À la recherche de jeux de semailles de type solo à Madagascar

Résumé

Les jeux de semailles, ou mancala, sont des jeux de calcul dont la variante solo (généralement à quatre rangées), présente dans la plus grande partie de l’Afrique subsaharienne, reste peu décrite dans la littérature. Nous présentons ici une série de séquences vidéos réalisées en août 2013 à Madagascar, des Hauts-Plateaux à la côte Sud-Est, dans des villages merina, betsileo et antemoro et portant sur des variétés locales de solo, appelées katro, katra ou fanga.

Abstract

In search of solo-type sowing games in Madagascar. Sowing games, or mancala, are well known calculation games. However, the solo variant, habitually played in four rows and present in most of sub-Saharan Africa, is rarely described in the literature. In this article, we present an ethnography, conducted in August of 2013 in Madagascar (from the Highlands to the South-East coast) in Merina, Betsileo and Antemoro villages, that uses video sequences to document local varieties of solo called katro, or katra, or fanga.

Sommaire

Table des matières

Une ethnographie de sauvegarde sur les jeux de semailles à Madagascar

À Madagascar, le jeu considéré par excellence comme « noble » est le « fanorona  ». Historiquement utilisé dans l’éducation des rois, des reines et des officiers du royaume, le fanorona est encore aujourd’hui volontiers pratiqué par les hommes, en public, dans les jardins et belvédères des villes malgaches. Mais à côté de ce jeu de pions spécifique de Madagascar [1], on trouve aussi dans la Grande Île comme en Afrique des jeux de semailles locaux qui sont plutôt pratiqués par les femmes et les enfants, dans l’intimité de la cour de la case familiale, surtout en ville, ou, pour les enfants des rues de Tananarive, dans les lieux moins exposés où ils vivent.
Le cas du quartier d’Antaninarenina, dans la Haute-Ville de Tananarive est particulièrement édifiant. Ce quartier est celui de la Présidence, des ministères les plus importants, des banques et de plusieurs grands hôtels internationaux.
À un bout de la rue des Bijoutiers, sur une large esplanade, jouissant d’une belle vue sur la ville et la colline du Rova (le palais royal), on peut trouver, à toute heure de la journée, une à plusieurs dizaines d’hommes adultes, sans doute les meilleurs joueurs de fanorona de Madagascar [photo 1]. Il est fréquent que des employés des différents ministères ou des banques, sortant du travail, s’arrêtent pour regarder une partie. Les joueurs de fanorona et leurs spectateurs, tous masculins, commentent volontiers les coups et ne se font pas prier pour expliquer en français les stratégies mises en œuvre à l’étranger curieux.

À quelques dizaines de mètres de là, des enfants mendient en haut d’un des escaliers qui n’est pas le plus fréquenté du centre ville, et se réfugient en contrebas pour manger, dormir et, parfois, jouer au « katro » [photo 2]. Ils ne parlent pas ou très peu le français, car ils ne sont pas scolarisés, et, même en malgache, ont des difficultés à expliquer pourquoi ils ont joué telle case plutôt qu’une autre. Cependant, bien qu’il s’agisse surtout pour eux d’un moyen de tromper l’ennui et la faim, leur manière de jouer témoigne d’une connaissance, au moins en acte, des règles relativement complexes du jeu.

Ethnomathématiques et enseignement des mathématiques

Je présente ici des résultats provenant essentiellement d’une recherche menée en août 2013 à Madagascar. Ce travail cherche à inventorier les jeux de semailles de la partie sud-ouest de l’océan Indien, peu connus jusqu’ici, afin de les utiliser dans des activités de formation d’enseignants de l’école primaire.

Formateur à l’ÉSPÉ [2] de l’université de la Réunion, j’ai connu ces jeux grâce à des enseignants en poste dans les écoles françaises de Madagascar. J’ai alors remarqué combien ces jeux utilisent des procédures qui vont dans le sens d’une bonne construction du concept de nombre naturel à l’école maternelle et, c’est souvent nécessaire, un peu après, au cycle 2. J’étudie donc ces jeux en raison de leur intérêt en formation d’enseignants de l’école primaire.
En France, au niveau secondaire et supérieur, l’enseignement des mathématiques a tendance à privilégier l’approche hypothético-déductive au moyen de la démonstration. Pourtant, comme le rappelle Marc Chemillier (2008 : 7), l’approche algorithmique des mathématiques est plus ancienne et plus répandue. Elle est même, le plus souvent, la seule approche de type mathématique des activités humaines non académiques. Or, ce sont celles-ci qui intéressent l’ethnomathématique. Les coups joués dans les jeux de semailles répondent à des algorithmes précis, fixés par des règles, et sont l’occasion de pratiquer des mathématiques algorithmiques, comprenant de nombreux calculs que les joueurs — enfants, adolescents ou adultes — mettent en œuvre.

L’intérêt d’une étude ethnologique des jeux de semailles

Aujourd’hui, à Madagascar, au Mozambique, aux Comores, comme partout ailleurs, les jeunes aiment jouer à des jeux électroniques. Même si le pouvoir d’achat bien moindre qu’en Europe (à Madagascar, une employée de maison à Tananarive ou une ouvrière dans un entrepôt de vanille sur la côte Est gagne environ 30 € par mois) fait que les consoles de jeux sont le plus souvent moins sophistiquées que celles que l’on peut trouver en Europe, le même phénomène d’attirance et, parfois, de fascination pour leur écran lumineux existe. En ville, même dans les habitations les plus modestes, on trouve couramment des téléviseurs qui constituent une autre occupation de loisir. Il est donc « plus facile » de trouver des joueurs parmi les enfants des rues, qui ne peuvent même pas s’offrir des consoles à bas prix, et parmi les hameaux en brousse [3], où le très faible pouvoir d’achat et l’absence de réseau électrique font que les jeux que j’étudie constituent une activité ludique relativement répandue. Certains de ces jeux, par exemple le katro 6 × 6, sont mal connus et en voie de disparition.

Une recension précise est donc nécessaire et urgente pour ces jeux, vieux de plusieurs siècles et peut-être millénaires, que l’on appelle généralement à Madagascar katra ou katro [4]. Dans cet article, je montrerai donc des pratiques de jeu observées lors d’un parcours allant de Tananarive à Manakara en cherchant à préciser les différentes règles utilisées tout en commentant certains algorithmes utilisés par les joueurs [5]. À cette fin, je présente dans un premier temps les jeux de semailles en rappelant la diffusion de ces jeux dans le monde, puis dans un second temps je décris et commente six parties, ce qui permettra de constater la diversité des règles, des supports et des situations de jeu.

Que sont les jeux de semailles ?

Ces jeux, signalés par des voyageurs, négociants, militaires ou missionnaires dès le milieu du XVIIe siècle, sur les côtes du continent africain et à Madagascar (Flacourt, [1658] 2007), ont été décrits de manière détaillée pour la première fois à la fin du XIXe siècle par Stewart Culin (1894 : 597-611) sous le nom générique mankala [6].

Principes généraux des jeux de semailles

Les « jeux de semailles » sont des jeux de calcul avec un seul type de pièces mobiles (appelées généralement graines ou pierres) qui se jouent sur un plateau de bois ou à même le sol. Le plateau de jeu est composé d’un certain nombre de cupules ou de cases disposées suivant un certain nombre de lignes et de colonnes. Lorsque le sol est meuble, les cupules peuvent être creusées [photo 3], ce qui facilite le maintien des graines dans leur emplacement et évite les ambiguïtés de position.

Ces jeux sont dits « de semailles » car les joueurs réalisent à chaque coup un geste rappelant celui des semailles. Pour effectuer un semis, le joueur choisit une case, prend les graines qui s’y trouvent, puis les sème dans les cases adjacentes. À la fin du semis, une prise de graines peut être opérée si la dernière case semée remplit certaines conditions : à la phase de semis succède alors une phase de récolte. Une double spécificité de ces jeux est que les pièces de jeu (les graines) sont indistinctement jouées par les deux joueurs et que chaque joueur ne peut commencer son semis qu’à partir d’une case de son camp.
En fonction des règles et de la situation de la partie, un coup peut se composer d’un seul ou de plusieurs semis, et de zéro, une ou plusieurs récoltes. Quelles que soient les règles, la partie se termine quand un des joueurs n’a plus (ou quasiment plus) de graines, la victoire revenant à celui qui a pris le plus de graines (que celles-ci aient été enlevées du jeu ou intégrées à son camp).

Ces principes, relativement simples, entraînent des calculs parfois complexes, effectués mentalement, et conditionnant la décision de jouer tel ou tel coup.

Les deux types de jeux : wari et solo

Les jeux de semailles présentent une grande diversité. Non seulement les règles de semis et de récoltent varient, mais aussi le nombre de cases par ligne, voire le nombre de lignes. Une première classification, à partir du nombre de lignes, a été proposée au milieu du XXe siècle par Harold Murray (1952), suivie d’une plus pertinente par Assia Popova (1976 : 437), qui identifie des jeux à deux cycles, chacun cantonné dans un camp, appelés solo, dans la plus grande partie de l’Afrique subsaharienne et sur certaines îles du sud-ouest de l’océan Indien, et des jeux à un cycle, parcourant les deux camps, appelés wari, partout ailleurs [fig. 1] [7]. Dans les wari, chaque « camp » est composé de la ligne en face de chaque joueur et il y a un seul cycle de semailles, parcourant les deux camps (avec un sens de parcours généralement fixe et antihoraire). La case dont le contenu sera semé par un joueur est choisie dans son camp. L’awélé est le wari le plus connu en Occident. Dans les solo, le joueur choisit aussi les graines d’une case de son camp, mais son semis reste toujours dans son camp (et le sens de parcours peut varier dans certains cas d’un coup à l’autre) [fig. 2]. Il existe une littérature abondante sur les wari ; par contre, les solo, plus complexes, ont été moins étudiés, notamment dans la littérature francophone. Or ils sont à Madagascar les seuls pratiqués.

Figure 1 : Diffusion des jeux de semailles dans le monde
Extrait de Deledicq et Popova (1977 : 20)
 



Figure 2 : Plateau de wari et plateau de solo
Extrait de (Tiennot, 2015)

La diffusion des wari et des solo en Afrique et à Madagascar

Dans leur ouvrage (1977), André Deledicq et Assia Popova précisent la diffusion des jeux de semailles en Afrique et à Madagascar. Selon eux, les solo ne seraient présents que dans la partie sud de l’Afrique et dans la moitié occidentale de Madagascar, ainsi que le souligne leur carte [fig. 3] reprise de Popova (1977  : 436) qui doit être rapidement commentée.

Cette carte néglige les Mascareignes, les petites îles malgaches et les Comores. Pourtant, si l’absence de jeux de semailles dans les Mascareignes, où aucun de ces jeux ne semble avoir en effet été observé au cours des siècles derniers, est avérée, il en va très différemment des deux autres ensembles insulaires : voir Villeneuve (2007) pour les Comores et Tiennot (2015) pour les petites îles malgaches. Une première frontière de la zone solo est sur le continent africain et se confond presque avec ce que certains linguistes appellent la Bantu Line. J’emploierai plutôt les termes de « zone wari » et « zone solo  » pour désigner respectivement les régions où les jeux de semailles présents et pratiqués sont des wari ou des solo. Toujours selon la carte présentée par Popova (1977 : 436), à Madagascar, une seconde frontière, longitudinale, indiquerait une présence des solo à l’ouest, mais une absence de ceux-ci à l’est.

Figure 3 : wari et solo en Afrique et à Madagascar
Extrait de (Deledicq et Popova, 1977 : 107)

Cette coupure paraît surprenante, car elle ne concernerait que ces jeux sur un vaste territoire où est parlée la même langue malgache, malgré des différences dialectales, où les mêmes marins et marchands, en particulier arabes, ont accosté sur toutes les côtes et où la répartition entre populations majoritairement d’origine africaine et populations majoritairement d’origine asiatique oppose plutôt les régions centrales des Hauts-Plateaux et les régions côtières. Enfin, si tous les auteurs précédents, Dandouau, et de Voogt, décrivent des solo dans diverses régions compatibles avec la frontière de Deledicq et Popova, il existait déjà une description, il est vrai ancienne, puisque datant du milieu du XVIIe siècle, celle de Flacourt, vraisemblablement dans la région où les premiers Français se sont établis après avoir fondé Fort-Dauphin, l’actuel Toalagnaro, au sud-est de Madagascar.

Figure 4 : le tablier du solo nommé « fifangha » par Flacourt
Extrait de Flacourt, 1661 : non paginée, entre p.108 et 109

À la recherche des katra en pays merina, betsileo et antemoro

À partir de janvier 2012, j’ai donc entrepris une série de sondages sur la côte est, où j’ai partout trouvé des joueurs de katro. Je présente ici des données issues de la recherche que j’ai menée en août 2013, à Madagascar, des Hauts-Plateaux [8] à la côte sud-est, de Tananarive à Fianarantsoa, en descendant la RN 7, puis la route de Fianarantsoa à Manakara, avec des incursions sur des pistes ou en forêt pour tenter de retrouver, d’une part, certaines descriptions d’Alex de Voogt (1999), auteur du seul article sur les solo malgaches donnant des indications sur un katro 6 × 6 très rare, qu’il signalait dans les environs de Fianarantsoa, et, d’autre part, vers la fin de l’itinéraire, le solo mentionné par Flacourt. Cet itinéraire permet de traverser successivement des régions majoritairement peuplées par les ethnies merina [9], betsileo [10] et antemoro [11].

Figure 5 : Lieux des recherches menées du 13 au 17 août 2013

L’itinéraire est représenté en rouge. Les emplacements des villages ou lieux-dits des solo concernés par cet article sont représentés par un carré blanc, sauf celui d’Ifanadiana, décrit dans (Tiennot, 2015).

Notations des parties

De manière à répertorier les règles et les stratégies des joueurs, il est nécessaire d’avoir un système de notation des parties, même s’il n’est pas partagé par les joueurs.
Par convention, les deux joueurs sont désignés par S, pour sud, et N, pour nord, et représentés sur les diagrammes avec S en bas et N en haut. Dans les séquences filmées ou les photographies, le joueur à gauche est appelé Nord et celui à droite Sud.
Dans les descriptions qui suivent, les jeux sont désignés par leur nom commun dans la région considérée, suivi du nombre de lignes (4 en général pour un solo, mais j’ai aussi pu filmer des parties jouées avec un très rare katro à 6 lignes), suivi du nombre de colonnes (le nombre de cases ou de cupules par ligne, qui varie de 4 à 8 ici), suivi du nombre initial de graines par case, entre parenthèses. La distribution initiale des graines est uniforme pour toutes les variétés présentées ici.
Pour le joueur Sud, chaque case de son cycle est repérée par une lettre de l’alphabet romain, en haut de casse, en commençant par A pour la case la plus à sa gauche, et en suivant l’ordre alphabétique. Pour le joueur N, la même convention s’applique en utilisant les lettres en bas de casse [fig. 6].


Nord

Sud

Figure 6 : Désignation des cases d’un katro 4 × 6
 

Chaque tour est noté en faisant suivre le numéro du tour d’une lettre dont la casse indique quel joueur commence et quelle case voit son contenu semé. Par exemple, voici un début possible pour une partie avec un katro 4 × 6 (2), S commence.
1. B +
Le + [12] indique que le premier semis élémentaire de ce coup, et ses successeurs éventuels, se feront dans le sens antihoraire (un – aurait indiqué des semis dans le sens horaire) à partir de la case B.

Dans la mesure où le seul choix d’une case et d’un sens de parcours du cycle détermine la suite des alternances semis-récoltes de ce coup, cette notation définit parfaitement le coup du joueur S. Les conséquences de ce coup seront examinées en exemple de la règle donnée au paragraphe suivant.



Figure 7 : Un katro 4 × 6 (2)
Diagramme avant le premier coup
 

Contrairement aux échecs, la lecture de plusieurs coups, à partir d’une situation quelconque, ne permet pas la visualisation mentale de la partie. On aura donc recours à des diagrammes [fig. 6 et fig. 7] donnant la position du jeu à un instant, c’est-à-dire après un coup, donné.
Le passage de la figure 7 à la figure 8 montre qu’un seul coup peut considérablement modifier la physionomie du jeu : la ligne intérieure du camp N ne contient plus que 2 cases non vides et le joueur S a gagné 8 graines dès le premier coup. Il est difficile, même pour un joueur expert, de se figurer mentalement le résultat du coup 1. B +.



Figure 8 : Le même, après le coup 1. B +
 

Ceci explique peut-être que les joueurs experts ne semblent pas avoir une profondeur d’analyse de plus d’un coup, mais utilisent plutôt des principes généraux sur les configurations à éviter et celles à favoriser. J’engage le lecteur, après avoir lu la règle du katro tsotra [13] ci-dessous, à vérifier qu’il obtient bien le diagramme de la figure 8 après le coup 1. B +, afin de pouvoir suivre les séquences suivantes.

Règles des solo malgaches

Description des paramètres du jeu

D0 : le jeu se joue à deux joueurs, désignés par N et S, jouant un coup à tour de rôle ; le joueur qui débute est désigné d’un commun accord entre les deux.
D1 : le plateau comporte nl = 4 lignes de cupules ou de cases.
D’1 : idem avec nl = 6.
D2 : le plateau comporte nc cupules ou cases par ligne, avec nc valant 4, 5, 6 ou 8.
D3 : chaque case ou cupule contient, au départ, ng graines ou cailloux, avec ng valant 2, 3 ou 4.
J’utiliserai plutôt le mot graine, bien que les pièces puissent être de nature très différente, que je préciserai, et le mot cupule ou case suivant que l’emplacement des graines est une excavation du plateau ou simplement une surface carrée.

Règles de base des katro présentés

R0 : chaque joueur possède un « camp » constitué de la moitié des lignes, celles qui sont les plus proches de lui.
R1 : chaque coup consiste en une alternance de semis élémentaires
, suivis de récolte, jusqu’à ce que la condition d’itération ne soit plus satisfaite.
R2 : un semis élémentaire consiste, pour chaque joueur, à prendre toutes les graines d’une case (ou cupule) de son camp et à semer ces graines, à raison d’une graine par case, en suivant un circuit allant dans le sens de son choix (cf. fig. 2).
En général, seul le début du circuit est parcouru, mais, si le nombre de graines est suffisant, la totalité du circuit est décrite, et un deuxième, voire un troisième cycle, peut être entamé ou même entièrement parcouru. À l’issue d’un circuit, on sème dans la case de départ.
R3 : la condition d’itération est que la case de fin d’un semis élémentaire contienne plus d’une graine. Si elle n’est pas satisfaite, aucune récolte n’a lieu suite à ce semis élémentaire ; le coup du joueur est alors terminé.
R4 : si la condition d’itération est satisfaite, avec une case de fin dans la ligne extérieure (la plus proche du joueur), toutes les graines de cette case sont récoltées et semées à partir de la case suivante dans un nouveau semis élémentaire, suivant donc la règle R2, sans changer de sens puisqu’il s’agit du même coup.
R5 : si la condition d’itération est satisfaite, avec une case de fin dans la ligne intérieure et que la ligne intérieure du camp adverse n’est pas vide, alors la récolte comprend non seulement toutes les graines de cette case mais aussi toutes les graines de la case de la ligne intérieure du camp adverse située sur la même colonne. Un nouveau semis élémentaire est alors effectué, dans les mêmes conditions qu’en R4.
R6 : si la condition d’itération est satisfaite, avec une case de fin dans la ligne intérieure et que toute la ligne intérieure du camp adverse est vide, alors à la récolte de ses propres graines, le joueur ajoute toutes les graines de la case de la ligne extérieure du camp adverse située dans la même colonne et un nouveau semis élémentaire se produit, dans les mêmes conditions qu’en R4.
R7 : le joueur qui a pris toutes les graines, ou toutes les graines sauf une, du camp adverse a gagné la partie.
Comme l’application de cette règle peut conduire à des fins de partie très longues, un joueur qui s’estime condamné à perdre abandonne généralement plus tôt.

Remarque
Contrairement aux jeux de type wari, et à d’autres solo, en particulier au Mozambique, la récolte ne retire jamais les graines du plateau, celles-ci changent simplement de camp.

Un exemple simple de katro à Tananarive

Le 13 juillet 2013, M. Manitra Harimisia Razafindrabe, champion de go de Madagascar, organisait durant 18 jours le XVIIIe salon des jeux de société à l’Alliance française de Tananarive, proposant aux enfants inscrits un grand nombre de jeux de calcul et un grand tournoi de katro en système suisse [photo 5]. Une des parties filmée ce jour est utile pour comprendre les subtilités de la règle du katro tsotra (simple) avant de passer aux variantes qui suivront.

Partie 0 : 8,5 tours, 4 min 17 s
Jeu : katro tsotra 4 × 4 (2)
Lieu et date : Tananarive, le 13 août 2013
Joueuses : N : Mbolasoa (F, 7 ans) et S : Tsiky (F, 11 ans)
S est déjà une joueuse expérimentée, tandis que N est nettement plus jeune et moins expérimentée, ce qui va nous permettre de voir une partie complète courte, ce qui est rarement le cas avec des artefacts de plus grande dimension, des joueurs plus âgés et, surtout, de force égale. Je fais suivre la notation des coups filmés du nombre de graines de chaque joueuse.

1. F+, a+
score : N(15), S(17)
Remarquer l’habilité motrice des joueuses, signe évident d’une pratique régulière du jeu pour tout enseignant ou éducateur connaissant les enfants de cette classe d’âge.
S avait bien dégarni la rangée intérieure de N, qui parvient immédiatement à la regarnir et n’a perdu qu’une graine.

2. D−, a+
score : N(15), S(17)
Remarquer le temps de réflexion de S qui calcule le meilleur coup et s’aide du doigt pour calculer la cupule de fin. N joue systématiquement a+, ce sera aussi le cas dans les coups suivants, jusqu’à ce que ce ne soit plus possible.

3. C−, a+
score : N(17), S(15)
N a rétabli un score en sa faveur, mais la majorité de ses graines se trouve sur la ligne intérieure, plus exposée à des récoltes de S.

4. A−, a+
score : N(13), S(19)
L’écart de score est maintenant clairement en faveur de S, mais la rangée intérieure de S est bien dégarnie et N pourrait, si son tour venait immédiatement ensuite prendre G, avec 5. e−, ce qui lui livrerait l’accès aux graines de la ligne extérieure de S ; en poursuivant son coup, elle prendrait C, etc.

5. D−, a+
6. F−, a+
7. G−, a+
score : N(5), S(27)
Remarquer l’hésitation de N constatant que 7. a+ n’est plus possible.

8. B−, d+
9. C−
score : N(5), S(27)
Après 8. d+, la ligne extérieure de N est vide et toutes ses graines sont directement exposées. Au début du coup 9, après la deuxième récolte de S et bien que S poursuive son semis, N n’a plus qu’une graine et marque immédiatement par son attitude (elle quitte la concentration qui avait été la sienne jusque là et ne suit plus la fin du semis de S), qu’elle considère que S a gagné cette partie. Effectivement, avec une seule graine, elle pourrait encore semer, mais non plus récolter ; elle est sûre de perdre à brève échéance cette dernière graine.

Trois variantes à Soavina Ilaka Centre

La pratique spontanée du katro tend à disparaître peu à peu des grandes villes, et particulièrement de leur centre, comme je l’avais déjà observé depuis 2010 à Tamatave, Sambava et Fianarantsoa, toutes situées dans la zone « sans solo  » de Deledicq et Popova. Cette pratique semble se maintenir surtout en banlieue ou en brousse, à certaines occasions particulières. Par exemple, dans la banlieue de Sambava [photo 3] et dans les villages de brousse près de Tamatave, ce jeu se pratique presque uniquement en période de récolte des letchis : il revêt alors une dimension festive liée à la manne financière que constitue, pour ces régions, la production et la vente saisonnière d’un fruit d’exportation recherché par les Européens en plein hiver de l’hémisphère nord. Ces endroits sont souvent difficiles d’accès, on y rencontre très peu ou pas de vazaha [14] et peu de gens parlant une autre langue que le malgache.
Étant arrivé tôt à Soavina Ilaka Centre, où beaucoup de gens déambulaient ce jour de marché dans la rue principale, confondue avec la route nationale, les premières discussions, qui s’engagent toujours avec un vazaha arrivant dans ce type de lieu, me permettent d’exposer mon centre d’intérêt et de trouver un petit groupe de personnes, merina et betsileo, qui m’annoncent connaître trois types de katro et acceptent bien volontiers de me les montrer et d’être filmées.
Le tablier est tracé à même le sol. De manière inhabituelle, les joueurs utilisent soit des pierres, soit des graines de deux couleurs différentes. Cette différenciation visuelle des graines permet de bien visualiser les premiers changements de camp, mais elle ne joue aucun rôle dans le jeu et est liée à la difficulté de trouver dans les environs immédiats un nombre suffisant de petits objets identiques.

Un katro tsotra

Partie 1 : 22 tours, 14 min 29 s.
Jeu : katro tsotra 4 × 5 (2)
Lieu et date : Soavina Ilaka Centre, le 15 août 2013
Joueuses : Mme Odette (F, 54 ans, N) et Mme Julienne (F, 60 ans, S)

Les deux premières joueuses sont les dames les plus âgées de la petite assemblée, et c’est la raison pour laquelle tout le monde les laisse commencer. Mme Odette n’a pas joué depuis plusieurs mois et ses premiers mouvements sont hésitants, mais elle retrouve rapidement ses repères et finira par gagner la partie.
Pendant les parties, des observateurs commentent les coups réalisés, le dispositif utilisé pour filmer, ou se livrent aux propos habituels d’un jour de marché.

1. C+, a+
2. B−, d+
Une particularité de ces jeux de semailles est de pouvoir appliquer un même principe à un nombre variable de cases par ligne. Si dans l’exemple précédent, à Tananarive, les jeunes filles jouaient avec quatre cases par ligne, ici on utilise des plateaux de jeu avec cinq cases par ligne, mais sur lesquels on applique, ainsi que nous le verrons, des règles différentes.
Remarquer, dans le semis suivant 1. a+, puis dans celui suivant d+, les hésitations de N sur les graines à prendre, et l’aide apportée, à chaque fois, par le geste de l’index de S, rappelant la règle.
Les coups suivants sont :
3. A−, a+
4. C−, a+
5. A–, …
puis :

5. (…), j−
6. D+, (…)
N parvient à dégarnir la ligne intérieure de S, mais pas à finir un semis sur une case qui lui aurait permis de récolter des graines de la rangée extérieure de S, maintenant vulnérable. S réfléchit quelques secondes, puis joue de manière à regarnir sa ligne intérieure.
Les coups suivants sont :
6. (…), i−
7 B−, c+

8. B−, a−
Avec ce coup, S parvient à dégarnir la ligne intérieure de N et à prendre le contenu de cases b, d, e, de la ligne extérieure de N, en application de la règle R6. N n’a plus que deux cases non vides et choisit évidemment celle qui lui permet de remplir au mieux sa ligne intérieure. Après ce coup, N va se mettre à jouer beaucoup mieux, et à retourner la partie à son avantage.
Les coups sont :
9. C−, c+
10. C+, e+
11. A−, c−
12. C+, h−
13. D+, e+
14. A−, c−
15. I−, e+
16. G+, g+
17. B−, f+

S va épuiser les réserves de sa ligne extérieure pour regarnir sa ligne intérieure. Mais N va régulièrement récolter des cases de cette ligne, avec des f+ successifs, et finira par gagner la partie.
18. A−, f+
19. E+, f+
20. A−, g+ (*)
21. D+, h+
22. F+, f+
Remarquer aussi l’erreur que commet N lors de 20. g+, marquée par un (*), en oubliant une graine au départ de la case g. Étonnamment, le public ne semble pas le remarquer tout de suite, mais quelqu’un parle un peu après du « décalage » (en français) introduit par cette erreur.

Un katro gorobaka

Ce jeu est qualifié de « gorobaka », adjectif signifiant « percé de part en part, transpercé » car la récolte dans le camp opposé ne se fait pas seulement dans la case de la ligne intérieure, mais dans toutes les cases de la colonne concernée. J’ai noté cette variante dans une des très rares parties mixtes, entre adultes, que j’ai pu observer. Les parties mixtes sont par contre fréquentes chez les enfants.
Partie 2 : 5,5 tours, 5 min 14 s
Jeu : katro gorobaka 4 × 5 (2)
Lieu et date : Soavina Ilaka Centre, le 15 août 2013
Mme Rose (F, 30 ans, N) et M. Rodin (H, 40 ans, S)

Le qualificatif gorobaka fait allusion au mode de prise, différent du katro tsotra et peut-être inspiré de la prise des pions au fanorona : la récolte dans le camp opposé ne se fait pas seulement dans la case de la ligne intérieure, mais dans toutes les cases de la colonne concernée. Deux points de la règle du katro tsotra doivent être modifiés ainsi :
R5 (gorobaka) : si la condition d’itération est satisfaite, avec une case de fin dans la ligne intérieure, alors, à la récolte précédente, le joueur ajoute toutes les graines des cases non vides du camp adverse situées dans la même colonne et un nouveau semis élémentaire se produit, dans les mêmes conditions qu’en R4.
R6 (gorobaka) : cette règle tombe d’elle-même, car elle devient sans objet avec la modification introduite par la règle précédente.
Dans mes recherches à Madagascar, j’ai rencontré le katro gorobaka moins fréquemment que le katro tsotra. Pourtant, sa récolte plus « efficace » entraîne des parties plus courtes. Par contre, l’avantage dont bénéficie le premier joueur semble être un inconvénient certain pour l’intérêt d’un jeu de calcul.
Il semble que seul l’article de Dandouau (1909 : 85-92) fournisse, sous le nom de katra gorobaka [15], à la différence près du nombre de colonnes (huit) une règle identique à celle observée ici [16].
Étant donné la rareté des références à ce jeu, j’ai choisi d’en décrire ici une partie complète.

1. J+, b−
2. D+, e+
Remarquer qu’après le premier coup 1. J+, N n’a plus que 8 graines. Il ne pourra plus rétablir l’équilibre ou même augmenter ce nombre.

3. H+, i−
4. A−, a−

5. A−, (…)
Remarquer que lorsque S saute une case, dans un semis, il en garde la mémoire et ajoute par la suite, à l’occasion d’une récolte, la graine manquante dans cette case.

5. …, d+
6. C+
S gagne la partie par abandon de N qui n’a plus qu’une graine.
Remarquer que le public refuse le déplacement dans la même colonne, tenté par N au tour 5, car ce déplacement enfreindrait la règle R2.
La stratégie — valable pour le katro tsotra — qui consiste à mettre des réserves de graines dans des cases de sa ligne extérieure et un semis de peu de graines (pour éviter des prises importantes) dans le plus grand nombre possible de cases de sa ligne intérieure (pour limiter les risques d’un dégarnissement total de cette ligne) ne fonctionne plus ici. Il est évident que le joueur qui débute a un avantage certain. Dandouau, conscient de ce fait, remarque : « Le joueur qui joue le premier gagne toujours la partie en deux ou au maximum trois coups. Peut-être serait-il possible de le prouver mathématiquement » (1909 : 86) [17].

Un katro mandry dia homana

Partie 3 : 10,5 tours, 10 min 11 s.
Jeu : katro mandry dia homana 4 × 4 (2)
Lieu et date : Soavina Ilaka Centre, le 15 août 2013
M. Njaka (H, 18 ans, N) et Mme Lobo (F, 29 ans, S)

La locution « mandry dia homana » signifie que, dans cette variante, lorsqu’on s’arrête (mandry), parce que la case de fin de semis devient une case singleton [18], au lieu de terminer son coup, on « mange » (homana), c’est-à-dire on récolte. Cette récolte se fait comme au katro gorobaka, et on continue évidemment à semer, puisque tout ce qui est récolté est toujours immédiatement semé.
En partant de la règle du katro tsotra, modifiée pour jouer au katro gorobaka, le R5 (gorobaka) devient maintenant :
R5 (mandry dia homana) : si la case de fin est une case singleton et est située dans la ligne intérieure, alors, à la récolte précédente, le joueur ajoute toutes les graines des cases non vides du camp adverse situées dans la même colonne et un nouveau semis élémentaire se produit, dans les mêmes conditions qu’en R4.
Pour les mêmes raisons que pour la variante précédente, et bien que la partie soit un peu plus longue, j’en livre ci-dessous une version intégrale.
Pendant la partie, quelqu’un, dans l’assistance raconte l’histoire suivante :
« Dans ce village, il y avait deux jeunes filles qui ne faisaient rien d’autre que jouer au katro, elles ne travaillaient pas, ne mangeaient pas, tellement elles étaient prises par la partie de katro. L’une d’elle était surnommée Ikala katro. Elles en sont mortes, et on les a enterrées sur une colline à l’ouest du village. »

1. E+, c−
2. F+, f+
3. I−, c−
Remarquer, après chaque c− de N, l’oubli temporaire de récolte lorsque la case de fin est un singleton, comme s’il jouait au katro gorobaka (ordinaire), ce que semble signaler un spectateur.

4. E+, a−
5. G+, f+
Remarquer que N tente une prise, comme au gorobaka ordinaire, après a−, et S le rappelle à la règle.

6. D−, i+
7. B−, g−

8. C+, g−
Remarquer le très long coup de S, typique du katro, et le retournement complet de situation, typique des katro gorabaka, qu’il produit.

9. I−, f−
10. G+, c−
11. G+
S gagne car N n’a plus de graines.

Une variante de katra à Analavory

À Analavory, sur un chemin donnant sur la route de Manakara à Ifanadiana [fig. 5], j’ai pu repérer un plateau de katra (décrit ci-dessous) au terminus du taxi-brousse pour Ampasimanjeva. Deux passants, dont l’un, M. Damien, se présentait comme le champion du katra du quartier, ont accepté de se livrer à une partie dont je donne trois extraits.

Partie 4 : 11,5 tours, 14 min 48 s.
Jeu : katra tsotra 6 × 4 (3)
Lieu et date : Analavory, le 17 août 2013
M. Nicolas (H, 40 ans, N) et M. Damien (H, 50 ans, S)

1. A−, a−
Si S est un joueur expérimenté, ce n’est pas le cas de N. N essaie de débuter la partie avec un a−, mais devant ses hésitations pour enchaîner après le premier semis élémentaire, S annule le coup de N en remettant les pierres semées en a− puis débute la partie avec le coup indiqué ci-dessus. N tentera ensuite un hésitant a+, avant de bénéficier des conseils de l’assistance, de l’annuler, puis de jouer le coup indiqué ci-dessus. S rectifie une erreur d’itinéraire dans le semis de N.

Viennent ensuite les coups :
2. F+, d+
3. H−, e+
4. E+, d+
5. F+, …

5. …, d+
6 A−, …
Le semis de N est toujours hésitant, mais sans erreur, et l’assistance, de plus en plus nombreuse, prodigue de plus en plus ses conseils, sans que S proteste.

Viennent ensuite les coups :
6. …, f+
7. A−, b−
8. G+, c+
9. H+, l−
10. G+, e+
11. L−, …

11. …, a−
12 H+

Tout au long de la partie, S a accumulé ses pierres dans sa ligne extérieure, tout en vidant la ligne intérieure de N. Il se trouve dans une position très favorable au début du douzième tour qui lui permettra de gagner la partie après plusieurs semis élémentaires. Après que N n’a plus de pierres sur sa ligne intérieure, il quitte son siège et marque son abandon en rejoignant l’assistance. S finit cependant ses semis enchaînés pendant presque 3 minutes.

Une variante de fanga en forêt, près d’Ampasimanjeva

Dans une petite communauté antambahoaka [19], en forêt, en pays antaimoro, à une heure de marche d’Ampasimanjeva, j’ai pu observer la partie suivante de fanga [20], qui semble correspondre au jeu décrit sous le même nom par Flacourt au milieu du XVIIe siècle. J’en présente une description intégrale, en complétant la notation des coups utilisée jusqu’à présent par l’indication du nombre de pierres prises. La prise est notée ×, en faisant suivre ce signe du nom de la case de l’adversaire où sont prélevées les graines et le nombre de celles-ci, entre parenthèses. J’indique aussi la case de fin, qui fournit une clé de vérification pour le lecteur qui voudrait refaire cette partie.
Dans cette variante, le joueur qui parvient à dégarnir la ligne intérieure du camp adverse a gagné, quel que soit le nombre de graines en sa possession.

Partie 5 : 10,5 tours, 10 min 11 s.
Jeu : fanga 4 × 8 (2)
Lieu et date : Ampasimanjeva, le 17 août 2013
Florette (F, 9 ans, N) et Pauline (F, 10 ans, S)
Répartition initiale : N : 32, S : 32

1. h+ × O(2) × J(2) j , L+ × k(3) J
Les jeunes joueuses font preuve d’une grande dextérité dans la réalisation des semis. Aucune joueuse ne calcule son coup pour l’instant et elles m’ont expliqué après la partie qu’elles ont l’habitude de débuter ainsi leurs parties.

2. f+ × P(3) i , F+ × p(4) I
Même commentaire.

3. J+ × M(4) d , J+ × m(5) × k(2) C
S commence à réfléchir avant de jouer. Remarquer la graine échappée lors d’un semis et la correction de celui-ci « à la volée » pour en tenir compte.

4. g+ × P(3) × K(5) i , A− × j(2) A

5. a− × J(2) × P(1) × M(3) , B− × n(2) B

6. g+ × O(1) n , N− × m(4) × i(2) L

7. p− × K(1) × N(1) × J(2) × O(1) e , E− × l(3) × i(2) × m(2) L
Le
dénombrement par perception globale n’étant plus possible, N et S commencent à dénombrer par comptage pour choisir leur coup.

8. h+ × N(3) k , C− × m(2) × l(2) × k(1) × o(2) × i(3) C
Remarquer les différents comptages et calculs du type que les pédagogues appellent « le nombre pour anticiper » que mènent N et S.
S parvient à dégarnir 5 cupules de la ligne intérieure de N.

9. e− × I(8) × N(1) d , O− × n(5) O

10. o− × L(3) × l(1) m , A− × j(6) × i(3) × o(1) × l(3) × m(1) D
N n’a plus que deux cases non vides sur sa ligne intérieure.

11. a− × K(3) a, P− × k(3) × p(1) × i(1) × m(1) × l(1) × o(1) D
N parvient bien à regarnir sa ligne intérieure, mais S la vide en un seul coup impressionnant et gagne ainsi la partie.

Conclusion

On savait, depuis les travaux de Deledicq et Popova (1977), que les jeux de semailles pratiqués à Madagascar sont de la famille solo.

Dans leur synthèse, Deledicq et Popova ont délimité la zone solo avec une frontière africaine continentale et une frontière malgache nord-sud. Les solo ne seraient pratiqués selon eux que dans la moitié occidentale de Madagascar. Si les observations de Dandouau (1909) et de Voogt (1999) confirment l’existence de nombreuses variantes de solo dans cette partie ouest, j’ai mis en évidence (Tiennot, 2015), que les solo sont aussi pratiqués dans différents endroits de la côte est de Madagascar. Dans cet article, les enregistrements vidéos de variantes de solo malgaches témoignent du fait que ces variantes sont jouées aujourd’hui aussi bien en pays merina et betsileo, que sur la côte sud-est, en pays antemoro, là où Flacourt avait signalé ce jeu au XVIIe siècle. Les variantes de solo sont nombreuses et, sous différentes appellations (fanga, katra, katro), semblent bien présentes sur tout le territoire malgache. La frontière nord-sud proposée par Deledicq et Popova ne semble donc pas correspondre à une réalité tangible. D’après mes observations, la frontière orientale de la zone solo passerait entre, d’une part, Madagascar tout entier et les Comores, et, d’autre part, les Mascareignes (La Réunion et Maurice), où il n’existe pas de témoignage de la présence de ces jeux.

Je donne ici la première description du katro mandry dia homana. Je n’ai par contre pu observer, lors de la mission évoquée ici, que des formes très incomplètes, à Ifanadiana, par des joueuses ayant presque oublié la règle, du katro très rare signalé, mais avec une description incomplète, par de Voogt (1999) en pays betsileo. J’ai depuis (août 2014) réalisé une description complète de ce katro en boustrophédon [21] grâce à des membres de la communauté betsileo résidant à Tananarive. Ce jeu, au parcours de semis plus complexe, fera l’objet d’une description complète dans (Tiennot, 2015) ou dans une autre publication.
L’origine africaine de ce jeu est certaine mais peut être précisée, en fonction des variantes. Ainsi, le katro gorobaka et le katro mandry dia homana décrits dans cet article sont proches de deux variantes mozambicaines que j’ai pu relever, en août 2013. La seule différence réside dans le fait qu’au Mozambique, les graines récoltées dans l’autre camp ne sont pas intégrées au nouveau semis élémentaire, mais sont retirées du plateau et s’ajoutent à la part du joueur qui vient de les récolter. Règles de déplacements et de prises sont identiques, le gagnant est le premier qui remporte plus de la moitié du nombre total de graines.

Ces jeux très anciens, qui sont en voie de disparition ou d’oubli, participent du patrimoine immatériel de l’humanité dans cette région de l’océan Indien. Il paraît donc urgent de continuer à en recueillir les règles, dont il n’existe la plupart du temps que des descriptions incomplètes, voire aucune description comme c’est le cas des variantes du Mozambique.

Ces jeux sont par ailleurs l’occasion, pour des enfants pas ou rarement scolarisés, d’expérimenter et d’anticiper des processus algorithmiques simples pour trouver le meilleur coup, grâce au calcul mental. C’est parfois leur seule occasion de pratiquer des mathématiques. Ces aspects didactiques seront développés dans Tiennot (2015).

Le présent article, qui rend compte des premiers résultats d’une recherche en cours, n’épuise donc pas toute la richesse des jeux solo à Madagascar et dans le sud-ouest de l’océan Indien.

Remerciements

À Madagascar, je remercie tous les joueuses et joueurs qui ont accepté d’être filmés puis de s’entretenir avec moi après les parties ; à la Réunion, je remercie Pascal Mouy pour ses conseils dans le montage des vidéos et Dominique Tournès pour son soutien constant et ses talents de relecteur ; à Paris, je remercie Noël Gueunier pour l’aide linguistique qu’il a pu m’apporter grâce à sa grande connaissance du malgache, et la rédaction de la revue pour ses conseils dans la mise au point de la version finale de cet article.

add_to_photos Notes

[1Contrairement aux jeux de semailles qui seront présentés dans le présent article, au fanorona, comme aux échecs, aux dames ou au go, chacun des deux joueurs manie uniquement les pièces de son camp, distinguées par leur couleur, généralement les blanches contre les noires. De plus, les pièces prises par un joueur ne sont pas recyclées par celui-ci mais sont retirées du plateau. Enfin, les pièces ne sont pas déplacées suivant le mouvement de semis caractéristique des mancala.

[2École Supérieure du Professorat et de l’Éducation.

[3Brousse, n.f. : à Madagascar, ce terme ne désigne pas un type de paysage végétal, mais seulement tout lieu éloigné d’une grande ville, quel que soit son environnement : village, rizière, forêt, désert…

[4L’origine de ces variantes est inconnue. Le terme désigne indifféremment le jeu, la graine utilisée pour y jouer et même un instrument de musique de type maracas. Katra, n. : autre désignation du katro est utilisé, au moins, actuellement, d’Ifanadiana à Manakara sur la côte Est de Madagascar.

[5Les lecteurs intéressés par les aspects didactiques et algorithmiques pourront se reporter à ma thèse (Tiennot, 2015).

[6L’origine de ce mot est discutée dans Tiennot (2015). La graphie mankala tend à être remplacée par mancala, dans les articles et ouvrages plus récents.

[7Popova montre que dans le mankala III à trois lignes de Murray, la ligne médiane est en fait partagée entre les deux joueurs et parcourue par leurs deux cycles. De plus, sa classification permet, contrairement à la précédente, d’englober la forme rare de jeu de semailles 6 × 6.

[8Hauts-Plateaux, zone intérieure de Madagascar, peuplée majoritairement par les ethnies merina (au Nord) et betsileo (au Sud), marquée par la culture du riz en terrasse, souvent dans le lit des cours d’eau, comme en Indonésie.

[9Merina, n. et adj : ethnie malgache. Les Merina vivent sur les Hauts-Plateaux de Madagascar, autour de la capitale historique du royaume merina, Antananarivo (Tananarive).

[10Betsileo, n. et adj : ethnie malgache. Les Betsileo (litt. : « les nombreux invincibles ») vivent dans le sud des Hauts-Plateaux de Madagascar.

[11Antaimoro ou antemoro, (litt. : « ceux du rivage »), n. et adj : ethnie vivant dans le sud-est de Madagascar.

[12Les signes + et – font respectivement référence au sens dit positif (ou trigonométrique) et au sens dit négatif (ou anti-trigonométrique) des mathématiques.

[13Tsotra, adj. : « lisse, droit, simple, facile ». Ce qualificatif fait référence au katro standard.

[14Vazaha, n. : « étranger », surtout européen et, par extension, Blanc. Ce terme n’a aucune connotation négative et il n’est pas rare, spécialement en brousse, d’être salué d’un « bonjour vazaha ! » tant qu’on ne s’est pas présenté.

[15J’ai observé l’alternance katro/katra dans plusieurs régions de Madagascar, elle semble simplement liée aux appellations successives de ce solo  : fifangha (signalé au XVIIe siècle par Flacourt, et qu’il orthographie ainsi) ou fanga, katra au début du XXe par Dandouau et katro qui semble la plus répandue aujourd’hui.

[16Dandouau donne aussi la règle d’un katra mpantsaka (ce mot, qui ne semble connu que par le témoignage de Dandouau, est peut-être dérivé du mot ancien tsaka qui signifie « limite »), identique au katro tsotra d’aujourd’hui, d’un katra fandatsaka (ce mot ne semble aussi attesté que dans cet article de Dandouau et provient de la racine làtsaka qui signifie « tombé ») que je n’ai pas encore pu observer et dont la pratique a peut-être disparu, et du katra be (grand katra) ou katra sakalava (katra sakalave) qui fera l’objet d’un prochain terrain, car repéré à l’ouest de Madagascar, en pays sakalava, où la présence de solo n’a jamais été mise en doute.

[17J’analyse les réflexions de Dandouau dans Tiennot (2015).

[18Nous appelons ainsi une case qui ne contient qu’une seule graine.

[19Antambahoaka, n. et adj : petit groupe ethnique du sud-est de Madagascar, très influencé par les commerçants arabes dans les siècles passés.

[20Fanga, n. : cette autre désignation du katro est donc utilisée au moins, actuellement, à Ampasimanjeva.

[21En boustrophédon, loc. : littéralement, « en tournant comme le bœuf (lorsqu’il laboure les sillons d’un champ) ». À l’origine, un mode d’écriture très ancien, utilisé en Asie Mineure et en Grèce, progressant alternativement de gauche à droite puis de droite à gauche, comme le fait un bœuf qui laboure un champ.

library_books Bibliographie

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DANDOUAU André, 1909. « Jeux Malgaches, jeux du katra », Bulletin de l’Académie malgache, vol. 6, pp. 81-97.

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FLACOURT Etienne de, 1661. Histoire de la grande isle Madagascar, composée par le sieur de Flacourt,... avec une relation de ce qui s’est passé ès années 1655, 1656 et 1657... Paris : G. Clouzier

FLACOURT Étienne de, (1658) 2007. Histoire de la Grande Isle Madagascar (1658). Réédition commentée sous la direction de Claude Allibert, INALCO, Karthala.

MURRAY Harold, James Ruthven, 1952. A History of Board Games Other Than Chess. Oxford University Press.

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TIENNOT, Luc, 2015 (à paraître). Ethnomathématique des jeux de semailles dans le Sud-Ouest de l’océan Indien, thèse de doctorat, Université de la Réunion.

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Pour citer cet article :

Luc Tiennot, 2015. « À la recherche de jeux de semailles de type solo à Madagascar ». ethnographiques.org, Numéro 29 - décembre 2014
Ethnologie et mathématiques [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/A-la-recherche-de-jeux-de - consulté le 19.03.2024)
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