La possession en train de se faire : de la réflexivité dans l’invention et la transmission d’un rituel vietnamien

Résumé

Il est question dans cet article de la naissance récente d’une nouvelle forme de rituel de possession au Vietnam, pays marqué à la fois par le projet séculaire socialiste ayant contraint de nombreux rituels à la clandestinité, et par plusieurs décennies de guerre meurtrière, qui ont rendu la relation entre les vivants et les morts plus compliquée que jamais. Dans ces séances, ce sont les clients eux-mêmes qui incarnent les défunts afin que les autres membres de leur famille puissent interagir avec eux. Après avoir exposé le contexte historique et politique de cette innovation, je montre qu’elle est tributaire de promoteurs issus des élites intellectuelles du pays qui ont su négocier des espaces de légalité pour ces pratiques par une habile appropriation du projet séculaire des autorités. En étudiant ensuite en détail la construction collective des incarnations des morts dans ces séances très peu formalisées, je montre que l’efficacité du rituel áp vong repose sur sa capacité à mettre en jeu les compétences réflexives des participants en créant des configurations interactionnelles propres à l’émergence d’épreuves portant sur les relations entre corps et agentivités. Enfin, je reviens sur le moment singulier de l’invention de ce rituel, qui constitue elle-même une succession d’épreuves. Je montre alors que cette innovation consiste surtout en l’élaboration et la transmission de techniques d’exorcisme appliquées à des pratiques adorcistiques.

Abstract

This article addresses the recent birth of a new form of spirit possession ritual in Vietnam, a country transformed by the socialist secular project, which relegated many rituals into clandestinity, as well as by several decades of deadly war, which made the relation between the living and the dead more complicated than ever. In these séances, it is the clients themselves who embody the dead so that the other members of their family can interact with them. After having examined the historical and political context of this innovation, I show that it was promoted by members of the intellectual elites of the country, who were able to negotiate spaces of legality for these practices through a clever appropriation of the authorities’ secularisation project. Then, by studying in detail the collective construction of the impersonations of the dead in these barely formalised séances, I show that the efficacy of the áp vong ritual relies on its capacity to engage the participants’ reflexive skills by creating interactional configurations that favour the emergence of trials (épreuves) concerning the relations between bodies and agencies. Finally, I return to the unique moment of the invention of this ritual, which itself constitutes a succession of trials. Then, I show that this innovation essentially consists in the elaboration and the transmission of techniques of exorcism applied to adorcistic practices.

Sommaire

Table des matières

Apposer les âmes

En février 2007, un article publié dans l’édition du nouvel an vietnamien de la revue Khoa học và Đời sống (Science et Vie) fait état d’« expérimentations » menées au sein d’une association scientifique et portant sur une pratique appelée « áp vong », qui consisterait à « appeler l’âme d’un défunt à pénétrer le corps d’un parent afin que la famille puisse communiquer avec lui » (Phạm Thúy Thanh 2007). On peut considérer cet article comme l’acte de naissance d’une forme nouvelle de rituel de possession, qui connaîtra un succès fulgurant dans les années suivantes : en août 2011, le journal en ligne VTC News comparera le développement spectaculaire des « centres de áp vong » à celui de « champignons après la pluie » (Bình Thủy Trần 2011).

Fig. 1. Une séance de áp vong dans les locaux de l’Union des sciences et technologies pour l’informatique appliquée. Une des employées encadrant le rituel prend des notes pour les statistiques de l’Union.
Hanoï, février 2011.
Photographie : P. Sorrentino.


Devenu relativement courant aujourd’hui, le terme áp vong signifie littéralement « appliquer/apposer (áp) l’âme (vong) ». Pouvant fonctionner indifféremment comme prédicat ou comme substantif, ce néologisme récent désigne des séances de possession au cours desquelles des familles cherchent à entrer en contact avec leurs défunts, chez un spécialiste qui joue essentiellement un rôle d’encadrement : c’est un client qui doit être possédé et permettre aux autres membres de la famille de communiquer avec le mort ainsi incarné. Cette distribution des rôles distingue le áp vong du gọi hồn (littéralement « appeler l’âme »), forme plus ancienne de possession ritualisée où c’est un médium professionnel qui prête son corps aux défunts (Endres 2008), et des cérémonies de lên đồng, où des divinités sont incarnées par des spécialistes initiés (Fjelstad et Nguyen Thi Hien 2006). Le dispositif liturgique du rituel de áp vong est minimal : les offrandes présentées aux morts sont sommaires (encens, bouteilles d’eau, fruits…) et ne sont pas accompagnées de psalmodies, de musique, de danses ou autres séquences d’actions fixées à l’avance comme il est de coutume dans la plupart des autres rituels de la religion populaire vietnamienne (Sorrentino 2010). Très peu formalisées, ces séances de possession sont fortement marquées par l’incertitude : en début de rituel, on ne peut savoir quels défunts se manifesteront et quels membres de la famille ils posséderont. Les acteurs principaux n’étant pas des spécialistes initiés, il est courant qu’aucun mort n’intervienne ou qu’on ne parvienne pas à communiquer avec celui qui semble se manifester dans le corps d’un participant, et les incarnations sont souvent mises en doute voire contestées par les clients, ou même par les spécialistes.

Cette innovation rituelle peut surprendre à deux titres. D’une part, parce que la possession est théoriquement illégale au Vietnam, le parti unique au pouvoir la considérant comme une pratique superstitieuse néfaste. Comment, dans un contexte politique a priori très défavorable, un nouveau rituel de possession a-t-il donc pu voir le jour ? D’autre part, l’effacement du spécialiste, relégué à un rôle d’encadrement, et le caractère très peu formalisé de l’action dans le rituel de áp vong posent la question de sa transmission. De quoi ce rituel est-il fait ? Qu’est-ce au juste qui a été diffusé lorsque ce rituel s’est popularisé à partir de 2007 ? Pour mieux saisir les tenants et les aboutissants de cette innovation, j’en dessinerai d’abord le contexte historique et politique, qui est celui d’une société entraînée dans un élan de sécularisation à marche forcée, mais profondément marquée par plusieurs décennies de guerre particulièrement meurtrières, rendant la relation aux morts plus problématique que jamais. C’est de réflexivité sur le rituel et sur sa légitimité qu’il sera donc question. Je discuterai ensuite des modalités de mise en œuvre de ce rituel, dont on verra que l’efficacité est fondée sur les compétences réflexives des participants, qu’une approche inspirée par la sociologie pragmatique permettra de mettre en évidence. Forte de cette grille de lecture, la troisième partie reviendra sur les premières étapes de cette innovation rituelle, sur ce que l’on peut considérer comme son invention. À partir de ce fil d’événements dont les acteurs principaux sont une possédée et son entourage, il sera possible de mieux comprendre la nature de ce qui a été transmis dans la diffusion du rituel de possession áp vong, ainsi que l’articulation entre les deux usages de la réflexivité mis en jeu dans cette innovation : celle qui s’exerce dans le rituel, et celle qui s’exerce sur lui.

Vers une nouvelle ritualité

Dès le début de son long chemin vers le pouvoir, avec l’indépendance de fait du Vietnam en 1945, la fin de la guerre d’Indochine et la partition en 1954, puis la réunification du pays en 1975, le Parti communiste vietnamien a tenté de maintenir sous son contrôle les pratiques religieuses, notamment par la mise en place de politiques impliquant des volets répressifs aux formes et intensités variables (Malarney 2002 ; Endres 2011). L’intérêt de l’État pour les religions n’est pas inédit dans l’histoire du pays et, du ministère des Rites dans l’empire précolonial (Woodside 1971 : 27-28 ; Taylor 2013 : 212-213) à la réhabilitation des festivals villageois après l’effondrement du bloc soviétique (Endres 2000), les pratiques rituelles ont joué un rôle central dans cette longue histoire des relations entre État et religions au Vietnam. Depuis l’indépendance, ces relations sont fortement marquées par le projet socialiste de transformation de la culture. Le programme élaboré en 1943 par Trường Chinh, théoricien du Parti communiste indochinois [1], appelait à un triple mouvement de « nationalisation » (dân tộc hóa), « massification » (đại chúng hóa) et « scientifisation » (khoa học hóa). Considérées comme un obstacle au troisième volet de cette transformation, les « superstitions » (mê tín) devaient alors être éliminées.

Bien qu’initialement formé au XVIIe siècle au contact des missionnaires jésuites (Barrett 2008), le néologisme chinois pour « superstition » (mixin, 迷信), dont l’invention est contemporaine de celui pour « religion » (zongjiao, 宗教), s’est répandu dans l’ensemble de l’Asie sinisée sous l’influence des réformateurs japonais de l’ère Meiji (Josephson 2006 ; Hardacre 2011), qui furent les premiers à formuler explicitement la nécessité d’éliminer les superstitions (meishin pour la prononciation japonaise). C’est à la charnière des XIXe et XXe siècles que le terme équivalent, mê tín, fit son apparition dans le vocabulaire des élites vietnamiennes (Marr 1981 : 344-346), le sécularisme du mouvement communiste vietnamien devant donc être compris dans le contexte plus large des modernités asiatiques [2]. Comme en Chine socialiste (Clart 2014), la notion de superstition s’inscrit dans une typologie distinguant les religions instituées (tôn giáo), dotées d’une organisation centrale reconnue par l’État, les croyances (tín ngưỡng), tolérées (et de plus en plus valorisées) dans le cadre d’une démarche de patrimonialisation, et les superstitions qui ont, donc, vocation à disparaître. Dès l’indépendance, l’État vietnamien manifeste la volonté de réformer les rituels en proposant des alternatives aux pratiques ainsi stigmatisées, notamment dans le domaine funéraire, mais cette tentative de mettre les pratiques cérémonielles au service de la révolution, que Shaun Malarney qualifie de « fonctionnalisme d’État », est un échec cuisant (Malarney 1996 ; 2002).

Les années 1980 et 1990 sont celles de la politique du Renouveau (Đổi mới), amorcée en 1986 par le VIe congrès du Parti communiste vietnamien et qui se veut une ouverture politique et (surtout) économique du pays. Sur le plan religieux, elle donne lieu à un assouplissement relatif et à la réapparition de nombreuses pratiques que les politiques anti-superstitions avaient jusqu’alors contraintes à une existence clandestine (Tran Thi Lien 2009 ; Salemink 2010). Mais ce renouveau religieux ne doit pas être vu comme une résurgence mécaniquement induite par un relâchement du contrôle administratif et policier : l’État n’a pas plus le monopole de l’initiative que les pratiquants n’ont une marge de manœuvre infinie. Outre une tendance générale à la sécularisation, conformément à l’agenda du Parti, un autre critère essentiel régit ce renouveau négocié : l’acceptabilité d’un culte est mesurée à l’aune de sa contribution (ou de sa nuisance supposée) à la construction nationale (Jammes et Sorrentino 2015). C’est essentiellement dans ce registre que les individus et groupes promouvant des pratiques religieuses vont tenter de les rendre lisibles pour l’État et pour le Parti.

Dans une optique de légitimation des rituels de possession, théoriquement illégaux, plusieurs voies peuvent être envisagées afin de contourner les politiques anti-superstitions. Par exemple, les cérémonies du culte des Quatre Palais, où des médiums initiés incarnent un panthéon de divinités à grand renfort de danses, d’offrandes, de costumes et de musique, ont pu regagner leur visibilité grâce à une patrimonialisation progressive amorcée dans les années 1990, sous l’impulsion d’ethnologues vietnamiens, qui ont notamment su impliquer de nombreux chercheurs étrangers dans la légitimation de ces rituels de possession (Phạm Quỳnh Phương 2009 : 175-182 ; Endres 2011 : 158-187 ; Sorrentino 2013 : 289-294). Bien sûr, ces choix stratégiques ont des conséquences sur les rituels eux-mêmes : les séances médiumniques du culte des Quatre Palais ont vu leurs dimensions liturgique et esthétique s’accentuer au détriment de leurs fonctions oraculaires et thérapeutiques (Phạm Quỳnh Phương 2006).

Pour ce qui est de la possession par les morts, le contexte du retour aux rituels est aussi celui d’un pays marqué par la guerre. En particulier, les corps d’un grand nombre de soldats tombés au cours des violents conflits que le pays a connus au XXe siècle (guerre d’Indochine, guerre du Vietnam, invasion et occupation du Cambodge khmer rouge, guerre sino-vietnamienne) n’ont pas été retrouvés ou identifiés – plus d’un demi-million d’après les chiffres disponibles [3]. Au tournant des années 1990, des réseaux – d’abord informels – d’anciens combattants gradés et de membres des élites intellectuelles du pays (chercheurs, ingénieurs, médecins, architectes…) ont entrepris de faire appel à des médiums pour localiser les corps égarés de leurs frères d’armes, la possession permettant d’interroger directement les soldats sur la localisation de leurs ossements. Ils auraient rencontré leur premier succès en avril 1994, avec l’exhumation de 13 corps à proximité du mont Non Nước dans la province de Ninh Binh, théâtre de violents affrontements entre l’armée régulière vietnamienne et les forces coloniales françaises en juin 1951 (Nguyễn Chu Phác 2000). Suggérant une solution possible à un problème majeur que l’État peinait à résoudre [4], et jouant de relations personnelles avec des responsables politiques de haut rang, ces groupes ont progressivement institutionnalisé leurs activités à travers la production d’un cadre discursif et administratif relevant du domaine de la recherche scientifique.

Deux associations affiliées à la Fédération des associations des sciences et techniques du Vietnam (Liên hiệp các Hội Khoa học và Kỹ thuật Việt Nam, souvent désignée par son sigle anglophone : VUSTA) ont ainsi vu le jour à Hanoï et ont joué un rôle essentiel dans la promotion des pratiques de possession par les morts. La première est l’Union des sciences et technologies pour l’informatique appliquée (Liên hiệp Khoa học Công nghệ Tin học Ứng dụng, généralement appelée UIA pour Union for Informatics Application), fondée en 1992 et autorisée par le gouvernement à mener des expérimentations sur les « capacités spéciales » (khả năng đặc biệt) depuis 1997, notamment grâce à un partenariat avec l’Institut des sciences pénales du ministère de la Sécurité publique. La seconde est le Centre de recherche sur les potentiels humains (Trung tâm Nghiên cứu Tiềm năng con người, TTNCTNCN), fondé en 1996-1997, qui vit son premier projet officiel de recherche lié à la communication avec les morts approuvé par le ministère des Sciences, des Technologies et de l’Environnement en 2000.

Les tombes de soldats disparus ont fourni à ces deux associations un argument politique de poids pour légitimer leurs recherches. Plus généralement, le développement de pratiques médiumniques de communication avec les morts faisait écho à des transformations profondes connues par la société vietnamienne. En effet, la guerre n’a pas seulement multiplié les cas de malemort (Gustafsson 2009), puisque c’est la structure même de l’ancestralité, la distinction entre bonne et mauvaise mort, qui a été ébranlée (Kwon 2008). Ainsi, alors que la plupart des rituels vietnamiens dédiés aux morts mettent en scène l’ordre lignager de manière assertive, la possession autorise des ajustements dans les cultes aux défunts dont l’histoire récente a rendu les cadres en partie obsolètes. Permettre aux morts, à tous les morts, des ancêtres aux âmes errantes, d’emprunter le corps des vivants, c’est créer la possibilité pour leurs familles de renégocier leur place dans les cultes domestiques et dans la vie symbolique du groupe llignager.

Dans le même temps, fortes du crédit conféré par des collaborateurs aussi éminents que Đào Vọng Đức (ancien directeur de l’Institut de physique) ou Đoàn Xuân Mượu (ancien directeur de l’Institut Pasteur de Dalat et directeur adjoint de l’Institut d’hygiène et d’épidémiologie), les deux associations affichaient l’intention de contribuer à la transformation de la culture populaire souhaitée par les autorités. Ainsi, Phanh Anh, professeur en sciences des télécommunications ayant longtemps siégé à la tête du directoire du TTNCTNCN rappelait-il que « quand la science ne conquiert pas de positions, alors c’est la superstition qui gagne du terrain » (Phan Anh 2007 : 9-10). De même, dans le premier numéro de la revue Thông tin Khoa học UIA (Informations scientifiques de l’UIA), publié peu de temps avant que l’association entreprenne d’obtenir son autorisation gouvernementale, des articles sur la méditation, la médecine traditionnelle, le bouddhisme, ou encore les expériences paranormales menées aux États-Unis et en URSS, se mêlaient à des textes publiés par les instances centrales du Parti communiste vietnamien ou par leurs membres et appelant les sciences à contribuer au développement du pays (Liên hiệp Khoa học Công nghệ Tin học Ứng dụng 1997).

Fig. 2. Couverture du premier numéro de la revue Thông tin Khoa học UIA (Informations scientifiques de l’UIA), 1997.
Photographie : P. Sorrentino.


Au fil des années, l’UIA et le TTNCTNCN ont gagné en visibilité et certains des médiums travaillant en leur sein sont devenus des personnages publics connus, à l’instar de la médium Phan Thị Bích Hằng, qui aurait contribué au rapatriement de plusieurs dizaines de milliers de corps de soldats. On peut distinguer, dans les activités des deux associations, deux aspects interdépendants. Le premier est l’organisation et l’encadrement des pratiques faisant l’objet de leurs programmes de recherche : thérapies sans médicaments, ateliers de radiesthésie et surtout séances médiumniques visant à invoquer les âmes des soldats disparus – et, une fois la légitimité des deux associations consolidée, d’autres catégories de défunts. Le second aspect des activités du TTNCTNCN et de l’UIA consiste en la production de légitimité pour ces pratiques et leurs spécialistes. À la lecture des publications produites par les deux associations, on constate que les recherches qui y sont menées visent essentiellement à prouver que les capacités des médiums sont réelles et ne relèvent pas de la supercherie (voir par exemple Nguyễn Chu Phác 2007 : 96, 100, 111 ou Quan Lệ Lan 2010 : 194).

L’un des aspects essentiels de ce travail de légitimation des rituels de possession consiste en la production d’un nouveau vocabulaire, essentiellement emprunté aux sciences naturelles. Le terme le plus emblématique de ce renouvellement est le néologisme ngoại cảm (littéralement « extra-sensorialité »). C’est en référence à cette faculté, nommée à partir de sources en anglais et en français (Nguyễn Chu Phác 2010 : 10), que sont désignés, dès le début des années 1990, les médiums œuvrant à la localisation des tombes de soldats disparus. Le terme « spécialiste de l’extra-sensorialité » (nhà ngoại cảm) viendra ainsi remplacer, dans le contexte des pratiques médiumniques encadrées par le TTNCTNCN et l’UIA, les termes habituellement consacrés aux spécialistes de la possession (ông đồng, bà đồng, cô hồn…), y compris lorsque ces pratiques ne diffèrent aucunement des formes traditionnelles d’incarnation des esprits (voir Quan Lệ Lan 2010 : 285-293). L’entrée du terme ngoại cảm dans l’édition de 2008 du dictionnaire de référence (Nguyễn Như Ý 2008) est une marque de succès pour les promoteurs des pratiques de communication avec les morts. Définie comme la « perception de choses normalement imperceptibles à l’aide de capacités spéciales et mystérieuses que la science ne peut encore expliquer », la notion est illustrée par l’exemple suivant, qui suggère que c’est plus qu’un simple mot qui a été adopté, mais l’ensemble de la constellation narrative produite par les promoteurs de la communication avec les morts : « les nhà ngoại cảm peuvent trouver les tombes égarées de longue date » (Nguyễn Như Ý 2008 : 1118).

La rhétorique des chercheurs en extra-sensorialité, mêlant science et politique, semble s’adresser aussi bien aux autorités qu’aux clients des spécialistes rituels qu’ils cautionnent. Un discours conforme ou semblable à celui de l’État peut apparaître comme une garantie que l’on ne risque pas de voir la police intervenir pour mettre fin à des activités superstitieuses. Sur le terrain, la plupart de mes interlocuteurs étaient d’ailleurs persuadés que l’UIA et le TTNCTNCN étaient une seule et même organisation et qu’elle était un établissement public. Ce n’est pas un hasard : le TTNCTNCN entretient des liens organiques avec des institutions scientifiques publiques (notamment l’Institut de physique), dont des membres éminents font partie de ses dirigeants. L’UIA joue pleinement sur cette ambiguïté, affichant sa collaboration avec la police scientifique, qualifiant ses employés de « cadres » (cán bộ) et précisant n’ouvrir qu’aux heures « administratives » (của nhà nước).

Au fil du temps, les deux associations sont ainsi devenues des fournisseurs de légitimité pour les spécialistes rituels s’y associant, lesquels purent profiter des espaces de légalité ouverts par leurs fondateurs. Il faut bien voir ici que ces espaces consistent plus en régimes d’exception (autorisations obtenues par décret, tolérance négociée personnellement avec des dirigeants) qu’en une inflexion de la loi ou de la position officielle du parti unique. Le projet de sécularisation de la société demeure une prémisse fondamentale des négociations sur les rituels dans le Vietnam du Renouveau. Les promoteurs de la communication avec les morts ont opéré un habile déplacement de ce projet : alors qu’à l’époque révolutionnaire la sécularisation des rituels impliquait une mise à l’écart du monde des esprits, on voit ici se mettre en place une sécularisation des modes de relation avec l’autre monde. L’existence des âmes des morts n’est plus niée mais est au contraire fondée en science, tout comme le sont les modes de mise en relation proposés, qui se trouvent dépouillés de toute ornementation cérémonielle. En effet, la plupart des signes caractéristiques des pratiques de la religion populaire, potentiellement suspectées d’être de nature superstitieuse, sont éliminés des séances médiumniques des nhà ngoại cảm : plus de tambours, de psalmodies, de costumes, d’offrandes élaborées, plus de danses, de talismans, de livres d’invocations. La relation avec les morts y est réduite à son plus simple appareil : une conversation.

Possession et réflexivité

Ayant émergé en 2006-2007 comme une activité expérimentale de l’UIA, le rituel de áp vong s’inscrit dans ce développement d’une nouvelle ritualité. C’est alors la figure même du médium, souvent sujette à la méfiance des autorités et de la population, qui est mise à l’écart, le spécialiste ne jouant plus qu’un rôle d’encadrement alors que ce sont les membres de la famille qui incarnent eux-mêmes les défunts. Cette délégation de la fonction médiumnique, associée au dépouillement liturgique lié à l’appropriation du projet séculaire socialiste, contribue à faire des séances de áp vong des rituels fortement propices à l’émergence de l’imprévu [5]. Le caractère extrêmement ouvert qui en découle va faire jouer un rôle capital aux compétences réflexives des participants.

Au début d’un rituel de áp vong, le spécialiste dispense aux clients des explications sur le déroulement attendu de la séance. Cet exposé est très régulier d’une séance à l’autre, à tel point que certains spécialistes semblent réciter un texte appris par cœur et que l’UIA a fini par produire un enregistrement diffusé au début de chaque séance organisée dans ses locaux. Les familles sont invitées à dresser par écrit la liste des défunts avec lesquels elles souhaitent entrer en relation – des formulaires pré-imprimés sont parfois disponibles à cet effet – et des recommandations leur sont faites quant à l’attitude à adopter pour favoriser la possession. Ainsi, lorsqu’un défunt semble se manifester à travers le corps d’un membre de la famille, il faut l’interroger en favorisant les questions fermées, exprimer physiquement de l’affection à son égard et s’adresser au possédé d’emblée comme s’il était effectivement le défunt en choisissant les termes d’adresse adéquats. De même, il est recommandé à ceux qui auraient le sentiment d’être possédés de se laisser envahir par l’âme du mort tout en s’efforçant de ne pas réagir aux sollicitations contraires à la possession (par exemple : ne pas répondre si on les appelle par leur propre nom).

Une part importante de ces explications préliminaires est consacrée à l’attention que chaque participant doit porter aux signes de possession dont il pourrait faire l’expérience dans son propre corps : frissons, picotements, mal de tête, somnolence… Mais plus qu’un répertoire fixe de symptômes, l’exposé de ces signes suggère surtout l’idée de perceptions trompeuses. Il ne s’agit pas de poser, par exemple, une relation de nécessité entre sensation de froid et possession, mais d’affirmer qu’une telle sensation peut survenir alors que la température ne s’y prête aucunement. J’ai même entendu un spécialiste mettre en garde ses clients sur le fait qu’ils pourraient faire l’expérience de signes de possession alors qu’ils ne sont pas possédés. Cette remarque n’est contre-productive qu’en apparence : ce qui importe ici est l’idée que la relation que chaque participant entretient avec son corps est potentiellement biaisée. Ainsi mis à distance du sujet, le corps se trouve en quelque sorte objectivé.

D’autres détails abondent dans le même sens. Les corps des possédés ne parvenant pas à s’exprimer doivent par exemple être manipulés afin de débloquer leur parole, par l’ouverture mécanique de leur bouche ou l’exercice d’une pression sur certains points d’acupuncture. Les spécialistes des rituels áp vong posent souvent leur main sur la tête de leurs clients – geste habituellement proscrit au Vietnam – et lui impriment un léger mouvement de rotation. En outre, les choix lexicaux opérés par certains spécialistes parmi les nombreux termes désignant le corps en vietnamien privilégient les mots composés avec xác (thể xác, thân xác), dont la plupart des usages courants font référence au cadavre. L’idée est ainsi suggérée que l’animation du corps est provisoire et que son lien avec le sujet n’est pas indéfectible. Une spécialiste encadrant les séances de l’UIA expliquait souvent aux clients que leurs corps devaient être, littéralement, des « cadavres vivants » (xác sống), oxymore qui illustre éloquemment l’objectivation des corps mise en œuvre au début des rituels de áp vong.

Un dernier point, qui pourrait sembler anodin, contribue à la préparation de la possession, à savoir l’interdiction d’employer un téléphone portable avant qu’un défunt ne se soit manifesté. Un tel interdit est inhabituel au Vietnam. Pendant une séance de cinéma ou une cérémonie d’offrande dans un temple, il n’est pas rare qu’un téléphone sonne et que son propriétaire prenne l’appel sans susciter la moindre réaction, et les spécialistes rituels eux-mêmes évitent de manquer un appel même lorsqu’ils sont en plein travail. Il existe toutefois une exception à cette indifférence vis-à-vis de l’intrusion téléphonique dans le cours d’un rituel : les médiums, qui ne prennent normalement pas d’appels pendant leurs rituels, le secrétariat téléphonique s’ajoutant aux fonctions cérémonielles de leurs assistants. Les participants aux séances áp vong se trouvent donc implicitement assimilés par cet interdit à des êtres dont le corps est disponible pour la possession.

La phase préparatoire du rituel instaure donc ainsi une situation où chaque participant est devenu un possédé potentiel. Une fois l’exposé des explications préliminaires terminé, la séance proprement dite commence, et il est demandé aux clients de demeurer concentrés, silencieux, et de garder les yeux fermés. Les membres de chaque famille assis en cercle sur le sol couvert de nattes attendent ainsi la manifestation d’un défunt, cherchant en eux-mêmes puis chez les autres des signes de possession. Au fil des minutes, on voit certains participants renoncer à l’idée d’être possédés et commencer à observer les autres avec attention. Pendant ce temps, le spécialiste encadrant la séance circule entre les groupes, guettant la manifestation d’un mort.

Celle-ci peut être spectaculaire, comme lorsqu’une jeune fille éclate en sanglots et commence à s’adresser à ses parents en employant des termes d’adresse qui suggèrent qu’elle est un ancêtre masculin. Mais dans la plupart des cas, le constat de la manifestation d’un défunt sera moins aisé et impliquera la participation active de l’ensemble du groupe. On peut considérer que la phase d’attente s’achève au moment où est émise – par un membre de la famille ou par le spécialiste encadrant la séance – l’hypothèse selon laquelle un participant donné serait possédé. Ce moment marque l’émergence d’un possédé présumé au sein du groupe des possédés potentiels. Il s’agira alors de confirmer qu’on est bien face à la manifestation d’un mort et d’identifier celui-ci. C’est ici que les instructions préliminaires s’avèrent fondamentales : elles guident l’ensemble de la famille dans l’identification du défunt incarné ou, pour le dire autrement, dans l’identification du possédé présumé à un défunt. Le choix de questions fermées plutôt qu’ouvertes, l’expression d’affection envers le mort, ou encore le lâcher-prise recommandé au possédé présumé vont contribuer à cette construction collective d’une incarnation. Observer cette phase d’identification, c’est donc décrire la possession en train de se faire.

Fig. 3. Une possédée présumée, en pleurs, est interrogée pendant une séance de áp vong.
Province de Hòa Bình, janvier 2011.
Photographie : P. Sorrentino.

Reposant essentiellement sur les contributions de non-spécialistes, cette construction de la possession dans les rituels de áp vong est particulièrement précaire, et sa description n’autorise pas le recours à des énoncés du type « x est possédé par y », puisque ce sont les conditions mêmes de validité d’un tel énoncé pour les participants qu’il s’agit d’interroger. Pour produire une ethnographie détaillée de cas particuliers – ce que le format de cet article ne me permet pas de faire – j’ai proposé de voir la possession comme une épreuve (Sorrentino 2013). Cette notion, empruntée par l’anthropologie des sciences de Bruno Latour (1984) à la sémantique structurale d’Algirdas Julien Greimas (1966), a été mise à profit de manière systématique dans la sociologie pragmatique de Luc Boltanski et du Groupe de sociologie politique et morale (Boltanski et Thévenot 1991 ; Claverie 2003 ; Boltanski 2009). Cette sociologie propose de lire la vie sociale comme une succession de moments pratiques, où les conditions d’action ne sont pas ou peu questionnées, et de moments réflexifs – les épreuves – pendant lesquels il s’agit d’opérer les ajustements nécessaires à la continuité de l’action (Boltanski 2009 : 98-108). Situation marquée par une forte incertitude, l’épreuve consiste, en d’autres termes, en une qualification négociée de la réalité.

L’épreuve de la possession porte sur les relations entre corps et agentivités. En effet, pour étudier la construction de la possession, il peut être utile de la considérer comme un processus d’attribution d’agentivité, au sens d’une capacité d’action intentionnelle faisant l’objet d’inférences (Gell 2009 (1998)). On peut ainsi voir la situation d’incarnation comme le fait d’attribuer les actions d’un corps à l’agentivité d’un esprit, d’une divinité, d’un défunt. Ce décentrement, revenant à étudier la possession autour du possédé plutôt qu’en lui, permet de tenir compte de la dimension collective de la construction d’une incarnation, nécessaire à la description de formes de possession aussi fragiles que áp vong. Dans ces séances, les conditions de l’épreuve de la possession sont instaurées par les instructions préliminaires, qui remettent en question les relations entre corps et agentivités, c’est-à-dire en faisant de chaque participant un possédé potentiel. Préparée par cette incertitude initiale, l’épreuve n’est toutefois amorcée que lorsque le consensus tacite sur l’état des choses est expressément questionné, lorsqu’un participant vient « contester la réalité de la réalité » (Boltanski 2009 : 14), en l’occurrence en suggérant que le corps de tel ou tel membre de la famille n’est peut-être plus animé par son intentionnalité mais par celle d’un défunt.

Alors que dans les séances médiumniques du culte des Quatre Palais (cf. supra), fortement centrées sur la liturgie, l’attribution de l’agentivité des esprits au corps du médium est essentiellement assurée par le dispositif rituel (organisation spatiale, costumes, chants, gestes codifiés annonçant l’arrivée de chaque divinité…), le recours à une lecture attentive des moments réflexifs s’impose face au caractère versatile d’une séance de áp vong [6]. L’épreuve de la possession peut ainsi y être ouverte par un client se désignant lui-même comme possédé présumé (la jeune fille qui éclate en sanglots) ou attirant l’attention des autres membres de la famille sur le comportement de l’un d’entre eux (on commence à interroger un neveu qui semble assoupi), ou par le spécialiste rituel (« ah, une âme est arrivée ! », en s’asseyant à côté d’un client). Une hypothèse sur l’identité du défunt incarné peut être formulée dans le même temps (un client qui gémit soudainement « les enfants, c’est moi, c’est Maman », ou un autre qui regarde son fils et lui demande « grand-père, c’est toi ? »), mais il faudra le plus souvent interroger le possédé présumé pour connaître (ou construire) cette identité, et ces négociations pourront être longues et conflictuelles. La possession peut être mise en doute par un membre de la famille (« arrête de faire semblant ! ») ou par le spécialiste (« ouvrez les yeux, vous n’êtes pas possédée »), voire niée par le possédé présumé lui-même – ce qui n’empêche pas forcément le reste du groupe de considérer que son corps est agi par un défunt. Comme tout moment réflexif, l’épreuve de la possession a vocation à aboutir à une nouvelle entente qui, aussi provisoire soit-elle, permettra le retour à l’action. Il est intéressant que les instructions dispensées en début de séance tendent à converger vers cette phase du rituel et à en favoriser une issue positive, c’est-à-dire l’attribution de l’agentivité d’un défunt au corps d’un client. Une fois cette définition de la situation stabilisée, la famille pourra s’entretenir avec le mort et ce, jusqu’à ce qu’une nouvelle épreuve mette fin à la possession. Celle-ci pourra par exemple être amorcée par une perte de connaissance du possédé ou par le spécialiste qui salue et congédie le défunt [7].

Un point important ici est que les nombreux accrocs qui émaillent cette construction collective de l’incarnation (hésitations, doutes, soupçons) ne remettent aucunement en cause la continuité de la séance en tant que telle. Bien au contraire, ce caractère incertain des épreuves de la possession dans les rituels de áp vong est le fondement même de leur efficacité. Mais avant d’aborder cette question, il peut être judicieux de se demander ce qui, au bout du compte, fait de áp vong un rituel. En effet, ses promoteurs au sein des réseaux de l’UIA et du TTNCTNCN, conformément à la stratégie lexicale exposée précédemment, préfèrent qualifier cette pratique de « méthode » (phương pháp) plutôt que de « rituel » (nghi lễ). Le caractère peu liturgique et fortement imprévisible de ces séances ne nous encouragerait-il pas à leur donner raison ? Peut-être, si l’on s’en tient à une conception du rituel centrée sur le caractère scripté et formel de l’action, mais des approches plus attentives aux processus de ritualisation qu’à la liturgie ou au symbolisme (Bell 2009 (1992) ; Humphrey et Laidlaw 1994 ; Houseman et Severi 2009 (1994)) ont suggéré que le rituel gagnait à être compris moins comme « une séquence préétablie de comportements » que comme « une configuration relationnelle dont ces comportements font partie » (Houseman 2012 : 187). Une telle approche implique moins de se demander si áp vong est un rituel que de chercher à savoir où, dans áp vong, il y a du rituel.

Fig. 4. La spécialiste encadrant le rituel tente d’aider la famille à établir une conversation avec un enfant mort en bas âge, par l’intermédiaire du corps de sa grande sœur, que ses parents entourent de leurs bras.
Province de Hòa Bình, février 2011.
Photographie : P. Sorrentino.


De ce point de vue, les éléments discursifs qui, d’une part, mettent en suspens les relations entre corps et agentivités (corps suspecté, corps-cadavre, corps manipulé, clients assimilés à des médiums) et, d’autre part, cadrent la démarche réflexive de construction des incarnations par les clients (comportements prescrits) sont les éléments constitutifs du rituel de áp vong. Alors que l’objectivation des corps crée une incertitude propice à l’émergence de moments réflexifs, les instructions sur la manière d’interagir avec les possédés présumés assurent la prise en charge de l’imprévu, moins pour en atténuer les conséquences que pour en faire le levier de l’efficacité rituelle. Car c’est justement dans le caractère incertain de l’épreuve de la possession que le rituel agit : la démarche réflexive dans laquelle s’engagent les participants va réaliser l’opération qui se trouve au cœur du áp vong, à savoir la mise en place d’une situation d’interaction singulière, l’incarnation, où l’un des participants (le possédé) devient un locuteur complexe à qui la parole d’un défunt est « prêtée » (Severi 2009).

Le « travail du rituel » (Houseman et Severi 2009 (1994) : 249) dans áp vong se déploie donc en plusieurs temps. Tout d’abord, le cadre de la séance et, surtout, les explications préliminaires fournies par le spécialiste créent une première situation d’interaction particulière dans laquelle la relation entre corps et agentivités se trouve subvertie. Les conditions d’un débrayage des attributions agentives sont réunies, facilitant l’ouverture d’épreuves de la possession. Mettant à contribution la réflexivité des participants, ces épreuves peuvent instaurer, à leur tour, une nouvelle situation d’interaction, conditionnée par la première. Cette nouvelle configuration relationnelle, l’incarnation, autorise des cours d’action inédits, en l’occurrence des interactions avec les morts qui, entraînant des prises de parole ou des processus de décision, auront des conséquences sur la vie du groupe familial et des individus qui le composent. C’est ainsi la capacité des participants à s’interroger sur le déroulement du rituel de áp vong, dans les moments réflexifs qu’il favorise, qui lui confère son efficacité.

D’un exorcisme à l’invention d’un rituel

Le contexte historique et politique de l’apparition de la pratique du áp vong et la teneur singulière de ces séances de possession ayant été exposés, il m’est maintenant possible de revenir plus en détail sur le processus d’innovation dont ce rituel est issu. En retraçant le fil des événements qui ont conduit à ce qu’il faut bien qualifier d’invention du áp vong, nous pourrons mieux saisir ce qui fait la substance de ce rituel et ce qui, par conséquent, a été transmis lorsqu’il s’est diffusé au-delà des murs de l’UIA. J’ai évoqué en introduction de cet article la présentation à la presse de la pratique du áp vong alors qu’elle était encore expérimentée dans les locaux de l’association. À cette occasion, les chercheurs de l’UIA et du TTNCTNCN ne la désignaient pas encore comme une « méthode » (phương pháp) facilement généralisable mais comme une « capacité » (khả năng) propre à une femme d’une quarantaine d’années, Hoàng Thị Thiêm, qui deviendrait bientôt l’une des spécialistes les plus connues de cette pratique, et avec qui je mènerais plus tard une partie de mon enquête de terrain. Comme nous allons le voir, l’histoire du áp vong est aussi l’histoire de Thiêm.

Thiêm est née à Hải Phong en 1970 et a grandi dans la province septentrionale de Lào Cai, au sein d’une famille de riziculteurs. Au début des années 2000, elle traversa une « période de folie » au cours de laquelle elle commença à incarner régulièrement un certain Nam, un paysan mort prématurément et dont l’âme aurait commencé à la suivre après qu’elle fut passée à proximité de l’endroit où il avait perdu la vie. C’est seulement quelques années plus tard que cette possession prit le chemin d’une spécialisation rituelle, lorsque Trần Văn Biển, cousin du mari de Thiêm et physicien proche des réseaux du TTNCTNCN, entreprit d’aider le couple à se libérer de l’emprise de Nam, amorçant ainsi ce que l’on peut considérer comme une démarche d’exorcisme. Biển tenta à de nombreuses reprises de provoquer l’incarnation de Nam par Thiêm, afin de négocier avec le défunt les conditions de son départ. Le physicien décida également d’inviter Thiêm à participer de manière régulière à des cours de méditation organisés par une association collaborant avec l’UIA.

Un soir du début de 2006, alors que Biển et un membre de cette association attendaient la manifestation de Nam à travers le corps de Thiêm, celle-ci sembla incarner un tout autre personnage. Les différents récits que j’ai recueillis à propos de cet événement, qui sont autant d’épreuves de la possession inachevées, divergent quant à l’identité de l’être qui animait alors le corps de Thiêm : le groupe se serait trouvé en présence soit de la « Mère » (Mẫu), divinité tutélaire définie de manière vague par Thiêm mais résonnant avec la « Religion des Mères » que nombre d’intellectuels vietnamiens considèrent aujourd’hui comme la religion autochtone du Vietnam, soit de la bodhisattva Quan Âm (Guan Yin), figure féminine omniprésente dans le bouddhisme vietnamien. Toutefois, les récits s’accordent sur la teneur des propos empreints de solennité qu’aurait tenus l’entité : elle avait instrumentalisé le fantôme Nam pour informer Thiêm de la mission sacrée qu’elle lui avait confiée, à savoir d’aider les Vietnamiens à libérer les âmes de leurs morts, en particulier des morts de la guerre. C’est après cet épisode inscrivant Thiêm dans la constellation narrative du renouvellement scientifique et nationaliste de la possession par les morts que sa spécialisation rituelle fut envisagée.

Fig. 5. Thiêm effectuant une offrande d’encens devant la statue de la « Mère » érigée dans sa cour.
Province de Hòa Bình, janvier 2011.
Photographie : P. Sorrentino.


La domestication d’une relation afflictive avec un esprit est, au Vietnam comme ailleurs, un schème classique des parcours initiatiques des spécialistes de la possession (Hell 1999). Mais dans le cas de Thiêm et de Nam, ce n’est pas la compétence médiumnique de l’incarnation qui a fait l’objet d’une spécialisation, mais la capacité à faire émerger la possession à travers le corps d’une autre personne. Ce qui est devenu la pratique rituelle de Thiêm n’est pas ce qu’elle faisait avec Nam, sa capacité à l’incarner, mais ce que Biển et ses collègues faisaient avec elle, la faculté de provoquer la possession. Au cours de l’été 2006, constatant qu’il était possible de faire apparaître Nam dans le corps de Thiêm de manière régulière, le groupe décida d’expérimenter les techniques ainsi développées sur d’autres personnes, avec l’idée qu’elles pourraient être généralisées pour aider les Vietnamiens à entrer en relation avec leurs morts et, en particulier, panser les blessures de la guerre. Biển et ses proches organisèrent ainsi les premières séances de ce qu’ils décidèrent d’appeler – après maintes discussions – áp vong, qui furent couronnées de succès : les morts revenaient.

C’est à cette période que le groupe décida de bénéficier du cadre institutionnel de l’UIA, qui mit ses locaux à disposition pour poursuivre l’expérimentation des séances de áp vong. Surtout, il semble que l’association ait habilement orchestré l’apparition de Thiêm et de cette nouvelle forme de possession dans la sphère publique vietnamienne. En août et en novembre 2006 furent organisées deux conférences de presse afin de présenter Thiêm. Mais au cours de ces deux événements, ce n’est pas de possession par les morts qu’il fut question : les yeux bandés, Thiêm lut la presse du jour et d’autres documents que lui présentaient les journalistes, faisant la démonstration d’une faculté que les chercheurs de l’UIA et du TTNCTNCN qualifiaient de « troisième œil » (con mắt thứ ba), et dont Thiêm aurait pris conscience lors de cours de méditation (Phạm Ngọc Dương 2006a, 2006b ; Liên Châu 2006 ; Lan Anh 2006). Aucun des articles alors parus dans la presse ne fit mention de la relation que Thiêm entretenait avec le défunt Nam et qui l’avait amenée à participer à ces cours en compagnie de Biển. Quoiqu’on pense de la véracité et du caractère opportun de ce « troisième œil » – qui ne sera jamais associé à la possession par les morts –, il a manifestement été mis à profit pour construire a priori la validité scientifique du cas de Thiêm en tant que « spécialiste de l’extra-sensorialité » (nhà ngoại cảm) et ce, plusieurs mois avant la présentation des expérimentations áp vong de février 2007.

Entre-temps, Thiêm avait donc elle-même appris à provoquer la possession chez les autres. Mais elle fut loin d’être la seule. En conflit avec le directeur de l’UIA pour des raisons financières – le succès des séances de áp vong allant de pair avec une multiplication des dons des familles en bénéficiant –, Thiêm quitta l’UIA au printemps 2007 pour s’installer "à son compte" à Hòa Bình. L’UIA n’en continua pas moins d’organiser des séances de áp vong, alors encadrées par certains de ses employés, qui furent bientôt qualifiés de « cadres de la chambre des âmes » (cán bộ phòng vong), du nom donné à la pièce dans laquelle les rituels bientôt quotidiens étaient organisés (Sorrentino 2016). Le TTNCTNCN, avec lequel Thiêm collabora par la suite, organisa lui aussi des séances de áp vong dans ses propres locaux. Ainsi, la référence à une « capacité spéciale » (khả năng đặc biệt) s’avéra vite superflue et la facilité relative avec laquelle la pratique pouvait être diffusée en fit une « méthode » (phương pháp) dans le discours de ses promoteurs. Dans les années qui suivirent, de nombreux spécialistes ouvrirent leurs propres « centres de áp vong » (trung tâm áp vong), avec ou sans le soutien institutionnel du TTNCTNCN ou de l’UIA. Une part de ces spécialistes avaient d’abord été clients lors d’une séance, et avaient tiré de l’incarnation d’un mort une vocation tout à fait comparable à celles des médiums, sauf qu’il s’agissait pour eux d’aider les autres à être possédés.

Nous pouvons maintenant mieux saisir en quoi a consisté l’innovation áp vong. Ce qui a été élaboré par l’entourage de Thiêm, puis s’est diffusé à travers les réseaux de l’UIA et du TTNCTNCN, est un ensemble de techniques visant à instaurer un contexte propice à l’émergence de la possession. Ce que Thiêm, les employés de l’UIA et les autres spécialistes du áp vong ont appris, c’est à créer les conditions pragmatiques de l’épreuve de la possession. Cette mise en place de situations d’interaction particulières repose en grande partie, comme nous l’avons vu, sur des éléments discursifs. J’ai pu constater, à travers le cas d’un centre de áp vong nouvellement créé, que ceux-ci étaient parfois repris littéralement : les expressions employées par le couple de spécialistes qui avaient fondé ce centre étaient exactement les mêmes que celles des animateurs des séances du site au sein duquel ils s’étaient rendus à plusieurs reprises en tant que clients et où ils avaient construit leur vocation à travers l’incarnation d’un oncle tombé au front pendant la guerre.

La diffusion de ces techniques a pu être facilitée par le fait qu’elles relèvent partiellement d’un savoir social déjà existant au Vietnam. En effet, certains rituels voués à libérer les âmes des morts, appelés cầu siêu (littéralement « prier pour la libération »), impliquent la possibilité qu’un membre de la famille incarne un défunt à un moment précis de la séquence liturgique. Le cành phan, une branche de bambou surmontée d’une bannière, support des âmes des défunts, y circule entre les participants. À chaque fois, le porteur du cành phan voit son visage couvert d’un voile [8]. C’est à travers son corps qu’un défunt peut alors se manifester, mais cela n’est possible que si les autres membres de la famille savent habilement inciter le mort à s’exprimer : ils doivent savoir « appeler » (kêu), « flatter » (nịnh) ou « attirer » (chiêu) l’âme. Si les occurrences effectives de possession sont rares dans ces cérémonies [9], le fait que la parole des morts est tributaire du talent de leurs interlocuteurs n’en est pas moins une idée présente dans les discours vietnamiens sur la possession.

En outre, comme nous l’avons vu, c’est en tentant d’exorciser Thiêm que son entourage en est venu à mettre au point la « méthode » áp vong. Or, des formes d’exorcismes décrites à l’époque coloniale impliquent l’incarnation, par sa victime, de l’esprit que l’on cherche à chasser (Dumoutier 1899 : 290-297, 344-345 ; Phan Kế Bính 2005 (1915) : 378-379 ; Durand 1959 : 57-63). Pour pouvoir négocier ce départ – ou le contraindre par des actions parfois violentes –, l’exorciste doit d’abord provoquer la manifestation de l’esprit à travers le corps de son client. D’ailleurs, le tout premier article de presse publié au sujet de Thiêm, bien qu’il y soit surtout question de son troisième œil, évoque également des recherches sur des pratiques d’exorcisme menées à la même période au sein de l’UIA (Phạm Ngọc Dương 2006a). Ne s’agit-il pas là des premières séances de áp vong organisées par l’association ? Car entraîner la manifestation de l’entité fauteuse de trouble pour l’identifier implique précisément d’ouvrir un moment réflexif tourné vers la construction d’une incarnation – ce en quoi, précisément, consiste l’épreuve de la possession.

Au bout du compte, le coup de génie du groupe gravitant autour de Thiêm est d’avoir développé une expertise relative aux épreuves auxquelles ils la soumettaient pendant leurs tentatives de l’exorciser et de mettre cette expertise en œuvre dans d’autres contextes. Le groupe a appris à instaurer les épreuves de la possession dans des situations où la manifestation des défunts était recherchée, sans que le but soit de rompre la relation avec eux, c’est-à-dire à transférer des techniques d’exorcisme à des pratiques adorcistiques (Heusch 1971).

Fig. 6. Thiêm contribuant à l’épreuve mettant fin à une incarnation.
Province de Hòa Bình, mars 2011.
Photographie : P. Sorrentino.
Fig. 6. Thiêm contribuant à l’épreuve mettant fin à une incarnation.
Province de Hòa Bình, mars 2011.
(Photographie : P. Sorrentino.)

Conclusion

Le rituel de áp vong a vu le jour dans un Vietnam aux prises avec son histoire récente, tenu entre la volonté de se moderniser et le besoin de prendre en charge ses morts. Cette innovation n’a pas été le fait des seuls spécialistes mettant en œuvre les rituels et de leurs clients, mais d’un réseau d’action plus large impliquant notamment ceux que j’ai qualifiés de « promoteurs ». En produisant un nouveau discours sur les rituels et des cadres institutionnels permettant aux spécialistes d’avoir une visibilité malgré les politiques anti-superstitions, ces membres des élites intellectuelles ont joué un rôle déterminant dans la naissance du rituel de áp vong. Le succès de ce rituel et sa large diffusion tiennent notamment à la place qu’il offre pour l’exercice des capacités réflexives des participants. Instaurant un cadre propice à ce que j’ai qualifié d’épreuve de la possession – ce moment réflexif où les clients eux-mêmes construisent collectivement l’incarnation des morts –, le rituel jouit d’une grande ouverture qui permet à chaque famille d’y prendre en charge des problématiques qui lui sont propres : élucider les conditions de la disparition d’un proche en l’amenant à s’incarner, prendre une décision relative à la gestion du patrimoine lignager en interrogeant des ancêtres, ou encore révéler le recours à un avortement médical par une fille non mariée lorsque ses sanglots sont interprétés comme étant ceux d’un fœtus. C’est en amenant les participants à s’interroger sur son déroulement que le rituel de áp vong est efficace.

L’histoire de cette innovation rituelle est aussi celle d’une possédée et de son entourage. Nam, le jeune paysan défunt, se manifeste encore régulièrement à travers le corps de Thiêm, qui est devenue la spécialiste du áp vong la plus célèbre. Mais les conséquences de cette relation de possession s’étendent bien au-delà d’une trajectoire individuelle d’autonomisation (empowerment). Les tentatives, par l’entourage de Thiêm, de négocier le départ de Nam ont fourni le terrain d’expérimentation puis le modèle de la pratique du áp vong. Cette innovation rituelle est donc elle-même, dans une certaine mesure, le résultat d’épreuves de la possession, d’opérations réflexives de qualification portant sur la parole de Thiêm et sur l’agentivité qu’il fallait attribuer à son corps : était-elle folle, possédée par un fantôme, chargée d’une mission sacrée par une divinité ou un bodhisattva ? Survenues au point de convergence du projet socialiste de sécularisation de la société, du traumatisme des guerres traversées par le Vietnam et de la constitution de réseaux de promoteurs d’une approche scientifique de la communication avec les morts, ces épreuves n’ont pas seulement fait d’une paysanne possédée une spécialiste reconnue de la possession. Elles ont contribué à une transformation inédite du répertoire rituel vietnamien.

Remerciements

Cet article et ses multiples versions provisoires ont bénéficié des commentaires de nombreux amis et collègues. Je remercie en particulier Richard Pottier, Anne de Sales, Aurélie Névot, Gilles Tarabout, Bénédicte Brac de la Perrière, Oscar Salemink, Grégory Deshoullières, Michael Houseman, Julien Bonhomme, Nicolas Sihlé, Charles Stépanoff, Baptiste Gille, Mireille Mazard, ainsi que les relecteurs anonymes et l’équipe de la revue ethnographiques.org, notamment Thierry Wendling et Marie Berjon. Et bien sûr Emma Gobin et Maxime Vanhoenacker, qui ont créé les conditions d’un "moment réflexif" des plus stimulants au musée du Quai Branly.

add_to_photos Notes

[1Le parti a changé plusieurs fois de nom : Parti communiste indochinois de sa fondation en 1930 à la révolution d’août 1945, après laquelle il est (officiellement) dissous. Il devient Parti des travailleurs du Vietnam à sa refondation en 1951 avant de devenir Parti communiste vietnamien en 1976.

[2Outre le Japon post-Meiji, des régimes marqués par un attachement plus que limité au communisme ont appliqué des politiques similaires : République du Vietnam (Taylor 2004 : 35-36), Corée du Sud (Chongho Kim 2003 : 73-75 ; Guillemoz 2010 : 7), Taïwan (Kleinman 1980 : 230 ; Feutschwang 2003 : 216-217).

[3Les chiffres diffusés à ce propos sont généralement imprécis, mais un document officiel récent fait état, à l’issue d’un « difficile exercice de mathématiques » portant sur un total de 1 146 250 combattants morts en mission, de 208 824 corps égarés et 303 228 non identifiés (Bộ Lao động Xã hội và Thương bình 2012). Ces chiffres ne comprennent pas les tombes dûment renseignées mais dont les familles n’auraient pas connaissance.

[4Le fait est que les premiers textes réglementaires organisant la recherche et le rapatriement des corps égarés sont postérieurs à ce premier succès. Voir, dans l’ordre chronologique, l’ordonnance du Comité permanent de l’Assemblée nationale datée du 29 août 1994, le décret gouvernemental 28/NĐ-CP du 29 avril 1995, la circulaire interministérielle 78-TT-LB du 3 novembre 1995, la circulaire conjointe 49/2002/TTLT-BTC-BLĐTBXH du 28 mai 2002, l’ordonnance du Comité permanent de l’Assemblée nationale 26/2005/PL-UBTVQH11 du 29 juin 2005, l’arrêté gouvernemental 16/2007/NĐ-CP du 26 janvier 2007 et la circulaire conjointe 14/2009/TTLT-BTC-BLĐTBXH du 19 mai 2009.

[5Dans les termes de l’opposition entre rituels centrés sur la liturgie (« liturgy-centered ») et la représentativité (« performance-centered ») proposée par Jane Atkinson (1992) et reprise par Caroline Humphrey et James Laidlaw (1994), áp vong penche ainsi fortement du côté du second pôle.

[6Lorsqu’il évoque la question du rituel, Luc Boltanski ne voit dans ce type d’événement que des « épreuves de vérité », soit des opérations de confirmation d’un statu quo quant à un état de choses (2009 : 135-137). Une telle lecture est fondée sur une vision purement liturgique du rituel, mais même dans le cas de rituels effectivement marqués par un fort souci d’appliquer un protocole, l’issue de ces moments réflexifs peut devenir plus incertaine lorsque ce protocole est remis en question, de manière intentionnelle ou non, par les actions des participants.

[7Notons que l’épreuve visant à mettre fin à la possession peut être aussi – voire plus – conflictuelle que celle qui l’a instaurée.

[8Les médiums du culte des Quatre Palais couvrent également leur visage d’un voile lorsqu’ils s’apprêtent à incarner un esprit. Le porteur du cành phan se trouve ainsi, comme les clients des séances de áp vong sommés de ne pas utiliser leurs téléphones portables, assimilé à un médium.

[9Ayant assisté à un tel événement en 2007 pendant mes recherches de Master, j’avais décidé d’en faire le sujet de ma thèse... pour me rendre compte plus tard que les morts ne se manifestaient presque jamais pendant les rituels de cầu siêu. Bien sûr, par « occurrences effectives de possession », j’entends les situations où l’épreuve de la possession aboutit à une attribution stabilisée de l’agentivité d’un défunt au corps qui tient le cành phan.

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Pour citer cet article :

Paul Sorrentino, 2016. « La possession en train de se faire : de la réflexivité dans l’invention et la transmission d’un rituel vietnamien ». ethnographiques.org, Numéro 33 - décembre 2016
Retours aux rituels [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2016/Sorrentino - consulté le 04.12.2024)