« Nous avons tué la forêt » : l’expérience de la déforestation dans un village pionnier de l’Amazonie bolivienne

Résumé

Je décris dans cet article les conséquences sociales et climatiques de la conversion de l’agriculture traditionnelle d’abattis-brûlis à la grande culture mécanisée du soja dans un village de front pionnier bolivien. La brusque déforestation du terroir villageois et la concentration foncière occasionnées par la mécanisation de l’agriculture ont bouleversé la société villageoise et privé les paysans pratiquant le brûlis et dépendant de la pluie de leur milieu de production. Ces derniers établissent un lien direct entre la déforestation et la baisse de la pluviométrie et de l’humidité du sol. Réagissant à cette aliénation économique et climatique, ils fondèrent à l’occasion d’un conflit agraire une nouvelle communauté en milieu forestier, y débattant de la manière d’y vivre et d’y travailler au miroir de leur expérience de la déforestation et d’un savoir émergeant quant au rôle de la forêt dans la régulation climatique. « Tuée » dans le vieux village pionnier, la forêt allait-elle survivre dans la jeune communauté ?

Mots-clés : frontière agricole, forêt amazonienne, pluie, déforestation, abattis-brûlis, mécanisation, marché foncier, organisation paysanne

Abstract

"We killed the forest" : the experience of deforestation in a frontier village of the Bolivian Amazon

In this article, I describe the social and ecological consequences of converting traditional slash-and-burn agriculture to large-scale mechanized soybean farming, in a frontier village in Bolivia. The sudden deforestation of the village territory and the concentration of land caused by agricultural mechanization have upset village society and have deprived farmers who practice slash-and-burn cultivation and are dependent on rain of a productive environment. Reacting to this alienation and building on a conflict over land ownership, they latter founded a new settlement in the forest.There, they debated how to live and work in the forest in the light of their experience of deforestation and their knowledge about the role of the forest in climate regulation. “Killed” in the old pioneer village, will the forest survive in the new frontier community ?

Keywords : Agricultural frontier, Amazon rainforest, climate, rain, slash-and-burn cultivation, mechanization, market for land, peasant organizations

Sommaire

La production mécanique, dans une société commerciale, suppose tout bonnement la transformation de la substance naturelle et humaine de la société en marchandises. (…) Il est évident que la dislocation provoquée par un pareil dispositif doit briser les relations humaines et menacer d’anéantir l’habitat naturel de l’homme.
Karl Polanyi (1983 [1944] : 70).

Du « brûlis » au « labour », la petite « grande transformation » d’une société paysanne

Au tournant des années 1990, le village de La Enconada, situé sur un front pionnier du nord-ouest du département de Santa Cruz (province Ichilo, municipe de San Juan de Yapacaní), connut une brusque transformation : il fut déforesté. En l’espace d’une décennie, à grands coups de bulldozer, la « forêt » (monte) était devenue « plaine » (pampa).

Illustration 1
Carte politique de la Bolivie, University of Texas Librairies, Austin, 1993.

Fondée au milieu des années 1960 dans la forêt tropicale dense et humide du Choré, La Enconada était à l’origine un asentamiento pionnier de « paysans sans terre » organisés en « syndicat agraire » [1] (carte 1). Mettant en œuvre le principe de la réforme agraire — « la terre appartient à celui qui la travaille » — ces derniers « colonisèrent » une forêt considérée comme « terre vacante » [2], qu’ils se répartirent en parcelles de 40 hectares dont ils obtinrent la « dotation » par un État désireux de peupler et de ‘‘mettre en valeur’’ l’Orient amazonien. Dans leur sillage, de nombreux groupes de paysans andins ayant quitté leurs communautés montagnardes pour migrer vers les « terres basses » du bassin amazonien formèrent tour à tour de nouveaux asentamientos dans la forêt du Choré, « avançant » toujours plus « au-dedans » vers le nord (carte 2).

Illustration 2
Carte du Municipe de San Juan de Yapacaní (Institut National de Statistique, 2002). La Enconada y figure sous son nom original de Sindicato Santa Fe (de La Enconada).

Le déboisement massif du terroir villageois répondait à une logique économique : convertir l’agriculture manuelle d’abattis-brûlis pratiquée jusqu’alors par des « colons » [3] spécialisés dans la riziculture pluviale à la grande culture mécanisée du soja. La forêt disparaissant, le « brûlis » (chaco) cédait la place au « labour » (arado), lequel implique le dessouchage complet des parcelles [4]. Une transition agraire était à l’œuvre entre, d’une part, un modèle d’agriculture paysanne basé sur l’usage intensif de la main-d’œuvre familiale et combinant autosubsistance, petite production marchande, multiactivité et stratégies migratoires, et d’autre part un modèle d’agriculture capitaliste basé sur un usage intensif de la machine, d’une main-d’œuvre salariée sur de grandes surfaces, et complètement intégrée au « grand marché » à travers la filière agroindustrielle du soja.

Illustration 3
Photo satellitaire des fronts pionniers du Nord-Ouest du département de Santa Cruz. A l’Ouest, la rivière Yapacaní sur la rive orientale de laquelle se trouve le front pionnier de La Enconada. La communauté Tierra Prometida se trouve tout au Nord, au sud de la lagune Tesoro, tout en haut de la photo, Google Maps, 2010.
Illustration 4
Parcellaire déforesté des rives du Yapacaní. Les villages de Santa Fe et de Yapacaní sont respectivement à droite et à gauche sur la photo, CAISY, 2008.

J’analyse dans cet article les conséquences sociales et écologiques de cette transition agraire en m’attachant à l’expérience de ceux qui, parmi les paysans de La Enconada, vécurent la déforestation provoquée par la mécanisation de l’agriculture comme la perte d’un milieu productif viable. La destruction du milieu forestier provoqua selon eux la raréfaction des pluies et la dégradation de la fertilité du sol, favorisant la propagation des maladies, parasites et mauvaises herbes. Obligés d’utiliser des pesticides pour faire face à la baisse du rendement des cultures, ils virent leurs coûts de production s’accroître et la productivité de leur travail diminuer. Dans le changement global de son milieu productif, le fait le plus marquant reste du point de vue du riziculteur pluvial sur brûlis la baisse de la pluviométrie, alors que le cultivateur de soja sur labour redoute plutôt l’inondation et s’accommode bien d’une moindre humidité.

Encadré : la forêt pourvoyeuse de pluie : un consensus entre paysans et scientifiques ?

Le lien entre la forêt et la pluie énoncé comme une évidence par les cultivateurs privés d’humus et de pluie coïncide avec les analyses climatologiques des interactions entre processus hydrologiques, déforestation et “feedbacks” du réchauffement climatique (dont l’horizon négatif est la « savanisation » de l’Amazonie). Au-delà de la complexité des phénomènes en jeu, il existe parmi les analystes des changements climatiques en Amazonie un consensus sur une tendance générale à l’allongement de la saison sèche et donc à la plus grande fréquence des sécheresses et des incendies de forêt et sur le rôle joué par la déforestation (Ometto et al. 2013 ; Joetzjer 2014). L’effet de celle-ci est double. Elle favorise d’une part les inondations et l’érosion car l’absence d’arbres aux racines profondes réduit l’infiltration de l’eau et accroît le ruissellement en surface et la crue des rivières. Elle réduit d’autre part les précipitations du fait de la moindre évapotranspiration d’une savane ou d’un champ de soja, ou même d’un couvert forestier dégradé (Sampaio et al. 2007 ; Lima et al. 2014 ; Santos et al. 2018) [2014 : 267) montrent à (…)" id="nh2-5">5]. Selon l’agronome brésilien Antonio Nobre (2014), passé un certain seuil de dégradation (estimé à 40 % du couvert total), la forêt cesse de fonctionner comme une « pompe à eau biotique » attirant les nuages se formant au-dessus de l’Atlantique et en formant d’elle-même continuellement via l’évapotranspiration et la condensation. Une fois cette pompe désamorcée, l’Amazonie cesserait d’assurer son rôle de régulateur du climat sud-américain à l’est de la cordillère des Andes, lequel risque de devenir très aride. C’est à ce vaste drame écologique que participent les paysans de La Enconada. Ayant vérifié par l’expérience qu’un lien causal existait entre la déforestation massive et le changement de la pluviométrie locale, ils prirent conscience des ‘‘services environnementaux’’ prodigués par la forêt et commencèrent à réfléchir en conséquence à leurs pratiques productives et organisationnelles.

Alors que la « production mécanique » anéantissait « l’habitat naturel » des paysans continuant de pratiquer la culture sur brûlis, ces derniers voyaient aussi se briser les « relations humaines » propres à une société pionnière encore relativement égalitaire. À la perte de productivité de leur travail, s’ajoutaient le risque d’aliénation foncière et le sentiment du déclassement. Car peu de colons parvinrent au terme de la transition vers la grande culture mécanisée. Tandis que la terre, dont le prix s’envolait sur le marché local du fait de son incorporation à une filière du soja en pleine croissance, se concentrait aux mains des nouveaux « entrepreneurs », une catégorie de « paysans sans terre » apparut sur la scène villageoise, composée de colons ayant fait faillite et ayant vendu leurs parcelles, de « jeunes » (filles et fils de colons en âge de fonder une famille et de s’installer à leur compte) sans héritage foncier et de nouveaux arrivants en quête d’emploi et de terre.

Relégués sur la scène productive locale, ces segments de la population villageoise sont prompts à s’engager dans les luttes agraires, qui sont monnaie courante sur les fronts pionniers boliviens, dans l’espoir de « se saisir d’un morceau de terre pour vivre et travailler », selon l’expression usuelle des colons. En septembre 2000, ils occupèrent une vaste propriété située à l’orée de la Réserve forestière du Choré [6], à environ 70 kilomètres au nord de La Enconada, où ils fondèrent la Communauté Agroécologique Tierra Prometida. Celle-ci regroupait officiellement 126 familles, soit une partie non négligeable du millier d’habitants de La Enconada.

Les « paysans sans terre » de La Enconada retrouvaient à Tierra Prometida un milieu forestier humide propice à l’agriculture sur brûlis. Comme ils connaissaient d’expérience les conséquences sociales et climatiques de la déforestation, un débat surgit au sein de leur nouvelle communauté sur la pertinence comparée du défrichement intensif, afin de produire le plus possible de riz à vendre sur le marché puis de mécaniser par la suite, ou du maintien du couvert forestier afin de préserver un climat humide et un sol fertile propice à des pratiques agroforestières durables. S’y superposait un débat opposant les partisans de la propriété collective de la terre à ceux de la propriété individuelle dont l’enjeu était le pouvoir conféré à la communauté sur l’usage des ressources foncières par ses membres.

J’insisterai dans cet article sur la dimension proprement ‘‘climatique’’ de l’expérience sociale des « paysans sans terre » de La Enconada qui ont « récupéré » à Tierra Prometida une terre encore boisée. La notion de « climat » est ramenée ici à une perception localement et socialement située du jeu des phénomènes atmosphériques (pluie, vent, soleil) en interaction avec les autres composants de l’environnement (sol, végétation, animaux) qui dépend, outre du type de milieu naturel occupé, de ce qui intéresse les gens dans leurs pratiques. Dans le cas étudié, il s’agit avant tout de la pluie comme facteur de fertilité et de son lien avec la forêt.

Je montrerai d’abord comment la conversion des colons de La Enconada à la grande production mécanique bouleversa le paysage et la société villageoise de La Enconada. Je m’attacherai ensuite à l’expression d’un point de vue critique sur le changement climatique induit par la déforestation liée à la mécanisation agricole, dénonçant la marginalisation économique et spatiale des « paysans » privés de pluie et de forêt. Je me pencherai enfin sur le double débat qui divisait la communauté Tierra Prometida entre les partisans d’une limite du défrichement des parcelles et de la propriété collective de la terre et les partisans d’un défrichement intensif et de la propriété privée [7].

« La forêt vierge s’est terminée… Et puis la machine est arrivée. »

Avant que les grands déboisements des années 1990 ne convertissent la « forêt » en « plaine » labourable, les pionniers de La Enconada éprouvaient les limites de leur système d’abattis-brûlis centré sur la culture du riz, suivie du maïs avant de laisser la terre en jachère. La « forêt haute » (monte alto) avait déjà largement laissé place à une forêt de recrû poussant sur les jachères (barbecho). Pendant les années 1970, ils avaient profité d’un bon prix du riz, du rendement élevé de leurs brûlis tout neufs et de la forte productivité de leur travail. Ils défrichèrent rapidement leurs parcelles et, l’espace villageois étant déjà bien peuplé, la terre forestière disponible vint à manquer. Ils ne pouvaient plus maintenir des temps de jachère suffisamment longs (de 10 années minimum) pour laisser la forêt recroître suffisamment et restituer sa fertilité au sol. La forêt laissait place à une « friche herbeuse » composée de graminées sur laquelle le brûlis est peu efficace.

Illustration 5
Abattis-brûlis à Tierra Prometida, T. Siron, 2006.
Illustration 6
Récolte de riz sur brûlis à Tierra Prometida, T. Siron 2006.

Dès le début des années 1980, les colons de La Enconada se confrontèrent à cette « crise de la jachère » typique de l’agriculture pionnière (Thiele 1991). La productivité de leur travail se réduisait drastiquement alors même que le prix du riz devenait moins rémunérateur. Faute de pouvoir alors accéder à de nouvelles terres forestières qu’ils cultiveraient pendant que leurs jachères se reboiseraient, il leur fallait intensifier leur système de production sur leurs friches, ou bien les abandonner et s’en aller voir ailleurs. Ce qu’ils firent, la plupart de ses habitants désertant un village rendu inhospitalier par une grande inondation liée à l’effet climatique El Niño. Leur exode coïncidait avec la « crise de la jachère » ainsi qu’en témoigne Celestino Rojas :

Ma femme me dit que nos enfants vont aller étudier à Montero. « Ah ? Très bien ! », j’ai dit. Ils sont allés étudier à Montero et j’y suis allé aussi. Ici le riz ne se vendait pas bien, son prix avait baissé. Nous n’avions pas mécanisé, nous cultivions sur brûlis et le riz ne donnait que de la paille, on ne gagnait rien. Alors j’ai dit « Ciao Enconada, je m’en vais ». Jusqu’à ce que le prix du riz remonte. [8]

Lorsque, comme les Rojas, les Enconadeños revinrent au village après avoir passé presque une décennie dans les villes commerçantes de la zone de colonisation du nord de Santa Cruz, « tout était devenu forêt, des jachères hautes ». C’est alors qu’ils entreprirent le déboisement total de leurs terres en friche afin de les travailler au tracteur. Entre-temps, une piste carrossable avait été ouverte qui, reliant le village à « l’extérieur » (afuera), permettait de « sortir des produits » à moindre coût et conférait une valeur marchande à la terre.

Pionnier de La Enconada et l’un des rares à être resté au village avec sa famille durant l’exode de ses voisins, Epifanio Pacheco suivit le mouvement contagieux de déboisement :

La forêt vierge s’était terminée et il n’y avait pas encore de piste pour arriver ici, seulement un mauvais chemin. Les gens sont partis avec leur argent pour acheter des terrains à Yapacaní, à Montero, des autos, des camions, construire des maisons et faire étudier leurs enfants… Tout est devenu silencieux ici. Nous étions à peine une vingtaine à être restés. Et puis l’entreprise pétrolière venue prospecter a fait une piste et les gens sont revenus et ils ont réclamé leurs terrains. Ils ont bataillé dur pour les récupérer et quand le chemin a été viabilisé, ils ont commencé à déboiser et dessoucher, au bulldozer, à crédit, en se regardant les uns les autres, et ils ont semé du soja. Et nous aussi. On semait deux fois par an, riz et soja, c’est ça l’amélioration. Certains ont tout déboisé et maintenant c’est la plaine. Il n’y a plus de forêt, seulement des labours.
(Epifanio Pacheco, La Enconada, 04/08/07 ; Mamerto Peña, La Enconada, 31/07/07)

La grande culture mécanisée du soja, en rotation avec le riz, devenu une culture secondaire, s’était imposée comme la voie à suivre. Habitués par une tradition pionnière de spécialisation marchande dans la culture du riz et incités par des agences de développement et de crédit à profiter de la manne d’une culture alors en plein ‘‘boom’’ [9], les colons de La Enconada "passèrent" au soja [10]. Celui-ci prit la place du riz en tête d’assolement et le maïs fut évincé comme seconde culture. Pour Epifanio Pacheco, cela ne fait pas de doute : « Les deux seuls sont ceux-là, il n’y en a pas d’autres pour gagner de l’argent. Il y a le maïs, mais non, ça ne rend pas. C’est soja et riz. »

Illustration 7
Culture de riz sur labours au Nord du front pionnier à l’entrée de la Réserve du Choré, Estacion Punta Riel, T. Siron, 2006.
Illustration 8
Récolte de soja à San Juan de Yapacaní, CAISY, 2019.

Si la déforestation précéda la mécanisation et si le « colon » cultivant sur brûlis opère déjà dans une « société commerciale » où le « mobile du gain » prédomine sur le « mobile de subsistance » (Polanyi 1983 [1944]), la généralisation de la « production mécanique » produisit un changement de logique en même temps que d’échelle productive. Elle débrida les freins à l’accumulation de la terre et du capital qui existaient dans l’agriculture familiale et elle décupla l’emprise du producteur sur le milieu naturel. L’horizon ras de la plaine labourée se substitua au paysage de forêt dégradée et de friches herbeuses laissé par une agriculture sur brûlis trop intensive.

Illustration 9
Paysage de labours à La Enconada, Cooperativa Agropecuaria Integral San Juan deYapacaní (CAISY), 2008.
Illustration 10
Paysage de labours à San Juan de Yapacaní, CAISY, 2008.

Mamerto Peña, l’un des derniers fondateurs du syndicat La Enconada y résidant toujours, témoigne de ce changement :

Il n’y avait pas de soja avant, seulement du riz, parce qu’il n’y avait pas de machine déforestatrice. On ne travaillait qu’à la force du poignet. Nous défrichions ce que nous pouvions : trois hectares, huit hectares… Et puis la machine est arrivée. Tout le monde a déboisé. Ceux qui avaient plus de moyens faisaient déboiser trente, vingt, dix hectares. Moi je n’ai pu en déboiser que cinq [11]. Une entreprise qui avait plusieurs machines en mettait deux par-ci, deux par-là. En trois ans il y a eu beaucoup de déboisement. À Buena Vista, il y avait une banque qui donnait des crédits… Certains prenaient le risque de s’endetter et d’autres n’osaient pas parce qu’il y avait des faillites. Ils ont acheté de la terre, en ont loué au-dedans. Maintenant ceux qui ont de l’argent sèment cent cinquante hectares, cent trente hectares, et celui qui est plus petit n’en sème que cinq ou six. Avant il y avait moins de différence, et puis l’argent avait de la valeur. On vendait bon marché mais avec ce qu’on gagnait on pouvait acheter pas mal de choses.

Passer du « brûlis » au « labour » implique de « capitaliser », comme disent les colons. Il s’agit de s’agrandir en achetant les parcelles de ses voisins, de les faire déboiser si elles ne l’étaient pas et d’acquérir « du fer » (tracteurs et moissonneuses) pour les travailler. Alors que la forêt disparaissait, la terre allait se concentrant entre les mains de ceux qui parvenaient à « capitaliser » suffisamment pour se hisser au rang d’« entrepreneurs » (et qui surent éviter de faire faillite).

Celestino Rojas est l’un des rares colons qui, au moment de mon enquête, y étaient parvenus. Originaire, comme presque tous les Enconadeños, des vallées andines, il s’est installé en 1967 (à la suite de son service militaire à Montero) dans la colonie de Antofogasta, ouverte par l’État dans les années 1950 afin de peupler et de ‘‘mettre en valeur’’ les forêts de Ichilo. Accompagné de son frère, il y rejoignait un oncle déjà installé auparavant. La parcelle de 20 hectares qu’il y reçut en dotation agraire s’avéra inondable, le travail harassant, et sa femme tomba malade. Au début des années 1970, les deux frères et leurs familles trouvèrent à La Enconada un milieu plus hospitalier. Ils y achetèrent des terrains et s’y établirent comme paysans et vendeurs de chicha (bière de maïs typique des vallées andines). Désertant le village dans les années 1980, il s’établit à Montero, capitale commerciale du nord de Santa Cruz, où il travailla dans le commerce du textile en association avec un entrepreneur taïwanais. De retour à La Enconada vers la fin de la décennie, il participa au mouvement de déboisement et de mécanisation. Il possédait en 2007 quelque deux mille hectares, de nombreux tracteurs et moissonneuses, des silos et une usine de décorticage à Montero :

Nous avons grandi petit à petit, en capitalisant, capitalisant. Moi je n’aime pas sortir de l’argent de la banque. Je ne compte que sur ma force pour avoir du capital. Pour déboiser, je mesure bien combien je vais investir, par exemple trois mille dollars et pas un sou de plus. Mais les voisins ils commencent par tirer de l’argent et puis ils n’arrivent pas à rembourser. Moi je leur dis qu’il ne faut pas emprunter à la banque. Mais eux, ils sont là à déboiser, à investir 800 heures, 600 heures (de bulldozer). « Comment vous allez payer un échec ? » je leur demande. C’est grave. Ils ont dû vendre leurs parcelles et leurs tracteurs pour payer le déboisement. Je les avais avertis. Je ne suis pas envieux. (…) Parce que moi je connais la chose. Il faut étudier, y mettre de l’intelligence. C’est comme ça que j’ai capitalisé, un peu, un peu, j’ai capitalisé, capitalisé et je continue…

Comme le dit Celestino Rojas, la plupart de ceux qui tentèrent de « capitaliser » sombrèrent dans un endettement chronique. À la « crise de la jachère » dans le système d’abattis-brûlis succédait le cercle vicieux de l’endettement dans celui de la grande culture intégrée à l’industrie oléagineuse. D’où leur désarroi et leur incompréhension face au succès des rares « petits » devenus « grands » dans la sphère productive. Ainsi de Epifanio Pacheco :

Nous étions entrés ensemble comme colons, et maintenant eux ils ont des machines, de belles maisons à Yapacaní, à Montero. Ils achètent du fer, chaque année un nouvel engin, une nouvelle maison, et moi j’en suis là, je cours toute l’année après les dettes pour investir et rembourser après la récolte. Des fois on ne mange pas bien, on ne s’habille pas bien pour payer la dette. Pourtant je réfléchis, je sais planifier, administrer. Alors qu’est-ce qui m’arrive ? Comment ils font ? Ils travaillent pareil que moi, le prix est le même pour tous, les inondations touchent tout le monde... Alors comment gagnent-ils de l’argent chaque année ? Moi je ne comprends pas mais Dieu lui, il sait tout. Peut-être qu’ils ont eu beaucoup de chance, de bonnes récoltes… J’ai entendu dire qu’ils ont travaillé dans la cocaïne, qu’ils ont prospéré grâce à ça. Vrai ou faux, les gens parlent mais seul Dieu sait. Il ne faut pas être envieux.

De nombreux paysans qui, comme Epifanio, parvinrent à posséder deux ou trois cents hectares et plusieurs tracteurs, mais pas de moissonneuse-batteuse, de silos et de camion, continuent de dépendre de mieux équipés qu’eux pour récolter leur riz et leur soja et les acheminer vers les usines de « l’extérieur ». Attendant la récolte pour rembourser des intrants qu’ils ont achetés à crédit, une mauvaise récolte peut leur être fatale. Signe des tensions sociales qui divisent leur village sur fond de course à la terre, au « fer » et au crédit, Celestino et Epifanio, tous deux convertis à l’évangélisme (religion en vogue dans les zones de colonisation), sont d’accord sur un point : « Il ne faut pas être envieux ».

Contrairement à Epifanio, qui avait pu vendre de la terre pour se maintenir à flot, les nouveaux venus à La Enconada n’ont pas eu la possibilité de « coloniser » une « terre vacante » ni d’acheter plusieurs parcelles à bon marché, de même que les « jeunes », filles et fils de colons sans espoir d’héritage foncier. C’est cette catégorie de la population villageoise, qui formera les « bases » de la communauté Tierra Prometida, après avoir vécu la crise sociale et écologique qui transformait leur village.

« Maintenant qu’il y a des champs et des labours, pour le paysan il n’y a pas de production »

Marcelina Vela avait quitté vers la fin des années 1990 sa communauté andine devenue trop aride pour accompagner son père et rejoindre son frère Simón, installé depuis quelques années à La Enconada où il avait acheté une parcelle avec un oncle. Mais tentant d’appliquer le modèle de la grande culture du soja sur une surface trop exiguë sans posséder de machines, « on ne gagne rien » :

Maintenant qu’il y a des champs et des labours, pour le paysan il n’y a pas de production. Pour ceux qui ont des machines, il y a de la production. Celui qui a des machines gagne et celui qui n’en a pas perd, il reste pauvre. Ici il y a une dizaine de personnes qui ont des tracteurs et tout, mais le reste, on n’en a pas. On travaille à la main et on est obligé de louer si on veut produire quelque chose. Mais avec vingt hectares de riz et de soja, on ne gagne rien. On paie le tracteur, le loyer, les produits de traitement, et il ne reste rien pour le travailleur, à peine assez pour rembourser les dettes parfois. À la fin, on gagne peut-être deux cents pesos, mais ça n’est pas assez pour maintenir la famille. Avant (les déboisements), avec un hectare de riz, même avec cinq ou dix enfants, une famille se maintenait. C’était un travail plus tranquille, on se contentait de ça. C’est comme ça aussi que les paysans, nous nous sommes retardés. Mais maintenant beaucoup se sont endettés pour dessoucher, et on ne trouve plus d’où rembourser car le riz ne vaut rien. Certains vendent leurs terres aux Japonais. Ils demandent vingt mille dollars les quarante hectares maintenant, car tout est mécanisé déjà. Et eux ils ont de l’argent et des machines, ils font deux récoltes de riz par an. Ils te disent « Je te paie tant », et quand on a pas d’argent on se laisse tenter. Avec vingt mille dollars, tu peux construire une maison, mais une maison, ça ne produit pas. Tu finis l’argent avec ça et après il faut de nouveau chercher de la terre. La terre, c’est mieux de ne pas la vendre.
(Marcelina Vela, La Enconada, 22/07/07)

Marcelina exprime le point de vue du secteur des colons ne pouvant plus pratiquer l’agriculture sur brûlis dans des conditions favorables et tentant de passer à la « production mécanique » dans des conditions adverses. Ils se retrouvent comme pris au piège, ne « gagnant rien » et « restant pauvres ». Face à ce cercle vicieux, Marcelina réaffirme un « mobile de subsistance » correspondant dans son discours à l’idée de « maintenir la famille » et de se « contenter » d’une production modeste et à celle de ne pas vendre sa terre afin de conserver son autonomie. Mais elle le renvoie ici à un « avant » forestier révolu à La Enconada (qui sera comme restauré à Tierra Prometida) et doute de sa légitimité au regard des critères d’une économie monétisée dominée par le « mobile du gain » (les « paysans » se seraient ainsi « retardés »).

Illustration 11
Pahuichi (cabane de palmier) à Tierra Prometida, T. Siron, 2006.
Illustration 12
Rue centrale de La Enconada, T. Siron, 2007.

Le remplacement du riz sur brûlis par le soja sur labour marginalise l’agriculture familiale dans l’espace villageois (à la Enconada). Simón Vela, le frère de Marcelina, a ainsi échoué deux années de suite dans la culture de riz à La Enconada alors qu’il avait fortement investi en défrichage et en intrants. La première fois, le surazo, vent froid venant du sud, avait balayé son riz en fleurs. La deuxième fois, c’est la sécheresse qui l’a « brûlé ». Comparant les conditions de production à La Enconada et à Tierra Prometida, dont lui et sa sœur sont membres, il mettait explicitement ces deux échecs sur le compte d’une déforestation ayant asséché les sols et exposé la « plaine » au vent. N’ayant jamais échoué sur son chaco (essart forestier) de Tierra Prometida, il estime que la culture de riz est moins risquée sur brûlis que sur labours « parce qu’il y a beaucoup d’humidité, beaucoup de pluie, parce que c’est encore de la forêt ». Par contre, sur les labours de La Enconada où la pluie « n’accroche pas » selon Simón, il vaut mieux semer du soja car il a besoin de beaucoup moins d’eau que le riz et d’une moindre application de fongicides. De plus, contrairement à la culture pluviale du riz qui ne permet qu’un seul semis annuel, le cycle court du soja en permet deux, l’un « d’été » et l’autre « d’hiver ». En cas d’échec d’un premier semis, on peut espérer se rattraper avec le second et sauver son année. Encore faut-il avoir du « fer ».

Malgré les bons rendements obtenus sur brûlis, la culture du riz ne redevient vraiment rentable commercialement que lorsqu’elle est irriguée par inondation, comme le font les agriculteurs japonais. Ceux-ci bénéficient de trois récoltes par an et de prix de vente élevés entre les cycles du riz pluvial. Les riziculteurs ne comptant que sur la pluie vendent tous leur production au même moment, à bas prix donc, et se font de plus concurrence pour accéder à la main-d’œuvre nécessaire à la récolte, à la batteuse et au transport pour « sortir son produit » vers les usines à décortiquer. Le constat est unanime parmi les cultivateurs manuels : « le riz, c’est du double travail » qui ne paie pas, car « le riz ou le maïs que tu sors, il n’est pas à toi » mais aux propriétaires de camions et de décortiqueuses. Or l’habilitation des parcelles à la culture du riz par inondation est coûteuse, cette technique avantageant encore les « entrepreneurs » au détriment des « paysans ». Ceux-là restent tributaires de la pluie comme celle-ci l’est de la forêt. Et Simón Vela de commenter :

Quand la forêt se termine, il ne pleut plus. C’est quand il y a de la forêt que la pluie accroche et qu’elle tombe comme il faut. Les Japonais ne cultivent que par irrigation. Pourquoi auraient-ils besoin de la pluie ? Ils n’ont pas besoin de la pluie.

Ayant vécu comme son frère la grande transformation de La Enconada sous le coup du déboisement et la reconquête d’une terre forestière à Tierra Prometida, Marcelina Vela relève elle aussi une relation entre la pluie, la fertilité du sol et la forêt :

Quand je suis arrivée ici (à La Enconada), c’était de la forêt partout, il pleuvait, on ne traitait pratiquement pas les cultures. Tout ce que tu semais produisait. Maintenant qu’on a tué la forêt, il n’y a pas de pluie et il y a plein de parasites. Ça va faire six ans que c’est comme ça. Avant, personne n’avait de machines. Maintenant, il n’y a que des champs et des labours, et comme il n’y a plus d’arbres, il ne pleut plus. Le riz est malade dès sa naissance. Le riz, le soja, les haricots, les agrumes, rien ne pousse sans traitement et sans insecticides. Dedans (à Tierra Prometida), dans la forêt, il n’y a pas encore de maladie. On y va une fois ou deux, on passe un coup d’insecticide, on désherbe et ça suffit, on revient. Quand tu as une petite surface que tu nettoies bien, ça produit bien et tu gagnes de l’argent. Quatre ou cinq hectares sont suffisants pour maintenir la famille et la production. Mais quand tu sèmes grand, les insectes, les maladies et les herbes arrivent et il n’y a pas de production. Si on se mettait à défricher grand, les maladies arriveraient tout de suite.

Selon Marcelina, passé un certain seuil de défrichement, le paysan entre dans un cercle vicieux qui mène à la « crise de la jachère » : « défricher grand » favorise la propagation des parasites, maladies et mauvaises herbes, obligeant à traiter pour produire. De ce point de vue, la grande culture vient briser une sorte d’équilibre entre le producteur et son milieu que la petite culture « maintenait ». Comme dans l’extrait d’entretien précédent, Marcelina propose ici une norme du « suffisant » pour conjurer les tendances au déséquilibre manifestées par les maladies. Elle se préoccupe de la sphère reproductive de « l’administration domestique » (« maintenir la famille »), qui revient à « produire pour son propre usage » (Polanyi 1983 [1944] : 83), plutôt que de la production ‘‘pour la production’’. Son mari Pablo, qui la secondait dans les travaux de son chaco à Tierra Prometida, ne rêvait au contraire que de « produire » pour de bon, à l’exemple des agriculteurs japonais pour lesquels il travaillait comme chauffeur de tracteur et dont il disait qu’à l’inverse des Boliviens, eux « savent produire ». Il clamait parfois qu’il « raserait » un jour la parcelle de sa femme (car c’est elle qui en est la titulaire) pour y semer du soja.

Ce débat entre les logiques antagoniques du « maintenir » et du « produire » se posait publiquement au sein de la communauté Tierra Prometida :


— Je vais raser ma forêt, et hop ! En avant le soja

dit Pablo lors d’une réunion communale, à quoi Wilson Choque, jeune dirigeant de Tierra Prometida, répondit :


— Et si on ne fait que de défricher la forêt, dans 10 ans ça sera un enfer comme à La Enconada… Le riz ne donne pas, on ne peut cultiver que du soja et on ruine les sols. Les gens achètent tout ce qu’ils mangent, ils achètent même du bois. C’est ça qu’on veut ? Et après combien de temps vous croyez que le sol prend à se recomposer ? Vingt ans ? 
(Tierra Prometida, 20/06/06)

Deux camps s’opposaient ainsi durant les assemblées communales, correspondant à deux visions de la forêt et à deux plans d’action pour l’habiter. Les uns, que l’on appellera ‘‘écologistes’’ voulaient, comme Marcelina maintenir le déboisement en deçà d’un certain seuil et réguler la production en fonction d’une norme socialement admise du suffisant, tandis que les autres, que l’on appellera ‘‘productivistes’’ refusaient comme Pablo de brider le travail de chacun et de limiter le chaqueo (brûlis) dans le but ultime de « sortir des camionnées de produits ».

Le sort du morceau de forêt du Choré occupé par les « sans-terre » dépendait de l’affrontement entre ces deux camps ou « coalitions d’usagers » (Ostrom 2002) pour contrôler la communauté en tant qu’instance d’édiction de normes contraignantes dans le domaine des droits de propriété et d’usage des ressources foncières (sol, forêt, biodiversité et leurs interactions avec le climat).

Je chercherai dans le point suivant à interpréter cet affrontement, avec l’aide de Karl Polanyi (1983 [1944] : 182), comme l’expression d’une « profonde tension institutionnelle » traversant Tierra Prometida entre les « principes organisateurs » du « libéralisme économique » et de la « protection sociale » (la protection de la « société » passant ici par celle de son « habitat naturel »). La communauté serait-elle l’instrument de la logique du « produire » et de la libération des forces productives ou de celle du « maintenir » et de la retenue dans l’exploitation du milieu ?

« Si on ne fait que de défricher la forêt, dans 10 ans ça sera un enfer comme à La Enconada »

Pour comprendre comment le débat entre le « maintenir » et le « produire » se posait à Tierra Prometida, il nous faut revenir sur les circonstances de la création de la communauté. En septembre 2000, les quelques 300 Enconadeños qui sortirent de leur village par « camionnées » pour s’en aller « prendre » une propriété inexploitée d’une dizaine de milliers d’hectares dont la vente venait d’être annoncée brandissaient la bannière du Mouvement des Paysans Sans-Terre ou MST (Movimiento de los Campesinos Indigenas Sin Tierra de Bolivia). Apparu l’année précédente dans le sud de la Bolivie sur le modèle du mouvement brésilien bien connu, le MST cherchait par ses actions d’occupation de latifundios à forcer le gouvernement à relancer la redistribution agraire dans le pays. Sautant sur l’occasion de (re)devenir propriétaires d’une parcelle, les « jeunes » sans héritage foncier et les colons appauvris de La Enconada pénétraient sans le savoir dans la Réserve forestière du Choré, dont la limite n’est pas signalée sur le terrain.

Organisés en trois syndicats agraires, les « sans-terre » se répartirent la propriété à raison de cinquante hectares par personne. Il s’agit de la surface de la « petite propriété » indiquée par la loi de réforme agraire pour les plaines subtropicales de l’Orient, que tout citoyen bolivien a le droit de recevoir en « dotation » gratuite de l’État. Si la loi stipule qu’il faut d’abord la demander, les démarches administratives étant complexes et incertaines, les paysans boliviens ont pris l’habitude d’occuper d’abord collectivement une terre qu’ils ont repérée comme étant « sans maître » puis d’entreprendre ensuite la légalisation des « possessions » ainsi acquises.

Ce processus de « consolidation légale », qui est la principale tâche confiée aux dirigeants élus par l’assemblée des « bases », peut prendre des dizaines d’années. En attendant, chacun « se gagne la terre en la travaillant », conformément au principe de la réforme agraire. C’est ainsi que les fronts pionniers amazoniens boliviens progressent depuis les années 1960 : la colonisation de la forêt est dite « spontanée » car elle repose sur l’initiative et sur l’auto-organisation paysanne, par opposition aux colonies « dirigées » par l’État (ou un autre type d’organisme), qui ouvrirent les premiers fronts pionniers.

Illustration 13
Sur le chemin de Tierra Prometida en entrant dans la Réserve du Choré, T. Siron, 2006.
Illustration 14
Entrée de Tierra Prometida, T. Siron, 2007.

Si Tierra Prometida est née dans la continuité du processus de « colonisation spontanée » de la forêt du Choré, les circonstances de sa fondation sur le registre d’une lutte agraire militante — l’occupation publique d’une propriété privée — en lien avec un mouvement social naissant lui ont insufflé une autre dynamique. Alors que les premiers dirigeants de l’asentamiento étaient des colons plutôt classiques qui voulaient « se gagner la terre » par le travail de défrichement, principal marqueur d’occupation du terrain, et obtenir au plus vite la légalisation de droits de propriété individuels sur les parcelles allouées à chacun, un groupe de jeunes dirigeants émergea rapidement depuis la base et prit les rênes de la communauté.

Ces jeunes renforcèrent les liens entre la communauté et le MST, à la structuration politique duquel ils participèrent et dont certains devinrent des dirigeants départementaux et nationaux. Fortement influencés par le MST brésilien auprès duquel certains ont suivi des formations, ces « mouvementistes », comme ils se désignent, proposèrent à leurs bases communales un autre discours et d’autres ressources militantes que ceux des syndicats agraires classiques des zones de colonisation. D’où le qualificatif d’« agroécologique » apposé au nom de la communauté [12].

Revendiquant une « idéologie communautaire » qu’ils opposaient à « l’individualisme » des « syndicalistes » classiques, ils prônaient un partage de la terre en parcelles individuelles mais au sein d’une propriété collective indivisible et inaliénable (selon la formule de la « propriété communale » du droit agraire bolivien) et en conservant des zones d’usage collectif conséquentes (des aires forestières à exploiter en commun par exemple). La propriété communale permettrait d’empêcher les nouveaux « petits propriétaires » de vendre leur parcelle, comme c’est courant dans les syndicats pionniers une fois que des droits individuels ont été « consolidés », et ne redeviennent des « sans-terre ». Dans le domaine productif, ils promouvaient une vision globale de l’environnement occupé, réduit à la notion de « terre » dans les syndicats pionniers, une modération dans le défrichement des parcelles et des pratiques d’intensification et de diversification agroforestières et agroécologiques, au lieu d’inciter à les défricher le plus vite possible pour y produire du riz.

Illustration 15
Panneau foire agroécologique de Tierra Prometida (Régionale du MST-Ichilo) à La Enconada, T. Siron, 2006.
Illustration 16
Panneau foire agroécologique de Tierra Prometida (Régionale du MST-Ichilo) à La Enconada, T. Siron, 2006.
Illustration 17
Réunion mensuelle de Tierra Prometida, discussion autour d’une carte du territoire de la communauté, T. Siron, 2007.

Si le discours des « mouvementistes » (leur « vision » comme ils disent) est en partie issu du parrainage politique du MST brésilien et d’ONG locales qui soutiennent leur « lutte pour la terre », il est porté par d’authentiques « bases » des syndicats agraires constitutifs de Tierra Prometida et entre en résonance avec des préoccupations et des aspirations latentes d’une partie des bases de la communauté, que j’ai associée à un hypothétique camp ‘‘écologiste’’. Les débats qu’il suscite durant les assemblées communales et les conversations privées entre membres de la communauté montrent qu’il soulève un vrai problème souvent posé ainsi par les « sans-terre » : « Comment devons-nous travailler ? »

La limitation des surfaces défrichées fut la solution mise en œuvre. L’idée de limiter l’abattis-brûlis est paradoxale dans un asentamiento de front pionnier où la propriété de la terre s’obtient en la travaillant. À Tierra Prometida, la surface de brûlis obligatoire était de deux hectares, mais elle ne devait pas en excéder cinq. Cette surface maximale correspondait à la surface de défrichement annuelle légalement permise sans demander d’autorisation à l’administration forestière. (Soit à peu près la surface maximale qu’une famille de colons peut défricher manuellement à l’année, en recourant éventuellement à des employés, si l’on considère qu’un homme seul peut défricher un hectare par an.)

Les « paysans sans-terre » avaient choisi de « geler » le défrichement à un dixième des parcelles allouées à cause d’une importante contrainte pesant sur la consolidation de leurs droits fonciers : leur communauté se trouvait dans une Réserve forestière où toute activité agricole est interdite. La formation d’asentamientos pionniers dans cette Réserve avait certes été continue depuis sa création et les opérations policières menées épisodiquement pour tenter d’en déloger les colons n’y étaient jamais parvenues. La prise en compte de leur « position » dans une Réserve forestière par les « sans-terre » de Tierra Prometida n’allait donc pas de soi. C’est ce qui fait la particularité de cette expérience pionnière : les jeunes dirigeants du MST, qui adhéraient dans un premier temps à l’idée que la terre occupée « n’avait rien d’une Réserve forestière » du fait de la relative pauvreté d’une forêt qui avait été surexploitée puis avait subi des incendies, changèrent leur position et parvinrent à faire adopter la norme de la limitation du défrichement.

Celle-ci allait dans le sens de leur projet d’intensification « agroécologique » cherchant à faire cohabiter agriculture et forêt, et d’une stratégie originale de « consolidation légale » des droits fonciers consistant à proposer au gouvernement un plan de travail respectueux de la législation environnementale en sollicitant en contrepartie son aide en formations techniques et en financement de « projets productifs ».

L’acceptation par les « bases » d’une telle limitation était par ailleurs facilitée par la faible rentabilité commerciale de la principale culture pionnière (le riz), qui décourageait jusqu’aux colons les plus durs à la tâche de se lancer pleinement dans travail pénible de défrichement au risque de recouvrer à peine leur investissement. À l’époque de mon enquête, le problème de la communauté était plutôt de faire respecter à ses membres l’obligation de défricher leurs deux hectares que de les limiter. Cela n’empêchait pas le débat sur la pertinence de cette norme d’avoir lieu, ne serait-ce que pour le principe, et parce que quelques membres de la communauté avaient les moyens et l’intention de « raser leur forêt ».

La norme limitant le défrichement adoptée sous l’influence des dirigeants « mouvementistes » coïncidait dans une certaine mesure avec une forme coutumière de contrôle social entre colons. Il est mal vu en effet dans un asentamiento pionnier de « gaspiller la forêt » (depredar el monte) comme cela arrive lorsqu’on ne parvient pas à brûler une parcelle défrichée avant que la saison des pluies ne commence [13]. Le jugement critique porte ici sur un gaspillage d’ordre économique plutôt qu’écologique. Aux yeux du producteur, ce n’est pas la forêt comme écosystème prodiguant des bienfaits climatiques, mais une « rente forestière » — la promesse d’une belle récolte sur le sol fertile d’un premier brûlis — qui a été gâchée lorsque l’on a défriché pour rien.

Ne pas « gaspiller la forêt » pouvait être présenté par les tenants du « maintenir » face au « produire » comme une forme de « capitalisation » alternative à celle du déboisement et de la mécanisation. Wilson Choque, le principal artisan de l’affiliation de Tierra Prometida au MST (plutôt qu’à la Fédération locale de syndicats agraires), avançait lors d’une réunion communale la notion de « planification » tout en tentant de ménager les ‘‘productivistes’’ :

L’avantage, c’est que nous avons toutes les ressources intactes et qu’on peut planifier. Ce n’est pas comme un syndicat où tout est déboisé, on ne peut rien planifier. (…) Nous allons travailler, nous n’allons pas être des gardes forestiers, mais avec un plan et en accord entre nous, en défrichant mais aussi en reforestant. 
(Tierra Prometida, 13/04/06)

Cette planification reposait dans l’esprit des dirigeants « mouvementistes » sur ce qu’ils appelaient un « système mixte » entre une production familiale diversifiée sur des parcelles individuelles et production collective sur des aires communales, où une forme de mécanisation coopérativiste déjà expérimentée dans d’autres communautés affiliées au MST serait possible. Limiter l’appropriation privée de la terre via le travail de défrichement permettait de faire durer une phase pionnière de propriété collective de fait par laquelle passe tout asentamiento, de se donner le temps de trouver un « accord » au lieu d’inciter à défricher le plus vite possible et de « répéter la même histoire », comme disent souvent les « mouvementistes » en se référant aux syndicats déboisés où le marché foncier a conduit à la concentration des terres.

À la finalité ultime des ‘‘productivistes’’ de « sortir des camionnées de produits » le plus vite possible, les ‘‘écologistes’’ opposent celle de « développer la communauté » en s’inscrivant dans la durée :

Si on veut que dans le futur la communauté se développe comme une communauté, il faut arrêter de ne sortir que des produits bruts. Dans 20 ans, peut-être qu’on vivra comme nous voulons vivre, tranquillement, ou alors laissons nos enfants vivre ce rêve.
(Wilson Choque, Tierra Prometida, 15/05/07)

L’allusion à ce que l’on « laisse aux enfants » n’est pas anodine. La motivation de transmettre un héritage est déterminante pour bien des « sans-terre » (particulièrement les femmes possédant une parcelle à leur nom) et justifie à leurs yeux le « sacrifice » que représente l’engagement dans un asentamiento pionnier mieux que les bénéfices économiques très hypothétiques à tirer de l’exploitation d’une parcelle éloignée. Tant que la communauté leur garantit le caractère transmissible de cette parcelle conçue comme une source de sécurité et une épargne, ces personnes sont d’abord avec l’interdiction de la vente lucrative de la terre dans le cadre d’une propriété collective.

Chargée de conserver « toutes les ressources intactes » en limitant le défrichement et de garantir l’accès de ses membres et de leurs descendants à la terre en la rendant inaliénable, l’instance communale institue ce principe de « protection sociale » que Polanyi opposait à celui de « libéralisme économique ». Elle permet, de ce point de vue, à ses membres de se donner les moyens institutionnels de restaurer à Tierra Prometida un « habitat naturel » qui avait été anéanti et des « relations humaines » qui avaient été brisées à La Enconada.

Restaurer la forêt, protéger la société

J’ai en quelque sorte adopté dans cet article le point de vue du ‘‘camp écologiste’’ de Tierra Prometida tel que j’ai pu le comprendre durant mon enquête dans l’asentamiento. Il ne s’agit certes pas de prendre pour argent comptant le discours des « mouvementistes » qui représentaient ce camp-là dans les débats internes à la communauté. Mais ce point de vue me semble heuristique en ce qu’il est ancré dans l’expérience d’une crise sociale et écologique bouleversant et clivant les sociétés historiquement « transformées » par l’institutionnalisation des marchés de la terre (« l’habitat naturel ») et du travail (les « relations humaines »). La destruction du milieu forestier par la libération des forces productives et la dépossession du paysan de ses moyens de production via le marché de la terre relèvent d’un processus « d’accumulation primitive du capital » toujours renouvelé sur de nouvelles frontières (Chatterjee 2008). Une sorte de machine infernale que des collectifs tentent d’enrayer de-ci de-là en menant, comme les « sans-terre » de Tierra Prometida, des expérimentations politiques dont l’enquête ethnographique est à même de rendre compte. Instruits par l’expérience de la déforestation, du dérèglement climatique et de l’aliénation socio-économique à La Enconada, ces derniers en sont venus à projeter à Tierra Prometida un système inverse où le maintien de la forêt et celui de l’égalité entre membres de la communauté iraient de pair. Dans le modèle redistributif qu’ils imaginent, la terre peut changer de mains (les uns quittant la communauté et des nouveaux les remplaçant) mais elle ne se vend pas ni ne s’accumule, et la forêt ne se défriche qu’au compte-goutte afin que chacun accède à son comptant de pluie et d’humus.

add_to_photos Notes

[1Les termes asentamiento (« établissement humain »), communauté et syndicat agraire se réfèrent ici à la même réalité. Un « syndicat agraire » est une organisation à la fois communale et syndicale par le biais de laquelle les « paysans sans terre ou en possédant insuffisamment », selon les termes de la loi de réforme agraire décrétée en 1953, occupent matériellement et reçoivent légalement des « petites propriétés » à partir de la redistribution de latifundia ou de la distribution de terres publiques. Sur le fonctionnement des syndicats agraires en contexte de front pionnier, voir Siron (2018).

[2Abusivement considérée comme « vide », la forêt « vierge » du Choré était habitée par le peuple Yuqui, non encore « contacté » par les agents de la ‘‘société nationale’’. Progressivement refoulés par les paysans qui colonisaient la forêt, les groupes Yuquis furent regroupés dans la communauté de Bia Recuate, à l’Ouest de la rivière Ichilo. Voir Jabin (2016).

[3On appelle « colons » les paysans non ‘‘autochtones’’ installés sur des terres publiques qui leur sont allouées au titre de la loi de réforme agraire en « petites propriétés » allant jusqu’à 50 hectares dans les plaines forestières dites « subtropicales ».

[4L’espagnol bolivien distingue le chaqueo (défrichement manuel par abattis-brûlis) du desmonte (défrichement mécanisé couplé au dessouchage des parcelles habilitées). Dans cet article, je traduirai chaqueo par « défrichement » et desmonte par « déboisement » ou « déforestation ». L’essart ouvert par abattis-brûlis (chaco) est en effet destiné à se reboiser au fil d’une longue période de jachère. Si celle-ci est suffisamment longue pour que la « forêt haute » se reconstitue à peu près (soit une vingtaine d’années), on peut parler d’un « système agraire forestier » (Mazoyer et Roudart 2002 ). La mise en culture de la forêt est ici temporaire et semi-itinérante. Le « champ » déboisé (campo) est quant à lui habilité à l’agriculture permanente, la jachère tendant à disparaître au profit d’une rotation de cultures ou de pâturages.

[5Lima et al. (2014 : 267) montrent à propos de trois bassins du sud de l’Amazonie, dont celui du Madeira auquel appartient le Yapacaní (via le Guapay et le Mamoré), au bord duquel se trouve La Enconada, que la déforestation locale accroît le ruissellement de l’eau en surface en réduisant l’évapotranspiration. Or celle-ci joue un rôle majeur dans la formation de nuages au-dessus des forêts. L’échelle de leur étude ne permet pas cependant de dégager un effet direct et quantifiable de la déforestation locale sur les précipitations locales. Wright et al. (2017) précisent dans le sens d’un tel effet le rôle de la transpiration des arbres. Celle-ci agit selon eux comme une pompe à humidité superficielle (« a shallow convection moisture pump ») qui, interagissant avec l’atmosphère, favorise le déclenchement de la saison des pluies. A contrario, la déforestation retarde la saison des pluies et allonge la saison sèche. Nobre (2014 : 14-15) insiste lui aussi sur le rôle actif joué par la forêt dans le déclenchement des précipitations au-dessus des régions forestières (alors qu’il pleut peu au-dessus des océans) à travers l’émission de certains « composants organiques volatiles biogéniques ».

[6Un décret de 1966 fit de la forêt du Choré une « Réserve forestière de production permanente » couvrant 800 000 hectares (accrus à un million d’hectares en 1991). Toute installation agricole y est depuis interdite mais cela n’empêcha pas sa colonisation continue par des paysans qui bataillèrent contre l’Etat et les exploitants forestiers pour faire reconnaître leurs droits agraires. En 1969, les pionniers de La Enconada obtinrent un premier recul vers le Nord de la limite de la Réserve. En l’an 2000, les syndicats agraires établis par la suite dans la Réserve, qui regroupaient plusieurs milliers de personnes, obtinrent la requalification des quelques 200 000 hectares occupés comme terres à vocation agropastorale.

[7Cet article s’appuie sur une enquête ethnographique menée de 2005 à 2007 à La Enconada et à Tierra Prometida et auprès des militants du Mouvement des Paysans Sans-Terre de Bolivie (MST-B), qui donna lieu à une thèse de doctorat en anthropologie sociale intitulée « Terre Promise, terre due. L’expérience de la réforme agraire dans une communauté de paysans sans terre de Bolivie » soutenue en 2016 à l’EHESS, Marseille.

[8Sauf indication contraire, tous les entretiens dont sont tirés les extraits cités ont été menés à La Enconada en juillet et août 2007, soit à la fin de mon enquête de terrain, après deux années ‘‘d’imprégnation’’.

[9Tous les aspects du « boom du soja » en Bolivie, dans la continuité de la colonisation par cette culture des territoires voisins du Brésil, de l’Argentine et du Paraguay, sont développées par Urioste (2001), Hecht (2005), Perez Luna (2007) et Medeiros (2008).

[10Il existe des alternatives connues localement à la grande culture du soja, comme la plantation de mandariniers et de citronniers, l’habilitation de parcelles inondables pour cultiver le riz de façon intensive ou encore l’élevage de poulets en batterie ou la culture de petits fruits. De même que la culture pionnière du riz sur brûlis, ces options d’intensification furent introduites à Ichilo par les colons japonais de San Juan de Yapacaní (Kashiwazaki (1983), auprès desquels s’employèrent de nombreux Enconadeños (dont les fondateurs de La Enconada). Leur développement dans la colonie japonaise (installée en 1955 au bord de la rivière Yapacaní dans le cadre d’un accord entre gouvernements japonais et bolivien) a reposé sur une structure coopérativiste solide et un soutien continu de la Coopération japonaise. Faute de bénéficier des mêmes moyens, les paysans boliviens n’ont adopté que la culture des agrumes et testé des alternatives d’intensification productive plus traditionnelles tel que le petit élevage porcin.

[11De la parcelle de 40 hectares qu’il reçut de l’État en tant que « dotation agraire » grâce à la médiation de son syndicat, Mamerto ne possède plus que ces 5 hectares sur lesquels il sème manuellement riz, maïs, haricot, banane et arachide. Il est l’un des rares Enconadeños à pratiquer une agriculture diversifiée et à estimer qu’il s’en sort sur une si petite surface. Dans les années 1970, Mamerto avait vendu, pour faire soigner sa femme, la moitié de sa parcelle à Celestino Rojas, alors nouveau venu et qui deviendrait dans les années 1990 le plus gros exploitant du village (derrière un entrepreneur japonais). Il en perdit une autre partie à cause d’une déviation de la rivière Yapacanicito, au bord de laquelle le village est installé.

[12Le nom de Tierra Prometida ne tient pas d’une vocation religieuse mais d’une tradition des communautés pionnières de piocher leurs noms dans un imaginaire religieux ou bucolique : Paradis, Nouvel Horizon, Trésor, Bois Jolis, etc. Cette tradition, mieux que celle consistant à nommer les communautés par leur date de fondation (1er Août, 20 Novembre, etc.), indique la dimension utopique du projet pionnier.

[13Dans cette partie méridionale de l’Amazonie, les paysans abattent les arbres en juin-juillet, durant la saison sèche et les brûlent juste avant la saison des pluies, en octobre-novembre, pour semer le riz dans la foulée et le récolter en mars-avril, au début de la saison sèche.

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Pour citer cet article :

Thomas Siron, 2019. « « Nous avons tué la forêt » : l’expérience de la déforestation dans un village pionnier de l’Amazonie bolivienne ». ethnographiques.org, Numéro 38 - décembre 2019
Approche anthropologique des changements climatiques et météorologiques [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2019/Siron - consulté le 25.04.2024)
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