Introduction
Née aux Etats-Unis au XIXe siècle, l’Eglise Adventiste du 7ème Jour est un mouvement regroupant plus de 13 millions de membres [1]. Entre 2002 et 2003, près d’un million de personnes sont devenues membres de ce mouvement religieux qui connut un taux de croissance de 8% [Annexe 1]. La présence adventiste dans de nombreux pays conduit Ronald Coffin (1981) à parler de ce groupement comme d’une « multinationale du religieux ».
Ce parallèle s’avère pertinent puisque le groupe s’organise en différents niveaux interdépendants dans une structure de type pyramidal [Annexe 2]. Cette interdépendance s’illustre par l’intercirculation de ressources économiques (Bull, 1992), humaines (Vance, 1999) et symboliques (Lheman, 1987).
Le groupe se distingue par une offre symbolique qui se veut totale. Entendons par là que l’offre religieuse adventiste légifère sur l’ensemble des sphères de la vie des individus. Le rapport au temps, l’hygiène, le rapport à l’argent, les comportements alimentaires, l’adhésion à des mouvements collectifs, sont autant de domaines non exhaustifs de la vie sociale que l’offre idéologique adventiste structure.
En France hexagonale l’adventisme se caractérise, du point de vue de l’origine culturelle des individus qui en sont membres, par une très forte proportion d’Antillais français devenus adventistes en Guadeloupe ou en Martinique. Fort de ce constat, le présent article se propose de comprendre les enjeux de la rencontre entre adventisme antillais et autochtone dans l’hexagone.
Au-delà de l’existence d’une relation paradoxale entre adventisme et culture antillaise aux Antilles que nous rappellerons, nous tenterons de comprendre les liens entre culture antillaise et adventisme dans le contexte d’adventistes antillais migrants en France. L’hypothèse ici est que l’adventisme, en France, permettrait aux adventistes antillais de concilier pratiques et croyances religieuses avec l’identité antillaise, malgré l’obligation faite par l’adventisme aux Antilles à ses mêmes individus d’honnir plusieurs aspects de la culture antillaise. En d’autres termes, nous supposons que dans la migration d’adventistes antillais vers la France, l’adventisme, qui avait un rapport négatif avec la culture antillaise aux Antilles, devient un outil de réappropriation identitaire pour les antillais. C’est donc une hypothèse d’effets paradoxaux de l’adventisme en France que nous posons et expliciterons.
Nous nous appuierons sur des études ayant mis en évidence les liens entre adventisme et culture antillaise. Nous compléterons ces approches par une enquête menée au sein de l’église adventiste de Lille en France dans le cadre de recherches réalisées au sein du Groupe de Recherche sur les Actions et Croyances Collectives [2].
Dans un premier temps nous présenterons l’adventisme dans l’hexagone. Par la suite nous ferons un détour par l’adventisme aux Antilles pour comprendre le rapport de ce dernier avec la culture antillaise. Puis, au travers des discours des individus nous présenterons les enjeux qu’il y a pour l’adventiste antillais migrant à intégrer une communauté adventiste en France. Nous terminerons en insistant sur des particularités de l’adventisme antillais et français dans l’hexagone aux travers de leurs interactions.
Présentation de l’Église adventiste
La filiale française : une forte composante antillaise
Les 10’557 fidèles présents dans l’hexagone en 2003 étaient regroupés en deux fédérations : 6’414 au sein de la « Fédération France Nord » (F.F.N) et 4’143 au sein de la « Fédération France Sud » (F.F.S) [3]. Cette population adventiste hexagonale [4] se caractérise par une forte présence d’Antillais français. Ce constat trivial pour celui qui entre en contact avec l’adventisme français souffre d’une absence de sources fiables permettant de quantifier la composante antillaise de l’adventisme hexagonal. Les dirigeants adventistes estiment cette présence à 3’500 membres sur l’ensemble du territoire hexagonal français soit 33% de la population totale des membres des deux fédérations [5]. Ce dernier effectif est incontestablement une évaluation précautionneuse. Comme l’indique Daniel Jennah (2001), les données statistiques fines émanant des communautés locales sont difficiles à établir et on ne peut avoir recours à des chiffres fiables.
Cette difficulté est également due à l’impossibilité de définir la communauté antillaise à partir du critère de la nationalité. Le nombre d’antillais adventistes prend en compte les Antillais déjà convertis à l’adventisme, venant des Antilles et qui font la démarche de s’inscrire sur les fichiers d’une communauté locale, et les Antillais natifs des Antilles se convertissant en France à l’adventisme. Ainsi les Antillais adventistes nés en France de parents Antillais, et les Antillais adventistes non membres d’une communauté hexagonale ne figurent pas dans l’estimation de la direction adventiste. Comme le note Alain Anselin, la communauté antillaise dans son sens le plus large ne se compose pas uniquement des seuls natifs de la Caraïbe. S’ajoutent « les originaires », ceux qui ont au moins un parent antillais natif. Ce parti pris conduisait Anselin à estimer la communauté antillaise à plus de 350’000 personnes à la fin des années 90 (Anselin, 1990).
Incontestablement, même avec une faible estimation de la population d’adventistes antillais en France, nous pouvons parler d’une surreprésentation de celle-ci dans l’adventisme hexagonal. Le recensement de 1999 indiquait que les Antillais nés aux Antilles et installés dans l’hexagone ne formaient que 3,7% de la population hexagonale (Frouté, 1999). Cependant ils constituent un contingent officiellement neuf fois plus important dans l’adventisme français et cela bien que la migration d’Antillais vers la France reste marquée par un désenchantement de l’hexagone (Marie, 2002) entraînant un faible phénomène de retour qui commence à sourdre (Condon, 2004).
Tentatives de développement vers les autochtones
Convertir de nouveaux membres à ses croyances est un objectif permanent de l’adventisme. De plus l’intensification d’activités prosélytes indiquerait, selon l’eschatologie adventiste (White, 1992, 2001) l’imminence de la parousie (Conférence générale, 1990 : 335-349).
Les tentatives de recruter des autochtones ont mis en évidence les difficultés pour le groupe religieux à être identifié et compris dans l’espace français (Coffin, 1981). A cette difficulté s’ajoute le problème de la visibilité sociale de l’adventisme en France, caractérisé par la forte présence antillaise (Beris, 1992). Sans toucher au contenu de ses croyances, l’adventisme français mène diverses expériences visant à augmenter sa réceptivité. Le développement d’un Institut d’Etude Biblique par Correspondance, la mise en place de petits groupes, la tenue de conférences sur la santé, des tentatives de réorganisation des rites, sont autant d’actions menées par le groupe en direction des populations françaises autochtones.
Coffin (1981) note que l’établissement d’un centre évangélique en région parisienne marqua le début d’une stratégie voulant ouvertement recruter prioritairement des autochtones à la fin des années 70. A cette période l’auteur estimait à 65% la part d’Antillais dans l’adventisme hexagonal. Cette forte présence, relate Coffin, inquiétait les responsables qui y voyaient un facteur aggravant les difficultés à recruter des autochtones. Cette inquiétude correspondait jadis à l’arrivée massive d’Antillais en France sous l’impulsion de l’Etat français au travers du BUMIDOM (Giraud, 1999, 2002). Coffin rapporte que le dessein de ce Centre d’Evangélisation était de « promouvoir le recrutement par les offres de prophéties et thérapeutiques écologiques ». Cependant, en pratique, le centre aura comme mission de recruter des autochtones blancs. Pour y arriver la F.F.N en charge du Centre va fixer un quota ethnique où les noirs ne devaient pas dépasser 30% de l’effectif des présents (Coffin, 1981 : 441, 442).
Aujourd’hui les activités prosélytes en direction des autochtones sont multiples [6]. Elles consistent en des actions hygiénistes [7], des activités mobilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication aux côtés des médias traditionnels (Graz, 1986) [8], des stratégies de communication sur l’image du groupe [9] passant entre autre par une adhésion à la F.P.F. [10], des activités cultuelles [11] ou encore un investissement dans les connaissances scientifiques [12].
Ces quelques points non exhaustifs permettent de noter que l’adventisme est un mouvement qui, en France, se caractérise par un dynamisme [13] et une forte composante antillaise. Cette forte présence questionne le sociologue. Dans le présent article il s’agira de présenter les enjeux identitaires de l’adventisme antillais dans l’hexagone au contact de l’adventisme autochtone. Pour cela il est nécessaire de tracer les traits de l’adventisme antillais duquel est issu l’important contingent d’Antillais adventistes. Loin d’être hors propos, comprendre l’adventisme antillais permet de mieux cerner les enjeux de la rencontre entre adventisme hexagonal et adventisme antillais. D’autre part cela contribue significativement à donner du sens aux discours des individus migrants. C’est cette démarche qu’adopte au sujet du catholicisme antillais en France Philippe Delisle (2000). Ce dernier note concernant les implications de la migration dans le religieux catholique antillais qu’ « avant d’étudier le choc de la confrontation avec l’Eglise métropolitaine, il importe de revenir sur les grands traits du catholicisme antillais ». C’est dans une même démarche de quête de sens que nous réalisons un détour par l’adventisme antillais.
L’adventisme aux Antilles françaises
Aux Antilles françaises on retrouve deux fois plus d’adventistes qu’en France. Les 25’000 adventistes sont présents pour 11’000 en Guadeloupe et près de 14’000 en Martinique [14]. C’est entre autre dans le rapport de l’adventisme à la société qu’une perspective explicative au succès de l’adventisme aux Antilles peut être trouvée (Laurent, 2001). Les liens entre adventisme et société antillaise peuvent être décrits à partir de points d’oppositions et de convergences.
Une lecture par opposition
L’offre religieuse adventiste se distingue aux Antilles par ses positions vis-à-vis de la culture antillaise.
- Un rejet du festif.
Il y a un fort rejet des rites sociaux qui rythment le social antillais. La fête de Noël est uniquement considérée comme une tentative de l’église catholique de réintégrer des rituels paganistes. Plus généralement, c’est tout le festif antillais qui est décrit comme un malsain mélange entre éléments chrétiens et tentatives de récupération catholique des fêtes païennes. La dimension sociale et culturelle de ce festif est dans la même démarche proscrite, voire honnie.
- Une opposition aux croyances religieuses préexistantes.
Le corpus des croyances religieuses est très important aux Antilles. Il est marqué par ses origines africaines, indiennes et chrétiennes principalement formant un dense univers de croyances de type magico-religieux (Bebel-Gisler, 1981). Cet univers se caractérise par la croyance en l’existence d’êtres surnaturels ayant la possibilité d’interagir avec les individus. L’adventisme dénonce toutes formes de médiation entre les individus et ces êtres surnaturels.
- Une opposition au culinaire antillais.
L’adventisme dans son offre idéologique est marqué par un héritage issu du judaïsme. Le régime alimentaire adventiste basé sur une lecture littérale du Lévitique est identique aux proscriptions juives. Entre autre, les adventistes ne consomment pas de porc et de crustacé. Ce choix qui pourrait passer inaperçu dans d’autres aires culturelles prend ici une consonance particulière. En effet, aux Antilles, le porc est l’aliment carné de base intervenant dans de nombreux rites (Noël), et dans la composition de plusieurs plats avec les crustacés pour former deux éléments importants de l’art culinaire antillais.
- Une opposition vis-à-vis des boissons alcoolisées [15].
Le corps dans l’adventisme est considéré comme un don de Dieu. En conséquence l’adventisme proscrit tous comportements jugés nuisibles pour le corps. C’est en ce sens que le groupe banni l’usage, la consommation et la vente de produits désignés comme nocifs. Cette position oppose l’adventisme à un pan considérable de l’économie antillaise, la production de rhum [16].
- Un rapport négatif aux bijoux.
L’adventisme antillais interdit le port de bijoux. Les « ornements » du corps sont considérés comme des artifices risquant de porter l’attention sur l’extérieur de l’être, au détriment d’une spiritualité nécessitant de se détacher du paraître.
L’effet d’une telle position de l’adventisme aux Antilles est double. Premièrement se sont les femmes qui sont principalement concernées. Deuxièmement, les bijoux font partie intégrante de la transmission culturelle. Bien plus que les simples parures, il existe aux Antilles des bijoux particuliers hérités de mères à filles, dont la valeur est surtout symbolique. Ces derniers sont appelés « héritages » et sont souvent portés par les personnes âgées habillées traditionnellement [17].
- Une non implication dans les conflits sociaux
L’adventisme antillais prône la non implication dans des actions collectives de type protestataire tels que les mouvements syndicaux (Laurent, 2001). Il considère inutile l’implication dans des contestations collectives, surtout lorsqu’elles sont issues d’organisations syndicales [18]. Pour l’adventisme, il est inutile de sauver des principes et institutions qui, dans son discours eschatologique, sont voués à la destruction.
Adhérer à l’adventisme aux Antilles exige une relation négative avec des éléments culturels de la société antillaise. Laurent (2001) parlera de la nécessité pour l’adventiste antillais « d’abdiquer », politiquement, religieusement (en renonçant à ses pratiques cultuelles héritées), socialement et culturellement (en rejetant le festif antillais) à la société antillaise.
Outre ces quelques oppositions s’ajoutent des positions d’ordre éthique, religieuses, qui, comme dans de nombreuses autres aires, sont sources de difficultés relationnelles entres adventistes et non adventistes. Tel est le cas du sabbat. Du judaïsme, l’adventisme a hérité également une observation stricte du samedi comme sabbat (Becerra, 2001). Ce dernier point ne manque pas d’entraîner des conflits, dans un environnement social structuré autour du dimanche et des fêtes religieuses catholiques. Malgré ces oppositions importantes l’adventisme est en constante progression aux Antilles, et cela en dépit du mouvement ininterrompu de membres vers la France.
Un rapport positif à la société antillaise et aux individus
Le rapport de l’adventisme aux Antilles avec la société ne se limite pas à une opposition. L’observation des liens entre adventisme et société antillaise permet de présenter un ensemble de variables favorisant la réceptivité des croyances adventistes aux Antilles, en notant les réponses opératoires de l’adventisme à des questions sociales antillaises (Massé, 1978 ; Massé, Poulin, 2000).
- L’interdiction de l’alcool avec ses nombreuses incidences positives dans les relations sociales est bien acceptée, notamment des femmes victimes de conflits conjugaux (Mitrail, 1983).
- La non participation aux conflits sociaux est aussi perçue positivement. Les nombreux conflits sociaux que connaissent les Antilles sont perçus comme des troubles révélateurs d’un mal-être antillais plus profond que les revendications syndicales. Ne pas participer aux grèves est considéré comme un acte permettant la non amplification des troubles, dont les solutions semblent inexistantes pour beaucoup d’individus (Bougerol, 1997).
- Une réorientation des “croyances populaires” [19].
Pour Massé, l’adhésion à l’adventisme aux Antilles s’explique également par une conception des croyances adventistes comme “supérieures” aux croyances traditionnelles (Massé, 1978). Les individus indiquent bénéficier de plus de « protection », quand ils adhèrent à l’adventisme. De plus, étant donné que l’adventisme ne réfute pas le contenu des croyances traditionnelles, notamment l’existence d’esprits méchants pouvant rentrer en contact avec le « réel », cela permet aux individus d’intégrer leurs croyances traditionnelles dans leur nouvel univers de croyances qu’est l’adventisme.
- Une nouvelle respectabilité
L’adhésion à l’adventisme est aussi une insertion dans un nouvel espace social symbolique. Laurent note que l’adventisme en Guadeloupe permet à des populations qui n’ont aucune reconnaissance sociale d’accéder à un univers qui donne du sens à leur propre trajectoire. Ainsi des individus qui n’avaient aucune reconnaissance sociale apprécient de se voir attribuer dans l’adventisme des « postes à responsabilités », ce qui entraîne un sentiment de gratification pour l’individu. (Laurent, 2001). Girondin corrobore ce point lorsqu’il note que la conversion d’antillais au protestantisme procure toujours, comme le notait jadis Max Weber (1964), une plus grande respectabilité, une bonne réputation (Girondin, 2003).
- Une visibilité sociale
Raymond Massé (1978) soulignait déjà l’imposante présence architecturale adventiste. Les temples sont imposants et certains peuvent accueillir, en Martinique, 2’500 personnes. La visibilité architecturale décrite par Raymond Massé s’est amplifiée depuis son enquête et touche également l’école, les aménagements sportifs ou encore les structures temporaires (chapiteaux, camps de vacances).
Outre la visibilité architecturale l’adventisme s’appuie également sur les expertises de ses membres dans différents secteurs d’activités. Par de véritables réseaux de compétences structurés autour de hauts responsables adventistes dans leur secteur professionnel s’érigent des structures qui deviennent des atouts pour la diffusion des croyances adventistes [20].
Un messianisme millénariste
Le succès de l’adventisme aux Antilles ne peut se comprendre sans noter que l’adventisme est un groupement messianique millénariste (Desplan, à paraître). Hans Kohn (1933) que cite Desroche (1969) définit le messianisme comme « essentiellement la croyance religieuse en la venue d’un rédempteur qui mettra fin à l’ordre actuel des choses, soit de manière universelle, soit pour un groupe isolé et qui instaurera un ordre nouveau, fait de justice et de bonheur ».
Maria Pereira de Queiroz (1958) remarque que les mouvements messianiques ont plus de succès dans les populations pauvres. L’analyse du protestantisme en Amérique Latine de Jean Pierre Bastian (1994) va également dans le même sens. Selon l’auteur, les favelas brésiliennes, marquées par un haut degré de paupérisation, sont les lieux où les missions protestantes ayant des croyances messianiques se développent prioritairement. C’est par la suite que les autres sphères du social deviendraient plus facilement perméables à la croyance messianique, portée par les mouvements protestants majoritairement américains. De plus, dans un univers de revendications sociales, il arrive que l’offre religieuse messianique se mélange avec les protestations pour nourrir une dynamique protestataire.
Dans un contexte social marqué par les tensions, une réceptivité aux discours religieux d’orientation chrétienne et une forte précarité, le discours messianique rencontre un engouement (Hurbon, 2000, 2003), en raison de conditions propices à son développement qu’il rencontrerait [21].
Résumons-nous avant d’ouvrir vers la problématique de l’adventiste antillais migrant dans une communauté adventiste en France. Comprendre la rencontre entre adventisme antillais et adventisme français, nécessite indiscutablement de se pencher préalablement sur les relations entre adventisme et identité antillaise aux Antilles. Rejetant des aspects de la culture antillaise, l’adventisme donne des réponses positives à des questions sociales antillaises, réoriente les “croyances populaires”, se forge une respectabilité et offre une reconnaissance sociale aux individus invités à adhérer à son offre idéologique.
On peut qualifier le rapport entre adventisme et société antillaise de paradoxal. D’un côté, l’adventisme proscrit différentes pratiques sociales antillaises, de l’autre il tente de porter des solutions aux questions sociales antillaises. Il y a donc de la part de l’adventisme, un rejet de nombreux aspects du culturel antillais, tout en tentant de s’inscrire dans l’espace social antillais en raison de la nécessité pour lui de développer des pratiques prosélytes conformément à son idéologie. C’est de ce contexte d’une relation paradoxale qu’est issu l’adventiste antillais migrant s’installant dans une communauté hexagonale.
Intégrer une communauté hexagonale
La rencontre entre adventisme antillais et adventisme hexagonal se caractérise par la mise en évidence de différences touchant à la croyance, aux pratiques religieuses collectives, et à la représentation de l’utilité politique du groupement en France hexagonale. Par touches successives nous mettrons en évidence des éléments de ces différences à partir d’une enquête réalisée au sein d’une communauté adventiste de 55 membres dans le nord de la France, entre février 2001 et avril 2004, l’église adventiste de Lille [22].
La communauté adventiste de Lille se trouve dans la juridiction de la F.F.N. C’est elle qui mandate et salarie le pasteur responsable de l’église locale. 22 hommes et 33 femmes, d’un âge moyen de 47 ans, constituaient les membres de la communauté lilloise en 2001 [23]. De cet ensemble nous avons eu la possibilité de recueillir auprès de 44 individus leur récit de vie, articulé autour de leur relation au religieux. 15 individus de notre échantillon étaient natifs des Antilles. Avant d’être membre de la communauté lilloise, 13 des 15 Antillais étaient adventistes dès les Antilles françaises.
Un individu peut intégrer une communauté locale adventiste lors de trois rituels que sont : le baptême par immersion [24], la profession de foi [25], et la procédure de transfert. Le transfert est une procédure administrative permettant à un adventiste migrant d’obtenir le statut de membre au sein d’une nouvelle communauté. A l’initiative du migrant adventiste, la communauté dans laquelle ce dernier souhaite s’intégrer va s’assurer de l’appartenance de l’individu à une communauté adventiste par un échange épistolaire avec la communauté d’origine. En réponse, celle-ci va souverainement autoriser ou interdire le transfert du membre, en s’assurant que ce dernier ne soit pas sous le coup d’une mesure disciplinaire.
Le statut de membre [26] permet d’avoir accès à un vaste type de relations sociales dans la communauté locale. Il traduit également une relation de droits et de devoirs avec l’ensemble de la communauté. Idéalement, l’individu contribue à la vie et au développement du groupe. Le groupe donne un cadre idéologique et organisationnel au membre, lui permettant de gérer des représentations religieuses. De plus, être membre entraîne la reconnaissance de l’autorité de la communauté locale à laquelle il appartient. Celle-ci peut légiférer sur ses actions et comportements, en sanctionnant par exemple toute déviance aux normes adventistes.
Pour ce qui est des adventistes antillais migrant en France et désireux d’intégrer une nouvelle communauté comme membre, la procédure de transfert permet d’accéder à toutes les interactions sociales structurant l’action collective du groupe (Assemblée générale, possibilité de vote, etc.). De plus, pour celui qui veut accéder à des responsabilités, être membre de la communauté locale au sein de laquelle il veut exercer est une condition incontournable. Outre ces raisons, le transfert d’un membre, et plus particulièrement d’un antillais dans une communauté locale dans l’hexagone, renferme d’autres enjeux.
Repère dans l’instabilité migratoire
Intégrer une communauté locale est bien plus qu’un simple prolongement, quasi mécanique de pratiques héritées ou acquises aux Antilles. Pour tous les individus ayant fait un transfert, intégrer une communauté adventiste prend le sens d’une recherche de stabilité. Dans un nouvel univers où l’absence de repère donne un sentiment d’instabilité, intégrer une église adventiste correspond à une quête d’éléments connus. Se faire transférer correspond à un désir d’intégrer un environnement que les individus perçoivent comme vecteur de stabilité. La connaissance des normes du groupe donne aux migrants adventistes antillais l’impression de pouvoir maîtriser enfin une partie du nouvel environnement, par opposition au nouveau monde qu’ils découvrent avec la migration.
Dominique, lors de son installation en France dans le cadre d’une migration estudiantine, se représentait la nouvelle communauté qu’il allait intégrer, comme un univers lui donnant des repères et une stabilité.
« L’église heureusement qu’il y en avait une. Heureusement qu’avant de partir j’avais ses coordonnées, car c’est là au début quand je suis arrivé que j’étais utile, que je connaissais comment les choses fonctionnaient, que je pouvais aider en sachant tout ce qu’il fallait faire, dire. Les autres endroits comme les administrations, l’université, le CROUS, la CAF, le transport public qui sont compliqués au début, tu es perdu. A l’église au moins tu maîtrises. Demander mon transfert c’était vraiment pouvoir profiter de ma nouvelle église où je pouvais servir en étant utile. Là je savais comment faire. Là on est tranquille. Ce n’est pas comme à l’extérieur quand tu viens de ta Guadeloupe ».
Erica venue en France dans la perspective d’une migration de travail indique que se faire transférer lui fit accéder à un univers relationnel qu’elle se représentait comme stable, sûr, à la différence des représentations qu’elle avait de la société française à son arrivée sur le territoire hexagonal.
« Quand on est en Martinique, ceux qui sont en France nous racontent comment la France c’est la violence, comment les gens sont dévoyés. Quand je suis arrivée ici, je n’avais personne pour m’entourer. J’avais des contacts avec des gens de la famille, mais personne qui était adventiste. Personne pour m’aider à vite bien choisir les bonnes relations. Alors je craignais beaucoup d’avoir des relations avec des gens douteux. C’est pour cela que je remercie le Seigneur de m’avoir permis, avant de partir de prendre les coordonnées de l’église où j’allais. Très vite les frères et sœurs m’ont bien accueillis. Avec leur grand accueil et moi qui voulais vraiment avoir de bonnes relations avec les gens, j’ai fait mon transfert (...) Me faire transférer permettait d’être vraiment un membre d’église. Je pouvais échanger sur tout ce qui se passe dans l’église avec les membres. C’est cela qui m’a permis d’avoir des relations fortes avec les frères. Cela m’a fait du bien. Ça m’a certainement empêché d’être seule, ou avoir de mauvaises relations. Qui sait ? Je savais que c’était dans ma famille spirituelle que je devais trouver des amis, des frères, des conseillers, etc. Alors c’est tout naturellement que je me suis faite transférer. »
Comme on pouvait l’entrevoir dans les déclarations précédentes, intégrer par transfert une communauté adventiste est un moyen de créer un contexte contraignant, permettant de perpétuer la pratique religieuse. Charles, migrant, indique que le transfert fut pour lui « une manière de se mettre la pression » de façon à maintenir sa pratique.
« Devenir membre d’église cela t’oblige à être assidu. Ici, loin de tout le monde que tu connais il y a personne pour t’obliger à te lever en plein hiver quand il fait froid le matin ! Il n’y a pas maman, les amis pour te forcer ou t’inviter à aller à l’église. Faire mon transfert c’était, et je suis franc, une manière pour moi-même de me mettre la pression. Etre membre d’église c’est être dépendant l’un de l’autre. Si je ne venais pas un samedi, un frère ou une sœur m’appelait pour voir si j’étais malade, ou si j’ai un découragement spirituel. Le fait de savoir qu’il y a du monde qui sans le vouloir te pousse, fait que tu vas à l’église et que tu gardes le contact avec les choses de Dieu. Vraiment c’est un bon moyen de garder la foi et de rester actif dans les choses de l’église. »
Pour l’ensemble des individus indiquant s’être fait transférer, devenir membre d’une communauté locale permet rapidement de construire un environnement social de type religieux, dont les normes de fonctionnement semblent identiques à celles de leur communauté d’origine. Au travers de ses normes, on perçoit une tentative plus large d’avoir la maîtrise de l’espace religieux dans un contexte, la migration, marqué par l’instabilité, en raison de la découverte d’un nouvel environnement social.
Un double signal vers la communauté d’origine
Intégrer par transfert une communauté locale adventiste pour les migrants antillais revêt une double signification. C’est d’abord, pour tous, une tentative de rassurer la communauté d’origine. A ce désir de rassurer, s’oppose un autre signal qu’est celui de la séparation. Se faire transférer implique l’idée qu’il faille accepter de se séparer des individus qui ont été côtoyés, surtout des proches.
« Rassurer » :
Bruno note que le désir d’envoyer un signal rassurant vers ses parents fut, autant que pour la recherche d’un univers stable et connu, déterminant.
« Mes parents pensent que la France c’est un lieu de perdition. Même pour les adventistes. Pour eux en France les adventistes se sont éloignés de Dieu. Quand je suis venu ici je savais qu’ils avaient très peur que je m’éloigne de ce qu’ils m’avaient appris. Alors en faisant mon transfert cela les a un peu rassurer quand même. Quelque part j’étais resté adventiste, même si pour eux, être adventiste en France, c’est quelque part une foi au rabais ! »
Christelle, une guadeloupéenne de 22 ans met l’accent sur le fait qu’un transfert dans la communauté locale est aussi un signal symbolique très fort envoyé vers sa communauté locale et en particulier son groupe familial.
« Avant de venir ici, depuis la Guadeloupe on s’inquiète de ton éventuel transfert. En le faisant tu rassures tout le monde. Non seulement tu es bien arrivé mais tu as gardé la main de Dieu, tu es toujours attaché à l’adventisme. Tu n’es pas devenu en France une dépravée, ou quelqu’une qui perd toutes les valeurs inculquées par l’église et par ta famille... Dans l’église, ta famille aussi est contente de voir que tu te fais transférer. Le problème c’est que cela montre aussi que tu comptes rester en France longtemps et y faire peut être ta vie. Mais cela c’est rien par rapport à la satisfaction de savoir que tu gardes la main de Dieu. »
« Se séparer » :
La tentative de rassurer la famille et l’ensemble de la communauté d’origine est cependant paradoxale comme l’indique le précédent extrait du récit de Christelle. C’est un acte rassurant sur le plan de la croyance religieuse, cependant, il marque aussi une séparation, une rupture avec le milieu d’origine. Ce double sens est présent uniquement chez la population estudiantine. Celle-ci en venant en France, semblait seulement avoir entrevu ce risque et réalise son transfert comme un acte de résignation, un « deuil » sur le lien quasi « maternel » avec la communauté d’origine.
Fred note de manière très consciente ce dilemme au travers d’une sémantique mortuaire.
« Faire mon transfert a été difficile. Il était nécessaire pour pouvoir être actif dans la communauté comme je l’étais en Martinique. Et puis les frères et sœurs de là-bas étaient content de savoir que j’avais gardé la foi. Ma famille bien que pas adventiste savait elle aussi que je n’avais pas mal tourné. Mais c’est difficile. J’ai fait mon transfert quand je me suis rendu compte qu’il était impossible pour moi de retourner vivre aux Antilles après mes études. Je n’étais plus membre de là-bas mais d’ici. Cela a été une douleur un peu comme celle que j’ai eu en quittant les Antilles. Je devais faire le deuil de ma famille spirituelle maternelle. Celle qui m’avait vu me baptiser. Là où j’ai fait mes premières armes comme responsable. Je n’allais plus être avec eux sauf pendant de brèves vacances. Cela a été un petit déchirement. Maintenant je les ai en souvenir, dans mon cœur comme un être aimant qui a disparu. »
Le double signal est assumé par les individus. Il marque pleinement leur intégration dans la nouvelle communauté. Le transfert devient un acte social marquant une prise de distance avec la communauté d’origine, accompagnant l’insertion de l’individu dans la nouvelle communauté, mais aussi plus largement, dans son nouvel espace social, l’hexagone.
Effets sur la croyance et les pratiques
Le contact avec l’adventisme hexagonal pour le migrant adventiste antillais peut se retranscrire autour de quatre points intervenants successivement dans les discours des interlocuteurs que sont : le choc, le sentiment d’une plus forte pratique, la relativisation et l’affaiblissement.
- Le choc :
Le contact reste toujours marqué initialement par le choc de la différence des pratiques entre adventisme hexagonal et adventisme antillais. En effet l’antillais adventiste migrant reste surpris par le fait que les adventistes dans l’hexagone portent des bijoux, se maquillent ou encore maintiennent des activités le sabbat qu’il se représente comme proscrites. Ce constat semble ne pas faire de distinction d’origine culturelle ou sociale. Tous les adventistes dans l’hexagone ont, pour l’adventiste migrant, une pratique religieuse marquée par des actes proscrits. Guillaume, ayant migrée pour des raisons professionnelles en France exprime ainsi le choc du premier contact avec l’adventisme hexagonal.
« Quand je suis arrivée ce qui m’a frappé c’est que l’église avait organisé un sabbat en plein air. Le midi on mangeait ensemble. Et puis, il y a eu le directeur des Jeunesses Adventistes. Celui qui était responsable de la jeunesse de l’église, celui qui doit donner l’exemple, prendre un ballon de football ! J’ai vu les gens jouer au football en plein samedi. Incroyable. Tu dis cela aux Antilles on te croira jamais ! En plus les filles sont fardées, elles portent des pantalons, les hommes viennent à l’église en jeans et baskets, il y a des décolletés terribles et des jupes que je n’avais jamais vu aussi courtes. Mais vraiment je ne sais pas si on peut imaginer la différence avec les Antilles. Là-bas tu risques de te faire radier, ou regarder comme un voleur ou pour les filles des prostituées ! Alors tu imagines maintenant si je raconte aux Antilles que l’église possède une table de ping-pong et des cartes servant aux jeunes le samedi. On me dira que je suis sur Mars (rire). »
- Sentiment initial d’une plus forte pratique
Une telle entrée en contact avec l’adventisme hexagonal a procuré aux adventistes s’installant en France le sentiment de provenir d’un univers religieux ayant une pratique plus en adéquation, en cohérence avec les idéaux de l’adventisme. Les pratiques des adventistes hexagonaux étaient considérés comme étant celles d’une branche de l’église marquée par de trop grandes concessions faites au monde et à ses normes. En d’autres termes, au début de leur contact avec l’adventisme français, les migrants adventistes considèrent la pratique religieuse adventiste hexagonale comme dévoyée. Un sentiment d’une meilleure et plus importante pratique religieuse se développe par la suite chez les migrants antillais adventistes.
« Quand je suis arrivé, [nous déclarait Bruno], je considérais que nous les antillais on avait mieux compris la Parole et que cela faisait que nous avions une meilleure pratique religieuse, une plus grande rigueur avec nous. J’étais même persuadé qu’il fallait convaincre les membres d’ici car ils se fourvoyaient, pour moi, de ce que devrait être le véritable chrétien adventiste. »
- Relativisation des croyances antillaises
Dans l’extrait ci-dessus, Bruno utilise à dessein le passé pour s’exprimer. En effet, il indique chronologiquement la position initiale des migrants adventistes antillais. Après un contact prolongé avec l’adventisme hexagonal et une insertion par transfert, le discours des Antillais devient celui de la relativisation. Il y a une relativisation, voire une véritable critique des croyances et normes de comportements acquis dans l’adventisme aux Antilles. Tout ce passe comme-ci l’insertion dans l’adventisme hexagonal permettait un retour réflexif sur la religiosité héritée des Antilles. A ce sujet Charles indique les relativisations qu’il porte aux croyances adventistes acquises aux Antilles.
« Quand tu vois tous ces membres d’église qui se fardent, qui se maquillent, qui portent des bijoux, qui écoutent un tas de musiques différentes, un moment ou l’autre tu te demandes est-ce que ce que l’on t’a appris était bon ou est-ce les gens qui sont ici se trompent ? Et puis tu te rends compte vite, que cela n’empêche pas d’adorer, de se sentir proche du Seigneur, etc. Tu arrives vite à la conclusion qu’aux Antilles que l’on exige trop des gens dans l’église. Et tu te demandes même pourquoi on empêche les femmes de se sentir belle, pourquoi des fois le créole n’est pas accepté, même si les choses évoluent, alors qu’ici on attend que cela, bref un tas de choses que l’on interdit là-bas et que quand tu réfléchis ici en voyant les gens, tu es obligé de revoir dans ta tête tout ce que l’on t’a enseigné avec trop de rigidité et sans explication aux Antilles. »
- Sentiment d’affaiblissement de la pratique
Cette relativisation des croyances héritée au contact de l’adventisme hexagonal va de pair avec l’adoption des pratiques autochtones pourtant initialement rejetées et à l’origine du choc initial. Conscient de ce glissement les individus n’hésitent pas, en référence aux pratiques adventistes des Antilles, à exprimer le sentiment qu’ils ont de l’affaiblissement de leurs croyances, tout en assumant leur changement de pratique comme l’indique la suite de notre échange avec Charles.
« Il faut avouer un truc. Ici on est quand même moins pratiquant qu’aux Antilles. On devient libéral. On porte des bijoux, on accepte un peu de travailler le samedi, on va danser du zouk, un tas de choses que l’on ne faisait pas en Guadeloupe. C’est peut être ce qui fait que maintenant on est moins regardant sur nous même. On arrive en retard à l’église, dès fois même je ne vais à l’église que pour le culte. S’il fait trop froid on reste au lit. Il faut avouer que la foi ici n’est pas ce qu’elle est aux Antilles où l’église est beaucoup plus active. »
L’évolution du rapport des migrants à l’adventisme hexagonal met en évidence les changements survenant chez l’adventiste antillais migrant en France. Au choc, voire au rejet, se succède une relativisation de ses propres croyances, support de sa première posture, pour ensuite, s’intégrer, s’accoutumer et devenir un acteur de la pratique hexagonale que jadis il rejetait. Paradoxe ultime, l’adventiste antillais, devenu désormais acteur de l’adventiste hexagonal, devient sujet à controverse pour les nouveaux antillais migrants.
Rapport entre adventisme autochtone et antillais dans l’hexagone
C’est dans le rapport entre pratiques religieuses antillaises et autochtones dans l’adventisme hexagonal, tel que les individus le représentent, que le chercheur peut dessiner les traits caractérisant chacune de ces traditions culturelles au sein de l’adventisme en France. Dans cette perspective, nous reprendrons brièvement quelques extraits d’entretiens avec les individus de notre échantillon, de tradition antillaise et autochtone, en vue de mettre en évidence dans leurs regards croisés, leurs particularités.
L’assiduité : un point révélateur
L’observation de la communauté lilloise permet de constater une différence entre la pratique religieuse des adventistes antillais et des adventistes autochtones, à partir de la fréquence à laquelle les individus se rendent au principal office adventiste, le culte hebdomadaire du samedi.
Malgré l’évidence de la prépondérance autochtone dans les fichiers, l’étonnement fut d’entendre les individus non membres du groupe et non adventistes, parler de la communauté lilloise comme d’un « groupe antillais ». Cette terminologie semble cependant décrire la visibilité sociale du groupe. Les autochtones, comparativement aux antillais, ont, du point de vue de la fréquentation du lieu de culte, une pratique religieuse moins importante.
Cette forte présence d’Antillais donne à l’adventisme autochtone une visibilité sociale en décalage avec les caractéristiques de l’ensemble de ses membres. Sans détour nous voulons indiquer par là le fait que l’adventisme lillois est perçu socialement comme un “groupe d’antillais” pour les individus rentrant en contact avec cette communauté.
La forte assiduité antillaise est le reflet d’un rapport particulier au groupement. Celui-ci semble définit dans un rapport de dépendance. Pour nos interlocuteurs Antillais, ne pas se rendre à l’office hebdomadaire est un acte traduisant un éloignement, un écart dangereux de l’offre doctrinale adventiste. Mais surtout, venir à l’église est central dans l’ascèse antillaise. Un véritable contrôle social s’effectue (prise de nouvelles, interpellation, encouragement...), surtout entre Antillais, de façon à se contraindre mutuellement à une forte assiduité, comme si toute absence serait la porte ouverte à un délaissement de la communauté. Il faut noter que l’assiduité traduit pour les Antillais, une source de bénédictions, voire de protections face aux « attaques de l’ennemi » comme nous l’indiquait 12 des 15 Antillais interrogés dans la communauté lilloise. Une assiduité est pour les Antillais un atout dans la relation avec la divinité.
A l’opposé de cette conception antillaise, les autochtones ont une relation avec le groupe moins marquée par l’idée de dépendance. Jacques, autochtone, ayant toujours été installé dans le nord, nous livre que pour lui, l’importance de la communauté réside dans les échanges qu’elle permet d’entretenir avec des membres. Cependant pour ce qui est de sa relation avec la divinité, sa foi, il note :
« C’est quelque chose de strictement personnel. Ce n’est pas parce que je ne viendrai pas à l’église comme le disent les Antillais que ma foi elle diminuerait. Evidemment il y a ce risque car je ne bénéficie pas des échanges, conseils, réflexions, d’autres frères. Mais il ne faut pas se borner là-dessus comme ils le font. L’église n’est pas un bouclier. C’est le Christ notre bouclier. Que font ceux qui sont sans église, dans des lieux où il n’y a pas d’adventiste ? Ils sont perdus à votre avis sans église ? Ils ne sont pas protégés sans église ? Alors pourquoi à chaque fois dire que l’église nous protège en sortant des versets par si par là sans prendre en compte la réalité de la vie. Moi je suis souvent malade, alité, je ne peux me rendre à l’église. Ais-je perdu la protection du Christ ? »
Ce point de vu affirmé par Jacques, explicite une ligne de démarcation entre vision antillaise et autochtone du rôle du groupe. Pour les Antillais, il faudrait que chaque membre ait une forte assiduité, car « abandonner son assemblée est un péché » qui « expose aux forces du mal ». C’est « dans l’église que l’on peut être en contact avec le Dieu protecteur. C’est sa maison », nous indiquait Aude, une Antillaise travaillant dans le nord depuis plus de 30 ans.
Cette idée de protection est quasi absente chez les autochtones adventistes. Uniquement 2 autochtones indiquent faire le lien entre leur présence hebdomadaire et leur ascèse. L’ensemble des autochtones définit la communauté comme « un lieu de partage », « un espace de solidarité », « des liens de fraternité », etc. Comme le montre cette rhétorique, la communauté est définie comme un espace d’échange permettant « l’encouragement », « la prise de nouvelles », « le soutien », « l’échange sur des points doctrinaux ». En aucun cas elle est approchée sous l’angle de la protection, à la différence des Antillais adventistes.
Le mythologique
Pour les autochtones la relation des adventistes antillais avec le groupe est définie comme « quelque chose de magique ». Cette approche autochtone de l’adventisme antillais en France se renforce quand on analyse l’apport des Antillais dans la mythologie adventiste hexagonale. L’insertion de personnages mythologiques et de médiateurs, une insistance sur les notions de malédictions, une place importante à l’interprétation des rêves, une lecture particulière de la mort, la forte croyance en la possibilité de jeter des sorts, sont autant d’éléments non exhaustifs, inconnus de l’adventiste français non Antillais avant le contact avec l’adventiste antillais, que véhicule ce dernier lors de la migration dans l’adventisme hexagonal [27]. Ici le constat est identique à celui que réalise Migerel (1987) concernant les pratiques magiques antillaise en France ou de Philippe Delisle (2000) au sujet du catholicisme antillais en France. Les adventistes antillais gardent d’importants éléments de croyances magico-religieuses en France, acquises aux Antilles. La notion de protection caractérisant la relation au groupement en est révélatrice.
Justine, comme plusieurs de nos interlocuteurs autochtones, indique la difficulté ressentie face aux éléments mythologiques véhiculés par les Antillais.
« Des fois j’ai du mal à suivre mes frères et sœurs des Antilles. Ils donnent l’impression que la religion, que l’église est quelque chose de magique. Ils ont beaucoup d’expériences de désenvoûtement à raconter. Toujours, toujours, plein, plein de miracles dont ils ont été témoins. D’ailleurs ces histoires se passent j’ai remarqué toujours aux Antilles, jamais en France quand ils les racontent. On aurait dit que pour eux Dieu agit là-bas plus qu’ici (...). Le plus compliqué pour moi et d’autres qui ne sont pas Antillais, et je suis très sceptique, c’est pour tout ce qui touche à des personnages surnaturels. J’ai même entendu un frère raconter qu’il avait vu en boîte de nuit une femme avec des pieds d’animaux (...). Mais il y a tellement de conviction, de sincérité dans le regard de celui qui raconte que moi je me tais. Mais je suis persuadée qu’il y a beaucoup de frères et sœurs, blancs, qui comme moi se disent qu’on est face à des mythes et rien d’autre. Si cela permet à nos frères des Antilles de se rapprocher de Dieu tant mieux. Pour moi ce serait mieux de s’approcher de Dieu, non par peur du surnaturel mais parce que l’on découvre son amour. »
Cette citation de Justine permet de noter l’incompatibilité que nous observons dans l’adventisme entre les croyances antillaises de type “mythologique” et les croyances autochtones du même type dans l’adventisme. Alors que les autochtones dévoilent dans les différents échanges qu’ils ont dans la communauté une croyance mythologique renfermant peu d’intervenants, (la divinité avec la trinité, les anges, le diable, les prophètes), les Antillais véhiculent comparativement un dense corpus de personnages mythologique (divinité avec la trinité, anges, diable, sorciers, zombies, êtres hybrides, etc.) et un rapport particulier aux rêves, considérés comme un lieu d’expression du surnaturel [28].
Les pratiques collectives
La forme de l’expression religieuse lors des rassemblements est également un élément différenciant adventismes antillais et autochtones.
Les Antillais déplorent constamment un manque d’expressivité chez les autochtones. Le qualificatif de « froid » est récurrent. Georges l’exprime brièvement ainsi :
« Ici les gens sont froids. Même dans l’église. C’est fou ! Les chants sont chantés sans entrain. Il faut solliciter les gens plusieurs fois pour obtenir leur participation. Les blancs viennent pour consommer c’est tout. Ils ne participent pas. On ne les entend pas. On est dans des églises adventistes où tout le monde peut agrémenter les cultes, mais eux donnent l’impression qu’ils sont dans des églises catholiques, ternes, mortes, et ne font que venir occuper les bancs. »
Guillaume, émettant une analyse similaire à celle de Georges, reste persuadé que la survie de l’adventisme en France est liée à la forte participation des Antillais. « Que feraient-ils si on n’était pas là ? Il n’y aurait pas de chant ? Les cultes ressembleraient à des enterrements ? Heureusement que nous sommes là [les Antillais] pour égayer » note-t-elle.
Les autochtones semblent confirmer un certain désengagement dans les pratiques religieuses collectives. Pour eux, la forte présence d’Antillais « antillanise » l’adventisme. Par conséquent, nombres adoptent une stratégie de retrait dans un sentiment croissant de minorisation. C’est ce qu’indique Eloïse.
« Les Antillais nous ont apporté beaucoup dans notre manière de louer le Seigneur. Des instruments, des chants gais, des poèmes, des cultes dans des parcs, un sentiment de faire partie d’une famille mondiale alors que nous sommes en minorité en France. Au début c’était plaisant. Il y avait un peu de créole par ci, un peu par là. Cela donnait une touche de couleur. Aujourd’hui des fois c’est le français qui devient une touche de couleur ! Les blagues dans les cultes, les conversations après le culte sont toujours en créole et nous qui sommes là et qui voulons que l’évangile touche les français autour de nous, nous sommes souvent perdus. On a l’impression de ne pas être en France. Le résultat de tout cela est que l’on ne sait plus comment, à quel moment des fois s’exprimer puisque l’on comprend pas ce qui est dit. Et puis on n’ose pas dire de ne pas parler créole car on sent que cela blesse. C’est ce qui fait que l’on préfère venir à l’église sans trop participer comme ils le font avec des chants et autres. Ce n’est pas qu’on ne veut pas, mais on a peur d’être bizarre, de détonner. Cela fait rire, mais oui c’est comme cela. Finalement c’est nous qui sommes du coin de la rue, et qui ne sommes pas de chez nous dans l’église ! Et oui. Aujourd’hui l’adventisme s’antillanise, c’est bien pour ceux qui viennent de la Guadeloupe ou de la Martinique. Mais pour nos concitoyens de métropole c’est vraiment un problème. Ils vont venir dans un endroit où il y a majoritairement des Antillais et où on ne parle pas français tout le temps. »
La participation des Antillais est plus importante que celle des autochtones aux rites adventistes, comme tous l’indiquent unanimement. Mais plus d’un simple effet dû à la surreprésentation antillaise, c’est l’usage antillais de la communauté qui explique cette divergence, et surtout le sentiment d’antillanisation qu’exprime Eloïse. En effet, comme nous allons maintenant le noter, le groupe est un lieu où les Antillais se réapproprient l’identité jusqu’ici refoulée.
Une reconquête culturelle
Nous avons évoqué plus haut le rapport paradoxal entre adventisme et société antillaise aux Antilles. Dans l’hexagone les formes que prennent les pratiques religieuses adventistes antillaises permettent de parler de réappropriation des éléments culturels antillais, desquels la même religion adventiste s’oppose aux Antilles.
- Le créole
Premièrement, on peut noter avec Eloïse une forte utilisation du créole. Le recours à la langue créole dans tous les échanges se fait spontanément. Elle l’est moins dans les rituels, mais y trouve sans difficulté sa place et est utilisée souvent sans traduction.
- Le musical
Les individus antillais pouvant participer aux différents rituels par des chants, n’hésitent plus à faire appel à des rythmes antillais. De plus en plus, paroles et musiques antillaises se diffusent. Lors de notre enquête au sein de l’église adventiste lilloise, nous avions observé des responsables Antillais organisant des séances d’apprentissage aux chants antillais, de façon à permettre aux autres membres de chanter sur les rythmes antillais. Ces chants sont très présents dans les programmes destinés aux jeunes et prennent une place de plus importante dans l’ensemble de la liturgie adventiste.
- Le festif
Dans le groupe, les Antillais n’hésitent pas également à s’inviter autour de traditions festives proscrites dans l’adventisme antillais comme Noël, dans le cadre de rencontres privées hors églises. Les fêtes sont redéfinies par les individus comme des « occasions d’être ensemble et de se retrouver entre chrétiens autour de notre culture ». Pour justifier cette réappropriation des fêtes antillaises, les individus dissocient le sens religieux du sens cultuel. C’est ce qu’indique Lucie, qui note « qu’en France on fait maintenant la différence entre le culturel et le cultuel ». Etayant son propos, elle rajoutait que « les fêtes ne sont pas seulement des choses qui ont un sens religieux. Elles nous font retrouver nos racines antillaises ».
Outre le cadre d’invitation touchant la sphère privée, les Antillais organisent de véritables programmes culturels à l’occasion de fêtes rejetées dans l’espace antillais par l’adventisme. Le cas le plus probant est celui de Noël, décrit comme « une occasion de se rappeler l’importance de la naissance de Jésus », « une chance de pouvoir remercier le Seigneur d’avoir envoyé son Fils au-delà de l’erreur de la date du 25 décembre », notait Dominique.
- Le corps
On assiste également de la part des adventistes, à une véritable réappropriation du corps qui dans l’adventisme aux Antilles, est défini comme une source de tentations. Ce mouvement touche principalement les femmes. Guillaume indique « qu’ici on découvre qu’on a le droit de se faire belle, et que cela n’a rien d’incompatible avec la Bible. Que ce soit pour la coiffure, les fards, des bijoux, les vêtements, on a le droit d’être coquette. C’est vraiment bien de se retrouver des fois entre Antillais, par exemple à Noël dont on parlait tout à l’heure, et de voir tout le monde bien coquet. On est aussi des hommes et des femmes, croyants pour autant »
La reconquête d’éléments culturels est un acte volontaire et raisonné des individus. Ces derniers sont conscients d’avoir accès, au sein de l’adventisme hexagonal, à des espaces d’expressions culturels auxquels ils n’auraient pas accès. Là, semble être le principal effet de la relativisation des principes de l’adventisme aux Antilles par les adventistes antillais dans l’hexagone. A ce sujet, les propos de Gérard sont des plus explicites.
« Ici on remet en question la vision de l’église là bas. Vraiment il n’y a pas de raison à ce que l’église empêche les antillais d’être en contact avec leur identité. La musique, les fêtes, sont des choses qui sont de notre culture et que l’on empêche aux gens de connaître. Quand tu t’installes ici tu te rends vite compte que si aux Antilles tu arrivais à faire sans, parce que finalement tout ce que l’on interdisait tu le voyais de loin, tu y étais quand même exposé constamment. Tu baignais de dedans. Ici tu es obligé de recréer les choses. On est pas chez nous et les choses de chez nous on en a besoin adventiste ou pas. On est des êtres humains qui ont vraiment besoin aussi de leur culture comme tous les gens qui viennent d’autres endroits et qui se sont installés en France. Et comme on est adventiste, différents des mondains, c’est bien que dans l’église on puisse avoir la possibilité de retrouver notre culture. »
Nous parlons de réappropriation d’éléments culturels, en comparaison avec le rapport qu’entretient l’adventisme aux Antilles avec la population Antillaises. De ce fait, il est important de noter que le phénomène mérite d’être observé dans son évolution, car aux Antilles également, un lent mouvement de réappropriation d’éléments culturels antillais semble s’effectuer. Comme le constatent Massé et Poulin (2000), l’apparition d’instruments de musique traditionnelle dans les églises et l’utilisation du créole, sont des indices permettant également aux Antilles de parler de reconquête culturelle, certes à un degré moindre que nos observations dans l’hexagone.
Le fait que le groupe devienne un outil de reconquête de la culture antillaise en France est loin d’être un effet voulu par les dirigeants adventistes. Beris (1992) note que les responsables adventistes épousent l’idéal républicain français en voulant gommer toute référence à l’identité antillaise. Le but recherché est celui de l’uniformisation culturelle. Cependant, malgré l’absence de stratégie visant à mettre en évidence la culture antillaise dans l’adventisme, la forte présence d’une diaspora antillaise semble inévitablement produire une grande expressivité de la culture antillaise dans l’adventisme français.
L’utilité politique du groupement
Si tous les individus s’accordent autour du but prosélyte du groupe à première vue, un échange approfondi avec ces derniers montre un clivage entre adventistes antillais et autochtones.
Pour les autochtones, le groupe doit d’abord être un instrument prosélyte permettant de sortir l’adventisme de la situation de minorité religieuse en France. C’est ce qu’indique Richard.
« Allez faites des nations des disciples ». C’est l’ordre que nous a donné le Seigneur avant de rejoindre le Père. Partager notre vision de l’amour avec nos concitoyens est la mission première de l’Eglise. Nous devons faire avancer l’adventisme en France. Pour moi c’est cela le rôle de l’Eglise.
Les autochtones insistent fortement sur l’aspect prosélyte du groupe, conformément au but officiel de l’adventisme (Conférence générale, 2000). Notant les difficultés à être dans un groupe minoritaire, les autochtones voient dans une plus grande diffusion de l’adventisme la possibilité d’accéder à une reconnaissance sociale.
Chez les Antillais le groupe est vu comme une structure devant permettre le renforcement des liens entre membres du groupe. Le groupe est perçu comme un espace d’expression de l’identité religieuse adventiste.
« L’Eglise est un rassemblement de croyants qui partagent la même foi. Le but de l’église est que les frères et sœurs puissent échanger, partager, pour que de l’extérieur les gens puissent voir comment nous sommes un peuple de personnes heureuses et bénies. C’est pour cela qu’il est bon de voir la communauté organiser des rencontres où nous sommes bien entre enfants de Dieu. C’est comme cela que notre identité d’adventiste s’affirmera pour nous, et pour ceux qui nous regardent. »
Une représentation du groupe comme espace d’expression et d’affirmation de l’identité adventiste pour les Antillais semble aller dans la continuité d’une réappropriation de l’identité antillaise. En effet, comment ne pas faire le lien avec les formes d’expression de l’adventisme, notamment dans sa liturgie, qui sont fortement marquées par la présence antillaise. De plus, cela correspondrait à un développement des actions du groupe vers l’intérieur, en direction des membres, à la différence de la représentation autochtone qui conçoit le groupe dans sa perspective missiologique.
Les représentations du groupe semblent chez les Antillais et les autochtones, répondrent aux impératifs de chacun de ces deux sous ensembles de l’adventisme. Dans la terminologie wébérienne (Weber, 1995 : 82-86), notons que les autochtones ont une représentation du groupe voulant développer des relations sociales ouvertes, c’est-à-dire tournées en direction des individus non membres du groupe. A la différence, les Antillais semblent, en écho à la réappropriation identitaire, développer des relations sociales de type fermées, orientées vers les membres du groupe.
Lors des réunions d’organisation du groupement, les représentations autochtones et antillaises de l’utilité du groupe se traduirent par une recherche d’activités différentes. Alors que les autochtones souhaitent l’organisation d’actions prosélytes, les Antillais prônaient le développement d’activités culturelles en direction des membres du groupe. En d’autres termes, les représentations différentes de l’utilité du groupe conduirent les autochtones et les Antillais à vouloir orienter l’action collective adventiste en France dans des directions différentes. Dans le cas lillois ces différences étaient si importantes qu’elles ont entraîné temporairement une scission de l’église locale en deux communautés, l’une à dominante antillaise et l’autre à dominante autochtone.
En guise de conclusion : cas particulier ou tendance générale ?
L’adventiste antillais migrant en France rencontre dans sa trajectoire deux types de rapport aux croyances adventistes. Aux Antilles il adhère à un adventisme rigoriste ayant un rapport paradoxal avec la culture antillaise. Dans l’hexagone, en France, il est en phase avec un adventisme ayant une lecture moins marquée par des interdits de pratiques.
L’adventisme français, préalablement conçu comme trop permissif, devient un espace d’expression où l’Antillais adventiste peut se réconcilier avec de nombreux traits de sa culture antillaise. Outre sa fonction strictement religieuse, l’adventisme devient un véritable lieu de réappropriation, de reconquête identitaire pour l’adventiste antillais en France. Ce constat amplifie la difficulté de l’adventisme à vouloir recruter des autochtones français, blancs, face au groupe qui socialement est perçu comme un groupe d’Antillais (Berris, 1992).
La “réconciliation” entre adventisme et culture antillaise est loin d’être une particularité liée à la migration. Indubitablement celle-ci l’amplifie et l’accélère. Mais comme le remarque Massé lors de l’actualisation récente de son enquête de la fin des années 70 (Massé, 2002), on constate aux Antilles françaises, l’introduction de pratiques (usage du créole dans les églises, introduction d’instruments traditionnels...) manifestant un mouvement de réconciliation entre adventisme et culture antillaise aux Antilles.
A la lumière des convergences entre adventisme et culture antillaise en France et aux Antilles, l’enjeu est maintenant de savoir s’il s’agit d’une tendance des mouvements protestants religieux millénaristes chrétiens qui entretiennent des liens marqués par des proscription vis-à-vis de la culture antillaise (Hurbon, 2000 : 309-354). Plus généralement, sommes-nous devant une recomposition du croire protestant antillais qui arriverait en France (Girondin, 2003) et aux Antilles, à se réapproprier son identité créole ? Aujourd’hui on peut être tenté de répondre par l’affirmative, mais seule l’accumulation de travaux et le recul historique permettront de fixer l’analyse.