Béatrice Eysermann

Le temps est mon objet de recherche depuis dix ans maintenant. Ce thème m’est apparu comme une variable incontournable de nos quotidiens, de nos vies, de tous nos axes de représentation, depuis ma première recherche de maîtrise sur les navigateurs solitaires, en 1996 (titre : Vivre le temps présent. La navigation à voile en solitaire, Aix-Marseille 1). Il en résulte que le temps de ces navigateurs est celui que j’ai appelé « le temps des choses et des éléments », soit le temps présent qui ailleurs, et selon leurs dires, nous échappe. Nous échappe parce que nous vivons dans une société capitaliste où le temps progressiste nous pousse à penser au futur et nous enlève au présent. Bien sûr je vais vite, mais cette idée, ce thème, cet incontournable objet du temps - dont la représentation à trois aiguilles est une façon humaine d’inscrire l’immatériel dans l’espace du cadran - a motivé une problématique à 3 volets qui cherchait à comprendre, « simplement », le temps que nous vivions dans nos sociétés (occidentales). Ainsi, mon second mémoire (Traders/brokers versus capitalisme : vers un temps de la postmodernité ?, 1998, Aix-Marseille 1) a cherché à répondre à cette question : si les marins, hypothétiquement en dehors de toute structure sociale ou socialisante pendant le temps de leur voyage, vivent le temps présent, les financiers incarneront-ils le temps capitaliste, soit le futur progressiste du milieu des banques et de la finance ? Curieusement, ces grands financiers vivent non seulement dans le présent, mais dans l’instantané et l’immédiat des marchés financiers, au détriment, bien souvent, de leur vie personnelle et familiale ; aussi s’ils deviennent très vite millionnaires, le non-sens du capitaliste moderniste les empêche de prendre le temps de le dépenser. Il me restait à comprendre, pensais-je, ce que signifiait « donner son temps » dans un univers où on le vend ? Je me suis orientée, pour mon doctorat et assez logiquement, vers le monde du bénévolat. J’y découvris comment le temps que l’on donne se convertit en actions, mais aussi que ce don ne suffit jamais, que l’on cherche toujours à l’étirer, à le rendre élastique, tandis qu’il reste parallèlement invisible aux yeux des acteurs en présence, qu’ils soient bénévoles ou salariés. (Titre : L’œuvre des donneurs de temps dans notre société. Bénévoles et salariés de l’humanitaire dans une association caritative marseillaise (France), 2004, Aix-Marseille 1). Pour autant, après avoir clos cette problématique à 3 volets, ma quête du temps reste inachevée. Je prépare aujourd’hui un projet, en tant que stagiaire postdoctorale au CELAT (Université Laval, Québec, Québec, Canada), intitulé « vers une anthropologie du temps et de l’humanitaire ». L’objet de ce projet, inscrit en filigrane, introduit un but, ambitieux s’il en est, à long terme : celui de réintégrer le temps en tant qu’objet d’étude à part entière de l’anthropologie ; de même que pour le thème du « don de temps », à traiter comme objet d’étude, et pas seulement comme l’un des dérivés ou l’une des nuances du don (moderne). Une ambition qui prendra du temps. Et peut-être qu’un jour, je comprendrai moi-même pourquoi le temps me passionne autant. Tout un projet de vie, finalement, à inscrire, comme le dit Stephen Hawking (1989), dans Une brève histoire du temps...

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