Enjeux de mémoire à propos de l’affaire Schlumpf à travers un objet particulier, un film. 1977-2007

Résumé

En 1977, dans une filature de laine du Haut-Rhin, les machines sont arrêtées, le personnel est licencié, la liquidation prononcée. Quelques mois auparavant, le 26 juin 1976, leurs propriétaires et patrons, les frères Schlumpf annoncent qu’ils sont prêts à céder leurs entreprises pour le franc symbolique afin de se consacrer à leur musée automobile qu’ils espèrent bientôt ouvrir à Mulhouse. Mais le personnel des filatures les devance en l’occupant et en l’ouvrant au public le 6 avril 1977. Une équipe audio-visuelle se rend alors sur les lieux du conflit. Des images seront tournées puis mises en circulation dans l’espace public avec différents points de vue : militant, scientifique, politique. Cet article exposera comment, à chacune de leur diffusion/restitution, ces images prennent des statuts et des significations différentes suivant les cadres d’énonciation choisis, et leur inscription dans l’espace et le temps. Ce propos donne sens à ce qui peut apparaître comme une véritable entreprise de détournement des mémoires ouvrières : la domination culturelle s’est substituée à la domination économique. L’édification de la Cité de l’Automobile – Musée national - Collection Schlumpf par les collectivités territoriales, confrontée à l’enquête menée auprès des salariés des filatures entre 1977 et 2007, témoigne de la violence de cette substitution. Le film « Du Musée National de l’Automobile (collection Schlumpf) à la Filature de Laine Peignée de Malmerspach (Haut-Rhin) » traverse cette histoire.

Abstract

"Memory and evidence in the « Schlumpf Affair » : the role of film. 1977-2007".
In 1977, in a wool factory in the Haut-Rhin region (North-East) of France, machines were switched off, employees were fired and the company was liquidated. A few months earlier, on June 26, 1976, their owners, the Schlumpf brothers, had announced their intention to give away their company for a token in order to focus on their pet project : opening a new car museum in Mulhouse. However, the company’s employees took the upper hand, taking over the museum and opened it to the public on April, 6, 1977 in order to protest the closing of the factory. Upon learning about the protests, a video team went to Mulhouse to make a documentary film about the events, and publicized the footage in order to elicit political, scientific and activist discussion around the conflict. This article aims to describe how the meaning of these images changed as a function of the context of their publicization and their relation to space and time. My purpose is to probe what might appear as an attempt to nullify the collective memory of the working class, substituting cultural domination for economic domination. The creation by local governments of The City of the Car, a national museum based on the Schlumpf collection, despite the inquiry led among the employees of the factory between 1977 and 2007, reveals the violence of this substitution. The movie « Du Musée de l’Automobile » (Schlumpf collection) at the Filature de Laine Peignée of Malmerspach (Haut-Rhin region, North-East of France)” tells this story.

Sommaire

Table des matières

« Nous dédions ce musée à notre chère maman.
Ses fils reconnaissants Hans et Fritz [1]. »

« Et nous, les travailleurs, nous dédions ce musée à toutes celles et à tous ceux qui par leur sueur, et par leur sang parfois, ont créé de leurs mains cette immense richesse que les frères Schlumpf leur ont volé en trente années d’exploitation » [2].

Des ouvrières dans l’un des ateliers de la filature, avec deux enfants :

« On voyait que ça n’allait pas bien… mais après, ça a repris de nouveau vous voyiez, et puis on a eu confiance de nouveau, et puis ainsi de suite… et même à la fin… »
« On espérait toujours »
« On espérait toujours, on dit c’est pas possible une usine qui marche… pas toujours mais enfin toujours ça marchait, ça marchait, ça marchait, c’est pas possible, ça ne ferme pas. Nous, on ne demande pas le chômage, c’est de travailler, mais vous devez avoir une chance inouïe si vous trouvez une fois passée la quarantaine, dans toute la vallée, y a rien… Où c’est que vous voulez aller ? »

Une ouvrière à l’atelier de retordage :

« Mon mari travaille, mais il travaille à Wesserling, et c’est aussi une usine de textile et ça commence aussi à foirer. Il y a des problèmes aussi, je ne sais pas si ça tiendra encore longtemps, c’est pour cela que je tiens à travailler, c’est normal, mon mari gagne pas 3000 ou 4000 francs, il a 2000 francs si tout va bien. »

Une autre ouvrière d’origine italienne :

« C’est une honte de prendre le travail à 50 ans, où que vous voulez qu’on aille maintenant. Et les enfants, ils ne vous demandent pas si le patron il est parti ou pas parti, ils demandent s’il y en a sur la table à manger. Et alors ? »

Introduction

De nombreux obstacles ont jalonné la production comme la diffusion du film « Du Musée National de l’Automobile (collection Schlumpf) à la Filature de Laine Peignée de Malmerspach (Haut-Rhin) » [3]. A un moment donné, j’ai ressenti le désir de communiquer sur sa genèse et son histoire. Comment ce film s’est-il construit ? Comment se sont nouées les rencontres et forgées les amitiés ? Comment se sont exprimés les antagonismes ? De quels enjeux mémoriels est-il porteur ?

En même temps, je conduirai dans cet article une analyse du dispositif de production cinématographique et scientifique, à partir des maquettes successives du film [4] qui ont été élaborées avec les occupants de ces deux espaces qu’étaient les filatures [5] et le musée. Quelles en ont été leur restitution et leur réception ? Quel public ont-elles rencontré au cours des différentes périodes ?

Cet article emprunte trois regards – qui sont autant de postures – généralement dissociés : celui de la militante, celui de la réalisatrice, celui de l’ethnologue qui fait un retour sur sa pratique pour proposer une réflexion sur la construction mémorielle de cette histoire particulière et la mettre en perspective à travers quatre espaces/temps que nous nommerons ACTES pour les circonscrire chronologiquement.

ACTE I. 1977-1978 : inscription des maquettes n°1 et n° 2 dans le mouvement audio-visuel d’intervention sociale et politique.

ACTE II. 1989-1994 : du travail militant au travail scientifique.

ACTE III. 1990-1998 : premières diffusions régionales.

ACTE IV : Au-delà du film, une réhabilitation qui fait tranquillement son chemin.

Toutes les images ont été tournées entre 1977 et 1978 à la filature de Malmerspach et au Musée des Travailleurs. D’autres seront tournées en 2007 sur le site de la friche de la filature à Malmerspach (vallée de Saint-Amarin, Haut-Rhin) et à la Cité de l’Automobile à Mulhouse. Les extraits choisis, insérés dans le texte, appartiennent à ce corpus.

Ce que raconte ce film

Ce film est une page d’histoire ouvrière et sociale d’une vallée alsacienne autrefois dominée par l’industrie textile. Ultime représentation de la vie à la filature et du rapport au travail, objet du patrimoine industriel textile, il participe aujourd’hui à la construction mémorielle de l’affaire Schlumpf. Ses protagonistes tracent en creux le portrait de ces industriels qui ont su à la fois se faire aimer et haïr de leur personnel dans cette vallée du Haut-Rhin. Il analyse leur politique salariale et sociale, il dévoile cette image du patron-père nourricier et du « bon génie de la vallée » à laquelle les salariés osent s’affronter avec leur syndicat. Des ouvrières expliquent face aux machines arrêtées l’organisation du travail à laquelle elles étaient soumises. Pour appuyer leurs propos, elles renouent avec la gestuelle de leur métier. Ces savoir-faire, les patrons des filatures n’en ont pas reconnu la richesse. Ils auront comme projet la fermeture des usines de leur groupe [6] pour se consacrer à leur musée, le « Musée Schlumpf », l’œuvre de leur vie. [7]

Des ouvrières manifestent à Mulhouse - 1976. Photo : Anonyme
Des ouvrières manifestent à Mulhouse - 1976
Photo : anonyme.

La filature de Malmerspach n’est plus

Il reste la collection Schlumpf, produit de la richesse créée par le travail.

Le musée qui l’abrite prendra successivement la dénomination : « Musée des Travailleurs » (1977) [8], « Musée National de l’Automobile » (1982), « Musée National de l’Automobile » (Collection Schlumpf) (1989) et « Cité de l’Automobile - Musée national - Collection Schlumpf » (2006).

Le temps de l’image

Il convient de préciser la genèse de ces images et le contexte de leur production. Au cours de la décennie 1970-1980, de nombreux conflits portent sur le salaire au rendement, le système Bedaux [9]. L’organisation du travail qui en découlait provoquait des divisions au sein du personnel, avait des conséquences sur la santé, etc. La suppression de ce système apparaissait pour certains comme la revendication ouvrière principale [10]. Porteur d’une revendication autogestionnaire, le groupe « Les Cahiers de Mai » [11] avait développé des pratiques d’enquête ouvrière qui consistaient « à élaborer des textes collectifs avec les ouvriers et ouvrières d’entreprises de différentes branches pour organiser et développer l’action revendicative, et les faire circuler à l’intérieur d’une même usine et d’une usine à l’autre, jusqu’à les populariser » [12]. Ces textes contribuent à la liaison et à l’information directe entre travailleurs et au développement autonome du mouvement ouvrier. En effet, l’idée qui sous-tend cette pratique est la suivante : « il existe un point de vue unitaire parmi la classe ouvrière sur tout ce qui touche à ses rapports à la production, au-delà des rivalités syndicales. A travers ces luttes, s’ébauche le visage du socialisme de type égalitaire auquel aspirent les travailleurs et la solution politique d’ensemble sans laquelle toutes les luttes sociales actuelles, aussi fortes soient-elles, continueront à rester sans lendemain » [13].

Sur cette base un collectif audio-visuel lyonnais [14] se crée pour enquêter avec un nouvel outil, la vidéo [15]. Cette technique de tournage est plus légère, plus mobile, moins coûteuse que le cinéma. La souplesse que permettent ces machines - enregistrer sons et images synchrones - avec restitution immédiate de l’enregistrement, est un facteur déterminant de la pratique militante et favorise le travail collectif d’élaboration et de réalisation.

Pour cette enquête, l’équipe de tournage, dont je faisais partie, était formée de deux à quatre personnes qui cadraient, prenaient le son et menaient les entretiens.

ACTE I. 1977-1978 : Inscription des maquettes n°1 et n°2 dans le mouvement audio-visuel d’intervention sociale et politique.

Enquête exploratoire : maquette n°1

Tournage dans le musée occupé

Cartes postales vendues par le syndicat pour la solidarité - 1977 Le Musée des Travailleurs à Mulhouse. © UR CFDT, 1977.
Cartes postales vendues par le syndicat pour la solidarité - 1977 Le Musée des Travailleurs à Mulhouse. © UR CFDT, 1977.

Le 7 mars 1977, alors que les usines vont être fermées et le personnel licencié, des syndicalistes pénètrent illégalement dans le Musée Schlumpf [16] puis l’ouvrent au public. Pour signifier l’exploitation qu’ils avaient subie, des salariés ont immédiatement apposé sur des voitures des panneaux indiquant leur prénom, leur ancienneté et le montant de leurs salaires. Ce ne sont plus les voitures qui sont exposées, c’est le rapport qui les lie aux ouvriers. Des kilomètres d’allées baptisées « Avenue Carl Schlumpf », « Avenue Jeanne Schlumpf », « Rue Royale » sont remplacées par de nouvelles plaques portant les noms des filatures. En avril 1977, alertés par la presse nous tournons des images de cette immense collection exposée dans cette ancienne usine qui fut vidée puis transformée en musée et qui est à présent occupé par les salariés en lutte.

Un syndicaliste C.F.D.T. questionne une ouvrière de chez Glück (Mulhouse), une des filatures du groupe Schlumpf :

« Vos impressions du musée ? »

« Qu’est-ce que vous voulez savoir ? C’est tout autre chose que l’usine. On préfèrerait être au musée point de vue fric. C’est comme quand on voit quelque chose de surnaturel. On ne pouvait plus parler, c’est tout. Si on dit qu’on a fait la faillite là et qu’ici il y a une richesse, ça il faut l’avoir vu. Et les salaires qu’on avait. On savait qu’il y avait un musée, mais il faut le voir pour le comprendre. »

Après quelques jours d’enquête, notre équipe quitte Mulhouse pour Malmerspach là-haut dans la vallée de Saint-Amarin où vient d’être occupée l’usine-mère, berceau de l’empire industriel construit par les frères Schlumpf.

Tournage à Malmerspach : première parole ouvrière

Alors que tous les projecteurs sont restés braqués sur le musée occupé, nous nous ancrons sur le terrain de la filature de Malmerspach - notre équipe menant l’enquête dans les coulisses sous l’œil vigilant de la Section Syndicale d’Entreprise (S.S.E.), C.F.D.T., l’unique syndicat.

Un premier plan-séquence [17] de trente minutes est tourné dès les premiers jours d’occupation, en avril 1977 ; l’échange est riche, sept ouvrières prendront tour à tour la parole, elles sont d’ateliers différents, de nationalités différentes, d’âge différents. Nous n’avons pas encore pénétré dans les ateliers, nous ne savons pas comment se fabrique le fil, ni comment est organisée une filature. Elles nous parlent du travail, des salaires, de leurs patrons, de leurs impressions du musée etc. Une première diffusion de cette parole les familiarise à leur image, à notre présence.

Le syndic nous autorise ensuite à filmer les ateliers sous le contrôle d’un contremaître qui, au cours d’une visite marathon, nous explique le trajet suivi par la laine jusqu’à devenir du fil. Nous suivons tant bien que mal les différentes opérations techniques. En fait, plutôt mal, puisque nous filmons tout à l’envers au grand amusement des ouvrières à qui nous projetons ces images dans la salle à l’entrée de la filature.

Enfin, c’est dans cette salle - où les ouvrières se retrouvent quotidiennement, jouent aux cartes, boivent le café ou tricotent - que nous menons des entretiens informels, avec ou sans caméra [18]. Un groupe de trois ouvrières accepte de parler du travail au rendement [19], du mode de calcul du salaire. L’une d’elle, qui travaille depuis 26 ans à la filature, raconte la période précédant l’arrivée des chronométreurs qui ont calculé de nouveaux temps sur de nouvelles machines. C’était avant que les voitures anciennes n’arrivent par train spécial à la filature. Une autre poursuit en disant que tout le monde en avait marre du rendement.

Tournage à Malmerspach : de la salle de réunion à l’atelier

Nous voulons accompagner l’émergence de cette parole des femmes, dans leur rapport quotidien à leur travail, à leurs machines. Nous leur proposons alors de nous expliquer elles-mêmes leur travail dans leur atelier, devant leur machine. Deux ouvrières acceptent de nous accompagner. L’une refusera d’être filmée. C’est une ouvrière d’origine italienne qui, la première, fera devant la caméra les gestes qu’elle ne sera plus jamais amenée à refaire. Elle nous parlera longuement de ses conditions de travail, plus brièvement, elle évoquera les conséquences du travail sur sa vie familiale.

A son poste de travail, l’ouvrière d’origine italienne devant sa machine arrêtée :

« On a toujours travaillé, on s’est dépêché pour faire des mètres et des mètres, mais on ne savait pas à combien on devait arriver. Cela fait 15 ans au mélangeage que je travaille. J’ai travaillé 6 ans au peignage, et maintenant le peignage c’est fermé. Et après le peignage, j’ai travaillé au mélangeage. Ca fait 21 ans que je travaille ici. J’ai commencé à 17 ans là-dedans. Des fois on aurait dit, comme si c’était à moi le travail. Je le prenais à cœur comme ça. Parce que le travail, c’était vraiment dur. Les bobines, ça fait 7 à 8 kg. Alors il faut monter chaque bobine, chaque machine. Alors ça fait 32 bobines. Une heure, une heure et quart, il faut les remonter à nouveau. Alors dans la journée il faut compter 8 heures, alors il faut compter 6, 7 fois pour monter les machines et avec 2 machines ça fait quand même du travail. Alors, quand on est rentré à la maison, c’est fini. Claquée. Et après il fallait finir, nettoyer, recommencer. Alors il fallait nettoyer une et laisser marcher l’autre. Alors là il faut le faire, il faut courir d’un côté à l’autre. Des fois je veux dire on n’avait même pas le temps d’aller aux W.C. pour faire les kilos, pour les gagner les sous qu’on avait. »

Pour nourrir notre d’enquête, nous rassemblons du matériel sur :

  • L’historique de la lutte à partir des journaux locaux, régionaux et autres, des tracts syndicaux (C.F.D.T.) et d’autres tracts ; à partir d’affiches, de photos et de prises de position officielles,
  • L’histoire des frères Schlumpf, en consultant une série d’articles publiés dans les D.N.A. [20] (Dernières Nouvelles d’Alsace) à partir du 14 avril 1977 et autres titres régionaux.

Montage de la maquette n°1 (d’une durée de trente minutes)

A l’issue de toute cette phase d’exploration, au cours de laquelle nous serons aussi embarqués au côté des salariés dans différentes actions, nous nous attaquons au montage. Cette première maquette, fruit d’un montage sommaire, était nécessaire afin de rendre compte de la raison de notre présence.

Cinq séquences s’enchaînent de façon thématique :

  • Dans la vallée : manifestation, avec rappel historique sur la filature et appel à des actions à venir.
  • Devant le musée et la foule de visiteurs rassemblés : prises de parole des syndicalistes.
  • Dans le musée : prises de parole des ouvrières, des visiteurs.
  • Dans la filature occupée : paroles d’ouvrières sur le rendement et leurs conditions de travail.
  • Evocation des frères Schlumpf qui laissent leur personnel sans travail.

D’une parole à l’autre, d’un lieu à l’autre, les premières images tournées sur le site de la filature sont montées parallèlement aux images tournées dans le musée occupé où ouvriers et ouvrières ont mis en scène leur rapport au travail. Elles alternent avec d’autres, où des syndicalistes accueillent les visiteurs avec des discours emphatiques, où d’autres ouvriers – rompant la loi du silence [21] - expliquent comment ils ont été amenés à travailler à la restauration des voitures. Les frères Schlumpf sont dépeints comme les héros de la vallée à qui les salariés pouvaient tout demander, sauf de l’argent.

Restitution de la maquette n° 1

Cette étape de restitution en interne est décisive. Notre façon de travailler est rendue visible et il s’ensuivra des échanges : sur nos intentions, sur nos idées, sur notre pratique ; et sur ce que notre équipe a compris de leur situation.

La pratique d’enquête avec la vidéo avait provoqué une dynamique entre les acteurs eux-mêmes. Cette forme de double contrôle nous a permis d’élaborer les grandes lignes de la maquette n°2 et les tournages à venir avec notre caméra complice du collectif ouvrier [22].

Poursuite de l’enquête : maquette n° 2

Rendre visible l’accumulation de la richesse

Le scénario de la maquette n°2 s’élaborera selon le même dispositif que précédemment, entre le musée et la filature. Il sera enrichi par des images tournées au cours d’actions et de manifestations, et par des images de la vallée.

Le parti pris, pour le tournage des scènes d’atelier, est celui de l’entretien individuel. Le guide d‘entretien sera construit en référence aux enquêtes ouvrières des Cahiers de Mai auxquelles nous avions participé [23] et à partir de quelques ouvrages théoriques.

Notre intention est de construire un point de vue, de documenter le réel : montrer et démontrer le mode de calcul du salaire au rendement et ses conséquences. Rendre visible la façon dont s’est constituée la plus-value matérialisée sous la forme d’un musée.

Pour y répondre nous introduirons deux nouveaux axes de réflexion : d’une part, sur la stratégie industrielle du groupe, les rapports entre les usines de production et le circuit commercial. D’autre part, sur les politiques sociales que menaient ces industriels.

Tournage dans les ateliers de la filature

A la suite de la diffusion de la maquette n°1, d’autres femmes accepteront d’être filmées. Nous préparons les tournages dans la salle de réunion, et une ouvrière après l’autre plongent avec nous au cœur de la filature arrêtée, silencieuse, vide du bruit des machines.

Tous les ateliers ne sont pas représentés [24]. Chaque ouvrière occupe l’écran entièrement, soit en plan rapproché, soit en plan moyen pour que soient saisis dans le même cadre la posture, les gestes et la machine. Chacune détermine la production de sa propre représentation. Des panoramiques et des travellings décrivent les zones opératoires. Il s’agit d’appréhender au plus juste la situation. La parole des ouvrières est précise, comme le sont leurs gestes. Leur force de travail est transmutée en force de parole qui s’écoule comme un trop plein alors que la filature est arrêtée, et que le fil ne se dévide plus, symbole de mort. Elles ont encore dans leur corps, inscrite, la mémoire des gestes et de la posture. Dans l’intimité de la filature, elles nous font don de leur travail, de leur réflexion et de leur vie passée ici, dans le bruit et la poussière.

A l’image, chaque parole singulière et les différents points de vue s’enrichissent et se répondent dans un ensemble polyphonique. Tout au long de ce processus de co-élaboration et de production de connaissances, apparaissent des contradictions. Une forte esthétique émane de ces images d’ouvrières qui pensent leur rapport au travail.

A son poste de travail l’ouvrière d’origine italienne devant sa machine arrêtée :

« On était bête comme ça à penser de dire « oh ! faut faire ça sinon on n’a pas de paie ». Mais pour quelques centimes de plus à l’heure, et à la fin des 8 heures, on pouvait tout de suite rentrer et aller au lit. Des fois, on était énervé même avec les gosses, et tout, quand on rentrait avec le mari. Je ne recommencerai plus à travailler au rendement. »

L’ouvrière qui aide les filles de machine :

« On n’est pas au rendement nous les aides. Je ne voudrai pour rien au monde travailler comme au rendement ! Moi je suis aide et ça me plaisait comme ça, même celles au rendement elles sont exploitées, elles s’imaginent que quand elles vont vite, quand elles vont vite, elles vont gagner plus, ce n’est pas vrai. Ils veulent absolument que le boulot sorte et puis c’est tout. Elles ne sont pas payées comme elles devraient être payées pour le boulot qu’elles fournissent. »

Sur le site de la filature déserté que nous arpentons au cours de ce mois de mai 1977, la caméra engouffre rubans de laine, bobines à moitié pleines, chariots abandonnés, sans oublier les tacots stockés dans les entrepôts, et qui ne seront jamais restaurés. Atmosphère particulière qui se dégage de toute cette vie encore présente, de ces immenses bâtiments, désormais silencieux. Immuable, coule l’eau du canal construit par le fondateur de la filature en 1840.

Tournage au domicile des délégués de la filature

Au système du salaire au rendement, déjà traité dans l’enquête exploratoire, s’ajoutera une réflexion sur la vie à la filature, avec les hommes [25] de la S.S.E, qui accepteront d’être filmés à leur domicile. Ils sont au plus près de cette affaire Schlumpf et de ses implications économiques, sociales, juridiques et politiques, depuis la création du syndicat en 1960 et même bien avant. Leurs épouses seront présentes. L’un est ouvrier professionnel (O.P. 2), homme à tout faire à la filature, il circule partout et « a tout vu du matin jusqu’au soir ». Il nous entraînera dans l’histoire de la filature, la suppression des renvideurs [26] remplacés par des femmes aux continus, la liquidation des ateliers, la politique salariale des patrons et le circuit commercial mis en place entre les usines de production. L’autre est manutentionnaire après avoir travaillé comme trieur. Il évoquera son parcours professionnel, son engagement syndical et la construction de sa maison. Nous les retrouverons dans une autre séquence avec une ouvrière déléguée pour évoquer la gestion des ressources humaines pratiquée par la direction Schlumpf : répression syndicale, pas de réembauche des femmes si elles sont membres du syndicat, déclassement et baisse des salaires, chantage au logement, politique d’embauche du personnel d’encadrement non qualifié. En pendant à cette politique répressive, les fêtes de Noël et autres manifestations, organisées par les patrons, exercent une réelle fascination sur le personnel.

Tournage d’autres images

Nous filmons des scènes évoquant la vie quotidienne des ouvrières dans la vallée, d’autres scènes d’occupation dans le musée (comme la fête du Premier mai 1977, la collecte, etc.) et dans la filature, des actions dont certaines sont spectaculaires (comme la mise à feu d’un vieux tacot à Thann, le 12 mai 1977, suite à l’annonce de la fermeture des filatures).

Montage de la maquette n°2

Le générique de début s’ouvre maintenant sur des images de la manifestation « vallée morte » qui s’est déroulée dans la vallée de Saint-Amarin le 6 avril 1977 et introduit la question de l’emploi qui se posait à ce moment-là.
La séquence du musée reprend une grande partie des images de la maquette n°1. La partie du salaire au rendement - le cœur de la maquette - est organisée en six temps, à l’aide de six cartons :

  • Jamais la même paie… D’un mois à l’autre, d’une ouvrière à l’autre, d’un atelier à l’autre.
  • On ne gagne pas beaucoup plus en travaillant en rendement qu’à l’heure.
  • Qui gagne le plus ?
  • Explication du système Bedaux [27]
  • Travailler toujours plus pour gagner plus ?
  • Si le salaire au rendement est supprimé, celles qui gagnent le plus auront toujours peur de gagner moins.

Un chronomètre introduit les trois premières séquences et les sous-séquences en suivant l’ordre du processus de transformation des rubans de laine peigné au fil. Ne seront retenus que les éléments qui sont opératoires pour démonter le mécanisme du système Bedaux dans un montage très serré qui accélère le rythme de travail.

La stratégie industrielle qui vise à détourner l’argent en toute légalité sera évoquée à travers le circuit commercial des marchandises ainsi qu’à travers les montages juridiques, économiques et financiers des opérations fictives menées à l’intérieur du groupe Schlumpf. Enfin la politique sociale des industriels sera dénoncée par les salariés eux-mêmes.

Diffusion de la maquette n°2 à la filature [28] : l’image est connaissance, l’image est pensée

« Des femmes, on y voit que des femmes » s’exclameront des responsables syndicaux lors de la projection de la maquette n°2. Elles sont là tellement présentes qu’elles sortent de l’écran, leurs paroles s’enlacent, se répondent, s’opposent, elles se complètent. Elles-mêmes sont fascinées, impressionnées par leur propre image, leur propre parole, elles sont subjuguées par l’image panoptique de l’activité de la filature qui ne leur a jamais été donnée de voir [29]. Ces images sont bien le résultat d’un processus d’élaboration en commun, qui n’est pas un déjà-là. Elles ne sont pas traduites, ni médiatisées, elles ne sont ni la parole des dirigeants syndicaux, ni celle des politiques, ni celle d’experts du conflit. Elles disent le travail et le hors champ du travail. Un responsable syndical s’écriera « c’est ce qu’on a dit pendant des années, c’est notre action depuis si longtemps… Mais ce n’est pas pareil de le voir comme ça à l’écran ! ».

C’est toute la force émotionnelle du cinéma qui fera reconnaître la place essentielle des femmes dans le processus de production au rendement, qui crée une plus-value - source financière et sociale majeure de la collection Schlumpf - qui est ainsi donnée à voir.

Un film pour les ouvriers et ouvrières qui travaillent au rendement

Pour nous, cette version n°2 que le collectif ouvrier appelle « notre film » doit favoriser l’information et la discussion entre les salariés de la filature. Elle doit également circuler auprès d’autres entreprises du groupe où est instauré le système Bedaux. Et en dehors du groupe Schlumpf. « C’est en confrontant leurs points de vue sur leurs pratiques et leurs stratégies respectives que les acteurs peuvent faire évoluer les situations de travail. Filmer le travail c’est donc aussi créer des lieux, des espaces où cette controverse soit possible » soutient René Baratta (2009 : 123)

En novembre 1978, une formation est organisée à la demande de la S.S.E. pour le personnel licencié qui continue par ailleurs d’occuper le musée. C’est une opportunité qui se présente de pouvoir projeter la maquette n°2 devant l’ensemble des salariés qui suivra ce stage. A la suite de son visionnage devant un comité restreint [30], le verdict tombe. Le directeur de l’organisme de formation objecte qu’« il est trop long », qu’« il risque d’être traumatisant pour le personnel de Schlumpf ». L’image de salariés, présentée dans la maquette, qui refusent de reprendre le travail dans les mêmes conditions qu’auparavant n’a pas été du goût des responsables de la formation.

Nous avions atteint une partie de nos objectifs : donner la parole à ceux que les différents pouvoirs réduisaient au silence. L’autre mission du cinéma militant - diffuser ce document audio-visuel comme facteur de transformation des conditions de travail - avait échoué [31]. Notre pratique d’enquête filmique supposait une prise en charge commune de la diffusion. Mais le collectif ouvrier était occupé par bien d’autres actions prioritaires. De plus, nous n’avions guère été soutenus par l’organisation syndicale départementale et régionale dont nous ne nous étions jamais réclamés. Notre interlocuteur est toujours resté la S.S.E. de la filature et le collectif ouvrier.

ACTE II. 1989-1994 : du travail militant au travail scientifique

Les années ont passé, les syndicalistes ont rendu les clefs du musée, la gauche socialiste est au pouvoir, la collection de voitures a été rachetée par l’Association du Musée National de l’Automobile de Mulhouse. Notre collectif s’est dissous. Je suis devenue monteuse dans les stations régionales de FR 3 et d’autres sociétés de production. C’est alors qu’en 1989, je rencontre le vidéothécaire de la bibliothèque de Mulhouse, il est à la recherche de documents audio-visuels évoquant la vie dans les vallées d’Alsace. Et pourquoi pas celui sur l’affaire Schlumpf ? C’est avec émotion que je glisse la cassette dans le magnétoscope, je guette le déclic caractéristique de son chargement. Ce document était le dernier de notre activité militante, point d’orgue politique de toute une époque. Alors surgissent ces visages que je n’avais, bien sûr, pas oubliés. Me voilà projetée dans le passé, le musée, la filature, la route de la vallée, le café arrosé de schnaps au petit matin, les nuits au musée et les folles parties de chariot quand nous faisions les travellings. Je retiens ma respiration, guettant mon voisin, suspendue à ses premiers mots. « Fantastique époustouflant, il faut remonter, terminer ce document qui doit faire partie du patrimoine alsacien, c’est notre mémoire régionale. Je n’étais pas à Mulhouse quand l’affaire a éclaté, je n’avais jamais vu le musée ainsi ! ».

Grâce à un premier soutien financier de C.O.R.D.I.A.L. [32], je reprends la maquette n°2 comme source de travail, je m’aperçois qu’elle présente de gros défauts techniques. Je visionne également le plan-séquence et la maquette n° 1 et je constate qu’on avait écarté de nombreuses images qui prennent alors toute leur dimension scientifique. S’ouvre une autre perspective : celle de reprendre tous les rushes pour faire un nouveau montage. L’idée est séduisante, et à partir d’octobre 1989, je réalisais un nouvel objet grâce à un apport financier et institutionnel [33]. Ce soutien constitue une première légitimation à toute cette histoire qui était là, qui ne demandait qu’à sortir en plein jour. Ce film qui nous avait tant préoccupés représentait pour moi l’aboutissement de notre engagement politique et de toute une pratique militante. Pouvoir rendre tout ce qui nous avait été donné. C’est un travail que je voulais solitaire, un face-à-face avec le passé. Au fur et à mesure qu’étaient transférées [34] et montées les images sur la bande-mère, elles prenaient leur place dans l’histoire.

Inscription du film dans l’espace scientifique : nouveau questionnement

Tout en remontant le film, je m’interrogeais sur cette histoire, sur celle de cette vallée rurale et industrielle. J’envisageais alors d’enrichir ce travail par une recherche [35] ethnologique sur les changements technologiques et les formes de sociabilité à la Filature de Laine Peignée de Malmerspach. Elle nécessitait une autre enquête de terrain, et surtout de collecter des récits de vie. Je me suis trouvée très vite confrontée aux limites de ma posture de réalisatrice [36], ayant eu des contacts privilégiés avec des anciens syndicalistes de la filature et j’ai dû abandonner ce projet. C’est le film qui est devenu lui-même objet de recherche [37] à part entière, créant un nouveau terrain, permettant la formulation d’un nouveau questionnement. Comment un film issu d’une pratique militante pouvait-il changer de statut pour devenir un film ethnologique, un film qui dirait quelque chose de la mémoire ouvrière, de la culture technique industrielle, du patrimoine social et culturel d’une région ?

Discipliner le regard, se forcer à la distance

Je m’étais fixée deux règles, la première : ne pas me laisser distraire par de nouvelles images, par de nouvelles situations. Remonter le film uniquement avec les documents dont je disposais. Ne pas en introduire d’autres, d’une autre nature, afin de maintenir la cohérence du film. Difficile exercice de déconstruction du réel observé, filmé et monté et de sa reconstruction.
La seconde : ne pas rentrer en contact avec les protagonistes du film, alors que je brûlais d’envie de savoir ce qu’ils étaient devenus depuis toutes ces années. Me forcer d’abord à la distance physique.

Après la règle, suit l’exception ! Le seul contact que je me suis autorisée, c’est celui avec un des ex-délégués [38] de la S.S.E. de la filature, Armand Klingelschmidt, et de sa femme. C’est à lui que j’ai annoncé en novembre 1989 que je remettais la maquette n° 2 sur le banc de montage. C’est avec lui que j’ai pris un nouvel engagement. Il m’avait cru disparue, il s’est immédiatement inquiété du film (maquette n°2). « C’est notre film » a-t-il affirmé de nouveau. Pour moi, la caution était suffisante. Il se souvenait et le revendiquait encore comme celui de leur lutte. Je l’ai retrouvé à Colmar pour en discuter et j’étais à ses côtés, le 16 novembre 1989, à la Cour d’appel, où se poursuivait la bataille juridique [39] entre la C.F.D.T. et M. Fritz Schlumpf.

Mon premier travail a été de visionner tous les rushes après les avoir transférés sur un nouveau support, réécouter tous les sons, attentive aux significations cachées, aux contradictions gommées pour les besoins de la démonstration du travail au rendement. Me laisser surprendre par des phrases jugées jusqu’alors insignifiantes. Bref, questionner à nouveau ces matériaux filmiques grâce à ce nouveau regard pour construire une histoire, pour la raconter.

Donner à voir un nouvel espace de sociabilité

A partir du 7 mars 1977, le musée avait été occupé, nuit et jour, pendant 744 jours [40]. Tout s’était joué dans cet espace associant le musée à la filature, lieux producteurs de paroles, d’initiatives, de conflits, bref un espace public à part entière riche d’une nouvelle sociabilité, fondateur d’identités collectives et individuelles. S’y étaient déplacés les rituels de l’activité domestique, échanges de recettes culinaires, travaux manuels, nouvelles de la famille et du voisinage, histoire familiale. Toute la vie avait été désorganisée pour être réinvestie dans ces nouveaux espaces devenus publics. Nous avions eu un accès privilégié au système de représentations du collectif ouvrier de la filature.

Seront réinsérées :

  • des images d’occupation de la filature où l’activité était intense, comme la scène de tricotage ;
  • des images du car de ramassage [41] de la filature utilisé par les ouvrières pour se rendre au musée à Mulhouse ;
  • des scènes évoquant la vie dans la vallée : une ouvrière qui va chercher son enfant à l’école, une autre qui fait le café, d’autres qui prépare la terre pour un semis de carottes, circule à bicyclette, s’approvisionne auprès de la camionnette qui ravitaille le village.

Construire de nouvelles séquences

Certaines parties que nous avions ébauchées dans la maquette 2 seront traitées avec de nouvelles informations et de nouveaux évènements recueillis au cours des dix dernières années :

  • sur l’action syndicale et sur les nombreuses actions en justice ;
  • sur les mécanismes de constitution du capital grâce au gigantesque détournement de fonds auxquels se sont livrés les deux industriels des années durant, provoquant la faillite de leurs entreprises ;
  • sur les représentations du musée qu’en ont des salariés ;
  • sur le générique de fin.

Par exemple, il me revenait d’historiciser davantage l’occupation du musée. J’avais compris que le musée devenu Musée National de l’Automobile en 1982 était devenu muet d’une partie de son histoire. Enlevés les panneaux sur les voitures, supprimée la dédicace des travailleurs, effacé le mur sur lequel était inscrit « propriété des travailleurs », et disparue toute cette foule [42] qui accourait vers les grilles du musée.
Il s’agissait aussi de problématiser le rapport de ses occupants au projet du Musée des Travailleurs. Il était apparu une ambiguïté entre identité culturelle (les Alsaciens) et identité sociale (le salariat) qui avait fait débat au sein des travailleurs, comme l’expriment deux ouvrières :

Une ouvrière immigrée d’origine italienne, à laquelle répond une ouvrière alsacienne :

« Nous on s’en fout du musée, on ne connaît pas la valeur de la voiture, la valeur des pièces et tout ça, c’est beau à voir et c’est sorti de la poche des travailleurs et des travailleuses qui ont toujours travaillé au rendement et le jour où l’on aura le travail, qu’est-ce qu’on en aura à foutre du musée, ils n’ont qu’à le prendre, qu’il soit le public, le patron, qu’il soit à l’Etat, si seulement il nous donne le travail, c’est tout. Nous voulons rien d’autre que travailler. »

« Le musée, il doit rester en Alsace, il ne doit pas partir de l’Alsace parce que ce sont les Alsaciens qui l’ont construit avec leur salaire ».

Enrichir la maquette n° 2

Au moment de la première enquête, seuls les éléments opératoires pour la construction de la maquette n°2 avaient été montés. La démonstration était pesante, didactique. Des phrases brèves, des remarques rythment maintenant cette version :

« C’est un sacré boulot » ;
« C’est uniquement grâce au musée qu’on est populaire… » ;
« On savait qu’il y avait quelque chose, mais on ne savait pas quoi exactement… » ;
« Le patron n’aimait pas donner aux ouvriers » ;
« On savait qu’il y avait des difficultés » ;
« Moi-même j’ai fait partie de l’orchestre de la filature… » ;
« Au début c’était formidable, qu’est-ce qu’ils ne faisaient pas les Schlumpf pour les ouvriers » ;
« Le patron il a toujours plus que l’ouvrier, ça c’est normal, mais fermer les usines et ouvrir sa richesse, ça ce n’est pas logique de sa part ».

Elles fonctionnent comme des virgules, apportent des informations complémentaires, complexifient la réalité, nuancent le parti pris tout en le renforçant, suscitent de l’émotion. On saisit mieux l’ambiance de la filature, on comprend mieux la colère qui a conduit les salariés de la filature à séquestrer leurs patrons et à occuper le musée… tout en préservant le cœur du film, fruit du dialogue entre notre équipe et les occupants de la filature.

De la même façon, je me suis attachée à rendre l’articulation entre le musée et la filature, et l’articulation des ateliers entre eux plus efficace. Le parti pris du montage a été de renforcer la rapidité des gestes et des paroles. Une série d’effets permet de glisser du musée à la filature et de la filature au musée. De glisser d’un atelier à l’autre. A la division des ouvrières entre elles, des ateliers entre eux succède le musée qui se dévoile dans toute sa globalité et sa splendeur. A un univers éclaté, à un temps compté succède un espace panoptique [43] où le temps semble s’être arrêté, éblouissant de lumière, que le regard embrasse dans sa totalité.

Au cours de cette période solitaire recluse dans le studio, j’ai des moments de doute terrible en « noir et blanc ». C’est une confrontation avec ma démarche militante, avec un cinéma « au service des masses ». Cette ultime version allait fonctionner comme une rupture avec les protagonistes du film avec lesquels s’était construite une forte relation d’empathie.

ACTE III. 1990-1998 : premières diffusions dans l’espace régional

Premières diffusions dans l’espace régional

En décembre 1990, les 40 premières minutes du film font l’objet d’un débat à TV Mulhouse [44], sur le réseau câblé de Canal Est. Dans la perspective du débat, je reprends contact avec tous les protagonistes du film. A cette occasion, je suis accueillie, pour la première fois [45], chez plusieurs ouvrières. Nous n’étions pas des intimes, un musée, une filature nous avaient – pour un temps - rapprochées. J’ai été plongée dans des histoires, toutes différentes les unes des autres. Mais parmi leurs souvenirs, il y avait encore « ceux de Malmerspach » et les autres « ceux qui sont contre nous ».

Par cette démarche, je voulais assumer la responsabilité de montrer le film après avoir reçu l’assentiment des membres du collectif ouvrier présents dans le film : solliciter leur accord pour cette diffusion publique et les inviter au débat dont ils seraient les principaux acteurs. Ce serait l’occasion de faire le point après la fermeture de la filature, sur la recherche d’emploi et sur le musée. Et d’orienter le débat sur le savoir faire des ouvrières et ouvriers, et sur leurs conditions de travail dont le film témoigne.

Quatre ex-membres du collectif ouvrier, et moi-même, étions présents. Le directeur de l’information avait invité – sans que nous n’en ayons été avisés – un des avocats des frères Schlumpf, le directeur du M.N.A. (Musée National de l’Automobile), un cadre de l’ex-filature [46] et le permanent syndical Hacuitex C.F.D.T. Nous n’étions pas préparés à une telle confrontation. L’animateur était un journaliste d’un quotidien régional. Considéré comme le « spécialiste de l’affaire Schlumpf », il n’a pas daigné regarder le film et n’a donc pas pu alimenter le débat qui a complètement échappé aux acteurs de la lutte et à moi-même. Le rapport de domination entre les industriels et les ouvriers s’était rejoué ici, la violence sourde et la colère retenue sous-jacentes, un rapport de domination sociale que la société cherche à masquer.

Début 1991, le film est achevé et diffusé devant les ex-délégués syndicaux de Malmerspach qui le reconnaissent toujours comme « leur » film. Il introduit dans la relation d’empathie établie avec eux une médiation, et cette première projection consomme cette rupture qui, d’une certaine manière, a valeur de coupure épistémologique. Mon contrat était rempli, l’échange avait eu lieu. Je pouvais assumer la responsabilité de la fabrication de cet objet, je pouvais le sortir de sa communauté d’origine pour le faire connaître et reconnaître dans d’autres lieux. Il pouvait nous échapper pour être appréhendé par diverses communautés de publics. L’objet film, ainsi construit, va vivre une nouvelle vie en convoquant de nouveaux destinataires [47].

En 1998, il trouve son premier public régional, avec « Images en Réseau » [48] qui, à ma grande joie, le programme dans différentes salles [49]. C’est à « La Filature » [50] à Mulhouse, nom combien symbolique, que ces images sont projetées : un grand moment d’émotion, la salle est comble ! Le film interroge l’histoire du musée, il convoque les mémoires de l’affaire Schlumpf. Les protagonistes du film, présents dans la salle, l’accompagnent. Chacun reconstruit, à partir de ces images projetées, leur propre histoire. L’I.R.C.O.S. [51] à l’issue du débat pose la question d’une histoire à écrire sur cette affaire Schlumpf. L’avenir nous dira qui se désignera ou sera désigné parmi les prétendants pour la raconter : le collectif ouvrier, le syndicat CFDT, la famille Schlumpf [52], le musée, les collectivités territoriales.

L’Affaire Schlumpf, une histoire non-conforme à l’image de l’Alsace

Suite à ces différentes projections régionales, des élus, des associations souhaitent projeter le film dans les vallées de Thann et de Saint-Amarin. Le collectif ouvrier s’y oppose [53]. Un de ses membres s’en explique : « il reste toujours des irréductibles qui pensent que les gens de Malmerspach se sont remplis les poches avec le musée et qu’ils ont volé les patrons ». De plus, des proches [54] du collectif ouvrier avaient signifié qu’ils ne souhaitaient pas que soit montrée « cette misère de la vie ouvrière ». Que soit montrée la « bêtise » de ceux qui avaient accepté de travailler dans de telles conditions. Les ouvriers craignaient que cette diffusion ne les stigmatise davantage auprès du public.

Avec ce conflit emblématique, dernière grande lutte régionale de l’industrie textile, « on a dérangé les mentalités, on a dérangé ceux qui acceptaient l’ordre social, la discipline de l’ordre établi » commente Pierre Schoepfer, l’ex-secrétaire du comité d’entreprise de la filature. Plus de vingt ans après la fin du conflit, en 2004, il s’autorise à parler « Je tiens à apporter mon témoignage pour la mémoire d’une aventure qui a tellement marqué notre région et plus précisément Malmerspach, notre village » (P. Schoepfer, 2004). « Ici dans la vallée », ajoute-t-il « ces événements font l’effet d’un séisme. La perception est différente de celle de la grande opinion publique, les gens sont impliqués directement, le mari ou les enfants sont concernés, leur existence est en jeu. Pour certains, les frères Schlumpf bénéficient toujours d’un a priori favorable. C’est la vieille soumission des campagnes pour le seigneur. Le sort de beaucoup reste lié à leur patron et ils ne peuvent concevoir qu’ils aient été bernés durant toute leur vie ». Il reste des cicatrices « des blessures profondes, des gens qui se détournent ».

A l’impertinence, les ouvriers y avaient été contraints, et les gens de la vallée ne leur avaient pas pardonné d’avoir spolié l’image du père-nourricier et du « bon génie de la vallée », d’avoir cassé l’image d’un patronat de droit divin et de ne pas avoir entonné un hymne au travail à n’importe quel prix. Cette forme de censure endogène nous éclaire sur l’état de la société locale, mais aussi régionale.

Les notions de mémoire, d’identité, de patrimoine ne sont pas construites sans une certaine représentation que la société se fait d’elle-même à un moment donné. L’Alsace véhicule de nombreuses images – tant sur le plan historique, touristique que culinaire, etc. – élaborées conformément aux politiques régionales, aux sociétés d’histoire, aux travaux scientifiques.
« L’Alsace » ne voulait pas de cette histoire « honteuse » qui était non-conforme à l’image qu’elle voulait donner d’elle-même. L’affaire Schlumpf était responsable de ce séisme qui pouvait se mesurer à l’aune des images politiquement correctes propres à cette région. Il est certain que le patronat alsacien s’est trouvé momentanément figé par cette image – contraire aux bonnes mœurs entrepreneuriales - que leur ont renvoyé les frères Schlumpf. Ce conflit a provoqué dans la société alsacienne une fracture qui demeure malgré tout.

ACTE IV. Au-delà du film, une réhabilitation qui fait tranquillement son chemin

1983-1990 : la réhabilitation judiciaire des frères Schlumpf

En 1983, les deux industriels Fritz et Hans Schlumpf avaient été respectivement condamnés à 4 ans et 2 ans de prison ferme pour abus de biens sociaux et de nombreux autres chefs d’inculpation. Aucun n’avait effectué la peine. Le 2 mars 1990, la Cour d’appel de Colmar confirmait que Fritz Schlumpf [55] avait détourné les fonds des entreprises et le condamnait à un an de prison avec sursis et 30 000 F d’amende. Quelques mois plus tard, sa peine était amnistiée [56] et sa condamnation effacée.

En 1988 aux termes d’une longue bataille juridique, la Cour d’Appel de Paris avait consacré le droit moral des frères Schlumpf sur leur œuvre assurant la pérennité de leur nom et la protection qui s’attache aux droits d’auteur. C’est la première fois qu’une loi sur la propriété littéraire et artistique s’applique à la création d’un musée. Quel que soit le nom que prendra le musée, il devra toujours être associé à « Collection Schlumpf » et l’espace de dédicace à la mère devra être conservé dans son état initial. Il faut rappeler qu’en 1977, la faillite ayant été étendue aux biens personnels des frères Schlumpf, ce sont les collectivités territoriales et autres partenaires privés qui se sont portées acquéreurs du musée – foncier et bâtiment – et de la collection d’automobiles, en 1981. Les frères Schlumpf demeurent les auteurs d’une œuvre qui ne leur appartient plus mais qui leur aura rapporté beaucoup d’argent.

1982-1992 : la mémoire sociale en panne

Apposée en 1992 [57], pour le 10ème anniversaire de l’ouverture officielle du musée, le texte de la plaque commémorative a été négocié entre le syndicat C.F.D.T. et l’association propriétaire du musée [58] :

« Ce musée a été réalisé à partir de la collection rassemblée par deux industriels H. et F. Schlumpf qui déposèrent leur bilan en 1976. Les salariés des entreprises concernées, Malmerspach, Erstein, Defrenne, Glück ont occupé ces lieux du 7 mars 1977 au 29 mars 1979 pour la défense de leur emploi et de leurs droits. Cette occupation, à l’appel de la C.F.D.T. a porté à la connaissance du public, l’existence de cette collection. Grâce à l’action des salariés et des élus locaux, régionaux et nationaux, la plus grande partie des automobiles de cette collection a été classée « monument historique » en avril 1978. La dispersion de la collection a pu ainsi être évitée. »

Ce texte ne fait pas l’unanimité [59] . ll ne dit pas le lien existant entre la constitution du musée et le dépôt de bilan, et il ne mentionne pas que le musée a été occupé pour dénoncer l’abus de biens sociaux des industriels. Deux délégués de la S.S.E. refusent de participer à cet anniversaire, dont Pierre Shoepfer qui avait manifesté son désaccord dans les D.N.A. [60] du 11 juillet 1992 qui titrait « Musée de l’Auto : plaque amnésique » : « Le visiteur se dira désormais que notre objectif à nous les salariés de Malmerspach était de préserver la collection des frères Schlumpf. Je ne peux accepter que notre engagement [61] soit réduit à cela : la raison de notre combat était de dénoncer l’abus de biens sociaux effectué par les Schlumpf (...) C’est là et nulle part ailleurs qu’est née la future affaire Schlumpf. »

2006–2011 : la confiscation de la mémoire

La filature n’existe plus, le lieu référentiel et le lien originel n’existent plus, le projet des ouvriers et de leur syndicat d’utiliser le musée comme affirmation de leur histoire et de leur condition n’a pas abouti. Le musée peut s’inscrire dans une politique patrimoniale amorcée au moment de son occupation. En 2006, le Musée national de l’Automobile devient la Cité de l’Automobile – Musée national – Collection Schlumpf, inaugurée en présence du président du Sénat, M. Christian Poncelet, et de nombreux autres personnalités

La Cité communique dans son dossier de presse que : « L’objectif majeur de ce projet est de passer d’une collection dans un écrin, à un musée ouvert sur l’extérieur où néophytes et passionnés d’automobile peuvent découvrir la totalité de l’ancienne filature s’étendant sur plus de 4 hectares. » [62]

Intéressons-nous à quelques éléments significatifs de la nouvelle scénographie :
La grille d’entrée de l’ancienne filature H.K.C., avenue de Colmar, par laquelle avaient pénétré les salariés il y a trente ans pour occuper le musée, est fermée au public. Cet ancien accès ouvrait sur la grande salle panoptique où ils avaient découvert la collection de voitures ainsi que le mémorial consacrée à la mère des deux industriels. Ce dispositif d’entrée, passage obligé, représentait un véritable sanctuaire à la gloire de la famille Schlumpf.

Cité de l’Automobile (collection Schlumpf). Ancienne entrée du Musée de l’Automobile (ancienne entrée de la filature H.K.C.), 2007. Photo : Anne-Marie Martin
Cité de l’Automobile (collection Schlumpf). Ancienne entrée du Musée de l’Automobile (ancienne entrée de la filature H.K.C.), 2007.
Photo : Anne-Marie Martin
Nouvelle entrée de la Cité de l’Automobile, via la passerelle d’accès. © Anne-Marie Martin, 2007
Nouvelle entrée de la Cité de l’Automobile, via la passerelle d’accès. © Anne-Marie Martin, 2007

Le nouvel accès au musée se fait par une passerelle qui enjambe le canal. Les visiteurs sont accueillis dans un immense atrium où est projeté un mur d’images et où est apposée une plaque remerciant tous les savoir-faire des entreprises qui ont contribué à la rénovation de la Cité Automobile. Le visiteur comprend désormais qu’il est convié à découvrir une « fabuleuse aventure automobile ».

Le mémorial est circonscrit à un bloc habillé de velours rouge à l’intérieur comme à l’extérieur, sur lequel est tracé en lettres d’or « La passion de Fritz Schlumpf ». A l’intérieur, un film retrace l’histoire de la création de la collection Schlumpf. Face à une immense gravure sous verre, qui représente l’ancienne filature H.K.C. en activité, est apposée la plaque négociée par la C.F.D.T. L’espace qui reliait l’histoire des frères Schlumpf à celle des ouvriers des filatures est maintenant reléguée à l’autre extrémité du musée.

"La passion de Fritz Schlumpf" abrite le mémorial de Jeanne Schlumpf, Cité de l’Automobile, © La Maison de l’Alsace, 2009.
Un bloc habillé de rouge avec "La passion de Fritz Schlumpf" tracée en lettres dorées, à l’intérieur on peut découvrir l’histoire de la collection et la création du Musée.
Maison de l’Alsace, internet.
Le mémorial Jeanne Schlumpf, www.arthomobiles.fr_Mulhouse09_Thumbs_Mulhouse 140109 170
Le mémorial Jeanne Schlumpf, www.arthomobiles.fr_Mulhouse09_Thumbs_Mulhouse 140109 170

Comme le dossier de presse l’explique : « la volonté des concepteurs est ainsi de mettre en valeur l’exceptionnel patrimoine architectural de l’ancienne usine ». L’ancien bâtiment industriel de briques rouges apparaît dans toute sa monumentalité. Au milieu de sa façade, le « S » de Suez signifie aussi le « S » de Schlumpf. Qui peut savoir maintenant que cette ancienne entreprise H.K.C. [63] avait fonctionné comme société écran pour faciliter les opérations commerciales et techniques permettant l’acquisition d’une partie des véhicules de la collection Schlumpf ?

Nouvelle entrée de la Cité de l’Automobile. © Anne-Marie Martin, 2007
nouvelle entrée de la Cité de l’Automobile. © Anne-Marie Martin, 2007

En 2007, le site du musée déclinait en cinq rubriques « l’histoire de la collection » dont les deux premières concernaient : « La naissance de la collection » et « Le conflit social… L’affaire Schlumpf ». Ce bref récit laissait apparaître les enjeux du conflit et les passions autour de l’affaire Schlumpf. En 2011, sous la conduite de Culturespaces [64], la Cité de l’Automobile communique en déroulant un nouveau récit sous le titre : « Un peu d’histoire ». Il est découpé en six épisodes correspondant aux différentes dénominations du musée, de 1957 [65] à 2006-2011. Le texte, très contrôlé, se veut objectif et neutre : les termes jugés trop porteurs d’émotion ont été supprimés, ainsi que tout ce qui pourrait apparaître comme conflictuel. « L’absence de concertation » et « Le détournement des lois » remplacent le conflit social et le licenciement… Doux euphémismes. Les photos associées au récit gomment l’aspect violent du conflit. Les ouvriers ne sont plus montrés comme des incendiaires mais en syndicalistes responsables. Culturespaces a gagné son pari : casser la scénographie de l’ancien musée pour le rendre vivant certes, en cassant aussi la mémoire de ce qui s’est passé [66].

Sur la friche de l’ancienne Filature de Laine Peignée de Malmerspach
l’ex-secrétaire du comité d’entreprise, Pierre Schoepfer, ne décolère pas :

« La seule possibilité qui existe d’honorer le travail et l’apport du personnel ouvrier, c’est par la dédicace, c’est un truc moral. On ne peut accepter que ce musée soit dédié par les Frères Schlumpf à leur mère. Actuellement ce sont des dizaines de millions d’argent public qui sont investis dans ce musée au point qu’on dépasse peut-être maintenant l’apport initial, et à travers cet apport public on continue à honorer les Schlumpf à travers leur butin. C’est amoral. Celui qui a abusé le personnel est honoré et ceux qui l’ont financé sont oubliés. »

2007 : le temps de la commémoration

Le syndicat C.F.D.T. invite ses militants à commémorer l’occupation du musée. Il veut rappeler que ce lieu avait été occupé 30 ans auparavant illégalement par des travailleurs en colère. Les anciens [67] des filatures sont convoqués comme témoins à une table ronde sur le thème « Mémoire et actualité » qui se tient à la Cité de l’Automobile à Mulhouse. Informée de cet évènement par une ex-déléguée de la S.S.E. de la filature de Malmerspach, j’ai peut-être l’opportunité de diffuser le film. Cette ouvrière propose au syndicat de le projeter. Refus de la C.F.D.T. de nous inviter, volonté de nous oublier. Devant cette fin de non-recevoir, je décide de me rendre à cette manifestation avec l’intention de la filmer.

Le jour annoncé de la table ronde, anciennes et anciens des filatures se retrouvent avec émotion au bout de la passerelle qui mène à la Cité de l’Automobile où l’adjoint au maire de Mulhouse inaugure la place « Malmerspach » :

« Il nous appartiendra encore de compléter cette plaque par une plaque explicative. Ce n’est pas quelque chose qui va être facile à faire parce que nous avons toujours quelque part les Schlumpf qui sont à l’affût. Nous avons eu le problème pendant plus de 10 ans de procès à l’intérieur du musée, on ne veut pas en avoir encore pour 10 ans à l’extérieur du musée… Donc on trouvera ensemble avec la C.F.D.T. une plaque, un texte de manière à ce que tous les visiteurs du musée comprennent ce qui s’est passé. » [68] .

Plaque « Place de Malmerspach », installée de l’autre côté de la passerelle, près du parking. © Anne-Marie Martin 2007 .
Plaque « Place de Malmerspach », installée de l’autre côté de la passerelle, près du parking. © Anne-Marie Martin 2007 .

Dans le dossier de presse qui accompagne cette table ronde, on peut lire : « Entrer dans le musée par la place de Malmerspach prend aujourd’hui tout son sens ». Mais pour les anciens, quel sens peut prendre cette plaque dérisoire installée à l’entrée du parking, de l’autre côté de la passerelle qui mène à la Cité de l’Automobile ? Quant aux visiteurs, qui peut comprendre quoi ? Qualifier cette place baptisée « Place de Malmerspach » de « geste fort qui donne du sens à la mémoire sociale », n’est pas réparateur de ce qu’ont vécu les salariés de la filature. Devant la caméra [69] s’expriment différents points de vue. Mais tous disent qu’il reste une blessure.

Plus tard, à l’intérieur du musée, devant la plaque apposée en 1992, Armand, ex-délégué syndical de la filature, aimerait que l’origine du musée soit signifiée à l’intérieur.

« Après l’occupation du musée, on a revendiqué qu’il y ait un souvenir, une plaque commémorative. Alors on a rédigé un texte qui n’est pas celui qui est écrit ici. Car on n’a pas obtenu qu’il soit retenu dans son intégralité, que ce musée a été réalisé avec des fonds détournés des entreprises. Ca n’est pas passé dans la négociation. Alors on avait le choix entre rien du tout… ou ça. On n’est pas satisfait. On aimerait que la vérité apparaisse. On n’a plus le rapport de force, on n’a plus les moyens. (…) Les pressions exercées par Schlumpf, à travers sa femme Arlette ont encore un pouvoir énorme avec ses avocats et tout ça. Ca nous reste sur l’estomac. Le visiteur anonyme qui rentre ici ne connaît pas l’origine de cette collection, ni le drame humain, les 1800 salariés qui ont perdu leur emploi. La richesse qu’on a produite, ça ne se voit pas. C’est injuste. On aimerait quelque chose qui retrace l’histoire. »

Le secrétaire général du syndicat rappelle aux participants de cette table ronde que « si aujourd’hui nous sommes dans ces murs, devant cette collection, dans ce musée, c’est parce que les salariés de Malmerspach, Glück, Erstein, Defrenne ont dit un jour que ce musée était partie intégrante de leur travail ». Il évoque le musée comme un possible lieu de mémoire, un « Musée des Travailleurs ». Vœu pieu qui ne tient pas compte de la pression de la famille Schlumpf, sur tout ce qui touche à la collection Schlumpf, qui continue de s’exercer par l’intermédiaire de ses avocats [70]. Invisible pour le commun des mortels.

2008 : l’histoire revisitée par l’épouse de Fritz Schlumpf

Quelques mois avant sa mort, en mai 2008, Mme Arlette Schlumpf rédige ses mémoires avec Bernard Reumaux, rédacteur en chef adjoint des D.N.A. qui est aussi son éditeur [71]. Il présente le livre AUTObiographie [72] comme « une saga fascinante : quarante ans de vie partagés avec un être d’exception, le plus grand collectionneur d’automobiles du XXe siècle. Mais la crise du textile fit tout chavirer en 1976, donnant naissance à la rocambolesque "affaire Schlumpf". » [73]. En rendant public son autobiographie co-signée avec l’un des responsables du plus grand quotidien alsacien, l’épouse de Fritz Schlumpf rétablit tranquillement la mémoire de son mari défunt et œuvre efficacement à la réhabilitation sociétale de celui-ci. Puissamment relayé par les media, cet ouvrage « d’une femme amoureuse » a presque fait pleurer dans les chaumières.

Conclusion

D’arme politique du cinéma militant, le film est devenu outil de recherche. Mais son caractère politique demeure et n’a pas échappé à la société alsacienne. En 1991, après avoir manifesté un grand intérêt pour le film et envisagé sa diffusion, FR 3 ne le programmera pas. La station régionale a peut-être estimé qu’il n’était pas conforme à l’intérêt public alors que son chef d’antenne avait déclaré que si FR 3 ne le prenait pas, il raterait sa mission qui est de faire connaître la mémoire, le patrimoine de l’Alsace.

Sa difficile diffusion rend compte de l’empêchement dont a fait l’objet durant toutes ces années l’activité mémorielle autour de l’affaire Schlumpf. Il y a lieu de considérer que ces travaux filmiques (les maquettes et le film) fonctionnent comme un processus qui a permis de comprendre comment ont été pervertis les usages et les interprétations de la mémoire de cette histoire.

Nous avons pu ainsi analyser la façon dont cette mémoire de lutte et de larmes est détournée au profit d’une idéologie patrimoniale et nous pouvons affirmer, à la suite de Pomian, qu’une histoire politique des musées mettrait « en évidence leurs relations complexes mais toujours très proches avec les institutions du pouvoir, les détenteurs de la richesse et les porteurs du savoir sacré et profane » (1990 : 189). L’affaire Schlumpf, à l’origine de l’histoire de ce musée, en est la parfaite illustration. Ce qui était considéré comme scandaleux, ce qui était considéré comme une véritable folie est désormais toléré, accepté, légitimé comme bien régional [74] - exemplaire de la renaissance et du dynamisme de la région - et comme objet culturel national, européen et mondial : « le plus beau musée automobile du monde ».

L’histoire ouvrière qui s’était incarnée dans l’occupation du musée et de la filature de Malmerspach a cédé sa place à la puissance de l’argent et des différents pouvoirs. Pour les salariés du groupe Schlumpf, accéder au musée c’était dévoiler l’origine de leur exploitation et de la fermeture des usines, c’était raconter leur histoire confondue avec celle du musée. Avec cette occupation, ils lui avaient donné son premier titre de noblesse : « Musée des Travailleurs » qui augurait un possible lieu de la mémoire sociale, en lien avec l’industrie textile locale. Cette utopie muséale non réalisée a favorisé l’émergence d’un nouveau récit des origines, d’un nouveau mythe. La création de la Cité de l’Automobile fait des frères Schlumpf des donateurs imaginaires à la ville de Mulhouse, à l’Alsace et au monde entier. Et ceci en toute impunité.

Malgré les nombreux chefs d’inculpation prononcés à leur encontre par la justice, les frères Schlumpf restent ceux qui ont contribué à écrire l’histoire de Mulhouse. Comme l’admettait récemment un journaliste alsacien : « Beaucoup de gens ont commencé à se dire qu’après tout quels que soient les défauts des Schlumpf, malgré tous les abus de biens sociaux, malgré tout cela, ils ont offert à Mulhouse un cadeau inestimable et aujourd’hui – je ne parlerai pas de révisionnisme - on a tendance à se dire que, grâce aux Schlumpf, Mulhouse a un atout touristique inégalé. » [75]

Parmi le collectif ouvrier des voix s’élèvent contre cette interprétation de l’histoire.

« Voilà deux personnes condamnées au départ, croulant sous les accusations, accablées par tous les élus, les opinions publiques françaises, suisses, allemandes, dénoncées par les autorités, y compris les ministres, responsable d’un tort économique considérable, et la justice se montre d’une telle clémence ? » s’écrie Pierre Schoepfer (2004 : 199).

Aujourd’hui, les images tournées en 2007 témoignent toujours de cette colère et du déficit de mémoire. Un nouveau film reste à faire pour que l’oubli ne vienne pas les effacer.

La friche de la filature de laine peignée de Malmerspach, 1998. Photo : Anne-Marie Martin.
La friche de la filature de laine peignée de Malmerspach, 1998. Photo : Anne-Marie Martin.

add_to_photos Notes

[1Il s’agit des deux frères Schlumpf.

[2Cette plaque a été apposée dès les premiers jours d’occupation du musée, près du portrait de la mère des deux frères.

[3Dernière version (1991), réalisation Anne-Marie Martin - cf. fiche technique dans la bibliographie

[4J’utiliserai le terme « film » qui renvoie à sa dernière version de 1991, date à laquelle il a été remonté avec des éléments des maquettes n° 1 et n° 2

[5On utilisera le terme « filature » pour « La Filature de Laine Peignée de Malmerspach » (F.L.P.M.). C’est la filature qui a été la plus « abusée » par le groupe Schlumpf, qui a le plus payé pour le musée. On appellera « Glück » la filature de Mulhouse.

[6Courtier en laine, Fritz acquiert, avec son frère Hans en 1939, l’une des plus anciennes filatures de France fondée en 1844 à Malmerspach, la Filature de Laine Peignée de Malmerspach. Puis ils prennent le contrôle du tissage Defrenne, des filatures d’Erstein et de Heilmann, Koechlin, Desaulles - H.K.D. dans les années cinquante. En 1971, avec l’achat de la filature de Glück, les deux frères sont à la tête de l’industrie lainière française avec 1800 salariés.

[7Depuis 1960, les deux industriels achetaient des voitures anciennes pour les restaurer en vue de les exposer à Mulhouse dans l’ancienne filature Heilmann, Koechlin, Compagnie (H.K.C.) transformée, à partir de 1969, en un musée. Acquise par le groupe Schlumpf en 1957, cette usine dénommée alors Heilmann, Koechlin, Desaulles (H.K.D.) avait fermé ses portes en 1965 et le personnel avait été licencié.

[8Le 29 juillet 1977, le Tribunal de Grande Instance de Mulhouse condamne la CFDT à retirer la plaque
« Musée des Travailleurs » apposée sur la grille du musée quelques jours auparavant. Les syndicalistes avaient proclamé : « par la pose de cette plaque, nous voulons ainsi déposséder symboliquement les frères Schlumpf et redonner ces biens à ceux qui ont permis de les créer. »

[9Cette méthode, en référence à Charles Eugène Bedaux, son inventeur, émigré aux Etats-Unis au début du siècle, est une méthode d’organisation scientifique du travail. Son livre The Bedaux Efficiency Course for Industrial Application, publié en 1917, rencontre un grand succès. Le système Bedaux de rémunération aux rendements était appliqué dans les plus grandes sociétés américaines ainsi que dans le reste du monde au grand dam des ouvriers : « De toutes les bouches des travailleurs, il ne sort qu’une condamnation sans appel, car, pour augmenter les profits des entreprises, le système Bedaux transforme en robots ceux qui tombent sous sa coupe. » Le Bras René, 1948, « Un ouvrier parle du système Bedaux « Masses / Socialisme et liberté N° 14 (avril-mai), consultable en ligne sur le site http://www.bataillesocialiste.wordpress.com/2009/12/09/un-ouvrier-parle-du-systeme-bedaux-1948/

[10En 1938, une grève éclate à l’usine Goodrich de Colombes, contre les méthodes de chronométrage des ingénieurs Bedaux.

[11Pendant le mouvement de mai 68, ce groupe va développer une pratique particulière basée sur l’enquête ouvrière, en opposition avec l’enquête de la sociologie industrielle qui est en plein développement. Il s’agit de placer l’enquête sous la direction - ou au moins le contrôle - des travailleurs avec lesquels seront élaborés des cahiers de revendications unitaires. Ce groupe publie une revue qui sera mensuelle jusqu’en 1974 (fonds déposé à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine à Nanterre).

[12« Le rôle politique de l’enquête », Les Cahiers de Mai, n°22, juillet 1970.

[13Extrait de la brochure « Textile : des luttes qui préparent l’avenir », édition Cahiers de Mai, Paris, 1970.

[14Issu du groupe de Lyon des Cahiers de Mai, il s’autonomise et prend le nom d’ « ADP VIDEO ». L’article 1 des statuts de l’association stipule que son objet est de « collecter, diffuser, réaliser tous documents audio-visuels qui sont l’expression ponctuelle ou permanente de travailleurs ou de la population d’un village ».

[15Sous ce terme générique sont concernés aussi bien la technologie que l’usage qui en est fait dans les années 1970. Cette machine révolutionnaire apparaît en 1967 aux U.S.A., puis les années suivantes au Québec et en France. Jean-Luc Godard s’en saisit suivi par le collectif Vidéo Out (créé par Carole et Paul Roussopoulos) qui acquiert une des premières caméras vidéo portables, le fameux « Portapack » de Sony (13 kg) et tourne ses premières images en format vidéo ½ pouce (bobine), en noir et blanc. De nombreux autres collectifs s’équipent eux aussi en vidéo légère. S’ouvre alors une période d’intense production cinématographique militante avec une économie autonome, sans subvention publique. Rappelons le contexte de l’information dans les années 1970-1980 : jusqu’à son éclatement en 1974, l’O.R.T.F. (Office de Radiodiffusion - Télévision Française) contrôlé par l’Etat proposait peu d’émissions traitant des mouvements sociaux.

[16Géré par la S.A. Schlumpf, ce musée n’avait jamais été ouvert au public, ce n’était d’ailleurs pas dans l’intention des deux industriels qui le réservaient à un public d’initiés. En mai 1965 paraissait, dans le quotidien régional l’Alsace, le premier article révélant l’ampleur de cette collection tenue jusqu’à ce jour secrète, et dévoilée à une douzaine de personnalités. La presse présente ne devra pas publier de photographies.

[17Avec la vidéo, on peut réaliser des matériaux éphémères, comme un plan-séquence (plan tourné en continu) qui peut être diffusé immédiatement sans montage.

[18Grâce à la légèreté du matériel et l’apparition du son synchrone, nous pouvons nous glisser plus près des sujets filmés et plus librement.

[19Ce système basé sur le chronométrage des gestes de l’ouvrière calcule la dépense d’énergie que celle-ci peut fournir en une minute d’effort dans des conditions normales de travail ajoutée à une minute de récupération de l’effort fourni, c’est « l’unité Bedaux » ou « point Bedaux » ou encore « point-minute ». Ce système doit aussi mesurer les valeurs physiologiques et psychologiques de chacune.

[20Sous le titre « Chronique d’une vallée vosgienne : la grandeur et la chute des frères SCHLUMPF ».

[21Ces ouvriers salariés par la filature travaillaient en secret à la réfection des vieux véhicules derrière l’imposante façade de briques rouges de l’ancienne filature H.K.C.

[22Ensemble des salariés de la filature actifs dans la lutte.

[23Enquêtes réalisées en 1970 à Thizy et Tarare (Rhône), à Fougères (Ile-et-Vilaine) et à la Coframaille à Schirmeck (Bas-Rhin), trust Agache-Willot.

[24Notre objectif n’était pas de sauvegarder une mémoire technique et sociale des différents ateliers d’une filature.

[25Ces hommes ont toute la confiance des salariés, ils ont tenu tête à leurs patrons pour continuer à travailler dans leur vallée, ce sont des hommes de terrain avant tout.

[26Ces fileurs professionnels ont travaillé sur les machines à filer "mule jenny self-acting" jusqu’en 1950.

[27Fondé sur le « point Bedaux » (ou « point-minute »), c’est la quantité du travail qu’une ouvrière adaptée exécute normalement en une minute, compte tenu du repos approprié. 60 est l’allure normale pour une ouvrière moyenne, si elle parvient à travailler plus de 60 bedaux à l’heure (donc plus de 60 minutes), elle gagne plus, elle perçoit une prime. L’allure maximum est l’allure 80.

[28Devant des ouvrières et des ouvriers devant la S.S.E. - C.F.D.T. et un responsable régional Hacuitex (Fédération Habillement, Cuirs et Textiles – C.F.D.T.).

[29A la différence des ouvriers d’entretien qui eux circulaient d’un bâtiment à l’autre.

[30Le directeur de l’organisme de formation, l’inspecteur du travail, des représentants des Assedic, de l’A.N.P.E., de la Chambre de Commerce ainsi que le sous-préfet.

[32C.O.R.D.I.A.L. (Association de Coopération Régionale pour la Documentation et l’Information en Alsace) dont le but est de sauvegarder la mémoire audio-visuelle de l’Alsace et de favoriser sa mise en valeur dans les bibliothèques. Un studio alsacien m’accueille pendant un an et me soutient chaleureusement.

[33Apport de la D.R.A.C. (Direction Régionale des Affaires Culturelles) Alsace et du Ministère de la Culture (Mission du Patrimoine Ethnologique). La fédération HACUITEX (C.F.D.T.) pré-achète une copie du film.

[34L’histoire du film Schlumpf témoigne de l’histoire du signal vidéo analogique : ces images ont été sauvegardées sur différents supports au fur et à mesure des changements technologiques : vidéo ½ pouce (bobine), ¾ pouce Umatic (cassette), ¾ BVU (cassette), Beta SP (cassette), BETA Numérique (cassette).

[35Je suivais un cursus universitaire dans le Département Anthropologie et Sociologie de LYON II.

[36Qui a constitué une forme de stigmate lorsqu’il s’est agi d’accéder à certaines sources ou de prendre contact avec certaines personnes.

[37Un de mes professeurs ayant visionné le film m’a proposé d’en faire le sujet de la maîtrise, le considérant comme une source légitime de connaissances. L’écriture du mémoire intitulé « La distance nécessaire » a permis de restituer les matériaux de l’enquête (filmée et non filmée) très riches et de les analyser.

[38Armand Klingelschmidt avait été notre interlocuteur privilégié.

[39A l’issue de laquelle Fritz Schlumpf a été condamné pour abus de biens sociaux à un an de prison avec sursis et 30 000 F d’amende. Hans Schlumpf, son frère était décédé quelques années auparavant.

[40Le 22 mars 1979, un des délégués de la S.S.E., Pierre Schoepfer, très ému, remet les clés du musée à un huissier de justice. Contre la promesse de créer huit sociétés qui créeront 100 emplois sur le site de Malmerspach, auxquels s’ajouteront 256 autres.

[41Une majorité de femmes étaient présentes dans la lutte et ne disposaient pas de véhicule personnel. L’un des trois bus de ramassage continuait à être en service et effectuait les trajets de la filature au musée, distant de 20 kilomètres. La présence de ce bus signifiait ainsi que l’activité pouvait reprendre.

[42800 000 personnes ont visité ce Musée des Travailleurs au cours des deux années d’occupation.

[43Dont la surface est de 17.000 m2. Les cloisons du grand bâtiment à sheds séparant les différents ateliers ont été abattues pour créer le musée.

[44A l’occasion de la préfiguration d’une télévision locale.

[45Au moment du conflit, une seule ouvrière, déléguée syndicale, nous avait reçus chez elle. Elle est devenue une amie.

[46C’est lui qui jouait le rôle du Père Noël lors des fêtes de Noël organisées par la filature.

[47Universités Lyon II et Marc Bloch à Strasbourg, Université Populaire de Mulhouse, Institut Lumière, Lyon, bibliothèques de la région Alsace et de la B.N.U.S. (Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg).

[48Créé à l’initiative de l’association « Vidéo Les Beaux jours » qui soutient la diffusion de la création cinématographique en Alsace.

[49Colmar l’accueille et la ville câblée d’Erstein près de Strasbourg le diffuse, le maire invite le personnel de la filature d’Erstein… qui n’avait pas rencontré les Schlumpf de Malmerspach depuis le conflit car ils n’appartenaient pas au même syndicat.

[50Réalisée en 1993 sur le site d’une ancienne fabrique de coton, « La Filature, Scène nationale – Mulhouse » est un lieu pluridisciplinaire et multiculturel.

[51Association des comités d’entreprise et similaires d’Alsace (crée à l’initiative de la C.F.D.T.) qui a soutenu la projection régionale.

[52La famille Schlumpf n’appartient à aucune dynastie, ni à celle des Mieg, des Koechlin ou encore des Dollfuss. Fritz Schlumpf se revendique comme un self-made man et non comme un héritier. Reclus dans sa villa de Malmerspach, Fritz Schlumpf ne participe guère aux mondanités mulhousiennes bien qu’il soit membre de la S.I.M. (Société Industrielle de Mulhouse). Possédant la double nationalité, française et suisse, de religion catholique, tout l’oppose à ses pairs mulhousiens à qui il ne portera pas grande estime, et réciproquement. Décédé en 1992, l’industriel est représenté par un de ses avocats au cours de quelques-unes des projections.

[53La situation politique était confuse dans le canton de Saint-Amarin.

[54Après une projection familiale, le mari de l’ouvrière qui travaillait au mélangeage, n’était pas très content de l’apparition de sa femme dans le film.

[55Son frère Hans Schlumpf était décédé quelques années auparavant.

[56C’était une peine amnistiable, parce qu’elle était avec sursis : il s’agit du cas où le juge condamne réellement, mais suspend l’exécution de la peine pendant une certaine période.

[57M. Fritz Schlumpf est décédé quelques mois auparavant, le 18 avril 1992.

[58Créée le 11 mars 1981, l’association de propriétaires a racheté le musée quelques mois plus tard.

[59Une des principales revendications des syndicalistes lors de leur départ du musée en 1979 concernait l’apposition d’une plaque expliquant la contribution des salariés à la réalisation du musée et son occupation pour la sauvegarde de leur emploi.

[60Dernières Nouvelles d’Alsace, un des quotidiens régionaux alsaciens.

[61Le collectif ouvrier a joué un rôle central dans l’engagement des collectivités locales et de l’Etat pour que ce musée rejoigne les autres objets du patrimoine mulhousien.

[63Dont le personnel avait été licencié en 1965. Le directeur s’était suicidé.

[64Culturespaces est une société anonyme de gestion et de valorisation de monuments historiques et de musées, à qui les collectivités territoriales ont délégué la gestion du Musée national de l’automobile en 1999 pour le rénover. Filiale d’Havas Tourisme et du groupe Suez, elle est également gestionnaire du Musée du Chemin de Fer de Mulhouse.

[65Voir note 8.

[66Les Dernières Nouvelles d’Alsace dans son édition du 7 juillet 2006 ne fait aucune allusion à ce qui s’est passé.

[67Certains ont refusé de pénétrer dans le musée et d’autres de participer à cette commémoration.

[68Extrait tournage du 7 mars 2007, © A.-M. Martin.

[69Ces images en couleurs, tournées en 2007 dans la Cité de l’Automobile et sur la friche de l’ancienne filature de Malmerspach, seront intégrées dans une version à venir du film.

[70En 1988, la Cour d’Appel de Paris a consacré le droit moral des frères Schlumpf sur leur œuvre assurant la pérennité de leur nom et la protection qui s’attache aux droits d’auteur. Quel que soit le nom que prendra le musée, il devra toujours être associé à « Collection Schlumpf » et l’espace de dédicace à la mère devra être conservé.

[71Les D.N.A. ont une maison d’édition, La Nuée Bleue, qui a un grand rayonnement dans l’Est de la France.

[72AUTObiographie. Pour l’amour de Fritz, La Nuée Bleue, 2009.

[74Inscrite au Contrat de plan Etat-Région 2000-2006, la première tranche des travaux de restructuration se monte à 10 millions d’euros.

[75Déclaration de Raymond Couraud, journaliste à l’Alsace, à Europe 1 alors qu’il est invité dans une émission réalisée en direct, le 21 octobre 2011, au centre de Mulhouse (émission Au coeur de l’histoire. Les frères Schlumpf : du textile à l’automobile - Drames, mystères, tours de force et destinées inouïes : Franck Ferrand nous plonge chaque jour au cœur de l’histoire, grande et petite.)

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FICHE TECHNIQUE DU FILM (1991)
Titre : Du Musée National de l’Automobile (collection Schlumpf) à la Filature de Laine Peignée de Malmerspach (Haut-Rhin)
Durée : 62 minutes
Format de diffusion : numérique
Réalisation : Anne-Marie Martin
Image : Bernard Barailler
Claude Mouriéras
Photographies : Jurg Peter Lienhard
Infographie : Yves Schmitt
Illustration sonore : Orgues du Musée
Musique originale : Gérard Fabbiani
Montage : Anne-Marie Martin
Participation financière : D.R.A.C. Alsace
Ministère de la Culture et la Communication – Mission du patrimoine Ethnologique
C.O.R.D.I.A.L.
Moyens techniques : ACTA (Agence Culturelle Technique d’Alsace)
TELETOTA (Rhône-Alpes)
Production : ADP VIDEO, Lyon /A.M. MARTIN/1991
Distribution : ARIMAGE – arimage@free.fr
BP 4334 69242 LYON CEDEX 04

Pour citer cet article :

Anne-Marie Martin, 2013. « Enjeux de mémoire à propos de l’affaire Schlumpf à travers un objet particulier, un film. 1977-2007 ». ethnographiques.org, Numéro 25 - décembre 2012
Filmer le travail : chercher, montrer, démontrer [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2012/Martin - consulté le 04.12.2024)