Introduction
Troubles cognitifs et pratiques
Chaque individu est porteur d’une pluralité de dispositions qui, selon les contextes, peuvent être mises en veille ou en action, inhibées ou activées (Lahire 2012 : 21-57) [1]. Pour comprendre les pratiques de chacun, il convient donc de les saisir au croisement des propriétés sociales des individus et de celles des contextes dans lesquels ils inscrivent leur action. Ainsi, afin de penser les pratiques, Bernard Lahire (2012 : 24) propose de combiner dispositionnalisme et contextualisme, selon la formule suivante : « dispositions + contexte = pratiques ».
Dans le cas de troubles cognitifs, comme dans celui de la maladie d’Alzheimer [2], ces « contextes » peuvent être extrêmement divers : que les personnes souffrant de cette maladie vivent à domicile ou en institution ; qu’elles aient de la famille ou non ; qu’elles souffrent d’un stade léger ou grave de ces troubles ; ou encore, selon la conception que leurs proches ou les différents professionnels qui interviennent dans leur accompagnement ont de leur propre rôle ou de la maladie (Kitwood 1997 ; Van der Linden et Juillerat Van der Linden 2014). Plus spécifiquement, les personnes qui souffrent de troubles cognitifs sont confrontées à de nouveaux contextes qui nécessitent de nombreux processus d’adaptation : la maladie, bien sûr, qui peut être elle-même considérée comme un « nouveau monde social » (Baszanger 1986 ; Mallon 2015), mais aussi les institutions que sont les établissements médico-sociaux (EMS [3]), pour celles qui résident en institution de long séjour. Ces contextes induisent des « socialisations secondaires » (Berger et Luckmann 1986) qui peuvent amener à des décalages entre dispositions personnelles et dispositions requises par ces situations spécifiques. Dès lors, et en particulier dans le cadre d’institutions comme les EMS, ces socialisations secondaires interrogent d’une part le travail effectué par les professionnels pour limiter ces décalages et ces souffrances lors de l’arrivée dans ces nouveaux mondes sociaux, et d’autre part le travail effectué pour maintenir les individus dans des mondes sociaux qui leur étaient familiers et connus mais qui ont dû être quittés du fait de l’entrée en institution. Comment ces professionnels pensent-ils leur institution et leurs pratiques comme des « contextes » devant permettre de maintenir, d’actualiser ou d’éviter [4] certaines dispositions des personnes malades ?
Penser les pratiques des malades en lien avec des contextes, comme dans le cas des EMS psychogériatriques, c’est reposer la question des facteurs ou des explications du « désengagement » (cf. Havighurst 1954 ; Cumming et Henry 1961). L’effet d’âge ou de la maladie explique-t-il, à lui seul, le constat selon lequel les personnes âgées ou qui souffrent de maladies chroniques ont moins d’insertions sociales que d’autres personnes ? Ou, au contraire, serait-ce le résultat de processus sociaux qui font que les personnes âgées ou souffrant de maladie chronique sont privées, par les institutions qui les encadrent, de l’accès à certains mondes sociaux du fait de leur âge (Lambelet 2011 et 2012) ? Et, dès lors, en termes de pratiques, ce qu’elles font, vivent ou expriment, quand bien même elles doivent faire face à des stades avancés de la maladie, n’est-il pas tout autant lié aux propriétés sociales des contextes dans lesquels elles se situent ? Dit autrement, et sans nier les conséquences intrinsèques à la maladie sur les formes de participation, quelle est l’influence, au sein des institutions, des professionnels sur la participation de ces personnes à différents mondes sociaux ? Comment les professionnels appréhendent-ils le poids des contextes dans leur accompagnement des résidents ?
Considérer, à la suite de Baszanger (1986 : 6-7), qu’un des enjeux principaux liés à la maladie est le maintien des insertions du malade dans ses différents « mondes sociaux [5] », conduit ainsi à un triple questionnement : d’abord, et dans le cas des maladies chroniques, sur la manière dont les malades, et les professionnels avec, gèrent les conséquences de la maladie sur leur organisation de vie, leurs rapports avec les autres et, jusqu’à un certain point, leur rapport avec eux-mêmes ; ensuite, sur le travail de maintien des insertions sociales habituelles des résidents ; enfin, puisque des maladies comme Alzheimer sont dégénératives et mettent à mal l’autonomie de décision et d’exécution des personnes malades, imposant ainsi l’intervention d’autres personnes, sur le rôle – et la conception du rôle – de ces autres personnes (Kitwood 1997).
Institutions et pratiques
Vivre en institution implique un processus de socialisation secondaire [6]. Cela nécessite l’apprentissage de règles, de rythmes, et plus largement d’un nouveau rôle social (celui de résident) (Mallon 2004 ; Anchisi 2011 ; Lambelet et al. 2017), mais aussi la mise en veille de dispositions antérieures, due à la perte de lieux, de relations et de rôles sociaux que cette entrée en institution engendre (Goffman 1979). Peter Townsend, voilà plus de 50 ans, parlait ainsi à propos des institutions de « compromis pas très heureux » (Townsend 1963 : 449). Il s’inquiétait de l’influence exercée par la vie en commun au sein d’un établissement sur la modification de l’état physique et psychologique des pensionnaires, ainsi que de leur condition sociale après leur admission.
Les institutions gériatriques et psychogériatriques ont évolué depuis 50 ans, avec de nombreuses initiatives devant permettre leur « détotalisation » ou leur « humanisation » (Mallon 2004 ; Loffeier 2015) ou avec l’arrivée de nouvelles professions dédiées à l’animation (Della Crocce et al. 2011 ; Rimbert 2011). Non seulement il y a eu une promotion de l’animation, mais aussi des évolutions des formes d’animation – avec le passage d’une animation occupationnelle à des animations toujours plus personnalisées ou individualisées, valorisant l’autonomie et la réalisation de projets de vie avec les résidents. La littérature sur l’animation en institution – largement le fait de professionnels de l’animation (Champvert 2001 ; Hervy 2001 ; Hartweg et Zehnder 2003) – ne cesse alors de rappeler le double rôle des animateurs : aider à l’insertion des résidents dans ce nouveau monde social qu’est l’EMS, mais aussi maintenir le résident dans ses autres mondes sociaux, ceux qu’il a côtoyés et auxquels il a participé avant son entrée en EMS. L’enjeu de l’animation sociale auprès des personnes âgées serait ainsi de « faciliter l’insertion des anciens dans la société, leur participation à la vie sociale, et surtout de leur permettre d’exercer un rôle, voire d’engager des processus de réactivation de rôles sociaux, seule réponse à une mort sociale qui intervient parfois avant la mort biologique » (Hervy 2001 : 11). Puisque l’entrée en institution provoque souvent une modification de la sphère psychosociale des individus, analysable sous la forme d’une séquence accélérée de ruptures spatio-temporelles et de pertes de repères psychologiques et sociaux – l’entrée en institution induit effectivement la perte du domicile et du voisinage, elle signifie ou entérine la perte de l’indépendance de la personne, de son histoire sociale et familiale, de son espace culturel et de son territoire – les équipes d’animation sont alors vues comme devant agir sur les insertions sociales des individus.
Cet article veut dès lors questionner les points suivants : quelles opportunités les professionnels dans les institutions offrent-ils ou restreignent-ils ? Quelles compétences maintiennent-ils, développent-ils, ou annulent-ils ? Quelles dispositions activent-ils ou non ? À quelles formes de « stimuli extérieurs » tantôt « positifs » (lorsqu’ils permettent des activités significatives pour les personnes), tantôt « négatifs » (quand ils ne sont que le résultat de logiques asilaires) confrontent-ils leurs résidents ? Quelles sont les pratiques proposées aux personnes souffrant de troubles psychogériatriques et vivant en institution ? Quelles sont les actions entreprises par les institutions pour permettre aux résidents de conserver ou regagner un certain degré de contrôle sur leur vie rendue discontinue par la maladie ? Enfin, puisque la littérature sur les maladies chroniques met en évidence le piège qui consiste à considérer l’acteur uniquement comme un malade, alors qu’il peut être inséré dans de nombreux sous-mondes sociaux, comment l’institution évite-t-elle ce piège ? Nous inscrivant, pour une part, dans la continuité des travaux de Tom Kitwood (1997), il s’agit moins ici de nous intéresser aux manières dont les professionnels perçoivent les limitations ou les capacités des personnes atteintes de troubles cognitifs – pouvant aggraver ou alléger les difficultés de ces personnes dans le contexte institutionnel suivant qu’ils s’inscrivent dans une « psychologie sociale nocive » (malignant social psychology) ou une approche centrée sur le bien-être de la personne (positive person work) – que de voir comment un contexte institutionnel (ou les actions des professionnels) peut soutenir des reprises d’activité, des pratiques, des continuités, des insertions sociales des personnes souffrant de troubles cognitifs.
En utilisant les analyses dispositionnalistes et contextualistes de Bernard Lahire (2012) comme un outil pour questionner les pratiques des professionnels, nous voulons interroger les stimuli proposés ou imposés à ces résidents, en faisant l’hypothèse que les changements de comportement des individus – c’est-à-dire leurs pratiques – sont autant le produit d’un état de santé qui se détériore que celui de la rencontre entre des dispositions particulières et ce contexte particulier, entendu que ce contexte particulier n’est pas donné mais qu’il est le produit d’un travail des professionnels. À l’évidence, et à cause de la maladie, les résidents en viennent à perdre la maîtrise de certaines actions ordinaires qui leur garantissaient une intégration sociale sans heurts dans leur environnement (difficulté à se repérer et à se mouvoir, à agir dans l’univers familier qui était le leur, perte de maîtrise dans leurs différentes activités, dans la gestion des relations, désinhibition qui peut conduire à des comportements inadaptés socialement). Mais dans quelle mesure la manière dont les professionnels, ou l’entourage de la personne malade, se représentent la maladie et agissent en conséquence avec le proche atteint a-t-elle des effets sur la participation du malade à différents mondes sociaux ? S’il y a perte de mondes sociaux, est-ce le seul produit de la maladie ou également le fait des formes d’accompagnement proposées par les professionnels ?
Méthodologie et terrain
Cet article se fonde sur le suivi d’expériences menées par le « Groupement de praticiens en psychogériatrie » (GPPG) en Suisse romande [7]. Les membres du comité de cette association qui travaillent en EMS [8] mènent un certain nombre d’activités qui visent, pour reprendre l’expression utilisée par les membres de ce groupe, à une meilleure « socialisation » de leurs résidents.
Cet article s’appuie sur des entretiens réalisés et filmés par nous-mêmes avec des professionnels, avec des membres des familles de personnes souffrant de troubles psychogériatriques caractérisés de lourds [9], ainsi que sur des séquences filmées d’activités menées par – ou avec – les résidents à l’extérieur des institutions. Nous avons interrogé ces acteurs sur le travail mené autour du maintien des insertions sociales des individus vivant en institution. Il repose également, marginalement, sur une « observation flottante » (Pétonnet 1982), par l’un des auteurs de l’article, des séances de comité de ce groupement.
Centrer notre questionnement sur les professionnels en EMS renvoie à notre intérêt spécifique pour le travail effectué par ceux-ci pour maintenir les mondes sociaux de leurs résidents. Quels sont les indices retenus par ces professionnels (et les proches) pour attester de l’(in)efficacité ou de la profondeur de ce travail ? Dans quelle mesure la variation des contextes informe-t-elle les professionnels sur les pratiques des résidents et sur le contexte spécifique de l’institution ? Quels sont à leurs yeux les écueils possibles de tels changements de contexte ?
Pour ce faire, outre deux entretiens menés avec les responsables des projets institutionnels des établissements concernés, nous avons filmé trois situations parmi d’autres projets mis en place, au début de 2016, par des membres du GPPG :
- Un entretien avec un couple, Michèle et Claude, dont le second, aujourd’hui décédé, avait des troubles cognitifs importants et résidait dans une institution. Cette situation est particulière par l’engagement de la compagne qui organisait, régulièrement et avec l’appui de l’institution, des week-ends à l’extérieur avec son compagnon. On y observe un engagement temporel et financier de la compagne, mais également de l’institution. Ce projet questionne le maintien possible de l’insertion dans des mondes sociaux, qu’ils soient familiaux ou amicaux, pour un résident en institution.
- Le travail mené par une autre institution pour maintenir les résidents dans des rôles sociaux et au contact de l’extérieur. Il s’agit de la possibilité offerte à des résidents de participer à l’activité d’un restaurant, ouvert au public, dans cet EMS, mais aussi la possibilité d’effectuer d’autres tâches, comme l’activité du tri des déchets.
- L’observation d’une sortie à la fête de la Musique. Ici, c’est non seulement le fait de pouvoir participer à une fête publique, comme tout citoyen, qui est mis en avant, mais également la possibilité, pour chaque participant, de faire le choix de son activité sans se préoccuper du groupe.
On notera que ce sont les professionnels de ce groupement qui ont négocié directement avec les résidents et leurs représentants légaux l’autorisation de notre participation aux activités, la question du droit à l’image et celle d’informer sur les états de santé respectifs de ces personnes. S’inscrivant dans un projet spécifique – la réponse à l’appel à contribution de la revue ethnographiques.org –, le mode de restitution a pu être présenté en aval aux différentes parties prenantes, garantissant ainsi un accord en toute connaissance de cause de la part des familles, des tuteurs ou des résidents.
Le choix de la vidéo, enfin, participe pour une part de la volonté des membres du GPPG de pouvoir, dans d’autres cadres [10], médiatiser ces projets. Ce choix participe tout autant, pour nous, de notre intérêt à donner accès, par l’image autant que par des mots, à cette réalité de la « démence » qui est forte de mille préconceptions [11].
En termes de restitution, nous avons privilégié des vignettes (ou séquences vidéo) brutes, à une exception où un montage a été effectué sur la base de différentes séquences tournées et d’un entretien mené avec deux professionnelles de l’institution concernée. Dans ce dernier cas, l’entretien évoque directement les situations filmées. Nous avons également fait le choix de ne pas retranscrire, comme cela se fait parfois (par exemple les entretiens dans ethnographiques.org), l’ensemble des propos, les laissant accessibles par les seules vidéos, pour nous limiter à leur contextualisation et à leur analyse. Pour chaque situation, ainsi, il s’agit de regarder les vignettes, le texte se limitant à en faire ressortir ce qui, de notre point de vue, est révélateur de l’effet du contexte sur les pratiques possibles pour ces résidents. On notera enfin que pour les deux auteurs, l’écriture d’un article articulant texte et vidéos est un exercice inédit. Il s’agit donc d’un essai, avec toutes les maladresses qui peuvent accompagner une première fois.
Enfin, ce dispositif d’enquête, comme les situations observées, conduit à un certain nombre de limites. Ne portant que sur quelques cas, cet article n’offre pas une analyse fine des pratiques des personnes âgées selon les contextes, mais se base sur les propos des professionnels (et d’une parente) concernant les modifications des pratiques selon différents contextes. Il atteste donc moins de changements de pratiques qu’il renseigne sur la manière dont des professionnels disent découvrir, observer, par la variation des contextes, d’autres pratiques ou dispositions des résidents. De même, cette enquête ne porte ni sur les parcours de vie des résidents ou de leurs porches, ni sur leurs conceptions du grand âge, ni sur les carrières des professionnels. Ainsi, il aborde peu les conditions sociales nécessaires à de tels processus, afin de privilégier, en premier lieu, le discours des acteurs engagés dans ces actions.
Matériau et analyse
Michèle et Claude : l’EMS est un monde, mais pas tout le monde
Michèle [12] partage du temps quotidiennement, au moment de l’enquête, avec son compagnon, Claude, qui réside en EMS psychogériatrique. Très engagée auprès de son compagnon, elle organise, avec l’aide de l’institution, et depuis plusieurs années, des sorties ou des week-ends à l’extérieur de l’institution, dans la région où ils ont vécu ou passé leurs vacances. Pour ce faire, elle est à chaque fois accompagnée par un membre du personnel de l’institution puisqu’elle ne pourrait plus, seule, s’occuper de son compagnon.
Si Michèle est d’accord pour nous parler, même si ce n’est pas facile [13], c’est qu’elle est, pour une part, dans une démarche militante ; elle a déjà accepté de parler à la télévision [14] et elle documente ces sorties à l’intention du personnel de l’institution [15]. À l’écouter, pour elle :
« Il y a une chose qui me frappe, quand on est en EMS, finalement ce sont tous des gens qui ont une vie derrière eux, ils ont eu un travail, automatiquement… Je ne pense pas qu’il y a des rentiers ici, qui n’ont rien fait de leur vie, et finalement ils sont condamnés à l’inactivité. Et cela, quand je l’ai compris, cela m’a choquée. Cela veut dire qu’on est condamné à être dans un fauteuil, en vacances, tous les jours, toute l’année, et c’est juste pas possible. C’est pour cela que je voulais que Claude puisse faire des choses. Parce que si on y réfléchit, c’est horrible. Et ça, c’est important pour moi ».
Comme le montrent les extraits vidéo, les propos de Michèle, et plus largement sa posture et son activité, questionnent l’institution, dans ce qu’elle représente, dans son rôle, et dans ce qu’elle produit, et plus particulièrement en termes de pratiques. À suivre son expérience, telle qu’elle en rend compte, on voit que l’institution (non pas celle-ci, mais les EMS de manière générale) rend difficile la participation sociale des résidents : les amis ou les connaissances du quartier dans lequel on a résidé n’y viennent pas ; on n’y trouve plus aucun des stimuli extérieurs qui font la vie ordinaire (les seuls véhicules qu’on voit passer sont ceux de la blanchisserie) ; les résidents y sont le plus souvent en situation d’échec (Claude n’est plus capable de réaliser les animations proposées dans l’institution) ; l’absence de stimuli rend même les interactions entre les résidents et leur famille compliquées. En même temps, l’institution, dans ses propos, représente aussi des ressources à même de maintenir des pratiques antérieures : si son compagnon est en institution, c’est qu’il n’était plus possible pour elle de s’en occuper à domicile (elle nous racontera, après l’entretien, les soucis que le maintien de Claude à domicile lui causait) et si elle peut faire des sorties avec Claude, c’est parce que l’institution la soutient dans son projet, par la mise à disposition de personnel, le temps d’une journée ou d’un week-end, pour cet accompagnement individuel. Comme elle le dit aussi dans l’entretien : « Ici on nous pousse, on pousse Claude à faire ce qu’il peut. Et c’est cela que j’ai envie, que ce qu’il peut faire, j’ai envie qu’il le fasse. » Joël Volery, responsable socio-hôtelier de cet EMS, dit aussi :
« Quand j’ai commencé dans l’institution, si j’exprimais l’idée de sortir avec des résidents le soir, on me disait : « Non, il n’y a pas besoin, il n’y a pas la demande ». Mais s’il n’y a pas la demande, c’est peut-être parce que l’offre n’est pas là. Et quelque part, le résident n’arrive même plus à formuler la demande. Mais on voit bien que quand on est dans la situation, à l’extérieur, en soirée, il se passe quelque chose d’extrêmement intéressant au niveau des ressources. Et petit à petit, des proches eux-mêmes ont perçu cela et sont venus vers nous pour nous demander si on pouvait organiser telle ou telle chose. Pas tous les proches, mais certains ont aussi perçu ce besoin. Et d’autres n’osent même pas nous le demander. C’est notre rôle alors de leur dire que dans ces moments-là, dans ces lieux-là, on peut aussi les accompagner. On doit aussi mettre des moyens pour les accompagner dans cet espace qu’est l’espace extérieur de l’institution ».
L’institution, consciente qu’elle ne peut être un lieu (ou le seul lieu) significatif pour ce résident, permet à celui-ci, et à sa compagne, de se rendre, pour quelques jours ou activités, dans d’autres lieux, significatifs pour eux, de vivre leur relation dans d’autres contextes que le seul EMS. De même, si l’institution peut parfois s’avérer rétive dans certaines prises de risque (le personnel soignant pouvant être dubitatif face à un projet d’handiski), elle peut aussi, à l’inverse, pousser Michèle à en prendre certains, comme lorsqu’elle dit avoir longtemps hésité à retourner avec son compagnon dans leur domicile, mais l’avoir fait à la suite des encouragements du professionnel de l’équipe de l’EMS qui les accompagne dans toutes leurs activités.
Les propos de Michèle ont alors tôt fait de montrer combien les contextes transforment Claude. Dans le temps présent de ces activités, il active des dispositions, qui, si elles n’ont peut-être pas disparu en EMS, trouvent là une possibilité particulière d’être exprimées. En termes d’habileté également : il mange mieux et se déplace pour quelques pas quand en institution il ne marche plus et que tout repas représente un risque de « fausse route [16] ». Surtout, il retrouve des postures inédites, comme lorsque dans la voiture, « il conduit » ; s’il ne conduit pas vraiment, pour un temps, il n’est plus « dépendant », mais active des dispositions, redevient conducteur, a l’attitude d’un conducteur. De même, à croiser une table de ping-pong, le voilà qui semble se souvenir comment manier une raquette et le but du jeu. Dans le long terme également, ces activités ne semblent pas sans effet. Est-ce parce qu’ils sont significatifs pour lui, ou parce que réalisés dans un rythme ou avec une attention particulière (hors de l’institution, à son rythme et non au rythme de l’institution, avec deux personnes – sa compagne et un professionnel – qui ont toute leur attention pour lui seul [17]) qu’il semble tout particulièrement chérir ces moments ? Comme l’indique Michèle, il n’abîme pas les souvenirs qui y sont liés et il semble avoir retrouvé un calme (et une acceptation de la situation) qu’il n’avait pas au moment d’entrer dans l’institution. Au retour de sa troisième journée de ski et devant un album photo, il retrouve même la parole (voir la séquence 10) ; comme le dit sa compagne : « Il parlait, il chantait alors que Claude est aphasique ! » Ces situations, la variation des contextes d’action et les propriétés sociales de ces contextes semblent ainsi « ancrer » Claude dans le présent, permettre une scansion du temps, donner des repères (temporels mais également en termes d’habileté) qui peuvent être mobilisés par tous ceux qui l’entourent. Cette notion d’ancrage est aussi relevée par Joël Volery à propos d’autres situations :
L’ensemble des constats effectués par Michèle, comme par Joël Volery, portent sur le fait que les dispositions activées à l’extérieur de l’institution ne sont pas les mêmes que celles activées dans l’institution. De même, les habiletés ne sont pas les mêmes : Claude se rappelle comment tenir sa raquette de ping-pong alors qu’il ne peut plus participer aux activités d’animation dans l’institution ; une dame qui voulait retourner dans le village où se trouve l’établissement où elle a travaillé toute sa vie est à même, dès l’entrée de ce village, de guider le chauffeur jusqu’à cet établissement. Dans son pendant plus volontariste, organiser des sorties à l’extérieur permet de « découvrir » des dispositions invisibles dans l’institution. Comme le dit Joël Volery :
« Une dame qui, dans l’institution, je ne sais pas pourquoi, ne mangeait plus du tout, on lui donnait à manger, il fallait lui donner à manger ; on est allé manger au restaurant, cette dame a pris les services, elle a commencé à manger, comme si pris dans la vie organisationnelle, les professionnels et parce que peut-être un jour cette dame était un peu fatiguée, ils avaient commencé à lui donner à manger et qu’après ils avaient pris le pli de lui donner à manger sans se poser de questions ».
La notion de contextes (à comprendre aussi comme des lieux où le rythme des choses est vécu différemment) semble ainsi déterminante dans la manière d’agir de ces personnes, en tous les cas quand il s’agit de lieux potentiellement significatifs pour eux. Le parent, le personnel, le résident : tout le monde est différent, et ainsi se comporte, hors de l’institution, différemment. Les stimuli extérieurs surprennent à l’évidence le résident, lui offrent la possibilité de voir des dispositions s’activer ; ils étonnent également le personnel qui semble alors ouvert à se laisser surprendre différemment qu’il ne le ferait dans l’institution.
La fête de la Musique : à chacun son rythme
La sortie à la fête de la Musique, qui a lieu le 21 juin 2016, commence par le départ de l’EMS à 15 heures pour un café de Lausanne. Pas n’importe quel café : s’il est relativement facile d’accès en véhicule (on se parquera à une centaine de mètres de celui-ci, un chemin piétonnier et plat permettant de le rejoindre facilement), il est surtout, aujourd’hui à Lausanne, un café très à la mode. Point de rendez-vous des résidents et des professionnels des deux EMS participant à cette activité, il est aussi le lieu où les professionnels et résidents, en tandem, décident en commun de ce qu’ils désirent aller voir. Les programmes sont déposés sur les tables, tout le monde commande à boire selon son goût, le ton est aux plaisanteries, que cela soit sur le fait de se retrouver en tandem, sur la présence d’une caméra ou sur les tatouages de quelques professionnels ou des serveurs du café. Un verre est renversé sans causer de gêne, des résidents demandent à plusieurs reprises à d’autres qui ils sont. On observe le souci – et les tandems y aident, chaque professionnel ayant une relation de fait privilégiée avec un résident (son tandem partner) – que chaque résident soit dans une discussion. Certains choisissent la musique classique (qui a lieu dans le bâtiment où se trouve le café), d’autres suivent des propositions de musique latino, d’autres choisissent en fonction d’où se rendent d’autres résidents, et d’autres enfin suivent les propositions du professionnel avec qui ils passent la soirée. Enfin, si l’idée est que chaque tandem choisisse où il désire manger, un certain nombre de tandems choisissent de revenir manger en ce lieu qui est aussi le point de ralliement en fin de soirée, parce que ce lieu est sympathique, mais aussi parce qu’il est encore possible de réserver des tables pour manger. Dès lors, c’est l’heure du départ. Nous suivons des tandems qui partent dans les rues lausannoises. Une chaise roulante a été prise pour chaque résident et le tour de la ville se fait donc en chaise roulante, parce que même si ces résidents sont tous encore capables de marcher quelques pas (les chaises roulantes sont ainsi laissées à l’extérieur du restaurant, comme les résidents vont aux toilettes en marchant), les distances à parcourir sont grandes.
Que ce soit sur le chemin pour se rendre à ce point de rendez-vous, où au moment de se rendre aux concerts choisis, on voit bien vite des résidents interpeller des passants, observer les fleurs ou des jeux mis à disposition des passants en libre-service par la ville. D’autres chantonnent encore. De même, pendant les concerts, on voit les résidents battre le rythme. Si on n’entend pas toujours ce qui se dit, c’est bien la présence de stimuli extérieurs qui semble ouvrir sur ces gestes et sourires. Tout semble encourager l’étonnement, la découverte, sans causer jamais de gêne. D’ailleurs, à l’apéro comme au repas, chaque résident commande lui-même son plat, l’équipe faisant le pari de la bienveillance et de la patience du serveur, acceptant les quiproquos, les corrigeant avec tout autant de bienveillance. De même, dans la rue, les résidents peuvent rencontrer l’intérêt des passants ou des musiciens, comme lorsque certains de ces derniers viennent à leur rencontre. Cela questionne alors cette manière de créer des dialogues, de donner des choix aux résidents, des possibilités de rencontres inattendues, malgré les difficultés de communication. C’est avec le retour dans l’EMS, où se clôture, comme le disent des participants, une « excellente soirée », qu’on retrouve une scène de confusion, des résidents se demandant ce qu’ils doivent faire maintenant, si c’est ici qu’ils dorment.
Cette sortie à la fête de la Musique participe de ces projets de « socialisation » tels que pensés par les membres du GPPG [18]. À l’évidence, le simple fait de se retrouver dans ces endroits, au milieu des passants, revêt déjà un aspect social, comme le fait d’aller au restaurant, ou encore le fait qu’il y ait, comme dans le cas des serveurs du restaurant, d’autres personnes que les seuls professionnels de l’institution qui s’adressent à eux. La personne qui va s’adresser à tel résident ne sait pas qui il est, ni sa ou ses pathologies. De même, la soirée se passant essentiellement en tandem (même si ces tandems peuvent se retrouver devant les mêmes concerts ou pour le repas), les envies individuelles sont prises en compte, ce qui n’a d’ordinaire pas lieu lors d’autres sorties collectives. Joël Volery l’explique ainsi :
« Ici, ce n’est pas parce qu’on est tous à Lausanne qu’on va faire tous la même chose, au même endroit, au même moment. Et cet aspect-là, pour moi, il est important. L’idée, ici, c’est bien de pouvoir découvrir le résident, découvrir ses souhaits, ses intérêts. Et on voit bien dans ce projet-là comme on a eu toute une palette de souhaits, d’intérêts qui sont advenus. […] Si je compare, par exemple, cela à une sortie où on va cinq ou six personnes avec deux accompagnants voir la fête des tulipes à Morges, dans ce cas aussi on est déjà dans quelque chose de social parce qu’on sort de l’institution, mais on est dans un côté beaucoup moins individualiste, où on va retrouver d’un côté un groupe d’accompagnants et de l’autre un groupe de résidents. Et l’idée, c’est bien de sortir de cela pour avoir quelque chose de beaucoup plus fluide : si on est un résident avec un accompagnant, si une fois on veut s’arrêter un moment à un endroit parce que le résident a envie de discuter ou veut s’arrêter pour regarder quelque chose, c’est pas tout le groupe qui s’arrête, on ne stigmatise pas… Il n’y a plus cette notion du groupe où tout le monde doit s’arrêter parce qu’il y a cet effet de masse ».
Ce qui marque l’observateur, c’est effectivement cette possibilité offerte à l’accompagnant, et pour un temps, de se mettre au rythme du résident. On retrouve, de même, un souci de la part des accompagnants, étant en tandem pour plusieurs heures, de discuter avec « leur » résident, de ne pas être dans une posture verbale minimale. Surtout, on voit dans les séquences vidéo combien les résidents semblent friands de ces stimuli extérieurs (qui ne sont pas forcément les concerts de musique, mais plus largement les passants, les fleurs, etc.).
On notera néanmoins que pour certaines situations, il est bien difficile de comprendre si ce qui se joue au sein des tandems doit être rapporté à la manière d’être des professionnels, à la pathologie des résidents, ou à l’humeur du jour de l’un ou de l’autre. Comme dans la séquence 23 où l’on ne sait plus à l’initiative de qui, des accompagnants ou des résidents, commence la chanson. Est-ce à l’initiative du professionnel, soucieux de stimuler le résident, que la chanson est entonnée, ou bien est-ce le contexte et la vue de la montagne qui encouragent à ce chant traditionnel dont une strophe dit : « Aimons nos montagnes, nos Alpes de neige » ? On voit néanmoins des tandems différemment complices, où la décision d’aller voir tel ou tel concert est prise, autant que faire se peut, à deux [19].
Maintenir des rôles sociaux : ne plus résider dans l’EMS mais y travailler
À l’EMS La Vernie, les projets portent, eux, sur la création de rôles sociaux pour les résidents. Par exemple, un résident aide, une fois par semaine, un employé de l’équipe technique à rassembler tous les déchets et l’accompagne au moment de les amener à la déchetterie ; de même, une dame aide à la mise en place des tables dans le restaurant de l’EMS qui est ouvert également au public.
Madame Nicole Piguet-Weishaupt, membre du Groupement de praticiens en psychogériatrie (GPPG), est directrice des soins dans un EMS à Crissier près de Lausanne.
Madame Anne-Claude Junod est responsable de l’animation du restaurant qui dépend – et se trouve dans le bâtiment – de cet EMS.
Cet EMS se caractérise, comme on le voit dans ce montage vidéo, par le souci des professionnels d’offrir aux résidents des rôles sociaux autres que celui de seul résident. La réflexion se porte ici principalement sur l’image que les personnes peuvent avoir d’elles-mêmes, sur l’identité que l’institution peut leur proposer au-delà de celle de résident. On a ainsi l’impression que le résident devient, pour un temps, le collègue de l’employé du service technique de l’institution. L’un et l’autre sont habillés – est-ce un hasard du jour du tournage ? – de manière similaire, chacun portant pantalon couleur jeans, t-shirt et casquette. Ils travaillent ensemble et font, l’un et l’autre, des propositions quant à la meilleure manière d’attacher le chargement sur le camion. Dans le cas de la résidente qui dresse les tables au restaurant, on voit également, pour celle-ci, la possibilité d’une posture particulière, celle d’une travailleuse. Ainsi, quand bien même les difficultés liées aux troubles cognitifs sont bien présentes – au début de la séquence, on voit ses difficultés à répondre aux questions : tantôt elle demande, par le regard, l’intervention de l’animatrice, tantôt son regard s’absente – elle n’a pas perdu toutes les habiletés techniques qu’elle avait acquises lorsqu’elle travaillait dans un tea-room, et ce sont celles-ci qui, valorisées à travers l’activité, lui permettent de maintenir ce rôle social de travailleuse. Ces deux personnes, le temps de ces activités, ne sont plus seulement des résidents, avec leurs pathologies, mais au contraire des « collaborateurs ».
Et le poids de ces rôles sociaux ne semble en rien anodin. Comme les deux professionnelles interrogées l’indiquent, ces personnes, alors même qu’elles peuvent ne pas se souvenir de qui sont les membres du personnel dans l’EMS, ne manquent jamais d’être prêtes au moment de ces activités. Plus encore, depuis que ces deux personnes réalisent ces activités, elles n’ont plus demandé (comme elles pouvaient le faire jusque-là) à sortir de l’institution pour reprendre un appartement. Au contraire, elles semblent donner du sens à leur présence dans l’institution, le fait de vivre et de travailler au même endroit leur paraissant le plus pratique. Si l’on peut observer dans la séquence vidéo comment, dès que le silence s’installe autour de la table, le regard de la dame s’en va au loin, et entendre les professionnelles indiquer combien, pour le monsieur, l’activité lui permet de sortir de pensées obsédantes, on voit alors en quoi ces activités les ancrent dans le présent, les sortent pour un temps de leur statut de résident et peut-être même de certains états découlant de leurs pathologies.
En même temps, tous les types de contexte, à en croire ces professionnelles, ne sont pas également souhaitables pour ces résidents, car ils n’activent pas tous les mêmes dispositions. Ainsi, si le résident dit que son activité à la déchetterie lui fait du bien, parce que cela lui occupe l’esprit, parce qu’il doit réfléchir, se concentrer, parce que cette activité lui offre une posture de professionnel, comme s’il laissait, pour un instant, ses émotions à la maison (à l’EMS, dans son unité), en même temps, d’autres contextes, parce que plus émotionnels, peuvent être sources de troubles, comme lorsque le résident se promène dans la ville où il a fait son apprentissage et une bonne part de sa carrière. Dans ce cas, le contexte ouvre sur un ressassement (pénible) de souvenirs. De même, certains projets doivent être abandonnés, comme dans le cas d’une résidente qui, ancienne enseignante, allait aider, dans une structure d’accueil scolaire, des enfants à faire leurs devoirs, mais dont l’attitude liée à des dispositions acquises dans un contexte scolaire très différent n’était plus adéquate et trop sévère, et qui semblait elle-même souffrir de ne plus être à sa juste place. Placer les résidents dans des situations qui permettent d’exprimer différentes dispositions n’est ainsi, aux yeux des professionnels, pas toujours bienvenu, et on peut observer des effets d’hystérésis liés aux dispositions : des projets sont alors parfois modifiés ou interrompus, mais reste ce souci, pour les professionnels, d’oser.
Conclusion
L’analyse des situations présentées dans cet article montre combien l’entourage (qu’il s’agisse des professionnels ou des proches) de la personne malade importe quant à la participation des résidents à différents mondes sociaux. S’il y a désinsertion sociale, elle n’est pas uniquement le produit de la maladie, mais elle est également le fait des professionnels. C’est le choix des professionnels de favoriser la fréquentation d’espaces publics ou des contextes de sociabilités côtoyés par les résidents tout au long de leur vie, ou au contraire, de faire de l’institution le seul monde social offert aux résidents.
L’observation de ces situations, comme les entretiens menés avec ces professionnels, montrent également que, par-delà la lutte contre la désinsertion sociale de ces résidents, la possibilité de voir les résidents agir dans d’autres contextes “révèle” ces résidents, les donne à voir sous un autre jour, et a des effets sur la manière dont ces résidents vivent dans – ou s’accommodent de – l’institution. À en croire les professionnels, des activités significatives, hors de l’institution, agissent directement sur :
- 1) Leur ancrage dans la vie. Le fait de mener des activités significatives, d’avoir une vie hors de l’EMS, semble apaiser les tensions liées au fait de résider en institution. Dans l’institution, le temps semble parfois perdre de sa consistance, les lieux et les rythmes se reproduisant à l’infini. Au contraire, les activités menées hors de l’EMS scandent le temps. Elles offrent un ancrage temporel et géographique, mais aussi « pratique » : selon ces professionnels, sortir de l’institution, changer de contexte, permet de voir des dispositions ou des habiletés, habituellement invisibilisées dans l’institution, être actualisées. Et ces habiletés, exprimées à l’extérieur, peuvent également être ensuite de nouveau mobilisées dans l’institution.
- 2) Leur posture face aux autres : si Claude semble « conduire » quand il s’assied devant dans un véhicule, le résident qui aide à la déchetterie dit parfois, dans des interactions avec des personnes de l’extérieur, non pas qu’il « réside » à l’EMS, mais qu’il y « travaille ». De même, si face au rythme institutionnel, les résidents peuvent se sentir en échec (il est plus rapide de déplacer quelqu’un en chaise roulante que de le guider dans la traversée d’un couloir ; même des activités organisées dans des institutions peuvent se révéler trop difficiles pour des résidents comme Claude), la sortie de l’institution, c’est-à-dire le changement de contexte spatial et temporel pour les résidents mais également pour les professionnels qui eux aussi sortent des logiques de travail ordinaires, permet au contraire de placer les résidents dans des postures de réussite.
Au final, faisant des analyses dispositionnalistes et contextualistes de Bernard Lahire (2012) une grille d’analyse pour penser le travail des professionnels dans les établissements psychogériatriques, cet article, même limité à quelques cas, montre que les pratiques des résidents, quand bien même ces derniers peuvent souffrir de troubles cognitifs très importants, dépendent sans doute moins d’un seul état de santé des résidents (qui se détériore) que des propriétés sociales des contextes qui leur sont proposés.