Introduction
Ce travail se fonde sur une enquête de terrain menée de 2001 à 2006, durant laquelle j’ai accompagné des maréchaux-ferrants [1] dans leurs tournées quotidiennes, les observant exercer leur métier, tout en les écoutant commenter leurs pratiques et me livrer leur vision du monde professionnel. J’ai également partagé des week-ends prolongés et festifs de concours de maréchalerie, pendant lesquels j’ai aussi recueilli observations et discours sur les pratiques. Des entretiens de type biographique, menés auprès d’anciens maréchaux-ferrants, ont complété cette enquête. Au fil de celle-ci, j’ai été amenée en suivant les différentes pistes à parcourir plusieurs régions de France, car la profession est devenue relativement circulante, tel maréchal exerçant hier en Alsace se retrouve dans les Pyrénées, par exemple.
Dans ce texte, je m’attache à étudier le terrain particulier des concours de maréchalerie. Ils se déroulent dans un cadre associatif, en marge des activités lucratives du métier de maréchal-ferrant. Les techniques de forge y sont particulièrement mises en lumière, et « l’art de forger les fers [2] » y est célébré, alors que, dans le métier quotidien, la forge est quasi absente. Depuis des décennies, l’on ne forge plus en effet ni outils ni fers : dans les ferrages dits « ordinaires », des fers préfabriqués sont utilisés, au point qu’il se dit couramment dans le métier « qu’on peut être un excellent maréchal-ferrant sans savoir forger ».
Dans les concours, j’examinerai donc comment les techniques de forge sont montrées, voire exhibées, quels processus de mesures sont mis en œuvre, et avec quelles conséquences. La question du but de l’exercice de la forge pour le maréchal qui s’y adonne n’est ni univoque, ni pleinement claire dans toutes ses implications, ni a fortiori déterminante de sa pratique. Mais, au-delà de la description des pratiques, il s’agira d’en comprendre les enjeux dans le contexte plus large de la profession, d’examiner ce qui se joue dans la présence ou l’absence de la forge au sein des activités du maréchal-ferrant, selon qu’il participe ou non à des concours. Je questionnerai ce jeu de visibilité et d’invisibilité de la forge, apparemment absente dans le quotidien du métier, mais semble-t-il fondatrice de l’excellence professionnelle.
Il n’est bien entendu pas question de décrire le métier tout entier à travers ces pratiques de concours, mais elles sont l’occasion de s’interroger sur le statut paradoxal de la forge dans la profession. Cette mise en évidence ostentatoire de la forge dans les concours apparaît en effet comme un symptôme d’une situation problématique dans le métier.
I- L’exercice du métier actuel : la forge quasi absente
Une reconstruction du métier
Précisons d’abord que l’idée commune selon laquelle le métier de maréchal-ferrant a disparu est fausse. C’est plutôt son ancienne forme qui a disparu lors de la crise de la profession liée à la mécanisation des campagnes. En effet, au milieu du XXème siècle, le métier de maréchal-forgeron de village, ancré dans sa forge, rouage indispensable à l’activité agricole, se meurt. Le cheval jusque-là utilisé comme animal de travail est en effet progressivement remplacé par les machines agricoles ; le travail de forge faisant lui aussi défaut en raison de la fabrication industrielle des outils, les forges ferment.
Toutefois, dans les années 1980, l’effectif équin augmente dans un nouveau contexte de loisir, ce qui produit une renaissance inespérée du métier de maréchal-ferrant. Mais on a désormais moins besoin de forgerons que d’artisans capables de ferrer précisément (et à moindre coût) des chevaux de selle, de loisir, plus délicats que les chevaux de trait, d’artisans capables de compenser leurs fragilités et défauts d’aplomb. Ainsi, les pratiques de métier se sont reconstruites. Elles sont par exemple devenues itinérantes : un artisan actuel utilise son camion en guise d’atelier. Et il s’est spécialisé : finies les activités diversifiées de forge, le ferrage est devenu l’activité exclusive du métier.
La pratique dite « ordinaire »
Depuis des décennies, on utilise des fers préfabriqués en usine, retouchés au besoin. Cet ajustage, mettant en jeu certaines techniques de travail du fer dans le four à gaz fixé dans le camion (substitut de l’ancien foyer fixe de la forge), sont certes empruntées à la forge. Mais cela ne constitue pas la « vraie forge » [3], me dit un maréchal : la vraie forge consiste à forger entièrement un fer à partir du matériau brut, précise-t-il. Or, pour un ferrage dit « ordinaire », nul besoin de pratiquer la forge (« la vraie ») ; d’ailleurs, « les jeunes ne savent plus forger », dit-on couramment dans le métier.
Ainsi, le centre d’intérêt du maréchal est désormais le cheval, en particulier ses pieds. Comme l’indique un référentiel professionnel, un maréchal-ferrant est devenu « un professionnel dans le domaine des pieds du cheval ». Aussi, en une sorte de renversement, les activités ancestrales de forge, jadis fondement de l’exercice du métier, sont actuellement pratiquement invisibles, parce que quasi absentes des pratiques quotidiennes.
II- Les concours de maréchalerie : la forge au centre
Cadre historique
De tradition depuis le XIXème siècle, les concours de maréchalerie, suspendus à l’aube de la deuxième guerre mondiale, ne reprirent pas à la fin de celle-ci : c’était l’époque noire de crise du métier. Mais cette pratique reprit ici et là dans les années 1980 (période de la renaissance de l’activité), non sans luttes d’influence, dans un métier écartelé entre des tendances modernistes liées aux changements économiques et sociaux, et une tradition encore active. L’enjeu de ces luttes était d’être crédité de l’initiative de leur réactualisation, mais aussi de garder la main sur le modèle adopté : d’inspiration plutôt présentiste [4], ou bien selon des pratiques très axées sur la forge ? Des manifestations se firent concurrence, les unes sous l’impulsion de Franck Besson, maréchal formé aux techniques anglaises ; les autres sous la houlette de Roger Vissac, président du syndicat de maréchalerie de l’époque, très influent alors. Ce dernier explique qu’il lutta toujours pour que « la forge de tradition dans le métier » reste la base de la formation. Il se livrait d’ailleurs volontiers à des démonstrations de forge à deux marteaux [5], fleuron de la tradition, mais aussi technique très spectaculaire. C’est plutôt cette deuxième option qui a prévalu dans les concours, non sans évolutions.
Existence marginale
Les concours actuels donnent l’occasion aux maréchaux de se retrouver et de se mesurer à leurs semblables, dans des sortes de joutes, qui se déroulent dans une ambiance festive, le plus souvent lors de week-ends prolongés. Seule une minorité [6] de maréchaux s’adonne à ces compétitions (à peine 5 % d’entre eux) ; les artisans compétiteurs les plus assidus, installés, et des formateurs entraînent leurs apprentis, gonflant ainsi les effectifs ; on y rencontre aussi quelques étrangers. Des concours analogues existent en Europe et dans le monde, ainsi que des championnats de France, d’Europe et du monde. Par un système de points glanés à chaque concours, les mieux classés forment l’équipe de France qui dispute les championnats du monde de maréchalerie.
Ces manifestations sont très peu nombreuses (en 2005, cinq concours importants eurent lieu en France, trois à l’étranger, dont le championnat du monde, plus quelques compétitions par équipes). Elles drainent des concurrents venus des quatre coins de France. Ainsi, d’une compétition à l’autre, l’on retrouve grosso modo les mêmes participants, tantôt juges, tantôt concurrents : c’est ce que l’on peut nommer un tout petit monde. Une enquête sommaire n’en révélerait pas l’existence, il s’agit d’une pratique relativement marginale dans la profession : ces concours sont assez peu visibles, et n’attirent pas un très grand public, même si l’on y assiste à un véritable spectacle.
Ode à la forge
Pour ce qui nous occupe, on note peu de différences entre les concours nationaux ; les cas des concours de Mont-Dauphin en 2004 et de Gacé en 2005 sont à cet égard exemplaires.
Dans les deux manifestations, je suis frappée à mon arrivée par le spectacle des compétiteurs alignés, forgeant fébrilement des fers en une joyeuse cacophonie. Ce qui est visible (et audible) a priori, c’est donc bien le travail du fer. Et c’est bien un forgeron au travail que l’on observe le plus souvent dans la suite de la compétition, alors que, dans l’activité dite « ordinaire », un maréchal-ferrant utilise les fers préfabriqués en usine. Or sont bien visibles ici les transformations successives du métal brut : chauffé et rougi, frappé, étiré et tourné à l’aide de coups de marteaux répétés et précis, puis trempé dans le seau d’eau... Selon les commentaires d’un maître de forge lors d’un entretien (on nomme ainsi l’enseignant en forge dans une école de maréchalerie) : « c’est là qu’on voit le travail » ; « l’on voit la transformation du lopin de métal, les spectateurs peuvent mesurer le travail [7] et aussi admirer les gestes ». Et, ajoute-t-il, le public peut prendre plaisir à voir le feu, le fer rougi, à suivre l’évolution du métal chauffé, qui prend forme sous les coups de marteau du forgeron.
La forge est omniprésente dans ce contexte. Se succèdent en effet généralement cinq à sept épreuves (selon les catégories), dans lesquelles il s’agit quasi exclusivement de forge. Citons un concurrent : « dans les concours, sur cinq épreuves, il y a quatre épreuves de forge, et même quatre et demi, puisque la ferrure, c’est une épreuve de forge aussi ». Une unique épreuve est en effet consacrée au ferrage, c’est la seule qui ressemble à ce qu’un maréchal doit réaliser au cours de son travail quotidien. Mais les concurrents doivent auparavant entièrement forger leurs deux fers avant de les appliquer sur le sabot, ce qui en fait également une épreuve de forge. Un organisateur justifie cela par des considérations techniques (difficulté d’emmener le nombre de chevaux nécessaires, raisons de sécurité…). Cela suffit-il toutefois à expliquer ces pratiques ?
En effet, s’il est annoncé dans les concours qu’il s’agit « de faire progresser le métier au plus haut niveau » (je cite un cadre de la profession), c’est en faisant évoluer la forge. Elle y est conçue comme « l’essence du métier » ; sa place prépondérante n’y est jamais remise en question, alors que, dans le domaine des courses, des matières plastiques commencent à apparaître pour chausser le cheval. Ainsi, on observe un autre contraste, sur le plan synchronique cette fois : la forge, quasi absente des pratiques quotidiennes, est mise en lumière de façon centrale dans le cadre de ces concours.
La forge : un statut ambivalent dans le métier
La question du statut de la forge (« la vraie forge ») dans la profession m’a été très clairement posée, subitement et de façon véhémente, par un artisan qui se disait « maréchal de tous les jours ». Ceci, au creux d’un après-midi, alors que je l’accompagnais dans sa tournée depuis le petit matin sans interruption, dans un moment où il abandonna un discours un peu stéréotypé, soit par fatigue soit délibérément.
De façon presque rageuse, il me dit alors que, dans les concours, les stages de formation continue, et les examens professionnels, on pratiquait selon lui trop la forge, on lui donnait une place vraiment exagérée [8]. Il contestait sa légitimité comme critère d’excellence et revendiquait la possibilité pour un « maréchal de tous les jours » (comme lui) d’être reconnu comme excellent, sans pour autant être expert en forge. Cette forge, il la rejetait alors (non sans provocation) dans le domaine du loisir, l’assimilant à un sport, au sens anglo-saxon du terme. Selon lui, les compétiteurs « sont d’excellents forgerons, ils sont beaucoup forgerons » (…), « je n’ai rien contre les concours de maréchalerie, c’est ce que je dis, moi, je fais de l’enduro, et j’adore ça ! Après tout, chacun son sport… Mais les concours de maréchalerie, c’est absolument pas représentatif du métier qu’on a tous les jours ».
Et de se moquer des compétiteurs qui forgent tant et tant de fers : « Ils en ont des piles et des tas chez eux. Ils en placardent les murs de leur atelier ... ». Ces fers ne servent à rien d’autre qu’à s’entraîner puisqu’ils sont bien trop compliqués, dit-il, « ils sont imposables » (ie : impossibles à poser sur le sabot). À cette « forge des concours » qu’il disqualifie (« c’est taper de la ferraille »), il oppose ainsi « l’activité de tous les jours » qui, elle, est « utile » aux maréchaux pour l’exercice de leur métier. Pourtant, cette « forge de tous les jours »… « s’apprend sur le tas », alors qu’elle « devrait être enseignée dans les écoles », à la place de la « forge des concours ». Il oppose donc « le maréchal des concours » au « maréchal de tous les jours », en une sorte de typification endogène [9].
Pour exercer son métier, inutile selon lui d’apprendre la « vraie forge ». En effet, lance-t-il, dans l’activité ordinaire « on ne forge plus ! » ou très peu ; la preuve en est que les jeunes « ne savent pas forger ! ». Il est toutefois ambivalent, car il n’en admire pas moins cette forge dont il conteste la place [10].
III- Les concours : le dévoilement de la technique de forge
Se montrer et observer
Pendant toute la durée du concours, les épreuves se succèdent sans temps mort pour les spectateurs : les concurrents d’une même catégorie travaillent simultanément sous leurs yeux, dans un espace réduit, où trois catégories se succèdent (dénommées novice, intermédiaire, ou professionnelle), ce qui offre un temps de récupération aux concurrents. Ils discutent alors entre collègues — là, en spectateurs, ou à la buvette — et regardent d’autres compétiteurs. Ils y passent le plus clair de leur temps libre. Dans le public, des maréchaux ne perdent rien du spectacle. Cette organisation met ainsi les participants en situation d’échanger et d’observer.
Celui qui discute en se tenant devant les concurrents alignés, embrasse d’un coup d’œil les styles de chacun, les façons d’agir, les positions de corps, les gestes, les outils. Citons à cet égard un document du Haras du Pin, élaboré pour présenter un projet de concours : « les concours sont très instructifs sur le plan technique, et c’est bien là aussi l’un des avantages d’exercer un métier manuel, car le fait de regarder quelqu’un évoluer à la forge ou à la ferrure peut nous être d’une grande utilité tant sur le positionnement des mains que sur la façon de poser le fer sur l’enclume, afin de pouvoir reproduire les fers (ou leurs particularités) en entreprise ou lors d’un autre concours ». Le concours est ainsi le lieu d’une formation par l’exemple, où le spectacle des concurrents chevronnés dans un domaine sert aux autres ; même les plus avancés gagnent à prendre conscience de leurs erreurs à travers celles qu’ils repèrent chez les autres. Chacun peut s’imprégner des techniques employées : stratégies, choix, procédés, mais aussi gestes, postures de corps, tempo, ordre des opérations.
Fin du culte du secret
Ces concours, où chaque maréchal se met quasiment en scène, pour être vu dans sa pratique de forge, rompent avec une tradition du secret de métier : les secrets de forge. En effet, « les anciens transmettaient leurs secrets de métier sur leur lit de mort à leur fils et encore ! », me lance un artisan maréchal dont le grand-père était lui-même maréchal-forgeron. Dans les entretiens, « les anciens » m’ont été dépeints comme « brusques, bourrus », ils n’aimaient pas, me dit-on [11], échanger, persuadés qu’ils étaient que les techniques de forge traditionnelles étaient les meilleures. Ils me sont aussi décrits comme « jaloux de leurs tours de main », se cachant pour les exécuter. Ce portrait des « anciens » fait écho à une caractéristique présente dans les fondements mythiques du métier, à savoir les secrets initiatiques [12], transmis par voie héréditaire. La transmission du métier, en vigueur encore [13] au XIXème siècle, s’opérait le plus souvent dans la famille. Il importait de préserver les secrets de forge : c’était le fondement du travail, le bien le plus précieux. Au début du XXème siècle, cette transmission s’effectuait dans le groupe local : un patron sans descendance désireuse de reprendre la forge, vendait assez souvent sa clientèle à un ancien apprenti ou à un ouvrier qu’il avait initié, même si cela n’était pas une règle absolue. Ces usages ont disparu avec la crise de la profession. D’après un maréchal influent dans la profession, l’état d’esprit d’ouverture et d’échange, qui règne dans les concours, manifeste un réel progrès, et constraste avec le passé.
La situation actuelle semble donc paradoxale. En assurant, en quelque sorte, la réactualisation de l’ancien métier et des techniques ancestrales de la forge, menacées au quotidien, dans le cadre public des concours, les maréchaux actuels achèvent de rompre avec le mode de transmission de jadis. Fini le culte du secret, finie la transmission dans la seule proximité vécue comme « naturelle » (Salmona, 1994). Les concurrents montrent, et se montrent, exhibent leurs gestes. Ils dévoilent leurs « secrets de forge » à qui concourt, ou assiste en spectateur. Le message des meilleurs est : je montre, puis tu fais [14]. Celui qui s’initie met à profit cette courte parenthèse dans sa vie professionnelle, qui remplace un apprentissage par lente imprégnation, et a lieu dans ce cadre public, qui n’est plus celui de la famille ni de l’entourage proche.
Cette rupture est-elle toutefois si étonnante ? Antérieurement, les savoirs les plus précieux concernaient la forge. Les maintenir à l’abri des concurrents était un enjeu essentiel : elle constituait le cœur du métier, et ces secrets de forge circulaient avec les biens (l’atelier de forge accolée à la maison, la clientèle). Aujourd’hui, il n’y a plus d’enjeu à veiller jalousement sur eux, l’activité de forge étant devenue marginale dans le métier, et même de plus en plus menacée avec l’introduction des matières plastiques dans le domaine des courses. Il est donc devenu au contraire important d’y initier les jeunes dans les concours, de les convertir en quelque sorte à la forge.
IV - Mesurer cette part invisible du métier
Une appréciation qualitative
Dans ces concours, des appréciations pointant des valeurs circulent sans cesse : on parle de « bon maréchal », de « métier complet », de « bon pied », de « beau fer », de « bonne réalisation », de « maîtrise », d’« habileté technique », de « coup de main », de « coup d’œil ».
Le « bon fer »
Lors d’un concours (celui de Gacé), je demande à assister à l’évaluation. Voici ce que j’observe au cours de l’épreuve nommée « œil de lynx ». Il s’agit de forger en un temps limité un fer s’adaptant à un sabot, montré pendant 20 secondes seulement à chacun des candidats. Ceux-ci n’ont pas le droit de le toucher. Ici, c’est un prototype en bois reproduisant un sabot qui est présenté. Les deux examinateurs disposent tous les fers réalisés sur une longue table, leurs feuilles comportent les grilles d’évaluation, avec le « barème » (qu’il leur arrive de modifier s’ils le jugent mal fait). Ils n’ont pas accès au nom des candidats, mais au numéro noté sur le fer.
« Les meilleures réalisations », disent-ils, sont celles dont la forme et la taille s’adaptent le mieux au gabarit et qui sont les plus proches de la « perfection ». Ils commencent par trier les fers selon qu’il s’agit ou non du « bon pied [15] ». Certains concurrents se sont trompés de pied (gauche au lieu de droit), ce qui leur vaut une note nulle. En voyant les erreurs nombreuses, on prend conscience de la difficulté. Des fers ne s’adaptent pas, d’autres ont la bonne forme, mais non la bonne longueur, ou dépassent trop du gabarit, ou sont trop petits, etc. Les juges tiennent compte du forgeage, de l’étampage (ie. la place des trous). Les clous doivent pouvoir entrer dans chaque trou, et ceux-ci ne doivent pas tomber à l’extérieur du sabot lorsqu’on y applique le fer : c’est la « bonne place » de la garniture, c’est-à-dire le débord du fer. Les juges évaluent aussi la place des pinçons, la perfection des soudures, et la finition : un fer doit être très lisse, ne plus porter la trace des coups de marteau.
Les juges apprécient et remarquent rapidement tout cela d’un « coup d’œil », mais ils s’aident aussi du toucher pour mieux estimer la finition : on les voit caresser les fers de la main, les tourner et les retourner, manifestant ainsi l’importance des divers sens dans la formation du jugement. Les critères eux-mêmes sont qualitatifs : la « technique », la bonne place, la bonne forme, l’aspect lisse, la perfection, la beauté, le « bon travail », la finition, l’esthétique, etc.
Le « bon maréchal »
Une certaine conception de ce qu’est un « bon maréchal » semble partagée dans ce contexte. Un artisan ex-compétiteur, formateur, faisant partie des cadres de la profession, décline ainsi ce qu’il doit savoir :
- maîtriser la forge, en particulier, être capable de forger les fers : « être capable de forger les fers, et de les poser sur le cheval, c’est ça l’épanouissement du métier, du métier complet, car ceux qui ne le savent pas sont handicapés, ils sont limités aux produits manufacturés. Ils n’ont pas la liberté que donne la compétence, et ils sont limités. Pour certains problèmes, ils auront du mal ».
- posséder une bonne connaissance du cheval dans son ensemble, dans son approche, dans sa contention.
- posséder une bonne connaissance anatomique et biomécanique du doigt du cheval et, si possible, de l’ensemble du corps du cheval : « il faut focaliser sur le doigt, ses articulations, comment ça fonctionne, et quels sont les éléments anatomiques sollicités, en fonction des gestes et des allures, etc. », poursuit ce responsable de formation continue. Ainsi, le « bon maréchal » doit se montrer capable d’activer, selon les situations, les compétences que possède le forgeron, le podologue, et l’homme de cheval, selon un modèle du « métier complet ».
Le « métier complet »
Voici ce que nous dit à son propos un responsable proche du milieu des concours :
« Les concours sont basés sur la recherche de la dextérité, il s’agit de tendre vers l’apogée du métier, d’affiner le métier à son maximum. Car le métier à la base, c’est de la forge appliquée sur un cheval. Car pouvoir acheter des fers mécaniques, fabriqués en usine, c’est un raccourci. Faut pas dire qu’il est glorieux ou pas glorieux de le faire, mais les gens qui aiment vraiment leur métier à fond, ils vont dire : « moi je préfère forger des fers pour le cheval, pour un cas…
-
Est-ce qu’il est en danger le métier complet ?-
Non, je ne pense pas, surtout grâce à ces compétitions d’ailleurs, surtout grâce à ces compétitions. Plutôt que de bricoler des fers mécaniques pour les transformer [dans le cas de fers thérapeutiques], ils les forgent complètement… »
Examinons ce propos : « le métier à la base, c’est de la forge appliquée sur un cheval ». La forge est conçue ici comme l’essence du métier, malgré les changements intervenus. Voyons comment cette position est justifiée : tout maréchal-ferrant incapable de forger lui-même ses fers serait certes un professionnel, peut-être même excellent dans son domaine, dans la maréchalerie dite « d’entreprise », la pratique « ordinaire », entendue comme un domaine restrictif. Mais c’est un professionnel incomplet, qui ne peut s’adonner à toutes les activités parfois requises, même si elles sont rares ; il n’aurait pas la liberté de choix que donne une compétence (Stroobants, 1993 ; Dupray et alii, 2003) dans toutes les facettes possibles du métier. Si le besoin se fait sentir d’une forme particulière de fer, pour un ferrage spécial ou thérapeutique, il est contraint d’en commander un, d’une forme approchante. Il n’a pas la liberté de le forger comme il veut, et quand il le juge utile. Il ne peut pas donner tout son sens à son métier, ni en avoir une vision suffisamment globale, estime-t-il enfin.
Ainsi, au-delà des savoirs de forge sauvegardés, recyclés, affinés et transmis dans le cadre des concours, c’est une définition du métier qui est défendue et propagée. Celle d’un professionnel, capable de mener toutes les opérations nécessaires au ferrage d’un cheval, du début à la fin de la chaîne, depuis la forge du fer (production), jusqu’à sa pose sur l’animal (action), et qui est donc autonome par rapport à la production des fers industriels [16]. Que le bon professionnel doive maîtriser à la fois les techniques de forge, dans toute leur complexité, et celles du ferrage dans toute leur finesse actuelle, est une manière d’installer le modèle du métier complet comme le seul qui vaille, et l’unique manière de progresser dans le métier. La complétude de métier est ainsi posée comme le modèle d’excellence, avec la forge pour critère discriminant.
Si chaque définition du métier engage une hiérarchie spécifique entre les savoirs du feu et les savoirs de l’animal, tous les degrés s’observent entre ceux qui assurent que « pour faire un bon maréchal, il faut avant tout être un bon forgeron », ou qu’au contraire « un maréchal peut être excellent sans savoir forger ».
Une évaluation quantitative
En compétition, le problème est toutefois de rendre mesurables ces qualités. Les juges arbitres des concours et les organisateurs s’y efforcent, en précisant et en hiérarchisant les critères, en établissant des barèmes situant leur importance relative, même si la mesure est toujours le produit d’une appréciation sensitive et qualitative.
Examinons le poids relatif des notes : les considérations techniques suffisent-elles à expliquer la nature, la répartition et surtout les coefficients des épreuves ? Un barème précis affecte ces épreuves de coefficients (notation sur 520 à Gacé). Si l’épreuve la moins valorisée est la forge artistique (30 points, soit 5,8 % du total), le ferrage, bien que bénéficiant du plus fort coefficient (110 points), ne représente que 21,6 % de la note finale puisqu’il s’agit de la seule épreuve de ce type. Et, si l’on tient compte du fait que l’épreuve de ferrage comporte aussi un exercice de forge (forge des fers avant leur pose), le barème affecté au ferrage (à l’exclusion de la forge) ne constitue que 17,3 % du total. Dans les autres épreuves, les maréchaux se livrent à la forge en vue de fabriquer des fers, selon différentes modalités. Une étude quantitative montre ainsi qu’environ 80 % des coefficients sont consacrés à la forge (dénommée la « vraie forge »).
V- Les concours ou l’installation d’une hiérarchie dans le métier
Un clivage au sein des pratiques
Pour les participants réguliers, la vie professionnelle et familiale s’organise en fonction des concours : les temps de loisir et de travail s’adaptent au rythme des compétitions. Y participer nécessite en effet un entraînement régulier, intensif et spécifique, en dehors de la journée de travail [17], dans un véritable atelier comportant une forge à charbon : ce n’est pas dans son activité courante qu’un artisan peut parfaire les techniques de forge « au programme ».
Aussi, un compétiteur doit investir de façon importante en temps, énergie, matériel (atelier nécessaire, frais divers). Ceux des « maréchaux du quotidien », selon l’expression de l’un d’eux, qui désireraient pratiquer la forge, assurent qu’ils « n’ont pas le temps », qu’ils sont « saturés de boulot » et « empilent les ferrages ». Trop occupés par le « travail ordinaire » à gagner leur vie, ils ne peuvent se permettre « le luxe », selon leur terme, de participer à ces manifestations. Ainsi les « maréchaux des concours » sont en faible nombre. Essayons alors de comprendre pourquoi un maréchal peut y engager autant d’énergie.
« Déjà, ils nous regardent, nous les maréchaux qui ne forgeons pas, comme ça, en disant "çui là, c’est pas un bon !" », me dit l’un d’eux. Ces concours installent un clivage non seulement dans les définitions du métier, mais aussi entre des pratiques.
Fabrication d’une élite
Les organisateurs avancent un certain nombre de motifs pour justifier l’intérêt de ces concours. Ils les présentent comme un moyen de progresser techniquement, de faire progresser le métier, de l’amener « au plus haut niveau [18] ». Il s’agit selon eux également,de préserver la tradition de forge (notamment à Gacé), de la maintenir vivante, et de restaurer une convivialité. Mais il n’est jamais explicitement dit que c’est une façon d’accéder à un statut de spécialiste, cela n’est pas apparent. Or, nous allons voir que ces concours fabriquent aussi une élite professionnelle par le savoir supplémentaire que ce groupe détient, qui échappe ainsi au statut ordinaire.
- Pouvoir institutionnel
Une analyse des organisations montre que cette minorité d’adeptes de la forge possède de l’influence et les clés du pouvoir institutionnel. La forge est enseignée aux jeunes par des formateurs (nommés maîtres de forge) qui, le plus souvent, font ou ont fait partie de ce petit monde des concours. Ce sont souvent d’anciens compétiteurs, qui interviennent dans la formation continue. Certains d’entre eux ont transformé ou élaboré les règlements des examens professionnels (BEP, CAP, BTM) et des concours de maréchalerie. L’influence, voire le pouvoir, de construire les référentiels de formation, les types d’épreuves des examens, de réglementer, donc de définir la profession n’échappe pas à cette minorité-là, puisque les plus mobilisés d’entre eux siègent dans les institutions professionnelles (notamment syndicales). Ils prennent ainsi part aux décisions, ce qui engage également la politique de la profession. Ils ont notamment œuvré, avec d’autres, pour qu’existe une loi réglementant l’exercice de la profession en 1996.
- Logique de distinction
Les maréchaux-ferrants, qui se distinguent particulièrement dans la pratique de la forge (alliée à une grande connaissance à tous points de vue de l’animal et de son pied), acquièrent de ce fait une réputation d’excellence, plus spécifiquement pour le ferrage orthopédique, qui nécessite la confection de fers sur mesure. Savoir forger est nécessaire pour pouvoir fabriquer entièrement n’importe quel prototype de fer pour des ferrages d’extrême précision, orthopédiques ou thérapeutiques. Suivant cette qualification reconnue dans la profession, ils appliquent des tarifs supérieurs à la moyenne pour ces actes, qui ne se pratiquent eux-mêmes que si l’animal (généralement de course ou de sport) possède une certaine valeur. Ils ont alors l’opportunité, selon leur degré de compétence en orthopédie et leur notoriété, de se constituer une clientèle de propriétaires de chevaux plus fortunés. Outre l’intérêt accru et le plaisir pris au travail lui-même [19], fréquenter une clientèle choisie peut être gratifiant, de même que le fait d’accéder au statut de spécialiste, comme en médecine. Ne pas être contraint de multiplier les actes permet une certaine qualité de vie, alors qu’un « maréchal de tous les jours », selon la formule de l’un d’entre eux, « empile [20] les ferrages ordinaires ». Un maréchal peut échapper à la condition de généraliste, à la multiplication des actes et à la fatigue associée, en mixant à divers degrés les deux sortes de ferrages, l’« ordinaire » et le « spécial », avec des tarifs différents, selon le type de clientèle et ses besoins.
Du point de vue économique, il y a certes un intérêt matériel à facturer plus cher un acte, mais il demande aussi plus de temps qu’un ferrage ordinaire, donc il n’est pas certain qu’il soit réellement rentable de ce point de vue. La dimension financière de la pratique de forge ne suffit donc pas à rendre compte de ces pratiques des concours. Au mieux, elle n’est qu’un élément parmi d’autres.
- Question de considération
Le travail, quand il est considéré comme une œuvre de spécialiste, permet de bénéficier d’une plus grande reconnaissance, et d’un certain prestige. Après les épreuves des concours et les différents échanges, une hiérarchie s’opère, qui couronne les meilleurs. Elle tient aux résultats, mais aussi à l’attitude de celui qui transmet le plus ses savoirs de forge et qui, en les montrant prouve qu’il les maîtrise. A Mont-Dauphin, au début de l’épreuve appelée « l’ordonnance vétérinaire », prétexte à un travail technique difficile, j’ai observé des pratiques étonnantes dans un contexte de compétition. Dans une discussion organisée, sorte de briefing précédant l’épreuve, un concurrent donne des indications techniques à ses collègues. C’est un maréchal très reconnu en forge (appelé monsieur). Il me racontera d’ailleurs plus tard une anecdote le montrant en train de signaler une erreur à un concurrent qui le talonne dans le classement et qui, de ce fait, le dépassera. Il considère que cela ne le met pas en danger, à la manière du maître qui initie, et serait comme hors concours.
Le ou les maîtres de forge [21] sont admirés et reconnus dans ce cadre, ce qui a des effets sur la profession entière. « Ces gens sont très influents, aussi dans les écoles, parce qu’on les regarde avec de gros yeux comme ça parce qu’ils sont maîtres de forge » : ainsi s’exprime avec agacement, en mimant l’admiration, les yeux écarquillés, le témoin maréchal qui contestait précédemment de façon virulente la place de la forge. Mais ce statut particulier des maréchaux possédant une grande maîtrise de la forge est peu contesté, en dépit des clivages existant dans la profession. Il semble que le prestige du maître de forge agisse encore, transmis par des « courants de mémoire » (Halbwachs, 1997), attachés à l’ancienne mémoire du métier [22].
Il n’est pas question de montrer qu’il s’agirait avant tout pour les maréchaux d’accéder ainsi à certains marchés. Outre que la rentabilité n’est pas certaine, la gratification financière (facturer plus cher des actes spéciaux) est à comprendre comme la conséquence d’une surqualification reconnue et assumée, plutôt que comme un but en soi. Serait-il alors question d’accéder aux quelques postes d’enseignants en forge dans les écoles de maréchalerie ? Cela ne peut pas non plus suffire à expliquer les efforts fournis. Ces postes sont certes un titre de fierté pour qui y enseigne, souvent d’ailleurs en complément d’une activité d’entreprise. Y accéder montre surtout que la profession reconnaît leur maîtrise de la forge.
Si l’on reprend les catégories élaborées par Hughes (Hughes, 1996b), l’activité de forge a souvent été considérée comme la part noble, représentant la dignité du métier, sa part idéale, à l’inverse du « dirty job » représenté par le ferrage, qui entre aussi en rapport avec la « part sale » du cheval : ses pieds, en contact avec le sol et le fumier [23].
Transmuter le fer par le feu suscite l’émerveillement des plus blasés des maréchaux. En témoignent, dans bien des entretiens menés auprès d’anciens maréchaux la pratiquant quotidiennement, les notes d’admiration, la précision des termes employés, le ton de la voix quand il s’agit de l’évoquer. En témoigne aussi la véritable passion avec laquelle en parlent certains des maréchaux actuels, participant aux concours, et la place (déraisonnable aux yeux de certains) qu’ils lui accordent parfois [24]. A contrario, le ferrage est souvent évoqué en des termes techniques moins précis, avec un ton moins enthousiaste ; il est question parfois de dégoût : « le ferrage, à la fin, ça m’dégoûtait », me dit un ancien maréchal de village. De façon plus contemporaine, un maréchal actuel m’a confié qu’il souffrait de se sentir « déconsidéré », parce qu’on voit les maréchaux, me disait-il, comme des artisans qui « sentent le crottin », toujours penchés « sur les pieds du cheval pour les curer ».
Finalement, comment comprendre que ces concours continuent à exister sous cette forme et la somme considérable d’énergie dépensée par certains pour y participer, en apprenant, selon leur expression, « l’art de forger des fers » dans un métier qui le délaisse ? Il semble que ce soit dans l’interconnexion de logiques d’intérêt (dans tous les sens du terme, y compris l’intérêt pour un travail plus plaisant), de pouvoir, de considération, de prestige, de jeu, de sociabilité festive, et de reconnaissance, qu’on puisse chercher l’explication de cette perduration de la forge. La gratification matérielle n’est que l’une des dimensions, nullement décisive ; il convient de ne pas négliger, en particulier, le désir de s’émanciper du statut « ordinaire » très dur d’un métier en mal de reconnaissance.
Conclusion : Rendre visible l’invisible
Dans une sorte d’inversion, la forge — la « vraie forge », celle qui permet de fabriquer entièrement un fer à partir d’un lopin — , apparaît (sur-valorisée) dans ces concours alors qu’elle est quasi absente dans la majorité des activités dites « ordinaires » du métier. Cette inversion vaut aussi sur le plan diachronique [25]. Autrement visible dans toutes les forges de village, l’activité de forge n’est plus exercée que par une frange des maréchaux.
Ainsi, la profession a organisé la mise en visibilité d’une part doublement invisible du travail, aujourd’hui mise en lumière par un spectacle alors qu’elle est, non pas seulement invisible autrement, mais quasi inexistante. Absente du travail « de tous les jours », la forge n’est plus guère pratiquée. Or les concours lui redonnent une existence : même lorsqu’ils se livrent à une activité « ordinaire », les experts (les maréchaux faisant partie de l’élite) sont réputés activer leur maîtrise de la forge ; elle serait à l’œuvre, de façon souterraine, jusque dans leurs actes « ordinaires », puisque, quels que soient les problèmes posés par les ferrages quotidiens, ils ne peuvent jamais faire comme s’ils ne la possédaient pas.
Cette interprétation peut toutefois ne pas suffire à expliquer toutes les pratiques lors des concours, en particulier la mise en scène en un spectacle public des techniques de forge, pourtant jadis si difficilement partagées et si jalousement cachées. Il peut s’agir aussi de sauvegarder une technique fondatrice, aujourd’hui menacée d’oubli. Enfin, la définition du métier est aussi en jeu, avec l’idée d’un « métier complet », garant de l’excellence.
Ces concours peuvent ainsi participer d’une fabrique de l’élite professionnelle à usage interne, étant entendu que le public des concours, bien qu’averti, ne contribue pas à la consécration des maréchaux d’excellence. Sont en effet couronnés par leurs pairs, selon des critères affinés, des concurrents qui se sont perfectionnés, qui ont intégré des savoirs jadis fondamentaux touchant à la transformation de la matière par le feu, et ce, afin d’être reconnus comme maîtrisant l’art de forger les fers. Cette reconnaissance concourt à établir une hiérarchie dans le métier. Elle installe un clivage non seulement dans les pratiques effectives, mais aussi de statut entre les maréchaux « du quotidien » et les spécialistes reconnus. On ne saurait en tous cas ranger de telles pratiques dans le domaine du folklore. Ce serait aussi radicalement méconnaître la dimension vivante de cette pratique : la forge est ici une tradition en acte. Forger n’est pas commémorer abstraitement, mais perpétuer des savoirs et des pratiques effectives, qui se déploient aussi dans certaines activités professionnelles lucratives.
La reconnaissance ainsi offerte ne peut être conférée sans fondement ; elle s’enracine dans les courants mémoriels qui accordent à cette pratique ce statut si particulier et continuent à irriguer la profession. Mais que la forge soit invisible, voire inexistante, au quotidien, ne lui permet que mieux d’être investie, au-delà même des moments festifs des concours, comme le critère discriminant et palpable de l’excellence professionnelle.