Comparer l’invisibilisation des techniques dans le travail de narration audiovisuelle d’un grand spectacle : un siècle de production filmique sur la Fête des Vignerons

Résumé

Cet article propose de comprendre comment les travaux de captation, de médiation et de narration audiovisuelles participent à la construction de représentations audiovisuelles d’une performance scénique, la Fête des Vignerons de Vevey. L’article revient sur l’invisibilisation de ces activités dans les productions patrimoniales qui en résultent. Il s’appuie sur deux méthodes, l’observation ethnographique permettant de saisir le réseau sociotechnique complexe de la fabrique audiovisuelle et les moments-clés durant lesquels la narration du produit audiovisuel et l’invisibilisation des techniques de captation et de médiation sont co-construites, ainsi que la mise en comparaison d’images d’archives permettant de saisir en partie ce réseau sociotechnique et les re-mobilisations de sa narration audiovisuelle. Comment étudier les représentations visuelles d’une même célébration patrimoniale à travers plus d’un siècle ? Est-il possible de produire des connaissances en comparant les représentations audiovisuelles de cette célébration ? Comment, dans chacun de ces cas, se (re)construit la narration audiovisuelle et comment cette construction est rendue invisible dans les produits ensuite mis en circulation ? Qu’est-ce qu’une telle démarche peut nous apprendre des procédés de patrimonialisation à l’œuvre ?

mots-clés : comparaison, narration audiovisuelle, spectacle, analyse d’images, film, invisibilisation, Fête des vignerons, ethnographie, vidéo-ethnographie, réflexivité méthodologique, patrimonialisation

Abstract

Comparing the invisibility of techniques in the audio-visual narration of a major spectacle : a century of filmic renditions of the Winegrowers’ Festival in Vevey

This article analyzes how the work of audiovisual capture mediation and narration participates to the construction of audiovisual representations of a stage performance, namely the Winegrowers’ Festival in Vevey. It examines the invisibility of these activities in the heritage products resulting from the Festival. It is based on two methods. The first is ethnographic observation that reveals the complex sociotechnical network of audiovisual production and the key moments during which this narration and the invisibilisation of capture and mediation techniques are co-constructed. The second consists in the comparison of archive images that allow viewers partially to grasp this sociotechnical network and the re-mobilisation of its audiovisual narration. How can we study the visual representations of different editions of the same heritage celebration made over more than a century ? Is it possible to produce knowledge by comparing the audiovisual representations of this celebration ? How, in each of the six cases that are considered in this article, is the audiovisual narrative (re)constructed, and how is this construction made invisible in the products that are then put into circulation ? What can such an approach teach us about the processes of heritage making at work in this context ?

keywords  :

comparison, audiovisual narration, show, image analysis, film, invisibilisation, Winegrowers’ Festival in Vevey, ethnography, video-ethnography, methodological reflexivity

Sommaire

Déconstruire l’invisibilisation

Si la comparaison est une procédure formelle dans les sciences humaines et sociales qui se décline sous de nombreuses formes selon les disciplines, c’est également une forme heuristique de prise sur le monde, qui permet de saisir des contrastes et de percevoir des différences. En tant que pratique cognitive qui s’appuie sur des ressources mobilisées en situation (Goodwin 2000 ; Hutchins 2006 ; Latour 2007) elle n’est pas exclusive au champ scientifique. Lorsqu’elle est utilisée pour produire des connaissances scientifiques, elle mérite cependant d’être examinée plus spécifiquement et conduit à un retour réflexif sur les pratiques de recherche et les procédés mobilisés [1].

La comparaison est engagée en fonction d’objectifs qui orientent les résultats potentiels. Dans cet article, le travail consiste à observer un phénomène à partir d’un corpus rassemblé autour d’un chant à la valeur identitaire forte, le Ranz des vaches. L’article se propose également de faire émerger des éléments imprévus qui résultent de la juxtaposition issue d’une mise en parallèle volontaire comme le suggère Strathern (2004). La comparaison met en place une « optique comparative » (Knorr-Cetina 1999) qui nous permet de rendre visible l’invisible, ce qui serait resté évident si nous nous en étions tenus à une seule occurrence ou événement.

Cette enquête propose de suivre la transformation d’un spectacle vivant de grande ampleur en objet patrimonial, en couplant travail ethnographique, juxtaposition de représentations audiovisuelles de ce spectacle (la Fête des Vignerons) et rapprochements de ces représentations avec leurs (re)mobilisations dans différents contextes, que ce soit la production d’un DVD patrimonial visant à promouvoir la Fête de 2019, ou la candidature de la Fête auprès des instances de l’UNESCO pour inscription sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel.

L’approche ethnographique permet de suivre les pratiques des professionnel·le·s qui cherchent à rendre les techniques de narration audiovisuelle invisibles dans leurs produits audiovisuels. Nous verrons quel rôle cette invisibilisation vient jouer dans la narration du spectacle, et en quoi la captation audiovisuelle de celui-ci joue un rôle dans la fabrique de l’événement lui-même. L’étude des images d’archives cherchera à retracer ces procédés pour éventuellement les retrouver dans les productions audiovisuelles, et permettra d’interroger les mobilisations de ces images par différentes instances. L’article vise donc à interroger les procédés de patrimonialisation, notamment lorsqu’ils passent par des procédés d’invisibilisation des techniques de production d’objets patrimoniaux. Il revient sur les gestes de sélection et de comparaison utilisés par les participant·e·s pour y parvenir, et cherche à suivre les nombreux acteur·trice·s sociotechniques à l’œuvre dans ces procédés.

En rendant visibles des différences entre deux modes comparatifs (l’analyse d’images d’un produit audiovisuel et l’ethnographie de sa fabrication), nous nous approchons des propositions de Deville, Guggenheim et Hrdlickova (2016) qui notent la productivité analytique qu’il y a à effectuer des mises en comparaison différentes et inhabituelles, tout en explicitant les pratiques comparatives à l’œuvre chez les chercheur·se·s, y compris le travail et l’expérience des personnes qui s’appliquent à comparer pour produire des connaissances. Comment, dans ce cadre, traiter des fabrications de comparables à propos de phénomènes séparés dans le temps, mais qui concernent un même espace et un événement culturel récurrent ? Quelles différences entre des pratiques “scientifiques” de mise en regard et celles, “patrimoniales”, qui visent à représenter la continuité et la pérennité d’un événement qui se reproduit à près de 25 ans d’intervalle ?

Méthode et terrain

La recherche porte sur une célébration, la Fête des Vignerons, qui a lieu à Vevey (Suisse) « une fois par génération ». Depuis le XVIIe siècle, cette fête est l’occasion pour la Confrérie des vignerons [2] d’honorer le travail de la vigne ; elle est reconduite tous les 20 à 25 ans. Le spectacle est composé de troupes costumées, qui défilent ou jouent des scénettes, de fanfares, de chœurs et d’orateurs qui déclament des textes poétiques. Depuis 1797, la fête prend la forme d’un spectacle donné dans une arène à ciel ouvert, accueillant des foules chaque fois plus nombreuses (passant de 2000 places assises en 1797 à 20 000 en 2019), pour un nombre croissant de représentations du spectacle (1 en 1797, 20 en 2019). Par son occurrence temporelle particulière, les changements technologiques et sociétaux entre chaque édition sont marqués ; les éditions de la Fête permettent de suivre ces évolutions et leurs insertions au cœur des spectacles. En 2016, la Fête est inscrite sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO (rubriques Arts du spectacle et Pratiques sociales).

Les données traitées dans cet article sont issues d’une enquête ethnographique et vidéo-ethnographique portant sur la préparation de la Fête (Vinck 2019), avec un travail d’observation durant l’été 2019, dans les régies techniques du spectacle lors de sa captation ainsi que dans les locaux de l’institution télévisuelle lors du travail de montage vidéo du spectacle en DVD et Blu-ray. Des images d’archive des Fêtes précédentes (1905, 1927, 1955, 1977 et 1999) ainsi que la vidéo du spectacle de 2019 ont de plus été utilisées [3]. Quelques sources historiques ainsi que des données issues d’entretiens ont permis de compléter nos informations.

Le Ranz des vaches

Pour cet article, nous nous focaliserons sur le tableau du Ranz des vaches. La musique de la Fête des Vignerons représente un mélange de chansons traditionnelles, à chaque fois revisitées, et de créations nouvelles réalisées par les librettistes et compositeur·trice·s de la Fête. Le Ranz des vaches, ou Lyoba, en est la plus connue. Elle est chantée depuis la seconde édition du spectacle en 1819. Lyoba vient du terme gruyérien alyôbâ, l’appel du bétail par les armaillis (bergers des Alpes vaudoises et fribourgeoises) pour le faire rentrer à l’étable ou le calmer durant la traite. Il est traditionnellement chanté a cappella ou accompagné de cors des Alpes. Désormais inscrit sur la liste des traditions vivantes de Suisse, ce chant en patois a une valeur identitaire forte, comme le rappelle la légende selon laquelle il provoquait la désertion des mercenaires suisses de l’armée des rois de France, atteints du mal du pays, ou l’initiative qui a été déposée en février 2019 pour le décréter hymne cantonal. La mélodie a été reprise par des compositeurs tels que Chopin, Beethoven, et Wagner, et plus récemment par I Muvrini, Bastian Baker et par Rap From Age, un groupe de rap suisse qui a sorti un CD juste avant la Fête de 1999.

Chaque occurrence de la Fête re-présente le Ranz des vaches comme un tableau mythique et attendu, ce qui en fait un élément qui se doit d’être traité comme tel lors de ses représentations médiatiques. Cette mise en avant du Ranz des vaches induit également la comparaison de la réinterprétation du chant lors de chaque représentation de la fête, y compris en termes d’émotion dégagée, de la part tant des publics que des acteur·trice·s du spectacle. Ainsi, la prestation du soliste Bernard Romanens lors de la fête de 1977 est aujourd’hui considérée comme un incontournable par les médias et semble représentatif de l’émotion attendue de ce chant. À l’inverse, la controverse à propos du manque d’émotions suscitée par la version présentée lors des avant-premières du spectacle en 1999 a entraîné une modification de sa mise en scène. En 2019, d’autres controverses publiques éclosent : une rumeur évoque le fait que le soliste pourrait être une femme, ou qu’un Vaudois ferait partie des chanteurs traditionnellement Fribourgeois, indices des attentes quant à cette performance et à ses représentations.

Capter le spectacle : un siècle de production filmique à la Fête des Vignerons

Quelques considérations historiques [4] permettent de contextualiser les images que nous allons analyser. Le XXe siècle a vu l’apparition du cinéma dans les années 1920, de la télévision satellite dès 1980 et le passage au web 2.0 dans les années 2000. Ces changements peuvent être perçus dans les formats utilisés pour les captations de la Fête des Vignerons.

L’historique des captations [5] audiovisuelles de la Fête des Vignerons permet de suivre dans ses grandes lignes l’évolution des techniques filmiques, des conventions narratives et des rôles d’une télévision nationale captant et diffusant des événements représentatifs d’une culture nationale. Depuis 1905, la Fête fait l’objet d’une production cinématographique, puis d’une captation télévisuelle, assurée, dès 1977, par la télévision nationale. En 1905 (soit 10 ans après le dépôt du brevet des frères Lumière pour le cinématographe), la Fête est captée par la compagnie anglaise Charles Urban Trading Company au moyen d’un seul « appareil photographique avec cinématographe » [6] installé dans les estrades. Les images muettes, en noir et blanc, en partie colorées au pochoir, se retrouvent alors sur support nitrate, extrêmement inflammable.

Ill.1-extrait de la captation de 1905
crédits : RTS Radio Télévision Suisse, Confrérie des vignerons de Vevey et Cinémathèque suisse

En 1927, huit bobines en noir et blanc tournées sur plusieurs jours par le cinéaste suisse Arthur Adrien Porchet ont été déposées à la Cinémathèque suisse par Yves Moser, un exploitant de cinéma veveysan et membre de la Confrérie des Vignerons. Ces bobines ont ensuite été en partie assemblées. Tout comme dans la version de 1905, le film est muet. La sonorisation de l’archive filmique est assurée par la RTS (Radio Télévision Suisse) qui utilise des enregistrements d’orchestres reprenant les musiques de Gustave Doret (compositeur de la Fête en 1905 et en 1927), captées en 1946 et 1953.

Ill.2-extrait de la captation de 1927 (muet)
crédits : RTS Radio Télévision Suisse, Confrérie des vignerons de Vevey et Cinémathèque suisse

En 1955, la captation filmique du spectacle est assurée par Jean Gehret, réalisateur genevois qui habite alors à Paris. Il réalise un court-métrage de 30 minutes avec l’aide de deux cadreurs et d’un assistant, qui sera monté par le réalisateur français Jean-Charles Dudrumet. Le film est colorisé grâce au procédé Eastmancolor [7] dans les laboratoires Éclair, une entreprise parisienne proposant des studios de cinéma, le développement photochimique de films et la fabrication de caméras. Pour la première fois, des projecteurs (les mêmes que ceux utilisés dans la défense aérienne) permettent des représentations du spectacle de nuit.

Ill.3-Extrait de la captation de 1955
crédits : RTS Radio Télévision Suisse, Confrérie des vignerons de Vevey et Cinémathèque suisse

Jusque dans les années 1950, les films sur bobines sont présentés via des cinématographes ambulants ou dans des salles de cinémas. En janvier 1954, la première émission de télévision genevoise est diffusée grâce à un émetteur fabriqué par des techniciens et des étudiants de l’Institut de physique, et la télévision suisse romande est officiellement lancée le 1er novembre 1954. Dans les années 1960 la télévision connaît un développement fulgurant en Suisse : 50’000 récepteurs télévisés en 1958, 100’000 en 1960 et un million en 1970 [8].

En 1977, la Télévision Suisse Romande (TSR) obtient l’exclusivité pour la captation du spectacle. Jean Bovon se charge de la réalisation, avec une demi-douzaine de caméras, situées dans les gradins et sur la scène. Sa retransmission en direct est un « triomphe populaire » [9], et le spectacle est rendu disponible sous forme de cassette VHS en 1998, un an avant la Fête suivante.

Ill.4-extrait de la captation de 1977
crédits : RTS Radio Télévision Suisse, Confrérie des vignerons de Vevey et Cinémathèque suisse

Pour la Fête de 1999, le réalisateur Michel Dami est chargé de réaliser la captation du spectacle, qui est diffusé exceptionnellement au format 16 : 9 [10], le soir du direct. D’autres types d’émissions sont diffusées tout au long de la Fête. L’équipe de la TSR compte alors environ quatre-vingts employé·e·s. Pour la captation du spectacle, douze caméras sont utilisées : six fixes, cinq HF (dont deux steadycams [11]) maniées par des cadreur·se·s intégrés dans le spectacle grâce à un déguisement, et enfin une caméra située au sommet du mât de sonorisation prenant place au centre de l’arène. Divers montages sont effectués : un montage vidéo analogique pour la cérémonie du 1er août, un montage vidéo numérique pour la VHS, et un montage numérique de 100 minutes pour ARTE. De plus, chaque spectacle est enregistré sur cassette VHS et visionné par l’équipe de la RTS pour tenter d’améliorer la captation. Pour la première fois, la captation officielle comprend des images du spectacle de jour et du spectacle de nuit.

Ill.5-extrait de la captation de 1999
crédits : RTS Radio Télévision Suisse et Confrérie des vignerons de Vevey

Pour la Fête des Vignerons de 2019, le réalisateur Julian Nicole-Kay est chargé par la RTS de la réalisation du spectacle. La captation est rendue possible grâce à treize caméras, dont deux steadycams, une spidercam [12], une caméra portable et d’autres caméras fixes (dont certaines au zoom x86, de longue portée). La captation est effectuée dans le format de définition UHD. Les régies sont présentes dans l’arène, dans des containers à 30 mètres du sol, ou dans un car aménagé situé hors de l’arène.

Ill.6-extrait de la captation de 2019
crédits : RTS Radio Télévision Suisse et Confrérie des vignerons de Vevey

Ethnographie de la fabrique audiovisuelle

Les sources historiques sur les captations audiovisuelles des Fêtes passées ne retiennent que quelques noms, images ou informations ; elles ne rendent pas compte des collectifs impliqués dans l’assemblage sociotechnique du spectacle, ni de sa représentation télévisuelle. L’enquête ethnographique (cf. l’ouvrage de Vinck 2019) permet, au contraire, de revenir sur ces éléments. Cette section permet ainsi de rendre compte des métiers impliqués avant et pendant la Fête dans la captation du spectacle vivant de 2019, sa médiation puis sa transformation en objet audiovisuel.

Un long travail de préparation

L’ethnographie du travail de captation et de construction de la narration audiovisuelle montre que ce travail ne se réduit pas à un processus linéaire et planifié allant de l’installation des caméras jusqu’à la diffusion du DVD. Il dépend, au contraire, de négociations, d’ajustements et de réagencements récurrents. Le cahier des charges négocié entre l’entreprise télévisuelle et la Confrérie des Vignerons concerne différentes productions : la captation et la diffusion en direct d’une des représentations du spectacle, sa retransmission sur différentes chaînes télévisuelles dans le monde, des captations destinées à la production d’un DVD du spectacle de nuit, un DVD du spectacle de jour, et un DVD du couronnement [13]. Des images sont utilisées par le concepteur vidéo afin d’être intégrées au spectacle via les écrans LEDs verticaux (blades) situés sur les quatre scènes latérales, qui diffusent les gros plans de solistes ou de personnages durant le spectacle.

Le travail de préparation de la captation et de la narration télévisuelle a été engagé plusieurs années avant le spectacle. Outre les négociations entre l’entreprise télévisuelle et la Confrérie ou les réunions préparatoires de l’équipe tv, l’emplacement et le type de caméras sont discutés dès 2016 avec le metteur en scène et le scénographe. Le réalisateur s’efforce de comprendre le projet du metteur en scène tandis que celui-ci, habitué à produire de grandes manifestations dont la diffusion est un enjeu, discute du type de caméra et de la captation. Le spectacle incluant un tapis de LEDs (800 m2) sur la scène centrale pose la question de ses effets sur la captation télévisuelle, notamment les éventuels problèmes de moirage. À l’été 2018, quelques dalles LED sont envoyées chez le metteur en scène au Tessin, où un car de l’entreprise télévisuelle se déplace pour réaliser des tests à ce sujet. Déjà bien avant ses répétitions, le spectacle est en partie prévu, pensé et conçu pour sa captation, et sa préparation implique l’équipe télévisuelle.

Six semaines avant le premier spectacle, la scripte, le chef de la photographie et le réalisateur se rendent aux répétitions du spectacle dans l’arène pour préparer le découpage, c’est-à-dire décider des types de plans, de la répartition et des déplacements éventuels des caméras tenant compte du timecode [14]du spectacle. Un travail de repérage dans l’arène est alors engagé ; le réalisateur, le chef de la photographie et les cadreur·se·s se déplacent durant les répétitions, sans caméra, pour visualiser ce que l’image pourrait donner, ainsi que pour comprendre les mouvements chorégraphiques sur scène, et repérer le lieu d’où les acteur·trice·s surgissent. Tandis que les répétitions précisent les performances du spectacle à venir, l’équipe télévisuelle prévoit déjà leur captation et la narration qui permettra d’articuler les différents éléments scéniques afin de raconter une histoire selon des normes de narration visuelle, à l’exemple de la règle des 180 degrés [15].

Ce découpage est réalisé petit à petit par la scripte et le réalisateur, qui visionnent des enregistrements des répétitions réalisées par l’assistant-réalisateur. Ils discutent des possibilités esthétiques, techniques et narratives. Avec le découpage, réalisé par la scripte et le réalisateur, nous découvrons le caractère mouvant des prises de décisions, les nombreuses incertitudes (levées en retournant sur place), l’écriture au crayon souvent modifiée, et les ajustements constants des possibilités de captation en fonction de la mise en scène. Des informations cruciales pour la prise de vue surgissent au cours de cette phase du travail, tenant compte d’équilibres à trouver pour les cadreur·se·s (limiter le nombre de choses différentes à filmer dans un certain laps de temps) et pour les sujets à filmer (au moins une caméra, voire plus, par objet scénique important). La technique de prise de vue est un élément important à prendre en compte dans le découpage du spectacle ; elle influe sur sa future narration. Les décisions sont partagées avec les cadreur·se·s et notées dans le script, consigné dans un classeur qui sera ensuite utilisé dans la régie de réalisation lors des captations ; la scripte informe les cadreur·se·s des éléments scéniques à venir, ce qui leur permet de se préparer pour les prochains plans à capter. Les cadreur·se·s sont en partie déguisé·e·s pour être intégré·e·s au spectacle, comme c’était le cas déjà en 1999.

Deux semaines avant la première du spectacle, l’installation technique des deux cars de l’équipe télévisuelle prend place sur le site du spectacle. Le premier car contient les régies, et l’autre le stockage du matériel technique. Les cars proviennent de la filiale suisse alémanique, car l’été est riche en événements nécessitant des captations. Le car désigné est équipé de la technologie 4K/UHD, choisie pour la captation de la Fête, ce qui permet aux technicien·ne·s de se familiariser avec ce nouveau matériel appelé à devenir la norme pour les événements de grande ampleur (comme avec les Jeux Olympiques de 2020).

De multiples opérateur·trice·s mettent la main à l’image

La représentation télévisuelle dépend du travail, finement coordonné, de nombreux·euses travailleur·euse·s de l’ombre, invisibilisé·e·s par le travail de production audiovisuelle. Des cadreur·se·s, manipulent de grosses caméras fixes installées dans les gradins aux côtés du public ou depuis la fenêtre d’un container de la régie en haut des gradins. Certain·e·s sont mobiles et se déplacent sur les scènes à pied ou sur un segway. Deux pointeurs accompagnent les opérateurs des steadycams et font la mise au point de l’image. Des aides bénévoles suivent les steadycams pour leur apporter de l’eau ou recharger les batteries. Une régie est dédiée au maniement de la spidercam, où trois personnes assurent son fonctionnement (un script annonce les actions à venir, un opérateur commande les mouvements de la caméra et un opérateur règle la caméra). Deux opérateurs manœuvrent un drone télécommandé (un pilote et un opérateur caméra) pour quelques plans insérés dans le DVD. Enfin, une caméra longue focale est installée sur une colline à 700 mètres au-dessus de la ville, pour des plans de l’arène et de Vevey.

Dans le car de la régie télévisuelle, situé hors de l’arène, huit personnes sont à l’œuvre derrière des pupitres et de nombreux écrans. Des opérateurs vidéo agissent sur la captation de l’image (contrôle à distance de l’ouverture du diaphragme des caméras) et sur son étalonnage (colorimétrie). De plus, deux ingénieurs son et un script gèrent le son reçu des régies son du spectacle - dans lesquelles opèrent une vingtaine de sondier·ère·s répartis en huit régies. Ces dernier·ère·s gèrent plusieurs centaines de signaux sonores captés dans le spectacle, qu’ils adressent à la régie télévisuelle qui intègre le son et l’image, notamment des pré-mixes des chœurs et des musiques ainsi que des sons et musiques préenregistrés. Enfin, la scripte donne des indications concernant le déroulement du spectacle aux cadreur·se·s relié·e·s par radio à la régie, de manière à leur permettre de préparer les mouvements de caméra qui seront ensuite choisis par le réalisateur en direct. La captation du spectacle et la réalisation de sa narration télévisuelle en direct ont été produites lors de chacune des vingt représentations données en 2019, même si, en définitive, une seule de ces captations sera transmise en direct à la télévision, et deux (un spectacle de jour et un spectacle de nuit) serviront pour la construction de l’archive filmique.

Le « nettoyage » télévisuel

Après le dernier spectacle, le processus de fabrication de la narration audiovisuelle comporte encore plusieurs arrangements : le spectacle filmé est sauvegardé, transmis à l’entreprise télévisuelle, où il est visionné, discuté, repensé, puis monté (ou « nettoyé ») dans les semaines qui suivent. Cette opération nécessite neuf journées de travail en régie de post-production (cinq jours pour le spectacle de nuit, deux jours pour le spectacle de jour et le couronnement, et deux jours pour les exports et le re-visionnement). Ce travail implique tout d’abord la scripte, la monteuse et le réalisateur qui visionnent le spectacle et identifient les parties potentiellement problématiques qui devront être modifiées. La monteuse effectue ensuite les modifications dans le montage réalisé en direct par le réalisateur, accompagnée par la scripte. Enfin, un travail de titrage, d’étalonnage, de mixage son, de graphisme puis de presse du DVD complètent la construction audiovisuelle avant que n’interviennent la communication, la commercialisation et la distribution du DVD, ainsi que son archivage.

Cette partie descriptive nous permet de montrer que les choix de réalisation sont issus de nombre de procédés complexes et contingents.

Invisibiliser la captation et ses techniques

Ce travail riche et détaillé que l’ethnographie permet de mettre au jour disparaît pourtant de la représentation télévisuelle de l’événement, et a fortiori du DVD. Nous pouvons nous interroger sur les motifs de cette disparition, et envisager tout d’abord que les représentations filmiques cherchent souvent à éviter les coulisses afin d’assurer, notamment, l’illusion narrative ou référentielle (Barthes 1968), permettant une immersion plus complète dans la fiction qui serait autrement empêchée par le rappel constant de sa fabrication. Dans le cadre d’événements “réels” retransmis en direct, il semble que ces conventions esthétiques soient également présentes. En faisant disparaître du rendu final ce qui a permis sa construction, la représentation semble alors “tenir seule” et fournir un accès immédiat à l’événement représenté. Les marques de sa fabrication sont conçues comme des obstacles à l’illusion d’une existence propre ; leur effacement permettrait de faire oublier qu’il s’agit d’une production et qu’elle est issue des choix opérés par ses nombreux·e·s auteur·e·s. Techniques et technicien·ne·s sont invisibilisés, détachant le produit de son contexte de production afin qu’il puisse largement circuler.

De la même manière, les infrastructures nécessaires aux travaux techniques, une fois construites, passent à l’arrière-plan des activités sociales qu’elles supportent et ne redeviennent visibles qu’en cas de pannes (Star et Ruhleder 2010). La performance entourée par ces infrastructures est considérée comme d’autant meilleure que le travail que ces activités sociales nécessitent demeure invisible. Les STS et les infrastructures studies suggèrent que pour comprendre les produits et leurs effets, il convient de procéder à une inversion infrastructurelle (Bowker 1994) et d’aller voir en coulisses (Star 1999), afin de remettre au premier plan le travail dont ces produits sont le résultat. Il s’agit de les étudier en train de se faire, d’être conçus, installés, ajustés, équipés (Vinck 2006, 2009) et réparés, afin d’accéder à des activités et à des personnes autrement inaperçues. Prenant appui sur les notions de travail visible et invisible (Strauss 1988, 1992 ; Strauss et al. 1985 ; Suchman 1995 ; Bowker et Star 1999), il s’agit de se rendre sensible à ces activités mal comprises comme peut l’être le travail dévalorisé des domestiques de maison (Nardi et Engeström 1999). Leur visibilité dépend de processus de mise en visibilité ou de mise en invisibilité (Denis et Pontille 2012 ; Millerand 2012), conduisant à leur reconnaissance ou, au contraire, à leur objectivation. Ce travail invisible, de routine ou, au contraire, d’articulation (Strauss 1985, 1988, 1992) (afin de faire tenir ensemble une série de tâches, d’acteurs et de ressources) est souvent sous-estimé (Star 1991), surtout s’il dépend d’une capacité à bricoler (Barley et Orr 1997) et à effacer les traces de l’activité.

Trois moments-clés de la construction narrative audiovisuelle par des effacements

L’enquête permet ainsi de saisir la fabrication de ce qui deviendra l’archive audiovisuelle du spectacle : une version unique qui devra être représentative des vingt représentations de 2019. Notre analyse identifie trois moments-clés de la construction de la narration audiovisuelle : le découpage lors des répétitions du spectacle, la réalisation en direct et le re-montage quelques semaines après la fin de la Fête. L’observation ethnographique et l’enregistrement audio ou vidéo du travail en régie de ces différents moments permettent de mieux comprendre les processus d’invisibilisation qui opèrent à chacune de ces étapes. Ces processus portent à la fois sur les techniques propres à la production du spectacle (perches, sons, éléments de décor en circulation, etc.), et sur celles de la captation dans l’arène (caméras, cadreuses et cadreurs). Ces différentes (in)visibilités représentent alors autant de choix narratifs clairs de la part de l’équipe, que les causes d’éventuelles controverses.

Nous avons vu le travail du découpage plus haut, qui visait à repérer des éléments (sonores et visuels) importants pour la narration, il est aussi l’occasion de repérer et de souligner de potentiels problèmes visuels, notamment le risque de voir certains objets techniques sur les images captées durant le spectacle ; dès lors, avant même la captation, les techniques sont invisibilisées en s’assurant qu’elles n’apparaissent pas sur les plans qui pourront être réalisés durant le spectacle.

L’observation du travail en régie de réalisation permet d’observer des pratiques à l’œuvre, notamment les méthodes de coupe du réalisateur, ou son utilisation de la manette pour les fondus enchainés, couplée à la demande faite aux cadreur·se·s d’effectuer un flou pour la transition. Nous découvrons aussi les conventions de la captation d’un spectacle vivant, dont la narration télévisuelle est réalisée en direct, mais répétée à chaque représentation : la scripte rappelle au réalisateur les plans à retenir, annonce les actions scéniques aux cadreur·se·s et recherche une diversité des sujets à filmer. Le réalisateur rappelle aux cadreurs visibles sur scène de rester cachés des autres caméras une fois leurs plans terminés, tandis que la scripte indique les plans montrant des acteur·trice·s ou le public en train de chanter, que le réalisateur pourrait choisir. Nous observons également que, malgré un script précis, la captation diffère d’un jour à l’autre. Des éléments inattendus peuvent surgir : de nouvelles propositions des cadreur·se·s, les retards pris dans une scène, les problèmes techniques de la scénographie, mais aussi des incidents qui rendent les techniques trop visibles comme le passage de la spidercam dans le champ d’une autre caméra. Cependant, à la différence du découpage ou du montage, au cours desquels des échanges verbaux explicitent les pratiques et les choix, le moment de la réalisation en direct est intense. Le travail de préparation en amont y est intégré et peu explicité. Rares sont les expressions portant sur les actions en cours. Il est alors difficile de saisir, parmi les choix qui sont opérés, ceux qui visent explicitement l’invisibilisation des techniques puisque la justification des décisions n’est pas verbalisée ; elle semble comprise par tout.e.s d’après les discussions et décisions qui ont été menées en amont.

Interrogé sur la question de l’invisibilité des techniques lors des captations, le réalisateur indique que ce qu’il cherche principalement à cacher sont des éléments d’infrastructure particulièrement visibles et peu esthétiques, tels que les poteaux de son ou les étiquettes visibles sur les sièges du public. Pour le réalisateur, invisibiliser consiste alors à éviter de choisir des plans où ces éléments apparaissent. De plus, le travail de captation doit également rester invisible, en évitant de filmer des plans où des cadreur·se·s sont situé·e·s spatialement au même niveau que la caméra en train de filmer (les scènes étant réparties sur plusieurs étages), ou lorsqu’ils ou elles se trouvent en position d’attente (en posant leurs caméras entre deux plans). Leur visibilité est tolérée uniquement « quand il ou elle est le plus discret possible » [16].

Le montage enfin, qui a eu lieu quelques semaines après le spectacle, est un moment d’observation particulièrement riche pour saisir la fabrication de la narration finale. Les négociations à l’œuvre dans le choix des plans aident à comprendre la hiérarchisation des éléments à montrer ou à rendre invisibles lorsque la monteuse (en négociation avec la scripte) choisit les plans finalement conservés pour le DVD. Lors du montage, des décisions émergent, co-construites ou négociées en situation, traductions locales et situées de la représentation souhaitée pour la Fête ou de conventions générales pour le montage. Des échanges en régie permettent notamment de comprendre que le DVD est pensé pour être vu par les 5500 acteur·trice·s et par leurs proches ; les choix de montage en tiennent compte et cherchent à les rendre visibles en sélectionnant des plans rapprochés et nombreux. Le choix de la scripte concernant la diversité des personnes à montrer est aussi genré ; elle suggère des plans où les armaillis du tableau sont plus particulièrement visibles lorsqu’ils sont joués par des femmes. La représentation audiovisuelle de la Fête passe enfin par la production d’une certaine image du succès, en rendant invisibles certains éléments : l’une des tâches du travail de nettoyage des images pour le DVD a consisté à remplacer des plans du spectacle de jour où trop de gradins étaient visiblement vides. L’observation du montage du Ranz des vaches a aussi permis de découvrir qu’il y avait une volonté de la part du réalisateur de montrer des plans larges du public faisant de la lumière avec leurs téléphones portables (à la manière des briquets il y a quelques années), pour souligner le moment d’émotion, mais que ces plans larges ne correspondent pas aux appréciations esthétiques de la monteuse.

Lors de ce montage en post-production, les intentions du réalisateur concernant la succession des plans ne sont parfois pas suivies, en particulier lorsque les plans choisis comportent des éléments considérés comme problématiques, par exemple, la visibilité d’éléments techniques qui n’ont pas pu être évités durant la captation. La monteuse et la scripte recherchent alors des plans de remplacement parmi les captations issues des autres caméras, ou bien elles travaillent à reconstituer les images afin de faire disparaitre certaines défaillances. Si aucun des autres plans n’est jugé d’assez bonne qualité (mouvements de caméra non-maîtrisés lors d’un changement de plan, acteur·trice·s qui ne sont pas à leur avantage, manque de continuité des mouvements de caméra, etc.), le plan original est choisi malgré tout. La visibilité des techniques est ainsi soupesée au regard d’autres éléments.

Ces trois moments de la production audiovisuelle permettent de revenir sur différentes modalités d’invisibilisation des techniques et des traces de la production du spectacle, que ce soit en amont, pour prévenir leur apparition, durant la captation, avec les solutions trouvées dans l’urgence pour parer aux imprévus, ou lors du montage, où le temps à disposition permet de choisir parmi les plans disponibles et de les retravailler.

Des techniques en partie invisibilisées comme fabrique du spectacle

Raconter la simplicité avec des moyens et des dimensions colossaux : c’est dans la contradiction que réside le secret de cette fête. (Daniele Finzi Pasca) [17]

Ces considérations sur l’invisibilisation d’éléments techniques invitent à se demander pour qui et à quels moment ces techniques sont visibles ou volontairement invisibilisées. Présents et visibles dans l’arène, lors de la captation visuelle, ces éléments sont généralement évités par les cadreur·se·s et par le réalisateur lors des choix qu’ils font concernant les plans, pour restituer un spectacle sans ses “traces”. Leur présence offre une « valeur ajoutée à la télévision » [18], emportant le ou la téléspectateur·trice dans le spectacle, offrant des points de vue à l’intérieur de la performance scénique, et permettant de voir des détails imperceptibles depuis les gradins.

Paradoxalement, plus la technique peut inscrire le téléspectateur dans le spectacle, par exemple grâce à des caméras très mobiles permettant des mouvements fluides et immersifs, comme les steadycams en segway, et plus elle sera visible par celles et ceux qui voient le spectacle dans l’arène. Entre 1905 et 2019, la présence des acteur·trice·s sociotechniques de la captation est devenue de plus en plus visible dans l’arène, imposant des éléments étrangers au spectacle pour les spectateur·trice·s dans l’arène, et pouvant déranger les figurant·e·s dans leurs déplacements. Une solution mise en place depuis 1999 pour résoudre ce problème a été de les intégrer au spectacle en leur faisant porter un déguisement, les incluant ainsi symboliquement dans la performance.

Certaines images filmées sont projetées sur les écrans verticaux placés aux quatre pans de l’arène, permettant aux spectateur·trice·s présent·e·s dans les gradins de visualiser des gros plans sur certains solistes par exemple. Une part de ces techniques est dissimulée afin de favoriser les effets de surprise ou de ne pas en rompre le charme. La technique de captation est ainsi de plus en plus intégrée à la “magie du spectacle” et participe ainsi elle aussi à la fabrique du spectacle de façon réfléchie, travaillée et chorégraphiée.

Analyse comparative d’images de 1905 à 2019

Comme nous venons de le voir, l’ethnographie du spectacle de 2019 nous permet d’avoir des informations fines sur le déroulement amenant à la fabrication de l’objet audiovisuel. Pour les années précédentes, en revanche, nous n’avons pas accès aux mêmes informations. Les indications disponibles sont textuelles, issues des archives administratives de la Fête et de celles de la presse, ou bien elles ont été recueillies à partir des témoignages d’ancien·ne·s participant·e·s. Les archives audiovisuelles disponibles représentent également un matériau précieux et permettent de récupérer des informations concernant les techniques utilisées. Leur mise en comparaison nous permet de souligner les similarités ou les différences de narration audiovisuelle.

Pour ce faire, nous nous sommes appuyé·e·s sur le coffret DVD produit par la RTS, en collaboration avec la Confrérie des vignerons et la Cinémathèque suisse. Ce DVD contient les bandes des éditions de 1905, 1927, 1955, 1977 et 1999.

Le DVD du spectacle est organisé selon deux chemins de visualisation possibles. Il est possible soit d’accéder aux spectacles par année, soit de se plonger dans des extraits regroupés autour de six thèmes qui correspondent aux moments « traditionnels » de la Fête : la Confrérie des Vignerons et le couronnement ; les quatre saisons autour desquelles les spectacles sont scénarisés ; et le Ranz des vaches. Pour observer ces images, nous avons limité notre comparaison à la séquence du Ranz des vaches, fréquemment repris comme un thème central dans les discours entourant la Fête et par les médias, en nous concentrant sur cette thématique érigée comme spécifique par le découpage du DVD. Lorsque nous les comparons, que nous apprennent ces images sur leur production et sur l’invisiblisation des techniques et des technicien·ne·s qui en sont à origine ?

Nous pouvons tout d’abord remarquer une série d’éléments quant aux modalités de captation : la différence concernant les bords du cadre de l’image qui nous renseigne sur les formats utilisés (4/3 ou 16/9) ; les techniques de colorisation (au pochoir, en noir et blanc, enregistré sur pellicule couleurs, numérique) et la variété des plans qui permettent d’estimer le nombre de caméras (d’une seule à une douzaine) ; les supports d’enregistrement ; la présence de poussière, traces d’usure ou trous de fixation sur les côtés, qui indique l’usage de bobine. Pour les bandes magnétiques, ce sont des aberrations chromatiques qui peuvent être observables. Certaines images permettent en outre de voir les techniques de captation à l’œuvre (d’autres caméras dans le public, la spidercam, l’ombre d’un cadreur et sa steadycam, etc.). Enfin, on peut observer grâce aux images des captations l’apparition de cadrages particuliers (images fixes, mouvements panoramiques, travellings latéraux, circulaires et images aériennes) qui nous renseignent également sur le genre de caméras employées.

L’examen des images permet également de repérer des choix de réalisation, par exemple des conventions filmiques différentes d’une édition à l’autre, notamment la durée des plans qui varie (de deux à trois secondes en 1955, on passe à environ 10 secondes en 1999), ce qui va à l’encontre de ce qu’on considère comme une accélération des plans sur les cinquante dernières années. La profondeur de champ, bien qu’étant une contrainte technique liée au matériel, a été utilisée pour détacher le sujet du fond, plus flou en 1927 ou en 1977, pas du tout en 1999 ou en 2019. Cela nous permet de nous rendre compte qu’une même technique supporte plusieurs choix, que l’on ne peut observer qu’à la vue du produit final.

Cependant, l’observation des éléments techniques et des choix de réalisation se limite à ce que peuvent apporter les observations ethnographiques ou les entretiens. Nous l’avons vu, ces choix dépendent également d’éléments contingents liés au déroulement du spectacle vivant et à l’influence de nombreux acteur·trice·s aux objectifs divers. La mise en comparaison des produits audiovisuels de la Fête nous permet alors également de nous interroger sur la façon dont ce tableau spécifique est traité dans ces archives, en nous interrogeant sur les éléments narratifs mis en avant grâce à l’audiovisuel.

En plus de ces considérations techniques, la mise en comparaison de ces images d’archive met en évidence des éléments narratifs qui se répètent d’édition en édition, non seulement au sein du spectacle, mais aussi dans les façons de le filmer, tandis que d’autres divergent d’une fois à l’autre. Ainsi, plusieurs personnages emblématiques sont mis en évidence par des plans rapprochés (à partir de la taille des personnages) ou des gros plans (plan sur le visage), notamment les vaches, les enfants armaillis, les armaillis à côté de leurs vaches, les détails des costumes, les carrioles, les porte-meules, les chevaux ou les ânes. Ces éléments du spectacle sont repris et soulignés par la narration filmique.

La synchronisation des images avec la bande sonore, principalement la musique, est un classique du montage cinématographique, que ce soit en donnant un rythme à la narration en la calant sur la musique, en associant par exemple des plans rapides et une musique d’action, ou en cherchant à montrer la source du son, par exemple un instrument de musique présent sur la bande sonore [19]. Fait intéressant, les différentes reproductions filmiques du spectacle tendent à proposer les mêmes plans aux mêmes moments du Ranz des vaches. Lors du refrain chanté par les chœurs, alors que le public tend à participer lui aussi en chantant, des plans larges sur l’arène montrent le public, tandis que le (ou les) solistes sont mis en valeur comme sujets principaux lors des couplets par des plans fixes. Plusieurs fois, les chefs d’orchestre ou de chœur sont montrés juste avant ou à la fin du refrain, tandis que les extraits du DVD se terminent avec la fin d’un refrain (majoritairement avec les chœurs). Les choix de captation semblent donc non seulement stabiliser certaines représentations du Ranz d’une Fête à l’autre, mais aussi reproduire des conventions narratives quant au séquencement du tableau.

Certains procédés sont fréquemment utilisés pour marquer une emphase liée à l’émotion produite par le spectacle. Des gros plans sont par exemple effectués sur des personnes émues qui chantent dans le public ou sur scène, souvent accompagnés de légers zooms ou dézooms. Le procédé des fondus enchainés [20], marquant une transition plus douce entre des images, est très utilisé dans le spectacle de 2019, alors qu’on ne le voit qu’une seule fois en 1977, pour mettre en avant un spectateur ému dans le public.

Si de nombreux éléments sont récurrents, des différences interviennent quant à la construction des plans concernant les solistes. En particulier, l’accent est mis sur le soliste de 1977, Bernard Romanens, sur lequel la caméra s’arrête près de trois minutes sur les cinq minutes trente que dure la performance du chanteur. Alors qu’en 1955, les plans sont en grande majorité très larges, montrant les armaillis et les vaches intégrés entre l’orchestre et les chœurs, en 1999, l’accent est davantage mis sur le public, comme le montrent les nombreux plans de la foule dans les gradins. Pour 2019 en revanche, nous observons une grande diversité de cadrages et de personnages.

L’analyse des images d’archive permet ainsi de récupérer des informations sur les techniques de captation et sur certaines pratiques narratives. Fait important, leur comparaison permet de noter que malgré de grandes différences technologiques (on passe de l’usage d’un appareil photographique avec cinématographe à celui de 13 caméras numériques différentes), la narration audiovisuelle du Ranz reste très proche d’une représentation à l’autre, que ce soit en termes d’objets et de personnages filmés, ou en termes d’intentions stylistiques, notamment lorsqu’il s’agit d’inclure des plans où le public participe en chantant, ce qui permet de construire la représentation d’un collectif uni autour d’un élément spécifique.

Assurer la pérennité des images de la Fête – créer du patrimoine en (re)mobilisant des représentations

Si cette répétition, d’une Fête à l’autre, d’éléments stylistiques et narratifs dans le procédé même de captation et de montage, malgré des différences de techniques évidentes, semble pointer vers une recherche de cohérence et de continuité entre les différentes éditions, la plupart des professionnel·le·s impliqué·e·s dans la réalisation de ces images ne peuvent plus nous dire quelles furent réellement leurs intentions à ce sujet. Cependant, la recherche menée auprès des personnes impliquées dans la réalisation du DVD d’archives de la Fête, dont les images analysées ici sont issues, semble confirmer cette idée. En enquêtant sur la constitution de ce DVD, nous apprenons en effet que la création d’une cohérence et d’une continuité entre toutes ces vidéos (mais aussi la construction d’un engouement pour la Fête afin que le public ait envie de se rendre à l’édition de 2019) étaient des objectifs déclarés de sa production.

Le découpage par extraits a en effet été le fruit d’un travail de collaboration lui aussi complexe, impliquant des aller-retours entre les employé·e·s des trois institutions et ceux d’une entreprise genevoise de post-production, concernant notamment la structure des thèmes, l’écriture des textes accompagnant les DVD, la restauration de certains fichiers, la sonorisation de 1905 et 1927, l’authoring [21] ou encore la traduction des textes. Afin d’assurer une continuité narrative avec des vidéos de durées très différentes (10 minutes en 1905 contre 3 heures en 1999), l’équipe a créé un fil rouge, en partant de la séquence de 1905, découpée selon les thématiques définies au terme de nombreuses négociations. Elle a cherché à favoriser « un équilibre entre les différentes années, au niveau du timing, une cohérence [22] », en supprimant de nombreuses parties des spectacles, principalement sur les enregistrements les plus longs à partir de 1977. Le coffret DVD est sorti au printemps 2019 et a été pensé stratégiquement comme « produit d’appel de la Fête » [23], ce qui rappelle la sortie de la VHS de la Fête de 1977 en 1998 juste avant le spectacle, de même que la sortie du triple CD des enregistrements musicaux de la Fête en 1993.

Pour mieux rendre compte encore de ces (re)mobilisations d’images et de la production d’une continuité de la Fête au travers de ses différentes éditions, nous pouvons également suivre la vidéo présentant la Fête des Vignerons de Vevey dans le cadre de sa candidature au Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO [24].

La vidéo a été réalisée en 2015 par l’entreprise veveysanne Nicéphore Productions, sur commande de la Confrérie des vignerons, à partir d’images d’archives et d’entretiens de personnalités de la Fête ou d’ancien·ne·s figurant·e·s. Elle insiste en partie sur la logique de transmission intergénérationnelle ainsi que sur d’autres valeurs annoncées comme constitutives de la Fête et véhiculées par celle-ci. Le Ranz des vaches y est présenté durant environ 30 secondes sur 10 minutes de vidéo.

Ill.7-Extrait de la vidéo pour l’inscription de la Fête à l’UNESCO (2015)
crédits : Confrérie des vignerons et Nicéphore Productions

La vidéo témoigne d’un procédé stylistique intéressant pour présenter les images d’archives. Les images y sont scindées en split-screen [25], un procédé qui permet d’unifier différentes actions et qui, dans le cas qui nous intéresse, met en parallèle les mêmes moments du spectacle, parfois séparés par près de 100 ans. Ce procédé permet alors, en juxtaposant visuellement ces images, de créer un effet de rapprochement temporel. Il assure également une impression d’unité narrative entre les différentes éditions et en fait ressortir les points communs. Dès lors, si les représentations de la Fête peuvent apparaitre comme similaires, cela peut favoriser une impression de continuité transgénérationnelle, critère important de sélection pour la dénomination de Patrimoine Culturel immatériel de l’UNESCO.

L’accent est mis sur le soliste Bernard Romanens, qui est représenté dans la moitié de l’écran tout au long de l’extrait du Ranz des vaches, appuyé par l’effet stylistique du split-screen, participant de ce fait à la starification du soliste.

De nombreux plans montrent également le public chantant en chœur, ainsi qu’un nombre limité d’éléments composant normalement le tableau du spectacle : des vaches, des armaillis et des cors des Alpes. Le spectacle est encore une fois simplifié, limité à un très petit nombre d’éléments, permettant de saisir en peu d’images son contenu et ses représentations, véhiculés comme des symboles “traditionnels” de la Fête, dans le sens où « la tradition ne désigne pas une réalité en soi, mais un cadrage particulier de cette réalité, effectué par certains acteurs sociaux afin d’avancer certains intérêts et de faire valoir certains points de vue » (Hertz et al. 2018).

Les archives fabriquent aussi la Fête

La captation de la Fête, observée en 2019, a transformé un spectacle vivant en objet audiovisuel. Mis en vente sous forme de DVD peu avant Noël 2019, il est également possible de le visualiser en Blu-Ray, ce qui assure une meilleure qualité que celle permise par le format DVD, aujourd’hui devenu presque obsolète. Il aurait été possible de le mettre à disposition du public sous d’autres formes plus actuelles, notamment la Video On Demand. Mais la transformation de la captation en objet matériel a été favorisée, permettant une conservation tangible : « je ne le regarde pas forcément mais je l’ai dans ma bibliothèque, ça fait partie de mon histoire, de mon patrimoine. Alors que la VOD, c’est passager, ce n’est pas la même chose ». [26]

Dès lors, si le spectacle est fabriqué par un processus de captation dont les rouages sont effacés du produit final, cette comparaison stylistique et esthétique de la (re)mobilisation d’images d’archives, couplée à un travail ethnographique, nous permet de découvrir que les archives audiovisuelles de la Fête sont également mobilisées pour participer à sa fabrication et à sa patrimonialisation. Ces images sont mobilisées dans des contextes précis (préparer le public de 2019 à la Fête à venir ; faire reconnaitre la Fête comme participant du Patrimoine Culturel Immatériel national), par des institutions (la RTS et la Confrérie des vignerons) qui se révèlent médiatrices de cette patrimonialisation et adaptent les images d’archives en fonction d’objectifs contemporains. En réunissant des images d’époques disparates dans un même DVD, voire sur une même vidéo, ces mobilisations créent des continuités et des similarités entre des images séparées par plus de 20 ans. Elles constituent donc de puissants outils qui illustrent et rendent visible le caractère atemporel et traditionnel de la Fête.

Rendre visible l’invisibilisation par la comparaison

Pour clore ces explorations, nous pouvons revenir maintenant sur les procédés que nous avons nous-mêmes employés lors de la mise en comparaison de ces images, et sur ce que cela a alors rendu possible. Repérer un mouvement de caméra remarquable, tel un travelling latéral en 1977, nous renvoie ensuite aux autres éditions, qui peuvent alors être re-visionnées à partir de ce critère d’observation. Par exemple, les mouvements de caméra effectués en 1927 paraissent différents (plus légers, ils procèdent aussi à de petits aller-retours) lorsqu’on les compare avec le travelling latéral opéré en 1977. En comparaison également, les mouvements de caméra de l’édition de 2019 semblent nettement plus dynamiques grâce aux nombreux travellings circulaires enveloppent les armaillis qui chantent. Ces comparaisons nous renvoient alors aux différents modèles de caméra, aux outils de déplacements et aux diverses options narratives qu’il est possible d’employer.

La comparaison permet également de spécifier des pratiques narratives et d’en rendre compte, mais aussi de découvrir plus précisément les procédés qui les soutiennent. Elle rend visible certains éléments narratifs par leur absence/ présence d’une édition à l’autre, à l’exemple du traitement de l’émotion selon les années. Si un premier visionnement de l’édition de 1999 peut laisser une impression de froideur, sa comparaison avec les éditions de 1977 et de 2019 permet d’expliciter ce ressenti en portant l’attention sur les mécanismes de narration qui mobilisent (ou non) des procédés favorisant l’émotion.

Dans le cas de ce travail de mise en comparaison de données audiovisuelles, la comparaison permet de produire des absences, et ce, à double titre. D’abord, c’est le fait de comparer deux procédures, celle qui s’appuie sur le produit final et celle qui se nourrit des éléments de production, qui permet de noter ce qui viendrait à manquer à la première. C’est le fait même d’avoir produit une ethnographie détaillée du procédé de préparation, puis de captation, du spectacle et de son montage, qui permet de noter la richesse que ces éléments fournissent à l’analyse de productions visuelles. Dès lors, la comparaison visibilise l’absence, que ce soit celle, relative, de la fabrique audiovisuelle dans ses produits finaux, ou celle plus radicale, de l’absence de données ethnographiques pour la comparaison des films des éditions antérieures.

Les comparaisons sur lesquelles nous avons basé nos réflexions, qui paraissent cadrées en partie par le découpage du DVD en thématiques, ouvrent en fait de multiples possibilités. Les unités comparatives sont mouvantes et de nouvelles questions dans l’utilisation des données d’observation apparaissent à chaque étape de l’analyse : devons-nous choisir le spectacle de jour, qui a toujours été celui représenté dans les DVD des éditions précédentes, ou celui de nuit pour lequel nous avons plus de matériel ethnographique ? Faut-il s’interdire de mobiliser des données ethnographiques ne provenant pas du tableau du Ranz des vaches ? Chacune de ces questions soulevées par l’approche comparative particulière que nous avons choisi d’adopter a été résolue par des décisions donnant une direction à nos réflexions, décisions qui ont été, à leur tour, invisibilisées dans notre texte. Enfin nous pouvons noter que si nous avons fabriqué des « comparables » (Detienne 2000), en choisissant et en découpant des unités de comparaison transposables d’une édition à l’autre, ce procédé a en bonne partie été rendu possible par la production de récurrences par les professionnel·le·s de la fabrique audiovisuelle, qui ont travaillé, comme nous l’avons vu, à ces re-productions.

Conclusion – une magie déconstruite

Cet article, qui est le fruit de conditions d’enquête hétérogènes, a permis de montrer comment, grâce au procédé de captation du spectacle vivant opéré par un grand réseau sociotechnique, une performance vivante est transformée en objet patrimonial avec des répercussions sur la Fête elle-même. De plus, cette découverte des rouages d’un spectacle de grande ampleur et des mécanismes à l’œuvre derrière la production un objet audiovisuel aussi “simple” qu’un DVD, nous a permis de proposer une réflexion méthodologique sur les usages de l’observation ethnographique concernant la fabrication d’images, et leur possible couplage avec un travail d’analyse des images en question.

L’observation ethnographique du réseau sociotechnique a permis de complémenter et de dépasser une démarche sémiologique uniquement centrée sur l’interprétation d’images déconnectées de leur contexte de production. En proposant de suivre les pratiques de fabrication de ces images, nous avons pu observer les négociations, ajustements et contraintes qui aboutissent à des choix de production, de captation et de montage. Leur nécessité repose sur des contingences qui visent à organiser la disparition de certains éléments, notamment des techniques qui ont rendu cette fabrication possible.

La mise en comparaison d’images d’archives, appuyé par le travail ethnographique, permet également de saisir quelques éléments de production technique, et nous renseigne sur la façon dont la narration audiovisuelle re-mobilise ces images afin d’en reconstruire une écriture audiovisuelle contemporaine. Ce procédé a ainsi permis d’interroger le processus de patrimonialisation en revenant sur la façon dont des institutions contemporaines se saisissent d’images d’archives. En comparant deux mobilisations de ces images, il semble qu’un certain discours sur la tradition émerge de certains procédés stylistiques qui s’appuient, nous l’avons vu, sur la création de représentations communes et d’une unité transgénérationnelle.

Cette complémentarité des méthodes a permis de poser la question de la possibilité de modéliser un phénomène (l’invisibilisation des techniques dans la production audiovisuelle) et d’en comparer plusieurs occurrences en partant d’ensembles de données (les images et l’ethnographie de leur production ou de leur mobilisation) qui ne sont que partiellement comparables. Même si des traces sont visibles dans le produit fini, l’immense travail de coordination de la fabrique audiovisuelle est bel et bien en partie effacé dans la représentation finale, difficilement perceptible par le visionnement seul de ces images.

Notre article aura ainsi permis de questionner l’« esthétique de la transparence » (Comolli 2019) à l’œuvre dans les arts de la performance - esthétique qui cherche à masquer toute trace du travail derrière une œuvre, afin de laisser le public dans l’illusion d’une existence en soi, naturelle. L’article a cherché au contraire à questionner le processus de production de la représentation audiovisuelle, ce qui revient en partie à rendre visible ce qui est caché, à déconstruire cette « magie de l’invisibilité » (Comolli 2019).

add_to_photos Notes

[1Cette publication est issue d’un projet de recherche soutenu par le FNS (Suisse).

[2Organisation autrefois composée de propriétaires terriens, la Confrérie rassemble des notables locaux et des viticulteurs. Depuis 2008, les femmes sont aussi autorisées à en être membres.

[3Nous remercions la Radio Télévision Suisse, la Confrérie des vignerons de Vevey et la Cinémathèque suisse pour la mise à disposition des extraits vidéo présentés dans cet article.

[4Provenant principalement du fascicule du coffret DVD de la RTS et de Vinck (2019).

[5Terme émique signifiant l’enregistrement vidéo d’un spectacle.

[6Source : Frédéric Maire, fascicule du coffret DVD.

[7Procédé de reproduction de la couleur, plus léger et moins coûteux que le Technicolor, avec trois couches sensibles sur la même pellicule.

[8Source : La TSR a 50 ans : album de la famille - 1954-2004 (Album Télévision Suisse Romande)

[9Source : La TSR a 50 ans : album de la famille - 1954-2004 (Album Télévision Suisse Romande)

[10La norme depuis les débuts de la télévision étant le format 4/3.

[11Caméra installée sur un système de stabilisation portatif accroché aux hanches et aux épaules par un harnais.

[12En fait, une xd-cam, « spidercam » étant une marque déposée. Il s’agit d’une caméra permettant des prises de vues aérienne.

[13Les meilleur·e·s ouvrier·ère·s chargé·e·s de prendre soin des vignes des propriétaires terriens sont récompensé·e·s lors d’une cérémonie particulière lors de cette Fête qui leur est dédiée.

[14Référence temporelle pour toutes les régies, pour caler les éléments du spectacle (départ des figurants, de la musique, des lumières, etc.).

[15Un axe de 180 degrés ne doit pas être dépassé pour créer l’illusion que deux personnes filmées en dialogue se regardent mutuellement. Aussi importante pour comprendre la direction d’actions se déroulant dans une arène à 360 degrés, à l’exemple d’un match de football ou dans notre cas les actions sur les différentes scènes.

[16Extrait d’un entretien avec le réalisateur RTS pour la Fête 2019, 10 août 2019.

[18Extrait d’un entretien avec le réalisateur de la Fête 2019, 10 août 2019.

[19Pour des considérations théoriques, voir notamment Tagg et Clarida (2003).

[20Raccord progressif entre deux plans, laissant pendant un temps plus ou moins long une transition avec les deux images superposées.

[21Processus de combinaison d’images, textes, titres, etc. sur un logiciel de création de DVD.

[22Extrait d’un entretien avec la responsable édition des produits dérivés de la RTS, 24 novembre 2020.

[23Extrait d’un entretien avec la responsable édition des produits dérivés de la RTS, 24 novembre 2020.

[24La vidéo entière peut être visualisée ici : https://www.youtube.com/watch?v=KWrVWmNOv-Y

[25Pour plus de réflexions sur l’utilisation du split-screen au cinéma et à la télévision, consulter Mondada (2009).

[26Extrait d’un entretien avec la responsable édition des produits dérivés de la RTS, 24 novembre 2020.

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Pour citer cet article :

Sarah Waeber, Mylène Tanferri, Dominique Vinck, 2021. « Comparer l’invisibilisation des techniques dans le travail de narration audiovisuelle d’un grand spectacle : un siècle de production filmique sur la Fête des Vignerons ». ethnographiques.org, Numéro 41 - juin 2021
Ce que la comparaison fait à l’ethnographie [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2021/Waeber_Tanferri_Winck - consulté le 27.04.2024)
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