Chroniques à la frontière. Correspondance entre un anthropologue et un jongleur

Résumé

Partant du processus de création de Chroniques à la frontière (30’), une pièce élaborée avec mon ami Vincent Berhault, auteur, metteur en scène et jongleur, j’examine les relations que nous avons développées ensemble, avec les publics et avec les actants non-humains (agrès, lieux de spectacle, cadres normatifs, etc.) de cette pièce. Je m’appuie pour ce faire sur le concept de « correspondance », défini par Tim Ingold (2017), ainsi que sur celui d’« espèces compagnes » proposées Donna Haraway (2018). Je montrerai ainsi le caractère délocalisé et extraverti du processus d’écriture qui se déploie dans ces expérimentations ; processus au sein duquel les auteurs ne sont pas les seuls créateurs, mais plutôt des points d’expression et d’actualisation de virtualités produites par un agencement qui les excède. Ceci nous amène alors à envisager ces expérimentations au croisement de l’art et de l’anthropologie autrement que comme des modes de présentation et de diffusion alternatifs d’une recherche. Celles-ci ont en effet bien plus à apporter puisqu’elles ouvrent de nouveaux espaces sensibles qui réagencent les conditions d’émergence de la réflexion et de la création. Bien plus que des médiums, elles renouvellent et enrichissent profondément notre cadre et notre processus de travail.

mots-clés : écriture, anthropologie et art, correspondance, jonglage, recherche création

Abstract

Chronicles at the border. Correspondence between an anthropologist and a juggler

Starting from the creation process of making Chroniques à la frontière (30’), a piece created with my friend Vincent Berhault, author, director and juggler, I examine the relationships we developed together, with audiences and non-human actants (apparatuses, performance venues, normative frameworks, etc.). I draw on the concept of ’correspondence,’ defined by Tim Ingold (2017), as well as that of relationships between ’companion species’ proposed by Donna Haraway (2018). I will examine the delocalized and extroverted character of the writing process unfolding in these experiments, a process in which the authors are not the sole creators, but rather points of expression and actualization of virtualities produced by an assemblage that exceeds them. This leads us to consider these experiments at the crossroads of art and anthropology as something more than mere alternative modes of presentation and diffusion of research. They have much more to contribute as they open up new sensory spaces that rearrange the conditions of emergence of thought and creation. Much more than mediums, they renew and deeply enrich our the frames and processes of our work.

keywords  : writing, art and anthropology, correspondence, juggling, research creation  

Sommaire

Chroniques à la frontière (30′) est une performance au croisement d’un numéro de jonglage, de clown et d’une conférence [1]. Cette pièce interpelle sur les manières dont nous représentons et dont nous parlons des transformations des frontières des États au XXIe siècle. Vincent Berhault et moi l’avons créé ensemble, avec le soutien du Centre International des Arts en Mouvement (CIAM) d’Aix-en-Provence. L’objectif était d’élaborer une pièce au croisement du cirque et de l’anthropologie pour ouvrir l’exposition/colloque de l’antiAtlas des frontières à l’école d’architecture La Cambre Horta de Bruxelles, intitulé « Coder et décoder les frontières » [2]. Si cette pièce a été conçue pour être jouée en solo par mon ami Vincent Berhault, auteur, metteur en scène et jongleur, je suis moi-même monté cinq fois sur scène. En examinant le processus de création et la préparation des représentations, j’analyse ici les relations et les modes de communication spécifiques que nous avons développés avec Vincent Berhault, la pièce et les différents publics qui ont assisté à celle-ci.

Ceux qui ont fait de telles expérimentations ont pu mesurer les difficultés de communication que rencontrent chercheurs et artistes dans les processus de co-création. Inscrites dans des modes d’existence et des exigences différentes, leurs démarches présentent de nombreux déphasages. Pourtant, les retours d’expériences montrent que, loin d’être des échecs, ces disjonctions permettent souvent de générer des malentendus, des perturbations et des déplacements fructueux (Manning et Massumi 2014 ; Parizot et Stanley 2016).

Afin de faire sens de la spécificité de ces échanges, je m’appuierai sur des cadres conceptuels permettant d’analyser des formes de communication décalées ou se déployant en l’absence de langage commun. Je mobiliserai tout d’abord le concept de « correspondance », défini par Tim Ingold (2017). L’anthropologue fait référence aux manières dont les personnes prêtent attention à, et composent avec, leur environnement pour mieux vivre avec lui. La métaphore épistolaire prend en compte le caractère décalé et discontinu des relations dans le temps. À la différence de l’immédiateté des courriels, une réponse à une lettre tarde toujours à revenir, ouvrant ainsi sur une période d’incertitude. Ce concept permet de mieux prendre en compte la non immédiateté et la non réciprocité de certaines relations. D’abord, parce quand une personne correspond avec une autre, cette seconde ne réagit pas immédiatement, ni systématiquement, de même que la première n’est pas toujours en mesure de comprendre sa réponse. Enfin, la métaphore épistolaire évoque aussi la communication en l’absence et dans la méconnaissance de l’autre. Le concept de correspondance permet donc d’envisager la relation entre artistes et chercheurs au-delà d’une interaction directe, instantanée et transparente ; comme une relation partielle (Strathern 2004) articulant des trajectoires autonomes, disjointes, divergentes et pourtant connectées.

Je m’inspirerai ensuite de Donna Haraway et notamment des processus de communication qu’elle analyse entre ce qu’elle appelle des « espèces compagnes » (Haraway 2018) : c’est-à-dire les formes de communication qui s’établissent entre les êtres humains et leurs animaux domestiques alors même qu’ils ne partagent aucune forme de langage commun conventionné. Il ne s’agit pas ici d’appréhender les domaines de la recherche et de l’art comme des univers incompatibles. À la manière de Bruno Latour (2012) et de Jean-Paul Fourmentraux (2019), je les envisagerai plutôt comme des modes d’existence divergents, mais néanmoins enchevêtrés et consubstantiels. En effet, les divergences entre leurs démarches relèvent davantage des modalités à travers lesquelles ils articulent des façons de faire, des savoirs, des valeurs et des exigences plutôt que des caractéristiques des éléments qu’ils mobilisent. C’est une question de forme, de sens, plutôt que de substance. En effet, le processus d’élaboration de cette pièce m’a montré que ce sont bien ces différentes manières d’orienter et d’articuler notre vocabulaire, nos pratiques, nos exigences, nos attentes qui ont généré des situations au cours desquelles nous avons été dépourvus de système partagé et conventionné de communication.

Fig. 1. Séminaire de recherche « Frontières et réseaux », IMéRA, Marseille
Crédits : Myriam Boyer, 2012

Faute de clefs pour interpréter ou déchiffrer correctement les gestes et les mouvements de l’autre, nous avons été contraints, Vincent et moi, de nous engager dans des tâtonnements, développant ainsi des formes de communication indicielles (Kohn 2017). Contrairement aux symboles, les indices ne tirent pas leur signification d’associations conventionnées et institutionnalisées entre un signifiant et un signifié. Ces signes se construisent dans le flot des habitudes. C’est, par exemple, le froncement de sourcils d’un proche que l’on associe progressivement avec son regain d’attention ; ou encore l’articulation de postures corporelles, de changement de tonalité de voix chez une personne avec laquelle on développe l’habitude de travailler et que l’on prend comme une marque d’incompréhension, voire d’irritation, mais dont il est impossible d’isoler et d’identifier chaque élément. Les indices relèvent donc de formes de représentations et de communication propres à des collectifs restreints et à des apprentissages situés. De même, comme ils sont fortement liés aux pratiques, ils sont moins stables et plus éphémères que les symboles. En revanche, les chaînes d’associations qu’ils recomposent participent activement au renouvellement des imaginaires symboliques (Kohn 2017).

Compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis nos premières rencontres avec Vincent, ainsi que du caractère souvent improvisé de nos ateliers de création, je ne serai pas ici en mesure de décrire précisément ni dans le détail ces processus sémiotiques. Cependant, je montrerai que les tentatives renouvelées d’articuler des gestes, des images, des métaphores, des idées, et des mots nous ont amenés progressivement à éprouver et à nous interroger à propos des univers symboliques que nous mobilisions chacun de notre côté pour discuter de la question des frontières. En bref, grâce à ces processus de bricolage et d’ajustements nous avons pu « devenir ensemble » (Haraway 2018), c’est-à-dire emprunter des chemins, explorer des pistes et soulever des questionnements que nous n’aurions jamais amorcés chacun de notre côté.

Cependant, cette correspondance doit être envisagée dans une écologie plus large que celle de la relation binaire entre un chercheur et un artiste. Il faut prendre en compte les non-humains qui ont peuplé notre collectif, c’est-à-dire les agrès manipulés par Vincent ainsi que la pièce qui s’est progressivement « instaurée » (Latour 2009). Les uns et les autres ont fonctionné comme des « sujets partiels » [3] (Massumi 2002), d’abord parce que les forces mécaniques qu’ont cristallisées les agrès nous ont agis, ensuite parce que la pièce est devenue un véritable catalyseur de nos actions et de nos pensées. Il faut enfin prendre en compte le public avec lequel nous sommes entrés en correspondance à chaque représentation.

L’expérience singulière que nous avons vécue avec Vincent n’épuise pas les multiples formes d’actualisation auxquelles donnent lieu les rencontres entre chercheurs et artistes. Les dynamiques dont je veux rendre compte ici, permettent cependant de remettre en jeu un certain nombre d’a priori. L’analyse des dynamiques relationnelles, entre nous, le public et la pièce, permet d’insister tout d’abord sur le caractère délocalisé et extraverti du processus d’écriture qui se déploie à travers ce type d’expérimentations. À travers elles, l’écriture n’est plus réductible à un médium permettant de produire du texte sous une forme enrichie et de faire mieux circuler ou traduire un message déjà construit. Une telle conclusion évacuerait d’emblée tout le potentiel qu’elles recèlent. Ici, j’insiste au contraire sur le fait que ces expérimentations relèvent davantage d’agencements dynamiques entre actants humains et non-humains qui ouvrent à chaque étape de création, à chaque représentation, un espace sensible au sein duquel il est possible d’opérer de nouveaux alignements de signes et de nouvelles associations entre des gestes, des figures, des métaphores et des idées, et donc de transformer le rapport à la question ou à l’objet envisagé.

Il faut cependant quelques années de recul pour pouvoir percevoir les effets des inflexions et des accélérations que ces expérimentations ont contribué à générer dans les parcours de recherche et de création de leurs auteurs et de leurs publics. Car, comme le souligne Yves Citton (2014), les processus et les formes singulières que font émerger ces expérimentations échappent souvent aux tentatives de mesure, de quantification ou d’évaluation opérées à travers les modalités reconnues et institutionnalisées dans le monde de la recherche et de l’art. À la frontière entre recherche et art, elles ne sont ni réductibles à la production de connaissance, ni à la création d’œuvres artistiques. De même, replacés dans cette écologie plus large que le face à face entre un chercheur et un artiste, leurs auteurs apparaissent moins comme des créateurs omnipotents, que comme des points d’actualisation de processus qui les excèdent.

Je montrerai enfin que les déplacements qu’opère un anthropologue dans ce genre d’expérimentations n’impliquent pas qu’il se transforme en artiste. Ici l’extra-disciplinarité (Holmes 2007), c’est-à-dire le fait de se déplacer vers la discipline de l’autre, ne se manifeste pas par une conversion ou des échanges transparents, mais à travers une correspondance imparfaite. Cependant, en préservant la singularité de l’un et de l’autre et en évitant de tomber dans le piège de l’obsession du commun, du partage et de l’hybridation, ces expérimentations permettent de créer des situations critiques qui font événement et participent à la fois à relancer les processus de recherche et à alimenter le processus créatif.

Relations partielles

Février 2016, Aix-en-Provence. Il y avait de tout dans cette valise : des balles blanches en caoutchouc, des feuilles de papiers, un Rubik’s cube, des petites balles de ping-pong oranges, une boîte à meuh, des chapeaux... et même une bande vidéo VHS rassemblée en paquet dans une petite poubelle rouge. Vincent l’avait disposée sur les gradins en bois qui s’élevaient sur quelques mètres devant la scène du plus petit des trois chapiteaux que comptait alors le Centre international des arts en mouvement d’Aix-en-Provence. Chloé Béron, la directrice de ce lieu de création autour du cirque, nous l’avait généreusement ouvert pour deux jours. Seuls, nous allions pouvoir nous mettre au travail.

Alors que Vincent faisait l’inventaire de sa mallette, s’étonnant de retrouver un objet, riant face à un autre, mon téléphone sonna. C’était Andrea Rea, le doyen du département de sciences politiques de l’Université Libre de Bruxelles. Il appelait pour vérifier un point d’organisation pour le colloque-exposition de l’antiAtlas des frontières que nous organisions en partenariat avec lui. Nous avions fixé sa tenue au mois d’avril entre l’École d’architecture La Cambre Horta, le campus de l’Université Libre de Bruxelles et l’Organisation Mondiale des Douanes. Il s’intitulait « Coder et décoder les frontières ». La question fut vite réglée. J’aimais bien organiser ce genre d’événement : c’était excitant et festif, un peu comme un shoot d’adrénaline. Cela faisait cependant partie de ma zone de confort, ce n’était pas comme le défi auquel j’étais maintenant confronté avec Vincent : aborder les mutations des frontières au XXIe siècle à travers une pièce de jonglage qui ouvrirait le vernissage de l’exposition à l’École d’architecture de Bruxelles.

L’idée avait germé deux ou trois mois plus tôt au téléphone. Vincent était un vieux copain qui avait lui aussi fait ses études d’ethnologie à Nanterre au début des années 1990. Il avait bifurqué par le cirque pour devenir jongleur, auteur et metteur en scène. Il était revenu sur les bancs de la fac bien plus tard, pour faire un master de géopolitique à l’IRIS [4]. C’est là qu’il s’était demandé comment il pouvait articuler sa pratique artistique et sa recherche. Julie Chansel, une amie commune, avait relaté à Vincent les efforts que nous mobilisions dans le collectif antiAtlas pour faire travailler en commun des artistes, des chercheurs et des experts autour des mutations des frontières au XXIe siècle. Elle lui avait parlé de mon expérimentation amorcée autour d’un jeu vidéo depuis 2013 avec Douglas Edric Stanley (Parizot et Stanley 2016). Étant lui-même en train de préparer une pièce autour des frontières et des aéroports, Vincent m’avait appelé. Vingt minutes plus tard, nous étions tombés d’accord : nous élaborerions ensemble une chronique jonglée sur les frontières étatiques contemporaines.

Raccrochant le téléphone, j’ai senti un vide s’ouvrir devant moi. En décembre 2015, le jour de notre discussion avec Vincent, je m’étais dit que j’avais été un peu trop vite : comment déployer un questionnement de recherche autour des frontières à travers une pièce de jonglage ? Ce jour de février 2016, dans le chapiteau du CIAM, c’était pire : je pensais que j’avais dérapé. Ce sentiment était d’autant plus aigu que le coup de fil d’Andrea m’avait placé pendant quelques minutes à cheval entre deux mondes : d’un côté, l’université avec ses conventions qui était comme une seconde maison ; de l’autre, le cirque que je découvrais pour la première fois. J’entrais dans un univers dont je ne connaissais ni les formes ni les enjeux.

Alors que j’avais déjà été impliqué dans trois expérimentations avec des artistes [5], je ne trouvai ici aucun repère familier : la scène et le lieu de travail, les modes d’écriture, les manières d’être, me plongeaient dans l’inconnu. Si l’ami qu’incarnait Vincent me ramenait vingt ans en arrière, le circassien qu’il était devenu était un étranger. Comment partager avec lui l’approche et le questionnement que j’avais développé autour des mutations des frontières étatiques au cours des dix dernières années ? Planté en face de moi, deux balles dans la main, il n’avait pas l’air plus rassuré.

Marylin Strathern (2004) rappelle que nos relations avec les personnes de notre entourage sont toujours partielles. Nous ne sommes jamais en lien avec leur totalité, mais simplement avec certaines de leurs manières d’être. Celles-ci sont d’ailleurs souvent façonnées par la relation elle-même. On ne connaît jamais complètement l’autre. Ces connexions sont ensuite partielles parce que chaque personne est impliquée dans des trajectoires incommensurables : c’est-à-dire des histoires, des cheminements et des temporalités singulières. Bien que cela soit une évidence, on y prête rarement attention. En revanche, ce jour-là, tout venait nous le rappeler. Le projet que nous amorcions nous a ainsi fait basculer dans une « expérience » (Dewey 2005) au sein de laquelle les modes opératoires à travers lesquels nous communiquons, produisons et créons habituellement avaient perdu toute efficacité. Nous devions comprendre ce qui se passait pour tenter de reprendre le contrôle sur la situation.

Modes d’énonciations distincts

Le premier jour, j’ai fait la même erreur qu’au cours d’expérimentations antérieures : je me suis efforcé de transmettre mon savoir et mes questionnements sur les mutations des frontières à travers des exposés. Je tournais autour de Vincent, assis par terre avec un petit carnet de note sur le tapis de scène noir. Le spectacle était caricatural : je déversais un flot de mots, de concepts, d’images, d’anecdotes, gesticulant, haussant la voix. Je faisais cours ! Il m’interrompait ponctuellement, réorientait mon propos avec des questions, des analogies, des soupirs et des rires. L’ambiance était joyeuse et chaleureuse. Nous nous sommes même demandés s’il ne fallait pas reprendre cette configuration dans la pièce que nous allions préparer. Mais, à l’époque, j’appréhendais beaucoup à l’idée de monter sur scène.

Pour un temps, j’ai eu l’impression d’avoir la situation en main, mais cela n’a pas duré. Si Vincent saisissait bien les grandes lignes des processus évoqués (blindage des frontières, redéploiement du contrôle en deçà et au-delà de celles-ci, externalisation vers des acteurs privés, etc.), il ne pouvait pas s’approprier tous ces éléments et ces questionnements pour les redéployer à travers d’autres formes d’écriture. À plusieurs reprises, nous avons repris ses notes et ses questions pour tenter de compléter un point, en préciser un autre. Rien à faire ! L’heure tournait, ses feuilles se remplissaient et le vide se creusait. En milieu d’après-midi, nous n’avions pas encore envisagé le format de la pièce et ses directions.

Il y avait quelque chose d’entêté et de naïf dans ma manière d’agir. Plus je m’obstinais, plus l’impression de perdre pied se cristallisait. Vincent était dans le même état. Comment partager, en quelques heures, un savoir et un questionnement avec une autre personne alors que celle-ci n’envisage pas ce dont on parle à travers les mêmes mots, les mêmes questions, les mêmes expériences ni surtout la même démarche ? Nous ne l’avions pas prévu. Lors de mes expérimentations précédentes, A Crossing Industry ou ISPABEMA, j’avais eu plusieurs mois pour échanger avec les artistes. Je n’avais pas fait attention à ce problème de communication, même si j’avais bien réalisé la nécessité de m’adapter aux nouveaux formats d’écriture (Parizot et Stanley 2016 ; Parizot à paraître). Là, nous n’avions que quelques jours !

Je communiquais ma pensée à travers des régimes d’énonciation et des modèles visuels spécifiques : ceux très conventionnels et parfaitement institutionnalisés des études sur les frontières. Je faisais ainsi tour à tour mention du caractère réducteur de la métaphore de la « ligne » pour insister sur la nécessité d’envisager aussi le redéploiement de frontières en « réseau », leur « atomisation », leur « pixellisation », et leur « fluidification ». Je m’inspirais des modélisations réseau que j’avais réalisées dans ISPABEMA.

Fig. 2 : Essai de cartographie de réseaux de relations entre Israéliens et Palestiniens
Crédits : Wouter Van Den Broeck, ISPABEMA, 2013

Ainsi, plutôt que d’explorer avec Vincent des modes d’imagination et de matérialisation de ces processus à mi-chemin entre nos pratiques, je restais accroché à ceux que j’avais assimilés et qui organisaient fortement mon expérience de la frontière. Comme le précise un certain nombre d’auteurs (Deleuze 1986 ; Munster 2013 ; Ingold 2004 , 2016), les métaphores visuelles formatent les objets que nous sommes censés décrire et analyser tout comme elles organisent les rapports que nous entretenons avec eux. Nous avions beau parler la même langue, nous ne mobilisions ni le même système de conventions, ni les mêmes cadres symboliques pour aborder la question des frontières et, je me demande aujourd’hui si nous parlions véritablement des mêmes objets.

Fig. 3 : Carte réalisée par Matthieu Gonella pour l’interface de la première version du jeu « A Crossing Industry », 2013.

Trajectoires incommensurables

Inscrits dans des trajectoires de vie distinctes, nos relations pratiques aux transformations des frontières n’étaient pas non plus comparables. Je traitais cette question depuis plus de dix ans, dans le cadre de mes recherches ethnographiques ; Vincent avait principalement abordé la frontière à travers ses déplacements personnels entre la France et la Turquie, où il avait vécu quelques années, ainsi qu’à travers ses lectures.

Ce déphasage était aussi accentué par ma méconnaissance de l’univers de la scène, du jonglage et des relations spécifiques qui se déploient entre les agrès, le jongleur et son public. Je n’avais également aucune expérience du processus d’écriture au plateau [6] que mobilisent de nombreux artistes dans le spectacle vivant. Tout comme Vincent devait tenter de développer une prise avec mon univers, mon savoir et mes pratiques pour pouvoir amorcer une forme d’échange et envisager de créer quelque chose, je devais faire le même chemin dans le sens inverse.

Nous avions convenu de créer une conférence gesticulée [7] pour proposer à des spécialistes et au grand public une mise en question amusante et stimulante des mutations des frontières au XXIe siècle. Nous n’étions pas enfermés dans une logique d’information : autrement dit, il ne s’agissait pas de transmettre un message, ni d’orienter notre public vers ce qu’il était pertinent de penser, mais de l’interpeler, de relancer son questionnement autour de la question des frontières. L’expérimentation autour du jeu vidéo m’avait permis de comprendre comment l’art pouvait intervenir à travers la création d’expériences (Dewey 2005) ou de dispositifs critiques (Caillet 2014), c’est-à-dire en produisant des situations au sein desquelles les récepteurs étaient amenés à s’interroger sur les conditions à travers lesquelles ils s’engageaient, pensaient et communiquaient autour d’une question ou d’un objet spécifique.

Cependant, alors que Vincent envisageait la pièce comme un dispositif sensible, je restais dans une approche encore très textuelle (Lyotard 2017), c’est-à-dire que je l’envisageais comme quelque chose à lire plutôt qu’à voir et à entendre, comme devant signifier plutôt qu’exprimer. Non seulement la parole devait être au cœur de la mise en scène, mais je voulais éviter que l’articulation des scènes et des mouvements produise un sens qui déborderait le processus de questionnement que je voulais mettre en œuvre. Je ne voyais donc pas que nous devions donner à cette forme une profondeur au sein de laquelle le spectateur pourrait faire ses propres déplacements, alignements, associations, et y développer ainsi ses propres expériences sensibles et faire surgir un sens sans passer par le langage.

Enfin, pour compliquer le tout, nous nous étions donnés comme contrainte de rester dans une relation paritaire : ni l’artiste, ni le chercheur, ne devait prendre le dessus. Je ne devais pas devenir la muse de Vincent, ni lui un technicien talentueux assurant la valorisation d’un travail scientifique abouti. Si cet engagement était louable, il a bouleversé les cadres habituels de nos activités de création : non que les règles déterminant la production d’un spectacle de jonglage, ou celle définissant les protocoles de recherche en anthropologie se soient effacées ; bien au contraire, nous avons dû veiller constamment à ce que les exigences, les attentes, les désirs dont ces normes étaient porteuses puissent s’articuler ensemble. Comme ni les uns ni les autres ne pouvaient déterminer à eux seuls la nature et le format définitif de l’œuvre, il fallait donc redoubler d’attention pour ne pas engager l’artiste ou l’anthropologue dans un processus qui le mettrait en difficulté. Nous devions rester constamment attentifs à la singularité de l’autre.

Correspondance entre espèces-compagnes

Faute de partager les mêmes pratiques, les mêmes techniques, le même appareil conceptuel, voire le même langage, nous tentions de décrypter les attentes de l’autre. Nous étions inscrits dans une sorte de « correspondance » (Ingold 2017) entre « espèces compagnes », comme celle qu’évoque Donna Haraway (2018) dans le cadre des communications qui prennent place entre les humains et leurs animaux de compagnie. Il ne s’agit pas de dire ici que j’étais dans la même position que le chat de Vincent, ou lui du mien (d’ailleurs, je n’en ai pas), ni de dire que nous n’avions aucun moyen symbolique pour communiquer mais que la dynamique de notre relation ressemblait par certains égards à ces échanges entre deux êtres séparés par les différences radicales qui prévalaient entre leurs pratiques signifiantes. À la manière de bricoleurs amateurs, nous avons alors appris à devenir ensemble.

Fig. 4 : Vincent Berhault jouant Chroniques à la frontière au MUCEM
Crédits : Ouriana Polycandrioti, 2019

Et c’est à ce moment-là que nous avons pu commencer à créer : lorsque la pièce a cessé d’être envisagée comme une traduction de propos ou de réflexions abouties ; lorsque nous avons plutôt opté pour une parole scénique, en contrepoint, autour des mutations des frontières au XXIe siècle. Donc, les gestes de Vincent ne venaient plus illustrer ou traduire mes propos, mais réagir à mes propositions et inversement. Cependant, cette correspondance n’était pas limitée à notre interaction, elle s’élargissait aux agrès, à la pièce et au public, qui s’étaient imposés comme des sujets-partiels.

Jongler

Campé derrière une table, face à sa mallette ouverte, il avait sorti un sac plastique blanc qu’il avait délicatement lancé pour qu’il s’élève juste au-dessus de sa tête. Le temps que l’objet redescende, il en avait propulsé un second vers le haut. Il les a fait ainsi osciller juste en face de lui, lentement et doucement. Captivé, je suivais le mouvement de ces deux sacs, évoluant comme des plumes ou de petits nuages, juste au-dessus des épaules de Vincent. Puis, il en a sorti un troisième, pour le diriger au-dessus de sa tête, le forçant ainsi à augmenter la cadence. Il a accéléré progressivement jusqu’à atteindre un rythme frénétique, de plus en plus captivant. Essoufflé, il a récupéré le premier, puis le second sac plastique, qu’il a rangés dans ses poches de pantalon, ne laissant plus que le troisième osciller face à lui quelques secondes de plus. Après l’avoir récupéré, il l’a allongé pour le faire tenir à la verticale, sur sa main, qu’il a tendue dans ma direction. L’anse qui était légèrement ouverte sur le dessus faisait l’effet d’une mire à travers laquelle Vincent m’observait maintenant avec un sourire au coin des lèvres, avant de prononcer : « frontière intelligente ! ».

Fig. 5 : Vincent Berhault jouant Chroniques à la frontière au MUCEM
Crédits : Ouriana Polycandrioti, 2019

Une idée venait de surgir : pourquoi ne pas articuler de courts énoncés, ou des nuages de mots à des scènes de jonglages ? « Pourquoi pas ! » avait rétorqué Vincent. Ce jeu avec les sacs en plastique était intervenu tard dans l’après-midi, après que j’ai abandonné mon cours magistral pour écouter et regarder Vincent explorer des pistes en jouant avec des objets. Avant cela, il m’avait offert un moment de jonglage avec des balles blanches, puis avec des chapeaux, il avait également joué avec la bande VHS contenue dans sa poubelle. Il l’en avait fait surgir pour créer un grand tourbillon de ruban noir et brillant qu’il faisait circuler et tournoyer autour de lui, comme un fluide composé d’un enchevêtrement de fils toujours en recomposition ; il donnait à la fois l’impression de se débattre et de dompter une chose qu’il agissait et par laquelle il était agi ; chose qu’il finit par ramener délicatement, en lui parlant presque tendrement, dans cette petite poubelle en plastique rouge qui faisait maintenant l’effet d’un refuge.

Le matin, il avait prêté attention à mes mots, mes manières d’être, de parler. Il avait tenté de capter et de digérer la froide prose que je lui avais exposée à travers un discours assez académique pour expliciter, décrire et documenter les processus de transformation des frontières. Il avait joué le jeu. Cette tentative nous avait certes plongés dans le sujet, tout comme elle avait familiarisé Vincent à la question, mais elle n’avait pas permis d’aller plus loin. L’après-midi c’est moi qui m’étais efforcé de prêter attention à ce qu’il proposait. C’est là que j’ai commencé à comprendre comment il pouvait directement explorer des formes d’écriture sur le plateau.

Fig. 6 : Vincent Berhault jouant Chroniques à la frontière au MUCEM
Crédits : Ouriana Polycandrioti, 2019

La correspondance était ainsi amorcée : il proposait des choses en attendant de voir comment je réagissais ; je prêtais attention à ses moindres gestes pour essayer d’y trouver de l’inspiration, une voie que nous pourrions creuser. Et c’est effectivement à travers ces circulations et les associations que j’ai faites à l’intérieur de ses mouvements et de ses jeux que j’ai pu envisager des alignements possibles, des agencements expressifs pour rêver autant que pour penser. C’est là où j’ai commencé à sortir de l’obsession de la traduction, de la signification et de l’illustration.

Nous avons alors commencé à explorer tous les deux des articulations d’énoncés, de nuages de mots avec des scènes, des gestes et des objets. Ces assemblages ont alors fourni les cadres de notre communication. Les formes qui émergeaient des différentes propositions étaient autant de moyens d’articuler nos idées, nos attentes et nos exigences. Mais cette articulation ne signifiait pas pour autant que nous opérions les mêmes associations entre, d’un côté, les mouvements des agrès, les gestes et les paroles de Vincent, et de l’autre, les idées et les questions que je voulais soulever à travers cette pièce. C’est dans ce sens que j’évoque la notion de « correspondance entre espèces compagnes ». Si la teneur de nos échanges montrait que nous nous mettions de plus en plus en phase l’un avec l’autre, en revanche, nous n’avions pas la possibilité de comprendre complètement le sens qu’attachait l’autre à ce que nous étions en train de créer.

En outre, cette correspondance ne s’est pas limitée à nous deux, elle s’est déployée à travers la matérialité des objets que Vincent avait amenés. Tout comme l’architecture, le décor et l’ambiance du chapiteau cadraient nos interactions, ces objets ont défini les formes et le contenu de nos explorations. Celles-ci s’articulaient autour de balles, de sacs plastiques, d’une boîte à meuh, d’un Rubik’s cube, de balles de ping-pong, de feuilles A4 et d’une bande VHS. Ensuite, même si Vincent réussissait avec eux ce que je regardais comme des prouesses, leurs formes et les forces auxquelles ils étaient soumis définissaient les conditions matérielles de sa création. Ces agrès étaient à la fois agis, tout comme ils agissaient Vincent. À travers leurs formes, leurs couleurs, leurs textures et les charges symboliques qui y étaient attachées, ces agrès orientaient inévitablement le type d’alignements et d’associations que nous opérions : des sacs plastiques blancs ne renvoyaient pas aux mêmes métaphores que des enclumes.

Fig. 7 : Vincent Berhault jouant Chroniques à la frontière au MUCEM
Crédits : Ouriana Polycandrioti, 2019

Enfin, cette correspondance était d’autant moins transparente que je n’étais pas familier avec l’univers du cirque et du jonglage, je ne pouvais pas savoir si l’orientation que prenait la forme de la pièce qui émergeait était présentable dans le cadre d’un spectacle. De la même manière, Vincent ne savait pas non plus ce qui était acceptable du point de vue d’un anthropologue travaillant sur les frontières. Dans cet exercice, les seules normes auxquelles nous pouvions nous conformer a priori étaient les nôtres. De même, les seuls points de repère que nous avions pour comprendre que nous franchissions une limite intolérable pour l’autre étaient ses réactions. Or, celles-ci n’étaient pas toujours verbalisées. En effet, dans ce processus émergent, où nous avancions à tâtons, éprouvant des gestes, des mouvements, des anecdotes, etc. sans avoir d’idée préconçue de la forme finale, il n’était pas toujours facile pour l’un ou pour l’autre de savoir si les inflexions qu’était en train de prendre la pièce allaient dans le sens ou à rebours de nos attentes. Par ailleurs, il était difficile de savoir si les sentiments d’inconfort passagers que l’un ou l’autre pouvait fréquemment ressentir étaient liés au franchissement inacceptable de limites ou simplement au caractère inhabituel de l’exercice dans lequel nous nous étions engagés. L’articulation de notre ressenti et sa qualification à travers des mots, venait donc plutôt au cours des jours suivants, rarement dans l’instant.

C’est ce qui est intervenu au terme du second jour, en fin d’après-midi. De mon côté, j’étais assez satisfait. En 48 heures, nous avions produit un enchaînement de dix minutes un quart d’heure qui me plaisait beaucoup. À travers une succession de jongleries autour de feuilles blanches, de balles, de sacs plastiques et de la bande VHS, Vincent proposait un solo qui évoquait à la fois l’évolution de la nature et des configurations des frontières au cours des cinquante dernières années, ainsi que celle des concepts mobilisés pour décrire ces changements. En revanche, lui était un peu mal à l’aise. Il s’était presque raidi. Il ne parlait plus de la même façon, il n’arborait plus le même sourire. J’avais beau lui demander ce qui s’était passé, il ne savait pas quoi répondre. Il m’avait simplement rétorqué que ces deux journées l’avaient « un peu mis en crise ». Mais je sentais que ce n’était pas seulement l’exercice qui le perturbait, un seuil avait été franchi.

Cependant, ce n’est que le surlendemain, au téléphone, qu’il a pu expliciter ce qu’il avait ressenti : la pièce avait pris un tour qui ne lui convenait pas. Discutant avec sa femme qui était metteure en scène, il avait réussi à comprendre. Le registre lui paraissait trop éloigné de ce qu’il avait l’habitude de jouer. Il trouvait que ce que nous proposions manquait de dimension poétique et d’humour. Pire, il n’arrivait pas à s’investir dans le personnage. Il trouvait cette pièce encore trop textuelle, trop didactique.

Ainsi, si je convoque la métaphore de « correspondance entre espèces compagnes », ce n’est donc pas pour qualifier la relation et les échanges que j’ai développés avec Vincent de manière générale, mais pour mieux préciser l’économie que pouvaient prendre nos relations au cours du processus d’écriture au plateau. Faute de capacité de verbaliser ou d’articuler de manière élaborée et réfléchie nos ressentis respectifs, nous ne pouvions nous reposer que sur des indices, c’est-à-dire des gestes, des mouvements et des attitudes de l’autre qui, à force d’habitude, nous permettaient de mieux percevoir les évolutions des humeurs de l’autre sans pour autant comprendre dans l’instant leurs sens ou leur importance.

Devenir ensemble

Ces réactions non verbalisées fonctionnaient un peu comme la canne d’un aveugle. Elles indiquaient des limites significatives que nous ne pouvions pas percevoir autrement que par son intermédiaire. Nous étions donc dans une double exploration du sensible : celle des mouvements et des propositions que nous articulions ensemble, l’un visant à cerner les limites que l’autre ne pouvait pas franchir. L’une nous amenait à tester des chaînes d’associations, l’autre à éprouver ce qui était permis par la discipline de notre partenaire.

Cependant, plutôt que de nous maintenir à distance, cette correspondance entre « espèces compagnes » ouvrait sur une autre forme d’articulation de nos corps : Vincent était devenu à travers ses gestes une partie de mon dispositif de perception, tout comme mes gestes et mes réactions intégraient le sien. Par ailleurs, nous « devenions ensemble » de deux autres points de vue : d’abord, parce que ces réajustements constants, en fonction de ce que nous percevions des attitudes de l’autre, ont orienté notre cheminement ; ensuite, parce que ces réajustements s’opéraient en contrepoints, nos réactions étaient distinctes mais toujours en lien avec celles de l’autre. Enfin, ce devenir nous échappait partiellement : d’une part, parce que nous avancions l’un et l’autre au juger et, d’autre part, parce que nous n’étions pas toujours en mesure de cerner immédiatement les effets de nos décisions.

Il fallait donc corriger le tir ! Notre discussion au téléphone montrait qu’il était nécessaire de retravailler et de rajouter autre chose. Nous devions nous retrouver un mois plus tard, le 11 mars, au Point H^UT, un lieu de création urbaine situé à Saint-Pierre-des-Corps. Nous avions deux jours, le premier pour travailler à nouveau sur la pièce, le second pour y faire une restitution publique. La troisième échéance était la présentation finale lors de l’exposition de l’antiAtlas, le 13 avril 2016. Tombé malade, je n’ai pas eu l’occasion de me rendre à Saint Pierre des Corps. Vincent a donc fait la restitution sans moi. Il m’avait averti qu’il avait rajouté des éléments avant et au sein même de l’enchaînement que nous avions construit. Il avait ainsi pu réinvestir le projet.

Je n’ai pu en prendre connaissance que de manière indirecte : d’abord par les explications de Vincent et, ensuite, par les descriptions et les commentaires très positifs de Jean Cristofol, un ami et membre du collectif antiAtlas des frontières qui avait fait le voyage avec lui ; enfin, en visionnant une captation vidéo réalisée le jour de la restitution. Il m’a donc fallu attendre le vernissage de l’exposition de Bruxelles. Ce jour-là, je n’étais pas très rassuré dans la mesure où j’allais voir pour la première fois un spectacle qui m’échappait partiellement.

Chroniques à la frontière, vidéo de présentation d’étape au MUCEM
Crédits : François Mouren-Provensal, 2018

Cependant, cette nouvelle forme s’inscrivait bien dans notre processus de correspondance. D’une part, les propositions ajoutées par Vincent s’articulaient et répondaient directement à celles que nous avions élaborées ensemble au CIAM. En jouant sur l’articulation de prises de paroles inscrites dans des registres contrastés, une succession d’anecdotes et d’histoires décalées les unes par rapport aux autres, Vincent avait donné à l’enchaînement élaboré au CIAM une touche plus poétique. Plutôt que de créer du commun, il avait souligné une nouvelle fois les différences entre nos démarches. La pièce ne s’épanouissait pas dans une harmonie produite par la convergence de la proposition d’un artiste et celle d’un chercheur, mais plutôt à travers des accords articulant des propositions en contrepoints. D’autre part, cette nouvelle forme n’était qu’une étape, elle ne faisait que restituer un processus en cours. Nous l’avons d’ailleurs retravaillée ensemble à plusieurs reprises.

Les accords entre les propositions de Vincent et les miennes étaient d’autant plus complexes qu’ils impliquaient d’autres actants : la pièce et le public. La pièce était effectivement l’incarnation et la matérialisation d’un processus d’instauration. Comme le souligne Bruno Latour (2009), dire d’une œuvre qu’elle s’instaure plutôt qu’elle est construite permet de la penser comme une forme agissante, Cela évite de la réduire à un effet ou à une substance inerte : « Aucun être n’a de substance ; s’ils subsistent, c’est qu’ils sont instaurés » (2009 : 10). En outre, en envisageant l’artiste comme accueillant, préparant, inventant cette forme, on évite de positionner les êtres humains comme des démiurges. Comme le suggère Tim Ingold (2013), nous sommes plus souvent comparables aux vanniers qui organisent des formes dans des champs de forces : forces mécaniques de la matière, forces plastiques de leurs savoir-faire, forces émanant de leur environnement, forces enfin de l’œuvre qui devient, à travers son processus d’instauration et ses formes, un catalyseur de l’attention et des pratiques de ses instaurateurs.

En catalysant notre attention, la pièce a fonctionné comme un « sujet-partiel » (part-subject) (Massumi 2002 : 73). C’est-à-dire qu’au cours du processus de création, au fur et à mesure qu’elle se matérialisait, elle ouvrait de nouvelles potentialités et reconfigurait du même coup notre correspondance. Elle a donc participé directement au réajustement de nos rapports, à façonner le contenu et l’intensité de nos échanges. À travers mes propositions de réajustement, je ne m’efforçais pas uniquement de m’accorder avec Vincent, mais à la fois avec lui et avec la pièce. Car les inflexions qu’elle prenait ouvraient certaines possibilités tout comme elles en fermaient d’autres. Il fallait donc être attentif au fait que ces nouvelles propositions pouvaient la renforcer ou au contraire lui faire perdre sa force. Mais cette pièce n’était qu’un sujet partiel, dans la mesure où elle n’existait pas sans le processus d’instauration que nous avions initié et que nous entretenions ensemble.

Au-delà du médium

Chroniques à la frontière a constitué un sujet partiel à chaque représentation au cirque [8], au théâtre [9], au musée [10], à l’université [11]. Devant être chaque fois réajustée en fonction des particularités du lieu et des différents publics, elle déclenchait chaque fois une nouvelle correspondance entre nous et ces derniers. L’examen de cette correspondance élargie permet de s’affranchir de la construction classique de l’expérience esthétique et de l’alignement qu’elle opère entre le créateur, l’œuvre et le spectateur (Cristofol 2005 : 16-17). Le processus d’écriture qu’elle catalyse apparaît davantage comme un agencement-en-train-de-se-faire, c’est-à-dire comme une (re)configuration spécifique des positions des actants humains et non-humains qui participent au processus d’instauration de l’œuvre, entraînant ainsi une autre forme de circulation du sens. Penser en termes d’agencement permet enfin de ne pas appréhender le processus d’écriture comme un simple médium (Cristofol 2005 : 33), c’est-à-dire de le réduire à un moyen de matérialisation et de communication d’une pensée préexistante. Cette écriture est au contraire relationnelle et s’inscrit dans des spatialités et des temporalités plus larges que les lieux et les moments de sa création et de ses représentations. Quant aux auteurs, l’artiste et le chercheur, ils sont moins des créateurs, que des expressions singulières d’un processus de production qui les excèdent.

Inflexions, accélérations

Les lieux et les auditoires devant lesquels nous avons produit Chroniques à la frontière ont d’ailleurs chaque fois agi sur le processus d’écriture. Ces modifications sont intervenues en amont de la pièce, au cours de sa représentation, et en aval de celle-ci. En amont, nous discutions systématiquement des conditions de représentation avec les organisateurs de l’événement : le temps imparti, la scène sur laquelle Vincent allait monter, la manière d’introduire Chroniques. La pièce ne pouvait pas être présentée à l’identique sous un chapiteau, dans une salle de théâtre, dans une salle de cours d’une université ou dans l’auditorium d’un musée. Les événements n’offraient pas non plus les mêmes possibilités d’intervention et d’entrée sur scène : festival de cirque enchaînant une succession de formes courtes, un colloque universitaire ou un séminaire de recherche au sein desquels la pièce venait rompre ou perturber un dispositif d’interaction et de communication, etc.

Vincent exigeait quelques heures la veille, ou tôt dans la journée, pour s’approprier le lieu, son mobilier, l’éclairage. En répétant, il réajustait son jeu dans la matérialité du lieu. À partir des éléments que nous fournissaient les organisateurs et les conditions qu’offraient l’espace scénique, nous envisagions différemment le début de la pièce, l’enchaînement ou la mise en avant de certains passages. Si nous préparions ensemble ces réajustements, je ne suis monté que cinq fois sur scène, pour n’intervenir qu’en début de pièce : à Berne (2018), à Aix-en-Provence, à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (2018), à Marseille, à l’IMéRA (2018) et au MUCEM (2018), et enfin, à Bagnolet, au Théâtre de l’Échangeur (2019). Au cours de la représentation à Berne, pendant le colloque « Poétique des frontières dans les littératures de langue française XXe – XXIe siècle », nous avions décidé avec les organisateurs, Patrick Suter et Corinne Fournier Kiss, que Vincent surgirait du public au milieu de mon intervention sur l’antiAtlas des frontières.

Ce plan a d’ailleurs parfaitement marché. Il a d’abord surpris et inquiété les participants qui craignaient que l’événement soit pris en otage par un dément. Puis, l’inquiétude a cédé la place au soulagement et à l’amusement. Le passage d’un format à l’autre était donc réussi, il avait permis de changer de mode d’attention tout en ouvrant une forme de correspondance intense entre Vincent et le public : le dément était devenu réconfortant ! Les propos et les images avec lesquels jouaient Vincent entraient particulièrement bien en résonnance avec les discussions et les échanges que nous avions eus dans la journée. Les deux manières d’aborder un même sujet s’articulaient pleinement au point de susciter d’intéressantes discussions dans la soirée.

La pièce m’a donc moins offert un dispositif alternatif de matérialisation de ma pensée, qu’un cadre dans lequel nous avons pu éprouver de manière renouvelée, avec Vincent, les agrès et le public, des associations et des articulations entre des énoncés et des métaphores visuelles. En déployant à chaque fois un espace sensible, chaque représentation ouvrait sur d’autres possibles et d’autres articulations. Plutôt que de l’attendu, elle produisait de l’inattendu. Elle articulait de manière subtile le programmé et le non programmé faisant surgir de nouvelles singularités (Huyghe 2017 : 37-39) et donc de nouvelles associations, idées ou réflexions.

Ainsi, les manipulations des agrès et des énoncés qu’opérait Vincent ne venaient donc pas illustrer mais questionner la pertinence et les limites d’images, de notions et de métaphores visuelles mobilisées dans la recherche sur les frontières comme celles évoquant leur « pixellisation » (Bigo 2011), leur dimension « ponctiformes » (Cuttitta 2007), ou leur caractère « réticulaires » (Crosby et Rea 2016). En effet, le jeu qu’opérait Vincent sur scène, entre ces métaphores scientifiques et des objets en mouvement, que ce soit des balles, des sacs plastiques ou des feuilles blanches, m’interpelait sur le caractère à la fois très évocateur et très réducteur des premières. Les gestes de Vincent ne venaient donc pas illustrer un discours scientifique mais le mettre à l’épreuve de ses propres limites. Les réflexions que ce jeu a suscitées ont contribué à alimenter la réflexion que j’avais amorcée à travers d’autres expérimentations au croisement de l’art et de la recherche : ISPABEMA, une application numérique pour visualiser des relations à travers des réseaux ; et A Crossing Industry, un jeu vidéo pour modéliser et simuler les expressions des limites dans le quotidien des Israéliens et des Palestiniens.

Ainsi, la pièce n’a pas contribué à ma réflexion en articulant tel ou tel mouvement ou agrès avec telle ou telle idée ou concept, mais plutôt en faisant surgir et en alimentant, sur le long terme, un questionnement critique de plus en plus prononcé autour des images et des métaphores visuelles que je mobilisais dans ma recherche pour appuyer mes réflexions ou conforter mes énoncés.

Chroniques à la frontière a donc alimenté des interrogations qui se sont déployées à travers de multiples supports et sur plusieurs années. Ce qui comptait était moins l’œuvre que le processus de relations (Manning et Massumi 2014) et sa capacité à faire surgir de nouvelles orientations et de nouvelles tournures d’esprit. Son intérêt reposait sur son potentiel d’inflexion ou d’accélération de ma pensée (Citton 2014 : 113). Cependant, pour envisager ces effets, il est impératif de sortir d’une approche linéaire et proportionnelle de la causalité. Il faut également se projeter sur le temps long pour prendre le recul nécessaire. Car les répercussions d’une inflexion de pensée ou d’une pratique doivent être appréciées à travers des formes de résonnance et de propagation complexes et à travers des temporalités qui dépassent celles de l’instant. Il faut en parallèle sortir d’une approche individuelle de l’auctorialité. L’analyse de l’instauration de la pièce suscite, en effet, deux questions : qui pense et qui écrit ?

Expressions

Si les inflexions et les accélérations se déploient dans la pensée et la pratique du chercheur ou de l’artiste, ils n’en sont pas les déclencheurs. Ils expriment un processus qui les excède. Revenons sur la correspondance avec le public. C’est en fonction de ce que nous attendions du public que nous réajustions des scènes, des textes et des mouvements en amont. C’est en fonction des réactions à chaud du public que Vincent adaptait son jeu. Il agissait tout autant qu’il était agi par le public devenu lui aussi un sujet partiel à travers le processus d’individuation que provoque le dispositif scénique. Mais c’est aussi en fonction des discussions que nous avons eues a posteriori que nous avons réécrit certaines parties ou que nous avons fait sens de certains alignements possibles. Ces réajustements n’ont pas entraîné seulement des adaptations ponctuelles, mais ils nous ont également invités à nous interroger sur les déplacements que nous pouvions effectuer en nous engageant dans la création de cette pièce.

Je pense d’abord à l’effet qu’a eu la pièce sur le public lors de la Fête de la science, en mai 2018, à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme. Nous avions convenu avec les organisatrices, Sylvia Girel et Sylvie Laurens, que Vincent surgirait au milieu du public au milieu de ma présentation orale. Les réactions furent, par contre, très différentes de celles des universitaires que nous avions rencontrés à Berne : à la gêne et à l’inquiétude ont succédé, pour certains, beaucoup d’amusement, mais pour d’autres, de l’indignation. Comment pouvait-on caricaturer ainsi la science ! Heureusement que les organisatrices, ainsi que la directrice de la MMSH, Sophie Bouffier, le Vice-président culture et patrimoine scientifique Nicolas Claire et certains de nos collègues avaient franchement apprécié car ce fut éprouvant. La plupart des représentants des associations et des institutions de diffusion de la culture scientifique, qui n’étaient ni chercheurs, ni enseignants-chercheurs à l’université, avaient été offusqués par le détournement de l’événement que nous avions opéré. Cette tentative de sortie de notre tour d’ivoire n’avait semble-t-il pas respecté les conventions qu’ils s’efforçaient de conserver et de sacraliser.

Reportage sur Chroniques à la frontière, réalisé lors du 33ème Forum Culture Sciences PACA
Crédits : Anonymal tv, 2018

D’autres interrogations ont surgi suite à des échanges beaucoup plus agréables, comme lors de la représentation donnée au Théâtre de l’Échangeur à Bagnolet, le 20 octobre 2018. Elle avait été suivie d’un débat organisé avec le public. C’est là qu’une collègue, Frédérique Fogel, m’a amené à reconsidérer le statut de cette forme d’écriture. Jusque-là, compte tenu de ma difficulté à classer et à rendre compte de ces activités dans le cadre des rapports que je rédigeais tous les deux ans pour le comité national du CNRS, et en raison du peu d’intérêt que cela suscitait chez mes collègues, je voyais dans cette pièce, ainsi que dans le jeu vidéo que j’élaborais en parallèle, des formes d’expériences ou d’écritures intermédiaires, voire marginales. Je leur attribuais ainsi le même statut que les tableaux, les schémas et les fiches que nous dessinons ou rédigeons pour la préparation de nos articles (Denis et Pontille 2002). Mais pour ma collègue, il s’agissait de bien plus que d’une écriture intermédiaire.

C’est en réfléchissant aux réactions de l’auditoire au cours de la Fête de la science et à la proposition de Frédérique Fogel que j’ai été amené quelques années plus tard à repenser la nature de ce processus d’écriture. Ces expérimentations n’offrent pas uniquement des dispositifs critiques (Caillet 2014) permettant de reconsidérer à travers un regard nouveau les modèles visuels (lignes, points, réseaux, filets, etc.) que nous mobilisons dans nos recherches (Parizot et Stanley 2016). Elles ne remettent pas uniquement en jeu les paradigmes à travers lesquels nous entrons en prise avec le monde, elles renvoient également au questionnement posé par Walter Benjamin à propos de la situation de l’auteur dans le processus de production (Caillet 2015). Cette question peut se poser de trois manières : en termes de position sociale, de mode d’existence, ou bien en termes d’altération du monde. Et c’est sur cette dernière que je voudrais m’attarder.

L’enjeu n’est alors plus uniquement de savoir « que pense » ou « d’où parle » le chercheur, mais comment sa recherche singulière « actualise » et contribue à infléchir, à son échelle, des modes de pensée, des pratiques et des manières d’être. Comme le souligne Gilles Deleuze (1988) en reprenant Leibniz, le « point de vue » qui constitue le sujet n’est pas simplement un lieu ou un moment de perception et d’expérience, mais également un mouvement d’expression du monde, de son actualisation. L’individu que constitue le chercheur n’est donc pas simplement « dans » le monde, comme le suggère la phénoménologie, mais « pour » le monde (Deleuze 1988) : il contribue à son actualisation et donc à sa transformation. En l’altérant, il génère du surcroît. Et c’est ce que j’ai réalisé en revenant sur le processus d’élaboration de cette pièce.

Les inflexions et les réflexions que j’ai développées à partir de cette œuvre sont donc des expressions singulières des virtualités ouvertes par un processus de création qui m’excède, tout comme il excède Vincent et notre petite équipe. C’est également pour cette raison que l’expérience que nous en avons tirée est toujours différente. L’écart structurel continue d’ailleurs aujourd’hui de persister, tout comme celui que j’ai noté dans le cadre des expérimentations que j’ai menées avec d’autres artistes. Mais loin d’être le témoignage d’un échec, il est constitutif du dynamisme de cette forme de co-écriture qui alimente et reconfigure constamment notre correspondance et celle que nous entretenons avec nos publics.

Enfin, parler de l’auteur comme point de vue permet d’envisager l’écriture de cette œuvre comme un processus délocalisé qui s’appuie sur un dispositif hétérogène et polymorphe, réarticulant constamment des éléments et des actants humains et non-humains. Les seuls cadres qui organisent et permettent à ce dispositif de conserver une forme spécifique sont ceux fournis par l’articulation des modes d’existence et des univers normatifs que nous avons importés de nos domaines respectifs ; quant au style que nous développons, il provient de la singularité de notre « correspondance entre espèces-compagnes. »

Chroniques à la frontière ne constitue donc ni une écriture intermédiaire, ni une écriture alternative de ma recherche, mais un autre cadre pour réaliser cette dernière. En mettant en place un dispositif qui m’a permis d’éprouver la correspondance entre des expériences, des points de vue, des modèles, des images et des concepts, cette pièce à ouvert de nouvelles conditions d’émergence de ma réflexion autour des frontières, tout comme elle m’a permis d’envisager différemment mon positionnement par rapport aux récepteurs de mon travail de recherche.

Fig. 8 : Vincent Berhault jouant Chroniques à la frontière au MUCEM
Crédits : Ouriana Polycandrioti, 2019

add_to_photos Notes

[1Je tiens à remercier Jean Cristofol, Vincent Berhault et Richard Jacquemond pour leurs lectures et leurs commentaires, ainsi que les deux relecteurs anonymes et les éditrices scientifiques de ce numéro pour leur précieuses suggestions.

[3Brian Massumi développe ce concept en s’inspirant de Michel Serres qui analysait le rôle de catalyseur que joue un ballon dans un match de foot. Le mouvement du ballon agit alors comme une force mécanique sur les joueurs qui doivent constamment réajuster leurs mouvements pour pouvoir reprendre la maîtrise sur sa trajectoire. D’une certaine manière, le ballon se met à jouer aux joueurs, tout autant que les joueurs jouent au ballon. Cependant, il ne s’agit que d’un « sujet partiel » car il n’est lui-même animé que par le jeu dans lequel s’engagent les joueurs de foot.

[4L’IRIS ou Institut de Relations Internationales et Stratégiques est un think tank français situé à Paris, qui travaille sur les thématiques géopolitiques et stratégiques. Pour plus d’informations : [https://www.iris-france.org/]

[5Depuis 2012, je m’étais engagé dans trois autres expérimentations : Virtual Watchers, avec Joana Moll, une œuvre numérique sur un groupe de volontaires américains surveillant la frontière américano-mexicaine (http://www.virtualwatchers.de/) ; ISPABEMA, qui impliquait la création d’un logiciel de visualisation de données réseaux pour proposer une autre cartographie des espaces israélo-palestiniens ([https://www.antiatlas.net/ispabema-israel-palestine-below-maps/]) ; et enfin, A Crossing Industry, avec Douglas Edric Stanley, qui m’a amené à élaborer un jeu vidéo sur les manifestations des frontières dans les espaces israélo-palestiniens ([https://www.antiatlas.net/a-crossing-industry-jeu-video-documentaire-artistique/]).

[6« L’écriture au plateau » est un mode d’écriture et de création qui se développe à même la scène. Sur ce point voir Tackels (2015).

[7Il s’agit d’une conférence jouée devant un public sur un mode spectaculaire. Elle s’appuie sur un travail d’écriture, engageant une réflexion sur les moyens scéniques de la transmission (Krieg-Planque 2012)

[8Maison des jonglages, La Courneuve, 29 avril 2016 ; Festival Jours et nuits, Centre international des arts du mouvement, Aix en Provence, 23 septembre 2017.

[9Théâtre de l’Échangeur, 20 octobre 2018.

[10MUCEM, auditorium, samedi 29 septembre 2018 et 21 juin 2019.

[11Université de Ber (Suisse), le 8 mars 2018 ; Maison Méditerranéenne des sciences de l’Homme, Aix en Provence, le 28 mai 2018 ; Institut d’Études Avancées d’Aix Marseille Université, Marseille, le 5 juin 2018.

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Cédric Parizot, 2022. « Chroniques à la frontière. Correspondance entre un anthropologue et un jongleur ». ethnographiques.org, Numéro 42 - décembre 2021
Rencontres ethno-artistiques [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2021/Parizot - consulté le 28.03.2024)
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