, pour les initier à la « Loi » des Wawilag et pour commémorer les morts récents des groupes organisateurs. Elle permet par une sorte de recyclage clanique des esprits, qui passe par la fabrication et l’érection de poteaux peints (djuwany), de relier les générations passées à celles du présent et du futur, agissant ainsi sur les relations entre les vivants, les morts et les ancêtres. Les performances interprétées chaque jour pendant plusieurs mois retracent à travers des chants, des danses et des peintures corporelles, l’itinéraire des Sœurs Wawilag à travers les territoires des clans organisateurs, rejouant les événements mythiques qui se produisirent en chaque lieu.
À l’écart de la piste cérémonielle publique aménagée à proximité des habitations, dans un abri réservé aux hommes initiés, les dirigeants rituels des groupes concernés confectionnent les poteaux cérémoniels (djuwany) d’environ deux mètres de haut qui seront peints des motifs sacrés (mädayin) de leur groupe et ornés de cordelettes tressées de plumes (wäna). Le dernier jour, les poteaux sont révélés sur le terrain public, dressés au centre d’une grande sculpture de sable appelée gundimolk. Dans le contexte de la performance, ces poteaux figurent les sœurs ancestrales mais aussi les défunts des clans organisateurs de la cérémonie. Leur vue provoque une réponse émotionnelle qui se manifeste d’abord par des larmes et qui culmine dans les chants pleurés des femmes (milkarri). C’est lors de la révélation des poteaux, en présence des êtres ancestraux et des morts qu’ils figurent, que de nouvelles règles de discipline et de comportement social sont communiquées aux novices. La mise en scène de cette séquence est abordée de façon différente dans les trois films.
Dans le premier film de la série, Djunguan at Yirrkala réalisé par Roger Sandall en 1966, l’implication des Aborigènes dans le tournage fut minime. Filmé en grand-angle, dans un souci d’enregistrement objectif, une voix off explique de façon monocorde l’action rituelle en train de se dérouler. La cérémonie Djungguwan filmée est la première cérémonie de ce genre mise en œuvre à Yirrkala. Les droits d’organiser cette cérémonie, initialement détenus par un ensemble de clans du centre de la Terre d’Arnhem, avaient été acquis presque cinquante ans plus tôt dans le cadre d’un échange rituel par le dirigeant cérémoniel du clan rirratjingu, le principal clan organisateur sur le territoire duquel avait été construite la mission (Peterson, 2006 : 4). La cérémonie devait servir à célébrer la mémoire d’un défunt récent du clan rirratjingu et à encadrer le rituel de circoncision du fils de cet homme. L’équipe de tournage de Sandall arriva huit mois après le début de la cérémonie, afin d’en filmer la dernière phase, la confection et l’érection publique des poteaux peints, considérée comme la plus spectaculaire. Un documentaire de 50 minutes et une archive de cinq heures de rush furent réalisés. Un an plus tard, les dirigeants cérémoniels de Yirrkala interdisaient la diffusion et l’accès à l’ensemble de ces images car elles comportaient des scènes tournées dans l’abri des hommes initiés. Inquiets de perdre le contrôle sur les conditions de circulation de ces scènes « intérieures », ils préférèrent tout bloquer [17].

Vidéo 2 : La gestion du secret dans le film Djungguan of Yirrkala, (Sandall, 1966)
Extrait du mini-documentaire réalisé pour le DVD Ceremony. The Djungguwan of Northeast Arnhem Land (FilmAustralia, 2006), avec une intervention de l’anthropologue Nic Peterson (Australian National University).
Accès direct :
http://filmaustraliaceremony.com.au/flv/1966_03.htm


Les deux films suivants de la cérémonie Djungguwan, en revanche, furent tournés à la demande explicite des organisateurs aborigènes de la cérémonie, dans un souci de produire des enregistrements pour les générations futures. Peu avant son tournage du Djungguwan de 1976, Dunlop avait organisé une projection privée du film de la cérémonie de 1966 pour les dirigeants claniques qui en avaient été les instigateurs. Dunlop rapporte comment cette projection provoqua une vive émotion et des larmes. Tout le long du film, les hommes battirent le rythme et chantèrent pour accompagner l’action rituelle. Plus que des spectateurs, ils étaient toujours des participants de la performance (Dunlop, 1979 : 118).
Le film Djungguwan at Gurka’wuy, d’une durée de 4 heures, est introduit sur l’écran d’ouverture comme « une monographie filmique produite par Ian Dunlop sur invitation de Dundiwuy Wanambi » [18]. Dundiwuy, du clan marrakulu, l’homme en charge de l’organisation de la cérémonie de 1976, avait participé à la performance du Djungguwan filmé dix ans plus tôt. Il entendait enregistrer la version propre à son clan de cette cérémonie afin, selon ses propres termes, de « l’inscrire dans l’histoire ». Dans un contexte politique national d’auto-détermination autochtone propice à la décentralisation des familles aborigènes, Dundiwuy venait d’établir une micro-communauté sur les terres de son clan à 150 km de la mission de Yirrkala. Il souhaitait « ouvrir » les lieux avec la performance de cette cérémonie, donnée en mémoire d’un important dirigeant de son clan décédé quelques années plus tôt. Avec l’angoisse provoquée par l’expansion minière dans la région, le film devait également servir de preuve pour démontrer au gouvernement australien l’autorité de son clan sur un territoire potentiellement menacé par d’autres développements [vidéo 3]. Collaborant activement au tournage, il décidait du choix des séquences rituelles à filmer et commentait, avec les dirigeants des autres clans participants, les événements en train de se dérouler. Sa participation s’étendit à la postproduction : il choisit les scènes à inclure dans la version montée du film, destinée au grand public, et les explications à donner sur le contenu de l’action rituelle. En accord avec les souhaits des autres dirigeants, une archive de dix heures de rush, montrant des séquences rituelles « intérieures », dont celles se déroulant dans l’abri des hommes initiés, fut aussi produite afin d’être préservée dans les locaux du Commonwealth Film Unit avec de strictes conditions d’accès. L’accès à cette archive filmique, aujourd’hui rapatriée dans le centre Mulka de Yirrkala, reste limité aux dirigeants rituels des clans concernés, selon les protocoles en vigueur dans la société yolngu. Il n’est cependant pas exclu que certaines séquences filmées, hier considérées comme intérieures, ne puissent être « sorties » et devenir publiques à leur tour, en réponse à la dynamique rituelle contemporaine et aux choix relatifs à la transmission du secret dans les films ultérieurs.

Vidéo 3 : Film et militantisme foncier yolngu
A l’occasion d’une cérémonie Djungguwan filmée sur sa terre de Gurka’wuy, Mithili Wanambi, un important dirigeant rituel du clan marrakulu explique la relation ancestrale de son clan à ces lieux.
Accès direct :
http://filmaustraliaceremony.com.au/flv/land02.htm


Pour aborder cette question, on peut se pencher sur le dernier film de la cérémonie Djungguwan - Speaking to the future (2002), qui répond explicitement à une commande yolngu. Wanyubi Marika, l’un des novices initiés dans la cérémonie de 1976, et Wukun Wanambi, directeur du Centre Mulka d’archives et de production de média, profitèrent de la présence à Yirrkala du documentariste Trevor Graham pour solliciter ce nouveau tournage. La présence du réalisateur fournit le prétexte pour l’organisation de cette importante cérémonie, le tournage servant à motiver les membres de la communauté. L’inquiétude des organisateurs pour le désinvestissement des jeunes est un thème récurrent du film. Leur frustration de ne voir que peu de résidents de Yirrkala prendre part aux différentes phases publiques de la cérémonie est perceptible : dans une séquence, on voit Wanyubi Marika sillonner la municipalité dans un quatre-quatre, doté d’un haut-parleur, crier sa colère et sa déception tout en sommant les gens à participer. Commentant cet effet exhortatoire du film, en relation à celui de 1976, le réalisateur Trevor Graham explique :

Et si l’on met ces deux films ensemble ce que nous obtenons, c’est des sortes de documents qui témoignent de l’histoire et qui témoignent du combat, du besoin ou de la capacité intergénérationnelle à préserver la culture sous la forme d’un film documentaire ou d’une vidéo. (2006 :56)

S’inscrivant clairement dans une continuité généalogique, les instigateurs du tournage appartiennent aux deux clans organisateurs successivement des cérémonies filmées en 1966 (clan rirratjingu) et en 1976 (clan marrakulu). Tout au long du film, différents experts rituels prennent la parole face à la caméra pour expliquer les raisons qui les poussent à organiser et à filmer cette cérémonie Djungguwan. S’adressant directement aux générations présentes et futures, ils les interpellent, les exhortant à regarder, à écouter et à apprendre afin de pouvoir « suivre dans les empreintes de leurs ancêtres » [vidéo 4]. Les empreintes font référence ici à celles des êtres ancestraux, mais aussi à celles de leurs aïeux qui les premiers firent le choix de les laisser sur des films. Ces aïeux, figurés par les poteaux cérémoniels peints, sont spécifiquement nommés dans le film : il s’agit du père de Wanyubi, Milirrpum Marika, et de son oncle, Roy Dadaynga, deux hommes très investis dans le film de 1976 de Dunlop.

Vidéo 4 : « Je vous parle à vous, dans le futur ». Mode d’injonction et transmission filmique.
Extrait du film Djungguwan – Speaking to the Future (Graham, 2002)
Accès direct :
http://filmaustraliaceremony.com.au/flv/future02.htm


Dans ce film d’une heure, plus intimiste que les précédents, la caméra suit les protagonistes dans leurs préparatifs rituels, usant de nombreux gros plans sur les hommes et sur leurs activités techniques. La principale différence dans la mise en scène du rituel concerne la décision d’inclure des séquences « intérieures » se déroulant dans l’abri des hommes initiés, là où sont fabriqués et consacrés les objets rituels de la cérémonie – les poteaux peints (djuwany) et leurs ornements de plumes de loriquet. Les épisodes rituels correspondants, bien que captés en 1966 et 1976, avaient été omis des films montés, à cause de leur nature secrète et dangereuse pour une audience extérieure et non-initiée.

Vidéo 5 : Dans l’abri secret des hommes. Fabrication des objets sacrés et mémorialisation des ancêtres. Wanyubi Marika, du clan rrirratjingu.
Extrait du film Djungguwan – Speaking to the Future (Graham, 2002)
Accès direct :
http://filmaustraliaceremony.com.au/flv/instruments03.htm


La décision de rendre visible à tous ce qui se passe dans l’abri des hommes initiés a des implications importantes pour le rituel du futur. Comme dans le rituel yolngu lui-même, où il n’existe pas de corpus immuable et arrêté de ce qui relèverait du secret d’un côté et du public de l’autre, des éléments spécifiques pouvant changer de statut sur décision des personnes détentrices de l’autorité sur la cérémonie, la relation entre le visible et le non-visible est travaillée dans le film. Cette possibilité nouvelle de percevoir, ce qui avant ne pouvait que se vivre, vient à transformer l’expérience du rituel en retour. Du point de vue des novices, l’existence de ce film et la possibilité de le voir changent leur expérience du rituel puisqu’ils ont désormais la possibilité de regarder, par la médiation d’un écran, ce qui, dans une instanciation particulière de la cérémonie Djungguwan, s’est passé dans l’abri secret des initiés. Mais tout en montrant la fabrication des objets, le film ne dévoile pas l’ensemble des savoirs normalement associés à cette révélation qu’il faut vivre pour assimiler. Ce choix relève d’un retour réflexif sur ce qui, dans le rituel, doit être transmis pour assurer sa reproduction. Inquiets des effets néfastes de la ville et de l’alcool sur la jeunesse, les dirigeants cérémoniels souhaitaient rendre certaines de ces séquences secrètes publiques afin d’inciter les générations futures à les perpétuer à leur tour. Cette stratégie aura sans doute des conséquences sur la façon dont les deux films précédents seront visionnés à l’avenir et il sera intéressant de voir les effets de ce choix de transmission sur l’accès qui sera donné aux séquences analogues filmées dans le passé.

Chaque cérémonie est un événement unique même si c’est un autre Djungguwan. Le Djungguwan de Yirrkala en 1966 était un événement unique. Le Djungguwan de Gurka’wuy en 1976 était un événement unique. Et à condition que l’on comprenne que ce sont des événements uniques, qu’aucun ne fait autorité, alors avec de la chance nos films ne fossiliseront pas ces événements mais les enrichiront (Dunlop, 2006 : 52 *).


Cet enrichissement potentiel paraît évident lorsque l’on sait que les films existent dans une relation dialogique avec d’autres ressources rituelles, y compris d’autres films de cérémonies, cet ensemble participant du processus de construction culturelle des images mentales. La cérémonie n’est pas appauvrie par l’enregistrement, de nouvelles couches de significations et d’expériences sont ajoutées à chaque fois, à chaque visionnage, en fonction des personnes présentes, de celles qui sont décédées et qui sont en quelque sorte devenues elles-mêmes des images rituelles en rejoignant le pool spirituel de leur clan. Au sein de cette distribution de relations, l’objet « film de rituel » s’enrichit et se densifie au fil du temps, au regard de sa généalogie particulière et des interprétations qu’il suscite tant en termes de réflexivité que de créativité rituelle.

Conclusion : une raison filmique ?

On peut dire ainsi que les films de rituels du Yirrkala Film Project sont devenus des artefacts de la culture yolngu au même titre que d’autres productions culturelles telles que les peintures sur écorce. En rendant visibles les connexions entre les participants, les terres et les ancêtres, à travers des séries de danses, de chants et de motifs, les films peuvent, comme les peintures, être conçus comme des supports matériels de médiation de l’agentivité ancestrale. Plutôt que d’être considérés au regard de l’authenticité de la forme rituelle qu’ils présentent, une forme qui deviendrait fossilisée à travers le processus d’enregistrement, les films de rituels sont valorisés pour les liens qu’ils matérialisent entre les performances passées et présentes, les morts et les vivants, les clans et les territoires.
Considérés ensemble, les trois films du DVD Ceremony peuvent être vus comme une accumulation de traces, ou d’index consultables d’événements ou de performances rituelles passées qui coexistent tous dans la contemporanéité. Cet effet cumulatif implique des formes de réflexivité qui se complexifient à mesure que de nouveaux index s’ajoutent à cette collection. On pourrait se demander finalement, si la réflexivité à l’œuvre dans la production de films rituels, qui demande une certaine forme d’objectivation des événements concernés, ne risque pas en dérivant vers une certaine essentialisation, voire une patrimonialisation de l’image, de menacer la créativité rituelle. Mais ces possibilités nouvelles de stockage de la mémoire rituelle présentées par le film se combinent, dans le cas des Yolngu de la Terre d’Arnhem, à d’autres pratiques de mémorisation, des morts notamment, permettant de nouvelles formes d’évaluation, de créativité et de transmission génératives. En s’inscrivant dans des mécanismes plus anciens de visibilisation de l’ancestral, les films de rituels permettent d’articuler le processus de transformation et la continuité revendiquée de la tradition.
Dans la dynamique religieuse de la Terre d’Arnhem, les films de cérémonie telle que la trilogie Djungguwan présentée ici apparaissent comme une production rituellement agissante. La diffusion de ces films génère un mode de relation aux images interactif, non doctrinaire, propice à une multiplication d’interprétations de la part des acteurs vis-à-vis de leurs pratiques. En tant que traces consultables de cérémonies passées, elles-mêmes agencées selon le contexte socio-politique particulier de leur performance, les films de rituels se caractérisent ainsi par leur capacité génératrice. Ils fournissent des supports alternatifs à la mémoire et peuvent influencer l’organisation de cérémonies futures où il s’agira de poursuivre ou de se distinguer des choix faits par leurs prédécesseurs. Cette représentation du film engendre de nouvelles versions le rapprochant de la forme rituelle qu’il représente. Plutôt que de constituer un patrimoine religieux figé qui réifierait les formes et l’action rituelles, la tension entre authenticité, répétition et création, révélée notamment par l’usage des films de rituels, les situe au contraire dans un ordre socio-cosmique dynamique qui, sous certaines conditions impliquant une distribution dissymétrique des rôles et une renégociation constante du secret, peut être générateur de nouveaux modèles pour l’action rituelle future. En présentant des alternatives à l’appréhension du rituel, ce média en révèle des potentialités latentes et concourt à les complexifier, faisant de leur transmission un processus de création permanente.

add_to_photos Notes

[1Cet article est la version remaniée d’une communication présentée lors d’une journée d’étude sur la réflexivité rituelle organisée par E. Gobin et M. Vanhoenacker le 13 novembre 2014 au musée du quai Branly. Je les remercie très chaleureusement pour leur regard attentif et leurs critiques constructives.

[2Le Mulka Project, archive numérique et centre de production de média (en ligne) https://yirrkala.com/the-mulka-project

[3Les premiers « artistes » yolngu étaient tous des hommes initiés, des « meneurs de cérémonie », reconnus pour leur autorité religieuse. Aujourd’hui encore, les principaux peintres établis sur le marché de l’art contemporain sont souvent ceux dont les compétences sont localement valorisées et recherchées pour la peinture cérémonielle. A partir des années 1970, certaines femmes se sont également mises à peindre, d’abord sous le contrôle de leur père ou pour aider leur époux, puis de façon indépendante.

[4Kupka, Karel 2007 [accessed : 2016/11/1]. "Object Id : 6176". In People and communities. ODSAS : https://www.odsas.net/object/6176 (accès restreint).

[5Très médiatisée à l’époque, la Pétition sur écorce de Yirrkala était composée de deux textes, l’un en anglais et l’autre dans le dialecte gumatj, collés sur deux panneaux de bois dont les rebords furent peints des motifs associés aux terres menacées par l’exploitation minière. Cette pétition donna lieu à la nomination d’un comité parlementaire chargé d’enquêter sur la situation des Aborigènes de cette région. Malgré son échec, cette initiative qui marqua un épisode important dans le mouvement des revendications foncières aborigènes en Australie, fut à l’origine de la reconnaissance juridique de l’usage de peintures cérémonielles comme titres fonciers autochtones, une pratique qui se généralisa à partir de 1993 avec l’adoption du Native Title Act et la création de tribunaux fonciers aborigènes.

[6Avec le développement des infrastructures de télécommunication dans le grand nord du continent et l’adoption par le gouvernement fédéral d’une politique muséale de collaboration avec les communautés aborigènes, les projets d’archivages numériques se multiplièrent dans le Territoire du Nord au cours de la décennie passée. Le Centre des Savoirs aborigènes de Galiwin’ku fut un projet pionner d’archive numérique autochtone financé entre 2002 et 2005 par la municipalité, l’Aboriginal and Torres Strait Islander Commission et le Département des Bibliothèques du Territoire du Nord.

[7Le statut à part de ce type d’images est notamment illustré par les façons dont elles sont commentées sur Facebook, les utilisateurs indiquant systématiquement leur relation de parenté aux personnes représentées et demandant toujours la permission avant de sauvegarder l’image sur leur téléphone.

[8Dans le cadre du protocole de recherche signé avec les autorités de la municipalité de Galiwin’ku et l’Université de Melbourne où j’ai réalisé ma thèse, il fut convenu que je travaillerai à mi-temps pour le Centre des Savoirs créé quelques mois avant mon arrivée sur le terrain. Outre ses ambitions archivistiques, cette organisation proposait différents services aux habitants de la communauté, comme l’accès à internet, l’impression et la plastification de photographies ethnographiques de son fond, ou l’enregistrement audiovisuel de cérémonies.

[9Ce passage entre un intérieur et un extérieur par la médiation d’artefacts rituels est aussi marquée dans le désert central australien où les Warlpiri l’expriment en termes de kangarlu (au-dessus/public) et kanunju (en dessous/secret). Barbara Glowczewski (1991) a proposé d’appréhender la relation de cette paire conceptuelle comme un processus de feedback entre le virtuel et l’actuel : le dessous, le « virtuel » associé à la sphère ancestrale, est généré au-dessus, dans « l’actuel ». Ce double mouvement, mis en œuvre dans le rituel notamment par la matérialisation de ce qu’elle appelle des images-forces (kurruwari), et qui correspond aux images madäyin yolngu, entraine des transformations réciproques et constantes des deux domaines.

[10Coorab in the Island of Ghosts de Francis Birtles, 1922 ; Aboriginal life, de Heath & Finch, 1947 ; Primitive Peoples, de Ralph Smart, 1948.

[11How shall they hear, 1959 et Faces in the Sun, 1961, de Cecil Holmes.

[12Aboriginal Australia, de Howell Walker, 1948 ; Aborigines of the Sea Coast 1950 et Arnhem Land, de Mountford, 1950 ; The Djunguan of Yirrkala, Sandall, 1966 ; Djalambu, Holmes, 1964.

[13Suivant la notation de parenté en vigueur en Australie, M = Mother ; MM = Mother’s Mother ; B = Brother ; D = Daughter ; Z = Sister ; c = Child. Les parenthèses carrées signifient « ou », par exemple, MM[B] Mother’s Mother ou Mother’s Mother’s Brother. La barre oblique marque la relation entre les deux termes.

[14Voir par exemple pour la Terre d’Arnhem Morphy (1991), Keen (1994), Magowan (2007).

[15De nombreux exemple d’incorporation pourraient être développés pour illustrer ce point, je me permets de renvoyer à De Largy Healy (2013) pour une analyse de l’intégration de l’histoire du contact avec les pêcheurs de Makassar dans les mythes et les rituels yolngu.

[16A la demande des Yolngu de Yirrkala, ces trois films furent réunis en 2006 sur un coffret DVD intitulé Ceremony.

[17Une nouvelle version publique de 17 min est présentée sur le DVD Ceremony (2006).

[18Dundiwuy fut l’un des plus proches collaborateurs du réalisateur Ian Dunlop. Un film réalisé par Dunlop et Pip Deveson à partir d’entretiens effectués sur une période de 12 ans, Conversations with Dundiwuy Wanambi (1995), offre un portrait saisissant de cet homme aux prises avec les bouleversements causés par l’implantation de la mine et l’introduction d’alcool dans la région.

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Bibliographie (accès ci-dessous à Filmographie)

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Filmographie

DUNLOP Ian (réalisateur). People of the Australian Western Desert, 1965-1967. Film Australia. 314 min.

DUNLOP Ian (réalisateur). Towards Baruya Manhood, 1972. Film Australia. 505 min.

DUNLOP Ian (réalisateur). Madarrpa funeral at Gurka’wuy, 1979. Film Australia. 88 min.

DUNLOP Ian (réalisateur). One Man’s Response, 1986. Film Australia. 54 min.

DUNLOP Ian (réalisateur). Djungguwan at Gurka’wuy, 1990. Film Australia. 240 min.

DUNLOP Ian (réalisateur). Pain for this Land, 1995. Film Australia. 43 min.

DUNLOP Ian (réalisateur). Conversations with Dundiwuy Wanambi, 1995. Film Australia. 50 min.

GRAHAM Trevor (réalisateur). Djungguwan – Speaking to the Future, 2002. Film Australia. 87 min.

SANDALL Roger (réalisateur). Djungguan of Yirrkala, 1967. Australian Institute of Aboriginal and Torres Strait Islander Studies. 55 min.

  • Collections

Ceremony. The Djungguwan of Northeast Arnhem Land, 2006, coffret de 2 DVD, Film Australia. 360 min.

The Yirrkala Film Projet, 2007, coffret de 18 DVD, Film Australia. 1040 min.

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Pour citer cet article :

Jessica De Largy Healy, 2016. « Retours sur images. Nouveaux médias et transmission du secret dans les rituels du nord de l’Australie ». ethnographiques.org, Numéro 33 - décembre 2016
Retours aux rituels [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2016/De-Largy-Healy - consulté le 29.03.2024)
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