Recomposer son monde avec du qi (氣) ? Récit d’itinéraires somatiques de trois praticiens français de zhineng qigong (qi gong de la sagesse)

Résumé

Articulant trois entretiens et des observations de terrain, cet article propose de mettre en récit les processus par lesquels des praticiens français de zhineng qigong recomposent au quotidien la perception de leur corps et de leurs environnements à partir d’un nouvel existant : le qi. Par la mise en perspective de leurs pratiques ordinaires, de leurs discours et des enseignements qu’ils ont reçus, je tente de mettre au jour le rôle de l’expérience somatique dans les conflictualités et négociations ontologiques, axiologiques et heuristiques générées par l’exercice de cette discipline. Se dévoilent ainsi progressivement les multiples gestes de « récalcitrance » inventés par les praticiens pour élaborer des mises en variation de leurs apprentissages du zhineng qigong.

mots-clés : expérience somatique, qi, énergie, zhineng qigong, récalcitrance

Abstract

Recomposing one’s world with qi (氣) ? An account of the somatic journey of three French practicionners of zhineng qigong (wisdom qigong)

Based on three interviews and numerous field observations, this paper describes the processes by which French zhineng qigong practitioners recompose their perceptions of their bodies and environments based on a newly encountered entity : qi. By connecting and comparing their ordinary practices, their discourses and the teachings they have received, I attempt to shed light on the role of somatic experience in the ontological, axiological and heuristic conflicts and negotiations generated by the practice of this discipline. This analysis reveals the multiple signs of "recalcitrance" invented by these practitioners to make space for variations in their learning of zhineng qigong.

Keywords  : somatic experience, qi, energy, zhineng qigong, recalcitrance

Sommaire

« Recueillir le qi » dans la forêt palatine

Fig. 1. Recueillir le qi » avec Shi Hengzuan
Photo prise lors d’un stage de chan yuan gong organisé au Shaolin Temple Europe.
Shaolin Temple Europe

« Je ne comprends toujours pas ce mouvement [1] », nous confie-t-elle lors d’une pause entre élèves dans la cour du monastère. Initiée depuis peu à la pratique corporelle du qigong [2], Julia [3] fait ici référence au mouvement d’introduction du chan yuan gong – l’enchaînement que nous sommes venus apprendre cette semaine au Shaolin Temple Europe [4] –, un mouvement que notre enseignant, maître Shi Hengzuan [5], nommera plus tard : « Recueillir le qi [6] » [Fig. 1]. Klaus, professeur de karaté shotokai, tente de l’aider : « C’est comme si tu prenais le qi autour de toi et que tu le ramenais à l’intérieur de ton corps », dit-il, avant de concéder, « mais c’est difficile à sentir, oui [7] ».

Nous sommes au mois de mai 2022, aux alentours du village d’Otterberg, en Allemagne. Après avoir quitté le site du monastère, marché le long d’une route étroite bordée de grands hêtres et de prairies, passé un ancien corps de ferme partiellement délabré et un lotissement esseulé, notre groupe s’engage sur un chemin de terre à l’orée de la forêt. À l’ombre des grands arbres, nous suivons la sente forestière, avant de bifurquer dans un sous-bois spacieux où, sans un mot, nous nous installons en lignes face au professeur. Vêtu d’une grande veste de soie blanche brodée d’un bleu azur et d’un long pantalon bouffant assorti, Shi Hengzuan écarte ses pieds de la largeur de ses épaules, étire son axe vertébral, nous regarde à peine. Nous plaçons nos mains en position de prière, nous nous saluons. Puis il relâche les bras le long de son corps, le visage légèrement incliné vers le sol, avant d’entamer l’enchaînement du chan yuan gong. Ses bras, lentement, se soulèvent de chaque côté de son corps. Ses paumes de main, à peine creusées, pivotent lentement de la terre vers le ciel, alors que ses doigts sont agités par moments d’infimes ressauts. Son visage progressivement se lève, les yeux ouverts face à la couronne des arbres. Arrivés un peu au-dessus des épaules, les bras de Shi Hengzuan se replient par les coudes, ramenant ses deux mains devant la ligne centrale du corps, qu’ils longent depuis le visage jusqu’à l’abdomen. Nous répétons collectivement le geste, suivant le rythme du professeur, pendant quelques longues minutes suspendues.

C’est à l’occasion d’un cours théorique plus tardif que Shi Hengzuan nous révèle le nom de ce geste, « Recueillir le qi », tout en s’abstenant, à dessein, de revenir sur ce dernier terme. Il se garde également de donner la moindre indication quant à la réalisation du geste, en dehors du rythme de la respiration. Pour ma part, je me contente de relever intérieurement l’écart pédagogique entre la proposition de Shi Hengzuan et celle des professeurs de zhineng qigong – « qi gong de la sagesse » – que j’ai pu côtoyer en France, depuis une dizaine d’années : ces derniers, au sujet d’un geste similaire [8], guidaient explicitement notre attention au niveau de la peau de nos mains, de l’espace autour de nous, des volumes internes de notre corps. Autant de zones sensibles dans lesquelles notre sensorialité pouvait, d’après eux, rencontrer les textures du qi et se familiariser avec. Sous les bois de la forêt palatine en revanche, c’est seulement sur un malentendu que Shi Hengzuan abordera frontalement la notion de qi, alors que la retraite allait s’achever. Mais, rechignant à en donner une définition théorique, son maigre propos sur le sujet tiendra en une formule : « Vous voulez savoir ce qu’est le qi  ? Vous devez pratiquer [9] ».

Quoique ces pédagogies diffèrent dans leurs méthodes, toutes deux s’accordent néanmoins pour faire du qi l’objet d’un savoir d’abord somatique, c’est-à-dire élaboré dans le creuset du corps-vécu. Énoncée en Allemagne ou en France, cette proposition ne manque pas d’éveiller curiosités, fantasmes et scepticismes tant elle consiste en une invitation à recomposer les corps et les environnements vécus avec une entité jusque-là inconnue, et dont les praticiens [10] de qigong ne savent pas exactement si elle relève d’une réalité radicalement nouvelle, car absente jusqu’alors de nos expériences sensorielles, ou si elle résulte plutôt d’une forme de recatégorisation alternative de nos sensorialités. En outre, si le terme "d’énergie" fait office de candidat privilégié pour la traduction du caractère chinois (氣) [11], son emploi situe précisément le qi en porte-à-faux entre deux mondes que l’avènement de la modernité a vu s’opposer : celui des entités reconnues par les sciences physiques d’une part, et celui des entités n’ayant pas droit de cité dans l’ontologie naturaliste, au même titre que le « magnétisme » (Charrasse 2019), d’autre part.

Au premier abord, les expériences du qi que j’ai pu observer, traverser, ou dont j’ai entendu les récits se caractérisent par ce qui apparaît comme une double fragilité : parce qu’elles consistent en des savoirs somatiques souvent tacites, elles ne présentent pas la stabilité, l’objectivité et l’énonciabilité souvent attendues des « savoirs exposés » (Adell 2011) ; par ailleurs, échappant aux « modes d’existence » (Latour 2012) faisant autorité, le statut ontologique de leur objet – le qi – se trouve toujours, pour ainsi dire, inquiété. Ces expériences n’en demeurent pas moins vivaces et fondatrices chez de nombreux praticiens, et ce en dépit des conflictualités multiples qu’elles sont susceptibles de générer, à la fois en eux, entre eux, mais aussi dans leurs interactions sociales avec des personnes non-initiées au qigong  : le qi est-il un produit de l’imagination ou une entité indépendante ? S’il est une entité indépendante, combien de systèmes d’interprétation pourrait-il bouleverser ? Et comment s’assurer de la probité des savoirs dits énergétiques revendiqués par un professeur ? etc.

Comme le souligne Fabian Winiger, si l’anthropologie s’est depuis longtemps attachée à l’étude du qigong, elle l’a avant tout abordée comme une « toile sur laquelle les phénomènes sociaux, culturels et politiques se déroulent », en accordant peu d’importance au rôle du corps, au caractère « initiatique » de la pratique, et à la proposition ontologique même que son nom formule : le travail du qi (2017 : 114). S’inscrivant dans la lignée du paradigme « incarné » théorisé par Thomas Csordas (1993), quelques chercheurs se sont depuis emparés de cette pratique au travers de perspectives phénoménologiques (Murakawa 2002 ; Micollier 2016), notamment sur des terrains européens où une attention toute particulière a été portée à la capacité du qigong de défaire et de recomposer le dualisme corps-esprit via de nouvelles catégories d’entendement (Sagli 2008 ; Winiger 2017 ; Chenault 2020).

Le présent article interrogera le rôle de l’expérience somatique dans l’élaboration et la mise en tension des savoirs énergétiques des praticiens de qigong : comment le corps-vécu sert-il une forme d’heuristique prenant le qi comme objet ? Comment les savoirs qui s’y développent s’articulent-ils avec d’autres systèmes de connaissance, plus hégémoniques, et parfois discordants ? Et comment ces démarches somatiques de connaissance engagent-elles des gestes de (re)composition du monde et de l’être au monde des praticiens dans lesquels des idées comme des valeurs se trouvent mises en jeu ?

Mon propos s’appuiera essentiellement sur des enquêtes réalisées auprès de praticiens s’exerçant régulièrement, et ce depuis plusieurs années – gage, je le crois, d’une possibilité de mise en perspective critique de leur propre cheminement dans cette pratique. Les trois individus dont les récits tisseront le fil de cet article seront issus de communautés stéphanoises liées par la pratique du zhineng qigong, un style créé dans les années 1970 en Chine par le docteur Pang Heming (Winiger 2018). Wei Qifeng, enseignant mais aussi traducteur et commentateur d’un ouvrage sur le sujet, le décrit comme « un style ouvert », « ce qui signifie que dès le commencement, les praticiens ouvrent leur esprit et leur qi au monde extérieur et échangent du qi avec lui » afin de se transformer eux-mêmes « ainsi que le monde autour d’eux » (Fraser et Qifeng 2013 : 8). Avant la pandémie de Covid-19, nombre d’enseignants chinois, parfois réunis en associations, parcouraient les continents pour transmettre cette discipline et organisaient des séjours de formation en Chine. Aujourd’hui, de nombreux professeurs non chinois poursuivent la transmission, et parfois, font école. J’ai rencontré les praticiens cités dans cet article dans deux contextes : lors de ma propre découverte de cette discipline, en 2012, puis à l’occasion d’une enquête ethnographique menée auprès d’une communauté d’élèves en formation, entre 2019 et 2021.

« Un comment, non un quoi » ?

Comment le qi émerge-t-il, et, peut-être, se stabilise-t-il dans l’expérience des praticiens de zhineng qigong [12] ? Simon, initié depuis une dizaine d’années, se livra au récit de sa première expérience de pratique au cours de notre entretien. L’événement qu’il décrivit se déroula lors d’un stage réalisé auprès d’un thérapeute « alchimiste », qu’il avait connu quelques mois auparavant pour une séance de soin. À cette occasion, alors que le thérapeute procédait par « apposition des mains », Simon se surprit à se trouver « les bras écartés malgré (lui) » sur la table de massage, comme contrôlé par une force qui l’excédait. C’est frappé par la puissance de cette expérience qu’il décida d’en apprendre davantage sur les savoirs de ce thérapeute, et qu’il se rendit à l’un des stages d’initiation à l’alchimie qu’il dispensait. Il y fit alors la rencontre d’Éric, praticien de zhineng qigong, invité à cette occasion pour proposer aux stagiaires une initiation à cette dernière discipline.

Simon. [Pendant le stage], Éric nous a fait une séance – moi, je ne savais pas du tout ce qu’on allait faire. On a fait une séance de qigong où, justement, on a fait (le geste de) kai he [Fig. 2] Quand on a fait ce mouvement, moi, c’est la première fois de ma vie où je sens intrinsèquement quelque chose dans mes mains. Là, j’ouvre mes yeux, il n’y a rien, mais j’ouvre mes yeux pour confirmer qu’il n’y a rien : je savais que je ne tenais pas un ballon dans les mains. Donc, on fait tous ces exercices et moi je suis un peu… [un temps]… touché – mais c’est plus profond que ça – par l’expérience que je viens de vivre. Une expérience où je suis clair, et où il y a quelque chose qui se matérialise, que je ne vois pas, qui est présent en fait dans mes mains, qui joue un rôle et que je perçois aussi à l’intérieur de moi.

Martin. Et qu’est-ce qui te fait dire que cette chose est présente ?

Simon. La sensation dans mes mains, la sensation de toucher. […] Quand je comprimais, quand on rassemblait à l’intérieur, j’avais l’impression d’avoir [il secoue les mains]… comme quand j’étais petit et que je jouais avec des aimants : quand tu les mets sur le même pôle tu ne peux pas les faire toucher en fait. Et là, mes mains ne pouvaient pas s’interconnecter l’une à l’autre parce qu’il y avait quelque chose qui… Et quand j’ouvrais, ça s’ouvrait, mais comme si c’était quand même relié par une sorte de champ magnétique d’aimants. C’est la sensation que j’avais eue à l’époque.

Fig. 2. Le geste de kai he
Simon alterne les ouvertures (« kai  ») et rassemblements (« he ») de qi entre ses mains.
Martin Givors

C’est d’abord cette présence entre les mains, invisible mais palpable tactilement, résistante à la compression et prompte à l’expansion, active à l’extérieur comme à l’intérieur de l’enveloppe corporelle, que Simon désignera par le terme de qi. La reconnaissance de cette présence est d’abord le fruit d’un apprentissage, d’un processus « d’éducation de l’attention » (Ingold 2001) au cours duquel se développe ce que Thomas Csordas nommerait un « mode d’attention somatique », à savoir : « une manière culturellement élaborée d’être présent à et avec son corps dans un environnement » (Csordas 1993 : 138). Dans les souvenirs de Simon, le processus d’éducation attentionnel s’est réalisé par l’exercice d’un répertoire de gestes répétés, en particulier la séquence kai he, laquelle consiste en une série de mouvements d’ouvertures et de rapprochements des paumes de mains, d’« ouverture » et de « rassemblement » du qi. L’attention des praticiens y est alors conduite en différents espaces, de l’intérieur des paumes de mains à l’espace les séparant l’une de l’autre, afin d’y observer peut-être une hétérogénéité de phénomènes sensoriels (résistance, expansion, chaleur, picotements, « champ magnétique »). « Il n’y a pas de secrets », dira Pascal, ingénieur à temps partiel, thérapeute en médecine chinoise et praticien de zhineng qigong depuis 2012 : « C’est comme du culturisme […], si tu t’entraînes, tu acquiers, si tu ne t’entraînes pas, tu n’acquiers pas, mais n’importe qui qui s’entraîne acquiert ».

C’est donc au travers d’un geste technique dit de « manipulation du qi  » que le praticien en vient à considérer ce dernier comme un existant, faisant ainsi écho à la proposition de Tim Ingold selon laquelle « c’est en agissant dans le monde que le praticien le connaît […]. Les aptitudes perceptuelles et les aptitudes techniques sont les deux faces d’une même médaille » (2013 : 146-147). Pour le praticien, le qi existe donc d’abord à travers sa manière de répondre aux sollicitations des mains. Il est une matière répondante, proche de celle de l’artisan, qui se découvre d’abord depuis ce qu’elle permet, ce qu’elle « afforde [13] » au sens de James Gibson (2014 : 211). L’expérience somatique joue donc ici un rôle prépondérant dans le processus de constitution du qi comme réalité ontologique, au sens où le qi lui-même semble être une inférence tirée de la pratique, davantage qu’une chose aux propriétés définies ab initio et prenant place au sein d’un système cosmologique maîtrisé.

Ainsi pourrait-on avancer, en paraphrasant les propos du metteur en scène Eugenio Barba au sujet du travail de l’énergie chez les acteurs, que le qi des praticiens de zhineng qigong est davantage un « comment » qu’un « quoi » (2004 : 89), en ce que la définition et la circonscription de son identité même ne sont pas l’objet de leur recherche. Hélène, danseuse et chorégraphe à la retraite, praticienne depuis six années, estime ainsi qu’il n’est pas nécessaire de rendre intelligible ce qu’est le qi pour travailler avec : « On n’explique pas vraiment ce que c’est que l’énergie (…). Ça reste un mystère, et je trouve que c’est bien que ça reste un mystère, ce n’est pas problématique pour moi, je n’ai pas besoin de l’expliquer ». Et d’ajouter : « Comme je me dis que pendant très longtemps il y a des choses que l’on n’a pas su expliquer, je me dis qu’on pourra en expliquer d’autres un jour ». L’indétermination catégorielle du qi permet ainsi aux praticiens de désamorcer toute forme de remise en question de son existence : s’ils ne savent pas déterminer ce que le qi est, ils savent néanmoins que « quelque chose » qu’ils nomment qi est, car ils en font l’expérience. Pour reprendre les mots de Barbara Glowczewski, ce qui se joue pour les praticiens de zhineng qigong ne relève « pas d’une croyance en quelque chose mais d’un rapport de confiance avec ce qu’ils et elles vivent » (2021 : 17). L’expérience somatique fait en ce sens office de « chemin de véridiction » (Latour 2012 : 69) de l’existence du qi.

Rester « les pieds sur terre »

Si Simon affirme qu’il ne peut remettre en question l’existence du qi, son discours prend néanmoins soin de parer quelques procès de disqualifications de son expérience que l’on pourrait, ou qu’il pourrait lui-même, intenter : « J’ouvre mes yeux pour confirmer qu’il n’y a rien (entre mes mains) : je ne tenais pas un ballon », ou encore « je suis clair », « je ne suis pas taré », mais aussi « je sens intrinsèquement quelque chose entre mes mains ». Par ces procédés, le praticien veut nous signifier combien ses expériences du qi se sont imposées à lui sans pour autant déconstruire certains régimes de preuves qu’il hérite de la modernité : ses sens n’étaient “trompés” ni par une pathologie mentale, ni par des psychotropes, ni par un tour que lui aurait joué son formateur, gage, selon lui, du fait que le qi n’était pas le produit d’une imagination toute personnelle, mais qu’il était là, quelque part, dans le monde partagé. Évoluant sur un fil, Simon conçoit à la fois que son expérience est incompatible avec les critères de véridiction de « la science » – « comme tu ne peux pas avoir une forme d’expression (du qi), que tu ne peux pas le mesurer (…) t’en fais quoi ? » – tout en affirmant par ailleurs que son « esprit cartésien est sûr que (le qi) est présent » au regard de la factualité et de la répétabilité de ses expériences somatiques [14].

La relation au modèle scientifique de la preuve en va autrement chez Pascal qui, suivant l’invitation de ses professeurs à éprouver le caractère efficient du qi, en vient quant à lui à conduire méthodiquement quelques protocoles expérimentaux. Au sujet de l’exercice de kai he, il raconte :

Pascal. Est-ce que quand j’écarte [les mains] c’est comme quand je rapproche ? Très vite tu te rends compte que non. Et puis après tu développes, tu développes, tu développes. […] Tu vois que tu peux le faire sur un être humain, sur un chien. Est-ce que quand je mets ma main là [il tend son bras droit vers le mur, à l’écoute des perceptions dans sa main], ou là [il ramène son bras droit devant lui, paume face au sol] … C’est de l’expérimentation. Après tu le fais avec un verre de thé … un arbre …

Martin. Ces choses que tu décris, c’est des choses que tu as faites dans ton quotidien ? Des tests ?

Pascal. Oh oui, j’en fais plein. J’ai fait des tests gustatifs, tu sais, sur le thé, ça marche très bien. Au début je l’ai fait avec deux verres. Tu fais du thé, tu verses dans deux verres identiques, exactement la même quantité de thé qui vient de la même théière. Tu mets une pastille sous un verre opaque, pour pas que ça ne se voie. Et puis tu mets tes mains (en position de kai he), tu fais un travail autour d’un verre. Et puis ensuite tu les mélanges, et tu goûtes. Et tu vas vite t’apercevoir… c’est flagrant, c’est un truc de fou. Tu peux le refaire plusieurs fois. Tu vas trouver des différences de goûts. Qu’est-ce qu’il se passe ? Est-ce que c’est ton mental ? Je ne sais pas.

Rejouant à sa manière l’expérience en aveugle – garante éventuelle de l’absence de biais de confirmation au sein du protocole de test –, Pascal met à l’épreuve les possibles ouverts dans son environnement par la manipulation du qi, c’est-à-dire ce qu’il peut, ou semble pouvoir. « Semble pouvoir », car en dépit des protocoles qu’il met en place et des résultats dits « flagrants » qu’il obtient, le praticien rechigne à formuler une interprétation univoque de ceux-ci : « Qu’est-ce qu’il se passe ? […] Je ne sais pas ». Il faut moins voir un aveu d’échec qu’un renoncement dans cette incertitude. Lorsque je l’interroge à ce sujet, il explique : « Il y a des questions auxquelles tu ne peux pas répondre. Est-ce qu’il y a une ambiguïté entre ce que la science décrit ou modélise et ce que l’on vit dans le qigong  ? Vraiment, je ne vais pas là-dedans. Pour moi, c’est une impasse ». À l’écouter, j’en viens à comprendre que le problème que je lui soumets n’en est pas un à ses yeux : ses protocoles ne cherchent peut-être pas tant à mimer une expérience scientifique qu’à mettre en jeu sa propre sensorialité. Le terrain sur lequel il s’exerce est moins celui de la lutte entre la croyance et la certitude que celui de l’exploration spéculative des frontières entre les possibles et les impossibles de son propre « régime de réalité » (Martuccelli 2014 : 55). Tenter la superposition des deux régimes de savoirs, scientifique et somatique, ne constitue pas même pour lui un horizon : sans dévaloriser l’un au profit de l’autre, Pascal les fait cohabiter au moyen du « principe de coupure [15] » décrit par André Mary (2000 : 37).

Se dilater ou se dissoudre ?

12 janvier 2020, une zone d’activités aux alentours de Saint-Étienne. Dans un vaste espace de bureaux reconfiguré en studio de danse, Éric, assis face à ses élèves disposés en arc de cercle, les yeux clos, conduit l’élaboration collective de ce que l’on nomme dans la discipline « le champ de qi  ». Selon la proposition du zhineng qigong, ce « champ » consiste en une sorte d’espace énergétique partagé que le collectif constitue en début de cours au rythme de la guidance du professeur.

Nos corps ayant d’abord été relâchés par une série de décontractions musculaires procédant de la tête aux pieds, nous sommes invités, sans un geste, à sentir le qi de nos corps se mélanger et fusionner avec le qi de la salle et le qi des autres praticiens qui s’y trouvent, comme autant de présences figurées ou perçues auxquelles il nous faut mêler notre intérieur : « La conscience fusionne avec le centre de la pièce, avec le centre du champ de qi  ». Le procédé est par la suite répété, non plus depuis notre propre « corps de qi », mais depuis un centre qui serait celui de notre communauté géo-sociale assemblée. Progressivement, les qi convoqués varient et changent d’échelle : après la salle, le champ de qi vient se mêler aux montagnes environnantes, avec leurs minéraux, végétaux et animaux, puis, au-delà, aux océans, à toute la communauté des praticiens de zhineng qigong, puis aux espaces infinis, au-delà de la Terre. Parfois, la pratique se poursuit par la répétition de la formule « xu yin  ». D’après Éric, sa vibration nous met sur la voie de l’expérience du Vide, xu (虚) et de l’Indifférencié, wu (無) [16], en ceci qu’elle suscite une sensation d’expansion depuis le centre de la tête (« le palais de la conscience ») vers l’extérieur dans laquelle la frontière entre l’intérieur et l’extérieur du corps s’estompe.

Si percevoir la présence du qi est une chose, déterminer les manières désirables d’être en relation avec lui en est une autre [17]. Hélène goûtait peu cette séquence d’élaboration du champ de qi. Lors de notre entretien, elle en formulera une critique aussi pédagogique, technique, qu’en un sens, sociale. Elle en avait pourtant une certaine compréhension et lui reconnaissait un intérêt somatique : il y a « ta sphère personnelle, l’aura, ce qui fait partie de l’aura, et tu en as une deuxième, et une troisième, etc. ». Or, la manière de conduire ce déploiement dans l’espace du corps présentait pour elle quelques fragilités. Le premier problème reposait dans « les mots », « ce que l’on met derrière », et leur incidence sur l’expérience des praticiens. Lorsqu’Éric en venait à ouvrir le champ de qi aux animaux, aux plantes, au cosmos, Hélène « [voyait les gens] partir avec leurs petites fleurs ». À recourir à des images peut-être trop vastes, trop abstraites, « éloignées de l’expérience » dirait Csordas (1993 : 136), la guidance devenait, à ses yeux, des mots sans les choses. Elle plongeait les élèves dans un imaginaire fantasmé de la nature, d’une « civilisation dans laquelle on ne vit pas », au lieu de raviver les expériences ordinaires qu’ils avaient de leur environnement. Et l’une des conséquences en était non pas l’entrée en relation des praticiens avec les entités mentionnées, mais plutôt une forme de repli à l’intérieur, or :

Hélène. Ils adorent ça, les gens, être à l’intérieur d’eux-mêmes […]. Ils adorent, parce qu’ils rentrent, ils rentrent, je veux dire qu’ils sont tellement à l’intérieur, qu’ils ne sont plus reliés à rien du tout. Le qigong, ce n’est pas s’isoler, c’est se relier justement. Mais eux, l’intérieur et l’extérieur, ils sont complément perdus là-dedans tu vois.

Derrière la question de la guidance orale elle-même, et des risques liés à l’abstraction des termes employés, se révèle un enjeu plus important encore à ses yeux : celui de la capacité du qigong à mettre en relation avec le monde. Si l’abstraction conduit les élèves « à l’intérieur » plutôt qu’à l’extérieur, la recherche du point de « dissolution » du corps de qi dans le Vide constitue pour elle un horizon qu’elle ne saurait partager – ce qu’elle justifiera notamment en faisant référence au champ des techniques « somatiques » (Hanna 2017) auxquelles elle a longuement été formée.

Hélène. Il n’y a pas de recherche de dissolution dans les pratiques somatiques, ça c’est un point de différence. D’ailleurs, c’est quelque chose qui me pose problème, notamment sur le plan de nos relations aux autres dans la vie. Parce que tu vois, si je repense à l’analyse du mouvement, on travaille beaucoup sur une chose : savoir se situer. (…) Être en relation, ce n’est pas la fusion, c’est savoir où tu es. En qigong, c’est complètement l’inverse. (…)

Donc moi, spontanément, je ne vais pas vers ça. Je comprends là où on veut en venir, pourquoi on se dissout, mais moi (...) ce n’est pas ma recherche (…). On ne vit pas comme des moines, il faut adapter aussi ces techniques à ce qu’on vit.

À la « dissolution » recherchée dans certaines pratiques du zhineng qigong, Hélène préfère ce qu’elle nomme « la dilatation », qui n’est pas « une perte de soi ». Pour elle, la pratique de kai he constitue précisément un chemin menant à cet état : « Ton corps s’agrandit au maximum, tu gagnes en volume, en amplitude, donc en respiration et en circulation (…) La détente allonge, élargit, épanouit, ça rayonne (…) et les pores s’ouvrent. ».

Situer les expériences du qi

Au travers des quelques critiques et nuances qu’elle formule, Hélène semble esquisser comme une typologie de trois manières de pratiquer le zhineng qigong, qu’elle distingue les unes des autres depuis les formes de relations intérieur-extérieur qu’elles proposent. Ainsi, certaines modalités d’engagement sembleraient mener au repli sur soi (focalisation sur des sensations internes), d’autres relèveraient d’une recherche spirituelle en déprise volontaire avec le monde social (quête de la dissolution du qi du corps dans un vide indifférencié), quand la voie qu’elle semble préconiser serait davantage celle d’une dilatation ouvrant la porte à une présence plus reliée au monde (penser le qi comme une substance avec laquelle « (respirer) » son environnement). Réorganisées de la sorte, ces orientations de la pratique n’ont pas la prétention de dresser des catégories étanches de praticiens, mais elles mettent néanmoins au jour la manière dont le zhineng qigong peut servir des articulations « éthico-esthétiques » (Salvatierra 2014 : 118) radicalement différentes selon le travail sensoriel mis en œuvre et les relations établies avec le qi.

Le positionnement d’Hélène en faveur d’une dilatation « située », pour reprendre son terme, traduit l’influence des techniques somatiques dont elle a reçu l’enseignement, pour certaines depuis son plus jeune âge. Au sein de ces disciplines, les affects somatiques sont considérés comme des forces constitutives de l’individualité, et plus spécifiquement, des représentations et des usages de son propre corps. L’accent y est notamment mis sur l’attention au poids du corps, au sens où « le rapport avec le poids, c’est-à-dire avec la gravité, contient déjà une humeur, un projet sur le monde » (Godard 2002 : 224). Par contraste, l’enseignement d’Éric invite les praticiens à porter attention au qi le plus léger et le moins sensible – gages de sa proximité avec « le qi un et indifférencié du Vide suprême, alors qu’il n’est pas encore condensé et diversifié » (Cheng 1997 : 429). C’est selon cette même logique qu’il invite ses élèves à pratiquer dans des milieux inhospitaliers et bruyants afin d’y retrouver la présence du qi indifférencié en deçà de l’agitation. Or, ce tropisme de l’attention vers un arrière-fond toujours plus premier – caractéristique d’une orientation « spirituelle [18] » du zhineng qigong – est précisément l’objet d’une réorientation dans les pratiques plus « situées » et plus relationnelles, ainsi qu’en témoigne Simon :

Simon. Au début, la pratique du qigong, pour moi, c’était le moyen de mettre en œuvre le fait de pouvoir me connecter avec ce qui m’entourait, de ne plus être dans un vase clos : (c’était une manière) de m’ouvrir à ce que les choses (du monde) communiquent. […] Quand je pédale pour aller au boulot, j’ai l’impression de faire une pratique de qigong. Ce n’est pas du zhineng, c’est sûr, mais j’ai l’attention sur (la porte du Ciel) bai hui au sommet de la tête, aux (portes de la Terre yong quan posées sur les pédales, j’ai la sensation que (la porte de la Vie) ming men peut respirer […]. Dès que, sur mon trajet, je peux être dans un endroit où c’est plus calme, où t’as des oiseaux, où la nature reprend ses droits, je profite de ça. […] Je pense que ça amplifie mon ressenti avec la nature, et la nature amplifie mon ressenti de qigong, dans les deux sens. On dit souvent dans les enseignements qu’il faut réussir à pratiquer n’importe où, de la même manière. Moi je sais que je n’arrive pas à pratiquer de la même manière dans le béton…

Comme en écho aux paroles de Simon, Shi Hengzuan, maître de qigong au Shaolin Temple Europe, conclut notre semaine de retraite sur le chan yuan gong par un discours portant sur les enjeux liés aux environnements de pratique. À l’instar d’Éric, il souligna d’abord l’importance de pouvoir pratiquer en tout lieu et en tout temps, pressentant que, quittant l’atmosphère sereine et ralentie du monastère, nombre de stagiaires ne parviendraient à poursuivre leur pratique chez eux. Il fit ainsi remarquer qu’un praticien devait être en mesure de préserver le calme et la détente nécessaires à la pratique sans se laisser distraire par les événements environnementaux, comme il devait être capable de conduire sa propre vie sans se laisser distraire par les sollicitations ou pressions de « l’extérieur ». Puis, reconnaissant lui-même la difficulté de cet horizon auquel il affirmait n’être pas encore parvenu, il inclina son discours, et nous invita à prêter attention à l’écologie énergétique de nos vies : « Tant que vous ne savez pas maîtriser tout à fait le qi, vous êtes le produit des qi de votre environnement, alors prêtez attention à la manière dont vous constituez ces derniers ». À l’idéal d’immunité énergétique se substituait ainsi, le temps d’une parenthèse, une forme de réhabilitation de la dimension située et relationnelle de l’existence.

Le qigong à vélo de Simon constitue peut-être lui aussi, à sa manière, une forme d’écologisation de ses expériences du qi. Il constitue comme un débordement des fins spirituelles prêtées à la pratique, sans en être nécessairement une substitution. Pour le dire avec les mots de Michel de Certeau, de telles pratiques sont semblables à des « tactiques » : si elles sont « composées avec les vocabulaires de langues reçues », ici les points d’attention du zhineng qigong, elles « tracent les ruses d’intérêts autres et de désirs qui ne sont ni déterminés ni captés par les systèmes où elles se développent » (de Certeau 1990 : XLV), à savoir, dans le cas de Simon, son désir d’intensification de sa relation somatique aux environnements naturels.

Corps, Qi, Conscience : une axiomachie ?

L’écart relevé entre les orientations « situées » et « spirituelles » du zhineng qigong est sans doute l’un des symptômes d’une axiomachie, c’est-à-dire d’un conflit de valeurs, dont le corps est l’un des principaux théâtres. Dans l’enseignement d’Éric, les perceptions « lourdes » et « épaisses » du qi, que les praticiens ressentent notamment dans les mains, renvoient à une dimension qu’il décrit comme « grossière » du qi, car plus proche de son état de « matière ». S’exercer à percevoir des qualités toujours plus légères et presque intangibles est à l’inverse une voie menant à l’expérience de la « conscience » et de l’univocité dont elle est le signe. De ses discours découle ainsi une échelle de valeurs dans laquelle ce qu’il nomme le « corps physique » se trouve déprécié au profit du « corps de qi  », lui-même inférieur à la « conscience », qui n’a pas de corps en ceci qu’elle ne ferait qu’une avec le monde.

Or, c’est précisément cette hiérarchisation que Pascal ne considère pas comme un étalon désirable pour orienter la nature de sa pratique : « De plus en plus, je trouve que l’enseignement du zhineng qigong va vers ça [vers quelque chose de méditatif] ce qui est sans doute un bien, je ne juge pas, mais moi je n’avais pas trop besoin de ça, je n’avais pas trop envie de ça ». Ancien fervent adepte de méditations bouddhistes tibétaines, il se détacha de ces dernières pratiques lorsqu’il y perçut, notamment à travers la dégradation des corps de grands méditants, une forme de déséquilibre inhérent à ces disciplines, et qu’il interprète aujourd’hui au travers des catégories d’entendement de la médecine chinoise (dont il est praticien) :

Pascal. Il manquait peut-être un ancrage, quelque chose pour me raccrocher au corps. (…) À force, la méditation – parce que j’en ai fait beaucoup et assez longtemps – ça génère presque une dissociation du corps : tu deviens presque une personne étrangère de ton corps. En fait, c’est l’histoire du yin et du yang. Tu sais, dans le Yi Jing, le yang pur c’est la créativité, et le yin pur c’est la réceptivité. Dans l’aspect méditatif poussé à outrance, tu es dans la réceptivité totale, tu acceptes tout. On lisait dans les textes que le yogi devait tout accepter : il fait froid, c’est pas un problème, il fait chaud, c’est pas un problème, on lui coupe un bras – parce que dans l’histoire de Bouddha, on lui coupe un bras à un moment – pas de problème… C’est « j’accepte tout », mais à un tel point que tu te coupes de ton corps tu vois.

Mais dans la médecine chinoise, on l’a cet aspect corps. (…) Il n’y a pas l’âme éthérée du Foie sans l’ancrage au corps de l’aspect Poumon. Il faut qu’il y ait les deux, sinon il y a dissociation du yin et du yang : t’es du yin pur, tu n’as plus que de la réceptivité, tu n’as plus de corps, tu n’as plus rien. Donc, voilà, il y a un problème d’équilibre du yin et du yang.

S’il pratique toujours le zhineng qigong, Pascal s’est depuis tourné vers l’apprentissage du liuhe qigong – « qi gong des six harmonies » – et du taiji quan [19], parce qu’il avait « besoin de mouvement, parce que le corps est toujours là ». La réorientation de sa pratique s’est ainsi trouvée motivée par le désir et la nécessité d’éprouver des affects somatiques de « mouvement » et d’« ancrage », c’est-à-dire des affects situés dans un environnement que l’on éprouve en prêtant une attention toute particulière à la perspective terrestre du corps. C’est ainsi qu’à l’axiologie spirituelle, Pascal a préféré une échelle de valeurs basée sur sa compréhension des principes physiologiques de la médecine chinoise – qui font office à ses yeux de repères pour une forme de vie désirable –, lesquels envisagent précisément les aspects yin et yang de l’individualité dans une relation d’égalité axiologique fondamentale.

Pour Hélène, qui a longtemps enseigné et pratiqué la danse contemporaine, la dépréciation du corps dans ses dimensions les plus « physiques » constitue une problématique avant tout pédagogique. « C’est vrai qu’on ne parle que du qi, on ne parle pas du squelette par exemple. (…) Ce n’est quand même pas évident ». Elle en veut pour preuve la posture principale du zhineng qigong, qui consiste à se tenir debout, les pieds joints, durant une à deux heures : « Moins tu as d’équilibre, plus tu as besoin d’ouvrir tes pieds pour avoir une base de sustentation. Si tu refermes les pieds (comme en zhineng qigong), ça veut dire que tu as déjà un axe ». Dans les techniques somatiques, l’élaboration de cet axe vertical est le fruit d’un long travail, lequel passe notamment par la somatisation de certaines structures osseuses, articulaires et musculaires permettant d’architecturer le corps en diminuant les contraintes structurelles. Or, d’après Hélène, les élèves de zhineng qigong « n’ont pas de représentation de leur corps » pour la plupart, et certains enseignants « ont aussi un grand manque de connaissances physiologiques et anatomiques ».

La chose serait bénigne, selon elle, si elle n’avait pas pour conséquence d’amener certains praticiens à effectuer des mouvements d’une manière qu’elle juge dangereuse pour les tissus et les structures corporelles. Elle me cite ainsi, à titre d’exemple, un mouvement de bascule de la tête vers l’arrière dans lequel nombre d’élèves, au lieu de garder les cervicales en flexion en rentrant le menton, engagent une importante extension des vertèbres, laquelle, par effet de levier, conduit seulement quelques structures articulaires fragiles à porter le poids important de la tête [20]. Si ces élèves ne sont pas en mesure de se corriger eux-mêmes, ils ne sont que très rarement corrigés par les enseignants, soit parce qu’ils font la même « erreur », soit parce qu’ils ne veillent pas sur l’exécution physique des mouvements, soit – et cela peut être lié – parce qu’ils estiment que la circulation du qi induite par le geste amènera mécaniquement le « corps physique » à se rectifier. « C’est impossible que quelque chose (comme le qi) puisse passer si tu fais ça […]. C’est dangereux, ne serait-ce que pour les postures. Et en plus, ils ne bougent pas ces gens, tu vois. Pendant 15 ans, ils sont toujours aussi malades, ils vont toujours aussi mal… Donc il y a un problème tu vois ».

La situation décrite par Hélène présente un enchâssement complexe de conflits de savoirs et de conflits de valeurs. Nous pourrions en formuler les enjeux de la manière suivante : quelle est la place des savoirs anatomiques dans la pratique et l’enseignement du zhineng qigong, quels rôles ont-ils à y jouer, alors qu’ils proviennent précisément de systèmes de connaissance et de systèmes de valeurs parfois discordants, voire dépréciés ? Plus précisément encore : peut-on penser que les savoirs anatomiques, parce qu’ils ne considéreraient pas les enjeux dits énergétiques, sont inaptes à proposer des ajustements pertinents pour les mouvements de qigong, au sens où ils n’ont pas la même compréhension des possibles et des impossibles du corps, ni la même analyse du prophylactique et du délétère ? Ou, au contraire, les risques anatomiques qu’ils soulèvent doivent-ils être considérés comme prioritaires, car plus probants, et donc entraîner un ajustement des mouvements ? Les deux derniers récits qui vont suivre, loin de tenter de résoudre ces questions, éclaireront quelques chemins inventés par Hélène et Simon, sur la base de leurs expériences somatiques, pour négocier avec ces incertitudes peuplant leur pratique.

Corps en surimpressions

« Je voulais te raconter une histoire au sujet de ta question sur le possible et l’impossible », me dit Hélène, alors que notre entretien touchait bientôt à sa fin. En 2017, elle effectua son premier stage de zhineng qigong avec le professeur Wei Qifeng, lequel l’entraîna dans la pratique de courses au cours desquelles les praticiens ont cherché à entraîner leur corps physique dans un état de fatigue très profond afin de le forcer à se relâcher. C’est dans ce relâchement qu’ils étaient alors invités à laisser leur corps de qi se réguler par lui-même :

Hélène. Pendant ces dernières années, j’ai vraiment eu d’importants problèmes de genoux, des tendinites – enfin, je ne sais pas quoi exactement, mais c’était horrible –, et j’avais réussi à les faire passer avec mon propre travail. [Au cours de ce stage], on part dans ces courses interminables, et voilà que ma douleur revient [elle écarquille les yeux et tourne la tête, puis revient face à moi]. Donc j’étais terrifiée. Je me suis dit : « ça y est, c’est fichu », tu vois. J’avais vraiment extrêmement mal, comme ça [elle se lève et boite], je ne pouvais plus avancer, et là on tournait en rond et tout. À un moment je m’arrête vers [Wei Qifeng] et je lui explique, en anglais. Et je lui dis : « Je fais quoi ? ». Il me regarde à peine, et il me dit : « Continuez » [elle rit et hausse la voix]. J’étais en colère ! J’étais extrêmement mal et en colère ! Je me suis dit : « Mais c’est fichu quoi, tout mon boulot »… Et je me dis : « Bon, je le fais, je continue ». Et je continue à travers une douleur insoutenable. Et la douleur est passée. Donc, j’ai quand même vécu ce moment [elle rit à nouveau] ! […] Je l’ai vécu quoi, je l’ai vécu, et elle a totalement disparu, et elle n’est pas revenue. […] C’est important, parce que (les professeurs) te racontent plein d’histoires tu sais, ils n’arrêtent pas. Mais là, franchement, c’est un grand moment pour moi. Donc oui, je savais déjà et je sais que des tas de choses que l’on croit impossibles, souvent, viennent de nous-mêmes : c’est nous-mêmes qui nous empêchons.

En 2020, peu avant la naissance de son deuxième enfant, Simon fut pris pour la première fois d’une crise de hernie discale qui tétanisa son corps depuis les lombaires jusqu’aux genoux, et lui infligea une profonde douleur qui se coupla rapidement d’une grande souffrance morale.

Simon. La douleur était tellement forte que je me disais : « Mais en fait, tout ce que t’as appris là, ça ne marche pas ». Mais en fait, je ne prenais même pas le temps de le mettre en œuvre, tu sais, c’était un peu paradoxal. Je m’en voulais parce que j’avais plein d’outils mais je ne m’en servais pas, et en même temps, je n’y arrivais pas […] Je me disais : « Mais en fait, tout ça pour ça ». Je pratiquais quand même beaucoup, et d’un coup, ce truc émerge. Je me dis : « Mais attends, je pratique, j’ai une hygiène de vie qui est quand même clean, et je me pète une hernie discale quoi » …

Au bout de plusieurs semaines, la crise s’estompa progressivement. Les semaines passant, le zhineng qigong reprit progressivement une place dans le quotidien de Simon – quoique l’arrivée de son deuxième enfant appelât à une réévaluation de ses temps de pratique. Auparavant, il avait pour habitude de s’exercer à la cinquième pièce de la deuxième méthode du zhineng qigong, qui consiste, pour la décrire brièvement, en un enroulement progressif de la colonne vertébrale effectué debout, qui cherche à ouvrir la circulation du qi dans le méridien du dai mai circulant le long du rachis, du coccyx jusqu’à la tête. Simon affectionnait ce mouvement car il soulageait une douleur chronique générée par une vertèbre cassée plusieurs années auparavant, mais il remarquait néanmoins que le geste pouvait, de temps à autre, réveiller les douleurs de la hernie discale sommeillante.

Un matin d’hiver, alors qu’il insérait une bûche dans le poêle de son appartement, une nouvelle phase algique se déclencha.

Simon. (La phase algique) est arrivée au cours d’un week-end de zhineng qigong où l’on voyait justement la cinquième pièce de la deuxième méthode. (…) L’après-midi, l’enseignante me dit : « Il faut faire la cinquième pièce, ça va te faire du bien ». Moi je pensais que j’allais rester coincé, mais ok je l’ai quand même fait. Je mets mon corps à l’expérience. Quand j’ai pratiqué la cinquième pièce, ma phase algique elle a fait (il siffle et dessine avec sa main une flèche montante).

Suite à cette expérience, le médecin et le kinésithérapeute de Simon lui ont rappelé que tout mouvement d’extension de la colonne vertébrale comme celui-ci était à proscrire, car il ne faisait qu’amplifier la protrusion du disque intervertébral. Pourtant, sur la base de ses propres expérimentations, il se rendit compte qu’en fin de phase algique, « le qigong (l)’a aidé à relâcher les (muscles du bassin et des lombaires) plus profondément ». Alors, « la douleur s’est éteinte ». À présent, il pratique « la cinquième pièce, et elle (lui) fait énormément de bien ». Pour autant :

Simon. Tu ne peux pas dire à quelqu’un… c’est pas que je remets en question (la professeure) mais… Quelqu’un qui est en phase algique, il ne faut pas qu’il fasse la cinquième pièce. (…) En fait, je pense qu’il y a un temps pour tout. Il faut s’écouter, et il faut s’accorder (…) il faut être suffisamment confiant en sa structure.

Depuis quelque temps, Simon a développé par lui-même un protocole de pratique ajusté aux réactions de son propre corps-vécu, évoluant quelque part à mi-chemin entre les recommandations du corps médical et sa connaissance du zhineng qigong. De ce bricolage sont nées des séances matinales « hybrides [21] » (Frank et Stollberg 2004 : 74), dans son salon, au cours desquelles l’élaboration du champ de qi précédera les exercices de renforcement préconisés par le kinésithérapeute, après lesquels une introspection permettra de sentir et de faire circuler le qi dans les zones musculaires travaillées.

Ruminer sa pratique

Les expériences somatiques du qi conduisent les praticiens de zhineng qigong dans un mouvement de connaissance résolument prospectif, et quelquefois même, vertigineux. Si, d’une part, elles développent et (re)catégorisent de nouvelles attentions, de nouvelles affordances, et procèdent ainsi à la formation de nouvelles aptitudes, elles ne cessent de jeter le trouble, d’autre part, sur les confins et les limites du possible qu’elles ouvrent. Le qi, en tant que champ de perception et d’action, paraît ainsi comme animé d’une ligne de fuite – laquelle ne manque pas d’être nourrie, par ailleurs, par les nombreuses histoires que se racontent les praticiens et dont les influences restent à étudier. Cette ligne de fuite a précisément pour effet de maintenir dans le trouble la frontière séparant le possible de l’impossible, comme si le qi soulignait toujours la « servitude de toute pensée finie » (2013 : XLIX), pour reprendre les termes employés par Claude Lévi-Strauss au sujet de la notion de mana. Les douleurs au genou d’Hélène et au dos de Simon allaient-elles s’estomper ou empirer par la pratique ? Les réponses pouvaient-elles se trouver en dehors de leurs gestes d’expérimentation ? Dans le cadre du zhineng qigong, cet effet d’entrebâillement est néanmoins contrebalancé par l’exercice des techniques du corps à proprement parler. La démarche heuristique des praticiens rencontrés discipline « partiellement » (2013 : XLIX) – mais partiellement seulement – l’effet d’aspiration du qi, en le confrontant à ce que l’on pourrait nommer avec Danilo Martuccelli les « chocs de la réalité » (2014 : 31) somatique. Ce n’est peut-être qu’en saisissant cette duplicité des expériences du qi, qui à la fois ouvrent des possibles, et en même temps structurent des savoirs, que l’on peut saisir pourquoi le « mystère » y côtoie si intimement la technique, voir le gongfu [22].

Je voudrais insister sur le fait que les praticiens dont les récits ont ici été rapportés se sont tous engagés, depuis plusieurs années, à pratiquer avec une certaine assiduité le qigong en général, et pour certains, le zhineng qigong en particulier. C’est, je crois, l’exercice répété, l’affinement des sens, et sans doute également l’expérience renouvelée de la mise en doute et de la félicité, qui les aura conduits à cultiver « un rapport de récalcitrance » (Stengers 2020 : 18-19) permettant non seulement de négocier avec l’autorité ontologique de la science, mais également d’élaborer des mises en variation et des réorientations de leurs apprentissages du zhineng qigong. Isabelle Stengers écrit effectivement à ce sujet : « La récalcitrance n’implique pas la méfiance, mais la capacité à apprécier positivement ce que propose une théorie, sans lui permettre pour autant de nier ce qu’elle propose d’oublier ou de réduire aux apparences » (2020 : 19). Or, cette même récalcitrance semble supposer une certaine assise, une certaine confiance en sa propre capacité à connaître par le corps. C’est ici que la répétition des exercices, leur déploiement dans le quotidien, mais aussi leur approfondissement le temps de stages immersifs, en d’autres termes, leur « rumination », joue peut-être un rôle essentiel. « Car ruminer, c’est refuser – sourdement peut-être, sans nécessairement déployer un discours contradictoire – de perdre confiance dans la valeur d’une expérience, même si celle-ci est difficile à mettre en mots ou si elle est mise en difficulté par une théorie qui la disqualifie » (2020 : 18). Or, les difficultés rencontrées par les trois praticiens de zhineng qigong proviennent d’horizons bien distincts, endogènes comme exogènes, qu’il s’agisse de l’axiologie spirituelle que certains tentaient de resituer, des pédagogies qu’il fallait réincarner, ou encore des orientations thérapeutiques que l’on se devait de nuancer.

Lorsqu’elle évoque le statut des discours dans les cercles de praticiens somatiques, Isabelle Ginot ne manque pas de relever « le manque d’inquiétude intellectuelle » (Ginot 2009 : 1) plombant, à ses yeux, nombre de disciplines corporelles. C’est pour contrecarrer l’effet de lissage des grands discours qu’il lui apparaît ainsi nécessaire « de penser “à partir du sentir”, donc, sans confondre le sentir lui-même avec les rhétoriques désuètes des discours endogènes » (2009 : 14). La difficulté de l’étude de ces pratiques, a fortiori dans une perspective ethnographique, tient à l’importance de leurs hors-champs, où se déploient justement des manières de faire problématisant les discours plus disciplinés, opérant des déviations. Car ce sont dans ces manières – ces manières de choisir son espace de pratique, de choisir ce qui importe, de proposer des pédagogies alternatives, d’hybrider des savoirs – que sourd l’actuelle vitalité ontologique, axiologique et heuristique de ces pratiques. Ce sont dans les replis des « tactiques » ordinaires inventées par les praticiens que se refusent les disqualifications opérées par certains discours – spirituels ou scientistes – et que s’inventent des formes prospectives de qigong qui tentent de s’ajuster aux allures des vies de leurs praticiens.

add_to_photos Notes

[1« I still don’t get this movement » (citation originale).

[2Le qi gong (氣功) – « qi gong » ou « chi kong » dans les graphies usuelles françaises – désigne un ensemble hétérogène de pratiques corporelles chinoises à vocation thérapeutiques, prophylactiques ou spirituelles (Despeux 2004 ; Palmer 2005). Le terme est constitué des caractères qi 氣, communément traduit par « énergie », et gong 功, traduit par « travail » ou « maîtrise ». Le qigong est ainsi ordinairement présenté comme « un travail de (ou avec) l’énergie ».

[3Les prénoms ont été pseudonymisés.

[4Le Temple Shaolin de Kaiserslautern a été fondé en 1997 par le moine bouddhiste Shi Hengzong, qui en est aujourd’hui l’abbé. Longtemps associé au Shaolin Temple de Berlin, le temple est renommé Shaolin Temple Europe en 2011 à la suite d’une rupture entre les deux institutions. Il est depuis co-dirigé par Shi Hengyi, artiste martial et praticien de qigong. Il abrite aujourd’hui une communauté bouddhiste (sangha) composée de disciples, novices et volontaires, et organise différentes formes de retraites (kungfu, qigong, bouddhisme Chan) tout au long de l’année.

[5Je transcris selon le système chinois : le nom d’abord, le prénom ensuite (en accolant les différents termes composant ce dernier).

[6« Collecting qi  » (citation originale.).

[7« It’s like taking the qi around you and bringing it into your body, but it’s hard to feel yes » (citation originale).

[8« Dans certains qigong, il est nommé peng qi guan ding, c’est-à-dire prendre le qi avec les mains et le faire rentrer dans le corps par le sommet du crâne » (Chenault 2020 : 29).

[9« You want to know what qi is ? You have to practice » (citation originale).

[10Sur le terrain, les termes de « pratiquant » et de « praticien » sont employés sans distinction afin de désigner celles et ceux qui s’adonnent à la pratique du qigong. Dans la mesure où mon étude porte ici sur la constitution des techniques et des savoirs corporels, je privilégierai l’emploi du terme « praticien ».

[11Le caractère qi est occasionnellement traduit par « souffle », « énergie vitale » ou encore « force » par les praticiens, mais l’examen de ces emplois et de la polysémie du caractère chinois dépasse la portée de cet article (à ce sujet, voir : Rose et Zhang 2006 ; Legendre et al. 2022).

[12Au sujet de l’apprentissage de la perception du ki dans des pratiques de Shiatsu en France, voir Descelliers (2006).

[13Construit depuis le verbe to afford, le concept gibsonien d’affordance désigne une possibilité d’action qu’un environnement offre à un organisme singulier.

[14Relevons brièvement que la mise en doute de l’existence du qi comme entité n’est pas une démarche propre à la modernité occidentale, mais elle est également à l’origine de nombreuses discordes en Chine, dont celle portée par l’anticléricalisme communiste à la fin du XXe siècle (Palmer 2002). De même, il importe de considérer que le scepticisme suscité par la notion de qi diffère selon les disciplines corporelles qui l’invoquent : les expériences du qi en zhineng qigong ne sont pas nécessairement comparables à celles générées par le shaolin kungfu par exemple, qui est un art martial. Elles ne s’exposent donc pas aux mêmes formes de remise en cause ni aux mêmes critères de validation, notamment du fait des finalités différentes de ces pratiques (à ce sujet, voir : Legendre et al. 2022).

[15Le principe de coupure « permet l’alternance ou la cohabitation, chez un même individu ou au sein d’une même culture, de logiques ou de catégories en elles-mêmes incompatibles et irréductibles » (Mary 2000 : 37).

[16Ces concepts sont empruntés à la pensée taoïste : « Comme le Dao, l’eau jaillit d’une source unique et constante tout en se manifestant sous une infinie multiplicité de formes ; de par sa nature insaisissable et labile, elle est à l’infime lisière entre le rien et le quelque chose, entre l’il-n’y-a-pas (wu無 ) et l’il-y-a (you 有) » (Cheng 1997 : 182).

[17D’une certaine manière, se rejoue ici la distinction proposée par Philippe Descola entre les modes d’identification d’une part et les modes de relation d’autre part (2015 : 204-210).

[18« “Spirituel” (shen) qualifierait donc le qi un et indifférencié » (Cheng 1997 : 429).

[19Le taiji quan est un art martial chinois que l’on considère également comme un « art de longue vie » (Despeux 1981 : 11) en raison de ses relations avec les techniques de longévité taoïstes.

[20Il s’agit du mouvement dit de « la tête de la grue », compris dans l’enchaînement xing shen zhuang – « la forme du corps et de l’esprit » – , communément appelée la « 2e méthode du zhineng qigong  ».

[21Les auteurs se réfèrent ici à la notion d’hybridité telle que définie par William Rowe et Vivian Shelling : « La manière dont des formes se trouvent séparées de pratiques existantes puis recombinées avec de nouvelles formes au sein de nouvelles pratiques. » (1991 : 231).

[22Au sens d’une habileté qui s’acquiert par des efforts répétés et sur un temps long.

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Pour citer cet article :

Martin Givors, 2023. « Recomposer son monde avec du qi (氣) ? Récit d’itinéraires somatiques de trois praticiens français de zhineng qigong (qi gong de la sagesse) ». ethnographiques.org, Numéro 45 - juin 2023
Apprentissages sous tension [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2023/Givors - consulté le 30.04.2024)
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