Entre innovation sentimentale et reproduction sociale : l’amour dans le couple hétérosexuel sur trois générations d’Andalous

Résumé

Cet article s’intéresse au lien qui peut exister entre le sentiment amoureux, le couple et la domination masculine. Il se base sur un travail ethnographique de long terme réalisé dans un village d’Andalousie orientale auprès de trois générations de femmes et d’hommes. Il montre que l’amour (« enamorarse » et « querer ») est devenu la principale légitimation au mariage pour la troisième génération. Parallèlement à cette innovation sentimentale, les rapports sociaux de sexe sont restés globalement inchangés dans les couples des trois générations avec une domination masculine manifeste dans la division socio-sexuée du travail et des loisirs. L’article analyse alors comment l’amour a été mis au service de la domination masculine via une éducation sentimentale et morale sexuée transmise par les parents de la seconde génération à l’endroit de leurs enfants.

Abstract

“Between sentimental innovation and social reproduction : love in heterosexual couples over three generations of Andalusians.”
This article deals with the link between love, couples and male domination. It is based on long-term ethnographic research conducted in an eastern Andalusian village, comparing three generations of men and women. It shows that love (“enamorarse” and “querer”) became the main reason for the third generation to get married. Concomitant with this sentimental innovation, however, gender relationships have remained stable over three generations, especially concerning the gendered division of labour and leisure. This article analyzes how love has contributed to male domination through the sentimental and moral education that the parents of the second generation gave to their children.

Sommaire

L’amour, un objet de recherche anthropologique

Avant les années 1980, les anthropologues ne se sont guère intéressés à l’amour comme objet d’étude propre. Goode (1959 : 40) écrivait : « On ne trouve pratiquement jamais le terme “amour” en index des monographies anthropologiques sur des sociétés spécifiques ou dans des manuels d’anthropologie générale. »

Au début des années 1980, la naissance de l’anthropologie des émotions [1] aspire à dépasser l’opposition entre structure et sentiments (Needham 1962 : 120-122) pour démontrer au contraire que les sentiments sont indissociables du contexte dans lequel ils naissent et viennent à leur tour influencer la structure sociale (Medick et Sabean 1984 : 3-4 ; Abu-Lughod et Lutz 1990 : 7, 15). Certes, selon Crapanzano (1994 : 117) et Le Breton (2004 : 11), ce courant a parfois conduit les chercheurs à plaquer sur la société qu’ils étudiaient les émotions de leur propre société, mais il a permis « d’aller au-delà d’une étroite dichotomie opposant les facteurs objectifs, matériels, structurels ou institutionnels aux facteurs subjectifs, culturels, symboliques ou émotionnels » (Medick et Sabean 1984 : 2). Ainsi, en France, la publication en 1996 d’un numéro de Terrain sur l’amour marque la reconnaissance de ce sentiment comme objet de recherche anthropologique singulier, même s’il est resté peu analysé depuis (Bernand 2015).

Parmi les travaux anthropologiques sur l’amour, certains démontrent que ce sentiment évolue selon le contexte historique et socioéconomique de la société dans laquelle il se trouve, sans que cela n’engendre de modifications dans la structure hiérarchique du couple (Rebhun 1999 ; Yacine-Titouh 2006). Cet article s’inscrit dans cette perspective en cherchant à savoir ce qu’il en est dans un contexte andalou et sur trois générations. L’avènement de l’amour dans le couple hétérosexuel contribue-t-il à maintenir des rapports sociaux de sexe caractérisés par la domination masculine ou ce sentiment engendre-t-il une « trêve miraculeuse » annulant la hiérarchie dans les relations de genre [2] (Bourdieu 1998 : 117) ? Et par quels mécanismes sociaux s’opère cette permanence ou ce changement ? Nous entendons par domination masculine le contrôle des hommes sur le travail, le corps et l’esprit des femmes (Héritier 2009 : 85-126 ; Mathieu 2014b) notamment via le mariage (Tabet 1998 : 91) et se traduisant par une organisation sociosexuée du travail et des loisirs telle que décrite par Tabet (in Kleiner 2014).

Cet article s’appuie sur un travail ethnographique réalisé dans un village d’Andalousie orientale (Cuelda [3]) en huit terrains distincts de 1991 à 2012 [4]. L’observation participante a consisté à partager tout ce qui pouvait l’être du quotidien des villageois et, en particulier, la vie de couple au sein des familles qui m’ont hébergée et grâce aux amitiés de long terme tissées avec plusieurs couples. Cette information a été complétée par vingt entretiens en profondeur réalisés auprès de personnes nées entre 1920 et 1940 et dix-neuf conduits auprès de villageois nés entre 1960 et 1970. J’ai interrogé vingt et une femmes et dix-huit hommes, issus de milieux sociaux et de niveaux d’instruction différents. Enfin, l’analyse d’archives et de documents administratifs a permis de cerner la structure sociale du village.

Le fruit de cette recherche sera présenté en trois temps. Après avoir montré que l’on est passé de mariages de raison à des mariages d’amour, je définirai ce que les Cueldenses entendent par amour. Ensuite, on se demandera si l’avènement du sentiment amoureux, désormais seul fondement légitime au mariage, est venu ou non transformer les relations de genre dans le couple. Une troisième partie tentera de comprendre en quoi la généralisation de l’amour n’aboutit pas à des changements structurels dans le couple, en examinant la manière dont les sentiments et les valeurs sont transmis et viennent construire un habitus sexué au service d’une perpétuation de la domination masculine.

Du mariage de raison au mariage d’amour : de quelles amours est-il question à Cuelda ?

Évolution du choix du conjoint sur trois générations

Pour les couples formés dans les années 1940 (première génération), le mariage était une alliance entre deux familles et s’imposait à l’individu. Comme d’autres l’ont montré (Girard 1974 ; Segalen 1975), le choix du conjoint reposait sur la proximité géographique et socioéconomique, l’âge et la durée des fiançailles. Les interlocuteurs dépeignaient des mariages de voisinage chez les journaliers (Bozon et Héran 1987 : 951), comme Josefina : « Je l’ai rencontré car il vivait à côté de chez ma tante où j’allais souvent. Et puis, comme j’avais déjà une bonne vingtaine d’années, je suis partie avec lui un après-midi [5]… » Je l’ai questionnée pour savoir si, comme elle, son mari était journalier : « Oui, bien sûr, journalier. » Le mariage avec un homme de même condition sociale ressortait telle une évidence. Chez les propriétaires de terres, l’homogamie sociale était aussi la règle. Le mariage, arrangé par les parents dans leur réseau d’interconnaissance (Cardon 2004), était précédé de fiançailles qui ne devaient pas trop durer au risque de lever un doute sur l’engagement. À aucun moment les personnes de cette génération, que ce soit lors d’entretiens ou de discussions informelles, n’ont parlé d’amour pour justifier leur mariage.

Chez les couples mariés dans les années 1960 (seconde génération), le mariage arrangé (« apaño ») l’emportait, surtout dans les milieux sociaux aisés, et l’homogamie spatiale et sociale dominait (Bozon et Héran 1987). Jorge donnait une caractéristique globale de sa génération : « Jadis, on ne tombait pas amoureux comme aujourd’hui. Les parents disaient aux fils : “Approche-toi de cette fille, elle a quelques pesetas.” » Des informateurs ont néanmoins justifié leur mariage par l’amour, tel Pablo : « Elle se plaçait à la fenêtre, tellement amoureuse de moi… et moi d’elle. » Mais une particularité de cette génération émerge quand on compare les propos informels où l’on me parle de l’intervention parentale comme étant la norme et les entretiens formels où mes informateurs disent que, dans leur cas particulier, il s’est agi d’un mariage d’amour. On pourrait penser qu’il s’agit là de tensions existant entre mariages arrangés et mariages d’amour comme cela a pu être observé dans d’autres sociétés conjointement aux mutations sociales (Gavron 1996 ; Smith 2001 ; Abu-Rabia-Queder 2007). Mais pour cette génération d’Andalous, une telle explication ne nous satisfait guère, car les changements économiques et sociaux ne sont encore que trop ténus dans les années 1960 (Sommier 2006) pour permettre l’avènement de l’amour dans le mariage et donc de potentielles contradictions entre deux modèles d’union. En réalité, selon nous, ce décalage discursif traduit une reconstruction du discours : certains interviewés tendent à appliquer, sur un mariage arrangé autour de 1960, un discours amoureux élaboré quarante ans plus tard. Ainsi Raquel, dont le père possédait une entreprise, a d’abord affirmé en entretien avoir épousé son mari parce qu’elle l’aimait. Or dans un second entretien réalisé après avoir approfondi les liens qui nous unissaient, elle confiait qu’elle avait été très amoureuse d’un homme dont elle parlait encore avec nostalgie et elle ajoutait : « Ma mère me grondait, car il était d’un milieu social un peu plus bas, et elle me disait : “Pourquoi aimer un tel homme ?” Par contre, avec mon mari, il n’y a pas eu de problème, car ses parents possédaient un commerce. »

Pour les couples formés dans les années 1990 (troisième génération), l’amour vient largement légitimer une union souvent homogame, phénomène également observé dans d’autres villages méditerranéens à la structure sociale similaire (Droz-Mendelzweig 2003). Parmi les discours amoureux livrés en entretien, citons celui de Javier qui espérait qu’avec sa femme, ils continueraient de « s’entendre bien, de se comprendre et de s’aimer mutuellement », ou de Manuela mentionnant un sentiment fusionnel : « Je considère Marco quasiment comme moi-même. » Le discours amoureux est particulièrement appuyé chez les personnes qui ont dû imposer leur partenaire à leurs parents, comme Matilde : « Ils ne voulaient pas de Paco comme fiancé pour moi, parce qu’il n’a pas fait d’études. C’était terrible, car si je croisais mes parents dans la rue quand j’étais avec lui, ni mon père ni ma mère ne me saluaient […] Aujourd’hui, si, mais j’ai lutté beaucoup parce que je l’aime énormément. » Comme pour les générations précédentes, les parents refusaient plus fortement pour leur fille un partenaire issu d’une classe sociale inférieure, car cela contrariait le rôle attendu de l’homme pourvoyeurs de fonds (Segalen 1975 : 147) (cf. infra). Cependant, retenons aussi pour cette génération que l’amour l’emporte sur la volonté des parents, ce que Javier résumait par : « L’amour n’a pas de barrières ! »

Que faut-il entendre par amour ? Pour ne pas tomber dans les mythologies associées à ce sentiment (Piazzesi 2014 : 11), il est essentiel de saisir le sens qu’en donnent les Cueldenses.

Définitions et expressions de l’amour à Cuelda

Selon les Cueldenses de la seconde et de la troisième générations, l’amour doit s’inscrire dans la durée et n’est conçu comme sérieux que lorsqu’il aboutit au mariage. Il suppose de se comprendre et d’être fidèle à l’autre, sans quoi émerge la jalousie. L’engagement de sa personne est également attendu, comme en témoigne ce jugement de Maria sur un de ses amis qui refusait de partir cinq jours aux Canaries rejoindre sa fiancée, sous prétexte que c’était un trop grand voyage : « Je ne trouve pas ça bien. Rien que pour le plaisir de voir sa fiancée, de l’embrasser, de la serrer fort contre lui… Moi, s’il me faisait un coup pareil, je ne lui parlerais plus. » Le fait de se parler, de se confier sont également nécessaires au sentiment amoureux, ainsi que l’échange d’un ensemble de gestes pour exprimer l’amour.

Se tenir bras dessus, bras dessous est le geste du degré minimum ou de l’absence de sentiment amoureux. Il est adopté par les couples des première et surtout seconde générations, en des occasions exceptionnelles comme les fêtes. Et selon Mateo, il servait à simuler l’amour : « Les couples qui étaient issus de mariages arrangés et qui ne s’aimaient pas, passaient quand même dans la rue bras dessus, bras dessous, comme pour faire semblant de s’aimer, mais au lieu de se regarder, ils regardaient à côté. » Ce geste peut alors être entendu dans une perspective uniquement dramaturgique de présentation de soi (Goffman 1973) que Hochschild (2003 : 41) qualifie d’« actes d’affichage – de jeu superficiel » puisqu’il s’agit seulement de donner l’impression aux regards extérieurs d’être un couple amoureux. Le baiser sur les lèvres ne se donnait jamais en public pour les anciennes générations et il a parfois laissé des souvenirs de jeunesse douloureux comme pour Jorge se souvenant de la gifle reçue de sa fiancée lorsqu’il tenta d’approcher ses lèvres. Il faut dire que les idéologues franquistes avaient interdit ce geste avant le mariage, le considérant comme un péché (Regueillet 2004).

Lorsque l’amour est avéré chez les personnes de la troisième génération, les couples se tiennent par la main et peuvent se caresser les cheveux, le dos. Les fiancés ont une palette de gestes plus variés encore qui est aussi l’expression d’un amour récent : ils glissent parfois une main dans la poche du jean de l’autre ou se tiennent par l’épaule. À l’inverse de leurs aînés, le baiser sur les lèvres est un signe incontournable d’amour, mais il n’est pas le même selon le moment et l’endroit dans lequel le couple se trouve. Il est très discret, voire inexistant dans la rue pendant la journée, alors que les couples s’enlacent et s’embrassent longuement la nuit à l’abri du regard des anciens dans un pub ou une discothèque. Ces faits peuvent être appréhendés dans une perspective interactionniste qui suppose un « travail émotionnel, de jeu profond » (Hochschild 2003 : 41) visant, pour l’individu, à réfléchir sur les sentiments intérieurs et à les façonner pour les rendre appropriés à chaque situation ; car outre que la nouvelle génération ressent effectivement le sentiment amoureux, elle adapte ses gestes d’amour aux contextes où elle évolue et aux conventions socialement admises.

En effet, même si la troisième génération dispose de plus de latitude que les plus anciennes, dans les deux cas, la société donne des modèles pour s’aimer (ou faire semblant) composés de valeurs, de mots et de gestes (le baiser passant de geste interdit à geste nécessaire). Elle encadre cette émotion afin de limiter les transgressions individuelles (Goode 1959), élabore des règles de sentiment visant à créer une zone où l’individu n’éprouvera pas de culpabilité, de honte et ne recevra pas de sanction (comme une gifle) dans l’expression du sentiment (Hochschild 2003).

Bien plus, les différences observées dans les gestes renvoient à deux niveaux d’amour à Cuelda qui correspondent à deux verbes : « enamorarse » et « querer ». Il s’agit aussi de deux moments du couple. « Enamorarse » signifie « tomber amoureux, s’éprendre ». Ce verbe correspond aux moments que l’on vit dans les premiers temps de la rencontre, où se déploient les gestes les plus intenses. Il est généralement associé aux relations amoureuses des adolescents et au « noviazgo » (fiançailles). Une jeune femme parlant de son fiancé expliquait : « J’étais très amoureuse de lui, c’est-à-dire quand je le voyais, mon cœur commençait à battre la chamade, je devenais rouge. » Le mot « chispas » (étincelles) est souvent utilisé pour dépeindre cet état amoureux et une informatrice précisait que la force de cette émotion est similaire à celle d’un coup de foudre (« flechazo »), contre lequel « on ne peut rien », disait un homme. Autrement dit, l’état d’« enamoramiento » correspondrait au langage du corps, du cœur, difficilement maîtrisable par la raison.

« Querer » veut dire « aimer, apprécier » au-delà même du sentiment amoureux. Dans le cadre du couple formé par amour, « querer » est ce qui demeure quand l’« enamorarse » a disparu. Une informatrice disait lors d’une discussion informelle : « Après deux ou trois ans de mariage, alors que je n’étais plus amoureuse [enamorada], j’ai continué de l’aimer [querer]. » Le verbe « querer » peut être utilisé pour se référer à une personne avec qui on n’est plus : « Je continue de l’aimer [querer] », avouait une nièce à sa tante en parlant de son mari qui avait quitté le domicile conjugal. Cela dit, le « querer » n’a de profondeur que s’il est précédé d’une phase d’« enamoramiento », mais il peut aussi être plaqué sur une réalité dépourvue d’amour, où il faut néanmoins le laisser croire pour se conformer à la norme nouvelle du mariage d’amour. L’observation participante est précieuse pour cerner cette construction. Ainsi des informateurs m’ont parlé d’un couple de la troisième génération en précisant que chacun savait dans le village qu’il s’était formé seulement par intérêt. Or, en discutant de façon informelle avec la jeune femme, j’ai constaté qu’elle parlait souvent de leur amour ; néanmoins, elle employait le verbe « querer » et jamais « enamorar » : « Mon fiancé est très tendre. Il m’adore, il m’aime [quiere] beaucoup, et moi aussi. » Cette femme semble donc avoir privilégié la mise en couple au détriment de l’« enamoramiento », contrairement à ce qu’a observé Droz-Mendelzweig (2003) en Sicile, où certaines femmes utilisent l’amour romantique comme un outil rhétorique pour justifier qu’elles préfèrent rester célibataires que de se marier sans amour. Au fond, « querer » correspond à un amour où la raison intervient. Bien plus, « querer » est parfois empreint de calcul. D’ailleurs, c’est ce verbe qu’utilisent les personnes de la seconde génération qui veulent masquer l’arrangement de leur mariage derrière une apparence d’amour.

Cette analyse sur trois générations montre qu’il est probablement plus juste de considérer l’amour de façon relativiste, temporellement et spatialement, plutôt que de l’envisager comme un sentiment universel (Malinowski 1930). Car il ressort, d’une part, qu’au sein de cette société andalouse, l’amour n’a pas toujours existé pour légitimer le mariage. Sa généralisation n’est apparue que tardivement à la suite des évolutions socioéconomiques (Shorter 1977), politiques et culturelles tels le salariat, la hausse du niveau de vie et d’éducation et le retour des libertés individuelles à la fin du franquisme, qui ont contribué ensemble à autonomiser l’individu de l’institution familiale sur les plans financier, intellectuel et affectif (Sommier 2006). Tant et si bien que les individus ont pu « être appréciés pour eux-mêmes et non pour ce qu’ils représentaient et pouvaient faire » (Shorter 1977 : 13). D’autre part, si des auteurs ont démontré que l’amour varie selon les cultures (Jankowiak 1995 ; Gell 1996), notre recherche apporte un élément nouveau en montrant que l’amour peut varier quant à son contenu et à sa forme dans une même société en adoptant deux niveaux d’intensité affective.

En somme, l’amour à Cuelda est une norme récente et un sentiment pluriel. Mais parce que les Cueldenses des première et seconde générations ont fondé leur couple sur d’autres bases que le sentiment amoureux, il est pertinent de se demander si la généralisation de l’« enamorarse » et du « querer » est venue changer ou non les relations de couple.

L’évolution des relations de genre dans le couple

Notre analyse va comparer, d’un côté, à la fois les couples mariés dans les années 1940 et 1960, c’est-à-dire avant la généralisation de l’amour, et, de l’autre, les couples unis dans les années 1990 principalement par amour. Nous nous focaliserons sur la division sociosexuée du travail et des loisirs au sein du couple, ayant abordé ailleurs (Sommier et Gourvès-Hayward 2013) l’évolution de la sexualité.

Relations de genre dans les couples des première et seconde générations

Une informatrice née en 1934 résumait la position de l’épouse des première et seconde générations par cette phrase : « On disait qu’elle était sous deux dictatures, celle de Franco et celle du mari. » Nos données confortent-elles ce point de vue ?

Pour y répondre, analysons d’abord le travail productif à l’extérieur du foyer, dans ce village où dominait le secteur agricole. Nous trouvions des journaliers, métayers, fermiers, des moyens et petits propriétaires dont les terres appartenaient aussi bien aux hommes qu’aux femmes [6] et de rares latifundistes [7]. Si les femmes héritaient du patrimoine foncier, ce sont leurs maris qui prenaient la direction de l’exploitation (Cardon 2004) et si dans les couples de minifundistes [8] les deux travaillaient aux champs, leurs tâches différaient, le travail des femmes étant plus considéré comme une aide (Tabet 1979). Dans le cas des journaliers, Josefina affirmait : « J’allais aux olives, aux amandes, labourer, faucher, trier, récolter les légumes. Parce qu’alors, la femme allait aux champs comme l’homme jusqu’à douze heures par jour. Tout au mieux les hommes allaient arroser mais pas les femmes, eux, ils gaulaient, nous, nous ramassions les olives. » Cette division des tâches agricoles observée en d’autres temps et d’autres lieux (Prévost 2015) servait de justification à la moindre rémunération des journalières [9], car on récolte plus d’olives (ou d’amandes) d’un simple coup de gaule qu’en étant courbée ou agenouillée à ramasser un à un les fruits tombés en dehors du filet (cf. photos 1a et 1b).

Photos 1a et 1b : récolte des amandes suivant la même division sexuée des tâches que celle des olives.
Photographies : Béatrice Sommier, 1996.

Chez les commerçants, il arrivait qu’une licence soit octroyée à un couple marié. Mais le plus souvent, le commerce était au nom du seul mari [10], conformément au Code du commerce franquiste qui voulait que l’épouse obtînt l’autorisation du mari pour exercer une activité mercantile. Pourtant mari et femme travaillaient. Dans les commerces d’aliments, de vêtements, c’est elle qui servait les clients tandis que le mari se chargeait des livraisons, des rangements. Dans les bars, le mari s’occupait du service d’une clientèle quasi exclusivement masculine, l’épouse assurait la décoration, le ménage, la préparation des tapas. Mais les épouses recevaient rarement un salaire, à l’instar de Lourdes qui, en échange de ces tâches qui supposaient « beaucoup de sacrifices », m’avouait travailler « à fonds perdu ». Dans le domaine du commerce, à l’inégalité de patrimoine s’ajoutait donc une inégalité de salaires (Connell 1995 : 74).

Pour le reste des activités professionnelles, en dehors des couturières, de quelques institutrices et d’une sage-femme, très peu de femmes travaillaient à l’extérieur du foyer. Dans la majorité des couples, seul l’homme exerçait une profession rémunérée, souvent libérale. Les lois franquistes des années 1940, qui interdisaient aux femmes mariées de travailler en atelier et d’avoir des postes à responsabilité (Ruiz Franco 2003), étaient donc respectées à Cuelda.

Concernant la division des tâches à l’intérieur du foyer, c’est aux épouses seules que revenaient et reviennent toujours les tâches domestiques. Celles qui travaillaient en dehors du foyer faisaient donc une double journée de travail physique comme en témoignait Flora, sans parler de la « charge mentale » inhérente à l’organisation d’une telle densité de travail (Bereni et al. 2012) : « Quand nous revenions des champs, il fallait faire les tâches de la maison. Si nous avions du linge à laver, on le faisait au lavoir et ensuite on le rapportait à la maison. » Les femmes de ces générations peuvent rire de cette division sexuelle des tâches en disant que « leurs maris ne savent même pas cuire un œuf » ou se plaindre avec lucidité de l’invisibilité des tâches domestiques (Kergoat 2000 ; Bereni et al. 2012 ; Laufer et al. 2014) comme Raquel : « Personne te remercie pour le travail de la vie quotidienne que tu fais à la maison. C’est vrai, la femme au foyer est très mal payée en retour. Parce qu’ils ne se rendent pas compte du travail que ça représente de maintenir une maison en bon état. Personne ne le valorise, personne. » Lorsque j’ai demandé à Emilio, son mari, de m’expliquer pourquoi les hommes comme lui ne participent pas aux tâches domestiques, il m’a répondu : « Je connais des gens dans les villes, où le mari aide son épouse parce que les deux travaillent. Mais c’est de la dévotion plus que de l’obligation, non… c’est de l’obligation plus que de la dévotion. » Ce lapsus semblait signifier que dans l’esprit de cet homme, le travail des deux conjoints ne saurait suffire pour justifier la participation du mari aux activités domestiques, il faut en plus de la “dévotion”.

Avec les années, la division des tâches s’est parfois atténuée (Kergoat 2000), comme le décrit Maria à propos de ses parents : « Avant mon père ne faisait rien, pas même se servir un verre d’eau seul. Alors qu’aujourd’hui, il le fait. Il a dû se dépasser et, désormais, il aide un peu. Il est vrai qu’avant, un homme ne devait surtout pas entrer dans la cuisine ou s’occuper des choses de la maison ou alors, il n’était plus un homme. » Toutefois, il ne s’agit souvent que d’un assouplissement, pas d’une transformation. Ursula, à l’âge de 63 ans, me racontait un matin le rêve angoissé qu’elle avait fait alors que je devais aller chercher sa fille à Grenade et lui avais proposé de m’accompagner : « Pedro travaillait aux champs et je m’inquiétais car il fallait que j’arrive avant lui à la maison pour lui préparer à manger. Mais on ne me laissait pas passer, je butais contre des pierres et je me disais : “Comment je vais faire si Pedro arrive avant moi, le déjeuner pas prêt ?”. » Son inconscient avait associé mon invitation à des pierres et elle a refusé de m’accompagner, prouvant combien est profonde son intériorisation de ce rôle féminin. À l’arrivée du grand âge, le poids reposant sur le corps et la conscience des femmes peut même s’accentuer. En 2012, Ursula, qui avait alors 78 ans, racontait qu’à la suite d’une chute, elle avait dû être alitée une semaine. Or Pedro, ne sachant absolument pas cuisiner ni même allumer la gazinière, avait préféré la porter de sa chambre à l’étage jusqu’à la cuisine au rez-de-chaussée, pour qu’elle fasse à manger plutôt que de chercher à se débrouiller par lui-même. Elle s’inquiétait alors du sort de son mari dans l’hypothèse où elle devrait un jour être hospitalisée. Cet exemple porte sur l’activité culinaire, paroxysmique de l’assignation de genre aux rôles domestiques (Fournier et al. 2015) tant le sens commun opère une continuité entre l’allaitement maternel et le devoir qu’auraient les femmes de nourrir toute la famille. Mais il montre aussi que « les arrangements pratiques » (Cardon 2015) mis en œuvre par ce couple andalou pour maintenir ses habitudes alimentaires continuent de solliciter l’épouse malgré son handicap (Cardon 2015 : 125-126) et ne viennent pas modifier les rapports sociaux de sexe que Cardon a parfois observé chez certains couples français vieillissants.

Pour ces deux générations, la naissance du premier enfant accentuait la division sexuelle des tâches puisqu’alors, excepté les journalières dont le travail était indispensable à la survie de leur famille, dans les autres cas, les femmes réduisaient ou cessaient leur activité professionnelle. Les hommes, s’ils n’étaient pas totalement absents, laissaient la plus grande part du soin des enfants à leur femme, comme le résume Leocadio : « Concha s’est chargée de l’éducation des petits. »

Les maris étant les seuls véritablement reconnus comme travaillant, ils étaient les seuls à pouvoir prétendre au repos (Tabet 1979 : 21-22). En l’occurrence, leurs loisirs essentiels consistaient et consistent toujours à se retrouver quotidiennement avec leurs amis au bar, environ quatre heures par jour (ou plus pour les retraités), tandis que les épouses, au mieux, rendaient visite à des parents une fois par semaine. Les hommes ont donc des loisirs plus longs, mais surtout où les épouses n’ont pas leur place, à l’exception des fêtes villageoises où il est de bon ton de venir en couple. On assiste à une situation d’homolalie où, dans les moments de repos, les hommes privilégient leurs amis à leur femme. Or nous avons montré ailleurs (Sommier et Anta Felez 1997) que les relations amicales que les maris privilégient dans leurs loisirs leur sont indispensables pour construire et maintenir leur pouvoir dans la sphère publique, mais aussi privée. En effet, c’est grâce à son réseau d’amis qu’un homme pouvait, avant l’existence des banques, obtenir un prêt d’argent pour monter un commerce ou trouver plus facilement un emploi lui permettant de demeurer le principal pourvoyeur de fonds du foyer.

Pour ces deux générations, il ressort donc que dans les pratiques et les représentations (voire dans l’inconscient), les maris sont associés à la sphère productive et les épouses principalement aux fonctions reproductives (Kergoat 2000). Cette forte division sexuelle des tâches aboutit à une très grande dépendance entre femmes et hommes, tout en générant une inégalité importante (Mathieu 1991), car, d’une part, comme le disait Raquel, les tâches domestiques réservées aux épouses sont dévalorisées et non rétribuées, et, d’autre part, quand elles travaillent en dehors du foyer, les femmes sont moins ou pas rémunérées. À l’inverse, le travail des maris donne lieu à un revenu, il est reconnu socialement, ce qui octroie aux hommes le privilège des loisirs entre amis, autre moyen pour eux de maintenir leur pouvoir dans le couple. On retrouve ici « le triptyque inextricable » (Laufer et al. 2014 : 139) entre division sociosexuée des tâches, dévalorisation féminine et domination masculine.

Relations de genre dans les couples de la troisième génération

Les couples formés dans les années 1990 ont connu une situation de l’emploi différente de leurs aînés. D’une part, le secteur agricole a perdu sa prépondérance au profit d’entreprises de textile, de bois et de construction. Les services se sont un peu développés, dans le commerce, l’administration et l’enseignement. D’autre part, le niveau d’études s’est fortement accru pour les hommes, et plus encore pour les femmes [11]. Malgré ces changements, il demeure une inégalité entre l’épouse et l’époux face à l’emploi qui maintient la femme dans la dépendance financière de son mari. En effet, les couples dont les partenaires ont fait des études supérieures ont attendu (parfois de très nombreuses années) que l’homme seul ait trouvé un emploi pour se marier. Les emplois qualifiés étant peu nombreux à Cuelda, très rares sont les femmes qui y ont trouvé un poste à la hauteur de leur niveau d’études. On citera Manuela qui a ouvert un commerce d’optique à la suite de l’obtention par son mari d’un poste d’instituteur au village, ou Yolanda qui a fini par décrocher en 2002 un poste d’enseignante alors que son conjoint travaillait depuis plusieurs années à Cuelda. Étant inconcevable qu’une femme mariée aille travailler seule la semaine en dehors du village (alors que l’inverse est socialement admis), une grande partie des femmes ayant étudié ont donc renoncé à leurs aspirations professionnelles et à leur indépendance financière au profit de leur couple. Elles sont alors devenues femmes au foyer ou ouvrières dans l’une des dix usines de textile actives en 1996, telle Cristina qui, tout en cherchant à relativiser sa situation, exprimait déception et résignation : « Une autre période dans ma vie, c’est quand je suis partie étudier à l’extérieur. Je me suis rendu compte de ce qu’est être hors de chez soi et être indépendante. Et… [poussant un gros soupir] ensuite, bon, je me suis mariée et regarde. Mais bon, ça va, à côté de tout ce qu’il peut y avoir. »

Dans les couples n’ayant pas fait d’études supérieures, les maris travaillaient principalement comme ouvriers dans le bois, la construction ou le textile (entretien des machines, livraison des vêtements). Bien que touchant souvent le salaire minimum (72 000 pesetas, soit 410 € en 1997) ou un peu plus, ils étaient généralement mieux rémunérés que leurs épouses. Celles-ci, au début de leur mariage, étaient majoritairement ouvrières dans le textile, mais l’exploitation des femmes était telle dans ces usines (majorité de travail non déclaré, salaire autour de 58 000 pesetas (330 €) par mois en 1997, travail à la chaîne très contrôlé [12], jusqu’à dix heures par jour et six jours par semaine sans paiement des heures supplémentaires) qu’après quelques années de mariage (et des cervicales usées) elles finissaient par demeurer au foyer. Alors, leurs époux, qui avaient pu également être embauchés au noir au début de leur carrière, disposaient d’un argument supplémentaire pour demander à leur employeur d’être couverts socialement pour en faire bénéficier leur famille.

À partir des années 2000, la délocalisation à l’étranger des ateliers de textile a laissé nombre d’épouses de cette génération sans emploi et sans allocations-chômage pour celles qui n’étaient pas déclarées. Cela faisait dire à un interlocuteur pourtant lui-même au chômage en 2012 : « la situation de l’emploi est très mauvaise pour les femmes », sans qu’elle soit compensée par des programmes de formation ou d’insertion professionnelle, eux-mêmes réduits ou supprimés à mesure que la crise débutée en 2007 conduisait l’État espagnol à restreindre ses dépenses publiques (Escribano et al. 2015). La fermeture de la plupart des usines de meubles (il en reste deux en 2012, contre dix en 1997) et surtout la crise du secteur de la construction dès 2007 ont jeté beaucoup d’hommes au chômage. Ils se sont alors tournés vers des emplois temporaires, en particulier dans l’agriculture. Cette crise économique a pu conduire à des situations inédites comme celle de Teresa et José observée en 2012 où José, licencié d‘une entreprise de BTP, était depuis deux ans sans autre activité saisonnière que la récolte des olives, tandis que Teresa, auxiliaire de vie en poste fixe à la maison de retraite, devenait la principale pourvoyeuse d’argent du foyer. Cela dit, si l’on en croit les dernières statistiques disponibles [13], il semblerait que la situation de ce couple fasse exception. À Cuelda en 2013, sur 4 064 contrats de travail recensés (dont 4 020 contrats de travail temporaires), 2 749 appartiennent à des hommes et 1 315 à des femmes, ce qui laisse supposer que le mari demeure plus souvent l’apporteur de fonds.

Pour cette génération, que l’épouse travaille ou non à l’extérieur, la division sexuelle des tâches à l’intérieur du foyer ressemble à celle de ses aînés sur le long terme. Cette précision concernant la durée est d’importance, car lorsque j’observais dans les années 1990 des couples mariés depuis peu, je constatais que la femme n’était pas toujours seule à s’occuper des tâches domestiques. Ainsi, quelques semaines après leur mariage, Casimiro et Sonia m’avaient reçue à dîner avec d’autres amis. Casimiro avait préparé une bonne partie des plats (pendant que son épouse tenait son salon de coiffure en journée), puis faisait le service et débarrassait. Or, les amis présents lançaient à Casimiro sur un ton moqueur : « Quel débrouillard tu fais ! », « C’est uniquement parce qu’il vient juste de se marier ! » La réalité observée chez des couples mariés depuis plusieurs années est venue confirmer cette dernière réflexion. Teresa m’avait confié que son mari l’aidait dans les tâches ménagères au début de leur mariage, mais ce n’était déjà plus le cas au milieu des années 1990. Lorsque je leur rendais visite et qu’ils étaient tous deux présents (car il était très courant que José fût au café avec ses amis), je pouvais voir José installé sur le sofa à regarder la télévision, pendant que Teresa préparait à manger, débarrassait la table, faisait la vaisselle ou cousait. Ce non-partage des tâches domestiques, dans ce ménage où l’épouse est salariée, correspond déjà à une source majeure d’inégalités que subissent les femmes travaillant hors du foyer (Laufer et al. 2014). Mais l’inégalité peut se renforcer encore. En effet, pour ce couple, le fait que l’épouse devienne la principale pourvoyeuse de fonds dès 2010 n’a pas remis en question cette division sexuelle des tâches au sein du foyer, conduisant Teresa à effectuer une double journée de travail, seulement allégée par le départ de leurs deux fils de la maison. Ce que l’on aurait pu lire comme une forme d’autonomisation des femmes par l’emploi et l’obtention d’un salaire personnel est en réalité considérablement contrarié par la réassignation des épouses à ce travail invisibilisé que sont les tâches domestiques (Bereni et al. 2012 ; Laufer et al. 2014). À Cuelda comme ailleurs (Prévost 2015), les hommes attendent avant tout des femmes, salariées ou non, qu’elles remplissent leurs responsabilités d’épouses-mères.

Si les pratiques sont demeurées stables, j’ai toutefois constaté un désir d’évolution chez certaines femmes qui semblaient éprouver du plaisir à dire que leurs maris participaient aux travaux domestiques. Ce fut le cas de Cristina en situation d’entretien : « On divise par deux. Si mon mari prépare à manger, moi je lave, ou bien c’est lui qui lave et moi je fais autre chose. » De même, cette femme commentant dans le salon de coiffure devant trois autres clientes : « Mon mari m’aide à la maison à débarrasser la table, par exemple. Je trouve cela normal, mais je ne l’oblige nullement. Il le fait de lui-même. » Quand bien même il s’agirait d’un idéal que l’observation des pratiques a démenti dans le cas du couple de Cristina, il semble exprimer une aspiration au changement, que je n’ai pas perçue chez les maris, ou alors seulement chez Casimiro sous cette forme : « Quand il tombe au chômage, un homme doit assumer les tâches de la femme », estimant que c’est uniquement en perdant son rôle premier de pourvoyeur d’argent que le mari doit endosser des activités qui, de toute façon, demeurent dans son esprit accolées au sexe féminin.

Concernant l’éducation des enfants, les femmes de cette génération en restent les principales responsables. Tant et si bien que, faute de politique familiale appropriée en Espagne, nombre de femmes qui ont un emploi l’abandonnent à la naissance de leur premier ou deuxième enfant. La minorité qui exerce une activité choisie interrompt son emploi le temps d’élever ses enfants, alors que la majorité des femmes quittent définitivement le monde du travail, sauf si leur salaire est nécessaire à la survie du foyer. D’ailleurs quand j’ai demandé en entretien aux femmes et aux hommes de cette génération qui de la mère ou du père est le plus à même de s’occuper des enfants, plus des trois quarts m’ont répondu la mère. Cela dit, les pères interviennent dans l’éducation, et légèrement plus que dans les générations précédentes. Dolores disait que le conseil des parents d’élèves du collège n’est composé que d’hommes, hormis elle-même. Javier estimait que « le rôle du père est de parler à l’enfant quand il arrive du travail. Mais la mère, c’est elle qui est à ses côtés quand il est malade, pour faire face à tout ce qui peut arriver de mal », et de citer le changement de couches. Ces discours montrent que les hommes se réservent la part où ils peuvent exercer un pouvoir public, comme à l’école, et où ils interviennent seulement après le travail. À l’inverse, les tâches impliquant l’intimité, le privé, le corps et la souillure sont attribuées aux femmes. Or, selon Douglas (1992 : 137), « les orifices du corps symbolisent les points les plus vulnérables. La matière issue de ces orifices est de toute évidence marginale » et il y a contiguïté entre les marges du corps et celles de la société. En conséquence, le fait qu’un homme considère qu’il est du rôle des mères de nettoyer la matière issue des points vulnérables du corps revient à dévaloriser leur activité et à les placer dans une position sociale marginale.

Concernant les loisirs, la plupart des époux et épouses déclarent en entretien les partager et l’énoncent sur le mode de l’évidence. De fait, dès les années 1990, les jeunes couples, en particulier avant la naissance des enfants, sortaient ensemble dans les bars les soirs de week-end et le dimanche midi. Néanmoins, dans certains entretiens on constate un décalage important entre le discours rationalisé et le discours spontané, davantage conforme, lui, aux pratiques observées. Ainsi Cristina, après avoir prétendu en début d’entretien qu’entre son mari et elle, il y a partage du temps libre, a oublié la situation d’enquête au bout de deux heures et est venue contredire ce qu’elle avait raconté auparavant, se rapprochant alors de ce que j’avais pu observer de leur couple :

— Avant j’avais un problème avec Javier. Il sortait prendre un pot le midi, vers une heure, et me disait qu’à trois heures il serait de retour pour manger. Donc à trois heures, j’avais fini de préparer le repas. J’attendais, j’attendais et il ne revenait qu’à cinq heures et moi j’étais donc restée jusqu’à cinq heures de l’après-midi sans manger. Maintenant, je ne me fâche plus.
— Et tu ne veux pas sortir avec lui prendre un pot ?
— Des fois non, d’autres fois oui. La majeure partie du temps, il est vrai que j’aimerais.

Or ces époux étant tous deux ouvriers en usine, l’argument d’autrefois consistant à dévaloriser le travail ménager des femmes pour mieux rendre illégitimes leurs loisirs ne tient plus a priori. Ce comportement de Cristina qui ne provient pas non plus d’une priorité accordée aux soins des enfants, puisqu’alors elle n’en avait pas, me semble plutôt découler d’un souhait de ne pas heurter la volonté de son mari et de ses amis de maintenir des domaines réservés du masculin (Héritier 1996 : 296). En effet, face à la possibilité qu’ont les femmes de la troisième génération d’accompagner leur mari dans les bars, les hommes ont créé de nouveaux espaces (« peñas » de supporters de football, « chirigotas » du Carnaval, cf. photos 2a et 2b) et moments (soir en semaine, milieu d’après-midi le week-end) réservés à la sociabilité masculine. De sorte qu’ils ont généralement un réseau d’amis très étendu, que leur femme ignore, comme me l’exprima dans un bar Manuela au sujet de son mari parti saluer un groupe d’hommes originaires d’un village voisin : « Regarde, il va encore dire bonjour à quelqu’un. Il connaît une foule de gens que moi je ne connais pas ! » Il faut dire que ces amis retrouvés dans les bars ou les « peñas » dépassent les générations et les classes sociales, ce qui permet aux hommes d’entretenir leur capital social et par conséquent leur position dominante. Certains y voient de tels avantages qu’ils ont reconnu une proximité plus grande avec leurs amis qu’avec leur épouse (Gourarier 2014 : 44). À ma question : « Y a-t-il des choses personnelles que tu raconterais plus à un ami qu’à ta femme ? », Manuel a répondu : « Tu as beau connaître ta femme, il y a toujours des choses que tu ne sais pas, beaucoup de choses, énormément. C’est pourquoi existent les amis. » Par ailleurs, la naissance des premiers enfants accentue encore cette situation en limitant la présence des épouses dans ces lieux publics pour les absorber dans les activités du foyer. Comme leurs aînées, quand il leur reste du temps libre, elles finissent par le passer en priorité avec leur famille d’origine. L’analyse des loisirs met donc particulièrement en évidence le fait que même là où maris et femmes pourraient être ensemble parce que liés par des liens conjugaux, ils vivent séparés (Zaidman 2002) et elle souligne que la ségrégation sexuée sous forme d’univers homosexués s’avère ici provoquée par les hommes afin de conserver leurs privilèges (Bereni et al. 2012).

Photos 2a et 2b : un des nouveaux domaines réservés du masculin : les groupes de « chirigotas » du carnaval.
Photographies : Béatrice Sommier, 1997.

Au final, une division forte perdure entre la sphère privée principalement féminine et la sphère publique avant tout masculine. Les quelques évolutions relevées pour la troisième génération n’ont pas mis fin à l’inégalité structurelle du couple. Car, si les maris se sont mis à participer aux travaux domestiques, c’est uniquement dans les premiers mois du mariage, tout comme leur intervention dans l’éducation des enfants s’est limitée aux fonctions en lien avec la sphère publique. Leur dépendance envers leur épouse demeure donc pour ces tâches de reproduction. De leur côté, si les épouses ont pu avoir un emploi plus souvent rémunéré que leurs aînées, ce poste correspond rarement à leur niveau d’études, il est souvent éprouvant, moins rémunéré que celui du mari, ce qui conduit ces femmes à renoncer au marché du travail en particulier à la naissance des enfants, se conformant ainsi au modèle, particulièrement ancré en Méditerranée, de l’épouse-mère répondant aux besoins émotionnels et matériels de sa famille (Droz-Mendelzweig 2003 ; Bevilacqua 2015). Comme leurs aînées, les femmes deviennent alors pour la plupart dépendantes financièrement de leur époux et cantonnées à des activités pas plus valorisées qu’autrefois. La crise économique de 2007 n’a fait qu’accentuer leur vulnérabilité. Car, d’une part, la raréfaction des emplois pour la majorité des femmes les place d’emblée en situation de plus grande dépendance économique du conjoint. D’autre part, celles qui ont conservé leur poste ne semblent pas avoir bénéficié de marge de négociation dans leur couple. Elles ont continué d’assurer quasi seules les tâches domestiques, sans parvenir pour autant à une indépendance financière : en effet, elles ont souvent dû – en conformité à leur rôle d’épouses-mères et ainsi pour échapper aux commérages villageois – partager leur salaire avec les membres de leur famille dépourvus de revenus à mesure que les allocations d’État s’amenuisaient. C’est ce qui faisait écrire à Escribano et al. que « les effets de la crise économique de 2007 [en Espagne] ont aggravé la structure des inégalités de genre en milieu rural » (2015 : 91). Car, alors, ce n’est pas seulement le travail domestique des femmes qui est réalisé gratuitement pour d’autres au nom du devoir familial (Kergoat 2000), c’est aussi, dans certains cas, le travail salarié dont les revenus ont été redistribués au profit de la cellule familiale.

Notre analyse conforte ce qu’écrivait Lévi-Strauss (1971 : 21) au sujet de la division sexuelle du travail tel « un moyen de créer entre les sexes une mutuelle dépendance sociale et économique […] les amenant par-là à se perpétuer et à fonder une famille ». Mais il ne s’agit pas seulement de complémentarité fonctionnelle entre femmes et hommes : la division sociosexuée du travail constitue le nœud de l’oppression des femmes (Bereni et al. 2012 : 174-176), car elle vient brider leur indépendance, notamment matérielle.

Si Lévi-Strauss considérait par ailleurs que les « relations entre les sexes [ont] préservé cette richesse affective, cette ferveur et ce mystère » (1967 : 569) qu’est le sentiment amoureux, Durkheim (1994 : 20), lui, établissait un lien, estimant que la division sociosexuée du travail engendrait l’amour : « C’est la division du travail sexuel qui est la source de la solidarité conjugale, et voilà pourquoi les psychologues ont très justement remarqué que la séparation des sexes avait été un événement capital dans l’évolution des sentiments ; c’est qu’elle a rendu possible le plus fort de tous les penchants désintéressés. » Pour notre part, il nous semble que l’on peut tisser un pont entre division sociosexuée des tâches et amour, mais dans un sens inverse. Ainsi, loin de considérer ce sentiment comme « désintéressé », nous postulons que la généralisation de l’amour comme légitimation du couple est une manière de faire accepter plus facilement cette relation d’interdépendance et de domination masculine aux femmes de la troisième génération. C’est ce que nous aimerions démontrer à présent en nous penchant sur l’éducation familiale reçue par la génération la plus concernée par la généralisation de l’amour, celle qui a formé son couple dans les années 1990.

La socialisation par la famille et la construction d’un habitus sexué ou l’origine d’une structure de couple inchangée

Notre choix d’analyser l’éducation familiale provient de ce que « c’est sans doute à la famille que revient le rôle principal dans la reproduction de la domination et de la vision masculines ; c’est dans la famille que s’impose l’expérience précoce de la division sexuelle du travail » (Bourdieu 1998 : 92).

Au-delà de constater des relations sexuellement différenciées au sentiment amoureux (Pasquier 2010), notre objectif est de comprendre comment l’amour est intégré à l’éducation familiale (Diter 2015) et comment il s’appuie sur une transmission sexuée d’autres sentiments et valeurs afin de préparer le lit de relations de couple inégalitaires.

Intégration de l’innovation sentimentale qu’est l’amour dans l’éducation familiale

Les parents de la seconde génération sont intervenus dans l’inculcation du sentiment amoureux comme légitimation au mariage, en se présentant à leurs enfants comme un couple marié par amour, que ce sentiment soit effectif ou relève d’une construction discursive. Dans le premier cas, Matilde expliquait que sa mère lui avait souvent raconté qu’elle avait dû (elle aussi) convaincre ses parents pour épouser l’homme qu’elle aimait, ceux-ci étant réticents au mariage car cet homme possédait un peu moins de terres. Dans le second cas, une fille de Raquel racontait que sa mère laissait lire à ses enfants les lettres d’amour que leur père Emilio adressait à celle qui était alors sa fiancée : « Si tu voyais ma mère, elle a toute une caisse pleine de lettres que mon père lui écrivait pendant le service militaire, des lettres où il lui disait : “Tu me manques, je t’aime.” » On notera qu’elle ne mentionne pas les lettres de sa mère qui, rappelons-le, nous avait avoué aimer un autre homme et s’être mariée avec Emilio sous la contrainte familiale.

Mais tout en parlant ou mettant en scène l’amour de leur couple à leurs descendants, ces parents ont montré au quotidien des relations entre mari et femme très hiérarchisées, qu’ils ont contribué d’ailleurs à perpétuer via l’éducation inégalitaire transmise à leurs filles et garçons.

L’éducation sentimentale et morale des familles : quelles différenciations entre filles et garçons ?

L’observation de l’éducation sentimentale met en évidence une première différenciation : les familles de la seconde génération ont encouragé les filles à exprimer leurs sentiments relatifs à l’amour, mais ont attendu des garçons de la retenue. Elles les ont sanctionnés en cas de non-conformité (Connell 2009 : 95), comme ce jeune homme qui avouait aimer les films romantiques, et que son père et son frère qualifiaient avec moquerie de « sentimentalón » (augmentatif péjoratif de sentimental), manière de lui signifier qu’en appréciant ce genre cinématographique associé au féminin, il risquait de perdre en virilité (Pasquier 2010 ; Diter 2015). L’éducation par mimétisme à la suite de l’identification qui s’opère dans l’enfance entre fille et mère et entre fils et père a accentué la segmentation sexuée dans l’expression des sentiments. Les filles pouvaient ainsi observer que les femmes de leur famille sont plus expressives dans les gestes (elles adressent aux jeunes enfants des baisers souvent dévoreurs) et dans les mots (elles font des confidences sur leurs propres sentiments). À l’inverse, les garçons pouvaient voir que le comportement attendu des hommes est d’être plus réservés dans les gestes (une simple main sur l’épaule) et dans les mots (certains pères allant même jusqu’à considérer les confidences des enfants sur leurs relations amoureuses comme un manque de respect). Enfin, ce sont les mères et les grands-mères qui conduisaient les petites filles (et non les petits garçons) regarder le cortège d’une noce, manière de signifier que « c’est aux femmes qu’il revi[e]nt en priorité de s’occuper du domaine de l’amour » (Giddens 2004 : 59). Cette séparation obligeait alors les pères, malgré tout intéressés par le devenir sentimental de leurs enfants, à sortir de leur domaine de compétences et à passer par une intermédiaire. Ainsi, lors d’une récolte des olives, le père de Sonia a souhaité parler de son fils âgé de 19 ans à ses deux filles : « Il doit se dégourdir, parce que jusqu’à présent, il ne s’intéresse pas aux filles. » Sonia lui a alors rétorqué : « Oh, tu ne vois pas ce qu’il fait à Jaén. Parmi les étudiantes, il y en a bien une ou deux qui lui plaisent. Tu vas voir, des fois qu’il ramène une étrangère à maman ! » La réponse apportée par Sonia prouve combien les pères n’avaient pas leur mot à dire en matière d’amour. En effet, elle lui a rappelé qu’il ignore la vie d’étudiant de son fils, et lui a ôté toute légitimité en ce domaine, puisque si son frère présente une fille, c’est à sa mère qu’il le fera.

Comme pour les sentiments, la transmission des valeurs est discriminante entre filles et garçons de la troisième génération. Leocadio, qui déclarait pourtant avoir laissé l’éducation de ses enfants à sa femme, disait : « Autrefois, le garçon devait être préparé pour aller étudier parce qu’ensuite il aurait à nourrir la femme. Aujourd’hui, c’est pareil, même si quelque chose a changé, mais il faut toujours faire en sorte que les fils soient mieux préparés que les filles. » Laura reconnaissait :

— Le garçon est éduqué de manière différente ici à Cuelda, il a plus de liberté, alors que la fille vit de façon plus restreinte, à telle heure, elle doit être rentrée. Moi, je n’ai eu que des filles, mais je sais que si j’avais eu un fils il aurait été élevé différemment.
— Tu lui aurais donné plus de liberté qu’aux filles ?
— Je crois que oui, mais non parce que cela m’aurait plu, au contraire, j’aurais préféré les élever de la même manière, mais parce que la société dans laquelle je vis me l’aurait imposé, je pense.

La société, ou plus exactement l’intériorisation par cette femme du référent masculin de Cuelda. Cette mère ne serait alors devenue qu’« une courroie de transmission pour la socialité des hommes » (Mathieu 1991 : 11), comme l’a probablement été aussi l’épouse de Leocadio chargée d’appliquer les valeurs décrites par son mari.

Le contrôle des filles décrit par Laura a généré en elles l’obéissance ou la culpabilité sitôt qu’elles ne se soumettaient pas à ce contrôle. Ainsi, au début des années 1990, j’observais que lorsque minuit approchait, les jeunes femmes sorties avec leur bande d’amis commençaient à rentrer chez elles pour ne pas inquiéter leur mère. Car c’est sur l’inquiétude, visant à provoquer un sentiment de culpabilité, que les mères s’appuyaient pour s’assurer l’obéissance des filles. En 1996, alors que Raquel devait me conduire prendre un train, je la voyais tarder et m’accompagner in extremis. Ce qui la préoccupait, c’est qu’à minuit et demi aucune de ses filles – alors âgées de 16 à 24 ans – n’était rentrée. Elles profitaient de ce que leur mère devait me conduire à la gare pour prolonger leur soirée. Or sur le trajet Raquel se lamentait. Le contrôle parental et l’inquiétude ont eu pour conséquence d’attacher plus fortement les filles à la famille. Cela ressortait des propos tenus par Yolanda à propos du réveillon du 31 décembre 1996 : « Je vais rester avec mes parents pour dîner, je sortirai après. Parce qu’ils sont seuls et cela me fait de la peine de les laisser. Par contre, je crois que mon frère va sortir avec ses amis. » Yolanda, plus que son frère, a intériorisé ce que l’on peut appeler le sens du sacrifice à la famille, dès lors qu’il est d’usage à Cuelda, lorsqu’on n’a pas créé sa propre famille, de fêter le réveillon avec sa bande d’amis.

Dans l’éducation donnée aux garçons, les valeurs transmises visaient davantage à épanouir qu’à soumettre. S’extasier devant un enfant était une attitude plus courante lorsqu’il était de sexe masculin, en particulier chez les femmes. Il pouvait s’agir de mettre en valeur le corps. Ainsi, le petit dernier de Raquel, âgé de trois ans en 1996, était l’objet d’éloges incessants tant de la part de sa mère et de ses sœurs que des autres femmes de la famille. Il pouvait s’agir aussi de mettre en valeur l’intelligence, comme cette femme se vantant de son petit-fils d’une dizaine d’années : « La maîtresse a dit qu’il est bon élève et que ça se voit qu’il a une bonne éducation. » Devant cette valorisation, je ne fus pas surprise de voir le petit-fils faire taire sa grand-mère à plusieurs reprises en estimant qu’il avait raison. Les capacités intellectuelles des garçons ainsi soulignées, il était logique de leur faire confiance plus tôt qu’aux filles pour se débrouiller dans la sphère publique, comme le traduit cette anecdote de Paulo, alors que nous passions devant un terrain vague : « C’est là que nous venions quand nous étions adolescents fumer des cigarettes. À l’époque, c’était vraiment plus loin du centre, plus maintenant avec les nouvelles constructions… Avec les filles, nous n’allions pas si loin ! »

En outre, l’éducation donnée aux garçons de la troisième génération leur a appris à être servis par les femmes, en premier lieu par leur mère, et non à servir comme dans le cas des filles (Mathieu 1991 : 210-211). Paco le relatait : « Ma mère ne m’a pas appris les tâches domestiques, parce qu’elle dit toujours : “Laissez, nous (ma sœur et elle) on a le temps, on va le faire.” Mon père ne fait rien, absolument rien. Moi, dans le meilleur des cas, je l’aide à faire quelque chose, mettre la table ou l’ôter. Mais mon lit, par exemple, je ne l’ai jamais fait. » L’abnégation des mères s’accentuait lorsque les fils partaient étudier. Elles passaient alors une partie de leur week-end à préparer des plats que les fils emportaient dans leur ville d’études et réchauffaient chaque jour. Une informatrice ajoutait même : « Je me suis remise à travailler dans une usine de textile pour pouvoir payer les études de mon fils. Du coup, j’ai dû arrêter toutes les activités que j’avais à côté, la gymnastique, l’association des femmes. » Ou comment renoncer à son bien-être personnel pour endosser un travail difficile dont le revenu profitera pour beaucoup au fils.

En somme, la segmentation dans la transmission des sentiments et des valeurs aboutit à inférioriser les filles. Se forme ce que l’on pourrait appeler un triptyque de la subordination avec au centre le plus grand contrôle des filles dans l’espace de la famille qui facilite d’un côté les échanges intimes sur les sentiments et de l’autre une plus grande sollicitation pour réaliser les tâches domestiques (Bereni et al. 2012 : 127-131). C’est particulièrement notable dans les familles avec des enfants de sexes différents (Goffman 2002 : 74-78), comme en témoignent Laura, Yolanda et Paco, car le garçon expérimente alors le traitement favorable que lui réservent ses parents et la fille saisit les discriminations dont elle est l’objet dès le plus jeune âge au sein du cocon familial. « Chaque sexe devient un dispositif de formation pour l’autre sexe […] qui va servir à structurer une vie sociale plus générale » (Goffman 2002 : 77). En outre, parce que nous sommes dans une société d’interconnaissance, le commérage de stigmatisation est fort pour qui s’écarte des modèles du masculin et du féminin voulus à Cuelda (Sommier 2006). En conséquence, les trajectoires de formation du genre sont toutes assez semblables dans ce village et laissent peu de place aux variations de genre ou aux résistances que l’on observe à une échelle globale (Connell 2009 : 95-101). Tout cela explique la permanence de rapports de couple inégalitaires sur ces trois générations.

Nous aimerions à présent aller plus loin et montrer que l’intégration de l’amour dans l’éducation ne change rien dès lors qu’il a été mis au service de la domination masculine.

La construction d’un habitus sexué ou comment l’amour est mis au service de la domination masculine

L’éducation donnée par la famille contribue à construire l’habitus tel que Bourdieu l’a défini. Ce système de dispositions acquises qui organisent nos pratiques et nos représentations a une capacité d’innovation tout en renfermant un aspect non subversif. En effet, d’une part, l’habitus est producteur et non pas seulement reproducteur : « L’habitus [...] tend à reproduire la logique objective des conditionnements, mais en lui faisant subir une transformation [14] » (Bourdieu 1984 : 134). D’autre part, il est « objectivement ajusté aux structures » dans lesquelles il naît (Bourdieu 1989 : 17), de sorte que l’habitus aboutit « à garantir la conformité des pratiques et leur constance à travers le temps » (Bourdieu 1980 : 91). A priori paradoxale, cette situation se clarifie quand on sait que l’habitus n’intègre de nouveautés que si elles s’accordent à ses conditions de production. En somme, l’habitus évite tout bouleversement en assurant un équilibre entre tradition et innovation.

À Cuelda, l’habitus construit par la famille intègre la nouveauté qu’est l’amour comme légitimation actuelle au mariage ; en cela, il est porteur d’une transformation. Mais, puisque cette innovation est réappropriée par la famille et intégrée au milieu de valeurs plus anciennes et inégalitaires, l’habitus ainsi construit n’a rien de subversif, il se conforme aux cadres sociaux dans lesquels il a été produit. Il intègre à la fois la nouveauté que représente le sentiment amoureux et cette constante qu’est la subordination des femmes aux hommes, mais de telle manière que l’amour ne remette pas en cause cet invariant qu’est la domination masculine.

Tant et si bien que l’on peut se demander si l’amour lui-même ne contribue pas à perpétuer la domination masculine. En effet, à côté du contrôle plus étroit exercé sur les filles, de l’apprentissage de l’obéissance, de la culpabilité et du sacrifice, tout ce qui relève du sentiment amoureux et de son expression leur est davantage transmis. Au fond, on leur apprend à la fois à être dominées et amoureuses. L’habitus intégrant l’innovation qu’est l’amour continue d’aboutir à la subordination des femmes, et de manière d’autant plus efficace que l’amour n’est pas perçu par les dominées comme vecteur de la domination masculine. Comme l’écrit Bourdieu (1998 : 116), « l’amour est domination acceptée, méconnue comme telle et pratiquement reconnue, dans la passion heureuse ou malheureuse ». Autrement dit, outre l’inculcation d’un rôle secondaire par rapport à celui des garçons, l’apprentissage par mimétisme sexué qui conduit davantage les filles à exprimer leurs sentiments et à s’intéresser aux affaires de cœur aboutit à construire un habitus leur permettant de se conformer au mieux à cette structure qu’est la « valence différentielle des sexes » (Héritier 2009). Loin d’être désintéressé, l’amour est un sentiment auquel les hommes ont intérêt, intérêt à ce qu’il soit inculqué aux femmes, intérêt à ce qu’elles se laissent porter par ce sentiment afin de mieux masquer la dépendance structurelle vis-à-vis de leur conjoint (Mathieu 2014a : 84-89) analysée en seconde partie. Bien plus, en laissant l’éducation sentimentale aux mères, les hommes font des femmes des participantes directes à leur subordination, des courroies de transmission du pouvoir masculin (Mathieu 1991 : 11), car comme l’écrivent Bereni et al. (2012 : 124), « c’est sur elles [les mères] que pèse, en dernier ressort, la responsabilité de l’éducation concrète et du développement affectif des enfants ». La domination masculine ressort alors telle une notion dynamique (Mathieu 1991 ; Connell 1995 : 77) capable de s’approprier des innovations sentimentales pour servir la différenciation des sexes. L’amour peut donc être envisagé parmi les contraintes psychiques (Tabet 1998) mobilisées pour conduire les femmes au mariage et les cantonner ensuite aux tâches reproductives. La domination masculine parvient à se déplacer, à s’ajuster aux évolutions de la société pour continuer à s’exercer de manière plus subtile et être moins attaquable (Héritier 1996 : 297).

Certes, on peut nous opposer que si l’on n’apprend pas l’expression de l’amour aux garçons, ils peuvent néanmoins ressentir ce sentiment. Et que si l’amour est domination acceptée, il peut l’être également pour les hommes. Bien que l’on ne m’ait pas relaté d’histoire d’amour où un homme totalement épris d’une femme aurait été prêt à sacrifier bien des choses pour elle, à aller contre la volonté de sa famille, on peut tout de même penser que de telles situations ont existé. Peut-être certains enlèvements de la fiancée ont-ils été motivés de la sorte. Mais il se peut que personne ne me les ait racontés, moins encore un homme, à la fois pour ne pas ouvrir son cœur à une femme et pour ne pas me donner d’exemples de désordre social. En réalité, l’explication la plus vraisemblable de la rareté de ce genre d’histoire d’amour au masculin et de leur expression provient du fait que, si aux garçons les Cueldenses transmettent l’amour, ils ne le font pas de la même manière qu’aux filles. Les parents leur inculquent d’autres priorités, ce qui peut provenir aussi du fait que Cuelda se compose d’une forte proportion de classes populaires, dont Diter (2015) a montré qu’elles sont moins enclines encore que les milieux plus dotés en capital économique et culturel à socialiser les garçons à l’amour. En outre, la valorisation intellectuelle dans l’éducation masculine n’encourage pas le développement chez les hommes des émotions et du don de soi attendus en amour dans ce village. Au contraire, habitués à être servis par les femmes, le don de soi en amour et le sens du sacrifice sont des choses qu’ils attendent de leur épouse, comme Paulo : « L’expression des sentiments est le propre des femmes et en général, elles mettent plus de sentiments dans le mariage. »

L’amour, vecteur de la domination masculine

L’innovation que constitue l’amour comme fondement des unions hétérosexuelles pour la troisième génération n’a pas fait évoluer la structure des relations de couple toujours basée sur une division sociosexuée des activités et une subordination des femmes. Au contraire, le fait que le sentiment amoureux et son expression soient inculqués principalement aux filles en même temps que le don de soi à la famille contribue à perpétuer la domination masculine en mettant ce sentiment au service du mariage qui, pour la troisième génération, repose toujours dans la majeure partie des cas sur une forte dépendance économique et financière des femmes vis-à-vis de leur mari. Ainsi l’oppression s’insinue-t-elle dans l’intimité des femmes (Zaidman 2002).

L’amour (« enamoramiento » et « querer ») perpétue « le modèle archaïque dominant » (Héritier 2002) et contribue, comme l’écrit Giddens (2004 : 59), « à la position de dépendance de la femme au sein du foyer et à sa relative séparation vis-à-vis du monde extérieur ». À la question que Bourdieu (1998 : 116) posait : « L’amour est-il une exception, la seule, mais de première grandeur, à la loi de la domination masculine, une mise en suspens de la violence symbolique, ou la forme suprême, parce que la plus subtile, la plus invisible de cette violence ? », nous pouvons répondre que l’amour peut véritablement être entendu comme une violence symbolique, mais aussi factuelle (Mathieu 2014a : 54), que les hommes imposent aux femmes. Et c’est une violence à double détente : d’abord faire accepter plus facilement aux femmes un mariage où elles auront une position subalterne, ensuite leur faire transmettre, une fois devenues mères, ce sentiment à leurs propres filles. Ce que nous avons observé lors de notre dernier terrain en 2012 indique que l’éducation donnée par la troisième génération à ses propres enfants semble perpétuer une forte différenciation entre garçons et filles. Elle s’appuie notamment sur des jouets genrés, où l’univers des princesses séduisantes et amoureuses est présenté en modèle aux petites filles, et non aux petits garçons. Nous sommes donc loin du discours enchanté et de la vision androcentrée (Mathieu 2014a : 85) de Lévi-Strauss pour qui le sentiment amoureux ressortait comme un mystère à part dans la division sociosexuée des tâches.

add_to_photos Notes

[1L’analyse des sentiments s’insère dans ce courant, mais l’émotion renvoie à une affection provisoire, brève (colère, peur, surprise…), alors que « le sentiment, comme la haine ou l’amour, par exemple, est plus enraciné dans le temps, davantage intégré à l’organisation ordinaire de la vie, plus accessible aussi à la possibilité d’un discours » (Le Breton 2004 : 132).

[2Le concept de genre faisant débat en anthropologie (Touraille 2011 ; Handman 2015), je l’emploierai dans le sens retenu par Mathieu « comme l’opérateur du pouvoir d’un sexe sur l’autre » (1991 : 258), à la fois pour référer à des constructions symboliques et aux aspects matériels de l’organisation sociale (Mathieu 1991 : 266).

[3Il s’agit d’un pseudonyme.

[4Je remercie le ministère des Affaires étrangères espagnol qui a financé le plus long terrain de cette recherche, ainsi que le CNRS pour en avoir financé un autre.

[5Ses propos renvoient à la pratique de l’enlèvement de la fiancée, stratégie qu’utilisaient les plus pauvres pour échapper aux frais de trousseau et de noces (Limón Delgado 1981 ; Frigolé Reixach 1984) car on considérait que la relation était consommée.

[6L’analyse des cadastres de 1914, 1954 et 1995, un entretien auprès de la secrétaire du notaire et les autres entretiens permettent d’affirmer que la règle de division égalitaire du patrimoine entre tous les frères et sœurs était globalement respectée, comme l’a aussi observé Cardon (2004) un peu plus au sud de Cuelda.

[7Un latifundiste est un très grand propriétaire agricole.

[8Un minifundiste est un petit propriétaire agricole.

[9À titre indicatif, en 1997, une femme percevait 4 392 pesetas par jour, un homme 4 457 pesetas. Or l’écart de rémunération devait être encore plus grand sous Franco en l’absence de syndicats de défense des travailleurs.

[10D’après Aspectos históricos y socioeconómicos de Cuelda, inédit, brochure administrative établie par la mairie de Cuelda.

[11Les pères n’interdisent plus à leurs filles d’aller à l’école ni de faire des études supérieures. Dans cette génération, en 1991, elles étaient 52 % inscrites dans le supérieur (vs 48 % d’hommes, sur 26 % de la population à faire des études supérieures) ; alors que pour les plus de 50 ans on ne comptait que 36 % de femmes diplômées du supérieur (vs 64 % d’hommes, sur 0,7 % de la population ayant fait des études supérieures), cf. IEA 1993.

[12On retrouve la division sexuelle stricte du travail en atelier textile soulignée par Guilbert (Maruani et Rogerat 2006 ; Laufer et al. 2014 : 140) où l’on réserve aux femmes la conduite des métiers, les tâches délicates, répétitives et à fort rendement et aux hommes les travaux impliquant de connaître la mécanique.

[13Statistiques de l’Instituto de Estadística y Cartografía de Andalucía, consultées sur le site de la mairie de Cuelda le 4 novembre 2015.

[14Souligné par moi.

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Pour citer cet article :

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Vieillir en institution, vieillesses institutionnalisées. Nouvelles populations, nouveaux lieux, nouvelles pratiques [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2017/Sommier - consulté le 23.04.2024)
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