« On achève bien les hippodromes », ainsi s’intitulait un article du Monde publié en octobre 2024, relatant la fermeture de l’hippodrome du Macao Jockey Club au printemps 2024 et la future transformation des 124 hectares de l’hippodrome de Kranji à Singapour en un très important projet immobilier résidentiel. Si les motifs locaux d’arrêt des courses de chevaux ne sont pas identiques, l’article évoquait une cause commune : le déclin des courses de chevaux dans le monde entier.
Pourtant, en 2023, le marché français des jeux d’argent et de hasard a atteint son plus haut niveau historique avec un produit brut des jeux estimé à 13,4 milliards d’euros (Eroukmanoff 2024). Bien que toutes les activités de jeux s’inscrivent dans cette tendance, les paris hippiques ont enregistré une hausse plus modérée par rapport à d’autres formes de jeux d’argent et de hasard. Malgré tout, en France, les paris hippiques, « en dur » ou « en ligne » représentent respectivement 13 % et 2,6 % du produit brut global [1]. Aujourd’hui, ce sont quelque 18 000 courses qui ont lieu chaque année dans le cadre de 2 300 réunions dans environ 230 hippodromes : si le plus utilisé d’entre eux, l’hippodrome de Vincennes, accueille ainsi, tous les ans, environ 150 réunions, la majorité des hippodromes propose moins de 5 réunions par an et les hippodromes français les plus importants organisent entre 30 et 50 réunions annuelles.
Ceux-ci mettent ainsi en lumière l’ensemble d’une filière économique, celle des courses hippiques, qui engendre, selon l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), près de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont environ 9 milliards issus des paris ; 9 000 propriétaires de chevaux de courses et 30 000 chevaux actifs ont concouru dans 18 000 courses (IFCE 2022) [2]. La Fédération nationale des courses hippiques (FNCH), autre acteur du monde hippique, revendique 65 595 emplois dont plus de 29 000 générés par les courses hippiques.
Cependant, si les hippodromes sont indissociables des courses et des paris hippiques, ce sont des équipements aux profils très divers, compte tenu de leur situation, de leurs fonctions et de leurs modalités de gestion. Si leur fonction première reste incontestablement celle du champ de courses, certains hippodromes se révèlent finalement être des équipements locaux qui sont parfois davantage utilisés à d’autres fins que celles directement associées aux courses et aux paris hippiques.
L’article se propose d’analyser l’ancrage territorial des hippodromes, envisagés dans leurs multiples fonctions, en cherchant à évaluer dans quelle mesure ces lieux peuvent être considérés comme des composantes structurant les territoires à l’échelle locale. L’expression « ancrage territorial » est fréquemment utilisée pour désigner des processus d’appropriation d’un lieu par des populations ou par des activités économiques. Il s’agira ainsi d’évaluer si les liens entre hippodromes et territoires relèvent ou non du même « triptyque ancrage, encastrement, empreinte » déjà mis en évidence pour les liens entre les lieux culturels et les territoires (Michel 2023).
Peu de travaux en géographie ont abordé les hippodromes : si ceux-ci sont au cœur de l’article de Damien Bruneau (2013), Maxime Julien, dans son travail de thèse, portant sur la filière équine en Basse-Normandie (2018), aborde, lui, les courses dans sa dernière partie comme « aboutissement et spectacle de la filière hippique ».
Les hippodromes seront considérés à la fois en tant que lieu de sociabilité, en lien avec leurs fonctions d’accueil de différents publics, et en tant que composante d’une filière économique. Deux échelles d’analyses seront mobilisées : l’échelle française, puisqu’un certain nombre de dynamiques sont partagées ; l’échelle régionale et locale enfin, qui permettra d’analyser les pratiques et les fonctions locales au sein des hippodromes. À l’échelle nationale, ce sont des sources institutionnelles de différentes natures qui ont été mobilisées, qu’il s’agisse de données diffusées par les acteurs de la filière équine ou par les acteurs publics, nationaux ou locaux. À l’échelle régionale, ce sont les hippodromes situés dans les Hauts-de-France qui feront l’objet de notre étude, à partir de sources de même type, complétées par une série d’observations menées en 2023 et 2024, dans le cadre d’un projet de recherche sur les paris hippiques dans les Hauts-de-France financé par l’IFCE.
Le maillage très dense des hippodromes en France
Le territoire français compte aujourd’hui entre 233 et 235 hippodromes selon les sources mobilisées : la Fédération Nationale des Courses Hippiques en compte 233 [3], tandis que l’Autorité nationale des jeux (ANJ) en comptabilise 235 dans son rapport annuel d’activité 2022 [4]. Comme le soulignait Jean-Pierre Digard (2001), « la France est le pays au monde qui présente le plus grand nombre d’hippodromes » . Un tel constat reste valable aujourd’hui, puisque les 235 hippodromes français peuvent, par exemple, être comparés aux 59 hippodromes présents en Grande-Bretagne (IFCE 2017) et aux 41 hippodromes allemands [5]. À titre de comparaison, 2 032 casinos et 7 clubs de jeux à Paris étaient recensés en 2023, soit « 32 % du parc européen » (Cour des comptes 2023).
Cependant, sur la longue durée, le nombre d’hippodromes actuellement en activité ne cesse de décliner : depuis le début du XXe siècle, le nombre d’hippodromes a ainsi été réduit quasiment de moitié (voir tableau 1). Si le nombre d’hippodromes en activité a le plus diminué dans la seconde moitié du XXe siècle, on note aujourd’hui une décélération du rythme de fermetures d’hippodromes. Celle-ci peut s’expliquer par le changement de statut et de fonction de certains hippodromes qui accueillent moins de dix réunions hippiques par an : ils ne sont plus des lieux dont la vocation première est l’organisation de courses, mais ils assurent alors une fonction « identitaire », à l’instar du patrimoine (Di Méo, Castaingts & Ducournau 1993 ; Di Méo 1995) : les réunions hippiques deviennent alors des occasions de manifester l’existence d’une territorialité, d’un ancrage patrimonial et identitaire.
Tableau 1 : Évolution du nombre d’hippodromes
| Année | Nombre d’hippodromes en activité |
|---|---|
| 2022 | 233-235 |
| 2010 | 245 |
| 2001 | 250-264 |
| 1950 | 400 |
| 1900 | 450 |
Sources : Bruneau 2013 ; Digard 2001 ; ANJ 2022 ; Sénat 2002
D’un hippodrome à l’autre, l’hétérogénéité des réunions hippiques (fréquence, nombre d’engagés, dotations, types de courses et niveau notamment) reste cependant toujours très forte, au-delà des caractéristiques techniques différentes, permettant, à l’échelle du territoire français (Bruneau 2013), une véritable complémentarité dans l’offre de réunions proposée aux parieurs : nature et longueur des pistes, capacité des tribunes, services offerts au public, équipements dédiés à l’organisation des courses et à l’accueil du monde des courses, modalités d’enregistrement des paris, capacité de retransmission des courses. Il est néanmoins envisageable de dresser une typologie des hippodromes français, fondée sur plusieurs critères : le nombre de réunions hippiques programmées, les types de paris (PMH [6] ou PMU/paris en ligne), la capacité d’accueil du public et les équipements disponibles, ainsi que le « rayonnement » de l’hippodrome, qui englobe à la fois sa notoriété, l’origine de son public et la qualité des courses proposées (voir tableau 2). Il convient de souligner que chacun de ces critères recouvre en réalité diverses composantes ; ainsi, le critère relatif aux types de paris doit être associé aux dispositifs de captation et de diffusion des images des courses, tandis que le critère concernant la capacité d’accueil doit être lié aux installations de restauration présentes dans ces établissements.
Tableau 2 : Typologie des hippodromes en activité
| Rayonnement | Nombre de réunions hippiques | Types de paris | Capacité d’accueil (nombre de personnes) | Exemples d’hippodromes |
|---|---|---|---|---|
| International | >100 | Premium | >30 000 | Vincennes |
| National | [40-100] | Premium | [10 000-30 000] | Deauville, Chantilly |
| Régional | [25-40] | Premium | [2 000-10 000] | Le Croisé Laroche |
| Local/régional | [10-25 | Premium et PMH | <2 000 | Vire Normandie, La Capelle |
| Local | <10 | PMH | <2 000 | Arras |
Ces quatre principaux types d’hippodromes ne permettent néanmoins pas de saisir l’intégralité de la diversité des ancrages territoriaux, qui sont également liés aux projets de territoire dans lesquels certains d’entre eux sont intégrés ou des nombreux usages hors activités équestres qu’ils peuvent abriter.
Bien que le nombre d’hippodromes en activité tende à diminuer, le nombre de courses hippiques organisées a, quant à lui, fortement augmenté, notamment depuis la fin du XXe siècle : 4 978 courses Premium s’étaient ainsi tenues en 1999, contre 16 000 courses en 2015 (Cour des comptes 2018), et 18 000 en 2023 [7]. Sur ce total, un peu plus de 60 % des courses sont des courses de trot. Le cas de la région des Hauts-de-France est représentatif de cette situation. Onze hippodromes reçoivent aujourd’hui des courses hippiques (voir tableau 3). À une exception près – l’hippodrome de Chantilly –, les dix autres hippodromes accueillent exclusivement des courses de trot ou des courses de différents types.
Tableau 3 : Les hippodromes des Hauts-de-France
| Nom de l’hippodrome | Localisation | Année de construction | Types de courses P : Plat ; T : Trot ; O : Obstacles |
Nombre moyen de réunions hippiques organisées par an |
|---|
| Hippodrome du Croisé-Laroche | Marcq-en-Barœul | 1931 | P, T | 30,5 |
| Hippodrome des Hauts Blancs Monts | Arras | 1884 | T | 5 |
| Hippodrome des Bruyères | Saint-Omer | 1835 | T | 6 |
| Hippodrome de La Molière | Berck-sur-Mer | 1925 | T | 2 |
| Hippodrome de la Canche | Le Touquet | 1925 | P, O, T | 10 |
| Hippodrome de La Thiérache | La Capelle | 1874 | T | 20,5 |
| Hippodrome de Laon | Laon | 1844 | T | 6 |
| Hippodrome de la prairie Malicorne | Abbeville | 1850 | T | 5 |
| Hippodrome du Petit Saint-Jean | Amiens | 1850 | P, T | 25 |
| Hippodrome du Putois | Compiègne | 1875 | P, O, T | 33 |
| Hippodrome de Chantilly | Chantilly | 1834 | P | 51 |
NB : Le nombre moyen de réunions hippiques organisées par an est caluclé sur la base des calendriers annuels des courses 2023 et 2024.
Comme il est indiqué dans le tableau 3, le nombre de jours où les hippodromes accueillent des réunions hippiques est faible, même pour les deux plus importants de la région : l’hippodrome du Croisé-Laroche et celui de Chantilly. Cette faible utilisation, qui n’est pas une singularité de la région Hauts-de-France, et le nombre total d’hippodromes alimentent fréquemment le débat sur la nécessité d’en fermer ; la presse peut s’en faire l’écho et les éléments mis en évidence sont du même ordre que ceux qui nourrissent les débats sur la densité du maillage communal : « La France a-t-elle besoin de 236 hippodromes ? », titre ainsi le quotidien Les Échos en 2019 [8]. De même, dans un rapport sur la filière hippique publié en juin 2018, la Cour des comptes a appelé à « une réflexion sur l’intérêt de maintenir des hippodromes avec un faible nombre de réunions et un faible nombre de réunions Premium [9] sur certains d’entre eux » (Cour des comptes 2018). À l’échelle nationale, c’est l’hippodrome de Vincennes qui est le plus utilisé ; chaque année, il accueille en moyenne plus de 150 réunions hippiques, tandis que les plus grands hippodromes situés hors de l’Île-de-France, comme l’hippodrome Côte d’Azur à Cagnes-sur-Mer ou l’hippodrome de Toulouse-La Cépière en organisent respectivement 59 et 50, soit un nombre comparable. À l’exception de l’hippodrome de Vincennes, les hippodromes sont ainsi marqués par une saisonnalité plus ou moins forte des courses qui y sont organisées : si certains hippodromes du sud de la France organisent des réunions de janvier à novembre, ils ne sont pas utilisés en juillet ou en août, comme à l’hippodrome de Toulouse La Cépière ou à l’hippodrome de Marseille Borély ; d’autres, comme l’hippodrome du Croisé Laroche, dans le département du nord, proposent des courses d’avril à décembre. Comme l’a démontré Damien Bruneau, les hippodromes français s’inscrivent à la fois dans une logique de complémentarité, liée notamment à certaines contraintes climatiques et à leurs effets, et dans une logique de concurrence, ce qui se traduit par des différents aménagements et équipements permettant d’élargir le plus possible la « saison des courses » à leur niveau (Bruneau 2013).
L’ancrage territorial des acteurs de la filière courses : permanences et mutations
Les courses hippiques correspondent à l’un des « débouchés » de la filière équine, comme peut l’être également le « sport loisir ». Deux associations sous tutelle du ministère de l’Agriculture, du ministère de l’Économie et des Finances et du ministère de l’Intérieur sont plus précisément « chargées d’une mission de service public » en ce qui concerne la réglementation, l’organisation et la régulation des courses [10] ; il s’agit des deux sociétés mères France Galop et le SECF (Société d’encouragement à l’élevage du cheval français). Ayant également le statut d’association loi 1901, la Fédération nationale des courses hippiques, quant à elle, regroupe l’ensemble des acteurs des courses [11] : les deux sociétés mères, mais également les acteurs locaux de l’organisation des courses que sont les sociétés locales. La FNCH est ainsi souvent considérée comme le « trait d’union » entre les différents acteurs des courses. Par ailleurs, elle dispose également d’un ancrage régional, puisqu’elle est structurée en 10 fédérations régionales dont le maillage ne correspond pas aux régions administratives actuelles mais exprime davantage l’implantation régionale différenciée des filières hippiques et les interactions régionales de longue durée. Ainsi, parmi ces dix fédérations, l’une d’entre elles couvre l’ensemble du territoire constitué de l’Île-de-France et de l’ancienne région Haute-Normandie, tandis que la fédération sud-est regroupe à la fois la région « Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur » et les départements du Gard, de l’Hérault et de la Lozère qui font pourtant partie de la région Occitanie.
Les deux sociétés mères hiérarchisent les hippodromes en six catégories (tableaux 4 et 5) sur la base de différents critères qui prennent principalement en compte les équipements et aménagements liés à l’organisation des réunions hippiques.
Tableau 4 : La classification des hippodromes de trot en 2022
| Catégorie | Nombre d’hippodromes | Hippodromes (exemples) | Hippodromes situés dans les Hauts-de-France |
|---|---|---|---|
| Pôles nationaux | 4 | Vincennes, Enghien, Caen, Cagnes-sur-Mer | Aucun |
| Pôles régionaux A | 16 | Bordeaux, Toulouse, Marseille Borély, Toulouse la Cépière | La Capelle, Le Croisé-Laroche |
| Pôles régionaux B | 16 | Angers, Pornichet, Feurs | Amiens |
| 1re catégorie A | 17 | Challans, Cherbourg, Divonne-les-Bains | Laon |
| 1re catégorie B | 25 | Saint-Malo, Nancy, Strasbourg | Arras, Le Touquet, Saint-Omer |
| 2e catégorie | 60 | Loudéac, Aix-les-Bains, Granville | Abbeville, Berck-sur-Mer, Compiègne |
| 3e catégorie | 79 | Dinan, Orléans, Cluny | Aucun |
Source : Le Trot, Bilan d’activité 2022
La recherche d’un équilibre territorial à l’échelle française, qui intègre la dominance régionale de telle ou telle filière, est également présente dans cette logique de classification. En ce qui concerne France Galop, par exemple, à l’exception de la Corse et des Antilles, chaque fédération dispose sur son territoire de compétence d’au moins un hippodrome classé pôle national, plusieurs si la filière est régionalement forte, ce qui est, par exemple, le cas de la fédération Haute-Normande où les hippodromes de Dieppe et de Fontainebleau sont considérés comme des pôles nationaux.
Tableau 5 : La classification des hippodromes plat ou obstacles (à partir de 2022)
| Catégorie | Nombre d’hippodromes | Hippodromes (exemples) | Hippodromes dans les Hauts-de-France |
|---|---|---|---|
| Pôle national | 23 | Longchamp, Cagnes-sur-Mer, Deauville | Chantilly, Compiègne |
| Pôle régional | 15 | Aix-les-Bains, Dax | Amiens, Le Croisé-Laroche, |
| 1re catégorie | 11 | Évreux, Marseille Vivaux | Aucun |
| 2e catégorie A | 20 | Ajaccio, Niort | Aucun |
| 2e catégorie B | 22 | Morlaix, Saumur, Granville | Aucun |
| 3e catégorie | 26 | Orléans, Redon | Aucun |
Source : France Galop, 2022
Sur proposition de la FNCH et après avis de l’ANJ, le « calendrier des courses et réunions de courses de chevaux françaises et étrangères pouvant servir de support aux paris hippiques » est arrêté par le ministère en charge de l’agriculture. L’élaboration de ce calendrier vise à garantir la possibilité de parier, d’une manière ou d’une autre, sur une course hippique [12] tout au long d’une journée – principalement de 11 h à 23 h –, en mettant l’accent sur la coordination des événements organisés en France, tout en intégrant, si nécessaire, des courses se tenant à l’étranger. Le décalage horaire et les conditions climatiques sont alors des avantages déterminants dans cette recherche d’une complémentarité optimale : courses organisées dans des hippodromes d’Amérique du Nord ou d’Amérique du Sud en soirée, en Australie ou à Hong Kong dans la matinée. Selon les jours, la proportion de réunions hippiques organisées à l’étranger qui servent de supports aux paris – quel que soit l’opérateur de paris en ligne – est très variable et se situe entre 17 % et 50 % des réunions proposées aux parieurs. Ainsi, dans les Hauts-de-France, les réunions se tiennent de la fin du mois de février à la mi-décembre à l’hippodrome du Croisé-Laroche à Marcq-en-Barœul dans l’agglomération lilloise et à l’hippodrome du Petit Saint-Jean à Amiens. Les hippodromes qui organisent moins de 10 réunions le font au printemps et en été, de manière préférentielle à l’occasion d’un jour férié, d’un pont ou d’un week-end : en 2024, l’hippodrome de La Molière à Berck-sur-Mer, par exemple, a programmé deux réunions le dimanche 4 août et le jeudi 15 août.
Si la loi du 12 mai 2010 a ouvert à la concurrence le secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, elle a maintenu le monopole du PMU [13] pour les paris hippiques en points de vente et dans les « sept hippodromes franciliens » [14]. Dans les autres hippodromes, ce sont les sociétés locales de courses qui ont le monopole des paris « en dur ». Celles-ci ont le statut d’associations loi 1901 ; il s’agit de petites structures qui se déclarent principalement comme relevant des « Activités de clubs de sports » ou comme « Gestion d’installations sportives » dans la NAF de l’INSEE (Nomenclature d’activité française), au moment de leur immatriculation) ; une seule (Compiègne) précise que son activité consiste en l’« Organisation de jeux de hasard et d’argent » (voir tableau 6).
Tableau 6 : Les exploitants des hippodromes des Hauts-de-France
| Nom de l’hippodrome | Organisateurs des courses hippiques | Nombre de salariés | Code NAF ou APE |
|---|---|---|---|
| Hippodrome de Chantilly | France Galop | 500 à 999 | Activités de clubs de sports |
| Hippodrome du Croisé-Laroche | Société des courses du Croisé-Laroche | 6 à 9 salariés | Gestion d’installations sportives |
| Hippodrome du Petit Saint-Jean | Société des courses d’Amiens | 20 à 49 salariés | Gestion d’installations sportives |
| Hippodrome des Hauts Blancs Monts | Société des courses d’Arras | 0 salarié | Activités de clubs de sports |
| Hippodrome de Laon | Société des courses de Laon | 0 salarié | Activités de clubs de sports |
| Hippodrome international de La Capelle | Société des courses de La Capelle Guise | 6 à 9 salariés | Gestion d’installations sportives |
| Hippodrome du Putois | Société des courses de Compiègne | 0 salarié | Organisation de jeux de hasard et d’argent |
| Hippodrome d’Abbeville | Société des courses au trot | 0 salarié | Gestion d’installations sportives |
| Hippodrome des Bruyères | Société des courses de Saint-Omer | 0 salarié | Activités de clubs de sports |
| Hippodrome du Touquet | Courses du Touquet | 1 à 2 salariés | Gestion d’installations sportives |
| Hippodrome de La Molière | Société des courses | 0 salarié | Activités de clubs de sports |
Aujourd’hui, les hippodromes sont de moins en moins les principaux lieux où se font les paris hippiques, puisque seulement 1 % du montant des paris enregistrés en France le sont dans les hippodromes (IFCE 2022), mais ils sont le lieu unique où les courses se tiennent. Par ailleurs, ils sont les seuls lieux où les PMH (Paris Mutuel Hippodrome) peuvent être effectués. Hors des hippodromes, il est également possible de parier « en dur » dans l’un des 14 000 points de vente PMU [15] sur l’ensemble des courses Premium et dans les hippodromes pour les courses qui y sont organisées.
En ce qui concerne les paris en ligne, la loi de 2010 a autorisé une mise en concurrence qui s’est traduite par l’arrivée de nouveaux opérateurs. Aujourd’hui, cinq opérateurs sont ainsi agréés par l’ANJ pour récolter les paris hippiques exclusivement en ligne sur les courses Premium : Betclic Enterprises Limited, Genybet (racheté par la société NJJ Project Thirteen, la holding de Xavier Niel en 2020), PMU, SPS Betting France Limited (filiale de Kindred Group, entreprise suédoise dont le siège social est à Malte), Zeturf France Limited. Des opérations de rachat et d’acquisition sont en cours concernant deux de ces opérateurs en ligne : Zeturf a été racheté par la Française des Jeux (FdJ) en septembre 2023 et une OPA a été lancée en janvier 2024 par cette dernière sur Kindred Limited. La présence de ces opérateurs de paris hippiques en ligne sur les hippodromes se fait principalement par l’intermédiaire de panneaux publicitaires fréquemment situés aux abords des pistes.
« Un jour aux courses » : la fréquentation très hétérogène des hippodromes
« Lieu du spectacle des courses » (Chevalier 2022), l’hippodrome s’inscrit dans un ancrage territorial multiscalaire qui est à la fois local, du point de vue de sa fréquentation par le public (parieurs ou non-parieurs), et régional, voire international du point de vue du « monde des courses ». Les analyses s’appuient sur une série de quinze observations menées en 2023 et 2024 dans quatre des onze hippodromes des Hauts-de-France : à Arras (2 réunions), Amiens (2 réunions), au Touquet (1 réunion) et à Marcq-en-Barœul (10 réunions).
L’intensité de la fréquentation d’un hippodrome un jour de réunion hippique ne dépend pas de la qualité supposée des chevaux et des jockeys qui vont concourir, mais bien davantage de l’horaire et du jour, et, un peu, de la météo : les réunions organisées à l’hippodrome du Croisé-Laroche utilisent trois créneaux horaires réguliers : 6 % des courses ont lieu dans le créneau 14 h-18 h, 52 % dans le créneau 16 h-20 h et 42 % entre 18 h et 22 h. Presque 60 % des réunions (18 au total) ont lieu le lundi, contre seulement 16 % le week-end. Hors réunions organisées le week-end, la fréquentation des hippodromes est plutôt faible et elle est alors principalement constituée de parieurs et de ceux qui les accompagnent. Les réunions du week-end sont, en revanche, beaucoup plus fréquentées, par un public plus large et plus diversifié, principalement familial, qu’il s’agisse de l’hippodrome du Croisé-Laroche (fig. 1) qui en organise une trentaine par an, ou de celui d’Arras qui ne programme que cinq réunions par an (fig. 2 et 3) qui ont toutes lieu le week-end ou un jour férié.
La configuration spatiale des hippodromes correspond à un modèle très uniforme qui différencie, en premier lieu, les espaces réservés aux professionnels des courses des espaces ouverts aux publics, même s’il existe quelques espaces mixtes : une ou plusieurs tribunes, souvent couvertes, pour les spectateurs, un bord de piste permettant au public d’être au plus près des courses, des guichets pour prendre les paris. La présence d’espaces intérieurs varie d’un hippodrome à l’autre : les hippodromes les plus utilisés disposent de vastes espaces intérieurs – c’est, par exemple, le cas de celui du Croisé-Laroche (fig. 1) – qui peuvent être, le temps d’une réunion hippique, aménagés avec du mobilier temporaire, constitué de tables et de chaises pliantes, pour accueillir les parieurs entre deux courses. Souvent, quand ces espaces intérieurs ont une dimension plus réduite, ils se limitent à l’accueil d’une petite restauration de type snacking. Dans les hippodromes plus importants, comme au Croisé-Laroche, plusieurs espaces distincts de restauration sont aménagés : un café-bar de petite dimension, situé au plus proche de l’espace de passage des officiels et des professionnels, qui dispose de ses propres guichets de prise de paris ; le bar du hall principal et enfin le restaurant panoramique, ouvert sur le champ de courses, qui est parfois partiellement privatisé pour les partenaires du monde hippique. Ces installations fixes sont souvent complétées par la présence d’un ou de plusieurs food-trucks.
De plus, les petits hippodromes permettent une plus grande proximité entre le monde des courses et le public, parieurs ou simples spectateurs. Au-delà du seul rond de présentation, les espaces dédiés aux chevaux, aux entraîneurs et aux jockeys côtoient les espaces ouverts au public.
Parier à l’hippodrome peut se faire de différentes manières : aux guichets, quel que soit le type de réunion et l’importance de l’hippodrome ; aux guichets et en ligne quand il s’agit de réunions Premium. Les plus grands hippodromes proposent également des bornes automatiques ; enfin, plus rarement, des employés itinérants du PMU parcourent les travées ou circulent entre les tables où se côtoient les parieurs pour prendre leur pari sur leur tablette. Plus rarement encore, certains hippodromes, dans le cadre du Pari mutuel hippodrome (PMH), proposent également de parier par l’intermédiaire du « porte-monnaie digital » Smarturf qui ne peut être accessible que sur un système wifi fermé proposé dans l’enceinte de l’hippodrome. Pour les courses Premium, il est bien sûr également possible pour les parieurs de parier en ligne, grâce aux applications proposées par les différents opérateurs de pari hippique en ligne. À l’hippodrome, les différents équipements directement utilisés par les parieurs ou par les guichetiers ainsi que les systèmes digitaux sont fournis par le groupe Carrus. D’une manière générale, lors des quinze observations réalisées et même si des alternatives existent, les parieurs préfèrent parier aux guichets, malgré un temps d’attente plus important que celui nécessaire pour parier sur les bornes automatiques. Comme cela a déjà été observé et analysé dans d’autres hippodromes, les paris les plus nombreux se font dans les minutes qui précèdent la clôture des paris et le démarrage de la course
Le public des parieurs n’est pas le seul à fréquenter les réunions hippiques. D’une manière générale, les hippodromes des Hauts-de-France ont adopté une stratégie marketing visant à augmenter leur fréquentation et à diversifier le public se rendant aux courses. La cible privilégiée est principalement familiale. La réunion correspond alors à une sortie en famille pour laquelle le pari n’est pas le seul et unique motif ayant conduit à ce déplacement. Pour attirer les familles, les hippodromes proposent plusieurs activités gratuites en complément du spectacle des courses : certaines peuvent être liées au monde équestre plus largement, comme la promenade en poney offerte à l’hippodrome d’Arras, ou la découverte de certaines races d’équidés à l’hippodrome du Croisé-Laroche ; d’autres activités à destination des enfants ne présentent aucun lien avec cet univers : châteaux gonflables à Arras et à Marcq-en-Barœul ; manège à Arras. Les observations réalisées à Arras et à Marcq-en-Barœul, le week-end, soulignent combien les activités proposées, hors du champ de courses, sont autant, voire davantage, prisées que la course stricto sensu. Par ailleurs, la présence d’un commerçant ambulant vendant des confiseries est fréquente (à Amiens, Arras et à Marcq-en-Barœul). Certains hippodromes proposent également des entrées gratuites, par exemple dans les journaux municipaux. Une telle situation n’est pas particulière au cas des Hauts-de-France. Ce faisant, les sociétés de courses ont une position d’équilibriste entre l’impératif légal de lutter contre l’addiction aux jeux d’argent et la volonté de faire venir aux courses un public le plus souvent familial, notamment dans les réunions qui se tiennent le week-end.
Les hippodromes, au cœur de nombreux enjeux d’aménagement
Le plus fréquemment, les acteurs des courses hippiques, et, en premier lieu, les sociétés de courses, ne sont pas propriétaires des hippodromes, mais ils en sont les exploitants, bénéficiaires d’une concession pluriannuelle, souvent de longue durée, de la part des communes qui sont, sauf exception, propriétaires des terrains, voire des équipements des hippodromes [16]. France Galop et Le Trot n’exploitent ainsi directement que huit hippodromes : cinq pour France Galop et trois pour le Trot. Il s’agit des cinq hippodromes franciliens (Longchamp, Auteuil et Saint-Cloud pour France Galop ; Vincennes et Enghien pour Le trot), de trois hippodromes normands (Deauville pour France Galop ; Caen et Cabourg pour Le Trot) ainsi que de l’hippodrome de Chantilly dans les Hauts-de-France (France Galop).
D’un hippodrome à l’autre, le statut et le rôle des différents acteurs des courses et leurs relations avec les acteurs locaux peuvent fortement varier. Certaines sociétés locales de courses sont en effet propriétaires de l’hippodrome dans lequel elles ont en charge l’organisation des réunions hippiques : c’est par exemple le cas de l’hippodrome d’Arras. En revanche, les hippodromes du Touquet, du Croisé-Laroche, des Bruyères sont respectivement la propriété des municipalités du Touquet, de Marcq-en-Barœul et de Berck-sur-Mer.
Au-delà de leurs nombreuses différences, les hippodromes correspondent toujours à de vastes superficies de terrains qui peuvent, au gré de telle ou telle opération d’aménagement, constituer des réserves foncières importantes : 65 hectares pour l’hippodrome de Chantilly, 30 hectares pour celui du Croisé-Laroche pour ne donner que deux exemples. Les cas des hippodromes de Maisons-Laffitte (70 hectares) et d’Évry (96 hectares) en région parisienne sont représentatifs des enjeux locaux qui peuvent y être associés. Ces deux hippodromes étaient la propriété de France Galop qui y assurait également l’organisation des réunions hippiques. Ils ont respectivement fermé en 2019 et 1996 pour des raisons économiques. Deux ans après sa fermeture, l’hippodrome d’Évry a été loué à l’émir de Dubaï Maktoum ben Rachid Al Maktoum, pour en faire un lieu d’entraînement des chevaux de son écurie Godolphin qu’il a fondée en 1994. Depuis la rupture du bail de location en 2000, l’hippodrome est en friche et a suscité de nombreux projets qui n’ont pas abouti : nouvel équipement sportif (circuit de Formule 1), déplacement de Roland-Garros, grand stade de la Fédération Française de Rugby ou projet en lien avec le sport (cluster Grand Paris Sport dans le cadre de l’organisation des Jeux Olympiques de 2024, puis aujourd’hui campus Grand Paris Sport). La friche de l’hippodrome sert aujourd’hui, par défaut, de lieu de tournage : il dispose ainsi d’une fiche très détaillée dans le catalogue Film France [17] et il a déjà été utilisé dans différents films, clips vidéo et épisodes de séries télévisées [18].
Si les causes économiques et financières de la fermeture de Maisons-Laffitte sont identiques, cette situation a engendré une forte hostilité des acteurs locaux, en particulier de la commune dont l’emblème figure un cheval et qui se revendique comme « cité du cheval » [19]. Dans ce contexte, l’empreinte territoriale est aussi un ancrage dans le territoire économique et politique, incitant la municipalité à se mobiliser afin de racheter l’hippodrome et de relancer une activité hippique. En 2020, une société de courses locale, la Société des courses hippiques de Maisons-Laffitte (SCHML), est créée pour assurer la gestion des courses. Compte tenu du portage foncier nécessaire à l’opération de réaménagement, France Galop a cédé l’hippodrome à l’Établissement public foncier d’Île-de-France (EPFIF) pour un montant de 7,15 millions d’euros en mars 2023. Ce dernier a ensuite vendu une partie du terrain à la commune de Maisons-Laffitte pour 6,1 millions d’euros ; la municipalité a ainsi acquis la partie dite « Verdure » de l’hippodrome, soit 71 hectares sur les 92 que compte l’hippodrome. Cela correspond à l’ensemble des installations en lien avec les réunions hippiques, à l’exception notable des tribunes, pour lesquelles un projet de transformation reste encore à concrétiser. Il vise notamment à permettre l’accueil d’activités économiques sous les gradins qui ne soient pas nécessairement associées aux fonctions hippiques traditionnelles. Un concours d’architecture a été organisé en 2022, mais aucun projet n’a finalement été retenu. L’idée d’utiliser une partie des bâtiments de l’hippodrome pour d’autres fonctions que celles liées aux courses hippiques n’est pas unique. Si le site et le contexte urbain sont différents, le réaménagement de l’hippodrome de Lyon-Carré de Soie offre l’exemple d’une « nouvelle » intégration des bâtiments d’un hippodrome à une opération d’aménagement urbain : le site a été en effet intégré au projet urbain « Carré de Soie » qui avait pour objectif de créer une nouvelle centralité tertiaire dans l’est de l’agglomération lyonnaise, porté, à partir de 2007, par le Grand Lyon et les communes de Villeurbanne et de Vaulx-en-Velin, ce qui a conduit à l’installation de cellules commerciales – principalement des restaurants – sous les gradins, tout en maintenant l’accueil de réunions hippiques.
Bien que la réouverture aux courses hippiques de l’hippodrome de Maisons-Laffitte reste incertaine, elle est un enjeu de politique locale, dans la mesure où l’hippodrome est perçu comme un « bien patrimonial » selon Jacques Myard, maire de Maisons-Laffitte [20] et qu’il est ainsi une des composantes de la construction de l’identité territoriale de la commune.
Ces changements d’affectation ou de fonction des terrains dédiés aux courses hippiques, la construction ou l’abandon, voire la destruction d’un hippodrome ne sont pas des phénomènes contemporains ; ils s’inscrivent sur un temps long qui est aussi celui des rythmes et des modalités de croissance urbaine. Souvent localisés, au moment de leur construction en front d’urbanisation, les hippodromes peuvent être déplacés en périphérie plus lointaine afin de permettre une urbanisation des terrains ainsi rendus disponibles. Dans l’agglomération lilloise, l’hippodrome du bois de la Deûle, situé derrière la citadelle de Lille, a ainsi cédé sa place à l’hippodrome des Flandres situé à Marcq-en-Barœul ; celui-ci a ensuite été rasé en 1950. S’il ne reste plus de traces matérielles de son existence dans l’espace urbain, le tracé des parcelles et du réseau de voirie, la toponymie, les noms de rue (Avenue de l’Hippodrome, Avenue du Champ de courses, Avenue du Pesage à Lambersart) ou le nom de certains commerces sont autant de témoignages de cette présence passée. À Calais, l’hippodrome du Beau Marais, construit en 1893, a quant à lui laissé la place à une zone à urbaniser en priorité dans les années 1960, la dernière réunion hippique ayant été organisée en 1969.
Du point de vue de l’urbanisme réglementaire, les hippodromes correspondent aujourd’hui à des zonages très variés dans les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) ou dans les Plans Locaux d’Urbanisme intercommunal (PLUi). Toutefois, il est possible d’identifier certains points communs dans leur classification : qu’ils soient classés en zone N (« naturelle ») ou en zone U (« urbaine »), ces espaces sont toujours caractérisés par un faible niveau de construction, sont identifiés comme des zones dédiées aux équipements de loisirs [21] et se distinguent par la présence d’espaces naturels [22]. Le classement en zone naturelle de certains hippodromes rend également compte de la présence d’un risque d’inondation, ce qui souligne que ceux-ci occupent des terrains qui ne sont pas ou qui sont peu sujet à d’autres usages, ce qui est alors un des facteurs de leur localisation et du maintien de leur présence. Beaucoup plus rarement, l’hippodrome, au prisme de l’urbanisme réglementaire est conçu comme une composante d’un projet de développement territorial, ce qui est le cas de l’hippodrome de La Capelle qui est classé, dans le PLU de La Capelle, comme zone AUh, « zone d’activités hippiques futures ». Ici, l’hippodrome est conçu comme un « vecteur de développement » [23].
Hier, comme aujourd’hui, les fermetures d’hippodromes révèlent des conflits ou des désaccords internes entre acteurs de la filière hippique et de conflits entre acteurs des courses et pouvoirs publics locaux qui souhaitent changer l’utilisation du terrain précédemment occupé par un hippodrome.
Les hippodromes : entre patrimonialisation et multiusage
La logique de patrimonialisation de certains hippodromes relève aussi des dispositifs de protection des monuments (Cueille 2012). Dans les Hauts-de-France, une partie des bâtiments des hippodromes de Chantilly et du Touquet Paris Plage sont inscrits sur la liste des monuments historiques depuis la seconde moitié des années 1990 : à Chantilly, il s’agit de la Grande tribune publique, de la tribune du Comité et du bâtiment du pesage (arrêté du 27 octobre 1995) ; au Touquet, la tribune du pesage et la tribune des visiteurs sont deux bâtiments inscrits depuis mai 1997.
Bien que la configuration spatiale interne d’un hippodrome obéisse toujours aux mêmes principes, qu’il s’agisse des infrastructures destinées aux courses hippiques ou des autres installations dédiées à d’autres sports de plein air occupant la partie située au centre de la piste de course, leur situation géographique diffère fortement : de l’hippodrome inséré dans l’espace urbain dense (Croisé-Laroche) à l’hippodrome exurbanisé dans des espaces urbains périphériques (hippodrome d’Arras ou d’Amiens), voire à la périphérie rurale des agglomérations (hippodrome des Bruyères, hippodrome d’Abbeville, hippodrome de la Capelle) ou des hippodromes ruraux (hippodrome de La Capelle).
Ces différences sont à l’origine d’usages et d’évolution des usages des hippodromes qui traduisent la manière avec laquelle les acteurs politiques locaux considèrent cet équipement dans leur stratégie de développement territorial. Il s’agit d’ailleurs d’un volet de la stratégie actuelle de la FNCH qui cherche à faire émerger, depuis 2023, un réseau de « territoires hippiques » constitué des acteurs politiques locaux « ayant sur leur territoire une activité liée aux courses de chevaux » ; il est question ici d’améliorer l’enracinement des hippodromes dans leur territoire local.
Au Touquet, les infrastructures de l’hippodrome, dont la ville est propriétaire, font partie d’un parc équestre de 65 hectares, plus orienté sur la pratique de l’équitation-loisirs et du sport équestre (saut d’obstacles) qu’en direction des courses hippiques : le centre équestre, plus que le seul hippodrome, est un élément de l’attractivité touristique de la ville. Sur les affiches (y compris les vieilles affiches touristiques des chemins de fer du Nord), la présence d’un hippodrome au Touquet n’est pas mise en évidence, ni par l’image, ni par les slogans. En revanche, à Chantilly, l’hippodrome, associé au château est presque consubstantiel à la ville.
Le calendrier des courses est certes de la compétence de la FNCH, mais il tend aussi à s’articuler avec les événements festifs organisés par les acteurs locaux. Ainsi, l’hippodrome d’Arras organise une réunion hippique le dimanche suivant le 15 août, en lien avec des événements festifs organisés par ailleurs, notamment la fête des grandes prairies qui se déroule chaque année le 15 août. L’hippodrome et les quelques réunions hippiques qui s’y déroulent sont ainsi une partie intégrante de l’identité locale. Dans certains cas, l’hippodrome peut même être un équipement local multifonctionnel où les usages non hippiques sont plus nombreux que les jours de réunions hippiques. C’est par exemple le cas de l’hippodrome du Croisé-Laroche à Marcq-en-Barœul. Propriété de la commune, les espaces extérieurs de l’hippodrome, y compris la piste, sont ainsi, par défaut, ouverts aux habitants sauf si un événement ou une réunion hippique s’y déroulent. La piste de trot se transforme alors, par exemple, en piste de jogging et les tribunes et les espaces extérieurs permettent l’organisation d’événements municipaux : fête locale des Allumoirs en novembre, feux d’artifice, etc. Le hall principal, quant à lui accueille de nombreux événements associatifs, commerciaux, municipaux et de nombreux salons spécialisés, compte tenu de la modularité de ses utilisations possibles ; c’est ici la localisation de l’équipement, son accessibilité et la superficie du hall qui sont les éléments les plus valorisés.
Plus rarement, l’hippodrome peut être un équipement considéré comme structurant ou vecteur d’un développement territorial local. C’est par exemple le cas de l’hippodrome de La Capelle, en Thiérache (Aisne), inscrit dans le pôle d’excellence rurale « Euro-pôle de compétitivité et d’excellence professionnelle du trot », défini par le Comité interministériel d’aménagement et de compétitivité des territoires du 14 octobre 2005. Deux autres pôles d’excellence rurale fondée sur les activités hippiques ont été également définis à cette occasion : le « pôle hippique et touristique de Pompadour » en Corrèze et le pôle « activités hippiques » dans l’Oise. Ce label a permis d’obtenir des investissements conjoints des collectivités territoriales et de l’État, entraînant ainsi la rénovation des installations : tribunes, centre équestre, centre de médecine sportive.
Conclusion
Qu’il soit rarement exploité ou, au contraire, très utilisé, pour l’organisation de réunions hippiques ou pour permettre la réception d’autres événements, l’hippodrome est un équipement qui est d’abord fortement ancré dans son territoire à l’échelle locale. Les modalités de cet ancrage varient en fonction des dynamiques territoriales et de son degré d’utilisation : ici, l’hippodrome peut être un simple lieu de festivités locales, hippiques ou non hippiques ; là, au contraire, un véritable équipement urbain multiusage, là encore un équipement structurant d’une filière agricole. Comme en témoigne l’organisation d’une journée « filière morte » le jeudi 7 novembre 2024 [24], se traduisant par l’annulation de toutes les courses hippiques en France, les hippodromes sont, par excellence, le cadre de la valorisation de l’ensemble d’une filière économique et le lieu rendant possible l’organisation des paris hippiques. En ce sens, les hippodromes ne sont donc plus seulement des équipements locaux, mais, notamment pour ceux qui organisent des courses dites Premium pouvant être le support de paris en ligne, des équipements qui s’inscrivent à une échelle mondialisée, au sein de l’espace virtuel des joueurs en ligne. En définitive, la question du devenir des hippodromes dépend du paradigme dans lequel ils s’inscrivent : paradigme patrimonial-local qui fait de l’hippodrome, une composante matérielle ou immatérielle du territoire ; paradigme économique, qui considère l’hippodrome principalement comme un champ de courses et qui l’inscrit alors dans une filière économique ; enfin, paradigme de l’hippodrome comme équipement multiusage à l’image d’autres aménagements municipaux.
