La colonialité du genre, ou comment « sauver » les victimes migrantes des violences conjugales

Résumé

Cet article s’appuie sur une recherche empirique menée sur l’accueil des femmes subissant des violences conjugales dans un centre hospitalier en Suisse romande. Le cadre d’analyse mobilise l’intersectionnalité pour montrer comment l’identité nationale suisse est convoquée par le personnel de santé, face aux femmes migrantes, pour leur faire prendre conscience que leur situation est une situation de violence non admise en Suisse. Cette invocation de la loi suisse sous-entend que le manque de conscience de ce que ces victimes vivent aurait pour cause leur culture d’origine, culture où ces violences seraient censément tenues pour normales. Parallèlement, le manque de conscience des Suissesses des violences subies est mis sur le compte d’un problème psychologique à traiter par la thérapie. Dans une perspective d’évaluation des politiques publiques, les résultats démontrent qu’au final, la prise en charge institutionnelle de ces femmes échoue à protéger de manière adéquate toutes les victimes de violences conjugales, quel que soit leur catégorisation ethnoracisée. De plus, cette recherche illustre de manière théorique comment les rapports intersectionnels entre le genre et la race doivent être complexifiés de manière à prendre en compte la colonialité du genre en train de se faire, au cours de ces échanges étudiés entre le personnel de la santé et les femmes victimes de violences conjugales.

mots-clés : intersectionnalité, violences conjugales, sexisme et racisme, institutions médicales, colonialité du genre

Abstract

The coloniality of gender, or “saving” migrant victims of intimate partner violence

This article is based on empirical research on how women suffering from intimate partner violence are received and counseled by a hospital in French-speaking Switzerland. The analytical framework mobilizes intersectionality to uncover how Swiss national identity is invoked by healthcare professionals working with migrant women, with the aim of making them aware that the violence they are experiencing is unacceptable in Switzerland. The invocation of Switzerland in this discourse implies that these victims’ presumed lack of awareness of what they are going through is rooted in their culture of origin, a culture where this violence is supposedly considered normal. In contrast, Swiss women’s similar lack of awareness of the violence they are experiencing is attributed to psychological problems, to be treated through psychotherapy. From the perspective of public policy evaluation, the results show that, in the end, the institutional response to both categories of women fails to adequately protect them from intimate partner violence, though in different ways. From a theoretical perspective, this research highlights how the intersectional relationships between gender and race must be complexified in order to take into account the coloniality of gender as it is “done” in the exchanges between healthcare professionals and women victims of intimate partner violence.
keywords : intersectionality, domestic violence, intimate partner violence, sexism and racism, medical institutions, coloniality of gender

Sommaire

Introduction

Grâce aux efforts des mouvements féministes, les violences conjugales qui étaient ignorées jusqu’aux années 1970 font désormais l’objet de politiques publiques et de recherches scientifiques dans le monde entier (Hearn 2013 ; Romito 2006 ; Delage, Lieber et Roca i escoda 2020 ; Stark 2007). Cependant, les politiques publiques actuelles se sont éloignées d’une vision où ces violences sont comprises comme des violences de genre, telles qu’elles étaient abordées par les féministes du siècle dernier. En Suisse, les politiques publiques s’orientent désormais vers une lecture psychologisante et symétrisante (Lieber et Roca i Escoda 2015 ; Khazaei 2021). Cette évolution est par exemple perceptible dans les choix sémantiques opérés pour désigner ces violences. Les politiques publiques ne parlent plus ni de violences faites aux femmes, ni de violences conjugales, mais de violences domestiques. Cette terminologie ne permet plus de distinguer les agresseurs des victimes, et elle passe sous silence que plus que 90% des meurtres perpétrés dans le cadre des violences conjugales sont commis par des hommes contre leur partenaire féminine (Lieber et Roca i Escoda 2015).

En même temps, les recherches ont attiré l’attention sur la dénonciation croissante des violences commises contre les femmes, dans les seuls groupes ethnoracisés (Hamel 2005 ; Delphy 2006). Ces recherches ont critiqué le fait que l’on pointe du doigt certains de ces groupes pour dénoncer ces violences (Hamel 2005 ; Grewal 2013 ; Bader et Mottier 2020). En se situant dans une approche qui examine les politiques publiques dans une perspective intersectionnelle, le présent article, avec l’aide de l’ethnographie, tend à confirmer ces argumentations théoriques, et à démontrer comment cette racialisation du sexisme échoue, au final, à protéger de manière adéquate toutes les victimes de violences conjugales, quelle que soit leur catégorisation ethnoracisée.

Afin de contribuer à une compréhension ethnographique du genre en train de se faire, cet article étudie comment le personnel de santé d’un centre hospitalier en Suisse romande cadre et traite différemment les cas de violences conjugales portés à sa connaissance, en fonction de sa perception de l’appartenance dite culturelle des personnes concernées. Je propose d’analyser spécifiquement le suivi des victimes par le personnel d’une unité médico-légale, en utilisant les outils conceptuels forgés par les recherches sur l’intersectionnalité des rapports sociaux. À travers un examen des échanges entre les infirmières, les médecins légistes et les patientes, je décris comment les représentations de l’identité nationale suisse sont mises en œuvre au cours des consultations médicales avec les patientes, à l’intersection du sexisme et du racisme, et avec quelles conséquences.

Une ethnographie critique des pratiques médico-légales

Suivant l’épistémologie féministe et se conformant aux exigences d’une ethnographie critique, je considère que tout savoir est situé (Haraway 1988). Catégorisée comme une femme migrante par mes participant·e·s de la recherche, j’ai essayé de me servir des opportunités qui émergent de cette perception, comme des données potentielles pour engendrer une analyse critique. Conformément à l’appel de Harding et Norberg (2005), j’étais attentive aux rapports de pouvoir qui traversent toute recherche et à ce que celle-ci décide de problématiser. Par conséquent, la recherche en question adopte les principes et les pratiques d’une recherche critique qui est aussi attentive que sensible à ce que les groupes défavorisés veulent savoir (Harding et Norberg 2005 : 2011). Au lieu de s’intéresser aux gouverné·e·s comme objet d’étude, ce type de recherche donne la priorité à des enquêtes sur les institutions de pouvoir et leurs pratiques. Ces recherches se focalisent par exemple sur les politiques publiques et se donnent pour mission d’utiliser la force de la science aux bénéfices des groupes défavorisés (Harding et Norberg 2005). Avec l’objectif d’aller au-delà d’une explication du social, ces recherches demandent à comprendre le social dans le but de changer la manière dont les institutions du pouvoir marginalisent les gouverné·e·s dépourvu·e·s de pouvoir (Hesse-Biber et Leavy 2006 : 236 ; Bailey 1996 : 25).

Je me suis donc intéressée aux institutions publiques qui s’occupent des violences conjugales en Suisse romande. J’ai exploré les pratiques quotidiennes des institutions publiques – une unité médico-légale dans le cas présent – depuis mon positionnement d’une femme migrante, positionnement auquel j’ai été assignée. Mon positionnement a d’abord déterminé la question principale de recherche qui est la suivante : comment les agent·e·s de l’État nomment, cadrent et traitent différemment les cas des violences conjugales – en fonction de leur perception de l’appartenance dite culturelle des personnes concernées –, alors que ces cas concernent un même problème social, une population vivant dans le même territoire national et sont traités par les mêmes institutions. Suivant l’appel de Dahinden (2016), j’ai ainsi décidé d’interroger la catégorie prise pour acquise des « migrant·e·s » et leur supposée « différence culturelle » comme une catégorie émique et une question empirique à analyser et déconstruire.

Ce positionnement a également orienté les méthodes adoptées ainsi que mes analyses. J’ai prioritairement mis l’accent sur les réponses institutionnelles et sur leurs conséquences pour les services offerts aux femmes subissant des violences conjugales. Ce ne sont pas les subjectivités des professionnel·le·s qui m’ont intéressée, ni les éventuelles tensions et diversités individuelles, mais leurs actions, leurs pratiques institutionnalisées et leurs conséquences pour les victimes. J’ai documenté les pratiques devenues routinières et les discours institutionnels.

Pour ce faire, j’ai opté pour une démarche ethnographique. Cette méthodologie permet d’étudier les processus en train de se faire, de saisir la complexité des situations en temps réel et de collecter des données sur les pratiques auxquelles nous ne pouvons pas avoir accès au moyen d’entretiens (Olivier de Sardan 2008). L’enquête s’est déroulée sur cinq mois, de février à juillet 2015. Les observations sur lesquelles cet article est basé portent sur 39 consultations pour violences conjugales et sur 9 entretiens complémentaires conduits avec le personnel médical du centre, soit 5 infirmières et 4 médecins. Hormis un des médecins (suisse), toutes étaient des femmes de nationalité suisse et âgées de 30 à 50 ans.

Durant la période de mon immersion, j’ai passé trois jours par semaine au centre et j’ai accompagné le personnel dans les consultations en lien principalement avec les violences conjugales. Conformément aux principes déontologiques de la recherche, ma fonction d’observatrice et mon projet – portant sur la prise en charge des violences conjugales dans le contexte migratoire – étaient connus de toute l’équipe. De plus, j’ai demandé l’autorisation des personnes concernées chaque fois avant d’entrer dans le bureau des consultations. Une seule personne a refusé ma présence.

Pour pouvoir confronter les pratiques du personnel avec son discours, j’ai également conduit des entretiens de type « expert » suivant la terminologie de Bogner. La spécificité et la plus-value des entretiens « experts » résident en ceci qu’ils permettent d’identifier les pratiques « hégémoniques » au sein de l’institution étudiée (Bogner, Littig et Menz 2009). Ces entretiens se focalisent sur les discours des personnes interviewées dans leur fonction institutionnelle, au-delà de leurs spécificités et parcours individuels. La grille d’entretien ne porte donc pas sur les éventuelles différences d’opinion ou les tensions au sein d’une équipe professionnelle, mais met en évidence ce qui relève du consensus ou, du moins, d’une pratique commune nonobstant les réserves individuelles parfois inévitables. Ce choix est motivé par le souci de saisir la dimension institutionnelle et supra-individuelle de ces récits, et surtout leurs conséquences (Douglas 1986).

À partir des instruments de codage de la théorie ancrée (Charmaz 2006) et de l’analyse thématique (Flick 2009), j’ai construit une boîte à outils personnalisée et centrée sur les aspects institutionnalisés pour analyser les pratiques et le discours quotidiens du personnel. Suivant l’aphorisme foucaldien selon lequel « les gens savent ce qu’ils font ; souvent ils savent pourquoi ils font ce qu’ils font ; mais ce qu’ils ignorent, c’est l’effet produit par ce qu’ils font » (Foucault 1977 : 12), je me suis focalisée sur les actions, les pratiques et leurs rationalités plutôt que sur les intentionnalités. Les exemples présentés dans cet article sont choisis pour leur caractère représentatif des tendances et modalités découvertes ; ils ne sont pas des exemples uniques et isolés.

Je me suis efforcée au final de rester attentive non seulement à la perspective des agent·e·s institutionnel·le·s, mais aussi à ce que les autres femmes subissant des violences conjugales, migrantes ou non, vivent et disent lors de leur rencontre avec ces institutions. J’avais pour objectif de produire un savoir qui serait bénéfique à ces femmes et à ce qu’elles souhaiteraient comprendre et rendre visible. Dans ce but également, je suis retournée dans les institutions étudiées à la fin de la recherche et j’ai restitué les résultats les plus conséquents. J’ai engagé un dialogue avec les professionnel·le·s. Mes résultats ont été globalement bien accueillis et j’ai même été invitée à travailler sur un projet de recherche au sein de l’institution étudiée dans cet article, afin de l’aider à intégrer ces résultats dans un projet ultérieur.

Pour une analyse intersectionnelle des violences commises contre les femmes

En soulignant l’acception politique du genre, dans cet article, je définis le genre comme « un système de division hiérarchique de l’humanité en deux moitiés inégales » (Delphy 2001 ; Bereni et al. 2008 : 21), avec des conséquences concrètes et réelles, alors même que les prémisses sur lesquelles repose le système de genre, à savoir les catégories d’« hommes » et « femmes » sont bien évidemment construites, fissurées et mouvantes, et qu’elles n’existent pas en dehors des interactions sociales. Dans cette optique, adopter une perspective de genre c’est travailler à rendre visible le sexisme et à dévoiler les mécanismes par lesquels il se légitime, pour enfin révéler ses conséquences en termes d’inégalités et altérités.

Quant à la perspective intersectionnelle, elle rend visible l’imbrication du sexisme avec d’autres rapports de domination, tels que, parmi d’autres, le racisme, le classisme, le validisme ou l’hétérosexisme (Cho, Crenshaw et McCall 2013). Née d’un mouvement critique au sein du féminisme pour contester la catégorie de « nous les femmes » à titre de sujet politique du féminisme (Dorlin 2008 ; Fassa, Lépinard et Roca i Escoda 2016), la théorie de l’intersectionnalité a été formulée (Crenshaw 1989) pour affirmer que d’autres rapports de pouvoir traversent le groupe des « femmes », et qu’un féminisme « blanc » et de classe moyenne ne peut pas représenter la voix, le vécu et les enjeux de toutes les femmes (Hill Collins 1989). Il existe de nombreuses femmes dont les vécus et expériences ne peuvent pas être vus, compris, rendus visibles et, en définitive, légitimés si ne nous travaillons que pour démasquer le sexisme uniquement (Dorlin 2008).

L’intersectionnalité permet donc de révéler ce qui n’est pas visible quand les catégories du genre et de la race, notamment, sont conceptualisées comme séparées l’une de l’autre. Dans un premier temps, l’intersectionnalité montre les difficultés à rendre visibles les vécus de celles qui sont dominées et/ou victimisées au titre de ces deux catégories, genre et race. Elle montre que la logique d’une séparation catégorique déforme ce qui existe à l’intersection. Elle permet de comprendre que c’est seulement lorsque nous percevons le genre et la race comme imbriqués ou fusionnés, que nous voyons véritablement les femmes de couleur (Lugones 2008). Sur la base de cette conception, il n’est plus possible de considérer les rapports de genre ou les phénomènes de genre en train de se faire comme un processus séparé de celui de la race notamment. Si nous omettons de regarder comment le genre et la race se construisent mutuellement, nous échouons finalement à comprendre véritablement comment le genre s’opère.

De nombreuses études ont été consacrées en particulier à l’approche analytique de l’imbrication du sexisme avec le racisme (notamment Crenshaw 1989 ; Guillaumin 1972 ; Delphy 2006 ; Hamel 2005). En revanche, les relations de colonialité ont reçu moins d’attention (Quijano 2000). La colonialité ne se réfère pas seulement à la classification raciale ; elle étudie aussi les changements que la colonisation a amenés dans l’organisation du sexe et du genre, voire dans le système de genre actuel (Oyewùmí 1997). C’est ce que Maria Lugones nomme « la colonialité du genre » (Lugones 2008). La présente recherche tente de montrer comment les rapports intersectionnels entre le genre et la race doivent être complexifiés, de manière à prendre en compte la colonialité du genre. Il s’agit de voir, dans ce cas, comment le genre, au cours des échanges entre le personnel de santé et les femmes, se fait à travers la (re)production et/ou la perpétuation d’une relation de colonialité (Lugones 2008). Ainsi, en examinant l’efficacité et la pertinence des réponses institutionnelles aux violences conjugales, et l’adaptation de ces réponses aux besoins des femmes qui vivent ces violences, il devient possible de voir comment un autre rapport de pouvoir, celui de la colonialité, moins analysé dans les recherches intersectionnelles, nous révèle la manière dont le genre s’opère et se fait dans la vie de tous les jours (Lugones 2008).

Enfin, la démarche ethnographique me permet de mettre l’accent sur les processus de catégorisation des humains, plus que sur le contenu de la catégorie de la différence elle-même. J’emploie le concept de « racisation » (Guillaumin 1972 : 161) défini comme « une assignation informée par l’idéologie raciste » (Belkacem et al. 2019 ; Boulila 2019). La forme passive de l’adjectif rappelle cette opération de catégorisation faite par un groupe dominant « racisant » sur d’autres groupes « racisés » (Guillaumin 1972 : 83), ou ethnoracisé, un terme que j’emploie en lien avec l’adjectif « migrant », qui est une catégorie émique de mon terrain.

Les violences conjugales comme problème de santé publique

La reconnaissance des violences conjugales comme problème de santé publique par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), au début des années 2000, a conféré un rôle plus important aux milieux de la santé parce qu’ils sont propices à la détection et au traitement des violences conjugales (Hofner et Viens Python 2014). Après cette reconnaissance institutionnelle comme problème de santé, les violences conjugales ont alors été perçues comme une « épidémie » (Durazo 2016 ; Delage et Roca i Escoda 2018). Une épidémie qui devait être prise en charge dans une perspective médicale avec les outils de la médecine, tels que le diagnostic (la désignation d’une maladie et l’établissement de sa cause), la prévention, le traitement (la prise en charge des blessures) et la recherche (la collecte d’informations sur les victimes) destinée à mettre en évidence des facteurs de risque (Durazo 2016). Les victimes des violences conjugales ont été transformées en « patientes » avec des blessures et des besoins médicaux (Durazo 2016).

Dans le contexte fédéral suisse, cette reconnaissance a conduit à la création d’un nouveau service de santé spécialisé dans un des cantons de Suisse romande. Ce service avait pour objectif d’élaborer une procédure au moyen de laquelle le personnel de santé devrait aborder systématiquement la question des violences avec les patientes, et serait en mesure de les orienter vers des services spécialisés pour un soutien approprié, en plus du traitement médical urgent fréquemment fourni par les unités d’urgence des hôpitaux (Hofner et Viens Python 2014). Dans cet esprit, l’idée de créer un centre spécialisé au sein de l’hôpital a été approfondie et un nouveau centre médico-légal a ouvert ses portes en 2006. Spécialisées dans la médecine de la violence [1], les consultations médico-légales ont pour objectifs de recevoir les victimes, d’écouter attentivement leurs récits d’événements violents récents, de réaliser des examens corporels pour établir des certificats médico-légaux avec des photos des blessures, et d’évaluer les besoins et les ressources des victimes afin de les orienter vers d’autres institutions. Le centre étudié se distingue ainsi de la médecine forensique qui répond exclusivement aux besoins de la chaîne pénale, et aux questions de la police et/ou des tribunaux (pour plus d’information sur la spécificité du centre, voir Khazaei 2021). Les certificats produits par le centre étudié peuvent ensuite être utilisés par les victimes au cours d’une procédure pénale contre les agresseurs, dans une procédure civile de divorce ou dans d’autres procédures ; il s’agit d’une autre différence importante par rapport à l’expertise forensique qui n’est pas établie à l’intention des victimes mais à celle des autorités.

Conformément au principe de prévention que les institutions de santé publique sont tenues de suivre, une des tâches du centre consiste à sensibiliser les victimes à la gravité de leur situation. Les consultations sont l’occasion d’apporter des conseils et des recommandations dans le but d’éviter « les risques de récidive », et ainsi, limiter les potentiels retours à l’hôpital des victimes, pour cause de violence. Les interventions concernant les victimes de violences conjugales sont donc des « actes de sensibilisation » similaires à ceux fournis dans le cadre d’autres problèmes de santé (Durazo 2016 : 188). L’accompagnement à la conscientisation est l’outil de la prévention déployé pour que les victimes ne sous-estiment pas et ne minimisent pas les violences qu’elles ont subies. Au début de chaque consultation, une série de questions sont d’emblée posées pour déterminer si la patiente est consciente du danger qu’elle encourt et si elle a pris des mesures destinées à modifier la situation qui l’a conduite à l’hôpital.

Mes notes de terrain, prises lors des consultations, révèlent que le personnel utilise quelques questions de leur questionnaire de consultation comme indicateurs pour vérifier que ces personnes sont prêtes à mettre en œuvre des mesures pour prévenir d’autres épisodes de violence. Tout d’abord, les infirmières et les médecins vérifient si la personne concernée est venue à l’hôpital de sa propre initiative ou si elle y a été envoyée par une autre institution telle qu’un refuge ou une unité de police, ou encore, si elle a été identifiée par les urgences de l’hôpital et envoyée au centre. Ensuite, elles et ils demandent à la patiente si elle a porté plainte contre l’auteur des faits ou si elle envisage de le faire. Si la patiente prévoit de demander le divorce ou a décidé d’une séparation, si elle s’est présentée au centre de sa propre initiative ou si elle envisage de porter plainte, le personnel est rassuré, et passe à d’autres points du questionnaire. Dans ces cas, elles et ils considèrent que ces personnes ont pris la situation au sérieux et ont fait suffisamment d’efforts pour éviter que la situation ne se reproduise.

À l’inverse, si la personne concernée hésite à porter plainte ou répond négativement à la question, le personnel s’inquiète et suppose que la patiente n’envisage toujours pas de prendre des mesures modifiant sa situation. Dans ces cas, elles et ils essayent de signifier à leurs patientes que leur situation n’est pas « normale ». Elles et ils utilisent différentes tactiques et phrases pour sensibiliser ces personnes à la nécessité d’agir de manière à mettre fin à la relation violente.

« La violence est illégale en Suisse »

Parmi plusieurs méthodes, le personnel use d’une phrase type à un moment ou un autre durant l’entretien : « la violence est interdite en Suisse ». Elles et ils attirent l’attention sur l’illégalité de la violence. L’explication donnée par l’une des médecins légistes illustre comment et quand cette phrase est mise en œuvre :

Cela dépend comment les gens arrivent ici. S’ils sont ici par eux-mêmes, s’ils ont décidé eux-mêmes de venir, vous n’avez pas besoin de leur parler de la loi, je pense. Comme ils savent que c’est interdit et qu’ils ne le méritent pas, j’évite de le faire. Mais parfois, ils viennent par la force des choses. Parce qu’ils étaient aux urgences, que nous les avons identifiés et poussés à venir et qu’ils ont fini par utiliser notre service. Dans ces cas-là, on a l’impression que si on ne dit pas des choses qui peuvent les choquer un peu, les secouer, ils ne vont pas – et ils ne vont peut-être jamais – utiliser leur certificat, le laissant dans un tiroir. Et ils reviennent une autre fois dans le même état.

Dans ces cas, ainsi que dans ceux correspondant à d’autres indicateurs (dépôt de plainte, divorce, etc.), le personnel trouve utile de « choquer la personne » ou de « la secouer ». En effet, elles et ils supposent que la personne ne prend peut-être pas toute la mesure de la gravité de sa situation et qu’elle a besoin d’y être sensibilisée.

À l’analyse de la manière et du moment où l’interdiction légale de la violence est évoquée pendant les consultations, il ressort pourtant que cette tactique n’est pas évitée dans tous les cas où une patiente semble avoir pris des mesures pour empêcher la violence de se reproduire. Cette phrase n’est pas non plus utilisée dans tous les cas où une patiente semble n’avoir pas pris de mesures. Je tente de discerner la définition du réel que ces experts, à travers leurs pratiques et le dispositif institutionnel, parviennent à imposer, et avec quelles implications pour l’imbrication du sexisme et du racisme, et quelles conséquences pour la prise en charge des violences conjugales.

Le cas d’une femme de nationalité afghane avec le statut de réfugiée en Suisse

Je passais la journée avec Jeanne [2], l’infirmière la plus ancienne du centre pour assister à ses consultations. Ce jour-là, nous avons reçu une jeune femme de nationalité afghane, mariée depuis quatorze ans, avec un homme de même nationalité, qui était venue au centre à la suite d’un incident récent de violence infligée par son mari. Elle nous a raconté qu’ils avaient quitté l’Afghanistan en tant que réfugiés, se rendant d’abord en Iran et de là en Suisse. Le mari avait toujours été violent envers elle, mais au moment où elle avait envisagé de se séparer de lui, il l’avait menacée de mort :

Il m’a donné des coups de poing à la tête. Il a dit « je vais te tuer ». Il m’a jetée sur le canapé ce jour-là – c’est un grand homme de 180 cm de haut et de 95 kg. À ce moment-là, j’ai compris qu’il était dangereux. Je ne sais pas pourquoi je suis restée pendant quatorze ans avec lui.

Après cela, le mari avait appelé la police pour leur dire « Ma femme veut se suicider » et demander de l’aide. Après avoir raccroché, il avait persisté dans les menaces : « quand les policiers arriveront, ils te trouveront déjà morte ». Mais comme la police est arrivée avant qu’il puisse passer à l’acte, il a modifié son histoire en annonçant à la police que « C’est ma femme qui veut me tuer ». À ce moment, la femme a observé avec colère : « Il a menti sur tout. Il va à l’université ici et connaît très bien le système. Moi, je ne sais pas lire le français. J’ai dit à la police qu’il mentait, mais je ne comprends pas pourquoi ils n’ont rien fait ». Elle a mentionné que le mari avait déjà menti aux autorités, en Iran cette fois, quand il avait appelé les services de protection de l’enfance en leur disant que sa femme avait un problème psychologique. « Il veut m’enlever notre enfant. Quand nous étions encore en Iran, il a fait cela. Il a emmené mon enfant et ne m’a pas laissé le voir pendant deux mois. Puis j’ai été obligée de revenir ». Jeanne lui a répondu : « Mais vous vivez en Suisse maintenant. La violence est interdite en Suisse. Il y a des lois ici et il est tenu de respecter la loi, il n’est pas au-dessus d’elle ». Ensuite, elle a demandé à la femme ce qu’elle entendait faire à présent. Elle a répondu :

Je ne lui donnerai pas une autre chance. J’ai peur maintenant. Je sais qu’il pourrait aller vraiment trop loin. Je ne lui donnerai jamais une autre chance, jamais.

À la question de Jeanne de savoir combien d’épisodes de violence similaires elle avait vécus, elle a répondu deux ou trois. Et Jeanne s’est exclamée :

Dieu merci, il a appelé la police lui-même ! Heureusement qu’ici la police arrive. En Iran, les choses devraient aussi évoluer comme ici. Ici aussi, cela a pris du temps – il y a 50 ou 60 ans, c’était pareil. Mais nous avons réussi à faire valoir les droits des femmes et à les faire respecter.

Un examen attentif de cette consultation et de cet extrait de la conversation entre cette femme et cette infirmière montre que la femme était déterminée à se séparer de son mari et qu’elle n’était pas du tout ambivalente quant à cette décision. Elle était parfaitement consciente des dangers que pouvait représenter pour elle la poursuite de son mariage. Elle avait même porté plainte contre son mari. Elle ne banalisait donc ni la gravité de sa situation ni le besoin de mettre un terme à sa relation. Elle était consciente de la dangerosité de sa situation et elle n’avait donc pas vraiment besoin d’être sensibilisée à ce sujet. Par conséquent, sur la base des explications que le personnel m’a généralement fournies lors des entretiens, il était surprenant de voir que cette infirmière a cru nécessaire de souligner que la loi suisse, au contraire, supposément, de la loi du pays d’origine ou du précédent pays d’accueil, interdit une telle violence.

De plus, pendant cette consultation, cette femme a fait remarquer les difficultés d’obtenir une protection efficace dans toutes ses rencontres avec les institutions. Elle a raconté les stratégies de son mari consistant à utiliser les autorités de protection de l’enfance contre elle, tant en Iran qu’en Suisse, stratégies qui l’ont mise dans une situation critique dans les deux cas. Elle a également été déçue de ce qu’après un épisode particulièrement violent en Suisse, la police soit intervenue à la demande du mari mais n’ait pas poursuivi l’affaire comme elle l’avait espéré. Le récit de ses rencontres avec les institutions en Iran, et en Suisse, avait pour but de montrer à l’infirmière comment, dans tous ces différents contextes, son mari avait toujours utilisé les institutions telles que la police, les autorités de protection de l’enfance, ou même la loi, à son avantage. Alors que cette femme critiquait le manque de soutien de la part des institutions dans les deux pays, et la manière dont son mari avait su manipuler le système institutionnel dans les deux contextes, l’infirmière a cru nécessaire de rappeler qu’il y avait quand même une différence et qu’ici la police était intervenue pour la sauver. Et, bien que cette femme ne minimisât pas la gravité de la situation – elle avait déjà porté plainte et elle allait entamer les démarches d’un divorce –, l’infirmière lui a rappelé aussi que la Suisse est un État de droit, que la loi en Suisse interdit la violence et que le mari n’est pas au-dessus de la loi. Mais pourquoi cette infirmière a-t-elle jugé nécessaire de souligner la différence entre la Suisse et l’Iran ou l’Afghanistan ? Et plus important encore, quelle « réalité » cette affirmation crée-t-elle lorsqu’elle contredit le discours du personnel qui déclare utiliser cette tactique comme un outil de sensibilisation à l’égard des femmes qui banalisent la violence et hésitent à agir ? Je vais y revenir après avoir donné un deuxième exemple, portant cette fois sur le cas d’une femme qui ne prenait pas en considération la dangerosité de sa situation pour décider de la suite de sa relation avec son partenaire violent.

Le cas d’une femme de nationalité suisse

Cette deuxième consultation a été conduite par Anita, une autre infirmière au centre, avec une femme de nationalité suisse d’une quarantaine d’années. Nous avons appris qu’elle avait commencé un apprentissage d’employée de commerce dans un supermarché. Elle entretenait une relation avec un homme très violent qui l’avait menacée de mort lors de l’épisode de violence à l’origine de la consultation. Comme d’habitude, Anita a commencé par lui demander si elle avait déposé plainte contre lui. La patiente a répondu « c’est encore difficile pour moi. Je sens que je n’ai pas le droit de le faire. Je l’aime toujours. »

Sans autre commentaire, l’infirmière a passé à la question suivante et lui a demandé de nous raconter ce qui lui était arrivé. Nous avons appris qu’elle avait une relation avec cet homme depuis un an. Le partenaire s’était installé dans son appartement et ne contribuait pas aux dépenses du ménage. Elle a expliqué qu’il était français et habitait en France avant de venir en Suisse, où il avait trouvé plus difficile de trouver un emploi. Elle a dit qu’il lui avait plusieurs fois annoncé qu’elle n’était plus la femme de sa vie et qu’il envisageait de retourner en France.

Il a menti. Il ne voulait pas partir. Il voulait me faire sentir coupable. Je ne me sentais pas très bien. J’ai pris de nombreux jours de congé de mon travail. J’ai fini par le quitter et j’ai aussi quitté ma formation d’apprentie.

Elle nous a expliqué que le couple avait déjà rompu plusieurs fois mais qu’elle était toujours revenue vers lui.

Il me disait, « Je t’aime, je ne veux pas te voir dans les bras d’un autre homme », et j’avais tendance à oublier. Il écrivait des messages pour m’émouvoir et je revenais vers lui. Les deux dernières fois, je l’ai fait par amour pour lui.

Le dernier incident qui l’avait amenée au centre s’est produit lorsque l’homme est venu prendre ses affaires et a fini par la menacer de mort. Elle nous a informés qu’elle n’avait pas voulu appeler la police et qu’elle avait, à la place, appelé sa sœur et que celle-ci avait finalement appelé la police contre sa volonté. Elle s’est exclamée : « Ma sœur n’a aucune pitié ». Mais l’homme refusait de quitter l’appartement avant l’arrivée de la police, « parce qu’il voulait que je garde l’image de la police l’emmenant menotté hors de mon appartement ». Quand la police est arrivée, elle a refusé de dire quoi que ce soit sur la menace de mort, et elle n’a pas parlé des autres épisodes de violences. Elle leur a seulement dit qu’elle ne voulait pas rester dans l’appartement pour la nuit.

À la fin de son récit, Anita lui demande à nouveau « Que pensez-vous faire maintenant ? Quel est votre projet ? ». La femme est restée vague : « rester tranquille ». Sans plus de commentaire, l’infirmière a interrompu la séance comme cela se faisait toujours pour prendre une pause et pour réfléchir avec une médecin légiste sur la suite à donner à l’affaire. Quand l’infirmière a relaté les faits susmentionnés, la médecin légiste a été particulièrement attentive au fait que la patiente avait quitté son emploi et son apprentissage ; elle s’est demandé si la patiente suivait une psychothérapie. Elle a conclu :

Elle doit avoir un problème. C’est une histoire peu claire. Comment et pourquoi a-t-elle commencé à sortir avec cet homme ? Bien sûr qu’elle doit payer l’appartement et tout le reste avec un homme pareil. Je pense que vous devriez vérifier ses antécédents médicaux, c’est très important. Demandez-lui comment s’est passé son apprentissage. Ne lui faites pas peur, mais je pense que nous devrions l’envoyer à (nom d’une clinique psychiatrique). Vous pourrez avoir un deuxième entretien avec elle pour la ramener au centre pour parler de cette psychothérapie avec elle.

Une conclusion avec laquelle l’infirmière était d’accord. Alors que la patiente, dans cet exemple, ne voulait pas porter plainte contre son partenaire, qu’elle avait refusé de parler avec la police pour le protéger, et qu’elle hésitait même à le quitter en dépit du danger qui la menaçait, l’infirmière n’a pas commenté ces déclarations et hésitations. Face à ces informations et en sachant que la patiente était très clairement ambivalente et hésitante devant la perspective d’une séparation, on pouvait s’attendre à ce que l’infirmière tente de la sensibiliser au sujet de l’« anormalité » de la violence de couple, et du danger qu’elle courait, en mentionnant que la violence était interdite par la loi. Mais l’infirmière ne s’est pas attardée sur ce sujet. Contrairement aux explications données dans les entretiens, le comportement de cette patiente n’a pas été compris par les professionnelles impliquées comme relevant de la minimisation de la gravité de la violence et de la dangerosité de sa relation, gravité et dangerosité auxquelles elle devait être sensibilisée en lui rappelant que la violence est interdite. Leur évaluation a eu pour résultat d’orienter cette femme vers un service psychiatrique de l’hôpital car, d’après elles, « elle avait un problème psy ». L’attention des professionnelles s’est concentrée sur la santé mentale de la patiente.

Les deux cas présentés illustrent des moments où la tactique « la violence est interdite ici en Suisse » est utilisée ou au contraire ignorée. Ces deux exemples ne sont pas des anecdotes isolées mais représentent une tendance que l’analyse de l’ensemble des notes de terrain confirme. À savoir : l’interdiction légale de la violence « ici en Suisse » était fréquemment mise en œuvre dans des cas impliquant des personnes dites « migrantes », alors que dans d’autres cas, impliquant généralement des ressortissantes suisses, l’interdiction de la violence n’était pas évoquée de manière systématique. Comment pouvons-nous expliquer la différence de traitement créée par cette affirmation ? Qu’est-ce que cette différence présuppose et/ou reproduit comme rapport entre les femmes ethnoracisées et le groupe majoritaire des femmes suisses ?

Fabriquer une altérité genrée et racisée non-suisse

Les patientes ethnoracisées catégorisées comme migrantes préoccupaient davantage le personnel. Aux yeux des intervenant·e·s, dans ces cas, il était plus important de pousser les femmes à réagir. En effet, le personnel attribuait l’hésitation de ces personnes à entreprendre des démarches contre leur partenaire à leur héritage culturel, supposé plus sexiste que celui des Suissesses, comme nous l’affirme une des infirmières expérimentées du centre :

Je réalise qu’en fonction de leur origine culturelle, les personnes ne vivent pas ces événements de la même manière. Ils produisent une analyse différente de ce qu’ils vivent. Il y a des choses qui sont plus tolérées dans une culture par rapport à une autre. Mais mon entretien, je le mène de la même manière avec tout le monde, la différence est dans leur réponse.... On a donc l’impression que ces femmes racontent ce qu’elles ont vécu, mais qu’elles ne considèrent pas cela comme un problème grave pour elles-mêmes. Elles ne se rendent pas compte que ce qui leur arrive n’est pas normal.

Interviewer : Que faites-vous dans de telles situations ?

Interviewée : Eh bien, j’essaie de faire passer le message... que de toute façon, la violence est interdite en Suisse. Il y a des lois ici, et on n’a pas le droit de frapper quelqu’un. Pour moi, c’est inacceptable, donc j’essaie de faire passer ce message à tout le monde que ce n’est pas tolérable, et que si vous le souhaitez, il y a des solutions pour vous aider.

C’est pourquoi l’interdiction légale de la violence « ici en Suisse » était rappelée de manière routinière aux femmes migrantes, indépendamment de l’évaluation de leur situation et indépendamment de leur éventuel manque de motivation ou hésitation à vouloir faire valoir leurs droits, comme illustré dans le cas de la femme afghane.

Dans le même temps, le personnel faisait la promotion des normes suisses et des possibilités qui s’offrent aux patientes en Suisse, pays de droit où, les victimes de violence sont protégées. L’extrait suivant de mes notes de terrain illustre ce point. Il s’agit des recommandations formulées par une assistante sociale de l’équipe de la protection de l’enfance de l’hôpital, à une femme migrante lors de sa consultation au centre. Les représentant·e·s de l’équipe susmentionnée étaient parfois présent·e·s dans des consultations des mères victimes de violences conjugales, lorsque cela avait été jugé nécessaire.

Ce que je peux vous dire en tant que femme, mère et professionnelle, c’est que la soumission n’est pas une solution. Si vous vous soumettez maintenant, vous donnerez cet exemple à votre fille. Et maintenant, vous êtes en Suisse. Vous avez un énorme pouvoir entre vos mains. Il y a des tonnes de choses qui peuvent être possibles. Vous êtes dans un pays où beaucoup d’aide existe et il y a beaucoup de possibilités et ce sont vos droits.

De nombreuses études ont démontré le rôle significatif du discours de « l’égalité de genre » dans le processus de la racisation de diverses minorités « non-désirables » dans différents pays occidentaux (Abu-Lughod 2013 ; Delphy 2006 ; Hamel 2005 ; Dahinden, Duemmler et Moret 2014). L’utilisation de ce discours depuis l’époque coloniale pour justifier la « mission civilisatrice » de l’Occident est bien documentée (Spivak 1988). Ce discours a même été adopté par certains mouvements féministes qui s’y réfèrent dans le but de « sauver les femmes du tiers-monde » de leur condition « extraordinairement » inégalitaire (Mohanty 1984 ; Delphy 2006 ; Lépinard 2020). Un argumentaire qui se rapproche de celui des professionnelles et professionnels que j’ai rencontrés.

Nous pouvons donc avancer l’hypothèse que l’utilité de la formule « la violence est interdite en Suisse » est davantage liée aux représentations du personnel en amont de leur consultation (Danzinger et Welfel 2000), et à ce qu’elles et ils considéraient comme un cadre utile ou non à déployer dans une rencontre spécifique avec une personne qui avait vécu des violences conjugales. L’extrait suivant, tiré d’un entretien avec une des infirmières du centre, illustre ce point.

Lorsque j’ai une patiente qui me dit qu’elle vient de Turquie, je me dis immédiatement que cette personne a grandi dans une autre culture que la mienne, avec une autre façon de voir la famille, une autre façon de voir les hommes dans la société, la liberté individuelle et la capacité de s’exprimer… Donc, c’est spontané. Je ne peux pas entrer dans une consultation sans considérer immédiatement cet aspect. Quand je vais dans la salle d’attente et que je trouve une jeune femme de 35 ans qui a apparemment la même origine culturelle que la mienne, je vais voir cela spontanément. Et si je vois une femme qui ne parle pas ma langue, ou qui porte un foulard, ou qui baisse les yeux à ma vue quand je lui dis bonjour, je le percevrai immédiatement.

Nous pouvons émettre l’hypothèse que dans le cas de la patiente suisse, la non-action de la femme n’est pas interprétée comme la minimisation de la violence de son partenaire ou la banalisation de ce type de violence dans la culture suisse. La minimisation de la gravité de la situation n’a pas non plus été imputée à la méconnaissance du contexte juridique. Donc, il n’a pas semblé utile de conscientiser la patiente ou de la sensibiliser par rapport à la loi ou à la violence conjugale. Le bagage culturel et l’acceptation de la violence pratiquée par le partenaire n’ont pas été considérés comme un cadre pertinent pour la compréhension de cette situation. Le comportement de la patiente a été interprété plutôt au niveau individuel, comme le résultat d’un problème psychologique pour lequel elle a été envoyée en clinique psychiatrique (Volpp 2000).

L’adjectif « suisse » pour l’interdiction de la violence revêt ici une triple fonction. Il contribue à la construction d’une identité nationale suisse idéelle, au croisement du sexisme et du racisme en véhiculant des présupposés dichotomiques. Ces a priori légitiment à leur tour des pratiques différenciées face aux patientes catégorisées comme suisses ou migrantes.

Premièrement, en insérant l’adjectif « suisse » dans son discours, le personnel de santé attribue une spécificité nationale à la prohibition de la violence et se l’approprie. Si ce personnel n’insistait pas sur « ici en Suisse », on pourrait prêter à ce discours un caractère informatif. Par langage et cette insistance, la Suisse est présentée comme supérieure et plus désirable que ce qui est imaginé être la situation dans d’autres contextes nationaux. En assignant une nationalité à l’interdiction de la violence, les violences conjugales deviennent étrangères à la Suisse, de même que de ne pas porter plainte ou de ne pas se séparer d’un conjoint violent. Par contraste avec ce qui est imaginé être la situation dans les pays d’origine de ces femmes migrantes, la Suisse se donne à voir – grâce à ce discours – comme un pays où les victimes de violences conjugales font face à leur situation avec moins ou même sans difficultés. Le sexisme institutionnel en Suisse, largement démontré dans la littérature (Delage, Lieber et Roca i escoda 2020), est donc tu, avec des conséquences non seulement pour les migrantes mais aussi pour les femmes suisses. De plus, la catégorie des « patientes migrantes » est opposée à une figure de femme suisse moderne et émancipée, qui n’hésiterait pas à reconnaître son expérience comme un cas de violences conjugales et à user des dispositions légales pour dénoncer son partenaire. Donc, l’aptitude des femmes à tenir tête face à leur conjoint violent et à le dénoncer ou à le quitter est présentée comme une caractéristique de la féminité suisse, puis promue et prescrite comme une recommandation médicale à un groupe de patientes catégorisées comme « migrantes », afin de les « émanciper » de leur propre culture et de les protéger de la violence (Ayuandini et Duyvendak 2018).

Deuxièmement, l’importance d’énoncer l’interdiction légale de la violence est soulignée par un élément supplémentaire. La Suisse est un pays de droit où ses citoyens respectent la loi. Insister sur ce point face aux migrantes sous-entend encore que la situation pourrait être différente dans leur pays d’origine. De plus, dire que la violence conjugale est interdite par la loi suisse permet d’avancer que ce type de violence n’est pas une pratique culturelle ou commune en Suisse, mais que c’est un comportement déviant et prohibé. Par contraste, il est toujours sous-entendu que les pays d’origine des migrantes sont des endroits où la violence pourrait être légale plutôt qu’interdite, et donc correspondre à une pratique commune et cultuelle dans ces autres sociétés plutôt qu’une pratique individuelle déviante et prohibée par la loi.

De cette manière, au-delà d’une tentative d’informer des femmes qu’elles sont désormais protégées et peuvent bénéficier des dispositions légales en faveur des victimes en Suisse, ce discours introduit une relation hiérarchique non seulement entre la Suisse et les pays d’origine des migrantes, mais également entre une féminité suisse, libre et émancipée ; et une féminité racisée et passive chez les migrantes (Choffat et Martin 2014). Toute déviance par rapport à ces normes de féminités élaborées au cours de ces consultations est tenue pour pathologique comme dans le cas de la Suissesse, et perçue comme cas d’exception à traiter par la psychiatrie. La conformité à ces normes passe en revanche inaperçue dans le cas de la femme afghane qui, en dépit de sa volonté d’agir, doit passer par le rituel du rappel à l’ordre pour lui signifier que sa situation est meilleure en Suisse.

Enfin, troisièmement, les références récurrentes et explicites à « l’État de droit » et aux protections offertes aux femmes sur le territoire suisse ont aussi pour effet de revivifier la polarité construite dès l’époque coloniale entre cet État de droit moderne, d’une part, et la tradition ou culture dominante dans ces autres pays non modernes, d’autre part. Cette polarité se révèle dans un commentaire d’une infirmière selon lequel, dans le passé, il y a une cinquantaine d’années, la situation en Suisse correspondait à la situation actuelle en Iran. On pourrait ironiquement relever qu’à cette époque, l’Iran avait un régime politique qui promouvait des idées de modernité et réalisait des réformes législatives qui, par exemple, ont permis aux femmes iraniennes d’avoir le droit de vote avant les Suissesses (en 1963) (Kian 2002).

Une différence est donc en train de se faire entre les femmes racisées et le groupe majoritaire (West et Fenstermaker 1995) lorsque la phrase « la violence est interdite en Suisse » est utilisée ou au contraire évitée. Car « l’énonciation de la différence n’est jamais descriptive, elle est “normative” ou “performative” (…) au sens où on l’entend pour des actes de parole, qui réalisent ce qu’ils énoncent » (Guénif-Souilamas et Macé 2004 : 118). Une différence qui présuppose mais également reproduit et perpétue un rapport hiérarchique entre un imaginaire culturel suisse où la violence de genre n’est pas la norme mais le résultat des déviances individuelles et psychologiques, d’une part, et une altérité non-suisse qui cautionne les violences de genre, d’autre part. Quelles conclusions pouvons-nous tirer de cette fabrication de l’altérité, en ce qui concerne la manière dont le genre s’opère à travers les interactions ?

Observer la colonialité du genre en train de se faire

J’ai appris que le sexisme et l’hétérosexisme proviennent de la même source que le racisme… Je ne peux pas me permettre le luxe de lutter contre une seule forme d’oppression… Et je ne peux pas me permettre de choisir entre les fronts sur lesquels je dois combattre ces forces de discrimination. Partout où elles apparaissent, elles semblent vouloir me détruire. Et quand elles apparaissent pour me détruire, elles ne tarderont pas à apparaitre pour vous détruire aussi. (Lorde, 1983, traduction personnelle).

Les résultats de cette recherche donnent empiriquement corps à la célèbre prophétie d’Audre Lorde, l’activiste et écrivaine noire américaine et lesbienne dans son texte de 1983, There is no hierarchy of oppressions, adressée aux femmes blanches. Le message de Lorde consiste ici à souligner qu’aucune entreprise destinée à démasquer les mécanismes d’un rapport de pouvoir ne peut espérer réussir si elle se concentre sur une seule dimension. Selon l’approche intersectionnelle, les exemples présentés dans cet article – qui sont choisis pour leur caractère représentatif des tendances et modalités découvertes et qui ne sont pas des exemples uniques et isolés – montrent de manière pratique que l’absence de réflexion sur la dimension racisante de la prise en charge des victimes de violences conjugales, conduit à perpétuer le sexisme. Inversement, la lutte contre les violences conjugales autorise la perpétuation de comportements racistes. En effet, la coconstruction du sexisme et du racisme au cours des interactions et des représentations sur la racialisation des violences conjugales empêche de soutenir toutes les victimes de violences conjugales de manière adéquate, quelle que soit leur catégorisation ethnoracisée. Les Suissesses sont renvoyées à une prise en charge psychologique, sans incitation à entamer une démarche judiciaire (ce qui protège leur conjoint), tandis que l’incitation des migrantes à déposer plainte ne peut qu’aboutir à une surreprésentation des hommes racisés parmi les rares condamnés pour violences conjugales, sans qu’on puisse vraiment observer une protection réelle des femmes victimes.

Cet article a pour but de fournir une manière de comprendre, de lire et de percevoir notre allégeance quotidienne au système de genre, et comment celui-ci s’opère au cours de nos interactions. Cet objectif impose de se rappeler ce qui est expliqué par Christine Delphy (2001 : 89) : « que la question du rapport entre sexe et genre est non seulement parallèle à celle du rapport entre division et hiérarchie, mais qu’elle est la même question ». Dans cette optique, le genre comme le premier signifiant de la hiérarchie entre les humains a pour effet de naturaliser l’idée même d’une supériorité/infériorité ou altérité. L’invention de la race tout comme l’invention du genre, était un moment crucial dans l’établissement des relations de supériorité et infériorité naturalisées par la domination. Une conception de l’humanité est fondée sur l’idée que les populations du monde peuvent être différenciées en deux groupes supérieur et inférieur, rationnel et irrationnel, très semblable à ce qu’est la séparation des femmes et des hommes dans le système du genre. Cette approche rend possible d’affirmer avec Maria Lugones (2008) que le problème politique soulevé par l’intersectionnalité n’a pas seulement pour objet de révéler un aveuglement épistémologique créé par la séparation de catégories telles que le genre et la race. Le problème est de voir que toute reproduction de la hiérarchie et d’altérité est une et la même question, et que le genre s’opère notamment en reproduisant les relations de colonialité.

En effet, il ne faut pas oublier les changements que la colonisation a amenés à la compréhension de l’organisation du sexe et du genre et de son but ultime (Lugones 2008 : 7). Dans The Invention of Women, Oyéronké Oyewùmí a par exemple montré que le genre n’était pas un principe d’organisation de la société de Yoruba avant la colonisation (1997). Imposer un système de genre oppressif à la société Yoruba avait pour but de faire bien plus que l’organisation ou le contrôle de la reproduction. Ce système a permis d’instaurer un État colonial patriarcal selon un processus double d’infériorisation raciale et de subordination genrée, en faisant émerger le groupe « des femmes » comme une catégorie identifiable et subordonnée aux hommes dans tous les aspects de la vie (Oyewùmí 1997 : 24). Dans cette optique, cet article met en évidence la colonialité du genre et montre comment la reproduction de l’altérité coloniale en train de se faire est constitutive du genre. Il permet de voir comment le système de genre se perpétue à travers la reproduction des relations de colonialité dans les instances les plus inattendues, quand par exemple un personnel de santé s’y réfère et le rationalise avec une posture sensible à la diversité culturelle, pour mieux aider les victimes migrantes des violences conjugales.

add_to_photos Notes

[1Il est à noter que ce centre ne reçoit pas que les femmes victimes de violences conjugales, mais les victimes de tout type de violences interpersonnelles. Dans cet article, néanmoins, je me base sur les violences conjugales, sujet principal de mon enquête, et je ne parle que des femmes hétérosexuelles car ce ne sont qu’elles que j’ai rencontrées lors de mes observations de terrain. Par ailleurs, ces femmes constituent une majorité écrasante des victimes reçues par le centre pour ce type de violences (90 % environ selon les statistiques du centre).

[2Tous les noms sont fictifs.

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Pour citer cet article :

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Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2022/Khazaei - consulté le 25.04.2024)
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