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Philippe Geslin

« Le crayon de Dieu n'a pas de gomme».
Objets ventriloques, humour et joutes verbales dans les rituels d’initiation chez les Soussou de Guinée.

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Annexe 2 : La parenté chez les Soussou

Les Soussou forment une société à filiation patrilinéaire. Les enfants appartiennent au groupe du père. Pour les mariages, le choix individuel privé est de plus en plus fréquent dans les villes et villages. Il l'est moins dans les hameaux où, bien souvent, le mariage est organisé entre les groupes. Le mariage prescrit — Ego épouse la fille de la soeur du père ou la fille du frère de la mère — y est fréquent, mais il ne concerne que les cousins croisés. Les alliances entre cousins permettent la conservation de territoires rizicoles importants sur un même secteur en limitant le partage des terres et la reproduction du segment de lignage. Le second avantage tient plus précisément à l'accès à une force de travail potentielle. Un père de famille qui a des filles peut en effet demander aux maris de celles-ci de venir l'aider à préparer ses terres rizicoles. Dans ce cas, les filles du père préparent la ration de riz nécessaire à leurs époux. L'autre possibilité consiste à faire travailler les fils de ses filles. Un père peut enfin faire travailler les fils de ses fils, mais dans ce cas, ils sont en général du même hameau, ce qui pose moins de problèmes de disponibilité de force de travail puisque les terres d'une même concession sont souvent, avec quelques nuances, regroupées sur le territoire rizicole du hameau et travaillées par les hommes de la concession. En terme d'alliance, cela implique qu'un père aura tendance à marier ses filles avec des hommes proches du hameau pour que la main d'oeuvre soit disponible sans trop de contraintes.

La polygamie est de forme polygynique. Le lévirat existe mais est peu fréquent. La loi islamique limite le nombre des épouses à quatre. Dans les hameaux, rares sont les hommes qui n'ont pas plusieurs femmes. Elles constituent pour lui et pour le foyer, une force de travail importante en dehors des travaux de préparation des rizières qui, à de très rares exceptions, sont en général réservés aux hommes, et des sources de revenus supplémentaires, utiles dans des secteurs où la production rizicole reste aléatoire. Les épouses qui ont leur propre case sont rares. Elles se répartissent en général dans les différentes pièces d'une vaste maison ou dans leur hutte lorsqu'elles résident sur les campements de production de sel. Chaque femme y loge avec ses enfants en bas âge, initiés ou non initiés. L'homme au contraire possède fréquemment sa propre maison. Les épouses y viennent à tour de rôle, en général deux nuits et deux jours chacune. Pendant ce temps, l'épouse choisie prépare la nourriture de la famille pendant que l'autre vaque à ses occupations (commerce, pêche, colportage, préparation de gâteaux, etc.).

Dans les hameaux, la future épouse n'est pas choisie systématiquement dans le voisinage direct de l'homme célibataire. Bien que le champ d'application de l'endogamie soit le hameau, elle a aussi pour cadre le segment de lignage et par conséquent un ensemble de hameaux, les membres de ce segment résidant souvent dans des hameaux voisins situés sur une même zone territoriale — ou des différents segments de lignages — disséminés sur le territoire du village. De même, après leur mariage, lorsqu'elles quittent la concession de leur père, les jeunes femmes s'établissent majoritairement en périphérie de hameau ou en tout cas sur le territoire du village. Dans tous les cas, ces alliances permettent de conserver une certaine unité territoriale pour le village ou ses hameaux.


Terminologie et système de parenté
Le système de parenté soussou regroupe deux types de terminologies. Lorsqu'Ego s'adresse aux cadets de ses collatéraux ou fait référence à ses collatéraux aînés et cadets, la terminologie est de type Eskimo. Elle est de type Hawaïen si l'on considère les termes d'adresse utilisés par Ego pour les aînés de ses collatéraux. Les termes d'adresse tiennent compte de la différence d'âge (aînés "di saré" et cadets "khunya") au sein d'une même génération. En ligne collatérale, pour la génération d'Ego, les termes d'adresse et de référence pour les cousins ne reflètent pas la différence sexuelle. Elle peut être précisée par ajout des termes homme "khamé"  ou femme "giné" à la terminologie des cousins, mais ne l'est en fait que très rarement dans la vie quotidienne. D'ailleurs, les termes d'adresse pour une même génération sont employés au même titre que les prénoms des individus. Par contre, lorsqu'Ego s'adresse aux générations supérieures, l'utilisation des prénoms est abandonnée au profit des termes d'adresse.

A la génération du père et de la mère d'Ego, les frères et soeurs aÎnés et cadets du père sont appelés respectivement "N ba"  (papa) et "N ténen". (tante). Les frères et soeurs aînés et cadets de la mère sont appelés respectivement "N sokho" (tonton) et "Nga" (maman) Le terme grand mère "Mama" est repris en G-2 pour désigner les petites filles d'Ego "Mamadi", littéralement petite grand mère. Les termes d'adresse pour les ascendants et les descendants d'Ego sont précédés de différents pronoms possessifs "N " et "Nma". Le premier reflète une appartenance qui ne repose sur aucun caractère contractuel (un mariage) contrairement au second, utilisé pour les petits enfants d'Ego qui eux sont issus de l'alliance passée entre le fils ou la fille d'Ego et un individu. Les parents par alliance sont assimilés aux consanguins, et l'ensemble des consanguins d'Ego constitue son "Khabilé". Les membres du "khabilé" de son conjoint deviennent ses "Bitanyi" ou "Nimokho". Ces derniers termes sont utilisés pour désigner l'ensemble des parents par alliance. Ils tiennent compte de la différence d'âge. Ainsi, Ego désigne l'ensemble de ses parents par alliance "Bitanyi" lorsque ce sont ses aînés, et "Nimokho" lorsqu'il s'agit de ses cadets.
revenir sur la décision de leur frère dans la mesure où la preuve concrète de l'accord, illustrée par la noix de cola, n'est jamais passée entre leurs mains. Il en va de même pour la descendance qui peut elle aussi profiter de la situation pour récupérer les terres. Sa demande de réappropriation des terres sera alors entérinée par les frères de leur père défunt dans la mesure où originellement, la noix de cola n'aura pas circulé parmi eux. La matérialisation des limites de terres octroyées revient ensuite au représentant du segment de lignage présent dans le hameau, généralement celui qui détient la charge de "Maître des terres".

La sphère du hameau
Dans chaque hameau créé par le représentant d'un des segments du lignage fondateur (Bangoura) ou par les représentants des lignages regroupés sous le terme de négari (Silla, Suma, Camara), les terres sont toutes sous la responsabilité d'un "Maître des terres". Cette charge est détenue par un membre résident du hameau. C'est en général le plus âgé des hommes du lignage qui a initialement occupé et défriché les terres. On peut détenir cette charge sans être rattaché directement au lignage fondateur du village. Dans ce cas, le "Maître des terres" a conscience de gérer un territoire, qui aux yeux du lignage fondateur du village ne lui appartient pas véritablement. Ce sont en fait, des terres sur lesquelles il n'a qu'un droit d'usage. Cela signifie aussi que dans la sphère des hameaux de culture, les actes de première occupation et de défrichement donnent un même titre aux Bangoura et à leurs neveux. Ce qui dans les faits revient à dire que les Bangoura issus du lignage fondateur du village hésiteront toujours à déloger un "Maître des terres" qui est aussi leur neveu, des terres du hameau qu'il a occupées le premier, et lui-même défrichées. Cette communauté de titre ne lui permet pas officiellement de gérer ses terres comme le ferait un "Maître des terres" issu du lignage fondateur. Toutefois, au fil des générations, les "Maîtres des terres" de ces hameaux finissent par disposer de la même liberté d'action que les autres. Ils oublient le caractère inaliénable de la propriété du sol, d'où parfois, la naissance de conflits. Ainsi, compte tenu du système foncier instauré entre le village et ses différents hameaux en matière de propriété du sol, il ne semble pas y avoir d'aliénation des terres sous la forme de l'usucapion (prescription acquisitive) sur le territoire du village.

Ce véritable monopole de la propriété du sol qui est entretenu par le lignage fondateur du village laisse malgré tout une grande liberté d'action aux Bokhi kagnyi, sur les terres de leurs hameaux. Lorsqu'un "Maître des terres" se sent trop âgé pour continuer à vivre dans son hameau et maintenir une activité de production, son fils aîné ou un membre influent de son lignage peut alors lui succéder. Il n'obtient pas le titre car son parent est toujours en vie, mais assure seulement la charge. Lorsque le parent décède, il hérite alors des deux. Leur transmission est quasi automatique sur l'ensemble des hameaux et quel que soit le lignage du premier occupant défricheur. Les représentants du lignage fondateur qui résident dans le village sont simplement tenus informés. Par contre, lorsque l'on quitte la scène des interactions entre les différentes unités résidentielles pour analyser les modalités de répartition des terres au sein de l'une d'entre elles qui est le hameau, lorsqu'il est occupé depuis plusieurs générations, la situation est un peu plus complexe. Il faut alors tenir compte de différents profils de producteurs.

L'espace résidentiel
Le mot dembaya désigne une famille nucléaire. Mais dans les faits, il faut lui rattacher les personnes qui sont à la charge du mari, telle que sa mère si elle est veuve, d'éventuels élèves coraniques ou un frère cadet célibataire vivant à demeure. Dans le cas d'un lévirat, il faut associer aussi les enfants du frère aîné décédé. Le "dembaya kanyi" désigne le chef de famille. C'est l'homme qui s'est marié et a construit sa case. Lorsque les enfants mariés n'ont pas les moyens de construire leur propre case, ils vivent sous le même toit que leur père qui est le chef du dembaya, "dembaya kanyi". Une seule maison peut ainsi abriter provisoirement plusieurs familles sous la responsabilité d'un seul dembaya kanyi. Tant que les fils mariés ne sont pas installés dans leur propre maison, ils ne sont pas considérés comme des dembaya kanyi. Le dembaya s'intègre dans une unité plus importante, le fokhé. Un hameau équivaut souvent à un fokhé.

Le fokhé est un ensemble de cases disposées autour d'une cour. Cette définition est valable pour les villages importants où de véritables quartiers se sont créés sous l'impulsion des représentants de segments de lignage fondateurs. Lorsqu'elle n'est pas installée dans les hameaux, la descendance se retrouve ainsi regroupée au sein d'un quartier qui comprend alors plusieurs familles dembaya apparentées sur un même espace géographique. Dans les hameaux, la distinction entre dembaya et fokhé est beaucoup plus difficile à percevoir. La différence n'est pas faite systématiquement entre la charge de dembaya kanyi et celle de "fokhé kanyi". En effet, dans la pluspart des cas, une concession fokhé se réduit à une seule habitation et abrite seulement un dembaya kanyi, ses épouses, sa descendance et les membres associés.

Il est des cas où les bâtiments n'appartiennent pas forcément à la famille résidente. Dans le hameau, l'ensemble des bâtiments d'une concession appartient à un dembaya kanyi résidant au sein du fokhé. Ses collatéraux occupent les autres bâtiments. La propriété des lieux n'est pas systématiquement associée à la charge de fokhé kanyi. C'est au frère aîné du propriétaire que revient cette charge, même s'il est logé dans un bâtiment qui appartient à son cadet. Un autre fokhé ne regroupe dans une seule unité d'habitation, qu'un chef de famille et ses parents en ligne directe. Les fils qui sont mariés vivent encore dans la maison de leur père. Dans ce cas, la charge de fokhé kanyi revient au père. Lorsque ses fils pourront construire sur la même concession, la charge restera entre les mains du père. Dans ce cas, comme dans celui précédemment cité, le fokhé kanyi peut aussi décider de léguer sa charge soit à l'aîné de ses fils, soit à l'aîné masculin de ses collatéraux qui résident au sein de son fokhé.

Dans le hameau, l'autorité du fokhé kanyi se limite à l'espace de la concession. Toutefois, même au sein d'une concession regroupant plusieurs habitations, l'autonomie des chefs de famille dembaya kanyi reste importante pour tout ce qui concerne la vie économique ce qui pousse à moduler le fait que l'organisation du fokhé est un élément essentiel de la structure sociale chez les Susu. Le rôle du fokhé, dans le cadre du village, est certainement important dans la mesure où il réunit effectivement plusieurs dembaya dont les représentants forment en son sein un noyau socialement et spatialement cohérent. Dans le hameau, le regroupement de plusieurs dembaya dans un même fokhé est plus rare. Ils sont beaucoup plus atomisés. L'autonomie du dembaya qui s'apparente alors à un fokhé semble plus accentuée que dans le village, et cela s'observe essentiellement dans les activités économiques du hameau.