Des actrices et un chercheur : une configuration qui pose problème sur le terrain ?

Résumé

En me basant sur une recherche anthropologique de terrain conduite avec une quarantaine d’actrices dans les alpes valaisannes, je reviens dans cet article sur un enjeu épistémo-méthodologique qui se rapporte à la possibilité pour un homme cisgenre de comprendre puis de rendre compte des discours des femmes avec lesquelles il travaille. C’est-à-dire à “parler pour elles” malgré les statuts sociaux toujours largement inégaux des unes et de l’autre dans nos sociétés occidentales et quelques fortes réserves formulées par certaines auteures féministes. Martin et Roux (2015 : 6) posent cette question de la légitimité dans les termes suivants : « La posture que l’on adopte dans une recherche (…) reproduit-elle nécessairement la position que l’on occupe structurellement dans une société ?  ». Se pourrait-il, à l’inverse, que ce cadre d’interactions peu courant contribue à “défaire le genre” pour les personnes impliquées dans l’enquête ?

mots-clés : épistémologie, genre, terrain de recherche, légitimité, division sexuée du travail, projet de développement

Abstract

A man researching amongst women : a problematic configuration in the field ?

Based on field research conducted with some forty women in a Swiss Alpine Valley, in this paper I return to the epistemo-methodological question of whether a cisgender man can understand and account for the discourses of the women with whom he conducts research. In other words, can he “speak for them” despite the still largely unequal social statuses of men and women in our Western societies, and some strong reservations formulated by certain feminist authors. Martin and Roux (2015 : 6) pose the question of legitimacy in the following terms : “Does the posture one adopts in the research process (...) necessarily reproduce the position one occupies structurally in society ?” Could it be, to the contrary, that the unusual framework of interactions my research contributed — at an admittedly modest scale — to “undoing gender” in the field ?

keywords  : epistemology, gender, research field, legitimacy, gendered division of labor, development project

Sommaire

En me basant sur une recherche de longue durée réalisée avec une cinquantaine d’actrices qui a abouti à l’obtention d’un doctorat en sciences sociales (études genre) à l’université de Lausanne en 2019 (Amrein 2019), j’aimerais profiter de l’opportunité offerte par ce numéro d’ethnographiques.org pour revenir sur l’enjeu épistémo-méthodologique que constitue la possibilité – ou non – pour un homme hétérosexuel cisgenre [1] de comprendre, puis de rendre compte des discours des femmes qui font l’objet de ses recherches, c’est-à-dire à “parler pour elles” malgré les positions sociales toujours largement inégales des unes et de l’autre, dans nos sociétés occidentales patriarcales. Le terrain anthropologique dont il est question dans cet article s’est déroulé dans le val d’Anniviers (Suisse), une vallée des Alpes valaisannes très orientée vers le tourisme. Il a eu pour cadre et partiellement pour objet le parcoursArianna (pA) [2] , une formation spécifiquement conçue par l’équipe du LIFI pour les femmes des vallées alpines dites « périphériques » [3]. Ce dispositif avait pour ambition d’inciter ces femmes à la création de microentreprises in situ afin de leur permettre de « concilier » obligations familiales et professionnelles, tout en s’inscrivant dans le développement durable de la vallée.

Disons-le d’emblée, j’ai refusé dès le départ de mon parcours académique, et malgré quelques invites appuyées dans ce sens, de focaliser mes travaux sur les hommes. Loin d’être convaincu par l’idée du it-takes-one-to-know-one (Shapiro 1981 : 125), j’ai au contraire privilégié les travaux axés sur les femmes précisément pour ne pas être renvoyé spécifiquement à ma catégorie de sexe. On pourrait voir là une réminiscence du paradigme Lévi-Straussien du « regard éloigné » (Lévi-Strauss 1983), la distanciation longtemps considérée comme le fondement heuristique des recherches anthropologiques, si ma posture anti-essentialiste n’infirmait pas aussitôt le propos.

Malgré mon positionnement en tant qu’homme blanc d’un certain âge, universitaire, bourgeois et Valaisan d’adoption, je m’efforce de gérer au mieux ma posture d’anthropologue du genre. Mes « balises conceptuelles » (Müller 2010 : 35) sont clairement issues de la littérature féministe et mon intérêt pour la question de la légitimité d’un homme chercheur et de la crédibilité des résultats produits lors de mes recherches date pratiquement du début de ma présence dans ce champ. Si je me suis beaucoup intéressé à l’activité des chercheurs masculins dans le domaine du genre, ce n’est pas en raison d’un malaise personnel ou de difficultés liées à mon sexe rencontrées dans mon travail scientifique, mais parce que les attaques les plus virulentes contre la présence des hommes en études genre venaient en réalité des auteures du courant féministe matérialiste radical [4], telles que Christine Delphy, Nicole-Claude Mathieu et d’autres, qui constituaient par ailleurs l’essentiel de mes appuis théoriques dans mon domaine de recherche. Ce qui me plaçait en quelque sorte en porte-à-faux entre mes lectures et ma pratique, et provoquait chez moi quelques interrogations, voire certains doutes sur la valeur de mon ressenti lors de mes enquêtes sur le terrain [5].

J’ai donc toujours agi dans une sorte de mouvement itératif entre les réserves de ces auteures quant à la possibilité des dominants à “comprendre” les opprimées, à accéder à leurs récits et à en rendre compte – et une attention constante à ce qui pourrait concrètement m’échapper du vécu de mes interlocutrices, à ce que mon travail pourrait avoir d’inopportun, voire d’illégitime. Mais je ne suis pas totalement naïf non plus et bien conscient que cette prétention à saisir ce qu’expriment les actrices de mes enquêtes dépend de nombreux facteurs, le moindre n’étant pas la thématique abordée. Traiter de sexualité ou de la question de l’avortement demandera vraisemblablement plus de précautions que de travailler sur les recompositions familiales ou la relation au travail et j’admets tout à fait qu’en fonction des thèmes de recherche, le fait d’opérer dans son propre groupe de sexe peut faciliter le travail d’enquête. Pour ma part, c’est essentiellement le sujet de la division sexuée dans la sphère domestique et ses conséquences sur les rapports femmes/hommes dans nos sociétés que j’explore avec une perspective de genre, et mon expérience jusqu’à ce jour indique que le sujet n’est pas si difficile à aborder avec des femmes comme le montre par exemple la réponse plutôt directe de l’une de mes interlocutrices anniviardes.

— J’en arrive à l’éventuelle modification des valeurs [en ce qui concerne la division des tâches au foyer].
— Des valeurs ?
— Les rôles hommes/femmes, etc.
— Mais tu es toujours rôles hommes/femmes, toi !
— C’est que c’est ça l’objet de ma recherche.
— Et ben on est toujours dans la même mouise, dans les rôles hommes/femmes (Entretien avec Betty) [6].

Ma curiosité envers les hommes cisgenres appartenant à un groupe dominant qui travailleraient principalement avec des femmes dans la recherche en sciences sociales s’est pourtant émoussée, peu à peu, devant les résultats concrets plutôt encourageants de mes terrains de recherche et l’intérêt moindre que ce questionnement suscite depuis un certain temps dans la littérature féministe, les colloques, ou les mouvements militants. Cette attention quant à la légitimité et la plausibilité des résultats de ces enquêtes a été cependant ravivée de temps à autre par le surgissement de questionnements assez proches, c’est-à-dire concernant la possibilité pour des dominant·e·s de s’exprimer sur et en lieu et place des dominé·e·s, mais dans d’autres contextes que celui des rapports sociaux de sexe. Pour ne citer que quelques exemples, on peut songer à la prise de parole par les subalterns (Spivak 2020) avec des polémiques telles que celle ayant opposé les anthropologues Marshall Sahlins (1995) et Gananath Obeyesekere (1998) [7] à propos des explications étiques ou émiques au meurtre du fameux Capitaine Cook à Hawaii en 1789, ou aux remises en cause d’une unité des expériences et revendications des femmes par le Black feminism (Dorlin 2008) puis, plus récemment, aux “débats” autour des multiples et diverses revendications liées aux notions de « Cancel culture » et de « woke/wokisme » (Mahoudeau 2022 ; Murat 2022a ; 2022b), à l’instrumentalisation de ces termes par les courants droitiers en mode “panique woke”, ou encore au concept problématique d’« appropriation culturelle »(Jeudy-Ballini 2022).

J’ajouterai pour clore cette introduction largement réflexive que je ne prétends pas à davantage dans mes travaux qu’à l’« approximative rigueur de l’anthropologie » de Jean-Pierre Olivier de Sardan (2008 : 7) ou aux « partial truths » de James Clifford (1986) et Danielle Juteau-Lee (1981), et que je m’aligne même volontiers sur la perspective de David Zeytlin qui soutient lui aussi que toute recherche est à la fois partiale et partielle, et pour lequel : « … recognize that we do not and cannot know everything, but that we can have reasons for being confident in the little we know.  » (2009 : 209). Ceci pour me distancier un peu d’une posture objectivante qui semble fréquemment s’imposer à nouveau dans le domaine des sciences sociales – les études genre ne faisant pas exception à la règle – et pour relativiser aussi l’enjeu de cet article. Si l’on admet que le discours ethnographique est fondamentalement partial et incomplet, « … l’idée que les femmes sont dans une position privilégiée pour étudier les femmes est un mythe » comme l’écrivent assez abruptement Avanza, Fillieule et Masclet (2015 : 23). Même s’il est évidemment nécessaire de tendre à un maximum de rigueur et de scientificité lors d’une recherche qualitative de terrain, il n’est à mon avis pas possible d’en appréhender tous les paramètres et de parvenir à une saturation des données, ne serait-ce qu’en raison des variations de la pensée et des discours des actrices et acteurs au fil d’une enquête (Amrein 2009).

Dans la suite du texte, je donne quelques indices sur les points de vue, à mon avis, les plus significatifs déployés dans la littérature féministe à propos de la présence d’hommes dans la recherche sur le genre. Je présente ensuite brièvement le cadre du terrain anthropologique que j’aborde dans cet article ainsi que les questions qui y ont été posées, mais sans aller plus loin dans l’exposé de son déroulement ou de ses résultats, là n’est pas l’objectif de ce texte. Je poursuis avec la partie plus directement empirique consacrée à mon travail avec les femmes sur le terrain lors de cette étude en Valais avant d’en terminer par une conclusion se référant au thème de ce numéro d’ethnographiques.org.

Quelques éléments de controverse à propos de la présence des hommes sur le terrain du genre

J’ai été, lors de ma recherche sur le territoire anniviard, exclusivement en contact avec des femmes, qu’il s’agisse des participantes au projet parcoursArianna ou de leurs formatrices locales et tessinoises. Cette arène singulière d’interactions m’amène à livrer ici quelques indices sur les principales thèses défendues par celles qui remettent vivement en cause les possibilités et compétences des chercheurs hommes lorsqu’il s’agit d’opérer avec des interlocutrices femmes, et celles qui sont d’un avis moins tranché ou carrément opposé, voire y décèlent des possibilités d’“alliance” entre les diverses subjectivités des chercheuses et des chercheurs.

L’enjeu est assez clair : un homme peut-il être « proche de l’expérience » (Geertz 1974 : 28) de ses sujets d’étude femmes ou, inversement, une femme est-elle “par nature” ou – c’est plus souvent l’argument pris en compte – au nom d’une commune expérience féminine de dominée, plus qualifiée pour étudier un groupe de femmes et accéder au discours de celles-ci ? Hélène Martin et Patricia Roux posent la question de la manière suivante : « En d’autres termes, la posture que l’on adopte dans une recherche (…) reproduit-elle nécessairement la position que l’on occupe structurellement dans une société ? » (2015 : 6).

Quelques auteures féministes matérialistes qui font autorité dans mon domaine de recherche perpétuent l’idée que si les hommes souhaitent être partie prenante dans la recherche féministe, ils devraient alors, comme l’écrit Christine Delphy, « rester à leur place », travailler à l’intérieur de leur propre catégorie de sexe sur des objets tels que le masculinisme ou l’homosexualité masculine : « … je ne pense pas du tout que les hommes n’aient pas de place dans les études de genre. (…) les hommes ont une place, ils ont des choses à nous apprendre à condition qu’ils restent à leur place. Il faut qu’ils nous apprennent quelque chose de leur place au lieu d’usurper la nôtre d’où ils ne peuvent pas parler » (Delphy 2012 : 17). Elle s’appuie aussi sur les écrits de Léo Thiers-Vidal (2010) pour conforter son point de vue : « Car si les femmes (…) sont les seules à connaître de l’intérieur l’oppression subie, (…) les hommes sont en revanche les seuls à connaître les stratégies de domination qu’ils forgent consciemment, comme l’a mis en évidence Léo Thiers-Vidal » (Delphy 2013). Un point de vue partagé par Nicole-Claude Mathieu pour laquelle « Il apparaît que si les hommes (…), de par leur position de classe de sexe dominante dans leur propre société, sont mieux à même de connaître les mécanismes de la domination masculine, ils ne sont pas en mesure de saisir, pour les femmes, la matérialité ni la psychologie de l’aliénation à l’homme » (1985 : 7).

Celles qui défendent le paradigme de la « feminist standpoint theory » ou « standpoint epistemology » semblent assez proches de la perception d’auteures comme Delphy ou Mathieu. Si l’on en croit Sandra Harding (2003) que l’on mobilise en général avec Nancy Hartsock (2003) à ce sujet, les deux éléments qu’il faut retenir à propos de l’“épistémologie du positionnement” sont tout d’abord que les femmes sont seules aptes à comprendre d’autres femmes en vertu d’une “expérience féminine partagée de l’oppression” et, deuxièmement, que la vision du monde des dominants est nécessairement partielle et faussée.

La « feminist standpoint theory » se heurte toutefois à de nombreuses oppositions puisque le postulat de l’existence d’une expérience de dominées commune à l’ensemble des femmes ne fait de loin pas/plus l’unanimité. Elsa Dorlin, par exemple, s’élève contre ce qu’elle qualifie de « romantisme théorique ». Selon elle, imaginer que les discours des minoritaires seraient systématiquement plus proches de la vérité reviendrait « … à adopter une espèce d’essentialisme critique » (2009 : 14). Pierre Bourdieu [2002 : 24, (…)" id="nh3-8">8] avait déjà remis en cause ce point de vue peu anthropologique qui laisserait entendre que seul·e l’insider est qualifié·e à comprendre son groupe social, sa société, en se posant la question : « Faudrait-il aller jusqu’à poser que l’appartenance à une catégorie dominée est une condition nécessaire, et surtout suffisante, de l’accès à la vérité concernant cette catégorie ? ». Mais c’est à Maria Puig de la Bellacasa que l’on doit la meilleure synthèse contestant l’idée de privilège épistémique des femmes. Elle construit son argument en trois points : « … le risque d’essentialisme ; la tendance à postuler l’unicité de l’expérience des femmes ; et enfin la critique de cette expérience comme « fondement d’un savoir privilégié » (2012 : 186). Une autre manière d’appréhender cette controverse serait ce qu’Helen Longino (1993) nomme « l’intersubjectivité » dans un passage qu’Artemisa Flores Espinola (2012 : 115) interprète de la manière suivante, « À mon sens, l’empirisme contextuel de Longino présente un plus grand intérêt car, plutôt que de défendre la substitution du sujet (masculin) par un sujet féminin ou féministe comme le font les théories du « point de vue », il propose de multiplier les sujets de connaissance. Ainsi, l’objectivité ne pourrait être accomplie que par l’inclusion d’une plus grande pluralité et diversité de perspectives ».

De son côté, Mélanie Gourarier (2011 : 173) soutient que « l’identité du chercheur sur son terrain n’est pas une donnée acquise » mais qu’elle est bien « fonction de la situation d’enquête et des acteurs en présence ». Une mise au point sur la fluidité de l’identité des chercheuses et chercheurs que confirme cet extrait d’un de mes entretiens portant sur le comportement des hommes au foyer à propos de l’aide au ménage : « Toi tu vas peut-être agir différemment, mais t’es pas un homme ! » (Jeanne, après m’avoir côtoyé et observé lors de cette recherche). Par ailleurs, si les rapports sociaux de sexe sont assurément un des éléments forts de la relation qui s’institue entre chercheur ou chercheuse et actrices ou acteurs durant une recherche, de nombreux autres facteurs influencent les possibilités d’accès aux données comme le relève Marie Buscatto : « … le genre ne travaille jamais seul le matériau d’enquête » (2005 : 90). À ce propos, je précise que mon travail, ici comme dans ma thèse, n’emprunte pas à l’analyse intersectionnelle [9], mais se concentre sur les rapports sociaux de sexe. Tout en reconnaissant l’intérêt de la prise en compte des différentes oppressions vécues dans de nombreuses situations d’enquête, j’estime que ni mon rapport aux actrices de la recherche, ni la configuration de l’échantillon de femmes pris en compte en Anniviers – problèmes liés à la classe sociale non prééminents et aucune personne racisée, par exemple – ne m’ont semblé rendre pertinent un tel outil de travail. Les variables les plus opératoires pour mon analyse au sein du parcoursArianna sont le fait d’être séparée/divorcée ou non, ainsi que l’origine locale ou pas des actrices, mais il aurait été trop long de les développer dans le cadre de cet article.

Le parcoursArianna un projet de développement dans les Alpes suisses

Le dispositif de formation plutôt novateur qui a constitué le cadre de ma recherche a suscité un grand engouement auprès des Anniviardes dès sa présentation à la population puisqu’une quarantaine d’entre elles se sont inscrites dans un délai assez bref. Directrice du secteur gender du LIFI et créatrice de ce dispositif, Giuliana Messi le résume de la façon suivante : « Le parcoursArianna (pA) est un projet qui vise à diffuser, développer et consolider l’esprit et la pratique du microentrepreneuriat au féminin dans certaines régions de l’arc alpin suisse. Il est devenu particulièrement difficile pour les femmes, si ce n’est impossible, de concilier travail rétribué et famille et celles-ci sont ainsi contraintes de renoncer dans la majorité des cas à une activité lucrative qui les éloignerait trop, que ce soit du point de vue des distances ou de celui des horaires familiaux » [10]. Précisons que si une aide financière directe au démarrage des éventuelles initiatives issues du pA ne faisait pas partie de l’accompagnement prévu, la formation était par contre totalement gratuite et accessible à toutes les habitantes de la vallée qui souhaitaient y prendre part. Ceci indépendamment de leur âge [11], de leur configuration familiale, de leur niveau d’études ou de connaissances, et de leurs occupations professionnelles actuelles.

L’échantillon d’une cinquantaine d’actrices [12] avec lesquelles j’ai travaillé reflète la diversité de la population d’une vallée alpine à vocation touristique entrée de plain-pied dans la modernité depuis des décennies. La plupart de ces femmes, dont seule une moitié était originaire de la vallée, ont effectué une ou plusieurs formations et travaillent d’une manière ou d’une autre hors du cadre strictement familial, même si ce n’est qu’exceptionnellement à temps plein. Le groupe comprenait, entre autres participantes, des universitaires, une femme médecin, des infirmières, des institutrices, des femmes travaillant dans l’entreprise de leur mari, une journaliste, quelques femmes sans emploi durant cette période ainsi que les partenaires des deux derniers agriculteurs de la vallée qui aidaient parfois à la ferme ou à l’écurie mais avaient par ailleurs une autre profession. Le rapport de pouvoir entre elles et moi était donc un peu différent de ce que pouvait représenter l’arrivée d’un chercheur dans une communauté alpine il y a plus de cinquante ans. Les participantes au pA faisaient pour la plupart d’entre elles partie de ce que je nomme la classe moyenne des vallées alpines à économie touristique et si l’on fait abstraction de leur position dans le système de genre local, elles n’appartenaient pas, dans l’ensemble, à un groupe social particulièrement défavorisé ou stigmatisé, même si la situation financière de certaines, principalement les femmes divorcées ou séparées responsables d’une famille monoparentale, pouvait parfois s’avérer difficile.

Mon étude dans ce cadre avait pour objet d’analyser si les représentations et pratiques des participantes au pA quant à leur rôle dans le cadre familial – la quasi-totalité d’entre elles avait une famille [13] – et, surtout, leurs contraintes domestiques, parentales et professionnelles, leur permettraient de disposer du temps, de l’énergie et du soutien nécessaires pour bénéficier pleinement de l’opportunité d’apprentissage proposée dans leur vallée, voire, dans l’idéal, pour initier seule ou en groupe un véritable projet de microentreprise créateur d’emplois. Je partais de l’hypothèse que sans un début de modification de la répartition des tâches au sein du couple, les objectifs de cette formation seraient difficilement atteignables. En résumé, j’ai utilisé ce projet implémenté en Anniviers comme une sorte de révélateur de l’état des rapports sociaux de sexe dans la vallée. Il s’agissait en réalité d’exploiter l’opportunité présentée par cette expérience “cryptoféministe [14]” pour aborder un objet lié à des structures, normes et mécanismes de domination masculine repérables à beaucoup plus large échelle dans la société helvétique.

Famille et division sexuée du travail, une thématique toujours d’actualité

J’ai choisi de continuer à investiguer sur ce thème qui pourrait paraître épuisé tant il a été traité par les auteures féministes parce que si les avancées en matière d’égalité entre femmes et hommes sont indéniables, quoique fragiles dans de nombreux domaines, la question de la répartition des rôles et des tâches au sein de la famille et des couples, aussi pénalisante soit-elle pour les femmes, semble bel et bien constituer un « noyau dur de l’inégalité » (Maruani 2008) entre les sexes. Les sphères domestiques et familiales font clairement partie des institutions où les rouages des mécanismes menant vers une égalité réelle entre les sexes sont les plus grippés (Gani 2016 ; Ben Salah et al. 2017 ; Amrein 2018). Mais qu’on le déplore ou que l’on s’en réjouisse – et ma thèse le démontre une fois encore –, la cellule familiale demeure pour la majorité des individus à la fois l’institution d’appartenance prioritaire et un lieu relevant de l’intime où les enjeux affectifs et de pouvoir se mêlent.

Les modalités du « faire famille » ont certes beaucoup évolué durant les dernières décennies, mais il faut prendre garde à ne pas considérer que les nouveaux types de familles et de parentalités – homosexuelles, recomposées, monoparentales, non cohabitantes – ou encore le « centrage sur l’enfant », l’individualisation de la famille, ou les plus récentes avancées sur la procréation médicalement assistée, ont nécessairement un impact positif sur les inégalités pénalisantes pour les femmes qui persistent dans la sphère domestique. Que la famille soit recomposée ou non, force est de constater que la répartition des rôles hommes/femmes ne change guère. En réalité et si l’on se fie aux plus récentes statistiques de l’OFS sur le sujet (OFS 2021), aussi bien le mariage hétérosexuel que la production d’enfants ont toujours la cote dans la population suisse. Le sociologue René Levy écrivait en 2015 dans un document édité par la Commission fédérale pour les affaires féminines de la Confédération suisse à l’occasion de ses quarante ans d’existence : « La reconnaissance officielle du problème de l’inégalité de genre a fait des progrès importants, le problème lui-même nettement moins » (2015 : 42). Ma propre enquête en terres valaisannes a largement confirmé ce diagnostic.

Atténuer les rapports de pouvoir sur le terrain de recherche

L’approche choisie pour ma recherche est presque exclusivement qualitative et se réfère au paradigme interprétativo-compréhensif. Hormis le fait que ce terrain soit conduit par un homme au sein d’un groupe entièrement féminin et situe donc l’enquête dans un cadre d’interrelations particulier, le mode opératoire privilégié s’apparente à un terrain anthropologique “classique”. La finalité de ce travail étant de connaître les éventuels changements survenus dans la structure familiale des participantes après l’expérience pA et au-delà, il s’agissait d’accumuler au cours de nos premières rencontres le plus d’informations possible sur leurs parcours de vie avant cette expérience. L’enquête a donc débuté par une première série d’entretiens biographiques envisagés sur le mode de la conversation [1993 : 917) préfère parler de « (…)" id="nh3-15">15] et destinés à évoquer les trajectoires professionnelles des participantes, leurs motivations et attentes face à cette formation, et à entendre ce qu’elles avaient à dire au sujet de l’organisation de leur sphère domestique et de la division sexuée du travail qui y prévalait. Autrement dit, cette étape initiale de la recherche avait pour but d’établir un portrait le plus précis possible de ce que Raewyn Connell (1992) nomme le « state of play of gender relations [16] » au sein de leur famille. Le terrain s’est “terminé [17]” par une seconde vague d’entretiens en forme de bilan débutée six mois après le terme de la formation avec les vingt-cinq femmes qui ont eu la persévérance et/ou la possibilité pratique de la terminer. Notons au bénéfice du terrain de longue haleine que certaines actrices qui s’étaient montrées plus réservées que les autres lors du premier entretien se révélèrent parmi les plus disertes deux ans plus tard.

Cet accompagnement de projet et les liens créés avec les protagonistes qui en ont découlé sont des éléments clés de l’étude. Ils ont clairement été de nature à démythifier le chercheur et à atténuer les rapports de pouvoir qui seraient à l’œuvre. La familiarisation progressive entre chercheur et actrices, et plus largement ce que l’on nomme « l’imprégnation au terrain » (Olivier de Sardan 1995 : 79), a eu lieu à la faveur des nombreux moments passés en commun lors des séances de formation auxquelles j’ai systématiquement participé en observateur, mais aussi lors de rencontres informelles telles que les fréquentes verrées d’après cours et, comme le montre l’extrait suivant, le registre de la familiarité fut rapidement de mise.

 — Et vous allez continuer de vousoyer tout le monde, là ?
— Non, mais ça n’est pas forcément à moi, en débarquant ici, à …
— Oui, mais nous on se dit tous “salut” —“salut, ça va ?”, et tout à coup “Monsieur Thierry !”
— Non, ça n’a pas grand sens, mais ça n’est pas forcément à moi de prendre l’initiative.
— Non, c’est vrai. (Entretien avec Henriette)

Mes premiers contacts avec le directeur du LIFI et sa collègue qui dirige le secteur gender de l’institut ont rapidement abouti à un accord de principe sur ma présence en tant que chercheur au sein de la formation et l’opportunité de rencontrer pour la première fois la quasi-totalité des participantes me fut offerte lors de la séance inaugurale du dispositif. J’ai profité de cette occasion pour expliquer les motifs de ma présence un peu surprenante dans ce contexte exclusivement féminin et l’objet de l’étude que je comptais mener tout en précisant que leur inscription à la formation n’impliquait d’aucune manière qu’elles acceptent de collaborer à ma recherche. Suite à ma courte intervention et après un temps de réflexion, aucune des femmes n’a refusé de participer aux entretiens prévus. J’ai tout de suite remarqué à l’occasion de cette réunion que participer en tant qu’unique homme à des assemblées constituées de nombreuses Annivardes complices et assez portées sur la plaisanterie [18] et la provocation amicale aurait davantage tendance à fragiliser qu’à valider l’éventuel avantage qu’un homme chercheur pourrait tirer de son statut dans un tel contexte de recherche. Il en a été de même par la suite lors des échanges constants entre ces femmes, au café ou sur les réseaux sociaux, entre autres pour se raconter comment se passaient les entretiens. En bref, il faut se faire une haute idée du statut d’un chercheur en sciences sociales dans une vallée valaisanne pour imaginer qu’il lui suffit de se présenter sur son territoire d’enquête pour qu’une hiérarchie avec ses interlocutrices s’établisse en sa faveur. J’ai constaté par la suite lors de nos rencontres qu’une large majorité des participantes approuvaient clairement le fait que ce programme se déroule en non-mixité. Il est dès lors assez révélateur d’un premier contact positif que ma présence dans ce milieu d’homosociabilité féminine ait été acceptée à l’unanimité même si certaines, absentes lors de la première séance, ont manifesté leur surprise par la suite :

— Quand on m’a présenté au groupe, j’ai dit “mais le monsieur, alors ? Il y a un monsieur qui fait partie du groupe ? ” J’avais oublié que c’était un truc de dames exclusivement. Ils m’ont dit “non, il vient pour étudier”. J’ai dit “oh la la !”
— Au début il y en a une qui pensait que j’accompagnais ma femme pour la surveiller…
— Oh mon Dieu ! Tu vois la mentalité… [éclat de rire] (Entretien avec Iris).

C’est à partir de cette rencontre inaugurale que j’ai pris petit à petit rendez-vous avec chacune des participantes pour la première campagne d’interviews, qui s’est échelonnée au gré des disponibilités de chacune. Si les premières femmes que j’ai rencontrées ne savaient pas trop à quoi s’attendre et ont en quelque sorte servi de cobayes, – « j’espère que je saurai répondre comme il faut ! » –, le bouche-à-oreille a fait son œuvre et les discussions avec celui qui était encore un quasi-inconnu à ce stade ont perdu très rapidement une bonne partie de leur caractère anxiogène et un peu formel.

Ces entretiens ont le plus souvent eu lieu dans un contexte propice aux échanges, c’est-à-dire en tête à tête, au domicile des actrices pendant la journée et devant un café. Bénéficiant le plus souvent d’un temps conséquent d’entretien, ce fut pour moi l’occasion de profiter de cet accès momentané à leur cadre de vie pour adopter – aussi – une position d’observateur. En effet, comme le précise Stéphane Beaud (1996 : 236) « la situation d’entretien est, à elle seule, une scène d’observation » et « la scène sociale (…) que constitue l’entretien donne des éléments d’interprétation de l’entretien ». Hormis quelques interactions ou comportements observés durant les heures passées chez les participantes à l’occasion des entretiens ou lors d’autres événements – seules occasions de rencontrer, le plus souvent furtivement et pour quelques tentatives de leur part de plaisanteries masculines en mode « virilité complice », leur mari ou compagnon [19] –, l’observation directe des pratiques dans la sphère domestique n’est réellement possible ni dans le val d’Anniviers, ni ailleurs dans nos sociétés. Mais entendre une femme du pA déclarer tout haut : « pffhhh… désolé les filles, j’ai encore dû préparer les repas pour tout le monde avant de monter … », en arrivant en retard à une séance de formation en relève presque.

Une des difficultés majeures de ces entretiens pour le chercheur féministe réside dans la posture de relative neutralité à adopter face à certains passages du discours des actrices qui laissent apparaître des inégalités flagrantes dans la répartition des tâches [20]. Ce d’autant plus que, le temps passant, les protagonistes de mon étude avaient de plus en plus tendance à me demander ce que je pensais de leurs propos. La seule attitude que je me sois permise à ce sujet fut parfois d’évoquer en réponse à une question mon propre fonctionnement ou, au détour de la discussion, de ne pas aller dans le sens des idées exprimées :

 — On fonctionne quand même différemment, hein, les hommes et les femmes !
— Ah bon ?
— Bien sûr que toi, tu sais ça.
— Je ne sais pas, non.
— Non ! Tu penses pas ? (Entretien avec Mélanie)

Quand la conversation tardait à se fixer plus précisément sur la question de la répartition des rôles, je l’abordais par la bande. La simple demande de description détaillée d’une journée “standard” peut se révéler un excellent point de départ : « Jamais je n’y avais réfléchi comme ça, jamais je n’aurais cru que je faisais autant de trucs » reconnaît par exemple Mélanie à l’issue de notre entretien. Sachant que j’aurais l’occasion de rencontrer à nouveau mes interlocutrices, j’ai préféré selon les cas, reporter certaines questions au second rendez-vous prévu, afin de laisser à une relation de confiance de l’ordre du “régime du proche” (Genard et Roca i Escoda 2010 : 150), le temps de s’établir. Mais dans la majorité des cas, l’organisation domestique du couple ne faisait pas partie des thèmes tabous et les femmes n’ont guère hésité à évoquer par le menu la répartition des tâches au foyer, la genèse de cette répartition des tâches et leurs représentations à ce sujet. Je n’ai décelé à ce propos ni méfiance ni retenue particulière, mais au contraire une parole plutôt libre et un intérêt marqué à évoquer cette thématique. Le sujet de la sphère domestique, des mécanismes qui y mènent et de ses conséquences sur l’existence des femmes est pourtant sensible car il est pour moi évident que l’évocation critique du partage des tâches au sein de la famille se rapporte à l’intimité des couples et tient un peu du funambulisme pour le chercheur. Pas tant parce qu’il est difficile pour les femmes d’en parler – comme je viens de le préciser – mais parce qu’il s’agit souvent d’une remise en cause, vis-à-vis de l’extérieur (y compris les futurs lecteurs et lectrices de l’étude dont, potentiellement, leur voisinage ou leurs collègues du pA), de la relation privilégiée entretenue avec leur partenaire. Il ne faut pas oublier que la cellule familiale demeure pour la majorité des individus à la fois l’institution d’appartenance prioritaire, une valeur refuge et un espace de solidarité fondamental (Roux 1999 ; Amrein 2019). Du moins tant que le couple fonctionne en relative harmonie [21]. Et pourtant, les femmes se sont donc exprimées, y compris avec un homme, comme on peut le constater avec Irène dans une période de grande lassitude :

 … déjà je me sens soumise, mais je peux pas me soumettre totalement. Ça doit faire bizarre. Il doit pas y avoir beaucoup de femmes qui te disent ça ! (…) Je commence à me dire que ça fait 20 ans que mes enfants m’empêchent de vivre ma vie. C’est mauvais ce que je dis là, et pis, c’est pas la faute des enfants, mais j’ai vraiment besoin d’autre chose maintenant, ça ne me suffit plus. (…) Ma vie est mise de côté, mais ça …

Ou encore en lisant Sarah, en colère ce jour-là :

 J’ai pété un plomb après la quatrième, hein. J’étais crevée et il y a eu tout d’un coup dans une conversation une fois avec une mère au foyer qui a 53 ans, qui a ses enfants qui partent, qui fait une dépression et qui m’a dit ”je me suis sacrifiée pour ma famille“. Et moi je me suis dit “m…. , je prends exactement le même chemin !”. Et j’ai complètement perdu les pédales, pété un plomb. Et j’ai juste appris ça, à exiger comme on doit le faire, hein. Parce que comme tu dis, ça ne va pas de soi, à demander et à dire “moi, samedi après-midi, je vais skier, je me casse”, et à le faire sans culpabilité aucune. C’est-à-dire avoir des choses-ressources, ça peut être un travail, un loisir, un truc, pour être zen ensuite le reste de la semaine pour la famille. Et pas continuer de puiser, de puiser, et de s’enfoncer. 

Lorsque j’évoque plus haut un « sujet sensible » à propos de l’investigation sur la division sexuée des tâches au sein de la sphère domestique, c’est que les participantes et leurs partenaires ne sont pas ici les seul·e·s concerné·e·s. La population de la vallée dans son ensemble observe l’expérience en cours et la relation entre actrices ou formatrices et anthropologue n’échappe ni au contrôle social pesant, ni aux commérages fréquents dans ce type de territoire. Toute pratique de l’entretien implique l’instauration d’un rapport particulier favorisant dans une certaine mesure la maïeutique, mais dans ce type de configuration de recherche, le conseil de la sociologue Marie Buscato [22] de « fermer la séduction » m’a également semblé judicieux. Un tel phénomène est sans doute moins présent dans d’autres types d’enquêtes – par questionnaire par exemple – qui n’impliquent pas de contacts prolongés avec les interlocuteurs et interlocutrices. On se doute bien que dans l’optique d’une investigation de plusieurs années se déroulant avec un groupe de femmes mariées ou en couple dans une vallée de montagne, la moindre suspicion de faux pas relationnel risquait de compromettre l’entier du travail entrepris et le repli du chercheur vers la plaine toutes affaires cessantes. Si la qualité des entretiens dépendait d’une certaine proximité et de la qualité de la relation établie avec mes interlocutrices, il n’était pas question pour autant de développer avec certaines d’entre elles des relations un tant soit peu privilégiées qui auraient pu prêter à commentaires.

Ceci dit, le déroulement d’un tel terrain au contact des enquêtées modifie considérablement les manières d’interagir au fil du temps. Il est précisément propice à la réduction des effets de pouvoir au fil des mois et incite le chercheur à un positionnement très différent, moins stéréotypé, me semble-t-il, que ce n’est le cas dans d’autres types de recherches. Les contacts ne se cantonnent pas aux interviews, à l’observation, ou aux questionnaires. Divers types de rapports s’établissent qui tendent à complexifier les rôles de chacun et à relativiser petit à petit la question de l’asymétrie entre interviewées et intervieweur. En bref, il s’agit autant que faire se peut de trouver « … quels outils permettent de se distancier des rapports de pouvoir qui organisent l’expérience de la chercheuse [en l’occurrence, du chercheur] ? » (Martin et Roux 2015 : 6) et d’éviter quelques écueils majeurs. Ce rapport asymétrique ne disparaît pas complètement, mais l’exercice consistant à en atténuer progressivement l’impact pour parvenir à « minimiser son statut de chercheur » (Genard et Roca i Escoda 2013 : 7) porte souvent ses fruits, comme cela fut le cas avec Suzanne avec laquelle la relation a assurément évolué :

 Alors … par où commencer ? Ce que le parcoursArianna m’a apporté ? Tout d’abord, et bien déjà par rapport à nos entretiens, la première fois que tu es venu, je crois que je n’ai pas dormi de la nuit du souci que j’avais [rires]. (Suzanne)

Plusieurs autres facteurs ont également aidé à réduire l’impact du statut d’un scientifique dans une population féminine de montagne dont l’existence a tout de même bien changé depuis quelques décennies, et contribué à la réussite de l’enquête. Par exemple, le fait que je vive dans une vallée voisine qui me situe en « intimité culturelle » (Herzfeld 2005) avec le val d’Anniviers ou que la population de la vallée soit familiarisée avec l’ethnologie car l’un des plus médiatiques anthropologues romands, récemment décédé, était originaire du lieu et a passé sa retraite active sur place, bien intégré à une communauté locale sur laquelle il a beaucoup écrit. De plus, la présentation très positive qu’a faite de moi au début de la formation une amie engagée en tant que formatrice a certainement aussi joué un rôle. La liste des éléments ayant favorisé mon acceptation par le groupe pourrait s’étendre.

Je termine ici ce point plus spécifiquement consacré à différents aspects de la production des données de ma recherche en Anniviers et j’en arrive à ma conclusion en lien à la fois avec le thème de ce numéro de la revue et avec ma question titre. L’appel à contribution évoquait la “part de complexité et d’ambiguïté” de la thématique. J’inscris volontiers mon article dans ce cadre tout en espérant avoir réussi à apporter une contribution originale aux débats.

 Une réponse en demi-teinte et contextuelle

Il y a selon moi deux manières d’envisager le thème « Le genre en train de se faire/défaire : trouble dans le terrain ». La première est d’imaginer que la chercheuse ou le chercheur peuvent avoir une influence directe sur les populations de leurs terrains de recherche. Voilà qui serait assez présomptueux. D’autant, qu’à moins de revendiquer une action directement militante dans ce cadre ou de verser dans la recherche-action, le rôle de la chercheuse ou du chercheur n’est pas, selon moi, d’imposer ses vues aux protagonistes de l’enquête. Tout au plus peut-il être intéressant de mettre a posteriori la publication issue de ce travail à disposition des personnes grâce auxquelles la recherche a été possible et d’organiser pour elles une présentation/discussion des résultats. C’est ce que j’ai fait. Il n’est pas totalement exclu qu’une telle rencontre de longue durée entre les femmes impliquées dans le pA et le chercheur en études genre qui s’efforce de mettre en pratique ce qu’il enseigne ou écrit par ailleurs ait incité quelques participantes, au fil des interactions diverses, à montrer une attention plus soutenue aux injustices de genre. Le démontrer requerrait d’y consacrer une nouvelle étude. J’ai toutefois constaté grâce aux données produites lors de ce terrain que beaucoup de femmes ne m’ont pas attendu pour prendre conscience du rapport inégal au sein de leur couple. D’un autre côté, le déroulement de la formation elle-même et les mois qui ont suivi la fin de cette expérience dans la vallée ont, selon moi, plutôt démontré la formidable inertie des rapports sociaux de sexe à l’échelle des familles. C’est d’ailleurs là une des conclusions de ma recherche.

La seconde manière d’envisager la question est précisément ce que je me suis efforcé de faire apparaître dans ce texte, à savoir troubler un tant soit peu l’idée que pour les recherches/terrains en sciences sociales, il reste préférable que les catégories de sexes demeurent cloisonnées. Dans le fond, à quelles étapes du processus de recherche cette mise en doute de la possibilité et de la pertinence pour des hommes d’entreprendre une recherche en étude genre qui ne soit pas dans leur propre catégorie de sexe s’applique-t-elle ? Qu’implique concrètement sur le terrain le fait d’appartenir au groupe dominant dans la catégorisation par sexe de la société locale ? Le fait de mal élaborer le projet d’enquête, de ne pas poser les bonnes questions, de ne pas interpréter correctement les réponses des femmes, de ne pas saisir les vrais enjeux lors d’une observation, de jouer d’un effet de pouvoir, de ne pas être apte à analyser correctement, au plus près du discours et de l’expérience des actrices, les données produites, ou d’en rendre compte de manière biaisée… ? Tout cela est certes possible, mais est-ce certain et inéluctable ?

Lectrices et lecteurs auront sans doute remarqué au fil du texte que l’on pourrait rapporter certaines de mes considérations sur le comportement du chercheur sur son terrain ou sur les stratégies de production de données à d’autres enquêtes dont le focus ne serait pas lié aux rapports sociaux de sexe. C’est là précisément ce que je tente de démontrer en m’appuyant sur des années de pratique : il n’est certes pas possible d’éliminer totalement l’asymétrie liée au genre, mais je prétends que l’on peut faire en sorte que cette asymétrie ne soit pas prépondérante par rapport aux autres phénomènes qui pourraient biaiser des résultats d’enquête.

Historiquement, politiquement ou stratégiquement le quasi-monopole de chercheuses dans les études genre s’explique et se justifie pleinement. Il n’y a cependant pas de raisons théoriques insurmontables, me semble-t-il, pour que cet état de fait se perpétue éternellement, si ce n’est à considérer que les rapports sociaux de sexes ne peuvent que se reproduire à l’infini. Je suis bien conscient que la possibilité de transcender les catégorisations pour accéder aux discours des actrices ne s’applique ni toujours ni partout. Cet accès est contextuel et la relation entre le chercheur et les femmes du groupe social étudié dans le cadre d’une recherche n’est réellement envisageable que lorsque le lieu de l’enquête ou le sujet traité ne rendent pas tout rapport entre les sexes compliqué ou impossible. Que ce soit autrefois en Turquie (Amrein 2005), en utilisant un autre protocole de recherche qu’en Anniviers, ou pour ce travail ou d’autres en Suisse, je n’ai pourtant que rarement eu l’impression d’être plus en phase avec les hommes qu’avec les femmes. Ce dont mes interlocutrices se sont probablement rendu compte et qui a sans doute facilité le déroulement des entretiens. J’ai même le sentiment d’avoir réussi en bonne partie à éviter, dans le val d’Anniviers, le piège dont parle Léo Thiers-Vidal, quand il écrit que « La défense égoïste de leurs propres intérêts et de ceux de leur groupe social motive les hommes engagés à exclure de leur analyse le vécu opprimé des femmes, et à rester centrés sur eux-mêmes. » (2002 : 75). Ce contre quoi je m’inscris, c’est l’a priori souvent accepté qui voudrait que les hommes cisgenres restent cantonnés à l’étude de leur propre groupe de sexe, condamnés en quelque sorte à l’homolalie, ce qui ne ferait que perpétuer des catégories sociales que l’on s’efforce par ailleurs de déconstruire pour autant que l’on ne s’inscrive pas dans une approche différentialiste. J’espère en tout cas pouvoir « … échapper à cet implacable déterminisme qui voudrait a priori que chaque ligne que je m’apprête à écrire devrait être interprétée de par ma seule appartenance au groupe social “homme” », comme le réclamait déjà le sociologue Christian Schiess dans son mémoire de licence (2005 : 4).

Je ne crois pas à la possibilité d’évaluer ce qui a été dit et ce qui a été tu lors d’un entretien, ce qui aurait été dit à un autre chercheur ou a fortiori à une chercheuse, ou encore d’administrer les preuves indiscutables de ce que l’on avance dans l’analyse de nos données. C’est à ce propos que Clifford Geertz parle d’« hypocondrie épistémologique » quand il s’interroge : « Comment peut-on savoir que ce qu’on dit sur d’autres modes de vie est effectivement ainsi ? ». Mais je signale qu’une étude de moindre ampleur sur l’équivalent tessinois du dispositif valaisan [23] conduite par la sociologue Anita Testa-Mader et la directrice du parcoursArianna Giuliana Messi, deux femmes donc, a abouti à des conclusions assez proches quoiqu’un peu plus “positives” sur les résultats du parcoursArianna, à partir d’un territoire aux caractéristiques légèrement différentes (Testa-Mader et Messi 2013).

Christine Delphy nous dit à propos des hommes qui prétendent travailler dans le domaine du genre que « Compatir n’est pas pâtir » (2004 : 3). Moi qui souhaite persévérer dans l’anthropologie du genre, je lui répondrais à ce stade de ma pratique du terrain que compatir n’est pas partir non plus ! Je vais donc persévérer dans la direction que je pense légitime et pertinente et dans l’analyse des mécanismes qui font barrage à l’égalité entre les individus en étant aussi attentif que possible aux effets de domination masculine que j’ai incorporés, mais aussi en utilisant au mieux mon bagage pratique et théorique de chercheur construit comme homme. J’ai démarré à l’été 2021 une recherche longitudinale en compagnie de jeunes activistes du « Collectif Femmes Valais [24] » autour de leur engagement féministe et de la confrontation entre leurs idéaux actuels et les réalités de la société patriarcale auxquels elles seront confrontées durant les années à venir aussi bien dans leur sphère privée que dans le milieu professionnel ou militant. Et pour le moment, le seul léger problème de compréhension est qu’elles se sentent plus libres dans leurs réponses à un homme que je ne le suis dans mes questions. Je vais devoir m’adapter.

add_to_photos Notes

[1Je précise ici mon identité de genre actuelle parce que j’ai l’impression que dans certains cas, un homme revendiquant une identité homosexuelle pourrait impacter les interactions entre chercheur et actrices différemment.

[2Le parcoursArianna apparaîtra le plus souvent sous la forme de l’acronyme pA dans la suite du texte.

[3Le Laboratorio di ingegneria della formazione e innovazione (LIFI) de l’université de la Suisse italienne à Lugano avait déjà implémenté six mois plus tôt le même dispositif dans la Valle Maggia au Tessin. Cet institut a disparu du paysage académique peu après le terme du pA en Valais.

[4Je me réfère ici à la « Plate-forme » qui a longtemps figuré dans la revue Nouvelles questions féministes pour décrire la perspective féministe revendiquée par sa rédaction. (Nouvelles questions féministes, 2008. 27 (2), p. 152)

[5Cet article traite spécifiquement d’une recherche en Anniviers, mais j’ai été confronté à la problématique que j’y aborde lors de plusieurs autres études, dont une en cours en 2022.

[6Les prénoms des femmes ont été modifiés.

[7Dans leurs ouvrages respectifs, les deux anthropologues s’affrontent quant à leurs interprétations émique ou étique de la mort du capitaine Cook à Hawaii en 1789.

[8Cité dans Goffman 2002 : 24, note 25.

[9Parmi de nombreux autres ouvrages et revues consacrés à ce thème, on pourra se référer à Bilge 2009 ; Fassa, Lépinard et Roca i Escoda 2016 ; Hill Collins et Bilge 2016 ; Lépinard et Mazouz 2021, tous en bibliographie.

[10Traduction de l’auteur depuis l’italien.

[11De 30 à 60 ans, avec une nette prédominance de femmes entre 35 et 50 ans qui s’explique par le fait que ce sont les plus concernées par le désir de retravailler après la période consacrée à l’éducation des enfants.

[12Je compte dans ce chiffre la quarantaine de participantes au pA ainsi que les 6 formatrices (trois locales et trois membres du LIFI), la directrice secteur genre du LIFI, et diverses intervenantes. Seul le directeur du LIFI était un homme (!), mais il était peu présent en Anniviers.

[13Je précise qu’aucune des actrices et mères de famille de cette recherche ne s’est déclarée homosexuelle.

[14Le terme « féministe » était tabou dans le cadre de la formation et surtout de la vallée pour d’évidentes raisons de réception par la population locale, mais fréquemment utilisé en interne par les femmes du secteur gender du LIFI.

[15Bourdieu (1993 : 917) préfère parler de « conversation » plutôt que d’« entretien » et Olivier de Sardan adopte le même point de vue : « L’anthropologue évolue dans le registre de la communication banale, “il épouse les formes de la communication ordinaire”, il rencontre les acteurs locaux en situation quotidienne, dans le monde de leur “attitude naturelle” » (1995 :78).

[16« The very ideas of “the housewife’ and ’the husband are fusions of emotional relations, power and the division of labour. The gender regime of a particular family represents a continuing synthesis of relations governed by the three structures » (Connell 1992 : 120).

[17En réalité, j’ai continué à suivre de près les derniers soubresauts de l’aventure parcoursArianna pendant assez longtemps après le terme de la formation.

[18Dans cette vallée, on parle de “malice”.

[19Parmi d’autres raisons, j’ai renoncé à inclure les partenaires masculins dans mon étude pour éviter de créer des tensions dans les couples, brimer la parole des unes et des autres, ou me placer en situation de porte-à-faux entre hommes et femmes.

[20Pas toujours évident pour le chercheur féministe d’arriver pour un entretien chez une femme plongée avec bonheur dans l’ouvrage d’Éric Zemmour sur le nécessaire retour de la masculinité triomphante.

[21Les protagonistes divorcées ou séparées de mon enquête tenaient des propos particulièrement lucides sur la polarisation progressive et inégalitaires des rôles femmes/hommes au sein du foyer.

[22Communication personnelle au sujet de recherches que la sociologue a menées dans le milieu très masculin du jazz français.

[23Ce sont là les deux seules versions de ce programme de formation qui ont eu lieu.

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THIERS-VIDAL Léo, 2002. « De la masculinité à l’anti-masculinisme : penser les rapports sociaux de sexe à partir d’une position sociale oppressive », Nouvelles questions féministes, 21 (3), « Les répertoires du masculin », p. 71-83.

ZEYTLIN David, 2009. « Understanding Anthropological Understanding : For a Merological Anthropology », Anthropological Theory, 9 (2), p. 209-231.

Pour citer cet article :

Thierry Amrein, 2023. « Des actrices et un chercheur : une configuration qui pose problème sur le terrain ? ». ethnographiques.org, Numéro 44 - décembre 2022
Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2022/Amrein - consulté le 26.04.2024)
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