De prises en (sur)prises, l’attachement du lépidoptériste, ou comment « contacter » un papillon

Résumé

Observer la nature assidûment à la recherche des différentes espèces de papillons est une passion pour ces gens qu’on appelle lépidoptéristes. La relation qu’ils développent avec ces animaux est spécifique, ne serait-ce que parce qu’ils consignent dans de petits carnets chaque rencontre, et ceci pendant de nombreuses années. Selon leur propre terme, ces créatures ne sont pas simplement répertoriées, elles sont « contactées ». En accordant une place centrale au mouvement, cet article vise à décrire l’expérience sensorielle, et plus généralement affective, qui se cache derrière cette expression. Nous abordons les temps de corps-à-corps, les trajectoires d’observation et le parcours du territoire comme autant de temporalités où le lépidoptériste construit des prises pour reconnaître les espèces qu’il croise. Ce faisant, l’espace augmente, le papillon ayant la capacité de faire sortir l’observateur de son propre univers pour lui faire découvrir un autre environnement : le sien. Surpris par ces mondes vécus jusque-là inaccessibles, l’amateur de papillons s’attache à des paysages désormais transformés en trame vivante. De cet attachement naît une exigence : celle d’un devoir de témoignage.

Mots-clés : papillon, naturalistes, lépidoptéristes, amateurs, identification, jizz, intuition

Abstract

From grips to surprises, the attachement of the lepidopterist or how to “contact” a butterfly

Watching nature assiduously seeking for butterflies is a passion for lepidopterists. The relationship they develop with these animals is specific if only because they record each encounter in small notebook, and this for many years. According to their own term, these creatures are not only listed, they are “contacted”. By giving a central place to the movement, this article describes the sensory experience, and more broadly affective, that lies behind this expression. We focus on close contacts, on observation trajectories, and on landscape exploration as key moments when the lepidopterist builds up grips to improve his identification abilities. By watching butterflies, the observer may wander from his own world and enter the butterfly’s Umwelt : in this sense butterflies have the capacity to increase the perceived space. Surprised by these up to then unperceived lived world, the butterfly lover gets attached to landscapes transformed into a web of life. From this attachment arises a duty of testimony.

Keywords : butterflies, naturalists, lepidopterists, amateurs, identification, jizz

Sommaire

Introduction

Chacun a déjà pu voir aux heures les plus douces de l’été quelques papillons voler au coin d’un jardin ou sur un petit chemin rural. Ces rencontres sont pour le profane le résultat d’un heureux hasard, hasard qui vient rendre le moment de la rêverie au jardin ou de la promenade dominicale bien agréable. Le papillon ne manque pas en effet d’évoquer dans l’imaginaire collectif les beaux jours et le calme champêtre. Mais qu’en est-il pour l’amateur éclairé, celui qui recherche assidûment les très nombreuses espèces de lépidoptères, que cela soit dans la campagne environnante, ou parfois beaucoup plus loin, jusqu’au fin fond des forêts tropicales ? Force est de constater que les observateurs de papillons passionnés entretiennent une relation spécifique avec ces animaux, ne serait-ce que parce qu’ils consignent dans de petits carnets chaque rencontre, chaque lieu parcouru, et ceci souvent pendant de nombreuses années.

Ils ont d’ailleurs une expression particulière pour rapporter ce qu’ils ont vu, une expression que l’on peut entendre régulièrement dans les conversations ou lire dans les communications associatives : « Plus de quarante espèces de papillons contactés sur le territoire de Mardié-Est : un festival de formes et de couleurs [1] ! » Si le verbe « contacter » fait apparemment référence pour les naturalistes au contact visuel ou auditif qui permet l’identification, et renvoie donc au domaine physique, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur les implications plus larges de ce terme : entrer en contact ne nécessite-t-il pas de prêter une agentivité à l’entité contactée, une capacité à agir ?

Ces habitudes sociales des lépidoptéristes consistant à échanger de l’information sur des contacts fugaces avec des papillons posent question. On se demande en effet quels sont les ressorts de cette passion qui fait accorder autant d’attention à de si petites bêtes, si éphémères qui plus est. Yves Delaporte, ethnologue, a consacré plusieurs articles dans les années 1980-1990 aux coléoptéristes, ces entomologistes amateurs de scarabées en tout genre. Il y dépeint leur passion comme composée de trois facettes – amour des insectes, recherche de la rareté et fascination esthétique – qui se traduisent dans des pratiques partagées : chasser et collectionner (Delaporte 1984b, 1994a) ; échanger et communiquer (Delaporte 1984a, 1993) ; nommer et classer (Delaporte 1987a, 1994b). Le propos d’Yves Delaporte a une visée culturaliste (Delaporte 1986, 1987b) : ce qui l’intéresse avant tout, ce sont les rôles sociaux et les fonctions symboliques des pratiques qui contribuent à former des sous-cultures ou, dit autrement, des milieux sociaux spécifiques. Il ne s’attarde donc pas à analyser finement les situations de terrain, ou le processus d’acquisition des connaissances de l’entomologiste : pas de description des affects, donc, ni des interactions avec les éléments naturels.

Un point reste par conséquent en suspens : dans quelle mesure la passion naturaliste relève-t-elle du moment de la rencontre avec la chose aimée ? Notre article entend apporter des éléments de réponse en suivant les observateurs sur le terrain et en proposant une ethnographie du contact. Car, finalement, c’est bien cela qui interroge dans cette passion sans limite. Qu’éprouvent donc ces amoureux de nature qui les tient si exaltés et qui reste pourtant inaccessible pour la majorité des gens ? Les naturalistes en font un objet de plaisanteries sans fin : l’ennui guette dès les premiers pas le non-initié si, d’aventure, il s’enhardit à suivre des entomologistes… et bien pire, s’il choisit des botanistes. Nous posons donc la question suivante : que signifie « contacter » un papillon pour un lépidoptériste ?

Pour répondre à cette interrogation, force est de constater que le papillon est un terme important de l’équation. C’est lui qui met en mouvement l’observateur, qui change le cours de l’action. Bruno Latour et Antoine Hennion, dans leurs travaux sur la sociologie des objets, ont mis en avant l’importance de ce « faire faire » des choses (Latour 2000 : 3). Souligner les effets de la rencontre permet non seulement de s’intéresser à la coproduction de ce qui se passe en situation en redistribuant l’action entre les personnes et les choses (Hennion 2004), mais également de rendre possible l’étude des affects et de ce qui lie aux choses (Latour 2000). Ces deux auteurs parlent d’attachement pour évoquer cette approche spécifique de l’action et en font un concept qui rapproche mouvements et émotions.

L’anthropologue britannique Tim Ingold va plus loin encore et fait du mouvement un objet central de son analyse (Ingold 2011). Toute connaissance découle d’informations situées dans un environnement, ces informations étant elles-mêmes le résultat d’un appariement de la perception et de l’action (Citton et Walentowitz 2012). Précisément, nous entendons développer une analyse des savoirs et des passions naturalistes sous l’angle des corps en mouvement, en donnant toute leur place aux engagements perceptifs et pratiques de l’observateur (Ingold 2000). En d’autres termes, nous voulons décrire l’expérience de la nature par des lépidoptéristes amateurs en mettant l’accent sur les dimensions sensorielles et cognitives en situation d’observation. Soyons clair : il ne s’agit pas de comprendre l’univers des lépidoptéristes à travers l’étude de leurs représentations. L’ethnographie que nous proposons consiste à s’engager à leur côté sur le terrain pour faire l’expérience sensible de leur monde. C’est par conséquent à travers l’analyse des trajectoires et des gestes techniques qui conditionnent la reconnaissance des espèces que nous abordons la relation être humain-papillon [2]. Cela doit permettre d’apporter quelques précisions théoriques sur ce qui affecte et sur ce qui attache, deux processus proches mais différents.

Notre travail se positionne dans le champ des recherches menées sur les relations homme-animal en anthropologie. Ce que nous cherchons à décrire, c’est la capacité des humains à se laisser affecter par la nature, laquelle suppose de reconnaître une agentivité aux animaux (Lorimer 2007 ; Vicart 2009 ; Servais 2016). Notre analyse peut également intéresser un second domaine d’investigation qui se développe au sein des sciences de la conservation au sujet des devenirs réciproques de nos sociétés et de la biodiversité. Deux idées phares le portent : l’exigence d’une réconciliation entre humains et non-humains (Cosquer et al. 2012 ; Fleury et Prévot-Julliard 2012) ; la nécessité d’une reconnexion à la nature (Pyle 1993, 2003 ; Clayton et al. 2017). En faisant le lien entre éducation de l’attention, affects, et attachements, nous réaffirmons le pouvoir de connexion de l’observation naturaliste entre les humains et leur environnement.

Nous nous attachons en premier lieu à décrire le type de savoir sur lequel s’adosse l’identification : c’est en nommant que les naturalistes entrent en relation avec les espèces rencontrées et discernent leur diversité. La suite de notre article se structure autour des expériences d’observation et des différentes temporalités qui les constituent. Ce qui saute d’abord aux yeux pour un néophyte qui suit le lépidoptériste, ce sont les temps de corps-à-corps avec les papillons : ils émaillent la sortie naturaliste et instillent les premiers contacts avec les espèces inconnues. Ponctuels, ces moments sont reliés entre eux par la trajectoire d’observation. Celle-ci dépend à la fois du lépidoptériste et du papillon observé. La juste distance et le juste regard viennent régler les déplacements de l’observateur, et chemin faisant lui révèlent les mondes vécus des créatures qu’il recherche. Enfin, la sortie naturaliste ne peut se comprendre que si l’on considère également des temporalités plus longues. La mise en série des observations réalisées au cours de nombreuses sorties et sur plusieurs années est une condition nécessaire à la reconnaissance des espèces. Il s’agit ainsi de décrire le parcours du territoire et ses surprises, la manière dont l’observateur, mû par la nécessité de renouveler le défi de l’identification, construit une histoire personnelle avec les papillons qu’il rencontre et les milieux qu’il arpente.

Que le lecteur ne soit pas étonné par cet élargissement de la focale, inverse au déroulement chronologique d’une sortie naturaliste. Si nous avons choisi de nous centrer tout d’abord sur le papillon pour en venir progressivement à son environnement, et plus globalement au paysage, c’est pour mieux retranscrire l’effet d’apprentissage chez le lépidoptériste : à ses débuts, il ne voit les papillons qu’à ses pieds et ne les reconnaît qu’après mûre réflexion ; puis vient le temps où il entre dans leur sillage en pressentant déjà l’espèce dont il est question ; plus tard, il devient capable de prédire les espèces qu’il va rencontrer rien qu’en traversant leur environnement. C’est cet allongement de l’interaction dans l’espace et le temps que la structure de l’article veut souligner.

Nommer pour entrer en relation

Des formes naturelles multiples aux détails infinis : comment s’y retrouver ?

Avant d’aborder à proprement parler les expériences d’observation, il faut commencer par décrire le cœur de l’activité naturaliste : l’identification. Identifier un papillon consiste à le relier à son espèce en lui attribuant le nom correspondant. Nommer les espèces qu’il rencontre est pour le naturaliste fondamental car c’est par cette opération qu’il entre en relation : c’est en effet en cherchant à mettre un nom sur ce qu’il voit qu’il définit les contours des entités en présence et qu’il en distingue la diversité. Cela oblige son regard à considérer les détails et à ne pas s’arrêter uniquement aux formes génériques.

Ainsi, au lieu de n’avoir qu’un seul mot pour désigner ce qu’il voit, « papillon », ce qui correspond à un rang taxonomique [3] assez élevé dans le classement du vivant, l’ordre pour être précis, le lépidoptériste sera en mesure de se rapprocher de l’espèce dans la majorité des cas. Il est alors question d’Apollon, de Pacha à deux queues, d’Amaryllis, d’Hespérie de la Ballotte [4]… La résolution de ce qu’il voit s’affine. Il franchit de cette manière différents degrés de différenciation, de plus en plus ténus : famille, sous-famille, genre, espèce (figure 1). Les couleurs, les formes et les tailles convergent alors : l’exercice de la reconnaissance est ainsi loin d’être facile car les différences signifiantes à saisir, c’est-à-dire celles qui permettent de séparer une espèce d’une autre, sont bien souvent minimes.

FIGURE 1. Principaux rangs taxonomiques utilisés dans l’étude des Rhopalocères.
Colonne 1 , papillons appartenant à des familles différentes : l’Apollon (Parnassius apollo), famille des Papillionidés (photographie : D. Morel, 2014) ; l’Azuré commun (Polyommatus icarus), famille des Lycanidés (photographie : P. Mothiron, 2012) ; la grande tortue (Nymphalis polychloros), famille des Nymphalidés (photographie : P. Mothiron, 2011).
Colonne 2, papillons appartenant à des sous-familles différentes : le Nacré de la Filipendule (Brenthis hecate), sous-famille des Héliconiinés (photographie : P. Mothiron, 2016) ; la Mélitée des Linaires (Melitaea deione), sous-famille des Mélitéinés (photographie : L. Taurand, 2016) ; le Pacha à deux queues (Charaxes jasius), sous-famille des Charaxinés (photographie : D. Morel, 2004).
Colonne 3, papillons appartenant à des genres différents : l’Ocellé rubanné (Pyronia bathseba), genre Pyronia (photographie : P. Mothiron, 2015) ; le Moiré fascié (Erebia ligea), genre erebia (photographie : D. Morel, 2009) ; la Mégère (Lasiommata megera), genre lasiommata (photographie : C. Wellings, 2007).
Colonne 4, papillons appartenant à des espèces différentes : l’Hespérie de la Ballotte (Carcharodus baeticus) (photographie : D. Morel, 2007) ; l’Hespérie du Marrube (Carcharodus floccifera) (photographie : D. Morel, 2006) ; l’Hespérie de l’Épiaire (Carcharodus lavatherae) (photographie : L. Taurand, 2017).

Prenons une situation classique pour un lépidoptériste, où des espèces proches volent au même endroit, à la même période. Appelons notre observateur Pierre. Pierre donc se promène sur une pelouse calcaire, au mois d’août, et parmi les papillons qu’il rencontre, trois espèces courantes d’une sous-famille de lycènes croisent son chemin, le Bel-Argus, l’Azuré commun et le Collier-de-corail (figure 2). Le profane serait dérouté par cette situation, car il n’y verrait qu’un flot de petits papillons bleus ou marron. Pierre, lui, ne se laisse pas berner par les couleurs : il sait que dans cette sous-famille les papillons bleus sont des mâles et que les papillons marron peuvent être à la fois des femelles et des mâles. Il y a ce qu’on appelle un dimorphisme sexuel. Pierre utilise donc d’autres critères que la couleur pour regrouper ces spécimens par espèce.

FIGURE 2. Trois espèces proches : des Lycènes appartenant à la sous-famille des Polyommatinés.
Ligne 1 , l’Azuré bleu-céleste (Lysandra bellargus) : ♂ recto (photographie : V. Petit, 2008) ; ♀ recto (photographie : V. Petit, 2008) ; ♀+♂ verso (photographie : V. Derremaux, 2016) ; ♀ recto forme ceronus (photographie : P. Mothiron, 2013).
Ligne 2, l’Azuré commun (Polyommatus icarus) : ♂ recto (photographie : P. Mothiron, 2012) ; ♀ recto (photographie : P. Mothiron, 2006) ; ♂ verso (photographie : T. Madigou, 2011) ; ♀ verso (photographie : P. Mothiron, 2004).
Ligne 3, le Collier-de-Corail (Aricia agestis) : ♂/♀ recto (photographie : J.-M. Faton, 2008) ; ♂/♀ verso (photographie : Triturus, 2011) ; ♂/♀ verso (photographie : P. Mothiron, 2002) ; ♂/♀ recto (photographie : P. Mothiron, 2005).

Il regarde par exemple attentivement les franges [5] pour voir si elles sont coupées de noir : il pourra ainsi distinguer le Bel-Argus de l’Azuré commun, qui, lui, a une frange intégralement blanche. Il observe également les motifs au revers des ailes pour noter la présence ou l’absence de certains points distinctifs : pour le Collier-de-corail, il notera ainsi l’absence du point cellulaire dans la zone à la base de l’aile. L’œil non averti peut vite se perdre dans l’observation de cette grande diversité de caractères. Comment alors faire le tri entre ce qui a du sens et ce qui n’en a pas dans la tâche de l’identification ?

Forger des points de repère

Pour donner du sens à ce qu’il voit, le naturaliste doit construire des points de repère afin de guider son regard. Sur quoi portent-ils ? L’amateur de papillons en dispose de deux types. Les premiers sont à rechercher dans les caractères de l’animal, notamment dans les motifs de ses ailes qui combinent des variations de formes et de couleurs ; la taille est un facteur à prendre en compte également. Les seconds correspondent aux spécificités du milieu spatio-temporel de chaque espèce : zone de répartition, période de vol, fréquence, altitude à laquelle on trouve le papillon, caractéristiques de son habitat et pour finir, le type de plantes dont il a besoin pour son développement.

Il faut souligner que les repères ayant trait aux caractères du papillon sont activés au moment de la rencontre, alors que les seconds peuvent être mobilisés avant, pendant, ou après pour affiner le diagnostic. L’identification n’est donc pas un évènement ponctuel mais une action qui se déroule dans le temps, avec à un moment donné une résolution. Ces points de repère vont ainsi guider le travail d’observation du lépidoptériste tout au long de sa sortie.

Précisons une chose importante : on dénombre 257 espèces de papillons de jour en France (UICN FRANCE et al. 2014), 482 en Europe (Swaay et al. 2010) et autour de 18 000 dans le monde selon les estimations des spécialistes. Une somme d’informations colossale doit donc être mémorisée, même pour celui qui ne s’intéresse qu’à la faune de France. Des aide-mémoire sont nécessaires, au moins pendant les premières années : toutes les informations requises sont rassemblées à cet effet dans des guides de détermination [6] que les naturalistes ont toujours sous la main et qui se déclinent en fonction des zones géographiques et des groupes d’espèces étudiés (figure 3).

FIGURE 3. Couverture et page d’identification d’un guide de détermination pour les papillons diurnes de France. © Lafranchis, 2014.

On peut légitimement se demander par qui une telle somme d’informations a pu être amassée. Ces repères, plus communément appelés « critères d’identification », sont issus du travail de nombreuses générations de lépidoptéristes qui, depuis le XIXe siècle, l’âge d’or des naturalistes (Matagne 1999), se sont succédé et ont mutualisé leurs connaissances. Ces lépidoptéristes ont produit des traces de leurs différentes rencontres avec les papillons, des spécimens naturalisés par exemple, et en les rassemblant, ils ont pu mettre en avant certaines régularités pour chaque espèce rendant possible leur identification. La constitution de séries est ici déterminante car celles-ci permettent de distinguer ce qui relève de la variabilité interspécifique et de la variabilité intraspécifique, grâce à une vision panoptique [7] des différences (figure 4).

Si ces points de repère sont issus d’un travail collectif, ils sont aussi l’œuvre d’un travail individuel. En effet, chaque naturaliste, à travers la succession de ses expériences d’observation, est en mesure de détecter des régularités et donc de produire ses propres repères. Tout n’est pas écrit dans les guides. Michael Lynch et John Law (1999) ont très bien montré qu’il y a un décalage inhérent entre des repères fournis par des supports textuels et iconographiques et la pratique : ce décalage, c’est précisément l’expérience qui le comble.

FIGURE 4. Une salle d’étude chez un particulier, et une boîte de collection avec 3 séries de la même espèce.
Le Souci (Colias croceus) : ♂ (colonnes 1, 2, 3, 4), ♀ forme nominale (colonnes 5 et 6), ♀ forme helice (colonne 7). (photographie : E. Charonnet), 2016.

Cela pose la question de l’acquisition des points de repère qui sont non pas directement dans la situation d’observation, mais dans un savoir collectif et une pratique individuelle. Autrement dit, le lépidoptériste doit mettre en relation le papillon devant lui avec un espace de qualification qui lui n’est pas dans la situation d’observation (Charvolin 2007). Sa performance consiste donc à constamment se référer à ce qui a été vu par les autres et à ce qu’il a vu lui-même par le passé.

Mais ce ne sont pas directement les papillons vus par lui ou d’autres que le lépidoptériste met en relation avec la bête qu’il a devant lui : il ne compare que certains traits – la taille des ailes, la couleur des franges, l’alignement des taches, par exemple – traits retenus par ses pairs comme des critères pertinents de détermination. Ce faisant, il développe des prises (Bessy et Chateauraynaud 2014 : 295) qui scellent l’articulation entre des repères édifiés par la communauté naturaliste et des traits remarquables du papillon. Ces traits peuvent être qualifiés de « saillances » ou de « plis [8] », dans la mesure où ils émergent du mouvement au cours de la rencontre être humain-papillon. Il y a donc bien des repères mais aussi des plis. Or ces plis sont en très grand nombre, chaque détail du papillon offrant potentiellement une accroche perceptive. L’art de la prise consiste à faire correspondre certains plis seulement avec les points de repère acquis. En pratique, lorsqu’une prise est saisie avec succès, les plis observés se confondent avec les repères mobilisés. Pour bien comprendre ce qui les distingue, il faut donc s’intéresser aux situations de tâtonnement et d’hésitation qui émaillent la pratique, durant lesquelles précisément le naturaliste s’efforce de trouver les bonnes associations.

Une rencontre au plus proche : le frisson du corps-à-corps

Voir de près, avoir le temps

Pour reconnaître un papillon inconnu, l’amateur n’a au début d’autre choix que de se rapprocher au plus près, afin de se rendre sensible aux petites différences qui le distinguent des autres espèces. Ceci n’est possible que par une formation longue, attentive et sélective des sens au corps-à-corps avec l’animal. Il faut voir de près, avoir le temps. Or les papillons n’attendent pas l’observateur. Ils vont et viennent au gré du soleil et du ballet de leurs congénères. L’observateur doit donc se résoudre à capturer le spécimen physiquement avec un filet ou photographiquement avec un appareil à fort zoom. Cela lui permet de prolonger le temps et de réduire les distances d’observation.

Le succès de la capture est loin d’être garanti car les papillons sont vifs. Le lépidoptériste le sait bien, et c’est donc avec patience qu’il entreprend la traque de sa cible. Les styles sont multiples en fonction des situations : course effrénée et coups de filet généreux, moulinet opportuniste, approche à pas de loup se terminant par un geste fulgurant, photos en mode rafale… Dans tous les cas, la concentration est très grande : l’espace se rétrécit, focalisé sur le papillon à capturer, et le temps se met entre parenthèses, une bulle entourant l’observateur devenu chasseur. Cet état perceptif spécifique mêlant attention extrême et adrénaline est un moment attendu par le lépidoptériste : c’est le plaisir de la traque, de la confrontation à l’animal et à son agilité.

Pour être à la hauteur, le lépidoptériste travaille ses gestes. Concernant la capture au filet, le manche doit décrire un arc de cercle, poche gonflée, accompagnant la trajectoire du papillon puis la détournant. Le mouvement se termine par une rotation du manche pour fermer la poche, empêchant ainsi toute sortie du spécimen (figure 5). La maîtrise de la séquence est technique et la vitesse de son exécution doit tenir compte de l’espèce présente : pour un petit papillon, un geste précis au ras du sol suffira, alors que pour un plus gros, donc nécessairement plus rapide, il faudra anticiper sa trajectoire et commencer le mouvement à une distance plus importante. Dans le cas d’une première tentative infructueuse, il est ensuite généralement plus dur de faire mouche car le papillon, sentant le danger, change de trajectoire en tourbillonnant. La course échevelée de Timothée en est un bon exemple (figure 6) : elle se solde par un papillon qui frôle la tête du chasseur mais n’atterrira pas dans le filet cette fois-ci (figure 7). Pour maximiser ses chances, l’amateur préfère s’approcher dans le dos du papillon, évitant son regard panoramique et déjouant ainsi sa capacité à détecter les mouvements hostiles.

FIGURE 5. Les différentes étapes d’une capture : approche, arc de cercle du filet, fermeture de la poche. (vidéo : E. Charonnet, 2017, Seine-et-Marne).

FIGURE 6. Course de Timothée pour rattraper un Colias. (vidéo : E. Charonnet, 2017, Seine-et-Marne).

FIGURE 7. Le papillon est à quelques encablures du filet mais jamais dedans. (Captures d’écran extraites de la vidéo précédente. E. Charonnet, 2017, Seine-et-Marne).

FIGURE 8. Nombreux allers et retours entre le viseur de l’appareil et l’observation directe avant de faire rentrer le papillon dans le point de mire. (vidéo : E. Charonnet, 2017, Haut-Rhin)

Concernant la capture photographique, l’essentiel se joue dans la technique d’approche. D’une part, il faut être suffisamment proche pour distinguer le papillon et donc braquer l’objectif dans la bonne direction, ce qui requiert souvent des va-et-vient entre le viseur de l’appareil et l’observation directe (figure 8). D’autre part, il faut se tenir à bonne distance pour éviter que le papillon ne s’envole, ce qui dans le meilleur des cas nécessite une nouvelle approche un peu plus loin, mais qui condamne dans bien des situations l’observateur à rester sur sa faim, le spécimen ayant disparu derrière un taillis ou une haie. Posséder un appareil à fort zoom est souvent la solution. Toutefois, de nombreux clichés seront ratés : un temps de déclenchement trop long de la photo, quelques dixièmes de seconde en plus auront donné l’occasion au papillon de changer de fleur ; une mise au point trop floue ne permettra pas de distinguer les caractères permettant l’identification ; ou encore un changement de posture du papillon empêchera d’observer le dessous des ailes. Pour assurer la capture photographique, il faut donc « mitrailler », comme l’explique Isabelle en se remémorant sa rencontre avec son premier Cuivré mauvin (Lycaena alciphron) :

Alors d’abord, tu vois, j’essaye de faire une photo de loin parce que je sais que quand je m’approche il s’en va, mais tu vois, là, elle est floue. Après d’un peu plus près, et là on voit que je suis toujours un peu trop en l’air, pas encore assez au niveau du papillon, et donc j’ai dû commencer à m’accroupir pour le prendre en photo, tu vois. Là je suis plus au niveau. (15 mai 2014, Paris).

Ainsi, que ce soit au filet ou à la photo, l’issue n’est jamais certaine. Pour beaucoup de lépidoptéristes, articuler ces deux modes de capture est perçu comme un avantage, voire une nécessité. S’aventurer à sortir le filet pour mettre la main sur un papillon particulièrement vif lorsqu’il est tranquillement posé sur une fleur peut s’avérer contre-productif : une photo bien zoomée peut très bien faire l’affaire. Dans une situation similaire mais avec une espèce plus petite, il ne faudra pas hésiter à se servir du filet si les critères d’identification sont particulièrement ténus ou positionnés à des endroits difficilement visibles, à la jointure des ailes antérieures et postérieures par exemple, certaines espèces ayant tendance à passer les premières légèrement au-dessus des secondes. Il se peut très bien aussi que le filet et l’appareil photo soient utilisés successivement. Un papillon dans le filet pourra ne pas vouloir ouvrir correctement les ailes, et à force de le manipuler, si l’observateur manque de dextérité, de nombreuses écailles sont susceptibles de partir : le lépidoptériste peut alors décider de mettre le spécimen dans une boîte ou dans une pochette plastique afin de prendre une photo, soit pour qu’il reprenne une posture naturelle et découvre la partie convoitée de ses ailes, soit au contraire pour l’obliger à rester figé dans une position quelques secondes grâce à l’électrostatisme de la pochette plastique (figure 9).

FIGURE 9. Comparaison des mérites respectifs de la boite et de la pochette plastique pour l’identification du Collier de Corail.
A gauche, l’absence de point dans la cellule est visible grâce à une posture naturelle du spécimen ; à droite, elle est cette fois-ci visible grâce à une posture figée (Photographies : E, Charonnet, 2017).

Après une capture photographique, il n’y a guère qu’à jouer avec le zoom de l’écran pour mettre au jour les critères de détermination. S’ils ne sont pas visibles, il faut se remettre en chasse. En revanche, après une capture au filet, le travail n’est pas fini. Il faut tout d’abord extraire le papillon du filet, en veillant à ce qu’il ne s’échappe pas. Pour ce faire, une main tire le fond de la poche vers le haut afin de conserver l’ouverture du filet vers le bas, les lépidoptères cherchant systématiquement à remonter, pendant que l’autre main entre dans la poche par le dessous pour saisir délicatement le spécimen par le thorax ou la tête (figures 10 et 11). Il s’agit ensuite de manipuler le papillon pour rendre visibles les caractères permettant l’identification. L’apprentissage de ces gestes prend du temps. Les mains tremblent au début, elles ne parviennent pas à maîtriser les mouvements à la fois ténus et vigoureux de l’insecte. Puis elles s’affermissent après avoir laissé s’échapper trop souvent l’animal. Petit à petit, le toucher apprend à reconnaître chaque partie du papillon et se fait plus sensible : délicatesse pour les pattes et les ailes, les plus fragiles ; fermeté pour le thorax, plus solide car étant le siège des muscles alaires. Les mains enferment, entourent, retournent, bloquent, écartent, maintiennent, supportent tour à tour le papillon dans une danse très personnelle à chaque observateur (figure 12). Les gestes s’adaptent à l’espèce captive. Un gros Machaon [9] est à la fois plus vigoureux et plus robuste qu’un petit Azuré : leur appliquer le même traitement aboutirait sans aucun doute à des pattes cassées chez l’Azuré ou à un Machaon envolé à peine effleuré.

FIGURE 10. Manipulation de l’Hespérie de la Mauve (Pyrgus malvae) (vidéo : E. Charonnet, 2017, Seine-et-Marne).

FIGURE 11. Le papillon passe de la main gauche de l’observateur à sa main droite, avant d’être relâché (captures d’écran extraites de la vidéo précédente : E. Charonnet, 2017, Seine-et-Marne).

FIGURE 12. Différents positionnements de la main permettant la manipulation de papillons vivants.
De gauche à droite : le Nacré de la Ronce (Brenthis daphne), le Tristan (Aphantopus hyperantus) la Mélitée du Plantain (Melitaea cinxia), le Petit Collier argenté (Boloria selene), le Sylvain azuré (Limenitis reducta). (photographies : E. Charonnet, 2014 & 2017).

Poursuite et capture ne sont pas des actions planifiées par l’observateur : celui-ci se laisse emporter par les papillons rencontrés et prend des décisions qui dépendent des situations. Filet, appareil photo, boîte, pochette plastique, leur utilisation est contingente et s’articule dans le flux de l’action. Le lépidoptériste improvise, fait preuve d’ingéniosité : une tige de graminée pourra servir avantageusement à écarter les ailes d’un petit Azuré ; mettre un papillon emprisonné provisoirement dans une boîte à l’ombre le calme, puis le remettre au soleil l’incite à rouvrir ses ailes sans les bouger pour se réchauffer, un moment crucial pour l’observation (figure 9). Tous ces petits trucs et astuces émergent de la pratique, du contact avec le papillon : le lépidoptériste « fait avec » la forme de vie qu’il observe. De cette intelligence en action, de cette mètis (Detienne et Vernant 2008 [1974]), l’amateur retire un plaisir certain. Celui d’une relation inventée avec un non-humain.

Des repères et des plis : une articulation tâtonnante

Le corps-à-corps avec le papillon est une aventure sensible, qui met en jeu le toucher et la vue. C’est en même temps un exercice cognitif : celui de l’articulation entre repères et plis pour permettre la reconnaissance. Les débuts sont souvent difficiles. Il est ainsi courant pour un novice de confondre les points de repère entre espèces, ou d’attribuer certains plis aux mauvais repères. C’est ce que nous avons constaté lors d’une sortie collective ayant lieu dans le cadre d’un projet d’atlas. Ce jour-là, un groupe d’amis procède à l’inventaire d’une commune encore peu prospectée (figures 13 et 14).

FIGURE 13. Situation d’inventaire collectif en Sarthe à l’orée d’un bois sur la commune de Noyen-sur- Sarthe (photographie : E. Charonnet, 2016).

Dimanche 7 août 2016, Bois de l’Augonay (72), 11 h 30

Nous ralentissons à hauteur d’une zone de hautes herbes en bordure du chemin. Un Azuré encore non identifié vole parmi un flot de Myrtils [10]. Un coup de filet rapide d’Aurore, et le spécimen est capturé. Camille et moi accourons, car nous voulons nous faire l’œil avant que le verdict ne soit prononcé par les plus aguerris. Les noms fusent : Collier-de-corail, Azuré de la Bugrane… La confusion règne. Le spécimen garde les ailes fermées, ce qui ne facilite pas le diagnostic. Puis le reste du groupe arrive, appelé à la rescousse. Un simple regard suffit à Julien et le verdict tombe : Azuré commun. Je suis très surpris car je n’ai pas reconnu cette espèce que j’ai pourtant déjà identifiée plusieurs fois par le passé. La disparition du principal critère séparateur, la frange blanche, associée à un nom inconnu – Azuré de la Bugrane plutôt qu’Azuré commun – ont suffi à me faire perdre mes repères.

FIGURE 14. Les aléas de la détermination (vidéo : E. Charonnet, 2016, Sarthe)

Cette situation de terrain montre qu’un rien suffit à empêcher la prise de se former. La présence possible de plusieurs espèces proches et l’utilisation d’un nom synonyme rebattent les cartes et ouvrent une brèche dans la mise en correspondance des repères et des plis, une brèche facilitée par l’absence du pli déterminant, la frange, qui a été élimée et n’est donc plus saillante. L’observateur se laisse décontenancer et ne reconnaît pas le papillon dont il a pourtant l’habitude.

La dynamique collective joue ici un rôle important : elle vient mettre à l’épreuve les savoirs de chacun, tout en les renforçant. De nouveaux repères permettant d’établir le diagnostic sont proposés : la frange blanche étant absente, on se reporte aux lunules orange, à la suffusion bleue, au point dans la cellule. Les plus novices écoutent attentivement et demandent ce qu’il faut regarder : « Vous arrivez à voir quelque chose ? » Les plis du papillon leur sont précisés comme les intensités respectives de bleu entre l’Azuré commun et le Bel-argus, variables selon l’état de fraîcheur, ou les points « plus ou moins empâtés » de la forme icarinus de l’Azuré commun. Toute la difficulté est d’ajuster ces plis, qui sont variables en fonction des spécimens, à des repères qui sont eux des archétypes fixes : à quel moment le bleu-violet de l’Azuré commun ne l’est plus assez pour être celui d’un Bel-Argus usé ?

Pour les plus chevronnés, c’est l’occasion d’opérer quelques réajustements. Décontenancés par les associations inhabituelles proposées par les plus novices, ils se voient obligés de remobiliser rapidement leurs savoirs, de les réagencer. Les noms de Plebejus idas (l’Azuré du Genêt) et d’Aricia agestis (le Collier-de-corail) sont ainsi intervertis par Julien, avant d’être réassociés correctement avec leur nom français correspondant. Cette confusion dans les noms n’est pas anodine car elle déstabilise le jugement. Elle peut mener à lier une série de repères permettant un diagnostic juste à un nom d’espèce erroné, ou encore à insérer dans une suite de critères menant à la détermination un critère ne correspondant pas à l’espèce en question. Il est important de bien comprendre qu’à un exercice d’observation s’ajoute un exercice fondamental de mémorisation et d’association. La reconnaissance d’un caractère saillant du papillon peut bien suggérer un nom d’espèce, mais ce n’est pas suffisant pour valider une identification. L’observateur doit donc ensuite puiser dans sa mémoire d’autres repères qu’il a associés à ce nom réceptacle pour vérifier s’ils s’ajustent bien aux plis du papillon, l’identification dépendant bien souvent de plusieurs caractères saillants. En réalité, plus les espèces présentes se ressemblent et sont nombreuses, plus les saillances à reconnaître s’ajoutent et deviennent complexes.
Icarus, icarinus, bellargus, idas et agestis, cela fait déjà du monde ! Finalement, le point dans la cellule permet d’éliminer icarinus, idas et agestis : il reste à départager icarus et bellargus. Julien, le plus aguerri, tranche grâce à la couleur, car sa grande connaissance des deux espèces lui permet de s’appuyer sur des plis même rendus très ténus par l’âge du spécimen. Les autres doivent lui faire confiance, car la prise n’a pas pu se former pour eux, la série d’épreuves menées sur ce spécimen étant au-dessus de leur expertise.

L’examen sur place n’est pas toujours suffisant pour nommer l’espèce, en particulier lorsque le collectif n’est pas là pour permettre la mutualisation des connaissances. Il faut alors produire des traces du passage de l’animal afin de déplacer le lieu d’étude. Ces traces peuvent être l’animal lui-même, naturalisé, ou des photographies [11]. Cela permet de comparer la bête à d’autres spécimens grâce à des galeries de photos ou à des boîtes de collection. Si cette observation panoptique n’est pas suffisante, une dernière solution est de revenir vers le collectif. Solliciter des confrères directement, ou par l’intermédiaire de forums en ligne, est une façon de mobiliser de nouveaux repères – « cet ocelle est un critère sûr, tu peux me faire confiance » – ou de se faire préciser certains plis – « l’alignement des taches, là, il n’est pas en arc de cercle, il est bien en point d’interrogation ».

Une question de taille reste en suspens : quelles sont les stratégies qui amènent l’observateur à s’arrêter pour examiner un spécimen plutôt qu’un autre ? Il n’est pas rare en effet qu’un flot de papillons jaillisse sous les pas du lépidoptériste, et il lui est souvent difficile de tous les identifier avec certitude. Répondre à cette question nécessite de passer à une autre échelle de l’expérience d’observation : celle de la trajectoire observateur-papillon.

La tension de la recherche et ses ruptures de trajectoire

Traverser l’ordinaire et poursuivre l’inconnu

Pour en arriver au corps-à-corps avec le papillon, il faut en premier lieu croiser son chemin et décider à un moment donné de s’en approcher. Voyons comment cela se traduit en situation. Nous accompagnons ce jour-là Jacques pour effectuer un relevé sur un site qu’il suit régulièrement dans le cadre d’un protocole de comptage [12].

Mercredi 11 juin 2014, La Boislivière (86), 15 h 25 (figure 15)

Nous abordons une allée forestière traversant un sous-bois clair de feuillus. Jacques marche d’un pas lent, régulier. Je règle mon allure sur la sienne, restant légèrement derrière lui. De temps à autre, des trouées dans le couvert végétal laissent passer les rayons du soleil qui viennent nimber le sol d’une lumière vive. C’est à l’un de ces endroits que le premier papillon fait son apparition. Il surgit à hauteur d’épaule sur la droite quelques mètres devant nous, vole prestement dans notre direction, nous croise à tire-d’aile, puis s’engouffre dans la partie touffue du sous-bois, hors de vue. Jacques couche le nom du lépidoptère sur son petit carnet, tout en continuant à marcher. Je n’ai, quant à moi, que peu de mots pour décrire ce que j’ai vu. Je les articule tout de même dans une phrase pour engager la conversation : « Il volait sacrément vite celui-là. Je crois qu’il était plutôt marron. » « C’est un Myrtil », me dit Jacques.

FIGURE 15. Situation de comptage dans un sous-bois sur le site STERF d’Antigny dans la Vienne (photographie : E. Charonnet, 2014).

Ce qui est ordinaire pour Jacques ne l’est pas pour nous. Et tant mieux, car cela permet de comprendre une différence essentielle dans le processus de reconnaissance des espèces : ce qui est familier ne s’identifie pas de la même manière que ce qui ne l’est pas. En effet, Jacques n’a pas besoin d’aller au corps-à-corps pour reconnaître ce papillon : un simple coup d’œil lui suffit. Ce qui surprend au premier abord s’explique en fait facilement. Le Myrtil est le papillon le plus commun de France (Manil et al. 2015). Par conséquent, Jacques rencontre très fréquemment ce lépidoptère sur son chemin : le nombre d’individus qu’il identifie chaque année s’élève généralement à plusieurs centaines. Ces contacts répétés lui ont rendu cette forme de vie familière, et il est désormais capable de la reconnaître en vol, lorsque le mouvement et la distance ne permettent pas de voir distinctement les motifs et les couleurs. Cette capacité qu’ont les naturalistes à capter la signature visuelle des espèces qu’ils observent leur permet de déterminer les formes de vie qu’ils rencontrent sans avoir besoin de se référer explicitement aux critères d’identification que l’on peut trouver dans les guides taxonomiques. Voilà ce qu’en dit Didier lorsque nous lui demandons de confirmer une de nos captures, la Mélitée noirâtre [13] :

Ça c’est diamina, oui, sans problème. Tu vois, t’as les ailes postérieures qui sont très sombres, et puis en dessous, c’est très sombre aussi […]. Après t’as des détails. Si tu regardes les ocelles et tout, t’as des critères. Mais les critères, c’est variable, hein. Ce qu’il faut, c’est pouvoir regarder à 10 mètres quoi. Donc qu’est-ce que c’est qui te permet de reconnaître à 10 mètres ? Ben c’est l’allure du vol, la taille, la teinte générale, les contrastes, et voilà, c’est ça quoi. Là, c’est diamina. Et quand tu regardes les clés, ce qu’il y a dans les bouquins, c’est bien, mais […] c’est vraiment quand tu débutes, quand tu sais pas quoi. Enfin, moi, c’est mon idée. (10 juin 2017, Doubs)

Reconnaître à distance est plus rapide, voire plus sûr selon Didier. Il y a bien les critères d’identification délivrés par les guides naturalistes, mais la variabilité des caractères à l’intérieur même de l’espèce rend leur utilisation parfois incertaine. Il peut y avoir des clés de détermination pour guider l’observateur – des arbres de décision permettant de progresser critère par critère – mais leur utilisation est très fastidieuse. Selon Didier, ces outils ne sont que des moyens pour permettre au débutant de s’élancer. L’expert, lui, se fonde sur le « jizz [14] ». Notre lépidoptériste n’utilise pas ce mot, surtout employé par les ornithologues. Plus connu dans le monde anglo-saxon (Ellis 2011), le jizz est un mode de reconnaissance qu’on peut qualifier d’intuitif. Didier décrit ce mode global de reconnaissance comme basé sur « l’allure du vol, la taille, la teinte générale, les contrastes [15] ». À sa suite, nous définissons le jizz pour les lépidoptéristes comme un mode de reconnaissance qui s’appuie sur une impression générale du mouvement, des formes, de la taille et des couleurs. En émanant à la fois des compétences de reconnaissance de l’observateur et des caractères du papillon (Roux et al. 2009), il répond à la définition que nous avons retenue de la prise (Bessy et Chateauraynaud 2014 (1995)) : il est repères et plis, et donc signature visuelle. Didier a bien du mal à nous décrire le jizz d’une espèce en particulier. Ça ne se transmet pas et c’est bien pour cela que ça ne figure pas dans les livres. Il essaye néanmoins en égrenant les espèces qui ressemblent à la Mélitée noirâtre :

Y’a aurelia qui est très embrumée mais elle est pas comme ça, y’a pas ce contraste de sombre aux inférieures […]. Aurelia c’est comme parthenoïdes en légèrement plus sombre et plus petit aussi […]. Y’a selene. Mais c’est plus orange, ça vole plus vite, ça plane. Y’a aussi Brenthis ino [16]. Ça se reconnaît parce que c’est plus rond, c’est moins anguleux, c’est moins pointu […]. Ça fait rond quand ça vole. C’est difficile à expliquer. C’est comme si tu me dis la pomme ça a un goût de quoi. Ben je sais pas, ça a un goût un peu acidulé… ça a un goût de pomme quoi ! Tu reconnais tout de suite un goût de pomme […]. Tu peux pas le définir. Alors que quand tu sais, eh ben, tu sais. Tu peux pas le transmettre. C’est chiant quoi (rires). (10 juin 2017, Doubs).

Comme les mots sont difficiles à trouver pour décrire l’indicible, Didier compare les espèces les unes aux autres et rajoute des qualificatifs – « c’est plus », « c’est moins ». Il y a aussi une invention dans le langage : « ça fait rond quand ça vole ». On ne sait pas ce que ça veut dire, mais celui qui a vu ce papillon le saura.

Au fur et à mesure de la progression de sa connaissance des espèces, à une approche analytique – l’identification sur critère – le lépidoptériste substitue petit à petit une approche intuitive – le jizz. Il peut ainsi traverser l’ordinaire sans avoir à engager une course à chaque spécimen rencontré : son regard est discriminant à distance. Ce passage d’un mode de reconnaissance à un autre prend du temps. Il se fait, en outre, à des vitesses différentes selon les espèces, qui ont chacune un jizz spécifique, plus ou moins saillant et donc plus ou moins facile à saisir. Avant chaque capture, une espèce est pressentie. Après vérification par une identification sur critères, si l’intuition s’est révélée juste, l’observateur fait un pas de plus vers le jizz de cette espèce. Jusqu’au jour où l’intuition est si forte, si assurée, si indubitable que la capture n’apparaît plus nécessaire. Toutefois, le jizz de chaque espèce n’est pas donné une fois pour toutes. Il est sans cesse à redécouvrir en fonction de la complexité des situations de terrain, qui peut se définir selon deux paramètres : la coprésence d’espèces proches par leur phénotype et leur écologie ; et la facilité d’observation relative à la trajectoire du papillon.

Pour un spécimen donné, il se peut très bien que son jizz soit facile à saisir. Cela peut changer à partir du moment où des papillons proches surviennent. Les formes, les couleurs, les comportements convergent alors : l’impression générale se brouille. Comme pour l’identification sur critères, la résolution de ce qu’il convient de saisir augmente à mesure que les différences signifiantes entre papillons diminuent. Une espèce aura ainsi un jizz plus ou moins marqué en fonction du cortège de papillons présents dans la situation d’observation.

Il faut bien comprendre que le jizz irradie à partir du papillon, un peu à la manière d’un caillou qu’on jette dans l’eau. Sa perception dépend donc de la position de l’observateur dans l’espace par rapport au papillon, ou plus précisément, de la trajectoire respective des deux entités. En effet, percevoir un éclat de couleur subrepticement ou deviner une silhouette furtive se fait dans un mouvement, à tout le moins celui du papillon, mais généralement aussi celui de l’observateur, engagé dans son sillage. La rencontre entre l’humain et le papillon « plisse » alors l’espace au sens où elle donne certaines accroches perceptives qui dépendent des conditions physiques du contact. Comme le grimpeur qui fait advenir des prises à partir du réservoir d’aspérités qu’est la roche (Hennion 2009), le lépidoptériste, en fonction de son positionnement par rapport au papillon, se met à portée, entraperçoit certaines marques de l’animal qui deviennent saisissables. Cela se traduit par une distance et un temps de détermination qui varient au gré des contacts avec les spécimens rencontrés.

Reprenons notre cheminement en compagnie de Jacques. Une bonne partie de la sortie se déroule comme elle a commencé. À chaque spécimen rencontré, un bref contact du regard suffit à notre lépidoptériste pour décider de quelle espèce il s’agit. Il griffonne rapidement le nom correspondant sur son carnet avant de repartir. C’est la routine. Les prises sont faciles à saisir. Ce n’est que de temps en temps que ce calme apparent est rompu.

Mercredi 11 juin 2014, La Boislivière (86), 15 h 50

Un léger mouvement sur le côté gauche du chemin, dans les branches basses, attire le regard de Jacques. Je n’ai pour ma part rien vu. Jacques se rapproche doucement, puis, faisant preuve d’une rapidité que je ne lui connaissais pas, il change subitement de trajectoire, sort du chemin à grands pas pour s’enfoncer finalement prestement dans un taillis. Il s’arrête alors, pensant sûrement avoir localisé le papillon qui visiblement a piqué sa curiosité. Mais non, rien, le lépidoptère ne l’a pas attendu. Jacques s’enfonce plus avant, bien décidé à retrouver la bête : il détaille chaque arbre, qu’il n’aurait pas honoré d’une si grande attention autrement. Il se penche, se dresse sur la pointe des pieds en se tordant le cou. « Ça doit être de la Bacchante », me dit-il. « Y’en a dans ce coin. » Il tourne autour du bosquet, fait des allers et retours, et finit par abandonner la partie au bout d’une dizaine de minutes.

Peu importe le dénouement de cette poursuite. Jacques peut finir par trouver le papillon espéré, ne pas le trouver, ou en trouver un autre. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que cette fameuse Bacchante, un papillon de sous-bois discret et assez peu fréquent, a mis en mouvement Jacques d’une manière spécifique. Il est sorti de sa trajectoire pour suivre une autre entité et a abandonné ce faisant son propre milieu spatio-temporel pendant plusieurs minutes. Ce brusque changement se produit chaque fois qu’un papillon résiste à l’identification et qu’il reste hors de portée de l’observateur. Il faut bien poursuivre l’individu pour rétablir le contact visuel et continuer l’investigation. L’amateur peut alors être surpris de découvrir un endroit caché, inhabituel, hors de vue à partir du sentier, révélé par la trajectoire du papillon. Ce n’est donc pas uniquement le moment du contact qui est important, mais également l’endroit où il mène.

Cet entre-deux suscité par la rupture de trajectoire de l’observateur et les aléas de la recherche produisent des émotions intenses : excitation lorsque Jacques imagine un papillon peu ordinaire, impatience lorsqu’il a perdu sa trace, éventuellement doute et déception s’il ne le retrouve pas ou en trouve un autre, et dans tous les cas fébrilité et enthousiasme au moment du face-à-face : « Quel est ce papillon ? Est-ce l’espèce à laquelle je pensais ? » Une décision doit être prise rapidement. Faut-il le capturer pour confirmer l’identification ? Si oui, que cela soit au filet ou à la photo, la tension augmente alors d’un cran car l’issue est loin d’être certaine, comme nous l’avons vu précédemment.

À l’issue de ce processus, quand le nom arrive, l’observateur éprouve une grande satisfaction. Ce n’est pas simplement le fait de savoir qui génère ce sentiment. Pour preuve, un papillon que nous ne connaissions pas et qui nous avait été désigné sur le terrain, l’Azuré du Serpolet [17], une espèce réputée pourtant très belle et, en outre, rare, ne nous a pas ému outre mesure. En revanche, à la découverte de l’Azuré des Cytises [18], un papillon plus commun, nous avons été émerveillé : c’est parce que nous avons fait cette expérience de notre propre chef, seul, sur un terrain encore inexploré. La joie ressentie lors de l’identification d’une espèce est celle de l’alignement entre ce que l’on a présupposé et ce que l’on vérifie, entre ce que l’on perçoit et ce que l’on a reconnu (Roux et al. 2009). C’est donc bien tout le processus de la recherche et de la détermination qui affecte l’observateur, et non simplement sa résolution. Le plaisir de nommer ne peut se comprendre qu’à l’aune de cette mise en mouvement de l’amateur. Ce qui l’affecte, c’est à la fois ce qui le meut et ce qui l’émeut, le mouvement faisant naître l’émotion.

À la découverte des mondes vécus : un espace augmenté

Au fur et à mesure que progresse sa connaissance des espèces, l’amateur de papillon n’a donc plus besoin de capturer les spécimens qu’il rencontre. Il n’a pas plus besoin de voir de près, ni de beaucoup de temps pour nommer ce qu’il voit. Il est en mesure de sélectionner rapidement les plis pertinents. Il recrute même de nouveaux plis, très petits, incertains, et qui ne correspondent pas à des repères établis, mais qui font sens au regard de son expérience personnelle. Ces plis viennent alimenter des prises qui sont donc plus techniques et qui nécessitent un savoir-faire plus difficile à acquérir. Les observateurs, nous l’avons expliqué, font référence au jizz pour désigner cette capacité à identifier rapidement et à distance une espèce sur la base d’une impression générale. Voici ce qu’en dit Julien :

Ben y’a ça, la silhouette, le comportement, la manière de se déplacer, la manière de rentrer dans le buisson, c’est tout un tas de petits trucs. (19 juillet 2017, Sarthe).

Ce « tout un tas de petits trucs » difficiles à décrire n’est pas uniquement dans le papillon : ces détails font référence également à ce qui l’entoure, à ce qui compose ses lieux de vie. Nous ne parlons pas ici des biotopes ou des paysages, qui se situent à une échelle trop macroscopique, mais des éléments qui structurent l’espace à l’échelle des déplacements d’un papillon : les haies, les arbres, le type de couvert végétal en général ; le relief, que cela soit les talus, les pentes, les buttes, les falaises ; le type de sol – une pelouse ici, du sable là, des rochers autre part. Tous ces éléments influent sur la trajectoire du papillon et définissent son monde vécu, son Umwelt selon Jakob von Uexküll (Uexküll et al. 2010). Les qualités de ce monde diffèrent de celui des humains dans la mesure où il est perçu par le papillon en fonction de ses capacités sensitives et de ses besoins. Les couleurs, les parfums, les goûts, les sons, les textures, les formes, les tailles, les proportions, les conditions microclimatiques (humidité, vent, température, ensoleillement, ombres), tous ces paramètres viennent renseigner et conditionner les modes de vie des différentes espèces de lépidoptères. La gamme de leurs perceptions n’est pas celle des humains : impossible donc d’entrer dans leur monde. Cela dit, observer leur mode de vie déplace l’attention et change le regard. Le square Émile Zola a été pour nous le révélateur de ce changement d’attention. Endroit connu, où les éléments naturels opéraient uniquement comme décor de nos activités humaines, il est devenu soudain le lieu de vie d’animaux invisibles auparavant.

Jeudi 1er octobre 2015, square Émile Zola (94), 17 h [19].

J’arrive plus tard qu’hier. Le soleil commence à décliner. Il ne fait pas bien chaud à cause des bourrasques. Je me dirige vers le bord du talus : le grand roncier est déjà à l’ombre. Rien de bon pour voir des papillons en vol aujourd’hui. Je balade distraitement mon regard sur les alentours, m’apprêtant à rebrousser chemin, lorsque je crois reconnaître le même couple de Tircis [20] qu’hier. Je m’approche. C’est bien eux ! Les papillons ont donc suivi le soleil. Les voilà établis dans un bosquet de platanes, éclairés par la lumière rasante de la fin d’après-midi. Les deux Tircis profitent de ces derniers rayons inespérés pour tourbillonner en s’élevant à la verticale entre les branches, puis se séparent et redescendent. Ils font des haltes sur les larges feuilles du platane, se posent sur la terre à nu d’un beige craquelé, repartent. En suivant du regard l’un des spécimens qui décide de se percher dans un conifère bleu, je vois alors un Vulcain sortir de sa torpeur, dérangé par le Tircis exubérant. Ce n’est pas son heure apparemment : pas de beau vol planant pour aujourd’hui, simplement un petit saut pour aller se cacher plus profondément dans les frondaisons de l’arbre.

Moins sensible que les papillons à l’ombre et à la lumière, ainsi qu’à la température, nous n’avions pas envisagé des contrastes si nets dans les zones de vol en fonction de l’heure de la journée. À notre grand étonnement, le bosquet de platanes, peu fréquenté aux heures les plus chaudes du début de l’automne, s’est transformé en un nouvel endroit habité par les Tircis. Cet ensemble de paramètres – bosquet de platanes, octobre, ensoleillement de fin de journée, Tircis – appose une marque mémorielle dans le paysage. Ce sont « ces petits trucs » qui donnent les clefs d’une identification intuitive. Le jizz n’est donc pas qu’une signature de la forme, celle du papillon, il est également une signature de ses lieux de vie. Pour le lépidoptériste, cela se traduit par une signature de chaque agencement de nature où il visualise tel ou tel papillon (figure 16).

À ce niveau de connaissance, le paysage cesse d’être un simple décor végétal et minéral : les éléments qui le composent deviennent identifiables séparément et se muent en autant de supports, d’abris, de nourriture pour les espèces qui y vivent. En observant les déplacements des papillons, la façon dont ils interagissent avec cet environnement, nous prenons conscience pour plusieurs entités naturelles – les arbres notamment – de nouvelles fonctionnalités que nous n’imaginions pas. Ainsi, l’étendue spacieuse et rigide des feuilles de platane se transforme en une formidable piste d’atterrissage pour les Tircis et les branches touffues et sombres des conifères en un gîte tout à fait honorable pour le Vulcain. À force de chercher des yeux ces petits êtres, le regard s’affine et note des détails passés inaperçus auparavant. Les nuances de couleur se font plus précises, les textures gagnent en relief : le bleu des aiguilles de conifère devient plus laiteux, les craquelures de la terre ressortent davantage, ainsi que sa teinte marron beige. L’espace prend finalement une profondeur jusque-là insoupçonnée, révélant une multitude de trajectoires potentielles : les Tircis s’élèvent en spirale entre les branches tandis que le Vulcain, plus tôt dans la saison, planait avec assurance entre platanes et conifères, utilisant un large volume aérien sans intérêt immédiat pour les bipèdes que nous sommes. En l’absence de ces observations, il est difficile pour l’être humain de concevoir la découverte d’un territoire autrement que dans un plan. La perception de l’espace par la médiation des animaux volants permet, elle, d’envisager un parcours du monde dans un volume. La verticalité prend dans cette perspective tout son sens, et c’est sous un nouveau jour que l’on découvre les arbres exploitant cette dimension, ainsi que les êtres les habitant.

FIGURE 16. Exemple de signatures de lieux de vie pour le Tircis dans le square Emile Zola (Val de Marne) : des taches de soleil sur un sol à la teinte marron beige, entre ombre et lumière (photographies : E. Charonnet, 2015 & 2016).

Que nous apprend cette expérience ? Que la rencontre d’espèces que l’on sait reconnaître déplace l’attention et ponctue d’évènements l’espace, qui s’en trouve ainsi augmenté. Le regard n’est plus attaché à la ligne d’horizon comme peut l’être celui du marcheur. Il prend au contraire des chemins de traverse, scrute les détails, change de direction. Trois conséquences sont identifiables : les entités naturelles ne se comprennent plus uniquement à travers les utilisations que l’humain en fait, elles se dotent de nouvelles fonctionnalités ; les couleurs, les textures, les formes gagnent en précision, en détail, et soulignent ainsi la large palette de nuances que l’on peut trouver dans l’environnement ; enfin, l’espace se déplie, se déroule, aux yeux d’un observateur étonné face à la multiplicité des volumes, des interstices, des surfaces offerts par la répartition et l’organisation des formes naturelles révélant des potentialités insoupçonnables de déplacement.

Tout cela, le lépidoptériste le découvre aiguillonné par la nécessité de l’identification. Il se rapproche du monde vécu des différentes espèces qu’il observe et mémorise la signature de leurs lieux de vie. C’est une démarche finalement pragmatique qui permet de rendre plus efficace l’identification à distance, en situation. Chaque élément naturel ou microclimatique en relation avec la bête au moment de son apparition devient une marque annonciatrice de l’espèce lorsqu’elle n’est pas encore visible : les végétaux et les minéraux sur lesquels le spécimen se pose ressortent davantage dans le paysage ; la position du soleil dans le ciel ainsi que la couverture nuageuse projettent des ombres ou distillent une lumière qui rendent plus ou moins propice telle zone d’un site ou tel moment de la journée à la venue de telle ou telle espèce ; la température ainsi que le vent influent sur le comportement de vol, et donc sur la détectabilité de l’animal. L’ensemble de ces informations constituent la signature de la rencontre et, au fur et à mesure que ces signatures s’accumulent dans la mémoire du lépidoptériste, elles le prédisposent à adopter des trajectoires lui permettant d’observer des éléments paysagers précis, des zones particulières où il pressent la présence de telle ou telle espèce.

Ce savoir incorporé fournit au naturaliste de nouveaux repères qui relient le papillon à ses lieux de vie. La relation ne tient plus ici à un corps-à-corps, ni à une trajectoire, mais à une connexion tâtonnante qui met en présence dans le même espace observateur et papillon. Ainsi, d’un décor inerte, l’espace se mue en une véritable trame vivante. Les milieux parcourus deviennent habités car, à la vue de tel bosquet ou de telle butte, autant d’espèces apparaissent dans l’esprit du lépidoptériste, même si elles ne sont pas visibles à ce moment précis : les souvenirs d’un Vulcain dans les branches d’un thuya, d’un Tircis sur les feuilles d’un laurier, ou encore d’un Azuré des Nerpruns qui fait le va-et-vient entre un grand platane et de plus petits arbustes rendent ces papillons virtuellement présents à chaque instant (figure 17).

FIGURE 17. Recomposition d’une vue générale du square Emile Zola avec en zoom les papillons associés aux lieux de vie visibles sur la photo.
De haut en bas : l’Azuré des Nerpruns (Celastrina argiolus), le Tircis (Pararge aegeria), le Vulcain (Vanessa atalanta) (photographies : E. Charonnet, 2015 & 2016).

Le parcours du territoire [21] : une quête de la surprise

Une biographie observateur-papillons

Nous avons fait le constat que seuls certains papillons avaient le pouvoir de faire sortir le lépidoptériste de sa trajectoire, ces papillons correspondant bien souvent à des espèces spécifiques. Si l’on met de côté les quelques cas où l’observateur se rapproche d’un spécimen pour simplement le contempler ou décrire un comportement particulier, le fait qu’il le suive signifie que son identification est incertaine. Comment donc expliquer que certaines espèces soient moins bien connues que d’autres, y compris par les lépidoptéristes confirmés ? On peut supposer dans un premier temps qu’elles sont plus difficiles à identifier que la moyenne, que leur jizz est moins marqué. Cela dit, certains experts forts de nombreuses années d’observation pourraient dépasser cette difficulté. Mais ce n’est pas le cas. Même pour eux, il y a bien toujours des spécimens qui nécessitent de se rapprocher un tant soit peu. L’explication réside en fait dans la répartition spatio-temporelle des espèces de lépidoptères.

Chacune des 257 espèces de France métropolitaine a des exigences écologiques et une démographie bien spécifiques. Certains papillons sont généralistes – ils s’adaptent à tout type de biotope – et ont en outre généralement de forts effectifs et plusieurs générations par an. D’autres sont spécialistes – on ne les trouve donc que dans des biotopes spécifiques – et ont de plus souvent de petits effectifs et une seule génération par an. Sur un même site, la fréquence des contacts peut ainsi facilement varier d’un facteur de 1 à 100 entre différentes espèces au bout de quelques visites (figure 18). L’écart se creuse encore si l’on considère un pas de temps plus important car les espèces les plus discrètes et les moins nombreuses peuvent être aperçues quelques fois seulement en plusieurs années, alors que les plus communes dépasseront la dizaine d’individus croisés à chaque sortie (figure 19). Sur 10 années, on se rapproche ainsi plutôt d’un rapport de 1 pour 1 000. Il est frappant également de constater que sur un même site, le nombre d’espèces peu fréquentes est bien supérieur au nombre d’espèces très fréquentes : environ 65 % des taxons pour les premières en moyenne vues une fois toutes les 7 visites, contre un peu plus de 10 % pour les secondes en moyenne vues 14 fois par visites.

FIGURE 18. Distribution 2017 de l’abondance des espèces de lépidoptères relevées par Jacques sur le site STERF de Mignaloux-Beauvoir dans la Vienne (31 taxons, 27 espèces, 6 transects, 4 visites) (graphique : E. Charonnet, 2018).
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FIGURE 19. Distribution sur la période 2008-2017 de l’abondance des espèces de lépidoptères relevées par Jacques sur le site STERF de Mignaloux-Beauvoir dans la Vienne (49 taxons, 45 espèces, 6 transects, 42 visites) (graphique : E. Charonnet, 2018).
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Ces quelques chiffres illustrent bien une caractéristique essentielle de la biodiversité : la rareté d’une grande proportion des espèces qui la composent (Gaston 1994). La plupart des papillons rencontrés n’appartiennent ainsi qu’à quelques espèces communes : les autres espèces, c’est-à-dire la grande majorité, ne se verront représentées que par quelques spécimens, noyés dans le flot de papillons communs. Si l’on considère que plusieurs contacts sont nécessaires avant de pouvoir reconnaître un papillon et si l’on reprend les chiffres que nous avons détaillés ci-dessus, il faudrait donc à un observateur ordinaire plusieurs années avant de se familiariser avec une bonne moitié des espèces d’un site. En pratique, le naturaliste compense cette présence discrète et évanescente des papillons par une grande mobilité spatiale. Changer de site d’observation permet non seulement de rencontrer plus d’espèces, mais également de varier les densités de papillons pour chacune d’elles, et donc les fréquences d’observation. En effet, la rareté peut être définie en première approche selon trois paramètres : la rareté démographique – une espèce est rare lorsque ses effectifs sont faibles ; la rareté géographique – une espèce est rare lorsque son aire de répartition est restreinte ; et la rareté écologique, une espèce est rare lorsque ses exigences en termes d’habitat sont élevées (Fontaine 2006). En multipliant les sites visités, le lépidoptériste joue sur les variables géographiques et écologiques. Il ne se rend en effet qu’aux bons endroits, dans les biotopes répondant aux critères écologiques des espèces qu’il recherche, et ce faisant transforme la répartition spatiale des papillons. Celle-ci, de fragmentée et sporadique, devient une succession de « sites intéressants », c’est-à-dire de stations d’observation où la diversité des papillons et leur abondance sont importantes. Un site favorisera telle espèce rare, le suivant telle autre, et ainsi de suite. De cette manière, les papillons les moins fréquents sont rencontrés davantage que si l’observateur restait sur un ou quelques sites. L’écart des contacts entre papillons communs et moins communs s’en trouve réduit (figure 20).

FIGURE 20. Comparaison de la présence par sortie des espèces très peu fréquentes et très fréquentes relevées par Jacques sur le site STERF de Mignaloux-Beauvoir (45 sorties) avec celles de son jeu de données pour l’atlas local de la Vienne (311 sorties réparties sur 294 sites) (tableau : E. Charonnet, 2018).
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Cette recomposition spatiale est propre à chacun et s’échelonne dans le temps. La fréquence de rencontre avec telle ou telle espèce n’est donc jamais la même pour tel ou tel lépidoptériste. À ce titre, nous pouvons parler de biographie observateur-papillons car la relation de l’amateur à chaque espèce dépend de son histoire de prospection.

Renouveler le défi de l’identification

Tous les lépidoptéristes font des observations dans plusieurs sites. Si l’on exclut de ces derniers ceux découverts dans le cadre de voyages, le territoire dont il est question correspond schématiquement à la taille d’un département, voire d’une région, l’aller-retour et la sortie naturaliste devant pouvoir se faire dans la journée [22]. À cette échelle, dans quelle mesure l’observateur multiplie-t-il les sites d’observation ? À quelle fréquence les visite-t-il [23] ?

Si l’on regarde l’ensemble des lieux-dits parcourus par un observateur sur plusieurs années, on se rend compte qu’ils ne sont pas visités à la même fréquence. On peut distinguer trois catégories : une très grande majorité de sites visités simplement une à deux fois, un nombre restreint de sites visités quelques fois, et un nombre encore plus restreint de sites très visités (figure 21). En première approximation, nous pouvons donc dire que le lépidoptériste fait cohabiter deux logiques distinctes : découvrir de nouveaux sites en allant faire des visites ponctuelles dans des zones inconnues ; retourner dans des « coins de nature » appréciés et familiers.

Les nouveaux sites excédant de loin les autres, on pourrait être tenté de penser que le temps leur étant dévolu est également très supérieur, rendant la logique de découverte du territoire prépondérante par rapport à celle du parcours de sites bien connus. Cependant, il n’en est rien : les sites très visités se retrouvent dans un tiers à la moitié des sorties. En effet, au cours d’une sortie, l’observateur peut très bien combiner un site bien connu à plusieurs autres sites inconnus. Sur l’ensemble de ses données, le lépidoptériste aura ainsi beaucoup moins de sites très fréquentés que de sites peu fréquentés, sans pour autant consacrer un temps largement supérieur à ces derniers.

On pourrait par ailleurs objecter que le fait de retourner sur les mêmes sites constitue non pas une logique à part entière mais plutôt un simple résultat de la distance : on retourne plus facilement sur les sites proches de chez soi. Toutefois, nous constatons le contraire ; il y a bien des sites éloignés où l’observateur retourne plusieurs fois et des sites proches peu fréquentés (figure 22).

FIGURE 21. Distribution des visites de Julien sur ses différents sites d’observation en Sarthe durant la période 2013-2017 (336 lieux-dits, 266 sorties, 5 ans) (tableau : E. Charonnet, 2018).

FIGURE 22. Répartition spatiale des sites visités par Julien durant la période 2013-2017 dans le département de la Sarthe (336 lieux-dits, 266 sorties, 5 ans) (cartographie : E. Charonnet, 2018).

Ces deux logiques, découvrir de nouveaux sites et retourner dans des endroits connus, semblent donc complémentaires. Mais à quel titre ? Examinons la première. Nous l’avons expliqué, en multipliant les sites, l’observateur multiplie également les biotopes et augmente ainsi la diversité des espèces qu’il peut rencontrer, en particulier les plus rares. Or, rappelons-le, c’est bien la diversité des formes et des couleurs qui tient en haleine pour une grande part l’amateur (Delaporte 1984b ; Fontaine 2011). La recherche des espèces peu observées est donc cruciale pour renouveler sans cesse cette expérience de la diversité. Cela dit, il suffirait de quelques sites bien choisis pour voir l’ensemble des espèces d’un département : il n’est pas rare de rencontrer une quarantaine d’espèces sur un site suivi pendant plusieurs années [24], un département français en comptant en moyenne 122 [25]. Pourquoi alors s’évertuer à visiter plusieurs dizaines de sites différents chaque année ?

Nous avons déjà signalé que cela permet de réduire dans une certaine mesure les différences d’abondance entre espèces communes et espèces rares. Il nous semble également qu’une des raisons principales est de renouveler le défi de l’identification. Chaque site étant différent, de nouvelles végétations, de nouvelles topographies, de nouveaux jeux de lumière suscitent chez les papillons des trajectoires et des apparitions variables. Quand bien même le cortège d’espèces peut être semblable d’un endroit à l’autre, changer de site rend l’identification plus difficile car les jizz seront moins marqués. Pour chaque espèce, il ne reste pour l’identifier que la signature de la forme, la signature du lieu de vie étant à redécouvrir, à réagencer au nouveau milieu : l’observateur doit travailler ses prises. La reconnaissance est donc moins rapide, plus distante, plus incertaine en un mot. En outre, si les cortèges d’espèces sont différents, il est possible que leur jizz baisse encore d’un cran. En effet, dans le cas où des espèces proches volent ensemble, la signature de la forme doit se faire plus précise pour pouvoir être discriminante. Si l’observateur n’a été que peu confronté à cet assemblage de papillons, ses repères auront de grandes chances d’être déstabilisés. Cela ne signifie pas qu’il ne sera pas en mesure d’identifier les spécimens qu’il rencontre. Entre le moment où il percevra la présence d’un papillon sans le reconnaître et celui où il sera capable de lui attribuer un nom, un temps plus important se sera simplement écoulé : d’un flash dans l’identification, le lépidoptériste passera à quelques secondes, voire plusieurs minutes s’il a besoin de poursuivre l’individu enigmatique. De cette remise en jeu du savoir, par le lieu et par l’assemblage de papillons, naît la surprise. Comment se fait-il que des espèces déjà rencontrées soient ici pleines de mystère ? Le lépidoptériste prend alors conscience que son savoir n’est pas donné une fois pour toutes, qu’il est sans cesse remis en question par la diversité des agencements naturels.

Ce qui fonde la seconde logique est moins évident. Les sites connus pourraient s’apparenter à des terrains d’entraînement, des endroits familiers où le lépidoptériste a déjà disposé ses repères. En les parcourant à plusieurs reprises, l’observateur s’habitue aux cortèges d’espèces et à leurs lieux de vie. Mais alors, quel est l’intérêt ? S’assurer de la bonne santé d’une communauté de papillons dans une station peut être une première explication : y aller une fois par an peut par exemple permettre de détecter les signes avant-coureurs d’une dégradation de l’habitat. Une seconde explication est à chercher dans les mécanismes de l’identification. En connaissant bien les régularités d’un site, il devient possible de détecter de petites différences jusque-là noyées sous le flot des variations des agencements naturels. Un lieu de vie nouveau pour une espèce bien connue sera remarqué : c’était notre cas avec les Tircis du square Émile Zola. Une espèce discrète et encore non détectée sur le site attirera plus facilement l’attention que dans un endroit inconnu : son jizz détonnera en comparaison de celui des autres espèces de la station, familières pour l’observateur habitué à ce coin de nature. Il est important en effet de rappeler que pour un site donné, même s’il s’agit d’un site de nature ordinaire, il faut de nombreuses sorties avant de voir l’ensemble des espèces présentes, ceci à cause des variations intersaisonnières et interannuelles importantes dans les effectifs des papillons (figures 18 et 19).

Le plaisir de visites répétées se goûte donc dans l’observation de petites différences, uniquement visibles pour l’observateur qui a intégré parfaitement les régularités d’un site. Il arrive alors fréquemment qu’au moment où le lépidoptériste pensait tout connaître de l’endroit, il est surpris d’apprendre de nouvelles choses : l’observation d’un papillon familier lui fera découvrir un de ses lieux de vie jusque-là inconnu ; la poursuite d’un spécimen inhabituel mènera à la découverte d’une espèce nouvelle pour le site. Cela choque l’entendement car cela revient à voir ce qui était auparavant invisible en dépit d’une connaissance intime du lieu.

Cette cohabitation entre l’expérience de l’inconnu pour générer de grands contrastes et la grande connaissance de certains sites pour détecter de petites différences répond à un même objectif : renouveler le défi de l’identification. En remettant en jeu son savoir, l’observateur accepte de se laisser surprendre. Considérer la passion naturaliste comme définie par l’expérience de la rareté ou de la diversité serait réducteur : c’est bien plutôt l’expérience de l’inattendu, du surgissement de la biodiversité dans toutes ses composantes, qui émerveille l’amateur de papillons. Prises et surprises s’entremêlent alors pour son plus grand plaisir. Une prise qui glisse est tout aussi intéressante qu’une prise assurée car elle surprend l’observateur et réajuste la performance. Le décalage entre ce qui est présupposé de manière erronée et ce qui est identifié quelques instants après sort de l’ordinaire, à la différence de l’alignement instantané entre la chose vue et la chose reconnue, et procure la satisfaction d’une tâche bien menée. Finalement, lorsque les prises se dérobent, résistent, mais que la reconnaissance opère tout de même, l’émerveillement n’en est que plus grand. Le parcours du territoire répond à ce moteur : diversifier la difficulté de la reconnaissance pour que la surprise soit toujours possible.

Conclusion : une expérience qui attache

Parcourir le territoire à la recherche de nouveaux défis, de papillons qui se dérobent et de milieux à explorer n’est pas simplement qu’une affaire de performance, d’expertise. Il y a davantage derrière ce travail de reconnaissance. En accordant sa trajectoire à celle des lépidoptères, en entrant parfois au corps-à-corps avec eux, l’observateur se rapproche de leur monde vécu, de leur Umwelt. Ce faisant, son attention change de focale et redécouvre le monde naturel sous un autre prisme : plus complexe, toujours en devenir, source d’inattendu, et se développant dans un espace aux dimensions multiples, insoupçonnées. Le monde augmente à mesure que le lépidoptériste observe et reconnaît. Il se peuple de nouveaux existants – les papillons en premier lieu, mais aussi toutes les entités avec lesquelles ces derniers entrent en interaction : plantes hôtes [26], plantes mellifères [27], supports végétaux et minéraux de toute sorte, prédateurs – et l’espace lui-même augmente, faisant place aux nombreux lieux de vie de ces créatures aux trajectoires aériennes qui se coulent dans le moindre repli.

L’observateur se trouve affecté par ces lépidoptères qui le mettent en mouvement et lui font ressentir des émotions. Mais l’affect, ce qui meut et ce qui émeut, est prolongé par autre chose de plus profond, de plus durable : l’attachement. En effet, en lui faisant redécouvrir la complexité d’un monde qu’il croyait bien connaître et ne fait en vérité qu’entr’apercevoir, les papillons créent chez l’observateur de l’émerveillement et de la surprise dans un premier temps, puis comme une sorte de gratitude dans un second temps, qui se traduit bien souvent par un sentiment de devoir : un devoir éthique à rendre justice aux choses aimées. C’est ce qu’Antoine Hennion appelle l’exigence de la réciprocité (2013), une exigence qui naît d’un attachement construit dans la rencontre.

Chez le lépidoptériste, ce devoir de réciprocité prend différentes formes. Se souvenir pour soi-même d’abord. Les premiers contacts avec une espèce sont ainsi généralement abondamment commentés dans les carnets naturalistes. Il faut être capable de se remémorer le moindre détail : le nombre de spécimens, les différents lieux de vie, les biotopes, l’heure de la journée, les conditions microclimatiques… Ne noter que la présence de l’espèce au niveau de la commune serait trop frustrant : cela serait même irrespectueux vis-à-vis du papillon rencontré. Aux premiers contacts en effet, noter est conçu comme une forme d’hommage à l’être rencontrée, un peu à la manière d’un journal intime où l’on témoigne d’un moment biographique intense, d’un attachement personnel.

Avec le temps, les nombreux contacts avec l’espèce perdent de leur intensité et la notation se fait moins précise. Elle permet néanmoins de garder l’essentiel : où et quand. La réciprocité ne réside alors plus dans le souvenir pour soi-même, mais dans un souvenir pour ses pairs. Il s’agit de témoigner des effets de la rencontre, de ce que le papillon a mis en mouvement, de ce monde qu’il a révélé. Seuls des initiés peuvent comprendre, aussi ces récits sont partagés entre lépidoptéristes. La notation permet ici de ne pas confondre telle rencontre avec telle autre, le grand nombre de sorties dans une saison – plusieurs dizaines souvent – et les centaines de spécimens identifiés pouvant rapidement se mélanger. Il est alors possible de donner des informations précises afin de recommander tel site à un ami, pour qu’il fasse lui-même une nouvelle expérience attachante.

Enfin, la réciprocité réside dans un souvenir pour la société, un souvenir à construire à travers le témoignage non plus des effets, mais de l’existence, l’existence de ces formes de vie dont la diversité reste si discrète. Les projets d’atlas sont à ce titre très efficaces. Ils donnent à voir la présence des papillons grâce à des cartes de répartition qui peuvent s’adresser à un large public, l’unité de référence renseignée étant la commune. Chacun est ainsi à même de voir si telle ou telle espèce est présente près de chez lui. Les atlas peuvent également signaler un danger. Un observateur nous confiait il y a déjà quelque temps qu’il était le seul à avoir alexis, l’Azuré des Cytises. À travers ces quelques mots, on pouvait sentir toute la fierté de ce lépidoptériste à recevoir cet hôte de marque sur sa propriété, et en même temps sa responsabilité. L’unique tache verte sur un fond blanc ne manquait pas de signaler la fragilité de la bête (figure 23). Ces espèces qui semblent menacées peuvent alors être perçues comme un héritage à transmettre, un patrimoine à défendre. Cartographier précisément la présence des lépidoptères semble générer chez les participants le sentiment de partager un espace commun avec d’autres existants, un territoire qui, à force d’être parcouru, est devenu familier et sur lequel il convient de veiller (Manceron 2015). L’attachement envers l’animal devient un attachement à son milieu et à son monde vécu.

FIGURE 23. Cartographie de l’Azuré des Cytises (Glaucopsyche alexis) dans le département de la Sarthe (cartographie : Bécan et Banasiak, 2015 ; photographie : D. Demergès, 2009).

En définitive, « contacter » un papillon ne réside donc pas uniquement dans l’identification, dans l’art de se forger des prises. Cette expression comprend également ce qui affecte et attache l’observateur, autrement dit ce qui lui procure émerveillement et étonnement, tout en lui donnant des devoirs. Elle met l’accent sur une expérience de nature qui augmente le monde en lui adjoignant de nouvelles réalités. Le contact avec l’altérité animale, c’est un choc, une surprise, qui rend humble et appelle à une réciprocité. Comment transmettre alors, comment témoigner auprès de gens qui ne connaissent pas les papillons ? C’est une question que se posent bien souvent les lépidoptéristes. Produire des savoirs naturalistes n’est pas suffisant. Il faut que le plus grand nombre puisse faire l’expérience de la rencontre pour comprendre l’indicible et reprendre contact avec une réalité « perdue » [28].

Remerciements

Merci aux nombreux lépidoptéristes avec qui j’ai pu échanger durant cette enquête : j’ai une pensée toute particulière pour ceux qui ont accepté que je les suive sur le terrain, au plus près des papillons. Je tiens également à remercier chaleureusement Élise Demeulenaere et Romain Julliard pour leur accompagnement tout au long de cette réflexion. Enfin, ce texte ne serait pas aussi abouti sans les commentaires avisés des relecteurs anonymes : merci à eux.

add_to_photos Notes

[1Blog naturaliste issu de l’association Mardiéval (consulté le 08.02.2018) : http://www.loire-et-biodiversite.com/album-1896894.html.

[2Le corpus de matériaux qui documente cette enquête a été constitué entre 2014 et 2017, essentiellement en Île-de-France et en Sarthe. Il est constitué d’une cinquantaine d’entretiens semi-directifs et d’une cinquantaine de sorties naturalistes dont 25 autoethnographiques, une modalité d’enquête déjà utilisée par plusieurs auteurs pour ethnographier les sens (Vicart 2009 ; Colon 2013).

[3Un taxon est une entité conceptuelle qui regroupe des organismes vivants possédant des caractères en commun. L’espèce constitue le taxon de base de la classification du vivant. Plus le rang du taxon est élevé (genre, famille, ordre, etc.) et plus le nombre de caractères que des individus ont en commun entre eux est faible. Wikipédia, (consulté le 09.02.2018) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Taxon.

[4Nous parlons dans cet article uniquement des papillons de jour.

[5Pour les termes techniques, se reporter à la figure 3 où sont figurées franges et ocelles (cf. infra).

[6Ces ouvrages s’appuient largement sur l’illustration des espèces à identifier afin de guider le regard de l’observateur : il peut s’agir de dessins d’artistes (Tolman et al. 2010), de photos (Haahtela et al. 2017), ou de photos détourées (Lafranchis 2014). La plupart désignent directement sur les illustrations par des flèches ou des numéros les caractères à observer. De rares ouvrages ajoutent des clés de détermination par famille ou sous-famille (Lafranchis 2007). Ces clés sont des arbres de décision qui permettent d’organiser le processus d’identification pas à pas, tout en rendant possible la comparaison de plusieurs espèces à la fois : leur utilisation est fastidieuse pour beaucoup de lépidoptéristes car elles nécessitent de valider beaucoup de critères, même les plus évidents.

[7L’emploi du terme panoptique fait référence ici à une position à partir de laquelle l’observateur peut voir en un seul coup d’œil tout un ensemble.

[8Les notions de pli et de saillance sont interchangeables. Elles désignent ce qui est perceptible par les sens d’un être vivant donné, lui donnant des points d’appui pour l’action dans son environnement. Le pli met l’accent sur la disposition des corps à se rencontrer, à « se plier à l’action » (Bessy et Chateauraynaud 2014 [1995] : 302).

[9Papilio machaon.

[10Maniola jurtina.

[11Naturaliser un spécimen nécessitant de longues étapes de préparation et beaucoup de matériel spécialisé, la photographie vient avantageusement compléter la capture au filet dans le cas où l’observation doit se prolonger ex situ.

[12Il s’agit du STERF, le suivi national des papillons de jour, un dispositif porté par le Muséum national d’Histoire naturelle.

[13Melitaea diamina.

[14Selon un récit couramment répandu, le terme « jizz » proviendrait de « GISS » (General Impression of Size and Shape), un acronyme utilisé par les aviateurs britanniques de la Royal Air Force durant la seconde guerre mondiale et désignant une technique de reconnaissance globale permettant de distinguer en vol les avions ennemis des avions amis (McDonald 1996 ; Roux et al. 2009). En réalité, des origines plus anciennes sont probables sans être attestées (McDonald 1996).

[15Derrière « l’allure du vol » se cachent la forme et le mouvement ; on peut par ailleurs rassembler « teinte générale » et « contrastes » dans la catégorie couleur.

[16Dans l’ordre, la Mélitée alpine, la Mélitée des Digitales, la Mélitée des Scabieuses, le Petit Collier argenté, le Nacré de la Sanguisorbe.

[17Phengaris arion.

[18Glaucopsyche alexis.

[19Cet extrait de journal de terrain est issu d’une sortie autoethnographique. Nous avons recours à ce type de narration pour mettre en avant un changement d’état perceptif difficilement verbalisable lors de nos entretiens.

[20Pararge aegeria.

[21Le parcours du territoire signifie ici le parcours de l’espace entre les sites d’observation.

[22Nous ne tenons donc pas compte ici des voyages naturalistes réalisés sur plusieurs jours. Notre étude se base sur les atlas de Sarthe et d’Île-de-France, des dispositifs visant à cartographier les aires de répartition des différentes espèces de papillons de jour sur ces territoires.

[23Nous ne développons pas ici l’effet de la dynamique collective qui peut jouer sur l’intensité de la prospection et sur la recherche plus attentive de certaines espèces dans telle ou telle commune. Nous nous focalisons sur la relation d’un observateur avec la faune d’un territoire donné.

[24Moyenne établie pour les sites STERF suivis au moins 5 années.

[25Site Lépinet (consulté le 08.02.2018) : https://www.lepinet.fr/especes/nation/index.php?e=l.

[26Plante sur laquelle se développe la chenille du papillon : à chaque espèce correspond une plante spécifique.

[27Ces plantes sont celles qui sont pourvoyeuses de nectar, substance sucrée qui constitue la principale nourriture des papillons.

[28Le livre de Matthew B. Crawford Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver (2016 [2015]) a inspiré notre réflexion. Il dénonce une crise de l’attention dans les sociétés modernes empêchant de faire pleinement l’expérience de la réalité. Proposant de reconsidérer la liberté individuelle non comme détachement du monde mais comme intrinsèquement associée à son apprentissage, l’auteur montre qu’il est possible de se construire comme individu en reprenant contact avec la dimension incarnée de l’existence.

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Pour citer cet article :

Emmanuel Charonnet, 2019. « De prises en (sur)prises, l’attachement du lépidoptériste, ou comment « contacter » un papillon ». ethnographiques.org, Numéro 38 - décembre 2019
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(https://www.ethnographiques.org/2019/Charonnet - consulté le 25.04.2024)
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