BOAS Franz, 1902. « Asi-hwî'l », in : Tsimshian Texts, p : 225-235 [Smithsonian Institution, Bureau of American Ethnology, Bulletin 27]. Washington, Smithsonian Institution



Asi-hwî’l
[Raconté par Chef Montagne]



Il y a très longtemps les gens de Lax-q’al-tsa’p et ceux de G·itwunksi’Lk mouraient de faim. Deux sœurs vivaient dans ces villages. Lorsque les provisions furent presque épuisées, la sœur vivant à Lax-q’al-tsa’p pensa qu’elle devrait essayer de rejoindre sa sœur qui vivait à G·itwunksi’Lk. Elle partit et remonta la vallée. Après quelque temps elle vit une femme approcher. Lorsqu’elle se rapprocha, elle reconnut sa sœur. Elle comprit immédiatement que les gens de G·itwunksi’Lk mouraient aussi de faim. Les sœurs se rencontrèrent, s’assirent et pleurèrent. Depuis cette époque cet endroit est appelé Hwîl-lē-nE-hwa’da (Où-elles-se-recontrèrent). La sœur qui avait remonté le fleuve n’avait que quelques cenelles, et l’autre n’avait qu’un petit morceau de saumon de la longueur de son doigt. Elles partagèrent et mangèrent.
Le soir, elles construisirent une petite hutte en branches et allumèrent un feu. La sœur qui était venue de G·itwunksi’Lk avait une fille qu’elle avait emmenée avec elle. Elles se couchèrent pour dormir. Vers minuit, un homme apparut tout d’un coup et se coucha près de la plus jeune sœur, qui n’était pas mariée. Il lui demanda : « Est-ce vrai que tous tes amis meurent de faim ? ». Elle dit : « Il n’y avait pas de provisions dans notre village, et je suis donc venu voir ma sœur ». L’homme poursuivit : « Reste ici. Je vais te fabriquer un barrage à poisson ». Son nom était Hō’uX (Bonne-Fortune). C’était un être surnaturel. Tôt le matin il se leva et fabriqua un barrage de petites branches et de brindilles, et il fut bientôt plein de truites. Il les retira du barrage et les femmes les grillèrent. Puis il partit chasser, et il revint l’après-midi, apportant cinq porcs-épics. Les sœurs furent alors contentes. Le jours suivant, il repartit chasser, et il ramena une chèvre de montagne. Les femmes avaient fait un panier de racines d’épinette dans lequel elles mirent la viande à bouillir. Le jour suivant il alla encore à la chasse et attrapa un grand ours, dont la graisse était aussi épaisse que la main d’un homme est large. Le quatrième jour il rentra tôt le matin, ramenant un mouflon des montagnes. Il raconta aux sœurs qu’il avait tué dix mouflons, et leur demanda de ramener la viande à la maison. La maison était maintenant pleine de viande et de poisson, parce que le piège était plein chaque matin.
La femme fut bientôt enceinte, et donna naissance à un garçon. Lorsque le garçon fut capable de marcher, son père lui fabriqua des raquettes à neige et l’envoya sur la montagne à la recherche d’ours. Le garçon revint le soir, mais il n’avait rien tué. Son père lui demanda : « N’as-tu pas vu un ours ? ». Le garçon n’en avait pas vu. Le père demanda alors à voir ses raquettes à neige. Il les examina et remarqua qu’il avait fait une erreur en les fabriquant. Il fit une nouvelle paire et envoya une nouvelle fois le garçon au loin. Il revint bientôt, apportant un morceau de viande d’ours. Il dit à son père qu’un ours qu’il avait abattu gisait sur la montagne. Le père enfila alors ses raquettes à neige et ramena l’ours à la maison. Le lendemain, le père partit chasser. Il revint bientôt, rapportant deux chèvres de montagne, et dit à son fils qu’il y avait une bande de chèvres de l’autre côté de la montagne. Le père l’envoya les traquer. Puis sa mère dit : « Nous avons désormais un nom pour notre fils. Nous l’appellerons Asi-hwî’l. Cela signifie Passer-la-Montagne ».
Avant que le garçon ne s’en allât, le père lui fabriqua une nouvelle paire de raquettes à neige, et lui dit : « Avec ces raquettes à neige tu peux escalader les montagnes, quelle que soit leur déclivité. Chaque fois que tu atteindras un endroit difficile, enfile ces raquettes à neige ». Puis il prit un sac fait d’écorce de cèdre de sous son bras. Il l’ouvrit et sortit deux petits chiens, dont l’un était tacheté, et l’autre roux. Il les posa sur la neige et leur donna un coup, disant au même moment : « Roux, roux, roux » à l’un, et : « Tacheté, tacheté, tacheté » à l’autre. Ils devinrent tout à coup de grands chiens. Puis il les frappa à nouveau, et ils redevinrent petits. Il dit au garçon de sortir les chiens du panier toutes les fois qu’il verrait des chèvres, de les agrandir, et d’ordonner à l’un d’escalader la montagne du côté de la main droite, et à l’autre de monter du côté de la main gauche. Alors ils courraient, en aboyant, et effrayeraient les chèvres de sorte qu’elles tombent en bas. De plus, il tailla un bâton pour son fils, avec une corne de mouflon attaché à une extrémité, dont il devait se servir pour escalader les montagnes. Il dit : « Si tu frappes la roche avec la corne, il y aura un trou ». L’autre extrémité du bâton était équipée d’une pointe noire en os. Le garçon, après avoir reçu ces cadeaux, quitta ses parents.
Un jour le jeune homme devint le compagnon d’un homme puissant dont le nom était Wud’ax-mExmä’Ex (Grandes-Oreilles). Cet homme lui demanda : « Quelles armes utilises-tu pour tuer du gibier ? » Le garçon répliqua : « Je n’utilise aucune arme. Je leur cours après, et elles tombent. Quelle sorte d’arme utilises-tu pour tuer du gibier ? ». « Je n’utilise aucune arme. J’ai des pouvoirs surnaturels ». Asi-hwî’l était désireux de savoir comment Grandes-Oreilles tuait son gibier. Ils firent chemin commun sur une courte distance, et arrivèrent à un endroit où il y avait beaucoup de chèvres. Le jeune dit : « Laisse-moi voir comment tu tues des chèvres ». Grandes-Oreilles saisit une paire de longs gants de sous sa pelisse. Il les enfila et frappa de ses mains. D’un coup, toutes les chèvres chutèrent le long des flancs pentus de la montagne. Ils se rendirent à une autre montagne où ils virent de nombreuses chèvres. Alors Grandes-Oreilles dit : « Maintenant, laisse-moi voir comment tu tues des chèvres de montagne ». Asi-hwî’l retira son sac de sous sa pelisse, sortit les chiens, et dit : « Roux, roux, roux ! Tacheté, tacheté, tacheté ! ». Ensuite les chiens devinrent grands – l’un s’en alla sur la droite, l’autre sur la gauche – et ils commencèrent à aboyer. Les chèvres tombèrent immédiatement. Puis Asi-hwî’l enfila ses raquettes à neige, et monta tout droit sur une falaise verticale. Lorsque Grandes-Oreilles vit cela, il fut étonné. Ils se séparèrent, et chacun rentra à la maison. Lorsque Asi-hwî’l arriva vers son père, il lui raconta ce qui c’était passé, et son père le félicita.
Après quelque temps Hō’uX dit à sa femme et à sa sœur : « Vos frères vont venir vous chercher. Je dois donc me cacher dans la forêt ». Peu après qu’il fut parti, les frères arrivèrent. Lorsqu’ils virent la maison pleine de viande, ils furent surpris. Ensuite les femmes leur donnèrent à manger. Le lendemain matin les frères s’en allèrent, emportant un peu de viande que les sœurs leur avaient donné. Dès qu’ils furent partis, Hō’uX réapparut. Les sœurs lui dirent que leurs frères leur avaient demandé de rentrer à la maison. Alors Hō’uX dit : « Séparons-nous. Vous pouvez rentrer dans vos maisons ; je retournerai dans la mienne ». Le lendemain matin, beaucoup de gens vinrent chercher les femmes et le garçon. Ils les emmenèrent à G·itxadē’n. Les oncles du garçon donnèrent une fête, et sa mère leur dit le nom du garçon, Asi-hwî’l. Les gens leur achetèrent de la viande, et la payèrent avec des peaux d’élan, qu’Asi-hwî’l utilisa pour donner un potlatch.
Un être surnaturel qui vit dans le ciel aperçut qu’Asi-hwî’l était un grand chasseur. Il recouvrit l’un de ses esclaves avec des cendres, de sorte qu’il ressemble à un ours blanc, et l’envoya au fleuve Nass. Les chasseurs se décidèrent à tuer l’ours, mais ils étaient incapables de l’atteindre. Lorsque l’ours arriva à G·itxadē’n, Asi-hwî’l enfila ses raquettes à neige, prit son sac et son bâton et se mit à le poursuivre. L’ours atteint pointe Menant. Là se dresse une falaise verticale, et les traces des raquettes à neige d’Asi-hwî’l sont encore visibles là où il escalada la falaise. Derrière la falaise il vit l’ours pénétrer dans une grande maison. Il resta devant la porte et entendit les gens chanter :

« G·i g·ô g·i g·ô hä g·ô / g·i g·ô g·i g·ô hä g·ô / G·i g·ô g·i g·ô hä g·ô / Sa-g·ilg’alk·s t’aqL Es A-si-hwî’l yô hä yô a-Lē t’Em-lā’-nīx·s nä-gua ». Ce qui signifie : « Asi-hwî’l décharne les os de ma nuque ». Asi-hwî’l était incapable d’entrer, et s’en retourna. Il avait perdu l’ours. 

 

Il alla en pays Tsimshian, et épousa une fille de cette tribu. Les frères de la fille étaient des chasseurs de lions de mer. Une fois, durant l’hiver, des rafales faisaient rage, et les frères furent incapables de tuer le moindre lion de mer. Un jour Asi-hwî’l les accompagna. Lorsqu’ils arrivèrent au rocher des lions de mer, ils remarquèrent que les vagues étaient hautes, et ils furent incapables d’accoster. Mais Asi-hwî’l enfila ses raquettes à neige, prit son bâton, et bondit à terre. Puis il courut au sommet du rocher et tua tous les lions de mer. Les frères devinrent jaloux de lui, et l’abandonnèrent. Lorsque Asi-hwî’l eut tué tous les lions de mer et qu’il fut prêt à resauter dans le canoë, il vit que les frères étaient partis. La marée commença à monter. Lorsqu’elle eut presque recouvert le rocher, il posa ses affaires dans une fissure et s’assit dessus. Lorsque la marée monta encore plus haut, il attacha son arc au bout de son bâton et grimpa au sommet de l’arc. Il s’assit là, et siffla l’appel que son père lui avait appris.
Puis la marée cessa de monter, et bientôt l’eau commença à baisser. Le rocher devint sec à nouveau. Puis il se coucha pour dormir. Pendant qu’il dormait, quelqu’un le poussa du coude et chuchota : « Grand-mère t’invite chez elle ». Il regarda en bas, mais ne vit personne. Il tira sa pelisse sur sa tête et fit un trou dedans avec ses dents. Puis il guigna à travers le trou. Après un petit moment il vit une souris sortir d’un endroit où une touffe d’herbe poussait. Elle chuchota à son oreille : « Grand-mère t’invite chez elle ». Il retira alors sa pelisse, et vit la souris disparaître sous la touffe d’herbe. Il l’arracha et aperçut une maison souterraine. La souris avait pris la forme d’une femme et lui parla : « Entre, si tu es Asi-hwî’l, qui a été abandonné ici ». Il entra et la femme lui donna à manger. La vieille femme qui l’avait invité dit : « Tu sais que ce rocher est la maison des lions de mer. Leur chef est très malade. Les chamanes sont incapables de le guérir. S’il te plaît, vois si tu peux le soigner ». Il promit de faire cela, et elle le mena chez le chef, qui était malade au lit. Asi-hwî’l vit un harpon [à bout] d’os dans son flanc. Il s’assit. Puis la souris dit au chef : « Il va te guérir si tu lui donne ce canoë comme payement ». En disant cela, elle indiqua le plus grand canoë. Il était fait en intestins de lions de mer. Le chef le lui donna. Alors il se rapprocha de lui, et, s’emparant du harpon, le poussa d’abord légèrement dans la chaire et ensuite le retira. Le chef ouvrit ses yeux, et dit immédiatement qu’il se sentait mieux. Puis ils humectèrent les intestins, le placèrent à l’intérieur, les attachèrent, et les mirent à la mer. Ils invoquèrent ensuite le vent d’ouest, qui fit dériver les intestins vers le continent. Le soir il entendit le ressac, et sentit que les intestins du lion de mer étaient refoulés sur la plage. Puis il les ouvrit, et sortit.
Il se résolut à prendre sa revanche. Il sculpta donc deux orques en cèdre rouge. Il les mit à l’eau. Elles nagèrent sur une courte distance, mais ensuite elles devinrent des rondins, se retournèrent, et partirent à la dérive. Il les rappela, et en sculpta deux nouvelles dans du cèdre jaune. Elles nagèrent un peu plus loin que les premières, mais ensuite elles devinrent également des rondins, se retournèrent, et dérivèrent. Il les rappela et les brûla. Ensuite il en sculpta deux nouvelles en bois d’if. Elles devinrent de véritables orques, qui nageaient, soufflaient et respiraient. Elles ne devinrent pas du bois à nouveau. Alors il les rappela et leur dit : « Les hommes qui m’ont abandonné vont aller chasser le lion de mer demain. Dès qu’ils sortiront je vous mettrai à l’eau. Allez et cassez leurs canoës ». Le lendemain matin, lorsqu’il vit arriver ses ennemis, il mit les orques à l’eau, et elles cassèrent leurs canoës. Asi-hwî’l rentra chez son épouse et resta avec elle.

 

Traduit de l’anglais par Maïté Agopian et Patrick Plattet.