Hommage à Daniel Fabre.
La RCP 323 : une aventure collective en pays de Sault.
Entretien avec Dominique Blanc, Agnès Fine, Jean Guilaine et Claudine Vassas

Résumé

En hommage à Daniel Fabre, disparu en janvier 2016, un entretien a été réalisé avec quatre de ses amis et collègues proches qui travaillèrent étroitement avec lui dans le cadre de la Recherche coopérative sur programme (RCP) 323 « Anthropologie et écologie pyrénéennes » et, plus précisément, dans l’équipe qu’il dirigea dans le pays de Sault, la zone-pilote, entre 1973 et 1978 : Agnès Fine et Claudine Vassas, Dominique Blanc et Jean Guilaine. Passée relativement inaperçue dans l’histoire des enquêtes ethnologiques du proche, la moisson ethnologique de cette RCP atypique n’en reste pas moins très importante, autant par l’abondance des publications de ses membres que par la richesse des thématiques abordées et sa transformation réussie en un laboratoire d’anthropologie et d’archéologie à Toulouse, en 1978, le Centre d’anthropologie des sociétés rurales.

Abstract

Tribute to Daniel Fabre. The RCP 323 : a collective adventure in the Pays de Sault. Interview with Dominique Blanc, Agnès Fine, Jean Guilaine and Claudine Vassas.

This paper is a tribute to Daniel Fabre, deceased in January 2016. Between 1973 and 1978, he led an interdisciplinary and ethnological team in the Pays de Sault that was part of a bigger collective research program (RCP) “Pyrenean Anthropology and Ecology”. Although it went quite unnoticed in the history of at-home ethnological surveys, it yielded a rich harvest of information and publication, grounded in a wide range of themes and topics. In 1978, the RCP enabled the successful creation of an archaeological and anthropological research center in Toulouse, in 1978, the “Centre d’anthropologie des sociétés Rurales”. Four of his friends and colleagues who worked closely with him in this RCP were interviewed to share their experience and memories of this ethnographic fieldwork and collective research : Agnès Fine and Claudine Vassas, Dominique Blanc and Jean Guilaine.

Sommaire

Table des matières

Présentation

Pendant la préparation de ce numéro d’ethnographiques.org consacré aux enquêtes collectives, est survenu le décès soudain de Daniel Fabre, le 23 janvier 2016. Thierry Wendling avait mené avec lui un premier entretien, en 2013 (*), sur « l’intelligence du conte », et un second, en 2015 (*), en dialogue avec son ami Roger Chartier autour du thème de « la fréquentation des textes ». Nous souhaitions honorer sa mémoire en continuant sur cette même lancée de l’oralité chère à Daniel Fabre qui lui a consacré de nombreux travaux, en résonance avec les thématiques discutées dans ce numéro. Un entretien [1] a été réalisé à Toulouse, le 19 mai dernier, avec quatre de ses amis et collègues proches qui travaillèrent étroitement avec lui dans le cadre de la Recherche coopérative sur programme (RCP) 323 « Anthropologie et écologie pyrénéennes » et, plus précisément, dans l’équipe qu’il dirigea dans le pays de Sault, la zone-pilote, entre 1973 et 1978 : Agnès Fine, directrice d’études à l’EHESS et Claudine Vassas, alors son épouse, directrice de recherche au CNRS ; Dominique Blanc, ingénieur d’études en sciences sociales à l’EHESS et Jean Guilaine, directeur d’études à l’EHESS et professeur au Collège de France. La RCP 323 compta jusqu’à plus de soixante membres et l’équipe pluridisciplinaire en pays de Sault, la plus importante numériquement et scientifiquement, vingt-cinq membres.

L’histoire de « l’ethnologie de la France [et d]es grandes enquêtes collectives » intéressait grandement Daniel Fabre, qui fut à l’origine d’un colloque de deux jours portant ce titre, à Carcassonne, en novembre 2005 [2]. Dans le feuillet de présentation de ces journées, il rappelait que les RCP, ces vastes enquêtes pluridisciplinaires qui se développèrent en France essentiellement pendant les années 1960-1970, avaient deux ambitions : « tester la possibilité d’une connaissance « totale » de microsociétés saisies, idéalement, dans toute la durée et dans toutes les dimensions de leur développement » et « mettre à l’épreuve sur des cas délimités le dialogue de toutes les disciplines qui s’intéressent à l’homme, en tant qu’être biologique, social et culturel, et à tout l’environnement anthropisé ». La RCP « Anthropologie et écologie pyrénéennes » s’inscrivait pleinement dans ces objectifs et dans ce temps spécifique de la recherche collective, de l’épistémologie de sciences sociales en pleine reconstruction disciplinaire, conceptuelle et institutionnelle [3]. C’était particulièrement le cas à Toulouse, au début des années 1970, où l’anthropologie culturelle et sociale n’était pas encore entrée à l’université avec un cursus autonome, se situant plutôt au carrefour de l’anthropologie biologique, de la dialectologie et des études occitanes.

Elle gravitait alors dans l’orbite institutionnelle de l’anthropologie physique et biologique, grâce à la société savante créée par Jacques Ruffié (1921-2004), l’Institut pyrénéen d’études anthropologiques. La RCP 323 doit d’ailleurs sa création à ce médecin généticien, fondateur des recherches hémotypologiques en France ; il avait fait sien le projet d’études pluridisciplinaires des isolats humains de Robert Gessain à Plozévet, en le transposant dans les petites communautés rurales de ces marches de la France. L’Institut d’études méridionales de l’université Toulouse-Le Mirail, avec la dialectologie du linguiste Jean Séguy (1914-1973) qui incitait ses étudiants à suivre également le jeudi les cours d’ethnologie méridionale de l’inclassable René Nelli (1906-1982), aussi fascinants que profondément originaux, représente le deuxième pôle d’attraction et de formation intellectuelles de quelques-uns des ethnologues impliqués dans ce programme de recherche pluridisciplinaire. Le mouvement occitan de revendication identitaire, de défense de la langue et de la culture occitanes, qui se cristallise dans les années 1960 et gagne en puissance après Mai 68, imprègne les prises de position de Daniel Fabre et d’autres collègues ethnologues contre le colonialisme de l’intérieur, contre cet ethnocide (la référence à Jaulin est assumée) dont se serait rendu coupable un État français centralisateur, destructeur des particularismes locaux et des minorités nationales [4]. La revendication d’une « anthropologie autochtone » [5], conduite par de jeunes ethnologues parlant la langue d’Oc, imprime sa marque sur la RCP, sotto voce. Elle va influencer leur pratique ethnographique en pays de Sault, et la nature des rapports avec les enquêtés, en particulier dans les modalités de restitution du savoir engrangé à leur contact, notablement différentes d’autres RCP. Plus qu’un terrain strictement scientifique, le pays de Sault devient rapidement pour les ethnologues un « lieu de vie » qui cimente leurs relations amicales et professionnelles.

Les ethnologues vont se tenir à distance des attentes des anthropologues biologiques, plaçant plutôt leurs pas dans ceux de leurs collègues exotisants, grâce à la requalification des terrains proches opérée par Claude Lévi-Strauss, en 1953, qui fut très importante pour cette génération choisissant de travailler avec un questionnement pleinement anthropologique en France, en Europe. L’ « ethnologue peut espérer […] retrouver dans une société moderne et complexe des unités plus petites, de même nature que celles qu’il étudie le plus souvent » sur des terrains lointains (Lévi-Strauss, 1974 : 351), en délimitant l’étendue du réseau d’interconnaissances, la longueur des cycles matrimoniaux, à la ville ou dans les campagnes. Les communautés rurales pyrénéennes, « sociétés à maison » pour la plupart (Lévi-Strauss, 1991), entraient dans ce cadre, comme le rappelait Daniel Fabre dans un témoignage rare et précieux. Il y souligne également que la conscience d’observer la fin des mondes paysans, l’irruption d’une histoire « chaude », de l’écrit, de la modernité, colorait significativement leurs recherches :

« Quand au début des années 1970, le Pays de Sault, au cœur des Pyrénées languedociennes, devient le principal lieu d’enquête de la RCP 323, ce choix semblait s’imposer en vertu des interrogations du moment. En effet, la notion d’urgence nous poussait à élire une société rurale vivante, susceptible de témoigner de la relative stabilité structurelle dont, depuis plus d’un siècle la sociologie des Pyrénées, centrales et occidentales, avait proposé le modèle : continuité des formes de la reproduction domestique, d’une part, la maison, l’ostal, étant à la fois l’espace habité, l’unité d’exploitation et de travail, le lieu de la famille et le pôle de référence de la pensée ; pérennité de la communauté villageoise, d’autre part, avec ses biens communs, ses disciplines et ses solidarités. Sur ce dernier point, les 80% de biens communaux attestés à Campagna-de-Sault imposaient d’emblée l’idée d’une résistance exceptionnelle de ce pays pyrénéen au mouvement des partages. […]

Mais par ailleurs, l’enquête ethnologique sur la tradition orale, dont j’avais en particulier la charge, tout en nous découvrant des œuvres inouïes – confirmant au plan de la langue, des textes, des savoirs et des représentations la continuité d’une société paysanne – nous confrontait aussi à la prolixité d’un discours sur le changement qui n’avait rien de banal. […] L’oralité et ses œuvres ne pouvaient aujourd’hui se dire que sur le fond d’une relation à un monde nouveau où l’écrit sous tous ses aspects avait pris place dominante. [...] Ici, le choc avait été brutal, il n’avait pas été dilué dans le temps. […]

L’oralité était donc éminemment historique, moins par ses contenus que par la situation changeante de leur transmission. L’école, le français, l’écriture étaient arrivés ici quasiment d’un seul coup et nous fûmes sensibles à l’exceptionnelle irruption de cette différence. Telle fut, dans les années 1971-1973, la voie d’accès vers ce précipité de transformations qui, entre 1800 et 1940, ont saisi tout le corps social de ce pays de montagne ; alors qu’il semblait un peu oublié de l’histoire, il avait vécu celle-ci sur un mode radical, accéléré et, de ce fait, inoubliable. » (Fabre, 1988 : V).

Passée relativement inaperçue parce qu’elle n’a pas produit « son » livre collectif aisément identifiable – mais aussi parce qu’elle impliquait majoritairement des savants “provinciaux”, loin du centre parisien –, la moisson ethnologique de cette RCP atypique n’en reste pas moins très importante, autant par l’abondance des publications de ses membres que par la richesse des thématiques abordées et sa transformation réussie en un laboratoire d’anthropologie et d’archéologie à Toulouse, en 1978, le Centre d’anthropologie des sociétés rurales. L’histoire exemplaire de cette RCP 323 ‒ sa création, son déroulement, ses questionnements et résultats, sa postérité ‒ reste très largement à écrire. Grâce à quelques-uns de ses acteurs interrogés ici, que nous remercions très chaleureusement de s’être prêtés si volontiers à cette remémoration collégiale, ses linéaments commencent à s’esquisser. Cet entretien permet également de mesurer à quel point, dès les débuts de sa pratique d’ethnologue, sur le terrain, Daniel Fabre fut un homme attaché au collectif. La longue liste de ses entreprises scientifiques, de ses publications collectives, trouve son origine ici, dans le pays de Sault.

Aux origines de la RCP

Christine Laurière : Jean Guilaine, vous avez dirigé cette Recherche coopérative sur programme (RCP) 323 « Anthropologie et écologie pyrénéennes », de 1973 à 1978, Daniel Fabre coordonnant les travaux de l’équipe pluridisciplinaire [6] qui enquêtait en pays de Sault. Racontez-nous la façon dont s’est constituée cette RCP, le contexte institutionnel dans lequel elle est née, qui en fut à l’origine, quelles étaient ses ambitions.

Jean Guilaine : La création en 1970 de l’Institut pyrénéen d’études anthropologiques (IPEA) fut déterminante. Ce fut à la fois l’élément déclencheur et l’institution d’accueil de la future RCP. L’IPEA avait été créé par Louis Lareng (président de l’université Paul-Sabatier de Toulouse) et Jacques Ruffié, médecin, alors professeur d’hématologie dans cette même université. Ruffié était audois, originaire de Limoux. Il a joué un rôle moteur dans la carrière débutante de Daniel Fabre. Jacques Ruffié avait fondé le centre d’hémotypologie du CNRS en 1962, au CHU de Purpan, dont l’objectif scientifique et médical était de cartographier à l’échelle mondiale les caractères sanguins des diverses populations. Il était titulaire de deux doctorats : l’un de médecine, l’autre de sciences qui avait porté sur la génétique des populations pyrénéennes, à travers l’étude des groupes sanguins. En 1972, il venait d’être élu à la chaire d’anthropologie physique du Collège de France et il était également membre depuis 1971 de la commission du CNRS « anthropologie, ethnologie, préhistoire ». Il s’était rendu compte, en fréquentant les collègues des sciences humaines, que les phénomènes sociaux étaient très importants pour comprendre les phénomènes biologiques et médicaux. Il a d’ailleurs montré, dans son ouvrage postérieur De la biologie à la culture, les interférences qui pouvaient exister. Lui est donc venue l’idée que, sur son terrain pyrénéen – qui était celui de ses deux doctorats –, on pourrait mener une grande enquête pluridisciplinaire, constituer un noyau de spécialistes qui étudieraient les sociétés humaines de la biologie à la culture, c’est-à-dire du monde biologique au monde des sciences humaines. D’où la création de l’Institut pyrénéen d’études anthropologiques, association d’universitaires toulousains qui comprenait à la fois des médecins, des généticiens mais aussi des géographes (Georges Bertrand, Bernard Kayser), des démographes (André Armengaud), des linguistes (Jean-Louis Fossat, Xavier Ravier, Jacques Allières, Jacques Boisgontier), des ethnologues, des archéologues, etc. Mais cette institution n’avait aucun moyen financier. Il fallait donc la fortifier par un fond de recherche officielle – ce fut le CNRS et ce fut la RCP.

La relation avec le CNRS fut favorisée par le fait que Ruffié était le président de sa commission d’anthropologie, à laquelle je siégeais également en tant que préhistorien. À Toulouse, Ruffié voulait, en quelque sorte, reproduire un petit bureau calqué sur cette commission du CNRS, avec un archéologue et un ethnologue à ses côtés. Ces deux champs de recherche n’étaient pas représentés à l’université de Toulouse. Il y avait bien Louis-René Nougier, professeur de préhistoire, mais il ne menait aucune recherche de terrain. Je faisais alors partie d’une équipe de Marseille. Ruffié m’a donc « capté » et fait revenir à Toulouse. La RCP dont il m’a confié la direction fut une façon pour lui de s’adjoindre un préhistorien mais il lui fallait aussi un ethnologue : ce fut Daniel [Fabre], pour lequel Ruffié s’était pris d’affection. Malgré la différence de génération – Ruffié était né en 1921, moi, en 1936 et Daniel, en 1947 – nous avions un point commun : l’occitan, même si Ruffié ne faisait que le bredouiller. Il venait souvent pour la fin de semaine à Limoux et il passait nous voir. Le mandarin, soucieux de hiérarchie, d’être obéi, tombait le masque : il n’y avait plus que trois Audois, trois Occitans, qui allaient se balader dans la campagne. Daniel était alors maître auxiliaire de français au lycée Stanislas de Carcassonne. Jacques Ruffié a œuvré auprès de son ami Louis Lareng afin d’obtenir la création d’un poste de maître assistant d’écologie humaine pour Daniel à la faculté de médecine Paul-Sabatier.

En 1978, lorsque la RCP arriva à son terme, au vu de ses résultats importants, le CNRS décida qu’il fallait profiter du mouvement de recherche impulsé pour créer une structure pérenne à Toulouse, un laboratoire d’anthropologie et d’archéologie préhistorique. Ce fut le Centre d’anthropologie des sociétés rurales qui obtint rapidement la cotutelle de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) car nous avions convaincu Jacques Le Goff, alors son président, de l’intérêt de créer une telle structure. J’en devins le directeur et Daniel, le sous-directeur. Jacques Le Goff était très favorable à la décentralisation, à l’existence d’antennes régionales de l’EHESS. À Marseille, il avait délégué des enseignants-chercheurs de Paris tandis qu’à Toulouse, il avait fait le choix de compter sur les forces vives locales, en prenant appui sur le triumvirat mis en place par Ruffié. Ce dernier était alors également le responsable de l’antenne toulousaine de l’EHESS, il nous faisait faire des séminaires, chacun dans notre spécialité – Daniel commença à donner un séminaire en 1976. Puis, en 1978, j’ai été élu directeur d’études cumulant ; Daniel sera élu directeur d’études en 1989. Si on récapitule, en une petite décennie, deux créations institutionnelles (une société savante, l’IPEA, puis un programme de recherche collective) s’enchaînèrent pour aboutir à la pérennisation d’une nouvelle structure scientifique, le Centre d’anthropologie des sociétés rurales qui, malgré diverses transformations, existe toujours, dans sa composante archéologique, tout du moins [7]. À ma connaissance, c’est la seule RCP qui a débouché sur la création d’un laboratoire soutenu par le CNRS – il faut dire qu’on était dans le désert, ici à Toulouse, sur ces disciplines ! La RCP avait beaucoup fait parler d’elle au niveau des instances de décision scientifiques.

Dominique Blanc : Juste un mot sur ce premier poste de Daniel : tu as souligné que cela représentait l’arrivée d’un ethnologue dans une université de sciences, c’est certain. Mais c’était aussi la création d’un centre et d’un certificat d’écologie humaine : c’était un moyen de mettre l’anthropologie au contact direct des questions biologiques, de l’environnement, de les aborder en termes d’écologie humaine. Jacques Ruffié faisait alors partie d’un réseau européen travaillant sur ce thème. Daniel l’a dit et répété : c’était un poste essentiellement dédié à la recherche, avec de l’enseignement une année sur deux dans le cadre d’un séminaire, ce qui lui a permis de mener à bien ses enquêtes ethnographiques en pays de Sault et ses nombreuses publications. En fait, dès avant son entrée à l’EHESS, il a fonctionné sur ce modèle du séminaire. Il a assumé quelques années plus tard, en 1976, un « vrai » séminaire dans la nouvelle antenne de l’EHESS à Toulouse, auquel nous avons tous assisté et que nous avons suivi pendant des années.

Jean Guilaine : Voici donc le contexte institutionnel qui présida à la création de la RCP ; revenons-en maintenant à la RCP en tant que telle. Cinq zones d’étude – qu’on appelait des zones-témoins – ont été déterminées : le pays de Sault, à la limite de l’Aude, de l’Ariège et des Pyrénées orientales, était la zone pilote, et Daniel Fabre en était l’animateur ; le Capcir ; la vallée de Barège ; la vallée de l’Ouzom et le pays Basque. On ne pouvait pas, dans une RCP consacrée aux Pyrénées, évacuer la question basque, tant du point de vue linguistique que sérologique pour comprendre l’origine de cette population. Une sixième et dernière zone fera l’objet d’une autre enquête dans le cadre d’une Action thématique programmée (ATP) dite « Les Baronnies », dirigées par Joseph Goy et Isac Chiva, à l’initiative de Jacques Ruffié également, à partir de 1976 [8].

Les zones d’étude de la RCP 323

Il faut rappeler que c’était un moment particulièrement favorable au développement de l’ethnologie de la France rurale, qui avait repris des couleurs et une certaine légitimité par rapport à l’ethnologie « exotique », avec l’exemple des RCP à Plozévet et en Aubrac.

Le questionnement central tournait autour de ce passage de la biologie à la culture : comment définit-on une communauté pyrénéenne dans sa cohérence, du point de vue biologique mais aussi du point de vue culturel ? Il s’agissait de répertorier de façon très fine les différentes communautés pyrénéennes, en s’appuyant sur les outils de diverses disciplines scientifiques. Pour tenter de définir ce qui constituait une communauté, de dégager ses caractéristiques, l’interdisciplinarité était l’approche méthodologique à la mode. Cet objectif n’était pas étranger à la réflexion menée ailleurs, à Plozévet par exemple, sur la notion d’isolat [9]. Cette dernière était en faveur dans la recherche. Il s’agissait de voir si, dans les Pyrénées, plus précisément dans les endroits les plus reculés des Pyrénées où nous devions enquêter, nous ne pourrions pas identifier des populations qui auraient été peu soumises au changement du point de vue biologique et culturel à travers les périodes historiques.

1. Présentation de la RCP (Jean Guilaine)

Une recherche collective interdisciplinaire ?

Christine Laurière : La RCP était pluridisciplinaire, cela apparait nettement dans le sous-titre des rapports d’activité : « Étude préhistorique, anthropologique, ethnologique, sociologique, démographique, géographique, linguistique et écologique de quelques zones-témoins des Pyrénées françaises ». Était-elle pour autant interdisciplinaire ? Y avait-il des dialogues, des moments ou des travaux en commun ?

Jean Guilaine : Oui et non. Oui et non.

Ch. L. : S’agissait-il plutôt de chantiers autonomes ?

Jean Guilaine : L’équipe d’ethnologie sur le pays de Sault était très soudée, les enquêtes étaient communes. Mais toute une série de travaux s’est faite de façon distincte. Avec un collègue archéologue, nous avions ouvert deux chantiers en pays de Sault. Une fois l’autorisation écrite du propriétaire du terrain obtenue, notre équipe faisait ses fouilles de son côté. Dans la vallée de l’Ouzom, la vallée de Barèges, on ne faisait pas tellement d’ethnologie, on faisait essentiellement de la démographie et, surtout, des études anthropologiques ou médicales. Des médecins et des chercheurs de Paris venaient ponctuellement pour leurs enquêtes et repartaient. Prenons le cas de l’anthropologie physique. Le Docteur René Blanc venait en pays de Sault pour les prélèvements sanguins, qui étaient analysés soit à Carcassonne soit à Toulouse. De son côté, Albert Ducros, chercheur au CNRS en anthropologie biologique, est venu plusieurs fois de Paris, procéder aux mesures anthropométriques, étudier les dermatoglyphes.

Tous les enquêteurs venaient livrer leurs résultats lors de nos réunions toulousaines à l’IPEA. Je recevais leurs résultats, mon épouse et moi-même les colligions pour le rapport d’activité annuel au CNRS. Plusieurs commissions du CNRS finançaient et chapeautaient la RCP : biologie et physiologie végétales ; anthropologie, préhistoire et ethnologie (la plus importante, du point de vue des crédits) ; démographie et sociologie ; géographie ; études linguistiques et littéraires françaises. Chacune avait un représentant dans le Comité directeur de la RCP. Ces représentants ne venant pas à Toulouse, je les réunissais à Paris pour exposer nos résultats. Ils m’interrogeaient, suggéraient des pistes d’orientation. J’allais également voir Raymond Dugrand (professeur de géographie à l’université) à Montpellier, etc. Voilà comment cela fonctionnait.

Claudine Vassas : Sur la question de l’interdisciplinarité, Jean, je crois que ta fonction était absolument essentielle. Si tu n’avais pas été là, j’ignore comment l’opération aurait pu fonctionner dans la mesure où, pour moi, il y avait un fossé absolument infranchissable avec les médecins. Lorsque j’allais aux réunions à l’IPEA, je me rappelle mon malaise face à tous ces médecins qui relevaient des empreintes, procédaient à des prélèvements, analysaient le sang pour déterminer le rhésus. Derrière ce travail sur la génétique, il y avait quand même quelque chose d’assez dérangeant à nos yeux… Nous, les ethnologues, on les voyait dans ces réunions, et c’était vraiment deux mondes. Jamais nous n’enquêtions ensemble. C’est vraiment toi qui assurais la médiation entre les deux et diffusais nos résultats. Sur un terrain comme le pays de Sault, arpenté longuement, dans les années précédant la RCP, par Daniel et Jacques [Lacroix, alors son beau-frère [10] ], qui avaient noué des liens amicaux avec des familles dans les villages, ce fut difficile de voir débarquer des équipes de médecins, de généticiens, d’hémotypologistes. Il leur a fallu entrer dans les maisons avec des méthodes qui n’étaient pas les nôtres, pour expliquer ce qui allait se passer et faire en sorte que la population accepte de se soumettre à ces examens toujours un peu suspects. Par certains aspects, les médecins étaient un handicap – mais pas tous, certes, dans la mesure où on a pu aussi utiliser leurs compétences, comme ce fut le cas avec René Blanc en particulier. Il était médecin à Carcassonne, directeur du centre de transfusion sanguine ; il était connu, c’était un enfant du pays. On l’envoyait en éclaireur dans les villages, pour des réunions de présentation de la RCP car il était charismatique et il savait parler aux gens. Ces réunions étaient d’ailleurs très peu suivies. Daniel était toujours là, mais un peu en retrait, en marge.

Dominique Blanc : J’ai justement un souvenir d’une des rares réunions où il y avait plus de monde que d’habitude. Ce devait être la première, à la mairie de Rodome, qui m’a beaucoup frappé parce qu’on saisissait bien le fait que s’intéresser à cette population du point de vue physique pouvait avoir des conséquences sur la santé. C’est d’ailleurs comme cela que le docteur René Blanc présentait les choses afin de lever la suspicion chez les gens pour lesquels ces études descendaient du ciel. Il avait l’accent d’ici, il savait y faire. Il mettait en avant que cela permettrait de mieux connaître la situation des populations de ces villages, leur état de santé. Cela marchait assez bien. L’anecdote amusante, c’est que les villageois nous prenaient tous ensuite pour des docteurs ! Quand on est sorti de la réunion, les petits vieux qui n’avaient pas envie de se faire soigner à Carcassonne voulaient absolument nous montrer où ils avaient mal ! Et certains n’hésitaient pas, en pleine rue, à joindre le geste à la parole !

2. Une RCP pluridisciplinaire ou interdisciplinaire ? Un dialogue difficile (Jean Guilaine, Claudine Vassas, Dominique Blanc)

Claudine Vassas : Plusieurs d’entre nous, jeunes ethnologues, n’appartenions pas encore à une institution d’enseignement supérieur ou de recherche à la différence des médecins et de ceux qui entendaient travailler avec des méthodes « scientifiques ». Je pense à Igor de Garine, par exemple, un spécialiste de l’alimentation qui était entré dans la RCP avec un gros budget de recherche. Il avait mené des études au Sahara et en Afrique noire. En lien avec les médecins qui s’intéressaient à l’état de santé des populations, il était responsable du programme de collecte des données liées à l’alimentation, la diététique. Il s’intéressait à la notion de « ration alimentaire » qu’il voulait quantifier chez les membres des familles auprès desquelles on enquêtait. Il m’avait chargée de distribuer dans chaque foyer une balance de ménage – il avait dû avoir des crédits pour faire acheter toutes ces balances ! Cela m’avait beaucoup dérangée parce que je ne fonctionnais pas du tout de cette façon-là et que cela ne correspondait pas à ce que j’observais. Je menais ma propre recherche pour déterminer à quoi ressemblait une journée de nourriture selon les saisons, le rythme alimentaire... J’avais noté qu’en dehors des repas, en rentrant des champs, par exemple, on se nourrissait d’une tranche de jambon sec coupée directement sur l’os ou d’un bout de saucisson emmené dans la poche, etc. Cette idée de mesure de la ration alimentaire ne correspondait pas au mode de vie quotidien de ces familles rurales. Mais, enfin. J’ai placé les balances avec le plus de discrétion et de politesse possible, en disant aux familles chez lesquelles je les déposais : « Voilà, on me dit de vous donner ça, c’est un petit cadeau. » Je suis revenue quelque temps après, parce que, tout de même, j’étais curieuse de savoir ce qu’ils en avaient fait. Je n’ai jamais rendu à Igor de Garine le moindre rapport mais j’ai pu noter les usages très divers réservés à ces balances, selon les maisons ! L’une était posée sur le frigidaire et servait de coupe à fruits ; dans une autre, on mettait les œufs frais de la collecte du jour ; une troisième servait de vide-poches. Une quatrième avait été utilisée par la belle-sœur de Pierre Pous (informateur privilégié de Daniel Fabre, bouvier sur le plateau de Munès, près de Rodome), qui était postière : elle y déposait le courrier qu’on lui amenait – peut-être qu’elle pesait les lettres… Les usages détournés de la balance des nutritionnistes étaient nombreux et variés ! Cela faisait fait partie des choses qui nous distinguaient, qui nous séparaient des médecins, des anthropologues physiques.

Daniel Fabre en 1973. Un jeune ethnologue

Christine Laurière : Nous venons d’évoquer longuement l’aspect pluridisciplinaire de la RCP, le fait que le pays de Sault en était la zone-témoin parce Daniel Fabre et Jacques Lacroix le connaissaient intimement. Il avait constitué leur premier terrain.

Jean Guilaine : Avant la création de la RCP, Jaques Ruffié nous avait demandé de réfléchir à un programme, de baliser un périmètre géographique et de poser un certain nombre de questions. Il impulsait le mouvement mais se reposait entièrement sur nous pour le mener à bien. À la fin de 1970, dans la revue carcassonnaise fondée par Fernand Cros-Mayrevieille, Folklore [11], dont le rédacteur en chef était alors René Nelli, et moi-même le secrétaire, nous avions publié un article (*) à quatre, avec René Blanc, Daniel et Jacques Lacroix, qui présentait le terrain choisi et esquissait des pistes de recherche. Daniel et Jacques avaient rassemblé les données générales sur le pays de Sault, lors de leur précédente recherche sur la littérature orale et le conte entre février et août 1969. Un premier programme d’enquête ethnologique avait été projeté pour l’été 1971, sous l’égide de l’IPEA, et deux rapports d’activité publiés dans la foulée, toujours dans la revue Folklore (Fabre et al. 1971a * et 1971b *). On y étudiait le calendrier agricole (Jean-Pierre Blanc), le traitement du chanvre (Francine Olive), le carnaval au travers du prisme de l’ethnologie culinaire (Claudine Fabre). En fait, avant même le déploiement de la RCP, un petit noyau d’ethnologues avait entamé leurs recherches.

Ch. L. : Comment Daniel Fabre était-il venu à l’ethnologie ?

Claudine Vassas : Daniel s’est formé à l’ethnologie comme on pouvait le faire à une époque où il n’existait pas encore de cursus universitaire en tant que tel, ce qui était le cas à Toulouse, où il n’y avait pas de licence d’ethnologie ni de formation doctorale. Mais il y avait une équipe d’ethnolinguistes travaillant à l’élaboration d’atlas linguistiques et ethnographiques régionaux dirigés par Jean Séguy (1914-1973) qui était l’un de nos professeurs, à Daniel et moi-même. Jean Séguy nous sensibilisait aux questions de langage, nous initiait à la constitution de champs lexicaux et sémantiques ; cela nous avait beaucoup marqués. Nous avons donc suivi cette formation d’ethnolinguistique tandis que nous poursuivions des études de lettres modernes. René Nelli, professeur de philosophie à Carcassonne, animait, lui, un cours d’ethnographie à l’université de Toulouse que les étudiants de Jean Séguy suivaient également, sur sa recommandation. C’était une fois par semaine le jeudi après-midi, rue du Taur. Cela représentait une toute petite formation à l’ethnologie. L’équipe d’ethnologie s’est constituée là, sur ces bases. Après avoir obtenu la licence, j’ai fait une maîtrise d’ethnologie avec Jean Séguy sur le thème de la cuisine et du carnaval, de la cuisine du cochon qui était alors centrale.

Daniel avait choisi de travailler sur la littérature orale : il avait fait sa maîtrise d’ethnolinguistique sur un conte populaire, Jean de l’Ours, publiée en 1969. Depuis plusieurs années, il était maître auxiliaire au collège Stanislas de Carcassonne qui était un lieu fréquenté majoritairement par des familles originaires du pays de Sault, catholiques pratiquantes qui envoyaient leurs enfants au petit séminaire. J’y étais professeur aussi. Avec notre beau-frère Jacques Lacroix, professeur d’anglais dans le même établissement, ils avaient décidé de faire leur thèse sur la littérature orale et de profiter du fait qu’ils avaient des élèves originaires de ces villages pour entrer en contact avec les familles de cette région. Ils ont fait leur premier terrain sur le conte grâce au réseau d’interconnaissance des parents de leurs élèves. Quand la RCP se met en place, Daniel et Jacques comptent donc déjà une longue pratique du terrain dans ces lieux mêmes. Mais toi, Dominique, tu les connaissais déjà, depuis tes années au collège Stanislas ?

Dominique Blanc : En effet, après un passage par l’enseignement agricole à Limoux, j’étais élève au collège de Stanislas de Carcassonne, établissement catholique qui avait fusionné avec le Petit séminaire car il n’y avait plus assez d’élèves voulant devenir prêtres. Je n’étais pas originaire du pays de Sault, j’étais issu d’une migration rurale du Minervois. Mais je savais que Daniel et Jacques avaient battu le rappel des élèves qui pouvaient les aider dans leur enquête, qui pour recueillir un conte, qui pour servir d’intermédiaire avec une famille, qui pour les informer sur des parents de leur famille qui racontaient des contes en occitan. J’ai rencontré Daniel quand j’étais en classe de première, c’était mon professeur de français, et donc, surtout, de littérature. Daniel Fabre avait vingt ans et moi, j’en avais quinze. C’était son premier poste d’enseignant, je finissais mes études secondaires. J’ai tout de suite eu une relation assez étroite avec Daniel. C’était un professeur atypique : on travaillait sur les surréalistes, Jean Genet, etc., ce qui n’était pas tout à fait dans la ligne de la littérature enseignée dans le secondaire, a fortiori dans un collège privé catholique mais on était à la veille de 1968 ! Les élèves étaient enthousiasmés par cette ouverture. En outre, il nous donnait un enseignement sur la culture populaire, la littérature orale. C’était l’époque où Robert Mandrou publiait ses travaux sur la littérature populaire, la littérature de colportage. Daniel pouvait aussi bien nous faire faire des travaux sur les poètes surréalistes, sur Nadja d’André Breton que sur la byline russe ! Cette originalité dans l’enseignement a rapproché quelques élèves, dont moi, de Daniel, mais aussi de Jacques Lacroix, qui n’était pas mon professeur mais avec lequel j’ai immédiatement noué une relation quasi amicale. Ensuite, j’ai fait des études de philosophie à l’université. Mais j’avais été marqué par cet enseignement, j’avais maintenu une relation personnelle avec Daniel, en tant que Carcassonnais. Nous allions ensemble au ciné-club, aux conférences. C’était tout un contexte favorable – une fois à Toulouse, on nous appellera parfois la secte des Carcassonnais ! J’étais un très mauvais philosophe qui a lamentablement échoué à l’agrégation mais j’avais fait ma maîtrise sur l’anthropologie critique à partir des travaux de Jaulin sur l’ethnocide, La paix blanche, qui m’avaient frappé.

C’était précisément le moment où se mettait en place la RCP. De fait, notre amitié a favorisé mon recrutement. Je devais participer aux enquêtes pour constituer l’atlas linguistique. Il fallait bien connaître l’occitan, être capable de saisir et comprendre la variété dialectale du pays de Sault. On se munissait d’un magnétophone à bandes, un bon Uher, et on allait dans les familles pour les interviewer. Dans l’étude ethnologique plus générale, j’ai été chargé du thème de l’introduction de l’école et de l’écriture dans le pays de Sault. J’ai commencé à recueillir des autobiographies d’instituteurs qui, au début des années 1970, avaient quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans, qui avaient débuté leur carrière professionnelle avant la guerre de 14-18. L’école s’étant réellement implantée au tout début du XXe siècle, ils furent les premiers instituteurs du pays de Sault. Avant, l’école était certes obligatoire mais beaucoup d’enfants y échappaient pour aller garder les troupeaux ou vaquer aux travaux de la ferme. En recueillant ces autobiographies, j’espérais pouvoir étudier le rapport de ces instituteurs à leurs élèves : ils étaient eux-mêmes des enfants du pays qui apprenaient le français à des élèves dont la langue maternelle était l’occitan vernaculaire. Cela pouvait être un bon angle d’analyse pour percevoir les mutations socioculturelles.

Autour de l’Occitanie

Parler occitan

Christine Laurière : Vous étiez tous originaires de cette région, vous parliez occitan.

Jean Guilaine : oui, j’étais du pays proche. Nous parlions occitan.

Dominique Blanc : On n’était pas des étrangers, c’est certain. Je parlais l’occitan. Je n’étais pas de ce coin du pays de Sault mais, depuis longtemps, j’allais tout à côté de Montaillou, à Prades : ma mère y travaillait l’été, dans une Maison familiale de vacances. Je connaissais ces villages. Toute l’équipe d’ethnologie était de Toulouse, de Carcassonne ou du coin, c’était important. Nos liens étaient facilités grâce au réseau de connaissances de Daniel et Jacques, mais aussi par notre façon de travailler. Dans le cadre de l’enquête pour l’atlas linguistique, nous ne nous rendions pas simplement chez un informateur désigné sur un point d’enquête bien précis, nous allions aussi rencontrer une famille. Nous n’arrivions pas à seize heures pour enregistrer simplement une heure de magnétophone : on était invités à manger, à boire, etc., avant d’entrer dans le vif du sujet. Il y avait une relation de proximité avec toutes ces familles qui acceptaient de participer à l’enquête ethnologique et plus encore avec certaines familles avec lesquelles Daniel travaillait sur la littérature orale, Claudine sur la cuisine, etc.

Agnès Fine : Je n’étais pas du coin puisque je suis originaire d’Agen, ce qui n’est pas très loin non plus. J’avais fait mes études à Paris et passé une thèse de démographie historique, j’avais été formée au maniement des statistiques démographiques également. J’étais arrivée en 1971 comme assistante d’André Armengaud à la fac de Toulouse. Je ne me rappelle plus comment j’ai rencontré Daniel, mais il a tout de suite pensé que la démographie pouvait être cette discipline à l’interface du biologique et du culturel. Il se disait que, dans le cadre de la RCP, ils avaient besoin de reconstituer les familles, d’avoir des fichiers de population pour identifier les familles, repérer les généalogies et donc comprendre, finalement, comment se transmettaient ces fameux groupes sanguins puisque c’était une des questions au cœur des objectifs de la RCP. J’ai intégré l’équipe d’ethnologues comme cela, parce qu’ils ont pensé que je pouvais être intéressée. Tout ce qui était interdisciplinaire me passionnait – je venais d’une formation d’histoire, j’avais fait de la socio, j’étais passée à la démographie… bref, je circulais entre les disciplines. Quand on m’a proposé de travailler de manière interdisciplinaire, en faisant un terrain dans les Pyrénées avec des ethnologues, j’ai tout de suite accepté.

Mais je ne savais pas du tout parler occitan ! J’ai découvert la langue, je m’y suis mise. J’ai suivi des cours à l’université du Mirail. J’ai essayé de l’apprendre : je ne dis pas que je le parle mais je suis capable de bien le lire et de comprendre ce qui est dit quand les gens ont des dents et qu’ils parlent bien (rires). Quand ils parlent lentement, je le comprends bien.

3. La démographie, l’interface entre les sciences « dures » et les sciences sociales (Agnès Fine)

Claudine Vassas : Je ne connaissais pas l’occitan ; chez moi, on ne le parlait pas. J’avais une grand-mère provençale qui était félibre, c’était différent. J’ai vraiment l’impression que l’un des éléments qui nous a fédérés, dans cette enquête ethnologique en pays de Sault, c’est le fait que Daniel et Jacques avaient commencé leurs investigations sur ce terrain par le conte et la littérature orale [12]. On a tous mis la main à la pâte pour collecter des contes, en traduire. J’ai appris l’occitan grâce au conte, en écoutant les enregistrements, en apprenant à les décrypter, en les recopiant, en en traduisant aussi ( Fabre-Vassas et Fabre, 1978.).

Pour une anthropologie occitane

Dominique Blanc : Comme Daniel, Jacques, Claudine, je vivais dans le mouvement occitan qui avait éclos avant, mais qui s’est surtout développé pendant et après Mai 68, jusqu’à la fin des années 1970. Il était en train d’investir le domaine universitaire. L’année même où démarra la RCP avait été lancée une série d’universités d’été occitanes. C’étaient des rencontres associatives d’universitaires, de chercheurs, d’étudiants de toutes disciplines qui se retrouvaient sur cette question de l’occitan, de la langue, du pays, de la culture. Il y a bien eu un moment occitan de la recherche en sciences sociales. L’orientation de la RCP en était fortement teintée même si, aujourd’hui, on l’a un peu oublié. Quand on reprend les articles de Daniel, ses avant-propos aux ouvrages collectifs, tous insistent sur une anthropologie autochtone, sur l’importance d’une culture occitane et de passer par la langue pour comprendre la culture, la société.

Ch. L. : À ce propos, le discours et les revendications identitaires régionalistes montrent qu’il y a bien l’éclosion d’une prise de conscience idéologique de l’importance des racines occitanes, qui a infusé jusque dans les sciences sociales avec, pour n’en citer que quelques-uns, des ouvrages majeurs comme L’Atlas linguistique et ethnographique de la Gascogne de Jean Séguy, Les paysans du Languedoc et Montaillou, village occitan d’Emmanuel Le Roy Ladurie, auxquels on pourrait rajouter, sur les thématiques intéressant la RCP en pays de Sault, La fin des paysans d’Henri Mendras.

Cette empreinte est très perceptible dans plusieurs articles de Daniel et de Jacques Lacroix, au début des années 1970. Je pense en particulier à ce qu’on pourrait appeler leur profession de foi, publiée dans les Annales de l’Institut d’études occitanes, en 1972 : « Pour une anthropologie occitane » sous-titrée de façon éloquente : « Propositions pour la décolonisation de l’anthropologie ». Quand on lit la dernière page de ce texte militant (« Tâches concrètes urgentes »), on ne peut s’empêcher de la comprendre comme une préfiguration d’un des idéaux auxquels aspiraient sans doute certains membres de la future RCP 323, sans que cela puisse être formulé comme tel dans son programme sous peine de risquer de ne pas obtenir de financement auprès des institutions centrales parisiennes. Je me permets de vous lire ces fortes phrases, qui nous retrempent dans le bain de l’idéologie occitaniste tel que pouvaient la ressentir de jeunes ethnologues impliqués :

« Avant de parvenir au terme de nos propositions, il reste à définir les lignes de force des tâches futures des organismes occitans d’intervention. C’est le niveau culturel, d’un intérêt particulier, qui retiendra ici notre attention.

On peut penser qu’un vaste programme de recherche lancé à l’échelle pan-occitane aurait de grandes chances de motiver le plus grand nombre et freinerait, entre autres choses, la fuite des « cerveaux ». Ce programme anthropologique aurait pour but :

a) d’effectuer la prospection détaillée des ressources du domaine occitan.
b) d’inventorier – de l’intérieur comme de l’extérieur afin d’éviter à la fois le nationalisme et l’ethnocentrisme impérialiste – la production culturelle des individus en société.
c) de promouvoir dans tous les lieux de socialisation – écoles, églises, administrations – l’intérêt pour l’anthropologie indigène.
d) de développer recherche et création dans les domaines artistiques et littéraires sous la forme d’une expérimentation généralisée en évitant aussi bien d’imiter servilement l’extérieur que d’atteindre à la dimension nationale propre uniquement sur la base des modèles traditionnels.

Ce schéma de programme, partie ou tout, ne sera mené à bien qu’à partir de structures d’accueil existantes et grâce à la coopération des non-spécialistes. Aussi notre expérience nous conduit à suggérer la création prochaine d’un vaste réseau – à la manière des quadrillages des Atlas linguistiques et ethnographiques – d’informateurs et d’enquêteurs potentiels, à l’échelle pan-occitane. La formation anthropologique de base de ces collaborateurs pourrait être administrée, dans ce cas précis, au cours de stages et les premières recherches de masse initiées dès l’année 1972-1973 ». (Fabre et Lacroix, 1972a)

1973, c’est la date de création de la RCP. L’organisme occitan d’intervention, on ne peut s’empêcher de penser que ce pourrait être l’IPEA avec son bras armé, la RCP.

Dominique Blanc : Ce texte que tu viens de nous lire a été forgé à la toute première université d’été de 1972, à Montpellier. On demandait à chacun des intervenants, des jeunes universitaires pour la plupart, de se positionner sur ce qui pouvait être fait en domaine occitan, en revendiquant une recherche occitane ou autochtone. C’est l’idée qu’on était dans des communautés paysannes, dans des sociétés dominées. Et pour comprendre ce qui se passe, il fallait se mettre du côté des dominés, revendiquer ce qu’on essaie précisément de leur arracher : l’oralité, la langue locale, pour la remplacer par le français. C’était une orientation fondamentale, à l’époque, qui était en surplomb. Cela se combinait avec l’intérêt pour les communautés rurales, locales, c’est ce qui faisait tout l’intérêt du développement de la RCP.

4. Contre le colonialisme de l’intérieur, pour une recherche occitane (Jean Guilaine, Dominique Blanc, Agnès Fine)

Agnès Fine : Et puis il y avait la plus dominée des dominés, qui était la femme occitane (rires).

Dominique Blanc : L’un des rares textes que Daniel a publié en occitan, d’ailleurs, est un article sur la femme occitane, qu’il avait présenté à un congrès d’ethnologie en Corse et qui a été publié dans Occitania nòva dans les années 1970, revue dont s’occupait Josiane Bru et à laquelle nous collaborions.

Carcassonne, ville occitane

Jean Guilaine : À Carcassonne, le mouvement occitan était très vivace, avec des chanteurs comme Claude Marti, Mans de Brèish. Il y avait une réelle effervescence qui dénotait un climat nettement antijacobin, qui s’étendait jusqu’à la sphère politique, avec la tentative de candidature aux élections présidentielles de Robert Lafont, professeur d’occitan de Montpellier.

Ch. L. : C’était une lutte contre le colonialisme de l’intérieur.

Jean Guilaine : Mais évidemment.

Dominique Blanc : Le terme de colonialisme intérieur avait été repris et théorisé justement par Robert Lafont lui-même, linguiste et professeur de littérature. Dans plusieurs ouvrages directement publiés en livre de poche, dans la collection « Idées » de Gallimard, et qui eurent un grand succès à l’époque – on l’a oublié depuis –, dont Décoloniser en France, Lafont revenait sur ce concept de colonialisme intérieur, sur le modèle de ce qui se passait en Amérique latine.

Jean Guilaine : Pour tout ce qui concerne cette fibre occitane, on ne peut pas oublier la figure tutélaire de René Nelli. On se considérait un peu comme ses disciples. Nelli était un personnage singulier, d’une très vaste culture, d’une très grande érudition. Il nous fascinait. Il faisait la démonstration que l’on pouvait faire en province, c’est-à-dire loin des lieux de pouvoir, loin des institutions parisiennes, une œuvre absolument reconnue. Et ça pour nous, c’était un modèle [13].

Ch. L. : Travailler au pays pour Daniel, cela avait du sens. Être un ethnologue autochtone, qui vivait et menait ses enquêtes depuis Carcassonne, c’était quelque chose qu’il revendiquait dans les années 1970.

Claudine Vassas : Oui, la preuve en est qu’on a tous continué à y habiter, alors même qu’on faisait le trajet pour Toulouse toutes les semaines – en tout cas, en ce qui nous concerne, au moins jusqu’en 1989. Il y avait vraiment cette volonté de rester carcassonnais. Nous n’étions pas vraiment des autochtones car je n’y étais pas née ni Daniel, qui était de Narbonne. Mais, comme tu l’as dit, Jean, à Carcassonne, il y avait Nelli, et le souvenir de la figure de Joë Bousquet, les traces vives du surréalisme [1987 et (…)" id="nh2-14">14]. Nous partagions cette idée que tous les mouvements intellectuels les plus porteurs étaient présents à Carcassonne. Les fêtes restaient vivantes [15] ; il y avait cette idéologie de la fête, avec des chanteurs occitans (on pourrait aussi citer Marie Rouanet), le théâtre, avec une création artistique en occitan (je pense au Teatre de la Carriera de Claude Alranq). Sans parler du passé : la Cité et ses remparts, le catharisme et la poésie des troubadours chers à Nelli… Nous avions eu le privilège d’aller consulter avec lui le manuscrit de Flamenca, roman occitan médiéval de toute beauté, dont l’unique exemplaire est conservé à la bibliothèque municipale de Carcassonne [16]. Tout ce temps fort de la poésie et de la littérature occitanes que nous avions découvert à l’université au cours de nos études sur la littérature occitane nous ramenait à Carcassonne. Ces figures tutélaires nous ancraient dans ce lieu.

Depuis Carcassonne, René Nelli dirigeait la revue Folklore, en lien avec le musée des Arts et Traditions populaires de Paris. Pour autant, même si nous nous exprimions depuis notre ville, nous n’étions pas des folkloristes. Nous refusions cette appellation. Mais nous tenions, par nos lectures, à faire la jonction entre le folklore et l’ethnologie. On avait lu toutes les monographies ethnographiques relatives à chaque région de France, mais aussi à l’Italie et à l’Espagne. Nous nous ouvrions complètement à l’anthropologie : pour l’Europe, celle du comparatisme, mais aussi aux travaux de ceux que nous appelions les « exotiques » africanistes et américanistes... Nous étions nourris de Lévi-Strauss que nous avions découvert grâce à Jean Séguy. Notre maître nous disait : « Si je n’avais pas été linguiste, je serais devenu structuraliste, anthropologue et lévi-straussien. » Vivre à Carcassonne, c’était tenir ensemble tous ces fils. On est resté sur cette ligne assez longtemps puisque nous ne nous sommes installés à Toulouse qu’en 1989.

5. Vivre et travailler à Carcassonne, ville occitane (Claudine Vassas)

Ch. L. : L’enquête ethnologique en pays de Sault était sous-tendue implicitement par un projet militant, de faire science en Languedoc et en langue d’oc (si possible), de travailler au plus près de ce monde paysan en train de disparaître.

Jean Guilaine : Cette effervescence occitane, ça gênait un peu Paris. J’ai gardé le souvenir d’un colloque, qui s’était tenu au CNRS, en 1977, sur « la situation actuelle et l’avenir de l’anthropologie en France », organisé par Georges Condominas et Simone Dreyfus-Gamelon, au cours duquel il y avait eu deux ou trois intervenants qui avaient parlé d’un véritable terrorisme occitan (rires). Du terrorisme occitan. Avec Daniel, on s’était fait tout petits dans la salle !

Le pays de Sault, un lieu de vie

Ensemble sur le terrain

Ch. L. : Carcassonne n’est pas très éloignée du pays de Sault, une petite centaine de kilomètres environ. Comment vous êtes-vous tous retrouvés là-bas, comment avez-vous décidé chacun de vos thèmes de recherche en ethnologie ?

Agnès Fine : De façon très pragmatique, Daniel a réuni des collègues en se disant, qu’au fond, toutes les sciences sociales, toutes les bonnes volontés étaient les bienvenues. Par exemple, sans vouloir être exhaustive, je me rappelle que Monique Kiredjian travaillait sur les plantes, Marie-Dominique Amaouche-Antoine, sur la musique. Christian Fruhauf, historien, étudiait la forêt au XVIIe siècle. Marcel Drulhe, sociologue, menait des recherches sur l’ethnologie de l’espace et la maison paysanne, Jean-Pierre Piniès (un ami d’adolescence de Daniel) sur la sorcellerie. J’avais été intégrée au projet comme démographe historienne, Claudine enquêtait sur l’alimentation, etc. Chacun est arrivé avec ses compétences et ses envies. Le terrain était commun mais les problématiques étaient propres à chacun ; puis, elles se sont affinées grâce aux échanges constants entre nous.

Ch. L. : Pratiquement, quel était le mode de fonctionnement de l’équipe ethnologique sur le terrain ? Veniez-vous tous ensemble ?

Agnès Fine : Les deux premières années, nous sommes venus l’été parce que Claudine et Daniel s’étaient débrouillés pour avoir une maison forestière gratuite. On ne dépensait rien. De toute façon, je crois que nous n’avions pas de crédits. Nous venions en famille, avec nos enfants. Nous dormions sur des matelas pneumatiques, on se lavait au puits. Nous étions féministes, Claudine et moi nous bagarrions pour ne pas être tout le temps en train de peler des pommes de terre, faire la corvée de pluches ! Nous, les filles, nous avions essayé d’instaurer un roulement pour faire les courses, la cuisine, la vaisselle, à tour de rôle, mais ça n’a jamais marché ! Dès que nous revenions, de la fin de l’après-midi jusqu’au coucher, pendant le temps de préparation des repas, à table, nous avions des discussions passionnées. On se racontait tout ce qu’on avait fait et vu dans la journée. Le lendemain matin, chacun partait de son côté. On se demandait ce que nous allions faire. « Moi, j’ai rendez-vous avec Untel. Allez, tiens, je te suis. Je vais écouter ce qu’il te raconte. Et toi, qu’est-ce que tu fais ? Je vais essayer de passer dans tel village, etc. » Je me suis régalée en les suivant. Je trouvais tout ce qu’ils faisaient passionnant. C’est ainsi que, progressivement, grâce à eux, je suis passée de la démographie historique à l’ethnologie, en les écoutant, en les suivant, en comprenant ce qu’ils cherchaient et comment ils cherchaient. Je me suis dit que, moi aussi, j’avais des questions à poser sur mes propres intérêts, sur l’histoire des familles, les mariages, les dots, les successions. J’ai donc changé de méthodologie.

Ch. L. : Ce fut une initiation pratique à l’enquête de terrain, en situation, en observant les collègues travailler.

Agnès Fine : Compte tenu de ce que je sais du fonctionnement des autres équipes RCP, je pense que nous avons su créer un échange réel, profond, sur les questions que se posaient les uns et les autres. Claudine nous racontait ce qu’elle faisait et donc, du coup, si je rencontrais quelqu’un qui me parlait cuisine, je le laissais parler, je lui posais quelques petites questions. Ensuite, je le disais à Claudine, le soir. De même, on me disait : « Tiens, j’ai entendu quelque chose sur les familles ou sur les mariages. ». Nous nous passions des bouts d’entretien. On s’écoutait. On se spécialisait un petit peu dans tous les domaines qui étaient traités par chacun. Ce qui donnait une ouverture par rapport à la manière dont souvent les collègues travaillent en se spécialisant uniquement sur la parenté, le religieux, le politique, l’économique, etc. Nous avions des échanges sur le fond, sur nos lectures. Nous nous parlions beaucoup de ce qu’on lisait.

Dominique Blanc : C’était un groupe d’amis, aussi.

Agnès Fine : On est devenus amis. Nous avions entre vingt-cinq et trente-cinq ans, c’était aussi la jeunesse, après Mai 68... C’était toute une ambiance.

6. Les montées au pays de Sault. Un collectif de vie et de travail (Agnès Fine, Dominique Blanc)

« Chacun de nous était riche du savoir des autres »

Ch. L. : À la fin de la courte préface aux Cinq contes populaires du pays de Sault, Daniel écrit : « Je dédie ce travail à tous les amis et chercheurs de la RCP 323 du CNRS pour qui, depuis tant d’années, le pays de Sault est devenu non plus un terrain mais un lieu de vie. »

Claudine Vassas : C’était absolument un lieu de vie. Cela l’était d’autant plus que nous tenions à partager pleinement la vie des personnes auprès desquelles on résidait non seulement l’été mais pendant les vacances, à Noël ou Pâques – car on ne venait pas uniquement en groupe, parfois on s’y rendait à deux, ou individuellement, de façon plus ponctuelle. On partageait les travaux des champs, on faisait les foins, on prenait des repas, on passait du temps, le soir, avec les villageois. À ce moment-là, les femmes pratiquaient encore le jeu de quilles, nous jouions avec elles. On se nourrissait de tout le savoir des autres. Comme tu l’as dit, Agnès, il y avait une ethnobotaniste qui faisait un herbier avec tout ce qu’elle ramassait ; on regardait l’herbier avec elle, on apprenait les noms des plantes et leurs usages. Daniel travaillait sur le conte, les récits populaires de la tradition orale, la culture paysanne. Il était attentif à l’usage de l’occitan, à la diglossie en confrontation avec la pratique du français. Il observait l’art verbal des conteurs dans sa gestualité théâtrale, leurs façons de dire, leurs techniques narratives. Il suivait Pierrot Pous qui était son interlocuteur privilégié, toute la journée aux champs. Je pense qu’il aurait pu écrire plusieurs articles sur l’élevage, sur les bergers, sur les vaches. Daniel commençait aussi à travailler sur la sociabilité juvénile masculine, sur ce qu’il appelait « faire la jeunesse ».

Je travaillais sur le porc à ce moment-là ; on a passé des soirées entières avec le premier vétérinaire du pays de Sault, M. Pélofy. Je me souviens qu’on connaissait tout sur les maladies des animaux par ce qu’en disaient nos interlocuteurs. Il y avait un échange permanent, on rendait compte aux autres. Il n’y avait pas d’enquêtes collectives dans le sens où il y aurait eu une problématique d’enquête commune établie auparavant. Chacun est arrivé avec son histoire, son bagage, sa spécialité, ce qui l’intéressait ; et tout ça se mêlait, était mis en commun, chacun de nous était riche du savoir des autres.

7. Partager la vie des autres, être riche du savoir des autres (Claudine Vassas)

Jean Guilaine : D’un point de vue humain, il y avait indéniablement du collectif. Au-delà de la science, l’amitié nous fédérait. Ces séjours en pays de Sault n’ont fait que renforcer nos liens. C’est une aventure intellectuelle qui a duré une petite dizaine d’années, un lieu de vie, de sociabilité intense. L’essentiel du terrain se passait l’été. Au mois d’août, il y avait des fêtes, des bals, dans beaucoup de villages du coin. Alors, même si archéologues et ethnologues ne travaillions pas ensemble, on se retrouvait le soir dans ces fêtes locales, entre nous mais aussi avec les gens des villages. On était en osmose.

Dominique Blanc : Et parmi vous, il y avait de grands danseurs de rock’n’roll…. On aurait pu parler des fêtes aussi ! Pendant que Daniel faisait son séminaire sur le carnaval, à Toulouse, on avait décidé de faire renaître le carnaval de Carcassonne, qui avait disparu depuis vingt ans. Jean Guilaine a fait revivre le carnaval de Ladern-sur-Lauquet, son village, en plein mois d’août !

Jean Guilaine : Nous étions des amis de la fête. Avec Daniel, Mans de Brèish, on en a fait un bouquin.

Claudine Vassas : Nous travaillions essentiellement sur quatre villages : Bessède, Aunat, Le Clat et Rodome, proches les uns des autres. La maison forestière était un peu excentrée par rapport à eux, à mi-chemin entre tous, pas plus de huit kilomètres. On marchait aussi, pour aller au village. Ensuite, nous avons loué une maison à Rodome, puis à Aunat et même au Clat, c’était très rustique !

Dominique Blanc : Daniel ne conduisait pas, alors quand on avait une voiture, on l’accompagnait, forcément (rires). Moins les gens savaient lui dire non, plus souvent on l’accompagnait !

Ch. L. : Le soir, vous discutiez à bâtons rompus de ce que vous aviez engrangé pendant la journée. Partagiez-vous vos notes de terrain ? Y avait-il une mise en commun de vos fiches, des enregistrements, une mutualisation des données ?

Agnès Fine : Quelquefois, on se passait des bouts d’entretien. Je me souviens en avoir donné certains à Giordana Charuty [17] quand elle enquêtait sur les représentations coutumières de la folie. C’était un thème difficile à aborder. Elle était donc preneuse d’informations si, dans la conversation, on entendait parler d’un « innocent ». Mais, en général, non ; on se racontait le soir.

Un terrain commun, des enquêtes individuelles

Ch. L. : Chaque ethnologue était maître chez lui, chacun menait sa propre enquête, de la collecte de données jusqu’à l’analyse sans devoir en référer à une tutelle hiérarchique.

Agnès Fine : Daniel était extrêmement respectueux du travail de chacun. Il ne nous a jamais influencés sur les thèmes qu’on traitait, sur la façon dont on devait procéder – s’il le faisait, c’était plutôt par son enthousiasme communicatif ! Il n’était pas un maître au sens où nous aurions été ses disciples.

Claudine Vassas : Les données relevées, les notes de terrain, les enregistrements n’ont jamais été déposés collectivement quelque part ni archivés. Chacun avait ses bandes, ses cassettes, on en avait beaucoup ! Au début, on enregistrait avec des Nagra ou des Uher. On a passé des heures, des heures, à décrypter les bandes, à retranscrire.

Ch. L. : Vous n’aviez pas forcément d’interlocuteur, d’informateur privilégié avec lequel vous aviez des entretiens fouillés, qui vous aurait accompagné chez les uns et chez les autres ?

Agnès Fine : Chacun avait les siens.

Dominique Blanc : La famille de Pierre Pous était quand même un axe pour nous tous. Daniel avait Pierrot Pous, il passait beaucoup de temps avec lui.

Agnès Fine : Moi, à Bessède, c’était Julie.

Claudine Vassas : Il y avait Julie, Mathilde, Mélanie…

Agnès Fine : Dès que j’arrivais dans un village, on me disait d’aller voir telle ou telle personne parce qu’elle savait tout, qu’elle était intelligente. Je voyais une petite dizaine de femmes différentes, et je menais des entretiens approfondis avec trois ou quatre. J’ai surtout travaillé à Bessède, C’est là que nous avons remis à l’honneur le jeu de quilles des femmes. Un jour que j’interrogeais des femmes, dans le cadre de mes enquêtes, j’en avais vu plusieurs jouer à Rodome, un village à côté de Bessède. Le soir, je rentre à Bessède, et je raconte aux femmes du village ce que j’ai vu, je leur demande ce que c’est. Elles me répondent que, elles aussi, elles y jouaient parfois. C’était un jeu de femmes, les femmes jouaient entre elles et les hommes entre eux. Je m’enquiers des règles. « Oh, on va vous expliquer les règles. Allez, ce soir, on va jouer. » Je demande : « Mais où y a-t-il un jeu de quilles ? » – « Chez Camille, là-haut. » Donc, voilà, on récupère un jeu de quilles et, aussitôt, on se lance. Elles nous expliquent et on joue ! Et, donc, du coup, la pratique est repartie ! On y jouait très souvent, après, le soir. Durant les vingt années où j’y allais en vacances, avec mes enfants, on jouait aux quilles tous les soirs, dans le village ! J’y suis allée l’été dernier ; la pratique s’est un peu perdue à cause de la télévision, mais tous les 15 Août depuis quarante ans, elles organisent un concours de quilles, maintenant ouvert aux hommes. C’est devenu une tradition !

Claudine Vassas : Il n’y a jamais eu d’enquête systématique et quantitative sur un seul village. Nous n’avons pas fonctionné sur ce mode, en devant voir toutes les femmes de telle tranche d’âge, par exemple. Il y avait deux ou trois interlocuteurs privilégiés et l’idée aussi qu’on pouvait travailler avec un seul. On pouvait tout faire avec un seul.

Ch. L. : Un stéréotype veut que les gens de la campagne soient plutôt « taiseux » quand on évoque certains sujets. Devant les questions que vous posiez, n’avez-vous jamais ressenti de la méfiance vis-à-vis de votre curiosité ? Les gens sur lesquels vous enquêtiez avaient-ils l’impression d’être pris pour des bêtes curieuses, des « sauvages » ? Vos thèmes de recherche étaient-ils bien compris par vos interlocuteurs ?

Claudine Vassas : Je n’ai jamais eu le moindre problème.

Agnès Fine : Forcément : travailler sur la cuisine, avec les femmes, c’est du gâteau, si je puis dire !

Claudine Vassas : Pour moi, c’était extrêmement simple, comme l’a dit Agnès, il suffisait d’entrer dans les cuisines ! Jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours procédé ainsi. Je demandais aux femmes comment ça se passait, la fête du cochon ou le repas de Noël… Et, puis, immédiatement, cela s’enchaînait, et on était invités. Nous avons ainsi partagé une grande quantité de repas, de fêtes. C’est pour ça qu’on y est allés l’hiver, aussi. Non, il n’y avait absolument aucun problème de relation, même si je pense qu’on a dû tous, à un moment donné, rencontrer un vieux grincheux ou quelqu’un d’un peu suspicieux qu’on se signalait pour l’éviter.

Agnès Fine : On disait qu’on cherchait à savoir ce qui se faisait autrefois. Je crois que le fait de raconter l’histoire, leur histoire, à des jeunes cultivés (puisqu’ils savaient qu’on était profs) qui les enregistraient, de voir que cela nous intéressait, ils en étaient contents. Alors que, quand ils racontaient leurs vieilles histoires à leurs petits-enfants, cela les ennuyait ! Je me souviens qu’ils éprouvaient un réel plaisir à nous raconter ce qui se faisait avant. En leur demandant de nous raconter ce que leurs grands-parents, leurs parents, eux-mêmes, faisaient avant, cela nous plaçait dans la situation de jeunes qui ignorent tout. Ils avaient donc quelque chose à nous apporter, à nous apprendre, quelque chose que nous ignorions.

8. Enquêter avec les habitants du pays de Sault (Agnès Fine, Claudine Vassas)

Dominique Blanc : En plus de mon travail d’enquêteur pour l’atlas linguistique, je travaillais sur l’école, la mémoire de l’école, la rencontre culturelle entre français et occitan, le rôle des instituteurs. J’avais opté pour ce sujet sur le conseil de Daniel mais aussi parce que j’étais très engagé politiquement dans le mouvement occitan. J’ai procédé à des enregistrements avec plusieurs instituteurs, qui m’ont permis de développer cette question de la formation d’hommes d’origine rurale et paysanne qui deviennent eux-mêmes, ensuite, des agents de la culture nationale française. C’était vraiment une question polémique. Ensuite, comme tous, j’ai commencé à me détacher de l’ancrage très local du pays de Sault et je me suis mis à travailler de deux manières. D’une part, dans les archives, afin d’élargir aux questions de l’alphabétisation et de la scolarisation en Languedoc dès l’Ancien Régime. D’autre part, j’ai poursuivi une recherche sur la formation des instituteurs qui m’a amené à travailler sur les écoles normales mais sur une question jamais traitée jusqu’ici : l’initiation à la virilité à travers le bizutage. J’ai suivi les problématiques creusées par Daniel Fabre : comment est-on initié à sa condition d’homme et pas seulement à sa fonction d’instituteur quand on devient en même temps un homme et un instituteur.

9. Les instituteurs, agents de la culture nationale française (Dominique Blanc)

Un impératif moral : restituer les résultats de l’enquête

Agnès Fine : C’était aussi une époque où on critiquait la manière colonialiste, impérialiste, de pratiquer l’ethnologie. On était convaincus que nous devions absolument instaurer un vrai échange avec les personnes, ne pas considérer les autres que comme des objets, nous devions leur restituer ce que nous apprenions. Nous n’avons jamais collecté le moindre objet, par exemple ; aucune collection ethnographique n’a été constituée. Nous avions pris plusieurs décisions concrètes pour leur donner quelque chose en retour. Ainsi, quand on prenait des photos, on les développait et on donnait un exemplaire des clichés aux gens. L’usage de la photographie ne s’était pas autant banalisé que maintenant, c’était un geste auquel ils étaient sensibles. Il y avait également les fameuses reconstitutions généalogiques de chaque famille, imprimées sur des listings très longs, avec les gros ordinateurs d’autrefois. Nous allions de maison en maison. Je me rappelle être allée dans toutes les familles de Bessède en leur disant : « Regardez, voilà votre généalogie. » Les gens, il fallait qu’ils comprennent comment cela fonctionnait, c’était absolument illisible, mais c’était là ! Nous leur avions posé un tas de questions, nous avions reconstitué leur famille grâce au travail fait par la généticienne des populations sur ordinateur.

Claudine Vassas : Et puis il y a aussi eu les petits livres publiés à l’Atelier du Gué qui répondaient aussi à cette nécessité de la restitution qui était essentielle à ce moment-là mais complexe. D’un point de vue déontologique, compte tenu de tout le temps que nous passions à poser des questions, à capter des paroles, à enregistrer des histoires, il y avait ce sentiment de « prendre » et de devoir « rendre » en retour. Il fallait donc trouver une forme de publication accessible à tous.

Agnès Fine : C’est pour cette raison que Claudine, Giordana Charuty et moi-même avions choisi un thème transversal, qui ne posait pas de problème de confidentialité, sur le travail des femmes. Gestes d’amont est paru en 1980. Un jour, au pays de Sault, nous avions organisé à la mairie une réunion de présentation du résultat de notre enquête avec les femmes qui s’étaient livrées à nous. Nous avions donné un exemplaire du livre à tout le monde. Les gens étaient très contents. Je cite souvent ce cas d’une femme que j’aimais beaucoup, qui habitait Bessède. Pendant vingt ans, j’y ai loué une maison tous les mois d’août ; j’aimais ce coin, j’avais noué des relations avec les gens. Cela se passait vers 1985, 1986. J’étais allée lui rendre visite. Elle m’offre un café au lait, on discute de tout et de rien et, tout à trac, elle me dit : « Ah, mais ça, ça y est dans le livre ! » « Mais quel livre ? », lui ai-je demandé sans comprendre. Elle me montre le buffet sur lequel je vois deux livres, en fait. Il y avait un livre de plantes et le nôtre, qui était noir tellement il avait été feuilleté, lu, relu ! Elle me dit : « Ça m’a fait plaisir de relire tout ce qu’on vous a raconté ». Pour elle, c’était une grande satisfaction que cela soit écrit, que ce ne soit pas perdu, en quelque sorte. Je pense que cela l’était aussi pour leurs familles, leurs enfants. C’est quelque chose dont je suis plutôt fière.

10. Un impératif moral. La restitution du savoir ethnographique aux habitants du pays de Sault (Agnès Fine, Claudine Vassas)

Claudine Vassas : C’était un peu la philosophie de cette collection très modeste, « Terre d’Aude », chez l’éditeur l’Atelier du Gué : témoigner de la vie quotidienne des gens du cru, faire des portraits de conteurs, qui n’étaient pas noyés dans l’anonymat habituel des informateurs des sciences sociales. Nous avons écrit plusieurs petits livres pour cette collection : Cinq contes populaires du pays de Sault, racontés par Pierre Pous, traduits et préfacés par Daniel ; notre Gestes d’amont ; Jours de vigne, avec Christiane Amiel et Giordana Charuty, puis celui que j’ai consacré à une couturière conteuse, Adrienne Soulié. Toi aussi, Jean, tu étais ethnologue à ta manière.

Jean Guilaine : Un peu. J’étais proche des ethnologues. Avec mon épouse, nous avions recueilli des contes populaires, au début des années 1960. C’était ma récréation, en quelque sorte. En 1978, Jean Cuisenier, directeur du musée des Arts et Traditions populaires, avait créé une collection « Récits et contes populaires », chez Gallimard. Il en avait parlé à Daniel et à Jacques Lacroix. Daniel m’avait incité à publier ces contes dans cette collection, ce que j’ai fait. Nous sommes plusieurs à avoir publié dans cette collection, souvent à partir d’enquêtes menées en pays de Sault ou dans le cadre de la RCP : Dominique Blanc sur le Vallespir catalan, Jacques Lacroix sur le Languedoc, Daniel et Claudine sur le Languedoc narbonnais, Jean-Pierre Piniès sur l’Ariège, etc.

La publication des travaux de la RCP

Ch. L. : Vos travaux à tous étaient très sensibles à cette dimension de la profondeur historique.

Jean Guilaine : Et ça remontait à la préhistoire ! Dans le cadre de la RCP en pays de Sault, j’ai fouillé un site à Fontanès-de-Sault, où j’ai retrouvé, par la stratigraphie, les traces des derniers chasseurs-cueilleurs autour de six mille ans avant notre ère et puis les strates où on voit apparaître les premiers agriculteurs, avec les restes de la faune et de la flore consommées. Parallèlement, un lien s’opérait avec les sciences naturelles avec les élèves de Jean-Louis Trochain, professeur de botanique à l’université de Toulouse, Marcel Delpoux et Guy Jalut. Guy Jalut faisait sa thèse en grande partie sur les tourbières du pays de Sault en montrant, grâce aux carottages, l’évolution du paysage depuis la préhistoire, depuis les quinze derniers milliers d’années jusqu’aux temps historiques, en repérant les agressions, les impacts de l’homme sur l’environnement. Il y avait cette perspective de la prise en compte de la longue durée. J’étais au début du phénomène de la néolithisation, à l’origine des agriculteurs, tandis que vous, vous observiez la fin des paysans ! Daniel l’a dit à de très nombreuses reprises. Mais il y avait quand même un grand trou dans nos recherches dans la mesure où, bien souvent, les documents n’existaient pas. C’est le cas pour la période romaine, par exemple, car les Romains n’allaient pas trop dans la montagne. Sur le Moyen Âge, grâce à l’abbaye de Joucou, aux châteaux, on avait un peu plus de données. On a publié les résultats de nos recherches interdisciplinaires dans un ouvrage collectif, Pays de Sault. Espaces, peuplement, populations, où on s’attachait au milieu et à son évolution, à l’histoire des populations du point de vue de l’anthropologie génétique.

Ce serait le moment de faire le bilan des publications, d’ailleurs. Avec Daniel, nous avions fait un programme de publications assez délirant, très ambitieux : on avait l’exemple de celui de la RCP Aubrac en tête. J’étais chargé du premier, et je l’ai fait ! (rires) Agnès a publié plusieurs articles à partir de ses enquêtes sur les familles [1977, Annales de démographie (…)" id="nh2-18">18]. Il y a eu les travaux de Ducros sur la génétique et l’anthropologie physique, un article de René Blanc sur les épidémies en pays de Sault... Si mes souvenirs sont bons, sept thèses ont été réalisées à partir des matériaux recueillis par des membres de la RCP en pays de Sault, dont celles de Christian Thibon sur le pouvoir au village ; Jacqueline Vu Tiên Khang sur le choix du conjoint, Christian Fruhauf sur l’évolution des forêts sous l’influence de l’homme, Marie-Dominique Amaouche sur la musique, Jean-Pierre Piniès sur la sorcellerie, etc. Et puis, et puis…. ne sont jamais parus les ouvrages ethnologiques dirigés ou codirigés par Daniel (rires) et dont on doit pouvoir retrouver la liste, d’ailleurs, parce que c’était très bien fait : il y avait tous les titres et les sommaires qui étaient précisés ! Quand on est passé de la RCP au Centre d’anthropologie, cette liste de publications à venir avait constitué l’un de mes arguments pour justifier sa création. Le laboratoire est venu mais pas les publications collectives dirigées par Daniel. Ceci dit, je force le trait, car il y a eu beaucoup d’articles, mais disséminés dans les revues et des ouvrages. C’était donc moins aisément repérable, moins identifiable. On aurait d’ailleurs pu constituer des recueils à partir de tous les articles que vous, les ethnologues, vous aviez publiés. Daniel l’avait conseillé à Agnès, par exemple, en lui disant qu’on ignorait qu’elle avait fait tout cela sur le pays de Sault.

La RCP en pays de Sault, un tremplin local pour une approche comparatiste

Dominique Blanc : La raison principale qui explique que les publications collectives sur le pays de Sault ne sont pas venues, c’est que, parti de cet ancrage local, chacun a progressivement élargi son investigation à un ou plusieurs terrains européens. Ce n’est pas la même démarche que la RCP Aubrac : des chercheurs débarquent sur le terrain, font des enquêtes très précises et, ensuite, publient sur ces enquêtes très précises. Le pays de Sault, on l’a dit, était un lieu de vie imprégné de façon permanente par la recherche, un creuset qui servait à nourrir la recherche des uns et des autres. Tout en gardant les questions qui avaient émergé en pays de Sault, on s’est confronté à d’autres terrains.

Jean Guilaine : Le pays de Sault, il faut le voir comme un tremplin, un tremplin pour d’autres travaux, beaucoup plus larges et pour des carrières aussi, des carrières universitaires et de chercheurs, comme ce fut le cas pour Daniel, Claudine, Dominique, etc.

11. L’enquête en pays de Sault, un tremplin vers le comparatisme (Dominique Blanc, Jean Guilaine, Agnès Fine)

Le refus de la monographie

Agnès Fine : Daniel disait que c’étaient des enquêtes localisées plutôt que des enquêtes locales. Par exemple, il y a eu l’enquête sur le parrainage, que j’ai effectuée. Je suis partie de ce terrain précis du pays de Sault pour aller voir ailleurs, ensuite, comment cela se passait. À quoi bon faire un article sur le choix du parrain en pays de Sault si c’était identique à ce qui se passait en Aubrac ou à Minot ? Il nous fallait passer par cette étape du comparatisme pour parvenir à dégager les bonnes questions. C’est ce qui nous a dissuadés de rester cantonnés à une approche monographique. À partir de ce que j’avais récolté, j’avais tout ce qu’il fallait pour faire une thèse d’État classique sur cette question des mariages, successions, dots, etc. C’était à la mode, à ce moment-là. Mais, du point de vue de la connaissance dégagée, qu’est-ce que cela apportait de plus ? J’étais davantage intéressée par une démarche comparative.

Nicolas Adell : C’est aussi la démarche formalisée un peu plus tard au sein du Centre d’anthropologie des sociétés rurales, avec l’anthropologie du symbolique, une anthropologie comparative élargie à toute l’Europe. La RCP a-t-elle été le laboratoire où commençait à se concevoir, se systématiser ce type de démarche comparatiste ?

Agnès Fine : La RCP n’a pas donné de grandes publications ethnologiques, mais elle a été d’un grand profit quant au développement de l’ethnologie que nous ferons plus tard, à Toulouse, individuellement et collectivement. À un moment, il y a eu un tournant, on refusait de continuer ce qui avait été fait avant, qui ne nous satisfaisait pas non plus.

Ch. L. : C’est-à-dire ?

Claudine Vassas : On ne voulait pas s’enfermer dans des études seulement locales…

Dominique Blanc. : …trop monographiques.

Agnès Fine : c’est ça, des études trop monographiques. C’était le refus de la monographie.

Dominique Blanc : C’était à l’œuvre, mais implicitement dans la mesure où il y avait cette problématique centrale de la RCP, de la communauté, du biologique au culturel, de la préhistoire à nos jours. C’est ce qui a éclaté à un certain moment, et chacun est parti vers une anthropologie plus ouverte, plus diversifiée. Il ne faudrait pas s’égarer et penser que, parce qu’il y avait cette trame occitane, nous aurions été enfermés dans la communauté locale. C’était tout le contraire. Les études sur la communauté locale commençaient par un hommage, une référence à Lévi-Strauss. C’était à l’anthropologie telle que la faisait Lévi-Strauss que nous aspirions ! Mais il fallait le faire autrement, en ces lieux, et par des gens qui vivaient en ces lieux, qui étaient du côté des populations qu’ils étudiaient.

Claudine Vassas : J’ai eu le même cheminement. La cuisine m’intéressait car il me semblait que c’était un thème qui pouvait déboucher sur autre chose [19]. La rencontre avec les travaux d’Yvonne Verdier avait été déterminante. Elle avait commencé à travailler sur le savoir culinaire, la cuisine du cochon. J’aurais pu écrire une thèse sur la fête du cochon comme fait social total avec le partage des tâches entre hommes et femmes, la communauté, les échanges de nourriture, etc. : ça aurait très bien marché, ç’aurait été la énième thèse comme cela se faisait partout ! En pays de Sault, on faisait déjà un micro-comparatisme à partir des quatre communes principales sur lesquelles on enquêtait. C’était un petit laboratoire où, tout à la fois, on expérimentait cette thématique de l’isolat et on la faisait éclater. De ce point de vue, le travail pour les atlas linguistiques a été fondamental. Par exemple, on pouvait constater qu’entre Rodome, Bessède, Aunat et Le Clat, il y avait quatre termes différents pour la soupe faite avec les graillons du porc. Trois termes étaient proches, mais le quatrième était complètement différent. Du coup, j’allais voir dans les atlas linguistiques sur une aire beaucoup plus large, je découvrais autre chose en construisant des champs sémantiques qui se ramifiaient plus loin encore. Je n’aurais pas pu faire de l’ethnologie (on n’avait quasiment pas eu de formation universitaire) si je n’avais pas lu les Mythologiques, de Lévi-Strauss. Donc, sur le terrain, on accumulait des données, on lisait, et on modulait entre le micro et le macro.

Agnès Fine : Je me souviens des débats, des critiques, qu’on nous faisait, à l’époque : « Mais comment pouvez-vous faire l’ethnologie du proche, c’est trop proche, vous êtes du coin, il faut toujours mettre de la distance, de l’altérité. » Il y avait comme un soupçon d’illégitimité attaché à notre travail en pays de Sault. Daniel répondait invariablement [1986." id="nh2-20">20] que la distance, on la crée par la culture, par le fait qu’on enquête, qu’on lit, qu’on construit son objet. C’est la distance intellectuelle qui crée la vraie distance heuristique. Comme il était extrêmement ouvert et érudit, qu’il lisait tout – c’était une bibliothèque ambulante –, on était tout de suite au courant de ce qui paraissait à Paris. Nous ne sommes pas restés… provinciaux, je dirais.

La postérité de la RCP

Jean Guilaine : On aimerait aussi savoir comment on est perçus (rires). Vous nous questionnez mais on se demande comment tout ça était vu, depuis Paris !

Ch. L. : Mon impression est que la RCP dans les Pyrénées, dans le pays de Sault, est l’une des moins connues de toutes les RCP. On parle plus volontiers des RCP de Plozévet, de l’Aubrac, du Châtillonnais, de l’ATP des Baronnies, ou de Minot.

Nicolas Adell : Et puis, dans les autres RCP, ce sont quand même, pour la plupart, des gens de Paris. Les dames de Minot, c’étaient d’abord les dames de Paris, pour les gens de Minot !

Agnès Fine : À Paris, en ce qui concerne les Pyrénées, on parlait des Baronnies, mais pas du pays de Sault, alors qu’ils étaient arrivés après nous – cela agaçait un peu Daniel, d’ailleurs ! Mais ils avaient fait un ouvrage collectif ; des chercheurs parisiens aux responsabilités institutionnelles importantes, Isac Chiva (sous-directeur du Laboratoire d’anthropologie sociale, directeur d’études à l’EHESS) et Joseph Goy (directeur du Centre de recherches historiques de l’EHESS) dirigeaient cette ATP, d’autres ethnologues et sociologues parisiens étaient impliqués dans l’enquête.

Claudine Vassas : Je pense que la RCP pays de Sault, de l’extérieur, depuis Paris en particulier, a donné l’impression d’avoir capoté, d’avoir été une déception – en tout cas par rapport à l’objectif des RCP qui était essentiellement de publier les résultats collectivement. Mais si on la resitue dans son ensemble, si on montre tout ce qu’elle a créé et suscité en aval : le Centre d’anthropologie des sociétés rurales, les publications qui en sont issues (à deux, trois, ou individuellement), les thématiques développées, les carrières de chercheurs, c’est tout le contraire [21].

Dominique Blanc : Pour toutes les raisons que nous venons d’esquisser, la RCP n’a peut-être pas connu une postérité importante mais ce qui s’est fait à Toulouse, les dix années suivantes, dans ce sillage, a eu un écho certain. Je pense par exemple au grand colloque organisé par le Centre d’anthropologie des sociétés rurales, en 1982 : « Voies nouvelles en ethnologie de la France ». Des collègues de la France entière sont venus. On a même parlé d’une « école de Toulouse » pour signifier qu’il y avait une certaine manière de faire l’anthropologie, avec le courant de l’ethnologie du symbolique qui y était pratiquée [22].

add_to_photos Notes

[1Je remercie Nicolas Adell pour son soutien logistique et sa présence amicale lors de l’entretien. Ce dernier a été filmé par Vianney Escoffier, retranscrit par François Delafontaine et édité par moi-même. Grâce à la documentation qu’elles m’ont aidé à rassembler, Sylvie Sagnes et Christine Bellan (ethnopôle du Garae, Carcassonne) ont apporté un concours précieux dans la phase préparatoire de l’entretien.

[2http://www.garae.fr/spip.php?article25. Je remercie Agnès Fine de m’avoir communiqué le dossier de présentation remis aux participants à ce colloque, ainsi que ses quelques notes.

[3Voir Paillard et al., 2010.

[4Avec son beau-frère et compère en ethnologie Jacques Lacroix, Daniel Fabre revendique le « droit à la différence » (Fabre et Lacroix, 1972b : II) et cite alors volontiers un article d’Emmanuel Terray, « Colonialisme intérieur et minorités nationales » : « il n’y a pas de nation française en soi, en dehors de l’histoire […] elle n’a jamais eu de réalité objective totale, puisqu’à aucune époque, si l’on prend le critère linguistique, la totalité de la population n’a effectivement parlé le français. » (Terray 1971).

[5« De quel lieu est homologué le savoir des sociétés ? Dans leur dénonciation de la relation historique unissant anthropologie, colonialisme et impérialisme les analystes se sont généralement attachés à dégager son expression achevée : l’ethnocentrisme occidental comme étalon universel. Mais tout porte à croire qu’il existe une variante hexagonale de l’européocentrisme. C’est bien, en effet, un discours anthropologique hexagonal qui a construit – par un regard « détaché » et « neutre » – l’espace dit méridional […]. Ces édifications arbitraires […] accroissent la domination sans partage – économique, idéologique, etc. – de leurs promoteurs. C’est donc légitimement que l’anthropologue en vient à la contestation de l’anthropologie coloniale hexagonale ; c’est-à-dire à revendiquer une conception nouvelle, antimonopoliste du savoir des sociétés. Cette exigence d’une distribution différente du savoir passe par la promotion d’une anthropologie autochtone. » (Fabre et Lacroix, 1972b : II-III).

[6Au nombre de ces disciplines, figuraient la préhistoire et la protohistoire, l’ethnologie, l’anthropologie de l’alimentation, l’anthropologie biologique, l’hémotypologie, la démographie, la géographie, l’histoire, l’écologie et la linguistique.

[7C’est l’UMR 5608 T.R.A.C.E.S. (Travaux et recherche archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés. Voir Jean Guilaine, « Le Centre d’anthropologie, l’EHESS et l’UMR TRACES : un bref historique » : http://traces.univ-tlse2.fr/accueil-traces/presentation/le-centre-d-anthropologie-l-ecole-des-hautes-etudes-en-sciences-sociales-et-l-umr-traces-un-bref-historique-145541.kjsp?RH=1405585772697 ; Guilaine, 2016.

[8Bonnain-Dulon, 2010.

[9Paillard, 2010.

[10Voir Fabre et Lacroix 1972b, Fabre et Lacroix 1973-1975, Fabre et Lacroix 1973, Fabre et Lacroix 1975.

[11Les livraisons de la revue Folklore (1938-1988), intégralement numérisée, sont disponibles sur le site de l’ethnopôle du Garae : http://www.garae.fr/spip.php?rubrique78.

[12Parmi leurs nombreuses publications communes, citons : Fabre et Lacroix, 1973-1975 ; Fabre et Lacroix, 1973.

[13Voir Fabre et Piniès (éds.) 2016 ; Nelli, 1987.

[14Fabre, 1987 et les souvenirs de Daniel Fabre d’une visite posthume à la chambre de Joë Bousquet in Fabre, 2011.

[15Fabre-Vassas et Amiel, 1982.

[16Nelli, 1966 ; Nelli, 1963 ; Fabre, 2016.

[17Giordana Charuty participera à l’enquête en pays de Sault dans sa deuxième phase. Voir Charuty, Fabre-Vassas et Fine, 1980 ; Charuty, 1985 et 1997.

[18Fine 1977, 1978a, 1978b, 1982, 1983, 1984, 1989.

[19Fabre-Vassas, 1994.

[20Voir Fabre, 1986.

[21Pour s’en convaincre et avoir une vision plus globale des résultats de la RCP, voir ses rapports annuels d’activités qui présentent un panorama des nombreux domaines d’enquêtes de ses membres et la liste des publications produites, très significative. Pour un aperçu, voir également la bibliographie non exhaustive infra.

[22Fabre, 1979-1980 ; Fabre-Vassas et Fabre, 1987. Dans l’entretien filmé conduit par Nicolas Adell, Daniel Fabre rappelle que Claude Macherel, dans une livraison d’Études rurales, avait baptisé « école de Toulouse » le groupe d’ethnologues rassemblés autour de Daniel Fabre au Centre d’anthropologie des sociétés rurales (film documentaire « L’ethnologie en héritage. Daniel Fabre, 18 », La Huit Production, en partenariat avec le ministère de la Culture et de la Communication, le Département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique et la Direction générale des patrimoines, 2016).

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Pour citer cet article :

Christine Laurière, 2016. « Hommage à Daniel Fabre. La RCP 323 : une aventure collective en pays de Sault. Entretien avec Dominique Blanc, Agnès Fine, Jean Guilaine et Claudine Vassas ». ethnographiques.org, Numéro 32 - septembre 2016
Enquêtes collectives [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/Hommage-a-Daniel-Fabre-La-RCP-323 - consulté le 15.10.2024)
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