Mont(r)er sans dire. Séquences filmées d’un itinéraire de recherche (Bénin méridional, Bordeaux, Nantes, Guadeloupe)

Résumé

À travers l’analyse de trois documentaires audiovisuels tournés, entre 2012 et 2018, dans le Bénin méridional, en Guadeloupe et dans les villes de Bordeaux et Nantes, le texte examine les questions heuristiques posées par ma collaboration avec un cinéaste à des moments différents (au début, pendant et à la fin) de mes enquêtes sur place. À partir de ces trois expériences, l’article se focalise sur des contextes significatifs d’un processus mondialisé d’institution d’une mémoire culturelle du passé de l’esclavage. Le propos comparatif met au jour ici, d’un côté, les actions d’individus qui produisent diverses représentations de ce passé dans les espaces publics où ils sont appelés à jouer un rôle et, de l’autre, les modes d’articulation entre la collecte ethnographique des images et la fabrication documentaire de leurs significations. Si ces productions peuvent être appréhendées comme des compléments filmiques au travail de terrain, il s’agit moins de penser les conditions de réalisation d’une anthropologie visuelle que de prolonger une réflexion sur les scènes prises et montées au sein de plusieurs narrations qui communiquent entre elles.

mots-clés : comparaison, documentaire ethnographique, mémoires de l’esclavage, montage d’un film, ironie

Abstract

Showing (and Editing) without Telling. Filmed Sequences of a Research Itinerary (Southern Benin, Bordeaux, Nantes, Guadeloupe)

Through the analysis of three audiovisual documentaries shot between 2012 and 2018 in southern Benin, Guadeloupe, and the cities of Bordeaux and Nantes, this text examines the heuristic questions posed by my collaboration with a filmmaker at different moments (at the beginning, during, and at the end) of my on-site investigations. Based on these experiences, the article focuses on three significant contexts where a cultural memory of the history of slavery is instituted. The comparative approach reveals, on the one hand, the actions of individuals who produce various representations of this past in the public spaces in which they are called upon to play a role and, on the other, the modes of articulation between the ethnographic collection of images and the documentary production of their meanings. While these productions can be understood as filmic complements to fieldwork, this article is not so much concerned with the conditions for carrying out a visual anthropology as with extending a reflection on the scenes filmed and edited within several narratives that communicate with each other.

keywords  : comparison, ethnographic documentary, memories of slavery, film editing, irony

Sommaire

Ainsi, dès lors que l’ironie intervient, elle indique le chemin, mais non le chemin par lequel celui qui s’imagine avoir le résultat arrive à posséder ce dernier : elle indique le chemin par où le résultat nous quitte.

Søren Kierkegaard, Le concept d’ironie constamment rapporté à Socrate, 1975 (1841), p. 295.

Le détour par les images

Parmi les pièces à conviction qu’un chercheur rapporte à la suite de ses missions de terrain, les images filmées peuvent être restituées indépendamment des descriptions orales et écrites qui en sont faites. En réalité, comme nous le savons, cette particularité est toute relative. Derrière chaque séquence montrée, il y a un plan (qui peut être, selon les cas, assez vague ou très précis) et/ou des conjonctures, parfois imprévisibles, qui provoquent la prise de certaines vues, que, par la suite, le montage intègre ou n’intègre pas dans la production du récit [1].

Pour désigner des situations à l’œuvre durant le tournage de films de fiction, Jean-Louis Comolli envisage l’articulation entre la “réalité” et ses images à travers le « détour par le direct » compris comme

un rapport de proportion entre la manipulation du document (de l’événement filmé) et sa signification (sa lecture) : celle-ci gagnant en richesse, cohérence et force de conviction à mesure que l’impression de réalité produite par le document est contrariée, faussée, par celle-là : tirée vers l’exemplarité de la fiction ou la généralité de la fable. (1969 : 50)

Déclinée à l’échelle de la réalisation de films ethnologiques, le caractère fictionnel – dans le sens de façonné – de l’élément documentaire pourrait indiquer le montage de scènes supposées être représentatives ou emblématiques d’une situation étudiée, que les images devraient, d’une manière artificielle ou partielle, prouver et reconstituer. Ainsi, la formule utilisée par Comolli pourrait évoquer, lato sensu, ces « impondérables de la vie réelle » (ou « de la vie quotidienne ») appréhendés par Bronislaw Malinowski pour définir les moments imprédictibles, et néanmoins cruciaux, de son « observation directe » des faits locaux (Malinowski 1963) [2].

Dans un article consacré à une lecture ethnologique du film documentaire, Gérard Althabe remarquait :

Les problèmes posés par la production d’un film documentaire sont proches de ceux de la fabrication d’un écrit anthropologique : dans l’un et dans l’autre cas il s’agit d’évaluer la fiabilité d’un sens véhiculé par un texte d’images et de paroles d’un côté, par un texte écrit de l’autre, sens qui se veut interne au monde social et symbolique décrit. (Althabe 2001 : 10)

En prolongeant ces considérations, il sera question de trois documentaires audiovisuels concernant respectivement le Bénin méridional, la Guadeloupe, ainsi que les villes de Bordeaux et Nantes, dont je suis le coauteur avec le réalisateur Jean-Christophe Monferran. Leur mise en perspective prendra appui sur une collaboration qui s’est déroulée selon des modalités différentes : au Bénin, à la fin de mon expérience ethnographique ; en Guadeloupe, au tout début de celle-ci ; à Nantes et à Bordeaux, durant une période où les temps du terrain et du tournage ont presque coïncidé [3]. À partir de ces trois expériences, le propos de cet article se focalisera sur un continuum de significations relatives à des figures ou à des contextes emblématiques d’un processus désormais mondialisé d’institution d’une mémoire culturelle de l’esclavage, que le montage de certaines images met au jour [4]. Deux questions principales seront ici soulevées : la première concerne les écarts sémantiques entre ce qui est montré par un film de recherche, et ce qui est décrit et interprété dans un texte ; la deuxième aura pour objet les choix effectués dans trois films réalisés à des moments différents du terrain (au début, au milieu, et à la fin de son déroulement). La comparaison portera ainsi sur les modes d’articulation entre la production ethnographique des images et la fabrication de leurs significations à travers le montage. Les productions documentaires en question peuvent certainement être envisagées comme des compléments filmiques au travail de terrain. Cela dit, il s’agit moins ici de réfléchir aux conditions de réalisation d’une anthropologie visuelle, que de prolonger les significations émanant des images prises et montées dans le récit anthropologique inhérent à la situation observée.

Pour le chercheur davantage habitué à vouloir dire et écrire, les séquences filmées peuvent constituer, comme ce fut le cas pour moi, des fragments-miroirs qui lui semblent refléter à la fois l’évidence qu’il voudrait conférer à ses propos, et l’opacité des contextes qu’il a tenté d’observer et de comprendre. Si, d’un côté, il est vrai, comme le rappelle Althabe, en reprenant les essais de Gilles Deleuze sur le cinéma, que réfléchir par, et en, « images-mouvement » et « images-temps » est une forme de pensée comparable à celle, conceptuelle, des scientifiques, de l’autre, « le monde social et symbolique décrit » peut parfois différer du monde social et symbolique montré. Car, comme le remarque toujours Deleuze, l’énoncé, quand il remplace les images, leur retire leur mouvement constitutif et continu de « modulations » d’une réalité :

Jamais la narration n’est une donnée apparente des images, ou l’effet d’une structure qui les sous-tend ; c’est une conséquence des images apparentes elles-mêmes, des images sensibles en elles-mêmes, telles qu’elles se définissent d’abord par elles-mêmes. La source de la difficulté, c’est l’assimilation de l’image cinématographique à un énoncé. Cet énoncé narratif, dès lors, opère nécessairement par ressemblance ou analogie, et, pour autant qu’il procède avec des signes, ce sont des “signes analogiques”. (Deleuze 1985 : 40)

Les lignes qui suivent se proposent d’interroger comment le montage met sous pression les images prises, et fait d’elles des occurrences visuelles que les descriptions et les interprétations textuelles visent de leur côté à expliciter. En parallèle à cette réflexion sur la fabrication d’une objectivité documentaire, je vais m’intéresser à la présence implicite dans ces productions d’un regard ironique qui, sans le dire, souligne et dissimule en même temps un point de vue sur la réalité que, normalement, l’énoncé scientifique, qu’il soit oral ou écrit, peut difficilement éluder.

Quelques repères chronologiques et conceptuels

Entre les années 2005 et 2012, mes enquêtes ethnographiques se sont concentrées sur les usages sociaux du passé de la traite négrière transatlantique dans le Bénin méridional où j’ai effectué quatre missions [5]. Lors de mon dernier séjour, en janvier 2012, Jean-Christophe Monferran et moi avons tourné les images du film documentaire Mémoire promise, qui a été achevé en 2014. Entre 2015 et 2019, j’ai également effectué des enquêtes de terrain successives sur les commémorations de l’époque esclavagiste à Bordeaux et à Nantes, ainsi qu’en Guadeloupe [6]. Durant la période 2015-2018, je me suis rendu sur ces trois terrains avec le même réalisateur. Notre collaboration a donné lieu par la suite à deux autres documentaires : L’impasse Toussaint-Louverture (2019), concernant les villes de Bordeaux et Nantes, et Les ancêtres retournés (2020), consacré à la situation guadeloupéenne.

Réalisée entre les villes de Ouidah, ancien comptoir et port négrier, et Abomey, ancienne capitale du royaume du Danhomé, Mémoire promise met au jour l’institution contemporaine du souvenir de la période esclavagiste dans sa corrélation avec la valorisation patrimoniale des cultes vodun. Sur l’itinéraire de la Route de l’Esclave lancé par l’Unesco en 1994, nous nous sommes intéressés à des lieux emblématiques d’un passé devenu l’objet institutionnel et cérémoniel de discours qui transforment l’histoire de la traite en bien culturel et moral. Dans ce contexte, l’époque « païenne » significative de liturgies encore pratiquées par une partie importante de la population, et l’époque tragique de la déportation atlantique sont évoquées par nos divers interlocuteurs, et lors de plusieurs cérémonies, en tant qu’héritages religieux et diasporiques. Il s’agit bien d’une mémoire « promise » qui, tout en se voulant consensuelle et réparatrice, est brouillée sans cesse par des liens et des « oublis » pouvant être aussi conflictuels : entre Africains et Afro-Américains, entre cultes vodun et morale chrétienne, entre discours normatifs et réminiscences intimes, entre les évocations de ceux qui s’identifient aux descendants des anciens razzieurs et les discours de ceux qui se réclament les descendants de leurs victimes.

Le documentaire L’impasse Toussaint-Louverture a été tourné entre 2015 et 2019 à Nantes et Bordeaux, des villes qui furent les deux plus importants ports négriers français : Nantes, en ce qui concerne le commerce triangulaire ; Bordeaux, pour ce qui relève du commerce en droiture (entre l’Europe et les Amériques, sans passer par les côtes africaines). Ayant pour focus les rassemblements publics qui tous les 10 mai ont lieu dans ces deux villes lors de la « Journée du souvenir de l’esclavage et de son abolition » [7], ce documentaire montre un aperçu de la fabrication par les pouvoirs municipaux et les milieux associatifs de discours qui insistent sur les héritages contemporains du passé esclavagiste. Les déclarations officielles et les récits en quête d’actes réparateurs cohabitent et s’affrontent ici au sujet d’un temps constamment actualisé. Le titre du documentaire suggère que, dans ce contexte, la figure de Toussaint Louverture – protagoniste de la révolution haïtienne, vaincu par le rétablissement napoléonien de l’esclavage – célébrée par ceux qui militent pour la nécessité de réaliser de tels actes, est « à peine » commémorée par les pouvoirs officiels. Invoquée par certaines des personnes impliquées, cette figure devient ainsi une présence fantomatique ou la métaphore d’une incertaine « juste mémoire », aux contenus sémantiques et idéologiques ambigus.

Les images des Ancêtres retournés ont été prises en 2017 et 2018. Le thème central de cette production est celui des représentations de l’ancêtre – esclave ou révolté du système de la plantation – à l’œuvre de nos jours en Guadeloupe. Il s’agit ici d’ancêtres « retournés » au sens propre comme au sens figuré. Sur des sites – tels que les anciens cimetières marins de l’Anse Sainte-Marguerite (dans la commune du Moule) et de la plage des Raisins clairs de Saint-François – où des fouilles ont eu lieu, des restes de squelettes font l’objet d’analyses archéologiques. Ces mêmes dépouilles sont aussi au centre de cérémonies, qui en font des reliques sacralisées. Dans d’autres cas, l’ancêtre peut se « réincarner » à travers des récits et des mises en scène qui rappellent les résistances à la domination esclavagiste. Nous avons par exemple pu observer cette situation dans le Parc national de la Guadeloupe, lors d’une marche nocturne en forêt célébrant le souvenir des Marrons. Les environnements ici filmés restituent la présence de diverses sensibilités et appréhensions du passé esclavagiste de l’île, ainsi que ses métamorphoses en faits émotifs, objets de conservations muséographiques, leviers identitaires et ressources culturelles.

Dans les trois cas esquissés ci-dessus, il est question de situations où les paroles et les gestes publiques venant d’individus qui s’affirment comme porteurs d’un souvenir du passé de l’esclavage déclinent des programmes commémoratifs, où des vérités partiales et disponibles à des usages politiques et symboliques sont communiquées à diverses audiences. La succession des images où ces « vérités », volontiers contradictoires entre elles, sont exposées par les acteurs présents documente également comment leurs narrations et célébrations cérémonielles relèvent souvent de « la simultanéité de présents incompossibles, ou la coexistence de passés non-nécessairement vrais » (Deleuze 1985 : 171) [8] en relation souvent dialectique entre eux. Rappelons que, en reprenant une réflexion inaugurée par Leibniz et poursuivie par Borges, Deleuze définit comme « incompossibles » des mondes fictionnels, ou des régimes temporels, qui, sans être forcément contradictoires entre eux, relèvent d’une contemporanéité paradoxale [9].

Penser en, et par, images sur le terrain béninois

Au Bénin, j’avais déjà imaginé comment certaines scènes observées lors des enquêtes antérieures au tournage seraient portées à l’écran. Par exemple, les entretiens de l’un de mes interlocuteurs les plus assidus, Émile Ologoudou (1935-2019), sociologue, poète et initié au culte yoruba oro, ont aussi été pensés comme une sorte de répétition concernant d’autres échanges que j’avais déjà eus avec cette figure représentative d’une des problématiques que notre film entendait poser, c’est-à-dire celle inhérente aux usages par des personnalités locales du passé de l’esclavage – au sein d’un processus d’institution culturelle et patrimoniale des cultes vodun [10].

Entretien avec le sociologue Émile Ologoudou
Ouidah, Bénin, janvier 2012
extrait du film documentaire Mémoire promise, 2014 : videotheque.cnrs.fr

S’engageant explicitement dans une voie qu’il définissait comme traditionnelle, et qui était marquée par une vision très personnelle – à plusieurs égards positiviste – du « progrès », Ologoudou m’est toujours apparu comme l’auteur-acteur d’une mise à distance « de l’intérieur » d’un capital culturel dont il était et se voulait en même temps le récipiendaire et l’analyste. Son regard « éloigné » posé sur le monde social du vodun, au sein duquel il avait été, durant deux décennies, le conseiller de chefs de cultes proéminents à Ouidah, était significatif du caractère polyvalent des liens qu’il entretenait avec les milieux religieux locaux. Ces milieux faisaient aussi l’objet d’une complexe attention de type ethnographique de la part de celui qui était devenu un universitaire enquêtant sur le passé esclavagiste de la région. À ce propos, Ologoudou me rappelait ses aïeux qui avaient été captifs du fameux négrier Francisco Felix de Souza avant d’être affranchis par celui-ci et de retrouver leur rang « originel » d’aristocrates, et donc de maîtres. Pour définir son implication liturgique dans les cultes vodun, il me parlait de « tradition compensatrice ». Cette thématique relevait chez lui moins de la recherche d’une essence vertueuse des institutions d’un temps révolu à retrouver, mais plutôt d’un rapport opaque à un savoir sur sa propre identité appréhendée dans son instabilité congénitale. Lorsqu’il affirmait, pendant l’une de nos rencontres, que « la tradition compense le passé, les ruptures que j’ai été amenées à faire », il expliquait par-là même comment il avait, au cours des dernières décennies, investi les coutumes claniques dont il s’était progressivement réapproprié l’héritage, comme si ce processus avait pour fonction de « racheter » un statut individuel apparemment égaré pendant sa scolarisation, de la formation catholique reçue au séminaire, en passant par le militantisme gauchiste universitaire jusqu’à l’exil en Europe (durant la période du régime dictatorial de Mathieu Kérékou). En endossant simultanément ses rôles de notable natif, d’homme de lettres et de chercheur cosmopolite en sciences sociales, Ologoudou exprimait une densité qui n’était pas seulement celle (geertzienne) du contexte à décrire, mais aussi celle des « individus-monde » (Fabre 2008) qui l’habitent et, en l’observant, le mettent à distance. En ce sens, l’image d’Ologoudou sous le manguier, près de sa maison, où, au cours des dernières années de sa vie, il avait l’habitude de recevoir ses nombreux interlocuteurs locaux et étrangers qui passaient régulièrement lui rendre visite, me semble à la fois actualiser et détourner la figure stéréotypée du « sage africain », qui apparait ici moins comme le conservatoire parlant d’un savoir ancestral à délivrer au dernier ethnologue en date, que comme un individu inquiet, aux relations multiples, oscillant sans cesse entre plusieurs statuts sociaux et registres discursifs.

Lors de la réalisation de Mémoire promise, d’autres scènes et d’autres figures ont, différemment du cas d’Émile Ologoudou, surgi d’une manière incidentelle. Ce fut le cas, par exemple, du discours tenu par la représentante d’une délégation d’Afro-Américains, durant la cérémonie de clôture de la Marche du devoir de mémoire et du repentir. Au cours de cette procession - qui fut initiée en 1998 par le sociologue Honorat Aguessy, et qui a lieu à Ouidah tous les troisièmes dimanches du mois de janvier - les organisateurs appellent, au nom de la société civile, à dépasser les divisions et les blessures du passé de l’esclavage, tout en assumant une partie de la « responsabilité morale » de cette histoire. Un tel programme vise aussi à établir des relations suivies avec les représentants des diverses diasporas afro-américaines. Selon les années, certaines de ces diasporas, issues des milieux pentecôtistes, réclament la nécessité d’associer la réconciliation au développement ; d’autres, se revendiquent de mouvances afrocentriques plus militantes, et revendiquent de pouvoir obtenir la citoyenneté du pays dont étaient originaires leurs ancêtres comme forme de dédommagement du sort infligé à ces derniers.

Durant le tournage de notre film, un groupe d’Afro-Américains en provenance des États-Unis a manifesté de l’hostilité à notre égard. Cette attitude fut interprétée par un assistant d’Honorat Aguessy comme un résultat de l’aversion qu’éprouvaient ces mêmes Afro-Américains vis-à-vis des « Blancs » qu’ils rencontraient sur « leur chemin de ressourcement » [11]. N’ayant pas voulu marcher sur la Route « déjà parcourue » par leur aïeux, ils avaient d’ailleurs attendu le cortège sur les lieux de la partie conclusive de la cérémonie. Le discours prononcé par leur porte-parole consista alors à réitérer la position qui avait déjà été la leur au cours des jours précédents. Posant la question d’une rivalité raciale de manière radicale, elle reprochait aux Africains d’être trop serviables et toujours à la disposition des Blancs. Ce discours ne visait ainsi pas seulement à « régler des comptes » avec les prétendus « descendants africains » de ceux qui auraient capturé et vendu leurs ancêtres, mais aussi avec les prétendus « descendants » des négriers européens. De la même manière, la revendication d’un droit à une citoyenneté africaine pour les descendants d’esclaves visait aussi à stigmatiser l’aspiration de nombreux Africains à tirer un profit financier de la diaspora.

Discours de la porte-parole d’un groupe d’Afro-Américains lors de la cérémonie de clôture de la Marche du Repentir et du Devoir de mémoire
Ouidah, Bénin, janvier 2012
extrait du film documentaire Mémoire promise, 2014 : videotheque.cnrs.fr

Malgré son caractère relativement inédit, la présence de ce groupe d’Afro-Américains illustrait ad hoc un des thèmes du documentaire, à savoir celui de la question d’une mémoire « promise », mais en réalité divisée. Une telle conjoncture, représentative de la situation que j’avais étudiée jusque-là, était ainsi catalysée et condensée par la présence dans le même espace commémoratif d’acteurs – parmi lesquels le cinéaste et l’anthropologue – qui (se) partageaient un « même » contexte. Les prises de vue, effectuées dans un « ici et maintenant », intégraient les sollicitations de l’instant, ou celles émanant des milieux concernés. Par la suite, cette condition en mouvement, instantanée et fugitive, a pu se transformer lors du montage en point de repère argumentatif, à la fois épreuve heuristique et pivot d’un raisonnement s’appuyant sur des énoncés, comme, par exemple, celui propre à l’existence d’un « missing link » (Schramm 2007 : 87) entre Africains et Afro-Américains. Ce chaînon manquant était donc celui d’une histoire et d’une mémoire séparées que la doxa patrimonialisatrice suscitée par l’Unesco et l’État national béninois, en privilégiant le thème rhétorique des « retrouvailles » entre « frères », avait tendance à évacuer, et que notre investigation cherchait au contraire à mettre au jour. En ce sens, l’image du discours tenu par la représentante de ce groupe d’Afro-Américains doit être lue moins comme la restitution d’un événement caractéristique du contexte en question que comme une sorte d’épiphanie. Son apparition semble jaillir d’un « détour par le direct » qui vient sonder de manière caustique l’existence de logiques d’appartenance et de rapports de force qui, tout en n’étant pas toujours visibles ou évidents au quotidien, sont sous-jacents aux pratiques et aux lieux étudiés.

Penser en, et par, images sur les terrains bordelais, nantais et guadeloupéen

Si, au Bénin, les scènes avaient été aussi pensées comme les preuves à administrer d’une connaissance déjà approfondie des faits, en Guadeloupe, à Bordeaux et à Nantes, la quête/fabrique de l’image comme pièce-témoin « symptomatique » (Didi-Huberman 2000) d’une situation donnée a suivi un cheminement différent. Avec Jean-Christophe Monferran, nous avons commencé par découvrir ensemble des environnements dont j’avais déjà fait de nombreuses lectures historiques et anthropologiques, mais qui ne m’étaient pas familiers in vivo [12]. Sur ces nouveaux terrains, les images étaient plutôt des indices à suivre en vue d’une connaissance qui était embryonnaire. Avec pourtant une différence fondamentale : les missions à Nantes et Bordeaux ont été conçues comme des expériences d’une durée limitée ayant pour objet une observation sur quatre ans de la journée du 10 mai et de son intégration dans les divers dispositifs commémoratifs à l’œuvre dans les deux villes. En Guadeloupe, où se déroulent principalement mes enquêtes actuelles, il s’agissait, dès le début, d’une recherche pensée pour se prolonger dans le temps. Au moment de ma nouvelle mission en février 2019 (la première que je menais de manière individuelle), je me suis rendu compte que durant mes séjours précédents sur l’île, le tournage avait commencé à façonner des relations que je devais maintenant repenser. Pour certains de mes interlocuteurs, parfois surpris par l’absence du réalisateur aux côtés duquel ils m’avaient connu, mon travail, dorénavant solitaire, avait perdu de son intérêt et devait, par conséquent, faire l’objet d’une renégociation implicite. Revenu à l’usage du carnet de notes et éventuellement d’un appareil photo et d’un enregistreur, je m’occupais également de la restitution/réception des images prises lors de mes enquêtes antérieures [13].

C’est à partir de cet itinéraire plus récent de mes recherches sur l’espace politique français qu’est née mon attention portée aux analogies et aux différences entre plusieurs discours mémoriels sur l’esclavage et qu’elle s’est mise à orienter mon observation ethnographique. Cependant, mon intention était moins de comparer des contextes que de documenter l’existence in loco d’une pensée comparative diffuse auprès de mes interlocuteurs. De la part de ces derniers, les références récurrentes à un « eux » peuvent correspondre soit à l’évocation de figures d’ancêtres mythifiés, soit à celle d’entités qu’ils considèrent comme étant antagonistes ou concurrentes, à savoir l’État français ou les responsables des politiques municipales, régionales et gouvernementales. Selon les cas, la mobilisation de ces « eux » s’oppose à, ou intègre, l’affirmation d’un « nous », c’est-à-dire les membres d’une communauté forgée par une expérience historique racialisée. Tout comme le rappel d’un « ici » indique chez ces mêmes acteurs les environnements locaux spécifiques de leurs actions commémoratives qui interpellent un « là-bas » - la « France » vue depuis les Antilles, par exemple. Une pensée comparative est également à l’œuvre à travers les discours ayant pour objet l’existence d’une périphérie politique et économique vécue comme telle par rapport à un centre hégémonique. Dans ces contextes, la présence d’individus qui se mettent en scène à travers différentes formes d’autoreprésentations a finalement attiré mon attention [14].

Si la pensée comparative que j’ai tenté de cerner auprès de mes interlocuteurs dénote des formes de réflexivité et de distanciation « indigènes » plus communes pour les anthropologues, les paroles et les gestes des acteurs filmés par Jean-Christophe Monferran montrent l’existence, au sein des espaces observés, de plusieurs évocations, projections et récits d’appartenance renvoyant au passé de l’esclavage. Par exemple, dans le documentaire L’impasse Toussaint-Louverture, on peut voir les militants Peter Lema et Karfa Diallo s’opposer aux projets municipaux de gouvernance commémorative émanant respectivement des mairies de Nantes et de Bordeaux. De telles séquences auraient certes été susceptibles de faire l’objet d’une comparaison, mais à travers le focus sur la figure de Diallo, nous avons privilégié une autre appréhension possible de ces images qui se recoupent également entre elles, comme autant de fragments qui restituent l’éclectisme de l’action d’un « outsider » (Becker 1985). Ainsi, le montage restitue et compare les actions multiples de l’un de ces entrepreneurs/porteurs de narrations mémorielles : en le montrant lors d’un entretien avec le chercheur, quand il joue le rôle du guide charismatique lors d’une mobilisation collective, ou lorsqu’il apparaît comme une figure politique dans une arène officielle où il doit disputer à d’autres sa place et sa visibilité.

Entretien avec Karfa Diallo dans les bureaux de l’Association Mémoires & Partages
Bordeaux, janvier 2018
extrait du film documentaire L’impasse Toussaint-Louverture, 2019 : canal-u.tv
Visite du « Bordeaux nègre » par Karfa Diallo
Bordeaux, janvier 2018
extrait du film documentaire L’impasse Toussaint-Louverture, 2019 : canal-u.tv
Marche aux flambeaux
Bordeaux, mai 2018
extrait du film documentaire L’impasse Toussaint-Louverture, 2019 : canal-u.tv
Brefs échanges entre Karfa Diallo, Patrick Serres de l’Association Mémoires & Partages, et Tanya Saint-Léger de l’Association L’A Cosmopolitaine
Bordeaux, mai 2018
extrait du film documentaire L’impasse Toussaint-Louverture, 2019 : canal-u.tv

En tant que leader, depuis plus de vingt ans, de divers mouvements, Karfa Diallo entretient avec les pouvoirs municipaux, et parfois aussi avec les membres d’autres associations, des rapports conflictuels ponctués de moments de réconciliation [15]. Sa popularité et son influence auprès d’un certain nombre d’activistes et de sympathisants sont visibles lors des événements dont il est le concepteur. Après l’itinéraire du « Bordeaux nègre » que nous avions filmé en janvier 2018, nous avions suivi, le 10 mai de la même année, la Marche aux flambeaux qu’il avait organisée afin de rappeler l’existence des anciens esclaves en provenance des Antilles, qui avaient été ou s’étaient émancipés suite au retour de leurs maîtres à Bordeaux au cours du XVIII et XIX siècles. Les variations entre ses diverses initiatives, la pugnacité de ses prises de position et sa présence à la cérémonie officielle du 10 mai témoignent de la verve du personnage ainsi que du caractère multiforme de son engagement, mais aussi d’un contexte au sein duquel son travail interpelle les élus. À cet égard, la scène de L’impasse Toussaint-Louverture qui montre Karfa Diallo et Patrick Serres (le président de Mémoires & Partages) conversant d’une manière à la fois paisible et un peu caustique avec Tanya Saint-Léger – est révélatrice des liens qui peuvent être d’entente, mais aussi de concurrence, entre les diverses associations confrontées aux programmes soutenus par la municipalité. En effet, contrairement à Diallo, Saint-Léger, en tant que responsable de l’association L’A Cosmopolitaine, avait prononcé, durant la cérémonie du 10 mai 2018, un discours à la demande des organisateurs institutionnels de la journée. Dans ce cadre, la date du 10 mai constitue une acmé cérémonielle au cours de laquelle une sorte d’exaspération des usages symboliques du passé esclavagiste de la ville se produit. De la part de la mairie, ces usages visent le contrôle sur un répertoire restreint de signes et d’interlocuteurs issus de la « société civile », et de la part de Diallo, une mobilisation mouvante de thèmes et de choix, pouvant parfois être perçus comme contradictoires, et susceptibles d’alimenter des questions politiquement critiques ou de faire polémique. Les effets antagoniques d’une telle stratégie sont donc le résultat d’une posture volontiers ambivalente qui, selon les situations, mobilise plusieurs registres argumentatifs, émotionnels et idéologiques. Par exemple, chez lui, l’identification, imaginée comme héritée, avec les victimes des pouvoirs esclavagiste et colonial va de pair avec la revendication d’une appartenance, là-aussi imaginée, au collectif représenté par ceux qui se révoltèrent en héros contre les régimes dominants de l’époque. De son côté, la mairie tente de gouverner et de restreindre les contenus potentiellement problématiques de certaines questions susceptibles d’alimenter des frictions ou des oppositions virulentes, comme c’est par exemple le cas au sujet des polémiques autour des réparations, des noms de rues, des statues à démanteler ou à ériger. Une telle attitude participe d’une position hégémonique pourtant affectée par une intention émulative. Car, si les projets portés par Diallo peuvent être jugés non pertinents, historiquement abusifs, dispendieux ou politiquement risqués par certains élus et leurs consultants, ils inspirent chez ces mêmes acteurs des initiatives institutionnelles qui, tout en voulant les contrecarrer, tentent de les adapter en fonction de leurs intentions.

Sans avoir une connaissance approfondie du contexte guadeloupéen, avant le tournage des Ancêtres retournés, nous avions l’intention d’enquêter d’emblée avec la caméra et non pas a posteriori comme ce fut le cas au Bénin. Sur les traces des logiques du « maléfice » de la couleur (Bonniol 1992) et de la « souche » servile héritées du passé esclavagiste, nous cherchions à restituer la recherche contemporaine d’origines vénérables ou glorieuses. En ce sens, les images du cimetière d’esclaves de l’Anse Marguerite et d’une marche nocturne en forêt célébrant les entreprises des Marrons révèlent l’un des thèmes significatifs qui ont émergé durant notre tournage : l’existence de diverses formes de fabrication par des individus et des groupes de liens émotionnels avec des figures reconnues comme ancestrales. Si ces figures sont pour certains, comme pour Jean-Luc Romana, président de l’association Lanmou Ba Yo (« L’amour pour eux »), des héros familiaux, pour d’autres, comme dans le cas de la représentation de la Marche marronne en forêt animée par des membres du « mouvement culturel » Vokoum, ils sont plutôt les protagonistes glorieux d’une épopée.

Sur la plage de l’Anse Marguerite, dans la commune du Moule, les fouilles effectuées à la fin des années 1990 par les archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) ont donné lieu à l’exhumation de deux cents soixante-douze dépouilles d’individus adultes et enfants. Suite à la découverte de ces restes d’un ancien cimetière marin, l’association Lanmou Ba Yo, basée dans la commune du Moule, a créé une cérémonie annuelle – qui se déroule tous les 27 mai, jour de la commémoration de l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe – qui s’articule autour d’un récit instaurant une relation de filiation entre les populations locales et « eux », les esclaves dont les corps ont été retrouvés sur le site. D’après Jean-Luc Romana, il s’agissait de réaliser un complexe rituel autour de la figure de l’ancêtre esclave qui rachète en quelque sorte un passé de/en souffrance et l’effacement d’une continuité familiale, à travers la reconstitution rituelle d’une généalogie. Ainsi, Lanmou Ba Yo propose aux populations antillaises de devenir les héritières de ces « eux » qui leur permettrait de constituer aujourd’hui un « nous », c’est-à-dire une communauté d’expérience historique, biologique et affective.

Entretien avec Jean-Luc Romana, responsable de l’Association Lanmou Ba Yo
Plage de l’Anse Sainte-Marguerite, Guadeloupe, mai 2017
extrait du film documentaire Les ancêtres retournés, 2020 : canal-u.tv

En ce qui concerne la représentation des Marrons durant la marche nocturne en forêt que nous avons filmée, ce n’est pas un rapport de filiation avec des victimes du système esclavagiste qui est au centre de l’action rituelle, mais les motifs de l’endurance, de la révolte, de l’indépendance et de la liberté. Dans ce cadre, le « Nèg Marron » est pensé comme un héros civilisateur dont les membres de Vokoum sont la réincarnation. Organisée par le Parc national, cette manifestation a donné à voir et à entendre la vie quotidienne, l’organisation sociale ainsi que les exploits des révoltés du système esclavagiste à de nombreux Guadeloupéens et touristes. À chaque étape de l’itinéraire, le guide David Nazaire raconte leurs gestes. Lors de son discours, il fait de nombreux parallèles entre les Marrons et les militants indépendantistes des années 1980. Nazaire fait état à de ses souvenirs personnels et compare son vécu familial avec le passé politique récent. Il fait également référence à des lieux physiques, où, selon lui, des communautés marronnes auraient vécu. Le guide transpose le temps révolu de ces communautés et de leurs chefs dans une narration à la fois épique et actuelle, instaurant une continuité entre le temps récité et celui des événements de l’histoire sociale guadeloupéenne.

Marche marronne en forêt avec le guide David Nazaire
Parc national de la Guadeloupe, mai 2018
extrait du film documentaire Les ancêtres retournés, 2020 : canal-u.tv

Comme une sorte de contrepoint à ces deux contextes où des ancêtres retournent, ou plutôt sont retournés, et sont aussi affectivement et symboliquement retrouvés, le discours de l’archéologue Dominique Bonnissent se distingue manifestement des propos tenus par les autres personnes filmées. Ne versant pas dans le pathos des récits commémoratifs, elle s’intéresse à des questions relatives à la protection des sites et des dépouilles, et utilise un langage et des notions parfois techniques, comme, par exemple, celles de « mobilier » ou de « zone de recrutement », qui définissent différemment les débris et les espaces qui deviennent les entités et les lieux d’une narration émotionnelle chez Romana et Nazaire. On retrouve ce hiatus entre les mots et les choses dans la succession d’images qui montrent des touristes bronzer ou nager sur la plage des Raisins Clairs à Saint-François qui est aussi, ou devrait être, un « cimetière marin ».

Entretien avec l’archéologue Dominique Bonnissent
Plage des Raisins Clairs, Guadeloupe, mai 2017
extrait du film documentaire Les ancêtres retournés, 2020 : canal-u.tv

Le sens possible des images et leur portée ironique

Comme le remarque Jean-Louis Comolli :

C’est (...) au montage – véritable “tournage” du film, moment réel de sa fabrication (...) – que s’opère non seulement le choix, la mise en ordre, la comparaison des images, mais surtout la production de sens. (1969 : 45)

Certaines scènes présentées dans cet article me semblent contenir des clefs pour la compréhension des situations observées que le montage a façonné comme autant d’objets « ouverts ». J’utilise ce qualificatif afin d’indiquer un objet d’étude « doté de propriétés structurales qui permettent, mais aussi coordonnent, la succession des interprétations, l’évolution des perspectives » (Eco 1965 : 10), où une pluralité de signifiés cohabitent d’une manière ambiguë et tacite au sein d’un seul signifiant. En ce qui concerne ma participation en tant qu’auteur scientifique, la fabrication de ces films a constitué une variation de mon écriture ; je l’ai pratiquée, d’une manière relativement spontanée (dans le sens où il n’y avait pas de scénario déjà établi), comme un récit prenant forme à partir d’une piste de recherche préalable et d’éléments collectés pendant le tournage. Pour raconter l’histoire de diverses « mémoires » de l’esclavage, Jean-Christophe Monferran et moi-même n’avons utilisé que les images filmées que nous avons tournées et les mots de nos interlocuteurs (à l’exception de quelques rares archives de la télévision béninoise dans Mémoire promise et de photos prises par Susana Guimarães dans Les ancêtres retournés). Là où cela était nécessaire, nous avons également eu recours à des intertitres de présentation des personnes et des lieux montrés. Progressivement, j’ai fait la découverte de matériaux qui suscitaient un traitement argumentatif et conceptuel spécifique fait de règles et de techniques qui, en fonction de nos intentions, permettaient ou ne permettaient pas de traduire un message à l’aide d’une narration intelligible. Au cours du montage et des échanges que j’ai eus avec le réalisateur, je me suis donc rendu compte que les images et les mots recueillis durant le tournage constituaient une matière documentaire particulièrement mouvante et instable malgré leurs effets « premiers » d’évidence et d’audibilité. Cette expérience m’a également permis de découvrir que les limites argumentatives – et non pas cognitives – entre une appréhension « dense » (Geertz 1973) [1998)." id="nh2-16">16] et une saisie apparemment « ténue » [17] ou momentanée du contexte pouvaient se confondre à l’écran. Si chaque scène avait une durée et une profondeur inégales par rapport à nos visées explicatives, notre discours cherchait dans les images des repères sémiotiques pertinents, susceptibles de consolider les propos que le document voulait communiquer et mettre en débat. Les divers épisodes filmés pouvaient donc procéder d’une expérience déjà acquise du terrain ou d’une incidence imprévue : un événement inattendu, mais aussi un geste, un regard, un mot, une expression qui peuvent avoir une valeur « analogique » de synthèse ou d’allégorie par rapport à la réalité étudiée. Ces épisodes étaient livrés aux spectateurs sans commentaire extérieur – la fameuse « voix off » – et se répondaient entre eux au sein d’une réflexion sur la situation que notre discours implicite voulait donner à voir et à entendre à travers le montage. La restitution d’une pluralité de voix et de regards collectés est évidemment possible à travers des narrations écrites ou orales. Toutefois, en ce qui concerne la perspective propre à mes recherches, je pense que l’adoption d’un récit visuel m’a permis d’en assumer les effets « ironiques » de manière plus subjective. J’entends ici l’« ironie » dans un sens philosophique, cette notion dénotant une qualité critique dirigée vers des mondes pluriels sur lesquels je pose, en tant que chercheur (parfois naïvement) « étonné » par leur complexité et par leurs paradoxes, un jugement suspendu à travers la réunion de leurs dissonances. Une telle interprétation « en sursis » pourrait également correspondre à l’hypothèse selon laquelle « l’ironie, à sa manière, est une “oraison de silence” qui déjoue les pièges de la loquela » (Jankélévitch 1964 : 89). Et si, pour l’ethnographe, la loquacité de ses interlocuteurs est un enjeu majeur de son travail d’écoute, les images dépourvues de commentaire, où il est aussi question d’interactions verbales, me semblent partiellement (et discrètement) restituer les silences nécessaires à la fabrication d’un dialogue. D’une manière analogue, l’absence d’une explication orale supposée accompagner la compréhension et l’interprétation des faits de la part des spectateurs d’un documentaire audiovisuel pourrait évoquer la posture faussement défilée que l’anthropologue adopte sur le terrain lorsqu’il cherche, en entendant parler ses informateurs, à transcrire et à souligner les mots que ces derniers mettent sur les « choses » de son enquête. En donnant à voir ce que l’écrit fait à l’oralité, l’image filmée une fois montée rend aussi visible le fait que, finalement, l’oralité ethnologique est dans plusieurs cas une « oralité seconde » (Ong 1982), une sorte de miroir ou d’écho de l’écrit, mais aussi du discours indigène comme forme réfléchie ou spontanée de montage :

Montage calls attention, I would suggest, to the essentially oral conventions and techniques of other cultures, or to the different ways that literacy has established itself elsewhere. (Marcus 1995 : 46) [18].

En prolongeant cette dernière perspective, les discours tenus par nos interlocuteurs relèvent d’une sélection intentionnelle ou implicite de motifs narratifs considérés comme éloquents, au détriment d’autres motifs narratifs, envisagés comme ne l’étant pas. Ainsi, il est possible d’émettre l’hypothèse que ces interlocuteurs ne sont pas les détenteurs d’une mémoire incorporée, qui aurait traversé le temps. Ce sont plutôt leurs corps et la « couleur » de leur peau qui sont devenus les vecteurs de récits disponibles. Éventuellement bonnes à penser, à dire et à montrer pour eux-mêmes et leurs publics (dont les chercheurs font partie), ces narrations évoluent dans le temps, tout comme leurs enjeux sont synchroniques par rapport aux scénographies mémorielles contemporaines. Il s’agit de récits disponibles car, tout en produisant des actes et des énoncés actuels, ils prennent appui sur des sujets qui sont déjà - et parfois depuis longtemps - publiquement et/ou tacitement « à débattre » (Appadurai 1981). Cette question est représentative d’une logique où le passé est utilisé par les individus et les groupes comme une « ressource rare » (Appadurai 1981) au sein d’une communauté et/ou d’une situation donnée. Ainsi, dans des sociétés post-esclavagistes, la couleur de la peau peut devenir « (t)race » (Bonniol 2020) d’une grammaire de la domination aujourd’hui métamorphosée en levier pour l’affirmation de différentes formes identitaires. Au sein de ces phénomènes de réappropriation ou d’inversion, certains éléments ritualisés et discursifs susceptibles de véhiculer un souvenir « oublié », mais en réalité indélébile, sont investis d’une évidence iconique. C’est le cas, par exemple, des actions commémoratives ayant pour objet les squelettes retrouvés sur la plage de l’Anse Sainte-Marguerite. Au prisme de ces actions, la logique de séparation, autrefois relative à l’existence de « cimetières d’esclaves », serait désormais inscrite – ou signifiante – dans la « peau » des individus d’aujourd’hui.

Dans un sens plus concrètement lié à la restitution en images de mes enquêtes, l’ironie à laquelle je me réfère a également été une façon d’interroger les narrations des acteurs au sujet du passé et de certains lieux. Si mes recherches, comme celles d’autres collègues ayant travaillé sur les mêmes thématiques, révèlent l’existence de déclamations mémorielles nombreuses et discordantes, les séquences filmiques, en tant que preuves à administrer ou indices à suivre, conduisent ces récitations à entrer en résonnance, voire parfois en collision entre elles. À ce propos, j’ai pu constater lors des diverses projections de ces documentaires que les publics présents étaient souvent eux aussi sensibles à ces effets ironiques, ou interpellés par les logiques paradoxales qu’ils observaient et entendaient dans les gestes et les mots des acteurs à l’écran [19].

Comme le remarque toujours Jankélévitch, l’ironie décline « la gaieté un peu mélancolique que nous inspire la découverte d’une pluralité » mais aussi les détours d’une pensée se voulant généralisatrice attirée par « le sens du détail » (1964 : 37, 161). En ce sens, j’envisage l’ironie que l’agencement des images a pu éventuellement susciter comme une manière de penser les possibilités à l’œuvre dans la fabrique d’une mémoire désormais globalisée que des discours et des gestes localisés contribuent à transformer et à contredire sans cesse. L’attention que je porte à un répertoire de pratiques et de récits qui peuvent se trouver, selon les cas, dans un rapport d’antagonisme ou de collusion avec une doxa mondialisée et divisée, s’est donc nourrie d’une approche se voulant à la fois comparative et idiographique. Cette approche « hybride » ne vise pas à cerner des unités d’analyse – ici, des scènes – « typiques » qui seraient explicatives d’une continuité diachronique ou spatiale. Elle questionne plutôt les mutations locales d’un processus international ainsi que les hypothèses explicatives provoquées par mon observation. Ainsi, ces images expriment moins les « caractéristiques » d’un contexte donné que sa pluralité, voire ses crises, ses apories et ses paradoxes.

Penser par images l’institution d’une mémoire culturelle qui fait, dans les faits, l’objet de détournements et de dénégations, m’a montré comment les limites du comparatisme rétrospectif guettent non seulement les historiens, comme l’a montré Jean-Pierre Vernant (1979), mais aussi les ethnologues. Sur leurs terrains, ces derniers se doivent d’appréhender la simultanéité – mais aussi les anachronismes ou les fictions – des représentations et des pratiques qu’ils observent dans des environnements distincts et/ou à des moments différents et qu’ils mettent pourtant en corrélation, tout comme le font leurs interlocuteurs sur le terrain. En ce sens, la constitution d’un répertoire de faits réputés emblématiques comporte le risque de les figer dans des séries d’universaux, un risque redoublé par l’usage du présent ethnographique. Cependant, si nous observons la manière dont les récits de ces faits font l’objet, réagissent entre eux et se greffent les uns sur les autres, il devient possible de les appréhender comme des matériaux intervenant dans la constitution de généalogies au sein desquelles le passé est à la fois un « horizon d’attente » (Koselleck 1990) et une source d’extraction de motifs identitaires qui, bien que n’étant pas toujours comparables, peuvent être reliés entre eux.

Dans ce texte, j’ai finalement tenté d’apporter une contribution à la réflexion sur les rapports de sens qui peuvent exister entre écrits et images, mais aussi entre des images significatives d’un même phénomène commémoratif mondialisé. Au prisme des situations ethnographiques et des conditions de tournage, certaines scènes relatives aux trois documentaires ici traités me semblent également susciter de « faux raccords » (Deleuze 1983 : 45). Tout en échappant à une stricte logique d’ensemble, ces liaisons artificielles, renforcées par la portée analogique des images, ouvrent finalement les contextes observés à une approche narrative qui suggère plus qu’elle n’objective l’existence d’un lien entre la réalité observée et sa restitution analytique pouvant prendre la forme d’un texte ou d’un énoncé destiné à des collègues et à des étudiants universitaires. En ce sens, les scènes filmées peuvent parfois s’apparenter à des « détours par le direct » et créer des interstices, voire des fenêtres de signifiés, débouchant sur une compréhension plus sensible du phénomène commémoratif étudié en tant que fait social globalisé. Quelques-unes de ces images ont fini par alimenter des rapprochements (entre des séquences) qui, tout en étant dépourvus d’une véritable valeur heuristique, confèrent un air de famille à certaines situations spatialement éloignées entre elles et finalement incomparables. C’est ce que montre par exemple la scène des Ancêtres retournés, dans laquelle l’archéologue Dominique Bonnisent recompose un bouton ayant probablement appartenu à un esclave dont les ossements ont été retrouvés par une équipe d’archéologues sur la plage de l’Anse Sainte-Marguerite en Guadeloupe, et sont aujourd’hui conservés dans un entrepôt du musée Edgar-Clerc. Lors du montage de cette séquence, je me suis dit que ce geste relativement effacé et anodin pouvait, au figuré et de manière plus poétique, incarner une mimique réparatrice. Une vie anonyme perdue dans le flux de l’histoire pouvait être évoquée à travers un objet lui ayant appartenu. Les gestes de l’archéologue peuvent alors être reliés avec ceux de Bachalou Nondichao que l’on retrouve dans un autre documentaire. Dans Mémoire promise, Nondichao, connaisseur béninois de l’histoire locale, vient de « faire un nettoyage », c’est-à-dire qu’il vient de débarrasser le socle d’une statue réalisée par l’artiste plasticien Yves Kpède des feuilles et de la poussière qui la recouvraient. Nous sommes à Abomey, au lieu-dit Kanuno Gbonu (« place de l’esclave » en français) et la statue représente un couple de captifs ligotés. Bachalou Nondichao termine son travail et murmure : « je crois que ça peut aller ».

Entretien avec l’archéologue Dominique Bonnissent au musée départemental Edgar-Clerc
Guadeloupe, mai 2017
extrait du film documentaire Les ancêtres retournés, 2020 : canal-u.tv
Visite, avec l’historien local Bachalou Nondichao, du lieu-dit « Kanuno Gbonu », autour de la statue consacrée à la figure du « Revenant » de l’artiste plasticien Yves Kpède
Abomey, Bénin, janvier 2012
extrait du film documentaire Mémoire promise, 2014 : videotheque.cnrs.fr

Les trois documentaires dont il a été question dans cet article donnent à voir des récits et des rituels mémoriels qui se produisent en grande partie dans des espaces publiques. Confrontés à ces pratiques et à ces discours programmés et déclaratifs prononcés en référence à une histoire mythifiée et de la condition actuelle de ceux qui considèrent être ses héritiers, les deux actes modestes exécutés spontanément devant la caméra par Bonnissent et Nondichao rendent visibles, de manière discrète et fugitive, l’existence d’agissements minimes, imprédictibles ou quasi enfouis. De tels agissements montrent autrement les restes ou les traces d’un temps à retrouver selon des modalités divergentes mais communicantes entre elles.

D’après Andrew Abbot, la description fait toujours référence à un ici et maintenant par rapport auquel l’« invisibilité momentanée des processus en cours est le parallèle exact de l’invisibilité des grandes structures sociales dans le lieu immédiat de l’ethnographe, pour qui elles sont présentes mais impossibles à distinguer des choses purement locales » (Abbott 2003 : 46). Ce qu’il faut donc expliquer, pour le sociologue américain, « ce n’est pas le changement (…) c’est la stabilité » (Abbott 2003 : 53). Comme nous le savons, les assises anthropologiques d’un phénomène ne sont pas les signes de son immobilité ou de son insularité. À la croisée entre les mondes sociaux écrits et les mondes sociaux filmés, le montage des séquences ici analysées, exprime nos intentions de faire ressortir des contextes spatialement éloignés, mais historiquement reliés. Des narrations et des gestes peuvent d’ailleurs rendre (parfois de manière contradictoire) ces contextes contemporains et/ou comparables entre eux. Véhiculés par des individus et des groupes qui fabriquent des actes commémoratifs, ces gestes et ces narrations s’exposent à travers des moments forts et des détails propres aux changeantes « façons de faire » le passé de l’esclavage que l’œil de la caméra permet de revoir.

add_to_photos Notes

[1Pour leurs lectures de versions préparatoires de ce texte et leurs précieux conseils, je remercie vivement Éric Jolly et Séverine Liatard. Je remercie également Vianney Escoffier de l’IMAf pour le support technique concernant le traitement et la sélection des images.

[2La formule « observation participante », identifiant souvent dans le sens commun (y compris dans celui des ethnologues) une expérience intensive de terrain, n’apparaît pas dans les textes que Malinowski consacre à sa méthode de recherche.

[3Pour être précis : j’ai mené seul une mission de reconnaissance en janvier 2015 à Nantes, ainsi qu’une mission de finalisation en mai 2019 à Bordeaux. De son côté, Jean-Christophe Monferran a effectué seul une mission de tournage à Nantes en novembre 2016.

[4Il existe bien évidemment une littérature très vaste sur les rapports entre enquête ethnographique et production de documentaires audiovisuels. Étant donné qu’il n’est pas question dans cet article de présenter ni de prolonger les débats théoriques sur l’anthropologie filmique, je me limite à mentionner les références suivantes qui ont été source de réflexion : Augé et al. (2019) ; Colleyn (2012) ; Crawford et Turton, (1982) ; Nichols (1991) ; Oester (2002).

[5Les missions ont eu lieu en octobre-décembre 2005 ; octobre-décembre 2006 ; janvier 2011 ; et janvier 2012.

[6J’ai mené des enquêtes à Nantes en janvier et mai 2015 ainsi qu’en mai 2016 ; à Bordeaux, en janvier 2017 puis en mai 2018 et mai 2019 ; en Guadeloupe, en mai 2017, en mai 2018 et en février 2019.

[7En 2019, à Bordeaux, j’ai suivi seul les commémorations relatives à la journée du 10 mai au cours de laquelle j’ai pu effectuer des photographies, dont certaines ont été insérées dans le documentaire.

[8Souligné par l’auteur.

[9Sur les affinités, mais aussi les écarts, relatifs aux usages de la notion de « possible » chez Borges et Leibniz, une vaste littérature existe. À titre indicatif, outre le texte déjà cité de Deleuze, voir Cooksey (1993).

[10Pour une analyse complémentaire des questions de tournage et de montage relatives au documentaire Mémoire promise, voir Ciarcia (2018).

[11Je reprends ses mots.

[12Cela étant dit, ce n’était pas la première fois que je me rendais dans l’espace francophone antillais : en 2007, dans le cadre d’une recherche financée par le ministère de la Culture, j’avais effectué une mission d’un mois sur les mémoires de l’esclavage en Martinique.

[13Deux autres missions prévues au printemps et à l’automne 2020 ont été reportées à cause de la situation sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid. J’ai pu finalement les effectuer en janvier/février et mai/juin 2021, quand cet article était déjà sous presse.

[14Je reprends ici un thème mis en exergue dans l’appel à publications relatif à ce dossier : https://www.ethnographiques.org/appels/comparaison

[15Je traite de l’action de Diallo autour de la journée commémorative du 10 mai dans un texte en cours de publication (voir Ciarcia à paraître).

[16Voir aussi : Mary (1998).

[17J’ai choisi de traduire par « tenue » l’adjectif anglais « thin » que Geertz, en reprenant les travaux de Gilbert Ryle, utilise comme un contrepoint de « thick » (« dense » ou « épais »).

[18George Marcus développe cette remarque au sujet du livre de Michael Taussig, Colonialism, Shamanism, and the Wild Man (1986). Sur les transformations produites par la corrélation entre oralités, écritures et images, voir Ciarcia et Jolly (2015).

[19Mémoire promise (2014) a fait l’objet de plus de vingt-cinq projections suivies d’un débat lors de festivals, séminaires et conférences en France, Angleterre, Suisse, Belgique, Bénin et Haïti ; à cause de leur diffusion récente et des restrictions posées par la situation sanitaire provoquée par l’épidémie du Covid, L’impasse Toussaint-Louverture (2019) et Les ancêtres retournés (2020) n’ont pu être montrés que dans le cadre de trois séminaires universitaires, d’une projection publique en Guadeloupe et à l’occasion de visionnages préparatoires réservés à des collègues chercheurs.

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Filmographie

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CIARCIA Gaetano et MONFERRAN Jean-Christophe, 2019. Toussaint-Louverture, film-documentaire, CNRS/EHESS/IMAF/IIAC, 42 minutes,
https://www.canal-u.tv/video/ehess/memoire_de_l_esclavage.51621

CIARCIA Gaetano et MONFERRAN Jean-Christophe, 2020. Les ancêtres retournés, film-documentaire, CNRS/EHESS/IMAF/IIAC, 37 minutes, https://www.canal-u.tv/video/ehess/les_ancetres_retournes.54771

Pour citer cet article :

Gaetano Ciarcia, 2021. « Mont(r)er sans dire. Séquences filmées d’un itinéraire de recherche (Bénin méridional, Bordeaux, Nantes, Guadeloupe) ». ethnographiques.org, Numéro 41 - juin 2021
Ce que la comparaison fait à l’ethnographie [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2021/Ciarcia - consulté le 23.04.2024)
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