Enquêter sur l’hospitalité en milieu urbain en déplaçant les frontières disciplinaires
Depuis 2018 [1], l’association LALCA (Laboratoire d’Architectes, de Lutteurs, de Chercheurs et d’Artistes) développe une expérience de recherche-création [2] sur les hospitalités urbaines, dont l’un des axes thématiques, l’accès à l’eau, l’a amenée à s’intéresser au dernier établissement public des bains-douches encore ouvert à Lyon. Ce service municipal, qui peut paraître obsolète dans une société où la salle de bain privée est devenue la norme, ne voit pourtant pas sa fréquentation baisser (Lévy-Vroelant et Bony 2019). Les nouvelles précarités liées à la migration et au travail, telles que les difficultés d’accès à un logement conventionnel, lui donnent une nouvelle actualité. Les bains-douches questionnent de fait la politique de l’hospitalité et le contrôle social exercé sur les corps, les stratégies d’accès à l’eau ainsi qu’à l’intimité [3]. En s’emparant de ce sujet, le LALCA a voulu concilier un engagement citoyen, qui constitue l’un de ses fondements, avec une recherche qui mobilise autant les outils des sciences sociales que la pratique artistique.
C’est avant tout de cette rencontre entre recherche anthropologique et création artistique dans des situations concrètes d’enquête, que nous cherchons à rendre compte dans cet article. Comment les questionnements éthiques, politiques et scientifiques autour de l’hygiène, du soin du corps, de la nudité, des normes sociales de propreté, mais aussi du travail quotidien d’entretien et de nettoyage nous amènent-ils à imaginer et à développer de nouvelles formes de recherche et d’intervention ? Comment la réalité du terrain, en particulier la configuration spatiale des bains-douches, l’« intimité sous surveillance » (Laé et Proth 2002) qui la caractérise, ou les relations rendues asymétriques par la différence de statut social, économique et résidentiel, nous a-t-elle contraints à faire un pas de côté disciplinaire ? Dans cette optique, les bains-douches doivent être considérés comme un lieu d’expérimentation, un laboratoire de recherche collective qui nous amène autant du côté de l’ « écologie du sensible » (Ingold 2013) et de la façon dont les univers perceptifs s’échangent et se transmettent, que des représentations du « sale boulot » (Hughes 1996) [4].
Nous partons du postulat que les démarches scientifique et artistique peuvent converger et s’enrichir mutuellement (Müller et al. 2017 ; Bénéï 2019). La recherche peut être modifiée par l’art, mais loin de s’en trouver altérée, elle y puise des ressources pour répondre à des situations d’enquête problématiques et accéder à de nouvelles connaissances. Comme l’exprime encore autrement l’anthropologue Tim Ingold :
L’art (…) est une manière de redonner vie aux sens et de permettre au savoir de se développer, depuis l’intérieur de l’être, dans le déploiement de la vie. Sans cette reconnaissance et sans la connaissance qui en découle, il ne pourrait y avoir de science. (Ingold 2013 : 14).
Tout en restant le produit d’une organisation sociale qui implique des formations spécifiques, des pairs, un public plus ou moins spécialisé, le chercheur comme l’artiste (ou le chercheur-artiste) « parle[nt] de la société » (Becker 2009), c’est à dire qu’ils représentent et traduisent un aspect de la vie sociale, sans que l’un ait le monopole sur l’autre, que ce soit en termes de connaissance sur le sujet ou de protocole.
Des parcours singuliers, une rencontre et un objet commun qui émerge
Quel est le socle commun aux membres du LALCA ? L’association a été créée à Lyon en 2008 autour d’une volonté partagée : partir à l’écoute de celles et ceux qui fabriquent des villes informelles ou « invisibles » (Calvino 2002), non prises en considération par les politiques à l’œuvre. Le postulat de départ tient dans le fait que ces villes immiscées entre les mailles serrées, figées et administrées du cadastre possèdent des urbanités et des modes d’habiter singuliers, faits notamment de refuges urbains ignorés ou dévalorisés dans la ville officielle. Choisir de parler de ville (et non de regroupements, de sans-abris ou de migrants, par exemple) permet d’accentuer la « reconnaissance » (Honneth 2000) de ces réalités sociales et urbaines. Le LALCA vise à rendre audible, à faire entendre mais aussi comprendre, sans susciter un rejet ou une surinterprétation, cette ville d’« à-côté » dont les bains-douches constituent une porte d’entrée. Dans cette optique, la création audio est centrale dans la démarche du LALCA et se traduit par un travail d’écoute active, d’enregistrement et de montage des sons (voix et ambiances).
Un collectif à géométrie variable
Le LALCA garde une certaine souplesse dans sa forme, se recomposant au gré des projets portés par un « noyau dur » de trois salariés. De même que l’ensemble du collectif, ceux-ci ont des parcours personnels et professionnels variés et revêtent différentes « casquettes » en fonction du moment et des projets en cours. Corentine Baudrand navigue entre la création artistique, la médiation, l’urbanisme et le développement culturel. Ses expériences artistiques dans l’espace public l’amènent à interroger la place de l’événementiel et de l’art dans le développement urbain. Il s’agit pour elle de travailler sur le sens politique de l’espace public pour créer du « commun » (Dardot et Laval 2014). Julie Bernard, architecturologue et plasticienne, questionne la fabrique urbaine à travers le prisme de l’exclusion. Elle met en pratique ses réflexions théoriques dans des interventions urbaines qui font appel à différents médias (installation visuelle, création sonore et vidéo, cartographie) et qui interrogent la manière dont les personnes en temps précaire vivent et se représentent la ville. Florent Ottello, artiste chorégraphique et diplômé en architecture, s’intéresse à la texture de l’espace vécu (Lefebvre 2000). Il développe une recherche sur les manières de représenter cet espace à travers ses temporalités et remet en question la définition de l’intimité dans l’espace public par des projets explorant les multiples relations entre les personnes qui habitent un lieu donné. Marina Chauliac, anthropologue au CNRS et au ministère de la Culture, a rejoint le trio initiateur en 2018. Son entrée au sein du LALCA représente l’aboutissement d’une série de déplacements, tant dans son parcours professionnel et ses objets de recherche (de la mémoire de la RDA au patrimoine des migrations) que dans sa posture scientifique. Si sa rencontre avec le LALCA s’est faite à partir d’une proposition de patrimonialisation des usages des bains-douches [5], c’est moins cette thématique que le plaisir de renouveler ses pratiques professionnelles et de faire du terrain de l’ethnologue une sorte de « jeu », ou d’exercice de style (Müller 2018), qui l’a amenée à s’engager dans le collectif.
S’ajoutent à ce quatuor des personnes tout autant intéressées par le discours porté que par les méthodes déployées, tel le compositeur et réalisateur sonore Marc-Antoine Granier, pour qui la musique n’est pas faite que de notes mais de sons et de bruits en tous genres qui, une fois assemblés, deviennent compositions et paysages chimériques, créant d’« autres » urbanités. De 2020 à 2021, Marie Maindiaux, architecte fraîchement diplômée, rejoint l’équipe. Elle s’attache à explorer les systèmes de relégation présents dans nos sociétés contemporaines et comment rendre les villes plus inclusives.
Les ressources dont le collectif dispose proviennent essentiellement de fonds publics (ministère de la Culture, Région, Ville et Métropole de Lyon, Institut Convergences Migrations, École urbaine de Lyon) en réponse à des appels à projets. Elles permettent de financer les salaires, mais aussi le matériel, les journées d’étude et les workshops nécessaires à la réalisation du projet. Le LALCA s’est d’ailleurs associé au laboratoire EVS-Laure pour répondre à un appel à projet « architecture et paysage » de la Caisse des dépôts et des consignations. C’est à ce titre que Cécile Regnault, architecte et enseignante, a, elle aussi, rejoint l’équipe pendant un temps. Enfin le LALCA est aussi partie prenante dans un programme de recherche porté par l’Institut Convergences Migrations coordonné par Marina Chauliac. Le terrain élargi aux bains-douches d’autres villes de la région inclut une recherche historique approfondie et des monographies d’établissements ainsi qu’une enquête sur les différents acteurs politiques et associatifs des bains-douches [6]
Une posture engagée
L’ensemble des membres du LALCA partage un engagement qui a davantage trait à une certaine conception de la recherche et de la création, alliée à une volonté d’action dans l’espace public, qu’à un militantisme politique. Ceci n’a d’ailleurs pas été forcément établi en amont de la recherche-création, mais souvent formulé au cours de sa réalisation, en tant que travail d’explicitation et de réaffirmation d’objectifs communs.
En premier chef, et en écho à notre introduction, la volonté de décloisonner la recherche signifie pour nous que celle-ci ne trouve pas sa légitimité dans le seul champ académique. C’est en testant, en expérimentant des méthodes et des techniques d’enquêtes mêlant sciences sociales, architecture et art que notre démarche se construit. À l’instar des propositions d’Erin Manning et de Brian Massumi, il s’agit de dépasser une collaboration dans laquelle les disciplines « continueraient chacune à travailler dans leur coin institutionnel » (Manning et Massumi 2019 : 35), les artistes appliquant « les résultats pratiques des disciplines de la recherche » et les chercheurs expliquant et « appliquant leurs cadres conceptuels à l’art ou à la technologie » (Manning et Massumi 2019 : 38). Il s’agit de penser simultanément recueil de données et restitution en intégrant, dès le moment de l’enquête, une dimension de création ou de co-création. Les processus de recherche-intervention sur le terrain ne sont pas moins importants ici que la création d’une œuvre finale, dans le sens où ils ambitionnent de faire « bouger » les regards et les pratiques de tous les acteurs.
En second lieu, nous proposons d’adopter une posture non extérieure au terrain de recherche et aux enjeux sociétaux, en considérant le chercheur comme « un des acteurs du jeu social dont il s’est donné la tâche de rendre compte » (Althabe 1990). Nous suivons le modèle d’une « anthropologie impliquée » (anthropological advocacy) où l’anthropologue est amené à sortir d’une posture d’expertise ou d’une posture critique pour penser et créer les conditions de co-production de savoir (Albert 1995 ; Tornatore 2017).
Notre intervention est ensuite conditionnée par la prise en compte de la multiplicité des usages et des représentations de la ville. Nous sommes particulièrement attentifs aux personnes que les décisionnaires de la fabrique urbaine écoutent le moins. Dès lors, l’un de nos principes d’action repose sur la constitution d’un cadre permettant de recueillir la parole, et corollairement les co-expertises urbaines des personnes qui n’ont pas de logement conventionnel ou n’ont pas accès à un espace privé, notamment pour l’hygiène quotidienne, qu’il s’agisse de personnes qui dorment dans la rue, dans un squat, dans leur voiture, sous une tente, ou qui ne peuvent pas utiliser leur salle-de-bain, en raison de problèmes d’accès ou de difficultés financières.
À l’image du Nautilus de Jules Verne, les projets du LALCA sont conçus comme autant de sous-marins urbains, qui seraient tout à la fois des laboratoires de recherche, des ateliers mobiles de création, des lieux d’actions et d’expositions et, en définitive, une alternative à la fabrique politique et économique de la ville aujourd’hui. Sur la base des recherches menées, il s’agit non seulement de faire des interventions dans l’espace public, mais aussi de provoquer des rencontres et des échanges avec les représentants des pouvoirs publics, pour tenter in-fine de penser autrement la ville et, en particulier, d’en préserver ou réinventer les lieux-refuges en réponse à diverses formes de précarité. Comme le rappelle Véronique Bénéï : « [nos] implications ne sont pas seulement intellectuelles et théoriques », mais « elles sont aussi éthiques, pragmatiques et politiques, en ce qu’elles nous invitent à considérer nos responsabilités, individuelles et collectives, d’artistes et/ou de chercheur-e-s » (Bénéï 2019 : 14). Le LALCA ambitionne, à travers cette expérience, de relier la recherche avec une démarche interventionniste qui, non seulement vise à définir les pratiques et les usages des bains-douches en vue d’une préservation de ce qui en fait actuellement sa valeur pour les agents et les usagers, mais aussi qui amène un questionnement politique sur l’hospitalité et le bien-être dans la ville.
Un lieu de résidence au long cours : les bains-douches
Le laboratoire LALCA aborde la question de l’hospitalité à travers sa dimension spatiale, dans le sens où « l’hospitalité a des lieux, elle ne reste pas simplement en intention, projetée » (Schérer 2019 : 48), en se donnant les moyens d’agir sur et dans ces espaces. Quand on a une « vie nue » (Agamben 1997), autrement dit, une vie où l’on n’a plus que son corps pour exister, ces lieux sont autant de réponses aux besoins primaires (manger, dormir, se laver) et à ceux, tout aussi importants, qui relèvent de la relation sociale (discuter, s’informer, se détendre, avoir des espaces à soi, des espaces d’intimité, etc.). À travers la notion d’ « habiter éclaté » (LALCA à paraître), le LALCA entend proposer une nouvelle vision de l’habiter : un habiter à l’échelle d’une ville, dont la morphologie se définit par des déplacements constants dans l’espace public entre différents lieux qui permettent de subvenir à ces besoins.
Poursuivant ses investigations au sein de l’agglomération lyonnaise, le laboratoire s’est arrêté dans le dernier établissement municipal de bains-douches encore ouvert de la métropole qui répond à l’un des besoins humains fondamentaux : se laver. Il s’agit des bains-douches Delessert, situés dans le 7ème arrondissement de Lyon. Gérés par les services sociaux de la ville, ils offrent un espace de soin du corps, d’hygiène, et donc de lien social. Dans le projet initial au début des années 1930, le bâtiment devait desservir la cité-jardin de Gerland, mais il n’a vu le jour qu’en 1967, et son lieu de construction a été déplacé dans une rue annexe à la cité. Rénové en 2016, il comporte vingt-trois cabines de douche individuelles (dont l’une pour les employés) et accueille sans condition [7], gratuitement et sans rendez-vous, environ 200 personnes par jour, cinq jours sur sept.
En référence aux résidences artistiques, aujourd’hui devenues l’une des modalités les plus répandues de la création in situ [8], nous parlons ici de « résidence au long cours », sous la forme à la fois d’une présence régulière du laboratoire LALCA dans les bains-douches, via des journées d’exploration tout au long de l’année, et ponctuelle, via des installations d’une semaine environ, que nous appelons « Campements sonores » (LALCA 2021). Dans le sens où nous ne répondons à aucune commande publique, notre résidence conserve une autonomie dans la démarche et dans le rapport à l’institution des bains-douches.
Deux éléments ont été déterminants dans le choix de ce lieu pour développer une recherche-création. Le premier est lié à la manière dont, en tant que repère urbain, les bains douches offrent un ancrage territorial de l’habiter par les habitudes. La majorité des usagers sont des hommes seuls, ayant eu une expérience migratoire. Le plus souvent sans logement conventionnel, ils trouvent dans les bains-douches un espace sécurisé où ils peuvent profiter d’un moment d’intimité et créer des rituels du quotidien (choix d’une cabine en particulier, échanges matinaux avec un agent, coiffage, maquillage…), un moment qui contraste avec leurs conditions de vie, faites de mobilités forcées. Au-delà de la nécessité de se laver, de nombreux usagers ayant retrouvé un logement conventionnel reviennent aux bains-douches car ils y conservent de nombreuses attaches. Comme l’exprime très bien, avec ses propres mots, une des femmes interviewée : « je me sens pas chez moi mais je me sens pas vraiment ailleurs non plus, je me sens dans un endroit familier » (Muriel, entretien du 22 mars 2019, Lalca, audioblog d’Arte Radio).
L’accueil qui a été réservé au projet par la directrice et les agents des bains-douches a été l’autre élément déterminant dans le choix de ce lieu. La responsable nous a ouvert les portes de l’établissement avec bienveillance. Elle a été disponible pour participer aux actions, répondre à nos questions, et nous communiquer les données sur la population et le bâtiment. Si les agents ont tous accepté la présence de l’équipe du LALCA sur leur lieu de travail, nous faisant part de leur plaisir à nous voir revenir au fil des mois, ils ont pris part à la « résidence » selon des modalités propres à chacun : certains se sont investis pleinement dans le projet, d’autres sont restés plus en retrait. L’une des employés a par exemple mis en place (sur son temps de travail) un stand de nourriture pour les Journées européennes du patrimoine ; et un autre agent a participé à un atelier de théâtre proposé par le LALCA. Une démarche de co-construction a également été imaginée via des ateliers de production de savons. Une autre s’est particulièrement investie dans le projet, y voyant une ressource pour sa famille :
J’ai mon neveu qui fait du savon en Côte d’Ivoire, mais les ingrédients, je les connaissais pas. Donc quand on m’a parlé de ça, ça m’a intéressée [...], j’ai voulu le faire, et j’ai vu qu’il y avait du savon au lait, au miel, huile d’olive, et tout ça, vraiment ça m’a intéressée. [9]
Entrelacs et aléas du terrain
Afin de présenter notre démarche de recherche-création, nous proposons de revenir sur les modalités de notre présence sur le terrain ainsi que sur les questions éthiques et méthodologiques posées par l’enquête dans un lieu de l’intime.
Le Campement sonore : rendre visible les usages et l’hospitalité du lieu
Singulier dans leur esthétique, les Campements sonores [10] se déroulent sur plusieurs jours d’affilée et incluent des dispositifs participatifs. Ils consistent tout d’abord en l’installation d’une fresque sur un mur extérieur jouxtant les bains-douches. Pour chaque Campement la fresque est repensée pour présenter de manière poétique un axe thématique spécifique du projet de recherche et donne à entendre par le biais de QR codes des portraits sonores composés à partir d’entretiens réalisés lors de précédents Campements. Le dispositif inclut également la mise en place d’un « salon urbain » (avec sièges, tables, et boissons) qui permet aux participants d’entamer des discussions, ainsi qu’une caravane offrant un espace pour mener et enregistrer des entretiens semi-directifs. Enfin, une « cabine sonore » diffuse des créations audio, combinant voix et ambiances sonores recueillies aux bains-douches tout au long de ces temps d’enquête. Construite en bois, elle comporte un siège qui permet aussi de se reposer à l’abri des regards. La forme des Campements n’est pas immuable et elle est redéfinie pour chacun d’entre eux. Le dispositif est avant tout un outil évolutif, adaptable au contexte institutionnel et spatial (parking permettant d’installer une caravane, mur nu pour coller une fresque, etc.), mais aussi perméable aux propositions des personnes présentes sur les lieux.
Les Campements sonores visent autant à favoriser les rencontres et la prise de parole des usagers et des agents, qu’à donner à voir – et à entendre – les bains-douches en tant qu’espace de sociabilité. Le salon urbain offre un moment accueil en plein air devant le bâtiment et met en évidence le fait que ce dernier n’a pas été pensé comme un lieu d’hospitalité. En effet, le bâtiment a été conçu dans un objectif de salubrité publique, dans la lignée de la doctrine hygiéniste qui a prévalu jusqu’au milieu du XXe siècle (Vigarello 1985 : 217-229), et dans une vision occidentale privatisant les pratiques corporelles de propreté. Avec un hall d’entrée réduit, des cabines individuelles, un espace commun qui sert à poser ses vêtements autant qu’à prolonger sa toilette au lavabo, l’établissement ne comporte aucun aménagement intérieur ou extérieur destiné aux échanges.
Les Campements sonores permettent de matérialiser certains usages informels du lieu. Si l’intérieur du bâtiment est de fait peu propice à la conversation, les murets extérieurs, de même que les escaliers du parvis sont investis aussi bien par les employés que par le public pour s’asseoir, voire s’allonger, manger, boire, faire une pause cigarette, et bien entendu parler. Les bains-douches sont situés dans une impasse qui a longtemps permis à une famille albanaise d’y installer un campement de fortune. Délogée suite à une intervention de la police municipale, la famille continue à se donner rendez-vous devant les bains-douches. Elle réinvestit dès lors épisodiquement l’impasse en installant des couvertures, en balayant le trottoir et en étendant son linge sur les clôtures du jardin partagé qui fait face à l’établissement. Ce bout de rue est devenu un lieu à soi, créant un sentiment d’intime, une expérience de familiarité qui témoigne avant tout d’un lien (Laplantine 2018). Le salon urbain du LALCA permet de prolonger un usage existant tout en rendant plus visible ce mode d’habiter (et ce manque d’espace privé). De même la caravane du laboratoire fait référence à une modalité de logement et une itinérance partagée par nombre d’usagers des bains-douches.
Les Campements servent également de lieu de prise de contact qui favorise les récits des usagers comme des employés. Les entretiens sont montés en podcast pour devenir soit des « Récits de vi(ll)es », des narrations qui retracent des parcours dans la ville autant que des parcours « dans la vie » (voir « Mamadou – Se laver pour le lien social », Lalca, audioblog d’Arte Radio, entretien du 11 avril 2018), soit des créations construites autour d’une thématique particulière : les « Polyphonies citadines ».
Ces œuvres, Polyphonies citadines et Récits de vi(ll)es, sont restituées lors des Campements sonores mais aussi sous d’autres formes dans l’espace public et peuvent être consultées sur le site du LALCA, ainsi que sur l’audioblog d’Arteradio. Elles sont également utilisées comme outil de médiation et d’audio-élicitation [11] auprès de nos interlocuteurs sur le terrain, ainsi que pour provoquer une écoute et une réflexion collective dans le cadre des tables-rondes, des journées d’étude ou des workshops que nous avons organisés dans le cadre de ce projet.
Notons que l’on retrouve dans les paroles et les pratiques des agents des bains-douches des formes d’hospitalité que l’institution, dans ses visées prescriptrices et normatives, ne valorise pas, voire ne reconnaît pas. En effet, les agents des bains-douches sont amenés à développer des compétences relationnelles basées sur leurs propres expériences migratoires [12], associées le plus souvent à une précarité professionnelle. En mobilisant des savoir-faire, des connaissances, notamment linguistiques, ils entretiennent le lieu mais aussi le lien. L’interdépendance entre l’aménagement spatial et la relation humaine est ainsi soulignée par l’une des employés qui compare son travail actuel avec celui qu’elle a occupé au sein d’un établissement de bains-douches désormais fermé :
On n’a pas le temps, ce n’est pas la même ambiance, c’est pas le... on ne peut pas discuter, ce n’est pas intime […] et après tu avais notre bureau à nous, qui était bien douillet aussi, qui était de là… et puis après tu avais le grand, immense [hall] des douches avec les portes en bois, tu sais. (extrait de Récit de vi(ll)e - Marie-Ange - L’amour de Flesselles, entretien réalisé le 21 mai 2019).
Enquête sur le sensible ou enquête sensible ? De la complexité de l’accès à l’intime
La recherche-création menée par le LALCA ne s’est pas arrêtée aux portes des bains-douches. Une dimension explorée dans le cadre de l’enquête porte sur l’acte de se laver et plus généralement sur l’hygiène intime, avec son cortège de sensations : chaleur, humidité, odeurs de produits lavants, bruits d’eau… Elle nous renvoie ainsi à l’expérience sensorielle [13] et corollairement à la captation d’ambiances sonores (« parler d’ambiance, c’est parler du corps », nous rappelle François Laplantine 2018 : 49). Toutefois, si l’acte de se laver, les représentations du propre et du sale, le bien-être ou le dégoût, sont des sujets évidents au regard du terrain d’enquête, il est apparu que ces thématiques occupaient peu de place dans les entretiens, à la différence des parcours migratoires ou des modes d’habiter par exemple. Les « techniques du corps » (Mauss 1977) en question sont rarement évoquées et encore moins directement observables. Les motifs avancés pour se rendre aux bains-douches sont elliptiques : « se laver », « être propre »… Nous peinons à recueillir des propos plus développés sur le sujet. Comment expliquer et surmonter une telle situation ? Dans un endroit où la frontière entre le privé et le public devient floue, où la liberté de disposer de soi est remise en cause par le regard et le contrôle d’autrui, c’est l’accès au terrain qui doit être interrogé.
Les bains-douches questionnent la rupture entre le « dedans » et le « dehors » et les effets de seuil, entre privé et public, entre la rue et un abri, entre l’exposition de soi aux regards, à la chaleur ou au froid, et le regard de soi sur son corps nu. C’est aussi un lieu de sensorialité éprouvante du fait de la confrontation avec la saleté, les déchets, et plus généralement les humeurs du corps, où l’occupation des lieux consiste aussi en des stratégies de préservation de son intimité, de séparation entre le « sale » et le « propre » (Douglas 2001 ; Vigarello 1985). Questionner les usagers sur leurs pratiques de l’hygiène nous renvoie à nos propres habitudes de propreté. Lors d’une discussion au retour d’un temps d’enquête, nous avons abordé la manière dont chacun d’entre nous organisait sa toilette : usage du gant de toilette, des cotons-tiges, inspection du corps dans le miroir, etc. Cet échange mettait non seulement l’accent sur ce qui n’était pas fourni aux bains-douches (serviettes hygiéniques, brosses à dents, shampooing, cotons-tiges, etc.), mais surtout il nous faisait prendre conscience de la diversité de nos propres pratiques et de l’incongruité de ce type de conversation dans les échanges quotidiens. Notons que nous avons également pris des douches dans l’établissement dans l’objectif de comprendre « par notre propre corps » ce qui se « trame » derrière les portes des cabines de douche. Cette expérience a confirmé notre difficulté à décrire l’acte de se laver ainsi que la diversité dans le vécu et l’(ap)préhension de ce moment.
Le film qui suit, réalisé en amont de la recherche-création par Florent Ottello dans le cadre de son diplôme d’architecte, rend compte à la fois de l’incongruité du banal, de la frontière entre ce qui relève de l’intime et du social, de ce qui est montré et caché des actes quotidiens (se savonner le corps, se raser…).
Les limites d’une approche qui s’appuierait uniquement sur l’observation participante et sur la conduction d’entretiens sont ressorties : comment décrire ce qui se passe à l’intérieur d’une douche (ou le « faire décrire ») ? Comment amener les usagers et le personnel à partager la dimension sensible (et privée) de leur expérience ? Nous avons demandé aux usagers de nous parler de pratiques qui relèvent au moins pour une part de ce qui est tu ou « caché », mais qui sont aussi rarement formulées, ceci d’autant plus dans un espace public.
Enfin, lorsque la discussion a lieu dans l’espace commun des lavabos, la dissymétrie de la situation entre des enquêteurs (en majorité des femmes) entièrement vêtus et des usagers (en majorité des hommes) en partie habillés ou déshabillés [14] ne peut être ignorée. Nous nous sommes ainsi heurtés à un autre obstacle que nous n’avions pas anticipé, à savoir nos propres difficultés, voire nos réticences à parler avec nos interlocuteurs de leurs pratiques corporelles ou de leur ressenti sous la douche. La crainte de manquer de respect envers des personnes dont l’intimité était susceptible d’être mise à mal, ou qui auraient pu prendre notre démarche comme une intrusion ou comme une forme de stigmatisation, ou encore le sentiment d’enfreindre certains codes sociaux liés à des formes de distance psychique autant que physique nous ont conduits à éviter le sujet, à construire des formes de « neutralité affective temporaire » (Devereux 1980 : 151), autant pour ne pas gêner les interlocuteurs que pour ne pas nous gêner nous-mêmes.
Interroger les personnes sur leur hygiène, de même que tenter de partager une expérience sensible nous amène à prendre conscience de nos propres blocages, dégoûts et appréhensions. Le recours à d’autres modalités d’enquête intégrant la dimension sensorielle en lien avec des dispositifs créatifs propres au LALCA nous a en somme permis d’accéder à une intimité difficile à dévoiler.
Explorer l’espace acoustique des bains-douches s’avère indispensable pour remédier aux limites d’une approche visuelle des lieux lorsque le fait de voir et d’être vu est impossible, et pour accéder à ce qui ne se dit ou ne se raconte pas. À titre d’exemple d’exploration heuristique, l’un d’entre nous est resté une heure avec un enregistreur dans une cabine de douche, une autre s’est placée dans l’espace commun entre les douches et a capté des sons émanant des cabines occupées. Le « paysage sonore » (soundscape) (Schafer 1979) est ici composé d’autant d’indices phoniques que l’écoulement de l’eau, les chants, les crachats, les échanges entre usagers d’une douche à l’autre, la radio, les boutons poussoirs, mais aussi la chasse d’eau, les portes qui claquent, les clefs, les conversations des agents, le jet de nettoyage, etc. Ces enregistrements nous donnent accès à des matériaux de recherche particulièrement riches, en particulier des indicateurs sur les pratiques « sous la douche » et sur la texture sonore du lieu.
Outil méthodologique et mnémonique (Boudreault-Fournier 2019), l’écoute attentive des ambiances sonores du lieu nous donne également accès à d’autres pistes de recherche. En livrant des pans entiers de « paysages sonores », et en révélant par l’écoute des détails qui peuvent échapper à d’autres modes d’enquête, on accède à des imaginaires pluriels et parfois déroutants, par exemple, le sentiment d’être dans un espace froid peu convivial évoquant l’univers carcéral ou encore la multiplication des formules de politesse à la sortie de l’établissement qui témoignent incontestablement d’un mieux-être. Se centrer sur l’auditif, nous apporte également des informations sur le manque de soin apporté à l’environnement sonore des bains-douches en contraste avec d’autres lieux d’ « intimité publique » d’un genre comparable, tels que les hammams dont l’architecture (voûtes) est conçue de façon à favoriser la discrétion et à atténuer les éclats de voix. Ceci nous renseigne sur une sensorialité qui peut être éprouvante ou agréable ainsi que sur les stratégies mises en œuvre par les usagers pour se construire une bulle sonore (chansons, radio, éclats de voix…). Ce type d’écoute pointe enfin les limites de notre approche ; elle nous interroge sur la difficulté à recueillir les sons de l’intime, mais aussi à qualifier ou à interpréter la matière sonore, les sons de l’eau en particulier.
Cette approche par l’ouïe est appréhendée comme une des modalités non exclusives d’une méthodologie qui se veut polysensorielle. D’autres outils d’exploration comme la photographie sont utilisés. Une des stratégies consiste à photographier, non pas les personnes dans leur pratique des bains-douches, mais les objets amenés, voire les animaux. Citons ici : le maquillage, les rasoirs, mais aussi les téléphones portables que l’on vient recharger.
L’extrait qui suit a été réalisé lors d’un Campement sonore dans le cadre d’un exercice contraint qui consistait en une observation d’une heure et demie à l’intérieur des bains-douches, suivie de la rédaction et de la lecture à haute voix par l’anthropologue de cette ethnographie sur les lieux. Il a été enregistré puis monté par l’équipe du LALCA pour devenir un récit autant documentaire que poétique. Le résultat final témoigne de la place à trouver pour le chercheur dans un espace intime, de la sensorialité ainsi que des interactions qui vont de la convivialité à l’agression.
Outre la perception d’une intimité aussi difficile à dévoiler qu’indispensable dans l’analyse scientifique, l’élargissement de nos méthodes d’enquête sur et par le sensoriel nous a donc permis de produire des Récits de vi(ll)es et des Polyphonies citadines qui désormais intègrent l’ambiance sonore comme élément narratif.
Des chemins de traverse
La recherche-création, reposant sur le partage d’objectifs et de modes d’intervention, nécessite des échanges réguliers pour s’accorder et souvent se réaccorder en fonction des attentes et des disponibilités de chacun. À la différence d’un travail (de recherche scientifique ou de création artistique) mené seul ou avec ses pairs, il est ici indispensable de s’acculturer mutuellement pour comprendre les procédés de chacun que ce soit l’architecte, le chercheur ou l’artiste, avec parfois le sentiment de passer beaucoup de temps à échanger uniquement dans le but de construire un langage commun et non pas sur le cœur du projet. Cette recherche-création a des effets sur les rôles endossés par chacun, y compris au sein de l’équipe salariée des bains-douches, qui engendrent parfois des malentendus, dans tous les cas, des déplacements qui contribuent à enrichir nos savoirs et nos compétences disciplinaires. Outre la redéfinition des relations au sein de l’équipe du LALCA, le chemin emprunté nous conduit ainsi reconfigurer notre rapport au terrain et aux enquêtés, mais aussi à intégrer les imprévus de l’enquête comme des données à part entière.
Les rôles de chacun ont pu être brouillés par le dispositif. Certains employés ont ainsi participé au volet recherche et création du projet LALCA en jouant le rôle d’enquêteur auprès des usagers des bains-douches, celui de photographe, ou encore de traducteur pour des personnes allophones. Si cette participation à notre projet nous a fait prendre du recul sur la manière de mener un entretien, de réfléchir aux formulations des questions, elle a aussi parfois contribué à nous éloigner de notre problématique, nécessitant divers ajustements de nos modes d’intervention. Un autre effet de notre présence est apparu de façon inattendue à travers des revendications des agents auprès de leur direction concernant leur statut et leur salaire.
Du côté des usagers, le LALCA a parfois été assimilé à une association caritative, offrant une boisson chaude et des biscuits. Par ailleurs le pain de savon artisanal, fabriqué lors d’ateliers participatifs et qui avait été pensé pour être écoresponsable, a été victime d’un « délit de faciès » : beaucoup d’utilisateurs pensant qu’il avait déjà servi avant eux, ou qu’il était moins efficace que le gel douche industriel. Un autre exemple de « malentendu productif » (Papinot 2007 : 83) nous a été donné par un usage inattendu qui a été fait de la cabine sonore, une personne ayant un jour choisi d’y faire ses besoins à l’abri des regards. Cet incident a permis de révéler une difficulté dans l’accès aux lieux d’aisance, ainsi que les confusions qui peuvent exister sur les usages prescrits et réels. Il a confronté l’équipe du LALCA au quotidien des agents des bains-douches, aux écarts qui peuvent exister entre les normes, souvent tacites, et les pratiques effectives des utilisateurs des lieux en matière d’hygiène et de propreté.
Les dispositifs de création et de recherche que nous présentons nous ont surtout amenés à faire un « pas de côté », à faire preuve d’un « lâcher-prise académique » pour reprendre les termes de Bernard Müller (2018), et à abandonner certains présupposés en matière de recherche pour nous insérer dans une démarche dont la finalité dépasse la seule production de connaissances. Le dispositif d’enquête et de création (le Campement sonore) a non seulement eu un impact sur la « gestion de la présentation de soi » (Goffman 1973 ; Olivier de Sardan 1995) mais elle a aussi fait du terrain une « scène culturelle ». Inventer un dispositif visible, occupant un espace géographique particulier, ici le parvis devant les bains douches, c’est matérialiser une posture dans laquelle l’enquêteur n’est pas extérieur aux données qu’il produit (Devereux 1980), mais s’insère dans une création d’architecture éphémère et artistique où il assume un rôle d’acteur culturel associé à une « hyper-visibilité », accentuée par le choix de la couleur rouge pour la fresque, les objets utilisés, le mobilier, la caravane.
Un autre objectif du projet consiste à produire des conditions d’enregistrement de qualité suffisante pour la création audio. Ceci induit un « déplacement » heuristique qui porte sur le recueil de la matière sonore – aussi bien les voix que les ambiances – destinée à être utilisée comme élément de création artistique. La convergence entre recherche et création se traduit à la fois par la mise en commun de compétences techniques (enregistrement, montage, conception et déroulé de l’entretien) qui nécessite des ajustements entre membres du collectif, et le partage d’une problématisation et d’une analyse des données pour le montage final des Polyphonies citadines. Les matériaux d’enquête ont un double statut puisqu’ils sont aptes à nourrir la recherche en sciences sociales aussi bien que la réalisation d’œuvres sonores.
Entre les membres du LALCA, les points de vue peuvent diverger dans le recueil des données, quand mener un entretien n’est plus une prérogative de l’anthropologue, ou que la qualité sonore est certes suffisante pour comprendre le contenu de l’enregistrement, mais qu’elle ne permet pas d’en faire un podcast. De même, des compromis doivent être trouvés pour que le montage sonore, objet poétique et diffusable auprès d’un large public, reste fidèle à une problématique de recherche. Abolir la frontière entre la recherche académique et la recherche-création collective est loin d’aller de soi. Le franchissement des frontières disciplinaires a pour effet de faire « simultanément ressurgir des catégories délimitant le travail de l’autre » (Chauliac 2012 : 12) où chacun revendique son « expertise ».
Tout au long du processus de cette recherche-création, nous avons pu expérimenter la manière dont une recherche en sciences sociales peut s’insérer dans un processus de création artistique associé à des interventions dans l’espace public, ainsi que les effets volontaires ou involontaires que cette expérience peut produire. Dans le cadre de cet article, il s’est donc moins agi d’exposer les résultats de la recherche que de rendre compte des tâtonnements, des découvertes et des dissonances de l’enquête menée, ainsi que des contraintes du terrain et des modalités de relations avec les enquêtés.
Enquête par entretiens et observations, créations sonores et interventions dans l’espace public ne se succèdent pas de façon chronologique, au sens où l’enquête précéderait la création, elle-même se situant avant la restitution publique ; au contraire, elles sont indissociables et imbriquées. L’expérience ne se termine pas aujourd’hui mais témoigne des effets non prévus, ainsi que des potentialités propres à une démarche de recherche-création. Nous regardons le projet « bains-douches » comme un processus de découverte et de redécouverte de nos propres pratiques professionnelles et de notre capacité (limitée, et aux effets imprévisibles) à « agir sur la société ».